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A-564-81
La Reine (appelante) (défenderesse) c.
Delbert Guerin, Joseph Becker, Eddie Campbell, Mary Charles, Gertrude Guerin et Gail Sparrow, en leur nom propre et au nom de tous les autres membres de la bande indienne Musqueam (inti- més) (demandeurs)
Cour d'appel, juges Heald et Le Dain, juge sup pléant Culliton—Vancouver, 10, 11, 14, 15, 16, 17, 18 juin; Ottawa, 10 décembre 1982.
Couronne Fiducies Appel de la décision de la Division de première instance déclarant la Couronne responsable d'un manquement à une fiducie La bande indienne a cédé à la Couronne des terrains non utilisés de la réserve située à Vancouver en vue de les louer à un club de golf Le juge de première instance a conclu que la cession avait créé une fiducie expresse, obligeant la Couronne en tant que fiduciaire à louer selon des conditions verbales précises La Couronne a loué à des conditions assez différentes de celles qui avaient été discu- tées avec la bande avant la cession, sans l'autorisation des Indiens pour ces modifications La Couronne peut agir comme fiduciaire mais doit choisir expressément de le faire Il est peu probable que la Couronne puisse être l'objet d'une fiducie par interprétation Il est incorrect de retenir les conditions verbales puisque les formalités, d'intérêt public, prescrites par la Loi n'ont pas été respectées Une autorité subalterne ne peut s'acquitter des responsabilités du gouver- neur en conseil que prévoit la loi Subsidiairement, les intimés soutiennent qu'il y a eu constitution d'une fiducie par la Loi et par l'acte de cession Distinction faite dans Kinloch entre vraie fiducie (au sens strict) et obligation gouvernemen- tale (fiducie au sens large) la Couronne exerce des fonctions gouvernementales Seule la vraie fiducie est une obligation d'equity sanctionnée par les tribunaux L'art. 18 et la cession créent une obligation gouvernementale et n'appuient pas une action fondée sur le manquement à une fiducie Dans un contexte de droit public, ni l'emploi de l'expression »en fiducie», ni la saisine d'un bien devant être employé au profit d'un tiers, ne permettent de conclure à l'intention de créer une fiducie au sens strict Les termes »à l'usage et au profit» à l'art. 18 visent l'objet de l'acte de l'exécutif par lequel les terres sont réservées pour les Indiens Le pouvoir discrétionnaire que prévoit l'art. 18 indique que c'est au gou- vernement de décider de l'usage des terres et est incompatible avec l'obligation sanctionnée par les tribunaux, d'employer le terrain d'une certaine manière Le pouvoir que confère la cession quant à la location pour le bien-être des Indiens est une restriction au pouvoir légal du gouvernement La res triction fait partie de l'économie de la loi et n'impose pas l'obligation de louer car elle entraînerait une modification fondamentale de la responsabilité de la Couronne L'expres- sion «en fiducie» dans la cession signifie que celle-ci et les arrangements ultérieurs étaient faits au profit des Indiens, parce qu'on la trouve également dans les dispositions donnant à la Couronne son titre légal, sans aucune intention de rendre
la Couronne fiduciaire, compte tenu du pouvoir discrétionnaire conféré - Appel accueilli et action rejetée - Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, art. 2, 4(2), 18(1),(2), 19, 36, 37, 38, 39 (mod. par S.C. 1956, chap. 40, art. 11), 40, 41, 53(1), 57, 58, 60(1), 61(1), 73(1), 81 - Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, art. 18(1), 37, 38, 39, 40, 41, 61(1) - Arrêté en conseil de Sa Majesté admettant la Colombie Bri- tannique, S.R.C. 1970, Appendice II, 10, cédule, art. 13 - Indian Affairs Settlement Act, S.B.C. 1919, chap. 32, art. 2 Land Act, R.S.B.C. 1936, chap. 144, art. 93(1) - Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 409.
Indiens - Terrains de la réserve à Vancouver - Club de golf intéressé à les louer - Les Affaires indiennes font faire l'évaluation - Le club fait des propositions de bail désavanta- geuses pour la bande - Le gouvernement n'informe pas l'évaluateur de tous les détails de la proposition - L'évalua- leur estime que l'offre est satisfaisante - La bande n'est pas entièrement informée de la proposition ni du rapport de l'éva- luateur - La bande n'a reçu aucun avis juridique indépendant
- La bande vote pour la cession - Le gouvernement accorde au club un bail dont les conditions diffèrent de celles discutées à l'assemblée de cession - La bande poursuit la Couronne pour manquement à une fiducie - La Couronne est-elle obligée de louer à des conditions précises? - Les formalités légales quant à la cession, nécessaires pour que les conditions soient valides, n'ont pas été observées - Les Indiens ont un titre équivalent à un droit de propriété en equity très proche du droit de propriété - Il peut y avoir fiducie - L'art. 18 confère au gouverneur en conseil un pouvoir discrétionnaire incompatible avec l'imposition d'une obligation d'equity sanc- tionnée par les tribunaux - Appel accueilli - Action rejetée
- Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, chap. 149, art. 18(1).
La réserve indienne Musqueam 2, située à l'intérieur des limites de la ville de Vancouver, était constituée en grande partie de terrains non utilisés. Un club de golf était intéressé à louer une partie de ces terrains, pour l'aménager en terrain de golf, avec pavillon. En octobre 1956, la Direction des affaires indiennes a chargé M. Howell, qui était un évaluateur compé- tent mais pas un expert en aménagement immobilier, d'évaluer les terrains de la réserve. Son rapport qualifiait les terres comprenant le terrain intéressant le club de golf de terrains résidentiels de première classe. De plus, il les évaluait à 5 500 $ l'acre et fixait à 6 % le taux de rendement équitable pour cette étendue de terrain. La Direction a donné peu de renseignements aux membres de la bande quant au contenu du rapport Howell, quoique le club de golf eût été informé des conclusions du rapport. En avril 1957, le club a fait parvenir à M. Anfield, surintendant de district de la Direction, une proposition détail- lée pour la location, prévoyant une durée initiale de quinze ans avec la possibilité de reconduire le bail pour soixante ans. Plusieurs aspects de la proposition étaient incontestablement ou probablement désavantageux pour la bande, notamment, un loyer annuel initial inférieur à celui qui ressortait des données du rapport Howell. Anfield a demandé à Howell si, à son avis, le projet de location et le taux de rendement en résultant étaient satisfaisants. Howell a répondu par l'affirmative; toute- fois, Anfield ne l'a pas informé de certains aspects importants de la proposition et, en première instance, Howell a indiqué que son opinion aurait été très différente s'il avait été au courant des renseignements supplémentaires. Néanmoins, les fonction- naires du gouvernement se sont fondés sur son avis pour
accepter l'offre du club. La bande n'a pas été entièrement informée de la proposition. Elle n'a pas non plus reçu de copie de la lettre de Howell. Les membres de la bande se sont opposés à certaines caractéristiques de la proposition mais ont cédé après que Anfield eut exercé certaines pressions. Le 6 octobre 1957, il y a eu une assemblée de la bande pour voter sur la cession à la Couronne des terrains de la réserve, pour accorder un bail au club. Avant l'assemblée, la bande indienne n'avait obtenu aucun avis juridique indépendant ni aucun avis indépen- dant d'expert, car on lui avait dit qu'il ne lui était pas permis de le faire. Il y a eu certaines oppositions à la proposition mais, au moment du vote, les membres de la bande n'avaient toujours pas été informés de certaines conditions contraires à leurs intérêts et avaient la fausse impression que certains points avaient été modifiés en leur faveur ou allaient l'être. Après avoir été lu, l'acte de cession a été ratifié. Il a été par la suite accepté par le gouverneur en conseil. Les discussions et les négociations se sont poursuivies entre des fonctionnaires de la Direction et des représentants du club. La Direction n'a pas consulté la bande ni son conseil et ne leur a pas donné d'autres renseignements avant janvier 1958. La modification au projet du bail sur laquelle insistait le conseil n'a jamais été apportée et les autres conditions défavorables n'ont pas été supprimées. Le 22 janvier 1958, la Direction a conclu un bail avec le club dont les conditions ressemblaient peu à celles qui avaient été discu- tées à l'assemblée de cession. Les Indiens n'ont pas reçu de copie du bail avant 1970. En 1975, le chef et les conseillers de la bande ont engagé la présente action, en alléguant que la Couronne avait commis un manquement à une fiducie «en approuvant le bail et en acceptant de le conclure». Le juge de première instance a conclu que la cession avait emporté consti tution d'une fiducie, en vertu de laquelle la Couronne, en tant que fiduciaire, était obligée de louer au club, à des conditions précises, même si ces conditions n'étaient pas stipulées dans le texte même de la cession. Il a en outre été jugé que la Couronne avait omis d'obtenir l'autorisation de la bande pour les modifi cations importantes apportées à ces conditions et inscrites dans le bail. Le juge de première instance a déclaré que la Couronne avait commis un manquement à une fiducie et a accordé aux intimés des dommages-intérêts de 10 millions de dollars. La Couronne a interjeté appel de cette décision.
Arrêt: l'appel est accueilli et l'action est rejetée.
En principe, il n'y a rien qui interdise à la Couronne d'agir comme fiduciaire; toutefois elle doit choisir expressément de le faire. Il n'était pas évident que la Couronne pouvait être l'objet d'une fiducie par interprétation. De toute façon, le juge de première instance n'a pas jugé qu'il existait une fiducie de ce genre. Il a conclu qu'une fiducie expresse avait été créée par la cession, comprenant les conditions verbales qu'il a énoncées.
Toutefois, de telles conditions ne peuvent être déduites en l'espèce et ne permettent donc pas de conclure à la responsabi-
lité. Les articles 37 41 de la Loi (S.R.C. 1952, chap. 149) établissent certaines formalités qui doivent être remplies pour assurer la validité des conditions contenues dans une cession. Ces formalités d'intérêt public ont été prévues pour la protec tion de la bande indienne et pour assurer que le gouvernement s'acquitte régulièrement de ses responsabilités envers les Indiens. Elles permettent aussi de connaître avec certitude l'effet de la cession et assurent la validité de l'aliénation subséquente du bien-fonds. En ce qui concerne les conditions verbales retenues par le juge de première instance, les formali-
tés n'ont pas été remplies: ni la bande ni le gouverneur en conseil n'ont accepté ces conditions. La jurisprudence indique qu'un fonctionnaire d'un ministère ne peut s'acquitter des responsabilités très importantes que la Loi impose au gouver- neur, et, même si la situation était différente, la preuve ne révèle pas et le juge de première instance n'a pas conclu que les conditions verbales avaient été acceptées par un fonctionnaire.
En outre, en disposant qu'une cession peut être condition- nelle, la Loi prévoit que toutes conditions approuvées par une bande seront incluses dans l'acte de cession expressément ou par renvoi. En l'espèce il n'y a pas eu de telle inclusion.
En plus de s'appuyer sur les présumées conditions verbales, les intimés soutiennent qu'il y a eu constitution de fiducie par l'acte de cession et que la Couronne a manqué à cette fiducie en n'apportant pas la diligence et le soin requis à la location du terrain. Ils soutiennent également que les dispositions de la Loi, notamment les paragraphes 18(1) et 61(1) ont imposé une fiducie à la Couronne.
Toutefois, il ne peut y avoir de fiducie sans une certaine forme de bien qui fasse l'objet de celle-ci. À cet égard, l'appe- lante soutient que le droit indien grevant les terrains réservés n'était pas en fait un droit de propriété et ne pouvait donc faire l'objet d'une fiducie.
La nature et le contenu de ce genre d'intérêt ont fait l'objet d'une abondante jurisprudence, avec des renvois à la Loi et autrement, mais ils n'ont pas été déterminés de façon définitive. L'intérêt ne constitue pas la propriété en common law car celle-ci est dévolue à la Couronne. Même s'il ne peut être qualifié de droit de propriété sur le terrain, cet intérêt équivaut à la même chose. Il enlève à la Couronne les principaux attributs de la propriété. Ainsi, il grève le titre de la Couronne à tel point qu'il est très proche du droit de propriété. Par consé- quent il peut y avoir fiducie.
Toutefois, il faut encore déterminer si la Loi ou la cession impose une fiducie à la Couronne. D'après un certain nombre de décisions, en particulier selon celle de la Chambre des lords dans Kinloch il faut, lorsque la Couronne exerce des fonctions gouvernementales, établir une distinction entre une «vraie fidu- cie» (ou fiducie au sens «strict» ou au sens du droit privé) et une «obligation gouvernementale» (ou fiducie «au sens large»). Seule une fiducie au sens, strict crée une obligation d'equity sanction- née par les tribunaux.
Toutefois, l'article 18 crée une obligation gouvernementale. Bien que l'article contienne l'expression «en fiducie», ni l'emploi de cette expression ni la saisine d'un bien devant être employé de quelque manière au profit d'un tiers, ne permettent, dans un contexte de droit public, de conclure à l'intention de créer une fiducie au sens strict. Les termes «à l'usage et au profit» se retrouvent non seulement à l'article 18, mais aussi dans plu- sieurs autres dispositions de la Loi et visent l'objet de l'acte de l'exécutif par lequel les terres sont réservées pour les Indiens. Par ailleurs, l'article 18 confère au gouverneur en conseil le pouvoir discrétionnaire de décider «si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve ... doivent être utilisées, se trouve à l'usage et au profit de la bande». Ceci montre bien que c'est au gouvernement et non aux tribunaux qu'il appartient de prendre cette décision. En effet, l'article est incompatible avec l'inten- tion d'imposer à la Couronne une obligation d'equity, sanction- née par les tribunaux, d'employer le terrain d'une réserve d'une
certaine manière. La Loi indique en d'autres occasions que la responsabilité de la réserve est de nature gouvernementale. L'article 18 ne constitue pas le fondement d'une action pour manquement à une fiducie dans l'administration ou l'aliénation de terrains réservés.
La même conclusion s'applique en ce qui a trait à la cession. Le pouvoir de louer les terrains cédés dans l'intérêt du bien-être des Indiens est un pouvoir accordé au gouvernement par les conditions de la cession, qui équivaut à une restriction apportée au pouvoir légal de saisine du gouvernement. Toutefois, la restriction en elle-même fait partie de l'économie de la loi. Par conséquent, elle n'impose pas l'obligation de louer car, selon l'économie de la loi, l'intention ne pouvait pas être de modifier fondamentalement, par la cession conditionnelle, la nature de la responsabilité de la Couronne. En outre, les mots «en fiducie» sont employés dans la cession mais ils apparaissent également dans les dispositions importantes des décrets et de la loi provin- ciale en vertu de laquelle le gouvernement fédéral a obtenu le titre légal des terrains de la réserve. Dans ces dispositions, l'expression «en fiducie» ne pouvait avoir pour but de faire de la Couronne fédérale un véritable fiduciaire, surtout que les con ditions de l'octroi donnent expressément au gouvernement fédé- ral le pouvoir discrétionnaire de déterminer quel usage du bien-fonds sert au mieux l'intérêt des Indiens. Dans le contexte de cette loi et de l'accord entre les gouvernements, les termes «en fiducie» dans l'acte de cession doivent simplement être interprétés comme signifiant que la cession et toute opération subséquente sont faites pour le profit des Indiens.
Il n'est pas nécessaire en l'espèce de décider de l'existence d'une obligation, pouvant être sanctionnée par les tribunaux, en ce qui concerne l'utilisation du loyer des terrains de la réserve. Il n'est pas non plus nécessaire de décider quelles seraient la nature et la portée d'une telle obligation. Ces questions soulè- vent des considérations différentes de celles qui s'appliquent en l'espèce. Elles porteraient sur les articles 61 et suivants et sur les conditions pertinentes de la cession.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Rustomjee v. The Queen (1876), 2 Q.B.D. 69 (C.A.); Civilian War Claimants Association, Limited v. The King, [ 1932] A.C. 14 (H.L.); Kinloch v. The Secretary of State for India in Council (1882), 7 App. Cas. 619 (H.L.); The Hereford Railway Co. v. The Queen (1894), 24 R.C.S. 1; Tito and others v. Waddell and others (No 2), [1977] 3 All ER 129 (Ch.D.); Town Investments Ltd. and Others v. Department of the Environment, [1978] A.C. 359 (H.L.); Amodu Tijani v. The Secretary, South ern Nigeria, [1921] 2 A.C. 399 (P.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Regina v. Taylor et al. (1981), 62 C.C.C. (2d) 227 (C.A. Ont.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Limited v. The King, [1950] R.C.S. 211, confirmant [1950] R.C.E. 185; Ontario Mining Company, Limited v. Seybold and Others, [1903] A.C. 73 (P.C.); St. Catherine's Milling and Lumber Company v. The Queen (1888), 14 App. Cas. 46 (P.C.); Attorney -General for the Province of
Quebec and Others v. Attorney -General for the Domi nion of Canada and Another, [1921] 1 A.C. 401 (P.C.); Calder, et autres c. Le Procureur Général de la Colom- bie-Britannique, [1973] R.C.S. 313; Tee -Hit -Ton Indians v. United States, 348 U.S. 272 (1955); United States v. Sioux Nation of Indians et al., 448 U.S. 371; 65 LEd2d 844 (1980); The Queen v. Devereux, [1965] R.C.S. 567, infirmant [1965] 1 R.C.E. 602; Joe et al. v. Findlay (1981), 122 D.L.R. (3d) 377 (C.A.C.-B.), confir- mant (1978), 87 D.L.R. (3d) 239 (C.S.C.-B. en cabinet); Brick Cartage Limited v. The Queen, [1965] 1 R.C.E. 102; Miller v. The King, [1950] R.C.S. 168.
DÉCISIONS CITÉES:
Reference re Stony Plain Indian Reserve No. 135 (1981), 130 D.L.R. (3d) 636 (C.A. Alb.); Attorney -General for the Dominion of Canada v. Attorney -General for Onta- rio, [1897] A.C. 199 (P.C.); Shoshone Tribe of Indians v. United States, 299 U.S. 476 (1937).
AVOCATS:
W. I. C. Binnie, c.r., G. O. Eggertson et M. Taylor pour l'appelante (défenderesse). M. R. V. Storrow, S. R. Schachter, J. I. Reynolds et L. F. Harvey pour les intimés (demandeurs).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante (défenderesse).
Davis & Company, Vancouver, pour les inti- més (demandeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: Appel est formé d'un juge- ment de la Division de première instance [[1982] 2 C.F. 385] déclarant la Couronne responsable d'un manquement à une fiducie en ce qui concerne la location, le 22 janvier 1958, de quelque 162 acres d'un terrain de la réserve indienne Musqueam 2, près de Vancouver, au club de golf Shaughnessy Heights, et accordant aux intimés 10 000 000 $ de dommages-intérêts. Les intimés forment appel incident, demandant l'augmentation des domma- ges-intérêts, la réformation du refus de la Division de première instance d'accorder un intérêt avant jugement, la hausse du taux d'intérêt d'après juge- ment et des dépens sous forme forfaitaire.
Selon la déclaration, l'intimé Delbert Guerin est le chef de la bande indienne Musqueam et les intimés Joseph Becker, Eddie Campbell, Mary Charles, Gertrude Guerin et Gail Sparrow, sont
membres du conseil de bande. Les intimés agissent en leur nom propre et au nom de tous les membres passés, présents et futurs de la bande.
La bande indienne Musqueam est une «bande» aux termes de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, et la réserve indienne Musqueam 2, une «réserve» au sens de cette Loi.
L'article 13 des Conditions de l'Union de la Colombie-Britannique au Canada, opérée par le décret impérial du 16 mai 1871 ([Arrêté en conseil de Sa Majesté admettant la Colombie Britanni- que] S.R.C. 1970, Appendice II, 10, aux pages 284 et 285) stipule ce qui suit au sujet de la prise en charge des Indiens de Colombie-Britannique:
13. Le soin des Sauvages, et la garde et l'administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu'ici par le gouvernement de la Colombie Britannique sera continuée par le Gouvernement Fédéral après l'Union.
Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colom- bie Britannique a, jusqu'à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autre transférées par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Sauva- ges, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans le cas il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées, on devra en référer à la décision du Secrétaire d'État pour les Colonies.
La réserve Musqueam, d'une superficie de 416,82 acres, réservée à l'usage et au profit de la bande Musqueam a été transférée par la province de Colombie-Britannique au Dominion du Canada par le décret 1036 du 29 juillet 1938, pris en application de l'article 2 de l'Indian Affairs Set tlement Act, S.B.0 1919, chap. 32, et de l'article 93 du Land Act, R.S.B.C. 1936, chap. 144, dont voici le paragraphe (1):
[TRADUCTION] 93. (1.) Le lieutenant-gouverneur en Conseil peut, à tout moment, par avis signé de la main du Ministre et publié dans la Gazette, réserver toute terre domaniale que ne grèverait aucun droit de préemption, qui n'a été ni achetée ni louée et qui n'a fait l'objet d'aucune concession forestière ou autre de la part de la Couronne, afin de les céder au Gouverne- ment du Dominion, en fiducie, au bénéfice des Indiens, sous condition de rétrocession audit gouvernement provincial adve- nant que ces biens-fonds cessent d'être utilisés par les Indiens; le lieutenant-gouverneur en Conseil peut de même réserver certains de ces biens-fonds pour les chemins de fer ou pour toute fin jugée opportune.
Le décret provincial dispose notamment:
[TRADUCTION] ... les terrains décrits en l'annexe ci-jointe sont cédés à Sa Majesté le Roi du chef du Dominion du Canada, en fiducie, pour l'usage et le bénéfice des Indiens de la province de Colombie-Britannique, sous réserve toutefois du droit du Gou- vernement du Dominion d'administrer lesdits biens-fonds de la manière qu'il considérera la plus appropriée aux Indiens, y compris le droit d'aliéner lesdits biens-fonds et d'employer les sommes réalisées au profit des Indiens, sous réserve encore qu'advenant qu'une bande ou tribu indienne de Colombie-Bri- tannique soit frappée d'extinction, les biens-fonds ainsi cédés pour elle, qui ne sont pas aliénés comme il est prévu ci-dessus, ou le reliquat des sommes réalisées lors des aliénations, retour- neront ou seront remboursés au donateur ...
