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A-888-80
Renaissance International (appelante)
c.
Le ministre du Revenu national (intimé)
Cour d'appel, juges Pratte et Heald, juge sup pléant Cowan—Toronto, 16 et 17 novembre 1982.
Impôt sur le revenu Organismes de charité Appel d'une décision du directeur de la Division de l'enregistrement du ministère du Revenu national qui a manifesté l'intention d'annuler l'enregistrement de l'appelante à titre d'organisme de charité en vertu de l'art. 168 de la Loi de l'impôt sur le revenu Le directeur a rendu sa décision en se fondant sur les renseignements recueillis au cours des enquêtes qu'il a fait faire sur l'appelante Celle-ci n'a pas été informée des enquêtes et elle n'a pas eu la possibilité de répondre aux allégations devant le directeur avant que ce dernier ne prenne la décision d'envoyer l'avis de son intention d'annuler l'enre- gistrement conformément à l'art. 168(1) L'art. 168(2) pré- voit qu'à l'expiration d'un délai de 30 jours à partir du jour l'avis a été mis à la poste, le Ministre peut publier cet avis dans la Gazette du Canada et l'annulation prend effet dès cette publication En exerçant le pouvoir qui lui est conféré par l'art. 168(1), le directeur doit-il se conformer aux règles de la justice naturelle ou de l'équité dans la procédure? Même s'il y avait eu atteinte à la justice naturelle ou à l'équité dans la procédure, l'effet de cette atteinte est-il éliminé par le droit d'appel conféré à l'appelante par l'art. 172(3)? Appel accueilli Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 168 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 87), 172(3) (mod. idem; 1977-78, chap. 1, art. 79), 180 Règle- ment de l'impôt sur le revenu, C.R.C., chap. 945, art. 900(7)b) Règle 1102(1) de la Cour fédérale.
Appel est interjeté de la décision du directeur de la Division de l'enregistrement du ministère du Revenu national qui avait manifesté l'intention d'annuler l'enregistrement de l'appelante à titre d'organisme de charité en vertu de l'article 168 de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'appelante est enregistrée à titre d'organisme de charité depuis 1976, mais en 1980, sur la foi de renseignements obtenus au cours d'enquêtes qu'il a autorisées, le directeur a décidé d'annuler l'enregistrement et il a envoyé à l'appelante un avis de son intention à cet effet conformément au paragraphe 168(1). Celle-ci n'a pas été informée de la tenue d'une enquête ni a-t-elle eu la possibilité de réfuter les alléga- tions communiquées au directeur avant que celui-ci ne rende sa décision. Elle soutient qu'en raison de cela, l'intimé a omis de se conformer aux règles de la justice naturelle et de l'équité dans la procédure. Celui-ci prétend le contraire: il fait valoir que l'envoi de l'avis en conformité avec le paragraphe 168(1) ne déterminait pas de façon définitive le statut de l'appelante et que même si un organisme de charité avait le droit d'être entendu, la loi ne prévoit pas une audition par le Ministre mais par la Cour dans le cadre d'un appel. Subsidiairement, il fait valoir que même s'il ne s'était pas conformé aux règles de l'équité dans la procédure, cette irrégularité a été corrigée du fait que l'appelante aura la possibilité de répondre aux alléga- tions faites devant le tribunal.
Arrêt: l'appel doit être accueilli. Le paragraphe 168(1) permet au Ministre de donner un avis de son intention d'annu- ler l'enregistrement d'un organisme de charité lorsque cet organisme ne se conforme plus aux exigences de la Loi en matière d'enregistrement. En vertu du paragraphe 168(2), le Ministre peut donner effet à l'annulation en publiant un avis dans la Gazette du Canada à l'expiration d'un délai de 30 jours à partir du jour l'avis a été mis à la poste. Bien que l'envoi d'un avis prévu au paragraphe 168(1) ne détermine pas de façon définitive le statut de l'appelante, il lui porte atteinte et le directeur est, par conséquent, tenu d'observer les règles de la justice naturelle et de l'équité dans la procédure. Un examen des articles 172 et 175 180 montre clairement que même si les appels d'une cotisation ou des décisions de la Commission de révision de l'impôt portées devant la Division de première instance sont censés être des procès de novo, un appel formé en vertu de l'article 180 est un appel la Cour doit décider, à la lumière du dossier de la preuve qui a été soumis au tribunal de première instance lorsque celui-ci a rendu sa décision, si cette décision était fondée. Dans le présent cas, le dossier comporte une lacune grave puisqu'il ne contient aucun élément fourni par l'appelante. Il ressort clairement de ces circonstances que les règles de la justice naturelle et de l'obligation d'agir équitable- ment n'ont pas été respectées.
Le juge Pratte: L'argument de l'intimé selon lequel la loi confère à l'appelante le droit d'être entendue uniquement par la Cour d'appel et non par le Ministre est mal fondé. Normale- ment, un appelant a le droit d'être traité équitablement aussi bien par le tribunal de première instance que par la cour d'appel. En outre, l'argument de l'intimé selon lequel l'omission de se conformer aux règles de l'équité dans la procédure est corrigée du fait que l'appelante aura la possibilité de répondre aux allégations devant ce tribunal est également mal fondé car dans le présent contexte, la loi ne prévoit pas un appel sous forme de procès de novo. Elle permet plutôt d'interjeter un appel ordinaire devant un tribunal qui rend sa décision à la lumière du dossier constitué devant la cour de première ins tance et n'accepte de compléter la preuve que pour des raisons spéciales. Il apparaît encore plus clairement qu'il s'agit d'un appel au sens ordinaire du terme lorsqu'on