Pendant les années cinquante, les fonctionnaires de la Direction des affaires indiennes du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration s'interro- gaient sur la façon d'employer les terrains de la réserve Musqueam au meilleur intérêt de la bande indienne. La progression du lotissement individuel dans la réserve et ses incidences sur l'aménage- ment global de la réserve et le bien-être de l'en- semble de la bande indienne les inquiétaient. Les deux fonctionnaires les plus directement concernés étaient Frank E. Anfield, surintendant de district (auquel on donne parfois le titre de responsable de l'agence de Vancouver) et son supérieur, William S. Arneil, commissaire aux Indiens pour la Colom- bie-Britannique. Ni Anfield ni Arneil n'étaient en vie au moment du procès de sorte que nous n'avons pas leurs témoignages sur les débats de certaines assemblées importantes; néanmoins, le rôle qu'ils ont joué ressort assez bien des pièces littérales dont nous disposons. Le 11 octobre 1955, Anfield écrivit à Arneil au sujet d'une résolution adoptée par le conseil de bande le 7 mai 1952, qui approuvait l'allocation de 396 acres, sur un total de 416, de la réserve Musqueam à certains membres de la bande. Cette lettre comporte les passages suivants qui traitent du morcellement de la réserve en lots individuels et de ses incidences sur son aménage- ment au profit de l'ensemble de la bande:
[TRADUCTION] L'avenir de cette réserve dont la valeur est incontestable, située comme elle est dans les limites de la ville de Vancouver, est de la plus haute importance pour les Indiens comme pour les tiers. Les dossiers recèlent de nombreuses demandes d'achat ou de location de larges superficies, utilisées ou non, de cette réserve, mais il est pratiquement impossible d'engager des négociations qui aient un sens tant que la ques tion de la propriété individuelle du bien-fonds ne sera pas définitivement réglée.
Le Ministère ne peut à la légère refuser de louer des terrains aux membres de la bande individuellement. C'est leur droit.
Mais autoriser l'appropriation privée de larges superficies inuti- lisées, avec droit de louer sur une base individuelle, ne peut que conduire au désastre économique pour l'ensemble de la bande. La réglementation de zonage du secteur interdit actuellement l'implantation d'industries, n'autorisant que l'agriculture, mais elle pourrait facilement être modifiée de façon à permettre certaines utilisations comme les clubs de golf et même, éven- tuellement, l'occupation résidentielle: ces usages, naturelle- ment, ne seraient possibles qu'après aliénation de la réserve par vente ou location. Le développement à long terme de la réserve pour le plus grand profit de la bande devrait se faire par la location de larges superficies aux meilleures conditions.
Il pourrait être nécessaire de reconstituer à un autre endroit, dans la réserve ou ailleurs, le village actuel, dont les habitations sont dispersées. En conséquence, les tenures foncières indivi- duelles devraient être confinées aux aires actuellement utilisées et tout devrait être mis en œuvre pour que l'ensemble de la bande Musqueam conserve entièrement le contrôle des secteurs encore vierges.
Le 16 novembre 1955, William C. Bethune, surintendant par intérim, réserves et fidéicommis, à Ottawa, écrivit à Arneil au sujet de la politique à suivre à l'égard du morcellement de la réserve en lots individuels, disant:
[TRADUCTION] Vos remarques au sujet d'un projet éventuel de location d'une certaine superficie à un club de golf, d'un projet de village indien pilote et de l'aménagement d'un parc, ont suscité beaucoup d'intérêt. Vous parlez de loyer satisfaisant et je présume que personne ne songe à acquérir une portion de la réserve à un prix inférieur à sa pleine valeur.
Dans un rapport adressé à Arneil, en date du 17 septembre 1956, Anfield recommandait une étude détaillée des divers besoins fonciers de la réserve: un expert ferait une évaluation foncière et on retiendrait les services d'un expert en planification foncière pour déterminer le meilleur emploi pou- vant être fait de la réserve. À ce sujet, il dit:
[TRADUCTION] Il semble que ce qu'il faut surtout ici, ce sont les services d'un expert en planification foncière courageux, visionnaire et prenant à cœur tant l'avenir des Indiens Mus- queam que le revenu que pourraient générer les terrains dont les Indiens n'ont pas besoin. Il est essentiel que tout nouveau village soit un village modèle. Le personnel actuel ou futur de l'agence n'est pas à même de gérer un projet semblable; il importe de faire au plus tôt des plans on ne peut plus pratiques pour réaliser la volonté expresse des Musqueams, faire le meilleur usage et le meilleur aménagement possible, à leur profit, de ce qui constitue sans doute les 400 acres ayant, potentiellement, la plus grande valeur dans le grand Vancouver d'aujourd'hui.
Anfield proposa aussi que les terrains non utilisés de la réserve soient «publiquement offerts en loca tion», faisant allusion à la possibilité d'un aména- gement analogue aux «British Properties».
Le ler octobre 1956, le conseil de bande résolut de faire procéder à une évaluation foncière de la réserve, aux frais de la bande, par le personnel de l'Administration des terres destinées aux anciens combattants, afin de connaître la valeur locative totale des terrains.
Dans une note de service envoyée à Arneil le 12 octobre 1956, Anfield rapporte avoir rencontré certains fonctionnaires de la ville de Vancouver au sujet de la location éventuelle à la ville de 184 acres des «basses terres» de la réserve comme dépotoir. Il parle aussi de la location possible des «hautes terres» (232 acres) au club de golf Shaughnessy:
[TRADUCTION] Il a été convenu que toutes les démarches visant à louer les hautes terres comme terrain de golf au club Shaughnessy ou les basses terres à la ville, devaient être simultanées, c'est-à-dire qu'il fallait mener de front les pourparlers.
M. Oliver a indiqué que la ville était prête à louer, au loyer qui serait éventuellement convenu; la ville avancerait alors les fonds nécessaires à la réinstallation des propriétaires des mai- sons actuelles sur le site du village pilote, contre rembourse- ment à plus ou moins long terme. Il pourrait n'y avoir à payer qu'un loyer minime au cours de la période de remboursement.
Si, au même moment, 150 acres étaient loués au club Shaughnessy pour l'aménagement d'un terrain de golf et d'un pavillon pour un loyer de 20 000 $ à 25 000 $ l'an, la bande disposerait d'un revenu au moment même elle aurait à rembourser le coût du village pilote.
Cela semblerait devoir profiter à tous les intéressés, aussi a-t-il été convenu que chaque partie resterait en contact avec les autres et que, dès que l'évaluation aurait été faite, les trois groupes intéressés seulement, la ville, le club de golf Shaugh- nessy et le Ministère, se rencontreraient pour parvenir à une entente.
Comme le dit la lettre d'Anfield du 11 octobre 1955, plusieurs personnes s'étaient déjà dites inté- ressées à acheter ou à louer certains terrains de la réserve Musqueam. C'est ce que confirme d'ail- leurs une lettre du 25 octobre 1956, adressée par Bethune à W. Strojick, surintendant de la division des biens à l'Administration des terres destinées aux anciens combattants, demandant que l'évalua- tion de la réserve distingue les «hautes terres», serait aménagé le terrain de golf, des «basses terres». Il dit: [TRADUCTION] «Les rapports qui nous sont parvenus indiquent que plusieurs deman- des on été présentées au bureau du commissaire, à Vancouver, concernant l'appropriation d'une partie de la réserve ...»»
L'évaluation de la réserve Musqueam a été effectuée par Alfred Howell, évaluateur de l'Ad- ministration des terres destinées aux anciens com- battants, qui, malgré ses compétences, n'était pas un expert en aménagement immobilier. Son rap port, en date du 28 décembre 1956, qualifie les hautes terres (le futur emplacement du club de golf) de terrains résidentiels de première classe; il les évalue à 5 500 $ l'acre. La valeur totale de 1 360 000 $ attribuée au bien-fonds, suppose un taux de rendement de 6 %.
L'évaluation d'Howell date de la même époque que la rédaction du «rapport Turner» portant sur les terrains adjacents de la Fondation de l'Univer- sité de Colombie-Britannique. Ce rapport recom- mandait la location à long terme des terrains de la Fondation à des fins d'aménagement résidentiel, et leur attribuait une valeur de 13 000 $ l'acre. Les auteurs du rapport recommandaient un bail de 99 ans à des fins résidentielles, tout en admettant que cette formule n'était pas encore très bien comprise; mais ils étaient convaincus qu'elle attirerait éven- tuellement des preneurs. À la rubrique des remer- ciements, le rapport indique que le personnel de la Direction des affaires indiennes de Vancouver a été consulté au moment de sa rédaction.
Aucune copie du rapport Howell n'a été remise à la bande Musqueam. Ce n'est qu'après avoir engagé l'action, en décembre 1975, qu'elle en obtint une. Anfield fit connaître aux membres de la bande une partie de son contenu à diverses assemblées du conseil de bande ou de la bande elle-même. Il informa aussi le club de golf des conclusions du rapport Howell.
En 1957, Anfield entra en pourparlers avec R. T. Jackson, alors président du club de golf Shaughnessy, et E. L. Harrison, un administrateur du club, qui succéda à Jackson à la présidence au cours de cette année-là; ils discutèrent de la loca tion éventuelle des hautes terres Musqueam au club. C'est au cours de ces pourparlers que l'on informa le club de l'évaluation du bien-fonds par Howell, qui pourtant n'avait pas encore été com muniquée à la bande. Manifestement, Anfield était très inquiet de la réaction que pouvait avoir le club devant l'estimation par Howell de la valeur loca- tive du bien-fonds. Cela ressort d'un projet de lettre, en date du 13 février 1957, qu'Anfield
adressait à Jackson, mais qu'il décida de ne pas envoyer. Anfield l'informait de la valeur attribuée au terrain dans le rapport Howell et concluait:
[TRADUCTION] L'emploi de ce bien-fonds, même avec un rendement minimum de 5 %, produira un loyer, pour 150 acres, de l'ordre de 37 500 $.
Nous tenions à vous prévenir immédiatement de façon à vous permettre de réfléchir à ce sujet, avant nos discussions prochai- nes sur votre intention de donner ou non suite à l'affaire.
Vous comprendrez qu'une évaluation officielle nous interdit d'employer le bien-fonds à un taux moindre que le taux cou- rant; le contenu de la présente, je l'espère, ne vous surprendra pas trop.
Les notes rédigées par Anfield le 13 mars 1957 au sujet des pourparlers avec le club de golf com- portent le commentaire suivant: [TRADUCTION] «Loyer minimum prévu pour les 150 acres serait dans le voisinage de 40 000 $ l'an.»
Dans une lettre adressée à Jackson le 10e avril 1957, Anfield dit:
[TRADUCTION] L'évaluateur a expressément déclaré qu'une diminution des valeurs locatives pourrait intervenir dans les secteurs bordés de jaune mais il a indiqué, en insistant sur ce point, que nous ne devions pas oublier que le chiffre global de
5 500 $ l'acre qu'il a attribué aux 220 acres situés au-dessus de la cote 125, est une moyenne; il estime que si nous commençons à réduire cette valeur moyenne de 5 500 $ l'acre, nous abouti- rons à une valeur très inférieure à la valeur réelle des terres. Il ne pense pas avoir à se prononcer sur des réductions en pourcentage ou en dollars, il pense que nous serions bien avisés de nous en tenir à 5 500 $ l'acre comme valeur, capitalisée à
6 %, afin de fixer la valeur locative de part et d'autre de la ligne.
J'ai pensé porter à votre connaissance cette information car je sais fort bien que l'aspect financier de cette affaire consti- tuera sans doute pour vous le facteur déterminant. J'espère que ces renseignements vous aideront, vous et votre comité, à considérer toute offre que le club de golf Shaughnessy pourrait faire au Ministère au nom des Indiens Musqueam auxquels, évidemment, l'offre devra être présentée et dont la décision sera déterminante.
Le 4 avril 1957, Harrison, devenu alors prési- dent du club de golf Shaughnessy, écrivit à Anfield pour lui faire part des conditions qu'il était prêt à soumettre aux membres du club pour la location des terres de la réserve:
[TRADUCTION] 1. La superficie à louer devra comprendre environ 160 acres de la réserve indienne et être située comme indiqué lors de notre discussion d'hier.
2. Nous aurons le droit d'aménager sur le terrain loué un terrain de golf, un club et les autres bâtiments et installations que nous considérerons appropriés pour nos membres.
3. Nous aurons besoin d'un droit de passage sur une partie de la réserve entre la rue Marine et la superficie louée afin d'avoir l'accès dont nous avons besoin.
4. La durée initiale du bail sera de quinze ans à compter du 1" mai 1957, mais le club pourra opter pour quatre reconductions de quinze ans chacune, soit une durée globale de soixante- quinze ans.
5. Le loyer pour les premiers «quinze ans» s'élèvera à 25 000 $ l'an, payable d'avance chaque année à la date anniversaire de la signature du bail, le premier paiement de 25 000 $ devant être fait dès le bail rédigé, signé et remis.
6. Le loyer pour chaque reconduction de quinze ans sera fixé de gré à gré entre votre Ministère et le club ou, à défaut d'accord, par arbitrage conformément à la «Arbitration Act» de la pro vince de Colombie-Britannique, mais ce loyer, pour toute reconduction de quinze ans, ne saurait en aucun cas être haussé ou abaissé par rapport aux précédents quinze ans, de 15 % environ du loyer initial stipulé au point 5 ci-dessus.
7. Le loyer de chaque reconduction successive de quinze ans devra être convenu avant que nous ayons à exercer notre option de reconduire ou non.
8. Nous paierons toutes les taxes grevant la superficie louée.
9. Nous paierons le coût raisonnable de relocalisation sur la réserve des maisons des Indiens sises actuellement sur la super- ficie louée.
10. À tout moment au cours du bail, et pour six mois après l'arrivée du terme définitif, nous conserverons le droit d'enlever tout bâtiment et autre structure construits ou érigés par nous sur la superficie louée et toute amélioration et autres installations.
Le 7 avril 1957, une assemblée du conseil de bande, Anfield fit part, pour la première fois, aux membres de la bande indienne des pourparlers en cours avec le club de golf. Il ne fit pas circuler la proposition du club et n'en fit pas la lecture inté- grale. Il la mentionna en termes généraux, disant qu'il s'agissait d'un projet de location de certains terrains de la réserve, pour 15 ans, avec possibilité de reconductions pour des périodes additionnelles de 15 ans, à des conditions qui restaient encore à convenir. Procès-verbal de l'assemblée fut dressé par Andrew Charles Jr., le secrétaire de la bande, et par Anfield. Le procès-verbal de Charles com- porte la déclaration suivante au sujet du projet de bail du club de golf:
[TRADUCTION] M. Anfield a aussi présenté au conseil une offre ferme de location de 160 acres de la réserve indienne Mus- queam 2 faite par le club de golf Shaughnessy Heights. La durée initiale du bail serait de 15 ans à compter du le' mai 1957, le club pouvant le reconduire quatre fois, pour 15 ans à chaque fois, soit pour une durée maximale de soixante-quinze ans.
Le procès-verbal d'Anfield contient la mention suivante sur le projet de bail:
2. Le surintendant déposa alors devant le conseil l'offre du club de golf Shaughnessy de Vancouver pour la location à long terme d'environ 160 acres de terrain délimitées à peu près comme dans le plan McGuigan, pour un loyer, pour les pre miers 15 ans, de 25 000 $ l'an, avec quatre reconductions optionnelles additionnelles de 15 autres années chacune, aux conditions qui seront convenues.
Voici quelles ont été les constatations du juge de première instance sur les détails fournis en cette occasion à l'assemblée du conseil de bande, au sujet du projet de bail la page 398]:
La preuve qu'ont administrée les demandeurs tend à démon- trer que toutes les conditions de l'offre Shaughnessy n'ont pas été fournies au conseil de bande au cours de cette assemblée. William Guerin a déclaré qu'aucune copie de l'offre ne leur avait été donnée. Il ne se souvient pas qu'on ait mentionné un loyer de $25,000 l'an. Il décrit l'assemblée comme une présen- tation fort vague on se référait à des durées de 15 ans. Le chef Edward Sparrow a dit ne pas se rappeler que l'offre du club de golf ait été lue en entier.
J'accepte comme avéré le témoignage de William Guerin et du chef Sparrow à cet égard. Les procès-verbaux de Charles Jr. et d'Anfield me portent à croire qu'on n'a donné que des renseignements généraux sur l'offre du club de golf de louer environ 160 acres, pour une durée initiale de 15 ans, avec des reconductions optionnelles additionnelles de 15 ans. Je note que le procès-verbal de Charles Jr. rapporte les termes exacts du quatrième paragraphe de l'offre du club de golf. Si les autres stipulations, dont celles relatives aux loyers, avaient été lues, je suis sûr que Charles Jr. en aurait pris note. Je remarque que le procès-verbal Anfield à ce sujet conclut comme suit: « ... aux conditions qui seront convenues».
Les procès-verbaux de Charles et d'Anfield rap- portent que le conseil de bande a adopté la résolu- tion suivante:
[TRADUCTION] Que nous approuvons la location des terrains non requis de notre réserve indienne Musqueam 2 et, au sujet de la demande du club de golf Shaughnessy, que nous approuvons la soumission à notre bande indienne Musqueam d'actes de cession pour la location de 160 acres environ tels que délimités, grosso modo, par l'arpentage McGuigan au crayon rouge et que, en outre, nous autorisons la présence de ladite requérante, pour fins d'arpentage uniquement, en vue de ladite cession, lesdits arpentages devant être aux frais et risques de la requérante entièrement.
Le 24 avril 1957, Bethune écrivit à Arneil au sujet du projet de bail du club de golf. Il accusait réception d'une lettre du 11 août [sic] 1957, et des pièces jointes. On n'a pu retrouver cette lettre d'Arneil, mais il est clair, d'après celle de Bethune, qu'il avait reçu copie de l'offre du club de golf. Voici la lettre de Bethune qui s'interroge sur la justesse du loyer de 25 000 $ l'an proposé pour les
quinze premières années:
[TRADUCTION]
Objet: Offre de location du club
de golf Shaughnessy Heights—Réserve
indienne Musqueam 2
J'ai bien reçu votre lettre du 11 avril 1957 et les pièces qui y sont jointes, concernant une demande de location par les sus- mentionnés d'environ 160 acres de terrain de la réserve en contrepartie de 25 000 $ l'an, pour les quinze premières années. La question de l'arpentage fait l'objet de discussions avec le bureau de l'Arpenteur général; éventuellement, des instructions seront données à l'arpenteur, M. D. J. McGuigan.
Le projet du club de golf a ses mérites, mais après examen de l'évaluation du point de vue du loyer, nous entretenons quelques doutes au sujet du montant offert pour la première période. Le club, comme l'indique sa proposition, entend utiliser 160 acres des meilleurs terrains résidentiels qui couvrent en tout 220 acres seulement. Le bail bloquerait le secteur pendant 75 ans.
L'évaluation, vous le remarquerez, donne aux superficies destinées à être louées une valeur nette de 5 500 $ l'acre; or, comme nous devons obtenir pour le terrain un rendement de 5 à 6 %, la valeur locative de l'acre devrait être de 250 $ à 300 $ l'an. L'offre du club est de 156 $ l'acre par an, ce qui est considérablement inférieur à ce à quoi nous pourrions nous attendre.
Il se peut que l'offre comporte des avantages à long terme que nous ignorons; peut-être avez-vous intérêt à en discuter avec l'évaluateur afin de connaître son avis sur le loyer que nous pouvons demander pour la location de cette superficie, pour la durée qu'envisage le club de golf. Nous aimerions connaître vos commentaires et recommandations sur ce qui vous paraît un loyer annuel acceptable dans le cas d'un bail de ce genre.
Le 16 mai 1957, Anfield écrivit à l'évaluateur Howell. Sa lettre mentionne une conversation qu'il aurait eue avec Howell le 16 mai 1957 et elle est accompagnée de copies de la lettre de Bethune à Arneil du 24 avril 1957. La lettre d'Anfield com- porte les passages suivants:
[TRADUCTION] Compte tenu de l'évaluation de notre service en date du 28 décembre 1956, des questions précises soulevées dans la lettre du Ministère à M. Arneil et de notre discussion qui y est mentionnée, je vous saurais gré d'examiner cette affaire en détail, à la lumière de l'évaluation, et de soumettre, en quatre exemplaires, dès que vous le pourrez, votre avis sur la justesse d'un loyer de 25 000 $ pour les quinze premières années, dans un bail de soixante-quinze ans. N'oublions pas que les premiers pourparlers ne visaient que 150 acres, lesquels sont maintenant devenus 160. De toute façon nous devrions peut- être exiger du club de golf Shaughnessy une hausse au prorata afin de convaincre le Ministère que l'offre de 156 $ l'acre n'est pas déraisonnable malgré l'évaluation qui donne une valeur locative variant entre 250 $ et 300 $ l'acre par année, selon votre évaluation de 5 500 $ l'acre.
Il est évidemment inutile de rappeler à un homme de votre expérience que dans le cas d'un bail à long terme de soixante- quinze ans, nous ne pouvons nous attendre à un rendement du terrain supérieur à cinq pour cent. Nous vous serions obligés de nous faire connaître vos observations sur ce point.
Le juge de première instance a estimé qu'Howell n'avait pas été informé de tous les détails de l'offre du club de golf; il dit la page 399]:
On n'a pas fourni à Howell tous les détails de l'offre Shaugh- nessy. Il ne connaissait pas le paragraphe 6 qui limitait les hausses et les baisses de loyer pour les reconductions de 15 ans à 15 % du loyer initial de $25,000, soit à $3,750. On ne lui dit pas non plus que le club de golf voulait obtenir le droit, à tout moment au cours du bail, et même jusqu'à 6 mois après l'arrivée du terme, d'enlever tout bâtiment ou toute améliora- tion se trouvant sur le terrain.
La bande indienne ne fut pas informée qu'An- field avait écrit à Howell pour lui demander de réexaminer son évaluation et de donner son avis sur le bien-fondé du loyer demandé.
Le 23 mai 1957, Howell écrivit à Anfield pour lui dire qu'à son avis un rendement de 3 % sur la valeur qu'il avait attribuée aux hautes terres serait juste et équitable dans les circonstances et lui recommander d'accepter le projet de bail du club de golf. Vu le rôle que cet avis parait avoir joué lorsqu'il a été décidé de louer le terrain au club, je le cite en entier:
[TRADUCTION] À la lecture de votre lettre, je me suis tout d'abord deihandé si je n'avais pas attribué une valeur trop élevée aux hautes terres de la réserve mais l'étude des valeurs données dans la ville de Vancouver m'a rassuré à ce sujet. Toutefois le seul moyen de le vérifier serait de mettre le terrain en vente, aux fins d'une mise en valeur, et de voir quelles offres en résulteraient.
Toutefois, si la valeur estimative est juste, il reste à se demander si l'offre actuelle, qui correspond à un rendement de 3 % de la valeur évaluée, peut être considérée comme équitable.
La question de savoir si la bande devrait aliéner cette terre, héritage de leur postérité, plutôt que de la louer, est une question d'éthique qui sort du cadre de cette évaluation.
Un bail de soixante-quinze ans révisé tous les quinze ans et conclu avec une entreprise financièrement saine, élimine le facteur risque; de plus, un rendement supérieur au taux de rendement actuellement assuré (obligation du gouvernement, etc.) d'environ 3,75 %, ne conviendrait pas, ni ne serait vrai- ment envisageable.
Il s'agit ici d'un terrain en friche qui jusqu'à présent n'a pratiquement rien produit. Les quelques superficies actuelle- ment louées ne rapportent que 35 $ et 40 $ l'acre. L'offre en cause, de 156 $ l'acre, pour 160 acres de ce terrain, serait une grande amélioration. A supposer que le taux de rendement assuré soit de 3,75 %, comment l'offre actuelle de 3 % peut-elle compenser cette perte de 0,75 %?
Il faut tenir compte des améliorations que le locataire appor- tera à la propriété. Nous en avons parlé avec le secrétaire du club qui, tout en ne voulant pas s'engager, a estimé qu'au cours du bail, près de 1 000 000 $ seraient dépensés en bâtiments et en améliorations. Le défrichage à lui seul coûterait environ 100 000 $ et le pavillon du club, plus de 200 000 $. Ces amélio- rations reviendront avec le bien-fonds à la fin du bail.
En outre, la propriété convient parfaitement au projet; il se peut que ce ne soit pas le meilleur usage que l'on puisse en faire, c'est un usage qui s'intègre dans le secteur, dont une partie doit être consacrée à des fins récréatives. L'établissement d'un terrain de golf augmentera la valeur de l'ensemble des propriétés avoisinantes, et en particulier celle des hautes terres restantes de la réserve. Les canalisations d'eau et les égouts qui desserviront le pavillon du club pourront aussi les desservir.
Autre point à considérer, il y a une limite à ce que le club peut payer. Certes, il se peut que l'offre actuelle ne l'atteigne pas, mais il y a d'autres terrains disponibles que le club pourrait décider de louer plutôt que de payer un prix supérieur. Toute- fois, si leur offre est acceptée, le Ministère sera dans une position beaucoup plus favorable pour négocier une hausse de loyer dans quinze ans, lorsque le club aura investi un capital considérable, dont il devra assurer la protection, dans la propriété.
Tenant compte de cela, je considère l'offre comme saine. Trouver un acheteur pour 220 acres, à 5 500 $ l'acre, peut prendre un temps considérable, pendant lequel votre revenu est nul. L'acceptation du bail vous assure un revenu de 25 000 $ l'an pour 160 acres, et il vous sera beaucoup plus facile de disposer des 60 acres restants lorsque le club aura commencé les aménagements.
Je suis donc d'avis que la voie la plus sage serait d'accepter l'offre actuelle qui oblige le club à aménager la propriété, puis de mettre en vente le reste des hautes terres.
Comme l'indique ce qui précède, Howell a fondé son avis révisé sur ce qui devait être un rendement convenable pour la période locative initiale, le réduisant de 6 à 3 % sur la base de deux conditions du projet de bail qui se sont révélées fausses: a) que les améliorations reviendraient à la bande indienne au terme du bail et b) qu'à la fin du premier terme, le Ministère serait mieux placé pour négocier une hausse du loyer. Manifestement, il ignorait la clause de l'offre du club de golf du 4 avril 1957 stipulant que le club aurait le droit d'enlever les améliorations, ainsi que les modalités relatives aux hausses du loyer, notamment la
clause compromissoire et le plafonnement des hausses à 15 %. Il ignorait aussi, bien entendu, la condition finalement stipulée dans le bail voulant que, aux fins des hausses du loyer, le terrain soit considéré comme non amélioré, c'est-à-dire comme une terre défrichée ne pouvant servir qu'à un terrain de golf. C'est ce qu'a confirmé le témoi- gnage d'Howell à l'instruction. Il a reconnu que le plafonnement des hausses de loyer à 15 % était une stipulation «choquante». Il s'en est tenu à son opinion première, que le meilleur usage du terrain était d'ordre résidentiel et qu'il fallait en tenir compte dans le calcul du loyer après le premier terme.
Voici ce que constate le juge de première ins tance au sujet du témoignage d'Howell la page 400] :
Howell a témoigné au procès. Il a déclaré avoir approuvé en 1957 le taux de rendement de 3 % pour les motifs donnés dans sa lettre: le taux des obligations d'alors était de 3.75 %; le club de golf ne constituait pas un risque financier; les améliorations reviendraient à la bande. En contre-interrogatoire, il a admis que s'il avait su que les améliorations ne reviendraient pas à la bande, il aurait recommandé un taux de rendement de 4 à 6 %. Il avait présumé, en donnant son opinion aux fonctionnaires locaux des affaires indiennes, que la renégociation du loyer serait fondée sur la condition améliorée du terrain et sur le principe du meilleur et du plus rentable usage possible. Il s'est dit choqué de la clause limitative de 15 % que l'on retrouvait dans le bail signé.
Howell s'est révélé, à mon avis, un témoin honnête. Je considère comme avéré son témoignage tel que rapporté au paragraphe précédent. Je suis convaincu qu'il n'aurait pas exprimé l'avis donné en pièce 33 s'il avait connu tous les faits.
Le 4 juin 1957, Arneil écrivit à la Direction des affaires indiennes à Ottawa pour recommander l'acceptation de l'offre du club de golf. Il se fon- dait sur le deuxième avis d'Howell, comme le montre sa lettre, que voici:
[TRADUCTION] J'ai eu l'occasion de discuter de l'arrange- ment locatif proposé ci-dessus avec M. Anfield; par la suite, l'affaire a été soumise à M. Howell, évaluateur de l'Adminis- tration des terres destinées aux anciens combattants.
Le rapport de M. Howell, en date du 23 mai 1957, propose l'acceptation de la présente offre, soit un loyer annuel de 25 000 $; je recommande donc que soient rédigés des actes de cession, à des fins locatives, pour soumission à la bande indienne.
Selon la recommandation d'Arneil et l'avis révisé d'Howell, le directeur des affaires indiennes à Ottawa proposa au sous-ministre d'accepter l'of- fre du club de golf. Le 13 juin 1957, le sous-minis- tre donna son agrément.
Le 3 juillet 1957, Bethune envoya les actes de cession à Arneil. Il déclarait que les conditions du projet de bail étaient acceptables, sauf le plafonne- ment à 15 % des hausses de loyer après les quinze premières années. A ce sujet, il disait:
[TRADUCTION] Cette clause pourrait être à notre avantage advenant des conditions défavorables au terme de la période, mais elle peut également jouer contre nous si les valeurs foncières poursuivent leur hausse au rythme actuel dans la région de Vancouver.
Si possible, nous aimerions que le plafonnement soit sup- primé, pour que le loyer soit fixé de gré à gré ou, à défaut, par arbitrage.
Le 16 juillet 1957, Anfield écrivit au chef Spar row qui lui avait demandé certains chiffres concer- nant l'évaluation de la réserve. Anfield disait que la valeur totale du bien-fonds était estimée à 1 360 000 $ et qu'en ce qui concernait le projet de bail:
[TRADUCTION] Les gens du club de golf veulent 162 acres de hautes terres. Cela, à 5 500 $ l'acre, donne une valeur de 891 000 $; or, l'offre de 25 000 $ l'an comme loyer pour les premiers dix ans, au cours desquels le club devra dépenser presque un million de dollars en capital, donne un rendement pour l'investissement de 3 %, ce que l'évaluateur considère comme fort élevé pour un tel usage de l'immeuble.
À titre de renseignement, la valeur d'investissement d'un bien- fonds sur lequel on érige de vastes structures varie entre 5 et 6 %. Notre évaluateur est formel; un investissement de 3 % pour un club de golf, si on se souvient que le terrain alors amélioré reviendra finalement à la bande, constitue un rende- ment fort satisfaisant.
Le juge de première instance commente de la façon suivante ces déclarations la page 401]:
La mention d'une durée de 10 ans était incorrecte. Lors d'une assemblée du conseil de bande, le 26 juillet, le chef Sparrow fit remarquer que l'offre Shaughnessy était pour une durée de 15 ans. Anfield écrivit une lettre l'erreur était corrigée.
A mon avis, Anfield a exagéré en rapportant l'opinion d'Ho- well sur le taux de rendement. La bande n'obtint jamais copie de la lettre d'Howell du 23 mai 1957, pas plus qu'elle n'apprit, à l'époque, que le club exigeait d'avoir le droit d'enlever les améliorations.
Le 25 juillet 1957, fut tenue une assemblée du conseil de bande pour discuter du projet de cession et de location au club de golf. Le procès-verbal de l'assemblée, rédigé par Anfield, comporte la décla- ration suivante:
[TRADUCTION] Le conseil a repris la discussion des condi tions du projet de bail à contracter avec le club de golf Shaughnessy. Les deux conseillers étaient d'avis que les recon- ductions devaient être de dix ans, y compris la première, plutôt que de quinze ans. Ils en informeront les administrateurs lorsqu'ils rencontreront le conseil.
Le 29 juillet 1957, Anfield confirma par lettre au chef Sparrow que les membres du conseil esti- maient que les reconductions devraient être de dix et non de quinze ans.
On discuta aussi à cette assemblée de la politi-
que à suivre vis-à-vis de ceux qui prétendaient , avoir apporté des améliorations à la partie de la réserve qui serait louée alors qu'ils ne détenaient aucun certificat de possession pour les terrains qu'ils occupaient.
Le 9 septembre 1957, le conseil décida, par résolution, que le montant des loyers offert pour la durée initiale du bail devait être réexaminé et renégocié avec le club de golf.
Par lettre du 13 septembre 1957, Anfield fit savoir à Harrison, le président du club de golf, que le conseil jugeait insuffisant le loyer offert et dési- rait négocier directement les conditions du bail et du loyer. La lettre concluait:
[TRADUCTION] Cette lettre peut vous surprendre, vous et vos administrateurs, mais il vaut mieux aborder de front la ques tion. Le conseil est formel, le loyer offert est trop bas; il désire participer aux pourparlers à ce sujet.
Le 27 septembre 1957, fut tenu un conseil de bande auquel assistèrent des représentants du club de golf. Etaient présents en leur qualité de mem- bres du conseil le chef Sparrow, Gertrude Guerin et William Guerin. Anfield et William Grant, responsable de l'agence de Vancouver, y assistaient au nom du Ministère. Le club de golf était repré- senté par Harrison, Jackson et le secrétaire, Heina. Andrew Charles Jr. a pris des notes. Voici les constatations du juge de première instance sur ce qui s'est passé à cette assemblée [aux pages 403 et 404]:
En présence des représentants du club de golf, le chef Sparrow a demandé un rendement de 5 % de la valeur des 162 acres; cela équivalait à environ $44,000 l'an. Le conseiller William Guerin avait effectivement calculé un montant de $44,000 ou $44,550. Les représentants du club de golf s'opposè- rent à ce chiffre. On fit lecture de certains extraits de la lettre de M. Howell du 23 mai 1957. D'après les souvenirs de Grant, les paragraphes 4, 5 et 6 furent les seuls extraits lus.
A un moment donné au cours de l'assemblée, on demanda aux représentants du club de golf de sortir. Le conseil de bande et le personnel des affaires indiennes eurent alors une discussion privée. Anfield exprima l'avis que les $44,550 demandés étaient déraisonnables. Après une longue discussion, le conseil de bande accepta le chiffre proposé de $29,000; il recommanderait ce prix à l'ensemble de la bande. On invita les représentants du club de golf à réintégrer l'assemblée. On leur fit part de ce chiffre de $29,000. Ils déclarèrent qu'ils le recommanderaient à leur conseil d'administration.
Dans son témoignage, William Guerin a déclaré que les conseillers acceptèrent ces $29,000 parce qu'ils croyaient com- prendre que la durée du premier bail serait de 10 ans et que le loyer serait renégocié tous les 5 ans; le conseil pensait pouvoir obtenir un loyer de 5% sur la valeur subséquente des terrains.
Les souvenirs de Grant de cette assemblée correspondent pour l'essentiel à la version que je viens de donner. Il y a quelques incompatibilités mineures. Il croit se souvenir que le chiffre de $29,000 fut proposé par Anfield. Anfield aurait conseillé au conseil de conclure le bail et, dans 10 ans, d'exiger du club de golf une hausse substantielle. On aurait discuté aussi, d'après lui, d'un plafonnement quelconque des hausses de loyer, à la demande du club de golf. Le conseil de bande s'y serait opposé; Anfield aurait dit qu'il signalerait leur opinion à ce sujet au ministère des Affaires indiennes. Le témoignage de Grant, que je reconnais avéré, affirme donc que le conseil de bande a accepté à regret le chiffre de $29,000.
William Guerin a affirmé dans son témoignage qu'à l'assemblée du 27 septembre 1957, Anfield lui avait dit que si la bande indienne se montrait déraisonnable dans ses demandes, le Ministère pourrait se passer de cession et louer quand même le terrain au loyer qu'il fixerait.
Le 6 octobre 1957, la bande indienne fut réunie pour voter sur la cession du terrain offert en location au club de golf. Pour faciliter les choses, nous appellerons cette réunion [TRADUCTION] «l'assemblée de cession». Anfield présidait. Le chef Edward Sparrow et les conseillers Gertrude Guerin et William Guerin étaient présents, ainsi que Grant qui prenait des notes. Anfield les a revues avant leur transcription. Charles Jr. a éga- lement pris des notes à cette assemblée. Le premier juge a constaté la page 404] que «Les notes de Charles Jr. et de Grant sont, pour l'essentiel, semblables.»
Avant l'assemblée, la bande indienne n'avait reçu aucun avis juridique indépendant ni aucun avis indépendant d'expert en matière d'évaluation et d'aménagement fonciers. Selon le témoignage d'Andrew Charles Jr.: [TRADUCTION] «M. Anfield a dit qu'il ne nous était pas possible, ni permis, d'engager des professionnels indépendants du
ministère des Affaires indiennes.» Il a ajouté que la bande indienne n'avait obtenu aucun avis juridique au sujet de la cession ou de ses effets avant sa signature.
Pour se préparer à l'assemblée de cession, Anfield avait rédigé des notes, dont voici quelques extraits:
[TRADUCTION] 25 000 $ l'an, pour les 15 premières années— avec des loyers pour les reconductions à convenir de gré à gré sous réserve d'un plafond ou d'un plancher de 15%—le Minis- tère est opposé à cette clause—et le conseil a demandé des reconductions de dix ans au lieu de quinze.
... N'oubliez pas qu'au terme du bail chaque pouce de terrain vous appartiendra ainsi que tout ce qui y est attaché ...
... Voilà le projet que nous vous soumettons; nous croyons que c'est une bonne affaire «financièrement»
a) la terre vous appartiendra toujours,
b) les valeurs locatives et le rendement augmenteront réguliè- rement en votre faveur à chaque reconduction,
c) vos enfants et vos petits-enfants vous seront reconnaissants de leur avoir laissé ce qui sera devenu une des meilleures propriétés foncières de Vancouver.
À l'assemblée de cession, les membres de la bande s'opposèrent aux reconductions proposées de quinze ans. Ils voulaient des reconductions de dix ans. Ils s'opposèrent fortement au plafonnement à 15 % des hausses de loyer. Le juge du fond a constaté ce qui suit au sujet de ce que la bande a compris ou cru comprendre à l'issue des débats de l'assemblée [aux pages 405 407]:
A mon avis, les faits suivants sont clairs; je les considère donc comme avérés:
a) Avant que les membres de la bande ne votent, ceux qui étaient présents ont présumé ou cru comprendre que le bail du club de golf serait, le premier terme excepté, d'une durée de 10 ans, non de 15.
b) Avant que les membres de la bande ne votent, ceux qui étaient présents ont présumé ou cru comprendre qu'il n'y aurait aucun plafonnement à 15 % des hausses de loyer.
Aucun renseignement n'a été donné sur le mode de négocia- tion des futures hausses de loyer. La proposition initiale du club de golf (pièce 22), prévoyait simplement que les loyers ulté- rieurs seraient fixés de gré à gré ou par arbitrage.
Je suis convaincu qu'au moment du vote le personnel des affaires indiennes et la bande s'opposaient à tout plafonnement du loyer à 15%; la bande a voté parce qu'elle croyait qu'il n'y aurait pas de plafond.
c) Il n'a pas été divulgué à l'assemblée que le club de golf proposait d'avoir le droit, à tout moment au cours du bail et, après son terme, pendant six autres mois, d'enlever tout
bâtiment ou structure et toute amélioration et installation y érigés.
Le chef Sparrow, William Guerin et Charles Jr. ont tous déclaré dans leur témoignage qu'ils croyaient avoir compris d'après ce que leur avait dit Anfield, soit lors de l'assemblée de la cession, soit lors d'une assemblée du conseil, que toutes les améliorations, à l'arrivée du terme du bail, reviendraient à la bande. Grant a déclaré dans son témoignage qu'on avait affirmé à l'assemblée de la cession que la bande pouvait conserver toutes les améliorations apportées au terrain de golf.
On a aussi dans les témoignages mentionné deux autres conditions qui se retrouvèrent dans le bail finalement signé le 22 janvier 1958 (pièce 78).
La première concernait la fixation des loyers futurs. A défaut d'accord, la question devait être soumise à l'arbitrage. Le nouveau loyer serait le juste loyer du terrain comme s'il n'avait été ni défriché ni amélioré et servait comme club de golf. L'autre condition accordait au club de golf un droit de résilia- tion du bail au terme de chaque période de 15 ans sous la simple condition d'un préavis de six mois. Aucune clause semblable n'était stipulée en faveur de la Couronne.
Ces deux points n'ont pas été, je le constate comme avéré, commentés lors de l'assemblée de la cession. Ils n'apparaissent pas dans le projet initial du club de golf (pièce 22). On les trouve pour la première fois dans les projets de baux rédigés après l'assemblée de la cession. Mais ces deux conditions n'ont pas été, par la suite, soumises au conseil de bande, ni à la bande elle-même, afin d'obtenir ses commentaires ou son aval.
Grant a fait le témoignage suivant sur ce que la bande croyait autoriser par son vote sur la cession:
[TRADUCTION] Q. La bande n'a jamais dit à M. Anfield, «M. Anfield, voilà sur quoi nous votons, mais vous pouvez de toute façon faire ce que vous voulez du bien-fonds» ou l'équivalent?
R. Non, oh non.
Q. Il est absolument certain que le vote concernait un bail précis, avec un locataire précis, à des conditions précises?
R. Oui.
Q. L'assemblée avait bien compris qu'aucun bail ne serait signé sans les conditions que nous venons de passer en revue?
R. D'après mes souvenirs, M. Anfield a dit qu'il ferait de son mieux pour obtenir tout ce qu'on voulait, et même plus, si possible.
Q. Mais, de toute façon, aucun bail ne devait être signé si ce n'est aux conditions que nous venons de voir?
R. Non, la bande ne lui donnait pas le pouvoir de changer les choses, après.
Avant le vote, l'acte de cession a été lu à la bande. La façon d'enregistrer le vote était particu- lière à la manière d'Anfield de diriger une assem blée. Les membres de la bande venaient au bureau ou à la table il présidait, touchaient le bout de
son crayon, lui disaient à voix basse comment ils votaient, et Anfield inscrivait le vote.
Voici l'acte de cession, ratifié par un vote de 41 voix contre 2:
[TRADUCTION] SACHEZ TOUS PAR LES PRÉSENTES QUE NOUS:
les soussignés chefs et conseillers de la bande indienne Mus- queam, résidant en la réserve indienne Musqueam 2, en la province de Colombie-Britannique du Canada, pour et au nom de l'ensemble du peuple de ladite bande, en conseil assemblé, par les présentes, cèdent à Sa Majesté la Reine du chef du Canada, ses hoirs et successeurs, définitivement, TOUS ET CHACUN de certains lots ou bandes de terre et locaux, sis en la réserve indienne Musqueam 2 de la province de Colombie- Britannique, d'une superficie de 162 acres environ, soit:
L'ensemble du lot «A», d'une superficie de 162 acres environ, indiqué sur le plan d'arpentage de D.J. McGuigan, arpenteur du Dominion et de la Colombie-Britannique, du 18 mai 1957, ou tel que ledit lot apparaît sur le plan d'arpentage définitif conservé dans les archives d'arpentage des Affaires indiennes, à Ottawa.
CÉDÉ ledit bien-fonds à Sa Majesté la Reine, ses hoirs et successeurs, définitivement, en fiducie, pour location à celui ou à ceux, et aux conditions, que le gouvernement du Canada jugera les plus favorables à notre bien-être et à celui de notre peuple.
ET sous la condition supplémentaire que tous les loyers perçus pour cette location seront versés à notre crédit dans notre compte en fidéicommis à Ottawa.
ET NOUS, lesdits chefs et conseillers de ladite bande indienne Musqueam, au nom de notre peuple et en notre nom propre, par la présente, avalisons et donnons notre agrément, et pro- mettons d'avaliser et de consentir, à tout ce que ledit gouverne- ment pourra faire, ou verra à faire faire, licitement, au sujet de ladite location.
À l'assemblée de cession, la bande vota aussi, à 25 voix contre 3, l'approbation du partage de 50 % du loyer que produirait le bail entre les tenanciers des lots individuels qui seraient loués. Il n'y a eu que deux votes de la bande à l'assemblée: celui qui approuvait la cession du terrain et celui qui approuvait le partage du loyer.
Après l'assemblée de cession, les avocats du club de golf rédigèrent un projet de bail. Le 24 octobre 1957, Anfield écrivit au Ministère à Ottawa et joignit à la lettre le projet de bail. Voici ce qu'il disait au sujet des reconductions de quinze ans:
[TRADUCTION] A été discutée avec les Indiens la réduction de cette durée, à 10 ans peut-être. A ce sujet, on doit dire qu'il
faudra 3 ans pour aménager les lieux et par la suite le club devra investir un million de dollars en bâtiments et en aména- gements et améliorations du terrain de golf. Il ne semble guère juste d'exiger une révision des loyers, présumément à la hausse, dans un aussi court espace de temps que 10 ans; aussi sommes- nous enclins à recommander une durée de 15 ans comme juste et équitable.
Et au sujet de la proposition de plafonner à 15 % les hausses de loyer:
[TRADUCTION] On remarquera que le projet de bail comporte une clause d'échelle mobile limitant les hausses et les réduc- tions de loyer à 15 % du loyer antérieur. Le Ministère, dans sa lettre du 3 juillet 1957, n'est manifestement pas satisfait de l'inclusion de cette clause. Aussi l'affaire fut-elle discutée lon- guement l'été dernier avec les administrateurs du club de golf Shaughnessy. Ceux-ci font remarquer qu'ils ne forment pas une entreprise commerciale mais bien un club, dont le nombre de membres est limité; il est de la plus haute importance que la charge financière globale en cours de bail soit raisonnablement déterminée. Ils s'opposent formellement à la suggestion du Ministère dans la lettre précitée de procéder à la révision des loyers de consentement mutuel et si nécessaire d'avoir recours à l'arbitrage. Une telle façon de faire détruirait, pensent-ils, leur planification globale. Ayant cela à l'esprit, ils produisent l'avis de M. Douglas W. Reeve, que le club a obtenu; copie de ce document est annexée. Ce rapport présenterait les vues de M. Reeve et des administrateurs du club; il mentionne notamment l'importance d'inclure la clause d'échelle mobile, avec le pla- fond de 15 %, dans le bail. Les administrateurs insistent dans leur demande au Ministère pour que ce plafond de 15 % soit conservé: ils rendront à la bande indienne Musqueam une propriété d'une valeur immense avec ses nombreuses améliora- tions et, rappellent-ils, un facteur primordial de tout le projet demeure la stabilité financière globale du club qui l'entreprend.
Sur le compromis négocié avec le club au sujet du plafonnement à 15 % des hausses de loyer, le premier juge a déclaré la page 409]:
Me McIntosh a dit dans son témoignage que ce plafonnement à 15 % des hausses de loyer a été la pierre d'achoppement des négociations avec la Direction des affaires indiennes. La Direc tion ne voulait pas de cette clause. Le club la désirait pour toutes les reconductions. On arriva à un compromis: le plafond de 15% ne jouerait que lors de la première reconduction. Ce compromis, d'après Me McIntosh, fut le résultat d'une rencon- tre entre Harrison, Jackson et Arneil.
Le premier juge a constaté la page 409] que: «Ni les commentaires apparaissant dans la lettre d'Anfield (pièce 63), ni une copie de la lettre les contenant, ni enfin aucune copie du projet de bail n'ont été remis au conseil de bande ... » Il faisait aussi remarquer la page 409] qu'«A dire vrai, les membres de la bande, hormis l'historique des
tractations et l'information limitée fournie lors de l'assemblée de la cession, n'ont jamais été consultés.»
Le 25 novembre 1957, Bethune écrivit à Arneil et joignit à sa lettre un projet de bail rédigé à Ottawa qui apportait des modifications au projet du club de golf. Bethune suggérait une étude approfondie de la clause de résiliation du bail au terme de chaque période de quinze ans. Il disait:
[TRADUCTION] Il y a toutefois un point que je voudrais vous voir sérieusement étudier: la stipulation du troisième paragra- phe l'on prévoit la résiliation du bail au terme de chaque période de quinze ans. Cette clause a été retenue simplement pour fin de discussion. Il semble paradoxal qu'un club désirant un bail de soixante-quinze ans insère une clause lui permettant de le résilier après quinze ans. A l'examen, vous vous rendrez compte que les Indiens n'ont rien à perdre même si le bail est résilié après les premiers quinze ans.
Le juge de première instance a constaté [aux pages 409 et 410] les faits suivants pour ce qui est du défaut d'informer la bande de cette lettre ainsi que de toute autre communication intervenue entre les parties à la négociation du bail:
La preuve administrée montre qu'une copie de cette lettre fut remise à M. Grant et à McIntosh, l'avocat du club de golf, mais pas à la bande.
Je me permettrai, à ce stade-ci, le commentaire suivant. La preuve qu'ont administrée les demandeurs cherche à établir qu'Anfield n'a eu aucune discussion avec le conseil de bande, ni avec la bande, après l'assemblée de la cession. Aucune des pièces ou des lettres échangées entre le club et les affaires indiennes n'a été remise au conseil de bande ou à la bande elle-même. Il y eut des rencontres entre Anfield, Arneil et les dirigeants du club, y compris leurs avocats, au sujet des condi tions du bail. L'avocat supposa que tout ce qui se passait était communiqué à la bande. Ni le chef ni le conseil de bande n'ont été partie à cette discussion ni n'en ont été notifiés.
Je considère fondée la preuve administrée au nom des demandeurs.
Le 6 décembre 1957, la cession était acceptée par le décret C.P. 1957-1606, que voici:
[TRADUCTION] Son Excellence le gouverneur général en conseil, sur proposition du ministre par intérim de la Citoyen- neté et de l'Immigration et sur le fondement de l'article 40 de la Loi sur les Indiens, approuve par les présentes l'acte de cession en date, du 6 octobre 1957, ci-annexé, en vue de la location d'une partie de la réserve indienne Musqeam 2 sise en la province de Colombie-Britannique, décrite avec précision dans l'acte de cession, après ratification par les électeurs de la bande indienne Musqueam de ladite province et conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens.
Les négociations se sont poursuivies sur les con ditions du projet de bail. Le 9 janvier 1958, eut lieu une assemblée du conseil de bande à laquelle assistait Jack Letcher, le remplaçant d'Anfield au poste de surintendant des Indiens après la promo tion de ce dernier au poste de commissaire-adjoint des Indiens de la Colombie-Britannique. Charles Jr. dressa le procès-verbal de l'assemblée. Voici ce que le juge du fond a constaté la page 412] sur ce qui s'est passé à cette assemblée:
Letcher fit lecture d'une lettre relative au bail du club de golf. Elle indiquait que les reconductions seraient de 15 ans au lieu de 10. Le chef Sparrow fit remarquer que la bande avait demandé des reconductions de 10 ans. Selon William Guerin, le conseil fut abasourdi d'apprendre que la reconduction serait de 15 ans. William Guerin a dit dans son témoignage que Letcher déclara alors que la bande était [TRADUCTION] «prise» avec les reconductions de 15 ans. J'accepte comme avéré le témoignage de Guerin. Le conseil de bande adopta alors une résolution par laquelle il acceptait la première période de 15 ans mais insistait pour que les reconductions subséquentes soient de 10 ans.
Le bail fut conclu avec le club de golf le 22 janvier 1958. La durée du bail était de soixante- quinze ans. Le loyer pour les quinze premières années était de 29 000 $ par an. Voici la clause relative au loyer pour chaque reconduction de 15 ans du bail:
[TRADUCTION] Pour chacune des quatre reconductions de 15 ans du bail, un loyer sera fixé avant le début de chaque reconduction, de gré à gré ou, à défaut, par arbitrage, confor- mément à la loi de Colombie-Britannique, ce loyer devant être égal au juste loyer des lieux fournis s'ils étaient toujours non défrichés et non améliorés à la date de chaque fixation respec tive du loyer et en considérant que l'usage que le locataire peut en faire selon le bail est restreint; POURVU TOUTEFOIS que le loyer annuel pour la première reconduction de 15 ans du bail ne soit pas supérieur de plus de 15 % au loyer initial de 29 000 $ l'an.
Voici la clause donnant droit au club de résilier le bail au terme de toute reconduction de quinze ans:
[TRADUCTION] Le locataire peut résilier le bail tous les quinze ans, par préavis écrit de son intention signifié au loca- teur au plus tard six mois avant le terme de la période de quinze ans en cours.
Voici la clause relative au droit du club d'enle- ver les améliorations à la fin du bail:
[TRADUCTION] Pendant la durée du bail et six mois après son terme, le locataire pourra, à tout moment, enlever tout
bâtiment ou structure qu'il aura construit ou placé sur l'immeu- ble loué, toutes les améliorations apportées au terrain et toutes les installations pourvu qu'il comble toutes les excavations et laisse les lieux en bon état.
Le premier juge partageait la page 413] l'opinion exprimée par Grant dans son témoignage: «les conditions du bail finalement conclu ne res- semblaient que fort peu à celles qui avaient été discutées à l'assemblée de la cession».
Aucune copie du bail ne fut remise à la bande ni au conseil. Andrew Charles, au nom de la bande, demanda une copie du bail à plusieurs reprises; elle lui fut refusée. La bande, en dépit de ses demandes répétées, fut incapable d'obtenir une copie du bail avant mars 1970.
Les intimés ont engagé leur action le 22 décem- bre 1975.
L'action des intimés est fondée sur le manque- ment à une fiducie. Ils demandent [TRADUCTION] «un jugement déclaratoire disant que la défende- resse a manqué à ses responsabilités de fiduciaire envers les demandeurs en approuvant le bail et en acceptant de le conclure le 22 janvier 1958», et des dommages-intérêts pour le préjudice causé à la bande.
La déclaration mentionne plusieurs manque- ments aux devoirs d'un fiduciaire. Après une affir mation générale au paragraphe 10 concernant ce manquement, le paragraphe 11 inclut une énumé- ration détaillée des allégations faites contre la défenderesse. Voici ces paragraphes:
[TRADUCTION] 10. La défenderesse, en approuvant et en con- cluant le bail précité n'a pas apporté le soin, la diligence et la prudence requis d'un fiduciaire dans l'administration des biens du cestui que trust ou bénéficiaire, et a causé ainsi aux deman- deurs un préjudice pécuniaire.
11. Notamment, et sans restreindre la portée générale du paragraphe 8, la défenderesse n'a pas apporté le soin, la diligence et la prudence requis d'un fiduciaire dans l'adminis- tration des biens de la fiducie:
a) en ne faisant pas procéder à des évaluations suffisantes et adéquates du terrain loué;
b) en louant le terrain à un club de golf et de loisirs;
c) en acceptant un loyer initial de 29 000 $ l'an;
d) en acceptant des reconductions de quinze (15) ans;
e) en plafonnant à 15 % les hausses de loyer au terme des quinze (15) premières années;
f) en acceptant que le locataire puisse enlever bâtiments et améliorations au dernier terme du bail;
g) en acceptant une clause compromissoire, sous le régime de la législation provinciale;
h) en convenant de donner à l'immeuble pour les révisions arbitrales ou conventionnelles du loyer, la valeur qu'il aurait (i) s'il n'avait été ni défriché ni aménagé et (ii) s'il n'était destiné qu'à l'usage restreint autorisé par le bail;
i) en ne communiquant pas à la bande Musqueam, avant le 15 janvier 1970, les modalités précises de l'arrangement locatif ni la copie du bail;
j) en n'ayant pas stipulé dans le bail des clauses conformes aux souhaits et aux directives du conseil de la bande Mus- queam et aux meilleurs intérêts de ladite bande;
k) en ne tenant pas compte du potentiel de croissance de la valeur du terrain loué et des terres voisines de celui-ci;
I) en ne tenant pas compte des autres possibilités d'aménage- ment actuel et futur des immeubles loués;
m) en ne tenant pas compte du potentiel financier ni de la vocation, actuels et futurs, des immeubles loués;
n) en ayant contracté frauduleusement un bail contraire aux instructions, aux désirs et aux intérêts exprimés par les demandeurs, et à leur insu;
o) en taisant frauduleusement certaines informations concer- nant les conditions du bail qui n'ont été révélées aux deman- deurs que plusieurs années après sa signature.
Le premier juge a conclu [aux pages 417 et 418] que la cession du 6 octobre 1957 avait emporté constitution d'une fiducie, comportant les condi tions suivantes relativement au bail offert:
A mon avis, la cession du 6 octobre 1957 a imposé à la défenderesse, en tant que fiduciaire, l'obligation, à compter de cette date, de louer au club de golf Shaughnessy aux conditions suivantes:
a) Une durée globale de 75 ans.
b) Un loyer pour les premiers 15 ans de $29,000.
c) La division des 60 années restantes du bail en six périodes de 10 ans.
d) La renégociation des hausses futures de loyer à chaque reconduction sans clause d'arbitrage ni mode d'évaluation du bien-fonds.
e) Aucun plafond de 15% sur les hausses de loyer.
f) Le retour à la Couronne de toutes les améliorations apportées au bien-fonds à l'arrivée du terme.
Le manquement à la fiducie constaté par le premier juge est décrit comme suit la page 418]:
La défenderesse, par son personnel et les fonctionnaires de la Direction des affaires indiennes, a manqué à ses obligations de fiduciaire. Les 162 acres n'ont pas été louées au club de golf aux conditions que la bande indienne avait autorisées. Des changements substantiels ont été faits comme le montre l'acte de bail définitif. Pour ces changements, la défenderesse n'a cherché à obtenir, comme fiduciaire, aucune instruction ni autorisation de la bande indienne bénéficiaire, la cestui que trust. L'approbation de la bande indienne aurait être obte- nue. La défenderesse avait l'obligation, par son personnel, de l'obtenir.
Le juge du fond a constaté que la bande indienne n'aurait pas voté en faveur de la cession si elle avait eu connaissance des conditions stipulées dans le bail consenti au club de golf. Il dit la page 413]:
Le chef Edward Sparrow, William Guerin et Andrew Char- les Jr. étaient présents et votèrent à l'assemblée de la cession du 6 octobre 1957. Ils ont déclaré dans leur témoignage qu'ils n'auraient pas voté la cession des 162 acres s'ils avaient connu les conditions définitives du bail intervenu entre la défenderesse et le club de golf.
J'accepte leur témoignage. J'ai constaté qu'il s'agissait de témoins honnêtes et dignes de foi. Leur témoignage n'a pas été sérieusement entaché, à mon avis, par l'après coup.
J'ai déjà énoncé mes constatations au sujet de ce que la bande savait et ne savait pas à l'époque du vote sur la cession. La prépondérance de preuve montre, je pense, que la majorité de ceux qui votèrent le 6 octobre 1957 n'auraient pas consenti à la cession des 162 acres s'ils avaient connu toutes les conditions du bail du 22 janvier 1958.
Au sujet de la défense, qui excipe de la prescrip tion légale et du comportement honnête et raison- nable de la Couronne qui l'excuserait du manque- ment à la fiducie, et à propos des dommages exemplaires demandés, le premier juge, considé- rant le comportement des fonctionnaires de la Direction des affaires indiennes, a constaté la page 425] que:
La conduite du personnel de la Direction des affaires indien- nes en l'espèce équivaut, à mon avis, à une fraude d'équité. Il n'y a pas eu, comme le soutiennent les demandeurs, fraude au sens de dol, de malhonnêteté ou de turpitude morale de la part d'Anfield, d'Arneil et d'autres. Mais le fait de ne pas revenir devant la bande ou le conseil après le 6 octobre 1957 pour faire avaliser les conditions proposées du bail a constitué, compte tenu de tout ce qui s'était passé, «une conduite ... fort peu scrupuleuse de la part de l'une envers l'autre». Il y a eu dissimulation équipollente à la fraude d'équité.
[et à la page 430]:
Même si notre juridiction avait cette compétence, dans les circonstances, je n'accorderais pas, ne fût-ce qu'en partie, ce moyen à la défenderesse. Le personnel de la Direction des affaires indiennes, en contractant le bail du club de golf, a agi, à mon avis, honnêtement. Il n'y a pas eu malhonnêteté délibé- rée ni volontaire envers la bande indienne. Mais le personnel et, en dernier ressort, la défenderesse, n'ont pas agi en bon père de famille en signant un bail sans se représenter d'abord devant la bande indienne. Je ne puis voir ce qui, en toute justice, pourrait excuser la défenderesse.
[et à la page 443]:
Je ne peux qualifier les actes d'Anfield et d'Arneil, et des fonctionnaires d'Ottawa, d'oppressifs, d'arbitraires ou de tyran- niques. J'ai déjà jugé non fondées les allégations de malhonnê- teté, de fraude morale et de dissimulation délibérée ou mali- cieuse. Le personnel de la Direction des affaires indiennes a cru
avoir le droit de négocier les conditions finales du bail sans avoir à consulter la bande indienne. J'ai jugé en fait qu'il n'avait pas ce droit. Cela ne fait pas de leur action une conduite oppressive ni arbitraire, justifiant la sanction des dommages- intérêts exemplaires.
Le juge du fond a offert [aux pages 410 et 411] les explications suivantes du comportement des fonctionnaires de la Direction des affaires indien- nes qui ne se sont pas présentés de nouveau devant la bande indienne pour faire approuver les vérita- bles conditions du bail contracté avec le club de golf:
Il y a, je pense, trois explications à cela. Aucune n'est disculpatoire. La cession ne stipulait pas expressément qu'on devait louer au club de golf; elle ne précisait pas non plus que le bail ultime, quel que fût le cocontractant, devait être approuvé par la bande ou le conseil de bande. Fort probablement aux affaires indiennes, on était d'avis, vu les conditions de la cession, qu'on était libre de négocier aux conditions jugées les meilleures, sans avoir à consulter la bande.
La seconde explication de l'ignorance dans laquelle furent maintenus les Indiens de la bande après l'assemblée de la cession serait qu'Anfield, en raison d'une promotion, avait assumer des fonctions plus lourdes. La vacance de son ancien poste n'était pas encore comblée. Cela n'eut lieu qu'en décem- bre 1957, date à laquelle M. J. C. Letcher fut nommé.
La troisième explication est reliée à la première. A cette époque, depuis des années, un grand nombre de fonctionnaires des affaires indiennes entretenait à l'égard des Indiens et de leurs bandes, avec les meilleures intentions du monde, une attitude paternaliste. Les Indiens étaient des enfants, leurs pupilles; on connaissait mieux qu'eux ce qui était bon pour eux. Grant a dit d'Anfield, d'après ce qu'il avait observé de son comportement, qu'il avait cette attitude.
Le juge du fond a accordé des dommages-inté- rêts de dix millions de dollars, se fondant sur la prémisse que le club de golf n'aurait pas signé un bail aux conditions jugées par lui comme étant celles de la fiducie et qu'il aurait alors été possible, à un moment donné, de louer le terrain pour 99 ans à des fins résidentielles à des conditions beau- coup plus avantageuses que les conditions verbales constatées par le juge. Le premier juge a expliqué comme suit la page 431 ] la raison pour laquelle le club de golf n'aurait pas consenti à un bail à ces conditions:
Ainsi, bien qu'on n'en ait pas parlé, ni lors de l'administra- tion de la preuve, ni en plaidoiries, les Indiens, par l'intermé- diaire de la Direction des affaires indiennes, et le club de golf auraient pu poursuivre les négociations pour finalement en arriver à un accord. La défenderesse a cité MM. McIntosh, Jackson, Harrison, Pipes et Gillespie. J'appellerai ces témoins, comme groupe, les témoins du club de golf. Je conclus de leurs témoignages qu'il est fort peu probable que le club de golf ait
accepté la suppression du plafond de 15 % imposé aux hausses de loyer pour la seconde reconduction de 15 ans, ou toute réduction de durée de 15 10 ans. Je crois qu'il est aussi fort peu probable, d'après le témoignage de McIntosh, que le club de golf ait abandonné la clause lui donnant le droit d'enlever les améliorations au terme, quel qu'il soit, du bail. Je ne crois pas non plus que le club de golf aurait accepté une renégociation du bail, ou un arbitrage, sur la base du meilleur et plus rentable usage du terrain.
J'écarte donc toute évaluation du dommage qui serait fondée sur le genre de location au club de golf qu'aurait jugée favora ble la bande indienne, par opposition au bail actuellement en vigueur.
Dans des motifs supplémentaires [[1982] 2 C.F. 445], le juge de première instance a refusé d'accor- der un intérêt antérieurement au jugement, une hausse du taux de l'intérêt couru après le jugement et une somme forfaitaire à titre de dépens.
Il importe de rappeler qu'il s'agit uniquement d'une action pour manquement à une fiducie et non d'une action en annulation de la cession et de l'aliénation de l'immeuble cédé qui serait fondée sur la fraude ou l'inexécution des conditions de la cession. Ce n'est pas une action pour négligence dans l'exercice d'un pouvoir légal relatif à l'aliéna- tion du terrain d'une réserve. Enfin ce n'est pas non plus une action en rectification des conditions de la cession du bien-fonds d'une réserve. L'action sera accueillie ou rejetée selon que la Couronne était ou n'était pas fiduciaire, au sens du droit privé, de l'immeuble de la réserve loué au club de golf Shaughnessy Heights et que le bail consenti pour cet immeuble ou club constituait ou non un manquement à cette fiducie. L'appel pose directe- ment et inévitablement la question de la définition du rapport juridique existant entre la Couronne ou le gouvernement, et le bien-fonds d'une réserve ou un terrain réservé cédé «en fiducie» aux fins de location; s'agit-il d'une relation fiduciaire au sens du droit privé, c'est-à-dire d'une obligation d'equity que sanctionnent les tribunaux? Le juge du fond a cité la page 413] la définition sui- vante de la «fiducie» dans Underhill's Law of Trusts and Trustees, 12e éd., 1970, page 3: [TRA- DUCTION] «Un trust [fiducie] consiste en une obli gation d'equity par laquelle une personne (appelée trustee [fiduciaire]) doit administrer un bien dont elle assume la garde (qu'on appelle le bien du trust [le bien en fiducie]) au profit de tiers (qu'on appelle bénéficiaires ou cestuis que trust) au nombre desquels elle peut être, et dont tous et
chacun peuvent obtenir l'exécution de l'obligation. Tout acte ou négligence de la part du trustee [du fiduciaire] qui n'est pas autorisé ou que n'excusent ni les termes de l'acte de trust [de fiducie] ni la loi, constitue un manquement au trust la fiducie].» Certains ont fait observer que cette définition pou- vait être incomplète (voir Waters, Law of Trusts in Canada, 1974, page 5), mais il n'est pas con testé qu'elle reflète bien l'essence de ce qu'est un trust, une fiducie, c'est-à-dire, à mon sens, l'obli- gation d'equity d'administrer un bien d'une cer- taine manière, que ce soit pour le profit d'une ou plusieurs personnes ou pour quelque autre fin.
Il faut se demander sur quoi s'appuient les intimés pour prétendre qu'il y a eu fiducie au sens du droit privé. En réponse à une ordonnance de la Division de première instance leur demandant de fournir des détails sur la fiducie [TRADUCTION] «en vertu de laquelle il est prétendu que la bande Musqueam a cédé l'immeuble décrit au paragra- phe de la déclaration modifiée, les intimés ont donné les précisions suivantes:
[TRADUCTION] La fiducie a été constituée vers le 6 octobre 1957 par acte de cession transportant 162 acres d'un terrain de la réserve de la bande indienne Musqueam à Sa Majesté la Reine du chef du Canada, en fiducie, au profit de la bande indienne Musqueam. Les conditions verbales de cette fiducie prévoyaient la cession à Sa Majesté la Reine de terrains qui devaient être loués au club Shaughnessy Heights comme ter rain de golf, selon certaines conditions devant être incorporées dans un bail conclu entre Sa Majesté la Reine Elizabeth II et le club Shaughnessy Heights.
Devant notre juridiction, les intimés ont soutenu qu'outre la fiducie constituée par la cession, les dispositions de la Loi sur les Indiens imposaient à l'époque une fiducie relative à l'administration et à l'aliénation des biens-fonds de la réserve. Pour plus de commodité, nous parlerons de «fiducie légale» pour désigner cette prétendue fiducie malgré la connotation technique qu'a cette expression dans le droit des fiducies. Cette fiducie légale constituerait nécessairement le fondement des prétendus man- quements à une fiducie qui se seraient produits avant la cession. Si j'ai bien compris les avocats, la notion de fiducie légale n'a pas été débattue en Division de première instance; en tout cas le pre mier juge n'en fait pas mention. L'avocat de l'ap- pelante s'est opposé à ce que les intimés fassent appel à la notion de fiducie légale, en tout premier lieu, parce qu'elle n'avait pas été articulée dans les
actes de procédure et, ensuite parce qu'elle avait été expressément exclue par les détails fournis par les intimés sur la fiducie. Je suis d'avis que les écritures sont assez larges pour leur permettre d'invoquer la fiducie légale. Il a été ordonné aux intimés de fournir des détails sur les conditions de la fiducie relative à la cession du bien-fonds, et c'est ce qu'ils ont fait. Cela, à mon avis, ne les empêchait pas de soutenir qu'à l'époque en cause il existait une fiducie légale relative à l'administra- tion de la réserve, si on tient compte notamment de l'étendue des manquements allégués au paragra- phe 11 de la déclaration révisée. Vu l'importance générale de la question, j'estime que la Cour devrait examiner ce moyen même si apparemment il-n'a pas été débattu en première instance. L'appe- lante n'en subira aucun préjudice puisqu'il s'agit d'une question de droit pur ne dépendant pas de faits qu'il aurait fallu articuler ou établir dans les preuves administrées.
L'existence de cette fiducie légale serait fondée en premier lieu sur le texte des paragraphes 18(1) et 61(1) de la Loi sur les Indiens (S.R.C. 1952, chap. 149, modifié par S.C. 1952-53, chap. 41; S.C. 1956, chap. 40; et S.C. 1958, chap. 19), en vigueur à l'époque considérée. Ces dispositions sont pratiquement identiques aux articles 18(1) et 61(1) de la Loi actuelle (S.R.C. 1970, chap. I-6):
18. (1) Sauf les dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l'usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté; et, sauf la présente loi et les stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l'usage et au profit de la bande.
61. (1) Les deniers des Indiens ne doivent être dépensés qu'au bénéfice des Indiens ou des bandes à l'usage et au profit communs desquels ils sont reçus ou détenus, et, sous réserve de la présente loi et des termes de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si les fins auxquelles les deniers des Indiens se trouvent employés, ou doivent l'être, sont à l'usage et au profit de la bande.
Le premier moyen de l'appelante sur la question de la responsabilité consiste à dire que ni les dispositions de la Loi sur les Indiens ni l'acte de cession n'ont constitué un trust ou fiducie véritable au sens d'obligation d'equity sanctionnée par les tribunaux, n'ayant créé au mieux qu'une obliga tion ou fonction gouvernementale qualifiée par
l'appelante de [TRADUCTION] «fiducie politique». Pour ce qui est de la cession, l'appelante soutient aussi que les conditions de la fiducie n'étaient pas celles qui avaient été constatées par le premier juge mais celles qui étaient contenues dans l'acte de cession lui-même et qu'en outre, le titre ou droit indien grevant les terres réservées n'était pas un droit de propriété et ne pouvait donc pas faire l'objet d'une fiducie.
Il est maintenant bien établi, comme le recon- naît l'avocat de l'appelante, que rien en principe n'interdit à la Couronne d'agir comme fiduciaire. Dans l'arrêt Rustomjee v. The Queen (1876), 2 Q.B.D. 69 (C.A.), le juge en chef lord Coleridge, auteur de l'arrêt unanime de la Cour d'appel, dit à la page 74: [TRADUCTION] «Nous n'affirmons pas qu'en aucun cas la Couronne ne saurait être fidu- ciaire ...» Dans l'arrêt Civilian War Claimants Association, Limited v. The King, [1932] A.C. 14 [H.L.], à la page 27, lord Atkin dit: [TRADUC- TION] «Il n'y a rien, que je sache, qui interdise à la Couronne d'agir comme mandataire ou fiduciaire si elle choisit délibérément de le faire.» Ce dictum a été reconnu comme l'énoncé du droit dans l'arrêt Miller v. The King, [1950] R.C.S. 168, la page 175, et dans l'arrêt Tito and others v. Waddell and others (No 2), [1977] 3 All ER 129 [Ch.D.], à la page 217.
On a fait une distinction, dans le cas la Couronne ou un préposé de la Couronne exerce des fonctions gouvernementales, entre une fiducie au sens strict (true trust), donc une obligation d'equity que sanctionnent les tribunaux, et une obligation ou fonction gouvernementale qui n'équi- vaut pas à une fiducie véritable. La distinction, quoique exprimée en des termes un peu différents, a été reconnue par la plus haute autorité, dans un arrêt de la Chambre des lords, Kinloch v. The Secretary of State for India in Council (1882), 7 App. Cas. 619. Dans cette affaire, la Couronne par mandat royal avait [TRADUCTION) «concédé» un butin de guerre au Secrétaire d'Etat en conseil pour l'Inde «en fiducie» pour les hommes et offi- ciers des forces armées, à charge pour le Secrétaire d'État, ou son délégué, de le distribuer selon cer- taines échelles et proportions. Le mandat royal disposait en outre qu'en cas de doute au sujet du partage du butin ou de son produit, ou au sujet de toute prétention à celui-ci, il appartenait au Secré-
taire d'État ou à son représentant de trancher et que leur décision serait définitive et obligatoire, à moins que dans les trois mois Sa Majesté n'en décide autrement. La Chambre des lords jugea que le mandat royal n'avait pas créé de fiducie que pouvaient sanctionner les tribunaux.
Faisant une distinction entre une fiducie «au sens strict» appelée depuis «vraie fiducie» et fiducie «au sens large» ou «obligation gouvernementale», le lord Chancelier Selborne dit aux pages 625 et 626:
[TRADUCTION] Les termes «in trust for» [«en fiducie»], conviennent à toutes sortes de fiducies (trust), et constituent même la meilleure façon de les décrire—non seulement les fiducies sur des domaines dont peut connaître une juridiction d'equity mais aussi celles qui concernent des affaires d'une importance plus grande, comme la relation qu'il peut y avoir entre la Couronne et certains officiers publics exerçant, sous l'égide de la Couronne, des fonctions relevant de la prérogative et de l'autorité de la Couronne. Au sens strict de ces termes, ces questions sont du ressort et de la compétence des juridictions d'equity de droit commun; au sens large, elles ne le sont pas. Il faut déterminer dans quel sens ils sont employés en l'espèce, en examinant l'ensemble de l'acte, sa nature et de son effet.
Lord O'Hagan dit, à la page 630:
[TRADUCTION] Il n'y a rien de magique dans le terme «trust» [«fiducie»]. Selon les circonstances, il peut avoir divers sens et le Secrétaire d'État à qui une délégation a été faite pour des fins spéciales expresses peut fort bien être désigné comme «fidu- ciaire» de la Couronne puisque, pour la Couronne, il lui est demandé de procéder lui-même au partage des biens en ques tion. Mais il n'a pas été constitué «fiduciaire» [trustee] pour quelque bénéficiaire (cestui que trust) autorisé, en vertu des règles de l'equity, à exiger la bonne administration d'un fonds.
Selon la Chambre des lords, le mandat royal comportait des caractéristiques particulières qui indiquaient l'absence d'intention de constituer une fiducie au sens du droit privé. On peut les résumer comme suit: (1) la désignation de l'officier à qui la [TRADUCTION] «concession» était faite, [TRADUC- TION] «l'actuel Secrétaire d'État en conseil pour l'Inde», laissait entendre qu'on ne désirait pas imposer une obligation de fiduciaire à tel individu en particulier; (2) la stipulation selon laquelle il appartenait au Secrétaire d'État, ou à son repré- sentant, de trancher les questions litigieuses, sa décision étant définitive et obligatoire, à moins que dans les trois mois Sa Majesté n'en décide autre- ment, indiquait l'intention d'exclure la compétence des tribunaux; (3) aucun bien n'avait été cédé au Secrétaire d'État, qui n'était que le mandataire de
la Couronne chargé du partage d'un butin qui était en la possession de la Couronne.
La Cour suprême du Canada, dans son arrêt The Hereford Railway Co. v. The Queen (1894), 24 R.C.S. 1, a appliqué l'arrêt Kinloch. La Cour, à la majorité, a jugé que ce qui avait été fait en vertu d'une législation attribuant un pouvoir discrétion- naire au lieutenant-gouverneur en conseil du Québec d'accorder une subvention pour la cons truction d'un chemin de fer, n'avait pas eu pour effet d'imposer une responsabilité sanctionnée par la pétition de droit formée contre la Couronne. Sur la question de la création d'une fiducie par la législation, le juge en chef Strong dit à la page 15:
[TRADUCTION] Reste la question de la fiducie. Peut-on dire que la loi constitue la Couronne fiduciaire ou quasi fiduciaire de cet argent dont elle a la garde jusqu'à ce que le chemin de fer soit terminé, et qu'elle devra alors remettre à la compagnie? Les tribunaux anglais ont eu à connaître de plusieurs affaires la Couronne était en possession de sommes d'argent desti nées à être partagées entre certaines catégories de personnes. Ainsi dans les arrêts Kinloch v. The Queen et Rustomjee v. The Queen, il a été jugé que les sommes détenues par la Couronne ne pouvaient faire l'objet d'une fiducie sanctionnée par pétition de droit. Je ne vois aucune raison de ne pas appliquer cette jurisprudence. S'il n'a pas été créé de fiducie qui puisse être sanctionnée lorsque des sommes d'argent destinées à une fin particulière ont été confiées à la Couronne par traité ou autre- ment que par voie législative, pourquoi le résultat serait-il différent lorsque c'est le législateur qui concède l'argent à des fins définies de telle manière qu'elles confèrent un pouvoir discrétionnaire à la Couronne? Rien n'autorise une telle dis tinction. [Notes en bas de page omises.]
Dans l'arrêt Tito v. Waddell précité, on a sou- tenu qu'une convention (appelée la [TRADUCTION] «convention de 1913») ainsi que deux ordonnances de 1928 et de 1937, relatives à l'exploitation des gisements de phosphate de l'île Océan, dans le Pacifique occidental, avaient opéré création d'une fiducie entre la Couronne et les Banabans, les anciens habitants de l'Île, relativement au paie- ment d'une indemnité et de redevances. L'action se fondait sur le manquement à une obligation de fiduciaire par suite d'un conflit d'intérêts entre deux «arrangements», celui de 1931 et celui de 1947. Le vice-chancelier Megarry, en Division de la Chancellerie, se référant tout particulièrement à la distinction consacrée dans l'arrêt Kinloch, jugea que la convention et les ordonnances ne créaient pas de fiducie au sens étroit, ni n'imposaient quel- que autre obligation de fiduciaire. Il dit, aux pages 216 et 217:
[TRADUCTION] ... je dois aussi considérer ce que l'on entend par «trust» [«fiducie»]. Le terme est d'usage courant en anglais et, quelle que puisse être la position de la cour, on doit reconnaître qu'il est souvent utilisé dans un sens différent de celui d'une obligation d'equity que sanctionnent les tribunaux. Il peut fort bien arriver souvent qu'on soit dans une position de confiance [trust] sans être fiduciaire [trustee] au sens de l'equity ... Néanmoins, on peut difficilement nier qu'une fiducie [trust] puisse être créée sans que l'on ait employé le terme lui-même. Il faut à chaque fois s'assurer que dans les faits de l'espèce, selon la bonne interprétation de ce qui a été dit et écrit, une intention suffisante de créer une véritable fiducie s'est manifestée.
Lorsqu'on prétend que la Couronne agit comme fiduciaire, les pouvoirs gouvernementaux et les obligations de la Couronne sont un élément d'importance spéciale dont il faut tenir compte; ceux-ci fournissent aussitôt une autre explication que la fiducie. Si de l'argent ou quelque autre bien est dévolu à la Couronne puis est utilisé pour le bénéfice d'un tiers, une explication plausible est que la Couronne est véritablement fiduciaire pour ce tiers. Mais il y a une autre explication; sans avoir la fiducie véritable de ces biens, la Couronne peut néanmoins administrer les biens dans l'exercice de ses fonctions gouvernementales. Cette dernière explication fort possible, qui n'existe pas dans le cas d'un individu ordinaire, rend nécessaire d'examiner avec un plus grand soin les termes et les circonstances qui auraient généré la fiducie [le trust].
Après une analyse détaillée de l'arrêt Kinloch, le vice-chancelier Megarry fait certaines observations au sujet des principes et considérations qui s'en dégagent; je reproduis ici en partie ses commentai- res, extraits des pages 220 et 221:
[TRADUCTION] D'abord, l'emploi d'un membre de phrase comme «en fiducie pour» [«in trust for»] même dans un acte officiel, tel un mandat royal, ne crée pas nécessairement une fiducie [un trust] que sanctionneront les tribunaux ... En second lieu, le terme «fiducie» [«trust»] peut servir à décrire non seulement l'institution que sanctionnera la juridiction compé- tente en equity mais aussi d'autres relations comme l'exécution, sous les directives de la Couronne, des devoirs ou fonctions attribuables à la prérogative et à l'autorité de la Couronne ... En troisième lieu, il paraît évident que la question de savoir si un acte donné a créé une vraie fiducie [true trust] ou une fiducie au sens large relève de l'appréciation, car il convient d'étudier l'ensemble de l'acte en question ainsi que sa nature et ses effets. Quatrièmement, un des facteurs pertinents pourrait être la description dans l'acte lui-même de la personne que l'on dit être le fiduciaire. Une description impersonnelle mention- nant non pas le nom d'une personne, mais désignant l'intéressé comme le titulaire actuel d'un poste donné, peut en effet indiquer que l'intention était de créer une fiducie au sens large et non pas une véritable fiducie.
Il est difficile d'exposer brièvement les motifs particuliers qui ont conduit le vice-chancelier Megarry, dans son application de la distinction admise dans l'arrêt Kinloch, à conclure que la convention de 1913 et les ordonnances de 1928 et
de 1937 n'opéraient pas constitution d'une fiducie au sens strict, ou d'une relation fiduciaire quelcon- que entre la Couronne et les Banabans. Les faits sont complexes et l'arrêt les relate en détail. De plus, comme dans l'arrêt Kinloch, ils sont fort différents de ceux de l'espèce présente. Mais j'irais jusqu'à dire que les considérations suivantes paraissent être celles qui soutiennent sa conclusion: (1) quoique la convention de 1913 entre la compa- gnie exploitant les gisements de phosphate et les Banabans ait été négociée par le Colonial Office, ait été signée en présence du commissaire résident et ait prévu que les paiements au profit des Bana- bans seraient faits au gouvernement, la Couronne n'était pas partie à la convention; (2) vu l'absence de lien manifeste entre certaines sommes payables et les terres en cause, il serait difficile, dans le cas d'une fiducie au sens strict, de déterminer avec précision les bénéficiaires et le montant de leur participation dans le «Fonds Banaban»; (3) la sti pulation portant que les sommes versées le seraient pour le bénéfice des Banabans en général décrivait mieux une obligation gouvernementale qu'une fiducie au sens strict; (4) l'ordonnance de 1928, qui portait que la redevance et l'indemnisation seraient payées au commissaire résident, «en fidu- cie», au bénéfice de ceux qui y avaient droit, comportait la disposition suivante la page 176]: [TRADUCTION] «sous réserve des directives que le Secrétaire d'État aux Colonies pourra donner»— termes qui semblaient [TRADUCTION] «ne pas avoir leur place dans une fiducie au sens strict»; (5) on ne s'attend pas à trouver dans une ordon- nance coloniale l'imposition d'une fiducie à la Couronne du Royaume-Uni; (6) l'ordonnance de 1937, qui ne comportait pas la mention «en fidu- cie», autorisait encore moins que la convention de 1913 et l'ordonnance de 1928 la conclusion qu'elle opérait création d'une fiducie au sens strict.
Lors de son examen de la convention de 1913, le vice-chancelier Megarry dit à la page 226: [TRA- DUCTION] «Je dois aussi me souvenir de ce que disait lord Atkin dans l'affaire Civilian War Clai mants et me demander si quelque chose indique qu'en l'espèce, la Couronne a délibérément choisi d'agir comme fiduciaire. [Note en bas de page omise.]» En même temps, il mentionne le manque de preuve de l' [TRADUCTION] «intention non équi- voque» de conserver la redevance [TRADUCTION] «en fiducie au sens strict, sanctionnée par les tribu-
vaux, et non, tout simplement en vertu d'une obligation gouvernementale ou fiducie au sens large». Je déduis de toutes ces raisons qu'il doit y avoir preuve manifeste de l'intention de constituer la Couronne fiduciaire.
Cette exigence, la Chambre des lords s'y réfère dans l'affaire Town Investments Ltd. and Others v. Department of the Environment, [1978] A.C. 359 [H.L.], il fallait déterminer si les lieux occupés en vertu de baux contractés par un ministre de la Couronne, l'étaient par la Couronne ou par le ministre, constitué fiduciaire de la Couronne. On soutenait que l'ancien usage des termes «en fidu- cie» dans les cessions d'immeubles à l'usage d'un ministère, indiquait que [TRADUCTION] «toute ces sion de droit réel à des fins gouvernementales par un agent de l'État, à titre officiel, était assujettie aux restrictions d'une fiducie de droit privé. Le bien, en common law, est dévolu à l'agent de l'État qui a conclu la cession; la Couronne n'est proprié- taire qu'en equity et le lien qui existe entre l'agent et la Couronne relève de la compétence d'equity des tribunaux» [sommaire par lord Diplock à la page 382]. Parlant de l'emploi des termes «en fiducie» dans un contexte de droit public et de la distinction consacrée par l'arrêt Kinloch, lord Diplock dit à la page 382:
[TRADUCTION] Milords, je n'exclus pas qu'un agent de l'État, agissant à titre officiel, puisse, dans certaines circons- tances, devenir propriétaire de biens grevés d'une fiducie au sens du droit privé pour le profit d'un sujet; mais il faut que cela soit exprimé en termes clairs et même lorsque le bénéfi- ciaire est un sujet, l'emploi de l'expression «en fiducie», pour décrire la qualité en laquelle le bien est donné à l'agent de l'État, n'implique pas nécessairement l'intention de créer une fiducie de droit privé. En effet, le terme «fiducie» [«trust»] n'a pas de sens technique en droit public et son emploi dans un contexte de droit public peut signifier simplement l'obligation de l'agent de l'État envers la Couronne, en tant que préposé de la Couronne, d'administrer pour le profit du sujet le bien que l'on dit confié en fiducie, cette obligation étant sanctionnée par des peines administratives et disciplinaires: Kinloch v. Secre tary of State for India (1882), 7 App.Cas. 619, lord Selborne, lord Chancelier, aux pp. 625 et 626. Même si la relation juridique fiduciaire-bénéficiaire [trustee -cestui que trust] de la fiducie [trust] du droit privé peut exister entre un agent de l'État, agissant à titre officiel et le sujet, il est impossible, à mon avis, qu'une telle relation existe entre lui, considéré fidu- ciaire [trustee], et la Couronne, considérée bénéficiaire [cestui que trust] parce que cette situation serait totalement inconcilia- ble avec la nature juridique du rapport de droit public existant entre la Couronne et ses préposés ou, en termes plus modernes, entre le gouvernement et les ministres qui le composent.
Lord Simon of Glaisdale dit à la page 397:
[TRADUCTION] En droit public, même une expression comme «en fiducie pour« [«in trust foret] peut ne pas créer la relation fiduciaire-bénéficiaire [trustee -cestui que trust] mais imposer plutôt une obligation constitutionnelle dont la sanction est politique ou administrative, mais non juridique (cf. lord Sel- borne, lord Chancelier, dans l'arrêt Kinloch v. Secretary of State for India, 7 App.Cas. 619, 625, 626).
Avant d'en venir à l'application à l'article 18 de la Loi sur les Indiens, et à la cession, de la distinction entre une fiducie au sens strict, ou obligation d'equity sanctionnée par les tribunaux, et une fiducie «au sens large», ou obligation gou- vernementale, je traiterai de deux arguments pré- cités concernant la fiducie prétendument créée par la cession qui ont fait l'objet de longs débats devant la Cour: on a prétendu tout d'abord, que les conditions de la fiducie portant sur le louage n'étaient pas les conditions verbales retenues par le juge de première instance, mais les conditions écrites de l'acte de cession, et ensuite, que le titre ou droit indien sur le terrain cédé n'était pas un droit de propriété et ne pouvait donc pas être confié en fiducie.
Comme je l'ai déjà dit, le juge du fond a cons- taté que, comme l'alléguaient les intimés dans les détails demandés et fournis, la cession du 6 octobre 1957 avait opéré constitution d'une fiducie dont les conditions étaient verbales. Il dit la page 415]: «Je juge qu'en l'espèce a existé une fiducie légale ou une "fiducie au sens étroit" ("true trust") entre la défenderesse et la bande. La Couronne, à mon avis, est devenue fiduciaire le 6 octobre 1957 des 162 acres. La bande indienne était bénéficiaire.» Je cite de nouveau, pour plus de commodité, les con ditions verbales de la fiducie relatives à la location du terrain, et qui ont été retenues par le juge de première instance [aux pages 417 et 418], comme étant les conditions que les membres de la bande indienne avaient comprises ou cru comprendre au moment de la cession:
A mon avis, la cession du 6 octobre 1957 a imposé à la défenderesse, en tant que fiduciaire, l'obligation, à compter de cette date, de louer au club de golf Shaughnessy aux conditions suivantes:
a) Une durée globale de 75 ans.
b) Un loyer pour les premiers 15 ans de $29,000.
c) La division des 60 années restantes du bail en six périodes de 10 ans.
d) La renégociation des hausses futures de loyer à chaque reconduction sans clause d'arbitrage ni mode d'évaluation du bien-fonds.
e) Aucun plafond de 15% sur les hausses de loyer.
f) Le retour à la Couronne de toutes les améliorations apportées au bien-fonds à l'arrivée du terme.
Voici les termes employés par l'acte de cession au sujet de la location du bien-fonds:
... pour location à celui ou à ceux, et aux conditions, que le gouvernement du Canada jugera les plus favorables à notre bien-être et à celui de notre peuple.
ET NOUS, lesdits chefs et conseillers de ladite bande indienne Musqueam, au nom de notre peuple et en notre nom propre, par la présente, avalisons et donnons notre agrément, et pro- mettons d'avaliser et de consentir, à tout ce que ledit gouverne- ment pourra faire, ou verra à faire, licitement, au sujet de ladite location.
Les raisons qui amenèrent le premier juge à conclure que les conditions de la fiducie relatives à la location du terrain n'étaient pas celles que con- tenait l'acte de cession se reflètent dans les passa ges suivants des motifs de son jugement [aux pages 416 et 417] qui précèdent immédiatement la con clusion précitée concernant les conditions verbales de la fiducie:
Le deuxième point en litige concerne les conditions de la fiducie.
La défense soutient, s'il y a fiducie légale exécutoire, que ses conditions sont celles que stipule l'acte de cession (pièce 53); la fiducie autoriserait la défenderesse à louer les 162 acres à n'importe qui, pour quelque fin que ce soit et aux conditions que le gouvernement juge les plus favorables au bien-être de la bande indienne. Il n'y aurait aucune obligation de louer au club de golf aux conditions discutées lors de l'assemblée de la cession; la défenderesse n'aurait non plus aucune obligation d'obtenir l'approbation de la bande au sujet des conditions du bail finalement conclu.
Je ne reconnais pas fondé cet argument.
La défenderesse, par le biais de ceux qui se sont occupés de cette affaire à la Direction des affaires indiennes, savait dès le début qu'elle pourrait se trouver dans une position de fiduciaire pour tout terrain éventuellement loué au club de golf. A son assemblée du 7 avril 1957, le conseil de bande adopta la résolution (rédigée présumément par M. Anfield) que voici:
[TRADUCTION] Que nous approuvons la location des terrains non requis de notre réserve indienne 2 Musqueam et, au sujet de la demande du club de golf Shaughnessy, que nous approuvons la soumission à notre bande indienne Musqueam d'actes de cession pour la location de 160 acres environ telles que délimitées, grosso modo, par l'arpentage McGuigan au crayon rouge et que, en outre, nous autorisons la présence de ladite requérante, pour fins d'arpentages uniquement, en vue de ladite cession, lesdits arpentages devant être aux frais et risques de la requérante entièrement.
Comme je l'ai dit, la Couronne savait, à ce stade, qu'elle pouvait devenir fiduciaire. Elle savait que la bande avait l'in- tention de céder les terrains. La résolution précitée ne parle pas d'une cession sans condition pour location à qui l'on voudra.
L'ensemble de la résolution sous-entend que la cession est faite pour location, à certaines conditions, au club de golf.
La Direction des affaires indiennes, à compter de ce moment, n'a pas, d'après la preuve administrée devant moi, examiné réellement la possibilité de louer les 162 acres à quelque autre partie intéressée. A compter du 7 avril 1957, toutes les discus sions avec le conseil de bande se rapportent à la location envisagée de ces terrains au club de golf.
J'en conclus que le premier juge a considéré qu'une fiducie expresse avait été créée par la ces sion et que, en fait, les conditions de la cession relatives au louage de l'immeuble étaient les condi tions verbales qu'il avait retenues et non les condi tions inscrites dans l'acte de cession. Je ne pense pas que, comme l'a suggéré l'appelante dans sa plaidoirie, le juge du fond, par cette conclusion, impose à l'appelante une fiducie par interprétation. De toute façon, vu le principe selon lequel la Couronne doit expressément choisir d'agir comme fiduciaire, je doute fortement qu'elle puisse être l'objet d'une fiducie par interprétation, même si l'on présume que la situation en l'espèce permet- trait l'application de la notion de fiducie par interprétation.
L'appelante fait valoir plusieurs moyens pour affirmer que les conditions de la prétendue fiducie constituée par la cession du terrain à louer n'étaient pas les conditions verbales retenues par le juge du fond, mais celles qui apparaissaient dans l'acte de cession. Elle prétend d'abord que les conditions constatées par le juge du fond n'ont été ni approuvées par la bande ni acceptées par le gouvernement en la manière et en la forme prévues par la Loi sur les Indiens. L'appelante fonde cet argument sur les dispositions de la Loi régissant les cessions. Ce sont les articles 37, 38, 39, 40 et 41 de la Loi (S.R.C. 1952, chap. 149) en sa version de l'époque en cause [article 39, mod. par S.C. 1956, chap. 40, art. 11]. Ces articles sont virtuellement identiques aux articles portant les mêmes numéros de la version actuelle de la Loi (S.R.C. 1970, chap. I-6); les voici:
37. Sauf dispositions contraires de la présente loi, les terres dans une réserve ne doivent être vendues, aliénées ni louées, ou il ne doit en être autrement disposé, que si elles ont été cédées à Sa Majesté par la bande à l'usage et au profit communs de laquelle la réserve a été mise de côté.
38. (1) Une bande peut abandonner à Sa Majesté tout droit ou intérêt de la bande et de ses membres dans une réserve.
(2) Une cession peut être absolue ou restreinte, condition- nelle ou sans condition.
39. (1) Une cession est nulle à moins
a) qu'elle ne soit faite à Sa Majesté,
b) qu'elle ne soit sanctionnée par une majorité des électeurs de la bande
(i) à une assemblée générale de la bande convoquée par son conseil,
(ii) à une assemblée spéciale de la bande convoquée par le Ministre en vue d'examiner une proposition de ces sion, ou
(iii) au moyen d'un référendum comme le prévoient les règlements, et
c) qu'elle ne soit acceptée par le gouverneur en conseil.
(2) Lorsqu'une majorité des électeurs d'une bande n'ont pas voté à une assemblée convoquée, ou à un référendum tenu, selon le paragraphe (1) du présent article ou selon l'article 51 de la Loi des Indiens, chapitre 98 des Statuts revisés du Canada, 1927, le Ministre peut, si la cession projetée a reçu l'assentiment de la majorité des électeurs qui ont voté, convo- quer une autre assemblée en en donnant un avis de trente jours, ou tenir un autre référendum comme le prévoient les règlements.
(3) Lorsqu'une assemblée est convoquée selon le paragraphe (2) et que la proposition de cession est sanctionnée à l'assem- blée ou lors du référendum par la majorité des électeurs votants, la cession est réputée aux fins du présent article, avoir été sanctionnée par une majorité des électeurs de la bande.
(4) Le Ministre, à la demande du conseil de la bande ou chaque fois qu'il le juge opportun, peut ordonner qu'un vote, à toute assemblée prévue par le présent article, ait lieu au scrutin secret.
(5) Chaque assemblée aux termes du présent article doit être tenue en présence du surintendant ou de quelque autre fonc- tionnaire du ministère, que désigne le Ministre.
40. Lorsqu'un projet de cession a été sanctionné par la bande conformément à l'article 39, il doit être attesté sous serment par le surintendant ou autre fonctionnaire qui a assisté à l'assemblée et par le chef ou un membre du conseil de la bande et alors être soumis au gouverneur en conseil pour acceptation ou rejet.
41. Une cession est censée conférer tous les droits nécessaires pour permettre à Sa Majesté de remplir les conditions de la cession.
On prétend qu'aux termes de ces dispositions les conditions d'une cession, pour être valides, doivent être votées et approuvées par la majorité des élec- teurs d'une bande indienne, attestées par le surin- tendant ou autre fonctionnaire assistant à l'assem- blée, et par le chef ou un membre du conseil de bande, puis être soumises et acceptées par le gou- verneur en conseil; ces formalités supposent que les conditions ont été mises par écrit. Je souscris à ces arguments. Ces formalités solennelles, d'intérêt public, ont été prévues pour la protection de la bande indienne et pour assurer que le gouverne- ment s'acquitte de ses responsabilités envers les
Indiens selon la procédure régulière. Elles permet- tent aussi de connaître avec certitude l'effet de la cession et assurent la validité de l'aliénation subsé- quente du bien-fonds cédé. On remarquera que ce sont les seules dispositions de la Loi à être exclues du pouvoir du gouverneur en conseil, prévu au paragraphe 4(2), de déclarer, par proclamation, que certaines dispositions de la Loi ne s'applique- ront pas dans certains cas. Les conditions verbales retenues par le juge de première instance n'ont été ni votées ni approuvées par une majorité de la bande indienne. Elles ont été déduites par le pre mier juge du témoignage de trois membres de la bande et d'un ancien fonctionnaire de la Direction des affaires indiennes sur ce qui avait été dit aux assemblées et, en certains cas, sur ce qui n'avait pas été dit. Les conditions verbales de la cession constatées par le juge de première instance n'ont pas été acceptées non plus par le gouverneur en conseil comme l'exige la Loi. Ce qui a été accepté par le décret C.P. 1957-1606, du 6 décembre 1957, c'est «l'acte de cession en date du 6 octobre 1957, ci-annexé». Il s'agit donc d'une acceptation incon- ditionnelle de l'acte de cession écrit, sans réfé- rence, expresse ou tacite, à d'autres conditions.
La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Limited v. The King, [1950] R.C.S. 211 [confirmant la décision de la Cour de l'Échiquier], a statué que l'absence de directives du gouverneur en conseil, qu'exige la Loi sur les Indiens, était une cause d'invalidité d'un bail, le juge Rand étant d'avis que, compte tenu de l'importance de la responsabi- lité imposée au gouvernement par la législation, il ne pouvait y avoir délégation à un fonctionnaire du Ministère. La Cour de l'Échiquier, [1950] R.C.É. 185 la page 195], rejetant une exception fondée sur l'estoppel, a cité l'arrêt Ontario Mining Com pany, Limited v. Seybold and Others, [1903] A.C. 73 [P.C.], à la page 84, dans lequel lord Davey disait [TRADUCTION] «la province ne saurait être liée par de prétendus actes d'acquiescement de la part de divers fonctionnaires des ministères quand les organes administratifs ou exécutifs compétents du gouvernement provincial n'en ont pas été infor més, quand ils ne les ont pas autorisés et quand ils ne sont pas attestés par un décret ni aucun autre acte authentique». Toutefois, même si les condi tions de la cession pouvaient être rendues valides par l'aval d'un fonctionnaire du Ministère, le pre-
mier juge n'a pas conclu que les conditions verba- les qu'il avait retenues avaient effectivement été acceptées par Anfield ou par un autre fonction- naire du Ministère et, à mon avis, les preuves administrées ne l'auraient pas autorisé à le faire. Il était entendu que le bail serait conclu avec le club de golf, pour un terme maximum de 75 ans et un loyer initial de 29 000 $ l'an. Sur la question des reconductions de 15 ou 10 ans, nous pouvons dire seulement que la bande indienne a demandé ins- tamment des reconductions de dix ans, que le Ministère y était également favorable et que ce dernier s'était engagé à s'employer de son mieux à l'obtenir. De même, au sujet de la limitation des hausses de loyer à 15 %, il nous est permis de conclure seulement que la bande indienne y était opposée, de même que le Ministère, et que celui-ci a promis de faire de son mieux pour que la clause soit supprimée. Le premier juge a estimé que le mode d'établissement du loyer pour les reconduc- tions (la clause compromissoire et les modalités d'évaluation de l'immeuble) n'a fait l'objet d'au- cun débat. Quant aux améliorations, il faut dire qu'Anfield a laissé entendre à la bande indienne, à plusieurs reprises, qu'elles lui reviendraient bien que l'offre du club de golf du 4 avril 1957 ait stipulé le contraire. En outre, il a laissé Howell procéder à la révision de son évaluation d'un ren- dement équitable pour la durée initiale du bail sur cette base et a eu recours à son avis pour convain- cre la bande indienne d'accepter un montant de 29 000 $ l'an pour le premier loyer. Peut-être espé- rait-il sincèrement parvenir à faire modifier cette clause. Comme il n'est plus pour témoigner, nous ne le savons pas. Si troublant que me paraisse cet aspect de l'affaire, on ne peut en déduire qu'Anfield s'est engagé à conclure un bail aux conditions verbales constatées par le premier juge. Si la constatation par le juge d'un manquement à une fiducie suppose l'existence d'une clause sup- plémentaire à la cession qui aurait obligé les repré- sentants du Ministère à se présenter de nouveau devant la bande pour obtenir une autorisation ou des directives, au cas il ne pourrait conclure un bail conforme aux conditions verbales retenues par le premier juge, ce dernier a également constaté, dans cette mesure, que les représentants du Minis- tère ne s'estimaient probablement pas liés par cette obligation.
En disposant qu'une cession peut être condition- nelle, la Loi prévoit clairement que l'acte de ces sion peut inclure ou mentionner des conditions votées et approuvées par la bande indienne. L'ap- pelante a fait remarquer au cours du débat qu'une cession par la bande indienne Squamish, en date du 15 avril 1956, portant sur la réserve indienne Capilano 5, comportait la stipulation suivante: [TRADUCTION] «Sous réserve toutefois des condi tions suivantes: "que tous les baux conclus en vertu de la présente cession seront conformes aux condi tions pécuniaires ou autres que le conseil de bande approuvera par résolution".» On trouve un autre exemple de cession conditionnelle dans l'affaire Reference re Stony Plain Indian Reserve No. 135 (1981), 130 D.L.R. (3d) 636 [C.A.] Alb.), à la page 640]: [TRADUCTION] «Aucun bail relatif à un terrain cédé ne sera conclu par le Ministre sans l'aval du conseil de bande.» L'avocat de l'appelante a prétendu que la présente action visait simple- ment à persuader la Cour d'incorporer une condi tion de ce genre dans la cession Musqueam.
Les intimés se fondent notamment sur l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario Regina v. Taylor et al. (1981), 62 C.C.C. (2d) 227, pour affirmer qu'il peut y avoir des conditions ou modalités verbales à une cession. Cette espèce portait sur l'effet d'un traité indien sur leurs droits de pêche et de chasse. La lettre du traité ne comportait aucune clause à leur sujet, mais la Cour a eu recours à des condi tions orales attestées par les procès-verbaux d'une assemblée du conseil que les parties reconnais- saient comme incorporées au traité. Le juge en chef adjoint MacKinnon de la Cour d'appel de l'Ontario, prononçant l'arrêt, dit aux pages 230 et 231: [TRADUCTION] «Les avocats des deux parties à l'appel sont convenus que les procès-verbaux de cette assemblée du conseil ont constaté l'élément oral du traité de 1818 et qu'ils font partie de ce traité au même titre que les clauses écrites de l'accord provisoire.» Ainsi l'admission des condi tions verbales n'était pas contestée comme en l'es- pèce. Les dispositions de la Loi sur les Indiens régissant les cessions n'étaient pas en cause. Le litige portait sur l'interprétation des conditions verbales reconnues par les parties comme formant partie intégrante du traité. A cet égard, le juge en chef adjoint MacKinnon dit aux pages 232 et 233:
[TRADUCTION] Les affaires concernant les droits indiens ou aborigènes ne peuvent jamais être décidées dans l'abstrait. Il importe de tenir compte de l'histoire et des traditions orales des tribus concernées et des circonstances prévalant à l'époque du traité, sur lesquelles les parties se sont appuyées pour détermi- ner les incidences du traité. S'il n'est pas possible de remédier à ce que nous percevons maintenant comme des erreurs du passé, puisque trop de temps s'est écoulé, il est néanmoins essentiel et conforme aux principes établis et acceptés que les tribunaux s'abstiennent de créer de nouveaux griefs par une vision dis- tante et abstraite des événements de l'époque.
En l'espèce, les avocats de toutes les parties s'accordaient pour dire que nous pouvions, et même que nous devions, tenir compte de l'histoire de la période et du lieu ainsi que des documents et archives de l'Ontario Historical Society relatifs à ce traité et à ceux qui l'ont négocié. La Couronne estimait que l'analyse historique des circonstances favorisait sa thèse, selon laquelle les Indiens entendaient céder leurs droits de chasse et de pêche. L'avocat des intimés pensait le contraire.
Cette déclaration concernait l'interprétation de conditions verbales reconnues par les parties comme faisant partie intégrante du traité, à la lumière de documents historiques dont les parties jugeaient également utile de tenir compte. Cela ne nous aide pas, à mon avis, lorsqu'il s'agit d'appli- quer les exigences formelles de la Loi sur les Indiens régissant la validité d'une cession.
Vu ma conclusion sur cet aspect des débats, il est inutile d'étudier les autres arguments de l'appe- lante relatifs aux conditions verbales constatées par le premier juge, bien qu'à mon avis, ils aient une force considérable: je pense notamment à l'ar- gument selon lequel la preuve testimoniale des conditions ne devrait pas être admise pour modi fier, voire contredire, les conditions d'un écrit valide, et à l'argument selon lequel la conclusion du premier juge sur l'existence de conditions ver- bales est fondée sur des constatations qui ne satis- font pas aux exigences de certitude, en matière de fiducie, quant à son objet et quant à la manière dont le bien doit être administré. En conséquence, je suis d'avis que les conditions verbales de la cession retenues par le premier juge ne permet- taient pas, en droit, de conclure à la responsabilité ni d'accorder des dommages-intérêts.
Subsidiairement, les intimés soutiennent qu'il y a eu constitution d'une fiducie par l'acte de cession et que la Couronne a manqué à cette fiducie parce qu'elle n'a pas apporté la diligence et le soin requis à la location du terrain. Je vais maintenant traiter du moyen de l'appelante selon lequel le titre ou
droit indien grevant le terrain réservé n'était pas un droit de propriété et ne pouvait donc faire l'objet d'une fiducie constituée par la cession. Le premier juge ne s'est pas prononcé sur ce point.
Il est clair, d'après les définitions du mot «fidu- cie» (voir Underhill's Law of Trusts and Trustees, 13° éd., 1979, aux pages 1, 17, et Waters, Law of Trusts in Canada, 1974, page 5) que l'objet d'une fiducie doit être un bien et que sans bien il ne peut y avoir fiducie. La certitude quant au bien, objet de la fiducie, est un des éléments nécessaires de la validité d'une fiducie.
Il ne fait aucun doute que la propriété, en common law, du terrain réservé est dévolue à la Couronne. Cela ressort manifestement de la juris prudence ainsi que de la définition à l'article 2 [alinéa o] de la Loi sur les Indiens du terme «réserve»: «une parcelle de terrain dont le titre juridique est attribué à Sa Majesté et qu'Elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une bande». La nature précise et le contenu du titre ou droit indien ont fait l'objet d'une abondante jurisprudence, mais demeurent des notions difficiles à saisir. On a parlé à ce sujet de «charge grevant le titre de la Couronne», d'«usufruit» par nature, de «droit per sonnel» en ce qu'il ne peut être aliéné que par cession à la Couronne, de droit d'occupation, et de droit de possession. Cette énumération n'est sans doute pas exhaustive. On a dit aussi qu'à l'extinc- tion du titre indien par cession ou autrement, tous les principaux attributs de la propriété du terrain cédé passaient à la province il était situé, à moins que les droits de la province n'aient eux- mêmes été cédés au Canada. La définition du titre indien qui a eu la plus grande incidence au Canada a été formulée dans plusieurs décisions du Conseil privé, dont notamment les arrêts St. Catherine's Milling and Lumber Company v. The Queen (1888), 14 App. Cas. 46; Attorney -General for the Dominion of Canada v. Attorney -General for Ontario (la première affaire des rentes indiennes), [1897] A.C. 199; Ontario Mining Company, Limited v. Seybold and Others, [1903] A.C. 73; et Attorney -General for the Province of Quebec and Others v. Attorney- General for the Dominion of Canada and Another (l'affaire Star Chrome), [1921] 1 A.C. 401. Dans l'affaire St. Catherine's Milling, le titre indien en cause était celui que reconnaissait la Proclamation royale du 7 octobre
1763 [S.R.C. 1970, Appendice II, 1], et il fallait déterminer si, après extinction de ce titre par cession, le droit de propriété du terrain passait à la province ou au Dominion. Lord Watson dit à la page 54: [TRADUCTION] «les Indiens avaient un droit personnel, de la nature d'un usufruit, dépen- dant du bon plaisir du souverain». A la page 55, il dit que le Comité judiciaire n'entendait pas se prononcer sur [TRADUCTION] «la nature exacte du droit indien» mais qu'il suffisait de dire que [TRA- DUCTION] «la Couronne a toujours eu un droit fondamental et suprême sous-jacent au titre indien, et qui est devenu un plenum dominium dès que le titre indien a été cédé ou autrement éteint». Plus loin, il ajoutait [TRADUCTION] «La Couronne a toujours eu un droit de propriété sur le terrain que le titre indien grevait simplement d'une charge» (page 58) et parlait du [TRADUCTION] «droit des provinces à tous les attributs principaux du droit de propriété sur ces terrains, dont elles peuvent percevoir les revenus dès que le droit de la Couronne est purgé du titre indien» (page 59). Dans l'arrêt Star Chrome, la définition du titre indien donnée dans l'arrêt St. Catherine's Milling a été appliquée par le Conseil privé au droit indien grevant un terrain constitué en réserve dans le Bas-Canada par décret pris selon une loi de 1851 (14 & 15 Vict., chap. 106) de l'assemblée législa- tive de la Province du Canada. On a soutenu que le Dominion avait eu raison, aux fins de la cession du terrain en 1882, de la traiter comme une «réserve» aux termes de la Loi fédérale sur les Indiens. Une loi de 1850 (13 & 14 Vict., chap. 42) de la Province du Canada portait que les terres conser vées pour les Indiens étaient dévolues au commis- saire des terres indiennes du Bas-Canada, en fidu- cie pour les Indiens. Il fallait décider si le titre de propriété du terrain revenait, après cession, à la Couronne du chef de la province ou à la Couronne du chef du Dominion. Le Dominion soutenait que la Loi de 1850 conférait le titre de propriété, tant en common law qu'en equity, au commissaire, en fiducie pour les Indiens, et que par la cession le titre avait été transporté à la Couronne du chef du Dominion. Le juge Duff, auteur de l'arrêt du Conseil privé, dit, à la page 408, que le droit indien reconnu par la Loi de 1850 était [TRADUCTION] «un droit de la nature d'un usufruit seulement et un droit personnel en ce sens que, par sa nature, il est inaliénable, sauf par cession à la Couronne». Il dit, à la page 411: [TRADUCTION] «la Loi de 1850
ne crée pas un droit réel en equity grevant les terres qui sont conservées pour une tribu indienne et dont le commissaire a la garde au profit des Indiens; le titre de propriété demeure dévolu à la Couronne, le commissaire n'en a la garde qu'afin d'exercer les pouvoirs de gestion et d'administra- tion que lui confère la Loi». Finalement, la Loi de 1850 n'a pas altéré le principe consacré dans l'ar- rêt St. Catherine's Milling, selon lequel, à la ces sion du titre indien, tous les principaux attributs du droit de propriété du terrain vont à la province.
L'arrêt Calder, et autres c. Le Procureur Géné- ral de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313, traite de la question de l'extinction du titre aborigène indien mais l'analyse porte également sur la nature du titre aborigène. Les avis étaient partagés sur la question de savoir si le titre indien en cause était fondé sur la Proclamation royale du 7 octobre 1763, mais cela ne paraît pas avoir eu d'incidence sur les vues exprimées quant à la nature du titre indien. Le juge Judson, dont les juges Martland et Ritchie partagent l'opinion dans cette décision, dit que tout examen de la nature du titre indien doit commencer avec l'arrêt St. Cathe- rine's Milling; mais il ajoute, à la page 328, que les termes «personnel» et «usufruit» (employés par lord Watson dans cette affaire pour qualifier le titre indien) ne facilitent pas la solution du problè- me dont la Cour est saisie. Il examine la jurispru dence de la Cour suprême des États-Unis relative à la nature du titre aborigène et fait remarquer la page 320] que les juridictions inférieures dans l'affaire St. Catherine's Milling ont été fortement influencées par les arrêts du juge en chef Marshall dans Johnson et al. v. M'Intosh 21 U.S. 240 (1823), et Worcester v. State of Georgia, 31 U.S. 530 (1832). Ces affaires décrivaient le titre abori- gène comme un [TRADUCTION] «droit d'occupa- tion» fondé sur la possession de la terre depuis les origines. Le juge Judson tient également compte de la jurisprudence s'était posé la question de savoir si le titre aborigène était un titre de pro- priété aux termes du Cinquième Amendement de la Constitution des États-Unis, qui dispose que la propriété privée ne saurait être prise à des fins publiques sans une juste indemnisation. Se réfé- rant à l'arrêt de la Cour suprême des États-Unis United States v. Alcea Band of Tillamooks et al. (la deuxième affaire Tillamooks), 341 U.S. 48
(1951), qu'avait commentée la Cour dans l'arrêt Tee -Hit -Ton Indians v. United States, 348 U.S. 272 (1955), le juge Judson dit à la page 343: «Dans le second arrêt Tillamooks, la cour a donc conclu que le titre aborigène ne constituait pas une propriété privée pouvant faire l'objet d'une indem- nisation en vertu de l'Amendement.» Il cite ensuite la page 344] le passage suivant de [la page 279 de] l'arrêt Tee- Hit -Ton relativement à la nature du titre aborigène, qui est aussi invoqué par l'appe- lante: [TRADUCTION] «Il ne s'agit pas d'un droit de propriété, mais en quelque sorte, d'un droit d'occupation que le Souverain accorde et qu'il protège contre l'empiétement par des tiers; mais le souverain peut éteindre ce droit d'occupation et peut vendre les terres sans encourir d'obligation juridiquement exécutoire d'indemniser les Indiens.» D'autre part, comme les intimés le souli- gnent, le titre indien reconnu dans les traités qui ont constitué des réserves [TRADUCTION] «pour l'usage et l'occupation paisible et absolue» des Indiens, a déjà été considéré par la Cour suprême des États-Unis comme un droit de «propriété» aux termes du Cinquième Amendement: Shoshone Tribe of Indians v. United States, 299 U.S. 476 (1937) et United States v. Sioux Nation of Indians et al., [448 U.S. 371]; 65 LEd2d 844 (1980). Dans l'arrêt Sioux Nation, la Cour a jugé la page 415 U.S., note 29] que ce principe ne s'appliquait que dans [TRADUCTION] «les cas "le Congrès par traité ou autre entente a déclaré que dorénavant les terres reviendraient aux Indiens définivement"». Dans l'arrêt Calder, le juge Hall [dissident], avec l'accord des juges Spence et Laskin dit, à la page 352, qu'il n'est pas nécessaire de préciser la nature et l'étendue exacte du titre indien puisqu'il s'agit de déterminer s'il a été éteint; mais il paraît présumer qu'il y aurait indemnisation en cas d'expropriation. Il dit, tou- jours à la page 352: «La demande ne vise pas un titre de propriété en soi, mais plutôt, son objet est analogue à un titre ou droit en «equity», (voir Cherokee Nation v. State of Georgia [(1831), 5 Peters 1, 30 U.S. 1]) à un usufruit et à un droit d'occupation de biens-fonds et de jouissance de fruits de la terre, de la forêt et de rivières et cours d'eau ne niant absolument pas le titre suprême de la Couronne reconnu par le droit des gens.» Le juge Hall cite aussi, en l'approuvant, ce qu'avait dit le vicomte Haldane du titre indigène dans l'arrêt Amodu Tijani v. The Secretary, Southern
Nigeria, [1921] 2 A.C. 399 [P.C.], arrêt qu'ont invoqué tout particulièrement les intimés pour sou- tenir que le titre indien est de la nature d'un droit de propriété.
Dans l'arrêt Amodu Tijani, il s'agissait de déci- der si un chef de Lagos, propriétaire d'une terre au nom de sa communauté, avait droit à une indemni- sation pour l'expropriation de la terre à des fins publiques, parce que la terre était cédée en pleine propriété. L'ordonnance applicable prévoyait que lorsqu'un bien-fonds à des fins publiques apparte- nait à une communauté indigène, le chef de cette communauté pouvait céder le titre de propriété de la communauté. Les juridictions inférieures jugè- rent que le chef n'avait droit qu'à l'indemnisation d'un [TRADUCTION] «droit seigneurial» de contrôle et d'administration. Le Conseil privé jugea qu'il y avait lieu à une indemnisation sur la base d'un transfert du bien-fonds en pleine propriété. Selon le vicomte Haldane la page 402], le litige dépendait de [TRADUCTION] «la véritable nature du titre autochtone sur la terre» et, aux pages 402 et 403, il dit ceci au sujet de la définition du titre aborigène, en faisant allusion au titre des Indiens au Canada:
[TRADUCTION] En premier lieu, Leurs Seigneuries veulent faire remarquer qu'en déterminant la nature du titre des indigè- nes sur des biens-fonds non seulement au Nigéria du sud, mais en d'autres parties de l'Empire britannique, il est essentiel de se montrer extrêmement prudent. On a tendance, parfois incons- ciemment, à concevoir ce titre selon des termes ne s'appliquant bien qu'aux systèmes fondés sur le droit anglais. Mais il faut contrôler étroitement cette tendance. Règle générale, dans les divers systèmes de droit aborigène à travers l'Empire on ne retrouve pas la distinction complète qui existe entre la propriété et la possession et avec laquelle les avocats anglais sont fami- liers. Une forme très habituelle de titre chez les aborigènes est l'usufruit, simple restriction ou charge sur le titre radical ou final du Souverain, le cas échéant. Le titre du Souverain n'est alors qu'un pur intérêt juridique, auquel peuvent se joindre ou non des droits de propriété réels. Mais cet intérêt est restreint par le droit de l'usager bénéficiaire, lequel ne prend pas néces- sairement une forme précise analogue à un droit de propriété ou peut, lorsqu'il prend pareille forme, découler de l'introduc- tion de la jurisprudence anglaise par simple analogie. Leurs Seigneuries ont déjà énoncé ailleurs des principes de ce genre, relativement au titre que les Indiens ont sur les réserves cana- diennes. [Voir (1888), 14 App. Cas. 46 et [1920] 1 A.C. 401.] Mais le titre des Indiens du Canada ne constitue aucunement le seul exemple de la nécessité de se débarrasser de la présomption que la propriété immobilière se subdivise naturellement en droits distincts, conçus comme créés en vertu de principes juridiques inhérents. Même lorsque le droit de propriété abso- lue est clairement reconnu comme étant le droit immobilier le plus complet en droit, il ne s'ensuit pas qu'en dehors de
l'Angleterre, il puisse se fractionner. En Écosse, le fait de détenir un bien en viager ne comporte aucun titre de franche propriété; selon le droit écossais, il s'agit simplement d'une charge sur un droit de pleine propriété ne pouvant pas se diviser. En Inde, un principe à peu près identique s'applique. Il n'existe aucune division du droit de propriété en droits incorpo- rels de propriété successifs et distincts, conçus comme existant indépendamment de la possession.
Le vicomte Haldane rappelle alors que le titre aborigène était celui de la collectivité, non celui d'un individu. Il dit, aux pages 403 et 404: [TRA- DUCTION] «Une telle communauté peut avoir la possession, la jouissance collective d'un usufruit, avec des règles coutumières en vertu desquelles les membres individuels ont un droit de jouissance et même un droit d'aliénation de ce droit de jouis- sance en tant que membre de la collectivité, entre vifs ou par succession.» Et, aux pages 409 et 410, il ajoute: [TRADUCTION] «Leurs Seigneuries, croient que le savant juge en chef, dans le jugement ainsi résumé, qui nie de fait l'existence juridique de l'usufruit de la collectivité, a omis de reconnaître le véritable caractère du titre d'une collectivité aborigène sur les biens-fonds qu'elle occupe. Ce titre, comme elles l'ont signalé, est prima facie fondé non pas sur quelque propriété particulière au sens du droit anglais, mais sur un droit commun d'occupation communautaire de la nature d'un usufruit, qui peut être si absolu qu'il réduit tout droit radical du Souverain en un droit comparati- vement restreint d'intervention à des fins adminis- tratives.»
Comme nous venons de le voir dans l'arrêt St. Catherine's Milling, la définition du titre indien reconnu par la Proclamation royale de 1763 a été appliquée par le Conseil privé dans l'affaire Star Chrome au droit réel grevant une réserve, qui avait été constituée pour les Indiens par décret pris en application de la législation de la Province du Canada prévoyant la création de réserves, puis avait été cédée conformément à la Loi fédérale sur les Indiens en 1882. Il existe néanmoins une juris prudence abondante affirmant que, quoi que l'on puisse dire du titre aborigène, reconnu ou non par la Proclamation royale de 1763, le titre ou droit indien grevant la réserve en vertu de la Loi sur les Indiens n'est qu'un droit de possession. Cette con clusion est fondée sur la nature que les dispositions de la Loi sur les Indiens paraissent attribuer aux droits d'une bande indienne sur le bien-fonds réservé. Voir les espèces The Queen v. Devereux,
[1965] 1 R.C.É. 602, à la page 609; Joe et al. v. Findlay (1978), 87 D.L.R. (3d) 239 [C.S.C.-B. en cabinet], aux pages 241 et 242. Cette conclusion est fondée en partie sur les dispositions de la Loi qui reconnaissent que la concession par la bande indienne, avec l'aval du Ministre, d'un terrain de la réserve à un de ses membres confère à ce dernier un droit de possession sur ce terrain transmissible à la bande ou à l'un de ses membres. Si donc, soutient-on, la bande indienne peut concéder un droit de possession, il faut qu'elle détienne elle- même un droit de possession. L'affaire Devereux portait sur un recours, fondé sur l'article 31 de la Loi [S.R.C. 1952, chap. 149], en vue de reprendre la possession d'une partie de la réserve au nom de la bande indienne ou d'un membre de celle-ci. L'affaire Joe et al. v. Findlay concerne l'action de common law relative à l'intrusion (trespass). Dans l'affaire Devereux, en Cour suprême du Canada, [1965] R.C.S. 567, la majorité était en désaccord avec l'opinion de la Cour de l'Échiquier sur le point de savoir si le recours fondé sur l'article 31 pouvait être engagé au nom de la bande lorsque celle-ci avait concédé le terrain en question à un membre, mais sans commenter la définition du droit de la bande sur la réserve comme droit de possession. Dans sa dissidence, le juge Cartwright (tel était alors son titre) approuvait expressément cette définition. En Cour d'appel de la Colombie- Britannique, dans l'arrêt Joe et al. v. Findlay (1981), 122 D.L.R. (3d) 377, le juge Carrothers décrit le titre ou droit indien grevant une réserve aux termes de la Loi sur les Indiens de la façon suivante (page 379): [TRADUCTION] «Ce droit légal d'usage, souvent qualifié par la jurisprudence d'usufruit (mauvais équivalent emprunté au droit romain), est un droit collectif commun conféré et dévolu aux membres de la bande indienne dans leur ensemble et non individuellement. Pour une analyse de la nature de ce droit de possession voir l'arrêt St. Catherine's Milling & Lumber Co. v. The Queen (1888), 14 App. Cas. 46.» Et, à propos de ce droit de possession que la bande indienne peut concéder à l'un de ses membres, il dit (pages 379 et 380): [TRADUCTION] «Je souligne que nous nous bornons à examiner le droit de possession ou d'occupation d'une partie de la réserve, droit sur une chose commune que la loi confère à l'ensemble de la bande indienne et qui peut, avec le consente- ment de la Couronne, être concédé en partie à des membres individuels de la bande, leur attribuant
ainsi tous les principaux attributs de la propriété sur la parcelle concédée à l'exception du titre en common law sur le bien-fonds lui-même qui reste dévolu à la Couronne: Brick Cartage Ltd. v. The Queen [1965] 1 R.C.É. 102.» Dans l'arrêt Brick Cartage, le juge Cattanach parle du droit indien grevant un terrain réservé conformément à la Loi sur les Indiens comme d'un [TRADUCTION] «droit de possession» et il dit, à la page 106: [TRADUC- TION] «Cette Loi comporte des dispositions en vertu desquelles le droit de possession d'une bande indienne sur des lots particuliers de la réserve peut être dévolu à un individu et avoir ainsi, à toutes fins pratiques, tous les attributs de l'équivalent de la propriété absolue en common law.»
Le professeur K. Lysyk (maintenant le juge Lysyk) dans son article «The Indian Title Question in Canada: An Appraisal in the Light of Calder» *, (1973) 51 R. du B. Can. 450, la page 473, dit que le titre indien équivaut à un droit de propriété en equity sur le bien-fonds. Il tire cette conclusion de ce qui a été dit dans l'arrêt St. Catherine's Milling et des décisions ultérieures du Conseil privé (précitées) sur l'effet de l'extinction du titre indien: avant cette extinction, la propriété du ter rain ne revient pas à la province; elle ne lui est transférée ou remise que par cette extinction du titre indien. Il y a, à mon avis, beaucoup de vrai dans cette opinion. Pour les raisons suggérées par le vicomte Haldane dans l'arrêt Amodu Tijani, également cité par le professeur Lysyk, si le titre indien ne peut strictement être qualifié de droit de propriété sur le terrain, il équivaut à la même chose. Il enlève à la Couronne les principaux attri- buts de la propriété. Il grève le titre de la Cou- ronne à tel point qu'il est, à mon avis, très proche du droit de propriété. Je suis donc d'avis qu'il peut y avoir fiducie.
J'en viens maintenant à la question de savoir si, à la lumière de la distinction confirmée dans les arrêts Kinloch et Tito v. Waddell, l'article 18 de la Loi sur les Indiens et la cession ont créé une fiducie au sens strict, comme le soutiennent les intimés, ou au contraire s'ils n'ont établi qu'une fiducie «au sens large», c'est-à-dire une obligation
* N.D.T. [TRADUCTION] «La question du titre indien au Canada: une réévaluation à la lumière de l'arrêt Calder».
gouvernementale, comme le prétend l'appelante. Avant d'aborder cette question, il faut statuer sur l'opposition des intimés à l'emploi par l'appelante de l'expression «fiducie politique» pour définir la responsabilité de la Couronne aux termes de la Loi sur les Indiens et de la cession dans le cas de terrains réservés et cédés. Les intimés veulent empêcher l'appelante de recourir à cette notion parce qu'il s'agirait d'une défense qui, aux termes de la Règle 409 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], aurait être expressément énoncée dans les écritures. Ayant été informé, avant l'instruction, de l'intention de l'appelante d'invoquer cette «fiducie politique», l'avocat des intimés a fait savoir qu'il s'y opposerait, parce que cet argument n'avait pas été expressément édicté et parce qu'il n'avait pas pu procéder à un interro- gatoire préalable à ce sujet. Au vu de cette objec tion, le premier juge a autorisé l'appelante à révi- ser sa défense pour invoquer la «fiducie politique», les intimés ayant alors le droit de procéder à un interrogatoire préalable. Il dit: [TRADUCTION] «Mes directives sont les suivantes: si vous désirez cette modification, le ministre des Affaires indien- nes, si tel est bien son titre, ou le ministre de la Justice, devront comparaître pour être interrogés au préalable sur cette question.» L'appelante n'a pas modifié sa défense pour plaider la «fiducie politique» et le juge de première instance a fait le commentaire suivant dans ses motifs la page 416]:
En plaidoirie, l'avocat de la défenderesse a tenté de soutenir que s'il existait une fiducie, ce ne pouvait être qu'une [TRADUC- TION] «fiducie politique» (»political trust») que seul le législa- teur pourrait sanctionner. Je ne comprends pas exactement ce que l'on entend par «fiducie politique». Le juge Rand, dans l'arrêt St. Ann's Island Shooting and Fishing Club Limited c. Le Roi ([1950] R.C.S. 211), se référant à la Loi sur les Indiens, a employé l'expression [TRADUCTION] «obligation poli- tique» (»political trust»); à la page 219, il dit:
[TRADUCTION] Je conviens cependant que l'art. 51 requiert un ordre du gouverneur en conseil pour valider une concession de terre indienne. Le libellé de la loi consacre le principe acquis que les autochtones sont, en fait, des pupilles de l'État, dont la subsistance et le bien-être constituent une obligation politique du niveau le plus élevé. Pour cette raison, tout acte qui affecte leurs privilèges doit être marqué au coin de l'approbation gouvernementale, et le gouverneur en con- seil commettrait un excès de pouvoir s'il déléguait cette responsabilité au surintendant général.
L'avocat des demandeurs s'est opposé à toute argumentation à ce sujet, motif pris que rien n'avait été articulé en ce sens dans les écritures. J'ai autorisé la défenderesse, selon des termes bien précis, à modifier sa défense pour soulever cette question.
Mais s'il y avait modification, les demandeurs devenaient alors en droit d'interroger au préalable le ministre de la Couronne responsable au sujet des faits sur lesquels la défenderesse fonde son argument. La défenderesse a en conséquence choisi de ne pas se prévaloir de cette possibilité de modifier la défense.
Je ne traiterai donc pas plus avant de la défense de »fiducie politique».
À l'audition de l'appel, les intimés ont soutenu que, puisque l'appelante n'avait pas formé appel de l'ordonnance du juge de première instance autori- sant la modification afin de plaider la «fiducie politique», il lui était en fait interdit d'invoquer cette notion lorsqu'elle prétendait que ni la Loi sur les Indiens ni la cession n'avaient créé de fiducie au sens strict. A mon avis, cette exception est sans fondement. L'expression «fiducie politique» n'est qu'une autre façon de parler de la fiducie «au sens large» que mentionnent les arrêts Kinloch et Tito v. Waddell. C'est un moyen de droit ouvert à l'appelante par sa défense, puisqu'elle nie que la Couronne détenait en fiducie pour la bande indienne le bien-fonds ou un droit sur celui-ci. Cela ne soulève aucune nouvelle question de fait.
À l'appui de leur prétention que l'article 18 de la Loi sur les Indiens et la cession ont constitué une fiducie au sens strict, les intimés invoquent plus particulièrement l'arrêt de la Cour suprême du Canada Miller v. The King [1950] R.C.S. 168. La nature des demandes et le litige dont la Cour était saisie et les divergences d'opinions des juges m'obligent à faire une analyse détaillée de cette décision. L'appelant avait présenté une pétition de droit contre la Couronne pour manquement à une fiducie et inexécution d'un contrat à l'égard de terres indiennes et de la façon dont on avait dis- posé de sommes d'argent appartenant aux Indiens. La demande faisait valoir trois moyens: a) l'ab- sence d'indemnisation pour les terres cédées inon- dées; b) l'aliénation à titre gratuit des terres cédées à une compagnie de navigation sans indemnité pour les Indiens; c) l'emploi du produit de la vente du bien-fonds cédé pour l'achat d'actions de la compagnie de navigation. Les deux premiers moyens étaient fondés sur le manquement à une fiducie. Le troisième, sur l'inexécution de [TRA- DUCTION] «une entente contractuelle» entre les Indiens et le gouvernement du Haut-Canada, en vertu de laquelle le gouvernement devait vendre les terres cédées, recevoir le prix d'achat et l'employer au bien-être des Indiens. La Cour suprême du
Canada devait se prononcer sur la question préli- minaire de droit suivante: à supposer que les allé- gations de la pétition de droit soient exactes, compte tenu des détails fournis, y avait-il lieu à pétition de droit contre la Couronne pour le redres- sement demandé? La Cour jugea qu'il n'y avait pas lieu à pétition de droit dans le cas des deux premiers moyens parce que, s'il y avait eu manque- ment à une fiducie, il était antérieur à la constitu tion de la Province du Canada par l'Acte d'Union, 1840 [3 & 4 Vict., chap. 35 (R.-U.); S.R.C. 1970, Appendice II, 4], et que, s'il y avait responsabi- lité, elle ne pouvait pas être imputée au Canada en vertu de l'article 111 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.); S.R.C. 1970, Appendice II, 5]. En revanche, il y avait lieu à pétition de droit dans le cas du troisième moyen puisque les sommes d'ar- gent versées pour l'achat des actions de la compa- gnie de navigation l'avaient été par le gouverne- ment de la Province du Canada. Le juge Kerwin (tel était alors son titre), appuyé par le juge Rand, n'a pas évoqué la question de la fiducie. Le juge Kellock, appuyé par le juge Taschereau (tel était alors son titre), s'est étendu longuement sur la question de savoir si la Couronne pouvait, en théo- rie, être fiduciaire et sur celle de savoir s'il y avait lieu à pétition de droit contre la Couronne pour manquement à une fiducie. C'est sur l'opinion qu'il a exprimée que les intimés s'appuient tout particu- lièrement. L'appelant dans l'arrêt Miller v. The King soutenait non seulement que la cession avait créé une fiducie, mais que dès son origine, en 1784, le ministère des Affaires indiennes avait été expressément constitué fiduciaire des terres et des deniers des Indiens, pour leur bénéfice. Le juge Kellock a jugé pertinentes ces allégations concer- nant l'existence d'une fiducie dans le cas du troi- sième moyen, apparemment comme un fondement accessoire à l'«entente contractuelle» alléguée. Il a cité la page 175] lord Atkin dans l'arrêt Civi lian War Claimants, lord Selborne, lord Chance- lier, dans l'arrêt Kinloch, et en particulier la dis tinction faite entre une fiducie «au sens strict» et une fiducie «au sens large», et l'ouvrage de Lewin on Trusts [14° éd., page 25] pour justifier sa conclusion, si je comprends bien ses motifs, que la Couronne pouvait en principe agir comme fidu- ciaire. Il s'est alors demandé si le sujet pouvait faire sanctionner une fiducie contre la Couronne et a conclu que la Cour de l'Échiquier était compé-
tente pour connaître d'une pétition de droit contre la Couronne fondée sur le manquement à une fiducie. Avec déférence, je ne pense pas que, dans ses motifs, le juge Kellock a voulu conclure expres- sément que, selon les faits articulés, il y avait eu création d'une fiducie au sens strict, à la suite de la cession ou en vertu de la loi régissant le ministère des Affaires indiennes. La mention de l'arrêt Kin- loch appuyait apparemment la conclusion que la Couronne pouvait en principe agir comme fidu- ciaire. Dans ses motifs, il déclarait à la page 174: [TRADUCTION] «On dit que l'application à la Cou- ronne (vraisemblablement dans des documents ou des lois) de l'expression «fiduciaire des Indiens» et aux Indiens eux-mêmes de «pupilles de Sa Majesté» ne constitue pas un emploi technique de ces termes mais une simple description de la rela tion politique générale existant entre Sa Majesté et les Indiens»; cependant il n'a pas répondu à cet argument. Sans doute a-t-il présumé que les faits justifiaient de constater qu'il y avait fiducie à la seule fin de déterminer si la Cour pouvait faire droit au recours, comme le passage suivant (page 177) le laisse entendre: [TRADUCTION] «Je ne vois pas pourquoi en l'espèce, si les faits le justifient, on ne pourrait dire que l'argent aux mains de la Couronne lui est confié en fiducie et que l'appe- lant, et ceux qu'il représente, sont bénéficiaires [cestuis que trust], même si la cour ne peut enjoin- dre à la Couronne de payer.» A la page 179, il dit: [TRADUCTION] «Quoique l'affaire présente des liens de la nature d'une fiducie, elle comporte aussi les éléments ordinaires du contrat»; mais, à la page 180, il ajoute que la situation juridique précise de la Couronne doit être déterminée en fonction de ce qui est établi à l'instruction: [TRADUCTION] «Lors- que l'historique de l'usage qui a été fait, à diverses époques, de l'argent des Indiens ainsi remis, sera retracé grâce aux archives officielles, la cour sera en mesure de définir la situation et les obligations juridiques, actuelles et passées, de la Couronne vis-à-vis de ces sommes. Pour cela, l'affaire doit être instruite.» Le juge Locke, cinquième membre de la Cour, dit, à la page 182, qu'à son avis, la question de savoir s'il y avait lieu à pétition de droit contre la Couronne aux fins du redressement demandé [TRADUCTION] «a été considérée à bon droit comme soulevant aussi la question de savoir si la pétition de droit révélait une cause d'action; l'affaire a été décidée par le premier juge dans cette optique». Quant à l'existence d'une cause au
troisième volet de la demande, le juge indique clairement, à la page 186, qu'il la trouve dans l'allégation d'inexécution de l'«entente contrac- tuelle»: [TRADUCTION] «En outre, le même para- graphe allègue que le gouvernement du Haut- Canada devait conserver le produit de la vente des terrains pour constituer une rente au profit des pétitionnaires et de leur postérité, et que les sommes versées pour acheter des actions de la Grand River Navigation Company, l'ont été sans l'autorisation des Indiens, contrairement à l'en- tente conclue entre eux et la Couronne; dans la mesure sont visées les sommes déboursées par le gouvernement de la Province du Canada, je suis d'avis qu'il existe une cause d'action contre la province.» A la page 186, il s'est déclaré en accord avec ce qu'avait dit le juge Kellock sur la question de la compétence: [TRADUCTION] «Quant au second volet de la question, je suis d'avis qu'il y a lieu à pétition de droit dans le cas du moyen précité et que la Cour de l'Échiquier est compé- tente par les motifs exposés par mon collègue, le juge Kellock.»
Ainsi, dans la mesure il était nécessaire pour la Cour de conclure que la pétition de droit révélait une cause d'action dans le cas du troisième moyen, la majorité a jugé que l'allégation d'inexécution d'un contrat, par opposition au manquement à une fiducie, était une cause suffisante. On devrait aussi noter que le troisième moyen visait l'obligation relative à l'emploi des deniers indiens, de sorte que les commentaires du juge Kellock sur la question de la fiducie doivent être considérés dans ce con- texte. Il ne parlait pas de la question de savoir si l'article 18 de la Loi sur les Indiens ou une cession conditionnelle imposaient une obligation d'equity de traiter le terrain réservé ou cédé d'une certaine manière.
En la présente espèce, le premier juge cite l'arrêt Tito v. Waddell au sujet de la distinction qu'invo- que l'appelante; mais il n'explique pas comment cette distinction et le raisonnement suivi dans les arrêts Kinloch et Tito v. Waddell l'ont amené à conclure que la cession constituait une fiducie au sens strict. Voici ce qu'il dit [aux pages 415 et 416]:
Les actes de cession (pièce 53) eux-mêmes énoncent expres- sément que les 162 acres seront cédées à la Couronne «... définitivement, en fiducie, pour location ...». La Loi sur les Indiens prévoit, selon mon interprétation, que la défenderesse
peut devenir fiduciaire, au sens juridique, des bandes indiennes. Elle mentionne que la Couronne possède certains biens-fonds pour l'usage et le profit des bandes indiennes et certaines sommes d'argent pour leur usage et profit. (Voir les alinéas 2(1)a), h) et o).) L'article 18, par exemple, dispose que les réserves sont détenues pour l'usage et au profit des bandes indiennes. De même, le paragraphe 61(1) mentionne les «deniers des Indiens» que la Couronne détient pour l'usage et le profit des Indiens ou des bandes indiennes. Tout ce qui précède, à mon avis, va dans le sens de l'existence d'une fiducie, que sanctionnent les tribunaux.
Les arrêts Kinloch, Tito v. Waddell et Town Investments Ltd. montrent que, dans un contexte de droit public, ni l'emploi de l'expression «en fiducie», ni la saisine d'un bien devant être employé de quelque manière au profit d'un tiers, ne permettent de conclure à l'intention de créer une fiducie au sens strict. Les intimés ont affirmé que les faits dans les arrêts Kinloch, The Hereford Railway et Tito v. Waddell étaient très différents et pouvaient être distingués de ceux de la présente espèce. Cela est certain, mais la distinction établie par cette jurisprudence et les considérations de politique qui la sous-tendent sont pertinentes en l'espèce.
L'appelante a mis l'accent sur le pouvoir discré- tionnaire que l'article 18 de la Loi sur les Indiens confère au gouvernement, soutenant qu'il démon- tre bien l'absence d'intention de créer une obliga tion d'equity, sanctionnée par les tribunaux, d'ad- ministrer les terrains des réserves d'une certaine manière. L'article 18 prévoit, comme nous l'avons vu: «sauf la présente loi et les stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l'usage et au profit de la bande». L'existence d'un pouvoir discrétionnaire, on se le rappellera, s'est révélée un facteur déterminant dans les arrêts Kinloch, The Hereford Railway et Tito v. Wad- dell, car, selon les tribunaux saisis, il indiquait l'intention d'exclure la compétence d'equity des tribunaux. Dans l'arrêt Kinloch, il s'agissait du pouvoir conféré au Secrétaire d'État de trancher les questions litigieuses relatives au partage du butin d'une manière définitive et concluante, sous. réserve d'ordre contraire de Sa Majesté. Dans l'arrêt The Hereford Railway, du pouvoir discré- tionnaire d'accorder ou de refuser une subvention pour la construction d'un chemin de fer. Dans l'arrêt Tito v. Waddell, de la disposition de l'or-
donnance de 1928 sur les mines selon laquelle l'obligation du commissaire résident était subor- donnée aux «directives que le Secrétaire d'État aux Colonies pourra donner». À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que l'article 18 confère au gouver- neur en conseil, c'est-à-dire au gouvernement, de décider si l'objet pour lequel les terres d'une réserve doivent être utilisées est dans le meilleur intérêt de la bande, montre bien, comme le pouvoir discrétionnaire conféré au Secrétaire d'État dans l'arrêt Kinloch, que c'est au gouvernement et non aux tribunaux qu'il appartient de décider ce qui est dans le meilleur intérêt des bandes indiennes. Cette disposition est incompatible, à mon avis, avec l'intention d'imposer une obligation d'equity, sanctionnée par les tribunaux, d'employer le ter rain d'une réserve d'une certaine manière, et plus particulièrement, avec l'obligation d'aménager ou d'exploiter la réserve de façon à la mettre en valeur pour en faire une source de revenu pour la bande indienne, ce qui est essentiellement l'obliga- tion qui a été invoquée en l'espèce.
Les intimés, comme le premier juge, ont souli- gné l'importance des termes «à l'usage et au profit» au paragraphe 18(1) en vigueur à l'époque en cause: «Sauf les dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l'usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté ...» Les termes «à l'usage et au profit» se retrouvent dans plusieurs définitions et dans d'autres articles de la Loi. Aux termes de la définition de l'article 2, «réserve» désigne «une parcelle de terrain dont le titre juridique est attri- bué à Sa Majesté et qu'Elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une bande». «Bande» désigne un groupe d'Indiens «à l'usage et au profit com- muns desquels, des terres, dont le titre juridique est attribué à Sa Majesté, ont été mises de côté avant ou après le 4 septembre 1951». «Terres cédées» désigne «une réserve ou partie d'une réserve, ou tout intérêt y afférent, dont le titre juridique demeure attribué à Sa Majesté et que la bande à l'usage et au profit de laquelle il avait été mis de côté a abandonné ou cédé». L'article 36 porte: «Lorsque des terres ont été mises de côté à l'usage et au profit d'une bande et que le titre juridique y relatif n'est pas dévolu à Sa Majesté, la présente loi s'applique comme si les terres étaient une réserve, selon la définition qu'en donne cette loi.» L'article 37 dispose: «Sauf dispositions con-
traires de la présente loi, les terres dans une réserve ne doivent être vendues, aliénées ni louées, ou il ne doit en être autrement disposé, que si elles ont été cédées à Sa Majesté par la bande à l'usage et au profit communs de laquelle la réserve a été mise de côté.» Les termes «à l'usage et au profit», dans ces dispositions, ne visent que la nature ou l'objet de l'acte de l'exécutif par lequel les terres sont réservées pour les Indiens—elles sont conser vées à leur usage et profit. C'est le sens, à mon avis, de ces termes au paragraphe 18(1). Quoique le titre de propriété en common law du terrain soit dévolu à la Couronne, et que le gouvernement fédéral détienne le pouvoir de contrôle et d'admi- nistration de la réserve en vertu de sa compétence constitutionnelle relative aux terres réservées pour les Indiens, la Couronne a la saisine du bien-fonds (c'est-à-dire qu'elle le contrôle et l'administre), en tant que réserve (c'est-à-dire à l'usage et au profit des Indiens). Si le paragraphe 18(1) impose quel- que obligation, c'est l'obligation de tenir la réserve à la disposition des Indiens pour qu'ils puissent exercer leur droit d'occupation ou de possession, non une obligation d'employer le terrain de la réserve à quelque fin particulière. Outre le pouvoir discrétionnaire conféré au gouverneur en conseil par l'article 18, la Loi indique en d'autres occa sions que la responsabilité de la réserve est de nature gouvernementale. La Loi attribue au Ministre, au gouverneur en conseil et au conseil de bande, certains pouvoirs d'administration de la réserve qui participent de la nature d'un gouverne- ment local. Voir, par exemple, les articles 18(2), 19, 57, 58, 73(1) et 81. Le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, en vertu du paragraphe 60(1), d'«accorder la bande indienne] le droit d'exercer, sur des terres situées dans une réserve qu'elle occupe, tels contrôle et administration qu'il estime désirables». Tout ceci, à mon avis, exclut manifestement l'intention de rendre la Couronne fiduciaire, au sens du droit privé, du terrain de la réserve. La façon dont le gouvernement choisit de s'acquitter de sa responsabilité politique d'assurer le bien-être des Indiens est, naturellement, une toute autre chose. L'étendue de la responsabilité administrative ou de gestion que le gouvernement assume envers les réserves est une question de discrétion gouvernementale, non une obligation de common law ou d'equity. Je suis donc d'avis que l'article 18 de la Loi sur les Indiens ne saurait constituer le fondement d'une action pour manque-
ment à une fiducie dans l'administration ou l'alié- nation de terrains réservés.
Je n'estime pas nécessaire d'exprimer un avis sur l'existence de l'obligation ou du devoir d'employer le loyer au profit de la bande indienne ni, dans l'affirmative, sur sa nature et sa portée. Cela dépendrait des conditions de la cession à ce sujet et des dispositions des articles 61 et suivants de la Loi relatifs au bon emploi des deniers des Indiens. À mon avis, la question de savoir s'il y a obligation ou devoir d'administrer d'une certaine manière une réserve ou un terrain cédé n'est pas soumise aux mêmes considérations malgré un certain parallé- lisme dans la rédaction des paragraphes 18(1) et 61(1) de la Loi.
Le pouvoir discrétionnaire que la cession confère aux fins de «location à celui ou à ceux, et aux conditions, que le gouvernement du Canada jugera les plus favorables à notre bien-être et à celui de notre peuple» n'est pas un pouvoir discrétionnaire légal à proprement parler; c'est plutôt une restric tion apportée au pouvoir légal de saisine et d'admi- nistration. La Loi prévoit expressément qu'une cession peut être conditionnelle et elle donne au gouvernement la saisine de la réserve et le pouvoir de l'administrer conformément aux conditions de toute cession. Une cession fait partie du plan légis- latif et l'une des attributions du gouvernement, en vertu de cette Loi, est de lui donner effet. L'article 41 de la Loi dispose: «Une cession est censée conférer tous les droits nécessaires pour permettre à Sa Majesté de remplir les conditions de la ces sion.» Au moment de la cession, c'est-à-dire de l'abandon du titre ou droit indien grevant le ter rain de la réserve, l'immeuble devient une «terre cédée» aux termes de la Loi, assujettie à la saisine et à l'administration continues du gouvernement fédéral, conformément aux termes de la Loi et de la cession. Le paragraphe 53(1) de la Loi, sous la rubrique «Administration des réserves et des terres cédées» porte: «Le Ministre ou une personne nommée par lui à cette fin peut administrer, vendre, louer ou autrement aliéner les terres cédées en conformité de la présente loi et des conditions de la cession.» Cette disposition confirme mon opinion qu'une cession conditionnelle d'un terrain de la réserve, à des fins de location, a pour but d'attribuer le pouvoir de louer et non d'imposer
une obligation ou un devoir en ce sens. La cession est conditionnelle à la passation d'un bail conforme à ses stipulations, mais on ne peut avoir voulu imposer à la Couronne un devoir de fiduciaire ou une obligation en equity de conclure un bail. L'in- tention ne pouvait pas être de modifier fondamen- talement, par le biais d'une cession qui fait partie de l'économie de la loi, la nature de la responsabi- lité de la Couronne en matière d'administration et d'aliénation des terrains de la réserve.
Les mots «en fiducie» sont employés dans les actes de cession depuis plus de cent ans. Ils l'ont été en général au sujet de la responsabilité du gouvernement à l'égard des terres des Indiens. Comme nous l'avons vu, ils apparaissent à la clause 13 des Conditions de l'Union de la Colom- bie-Britannique au Canada, à l'article 93 du Land Act, R.S.B.C. 1936, chap. 144, en vertu duquel la réserve Musqueam a été cédée par la province au Dominion, et dans le décret provincial qui opère ce transport de la réserve. L'expression employée dans ces trois dispositions est «au nom et pour le bénéfice» des Indiens. Les termes «en fiducie» ajou- tent peu à l'expression «au nom et pour le bénéfice de» lorsqu'il s'agit de décrire l'objet pour lequel la réserve est constituée, si ce n'est peut-être qu'ils soulignent l'importance de la responsabilité politi- que ou gouvernementale attachée à la prise en charge de ce territoire. Ils ne pouvaient avoir pour but de faire de la Couronne du chef du Dominion le fiduciaire, au sens du droit privé, des terrains réservés. Comme dans l'article 18 de la Loi sur les Indiens, le décret provincial confère expressément au gouvernement du Dominion le pouvoir discré- tionnaire de déterminer quel usage du bien-fonds sert au mieux l'intérêt des Indiens. Dans le con- texte de cette loi et de l'accord entre les gouverne- ments, je suis d'avis que les termes «en fiducie» dans l'acte de cession n'avaient d'autre but que d'indiquer que celle-ci était faite pour le profit des Indiens et qu'elle conférait le pouvoir d'employer le bien-fonds d'une manière ou d'une autre à leur profit. On n'entendait pas imposer une obligation ou un devoir en equity d'employer le terrain d'une certaine façon. Pour ces raisons, je suis d'avis que la cession n'a pas créé de fiducie au sens strict et qu'en conséquence elle ne saurait autoriser la reconnaissance d'une responsabilité quelconque fondée sur un manquement à cette fiducie.
Cela suffit à trancher la question de la responsa- bilité, aussi n'est-il pas nécessaire pour moi d'ex- primer une opinion sur les autres moyens relatifs à la responsabilité soumis par l'appelante, dans les- quels elle nie le manquement à la fiducie et affirme que la Couronne ne peut être poursuivie en responsabilité pour la faute de ses préposés, en l'occurrence un manquement à une fiducie, et que l'action des intimés est prescrite et tardive.
Par ces motifs, je ferais droit à l'appel, réforme- rais le jugement de première instance et rejetterais l'action des intimés, le tout avec dépens en cette instance comme en la première. L'appel incident est rejeté avec dépens.
LE JUGE HEALD: Je souscris.
LE JUGE SUPPLÉANT CULLITON: Je souscris.
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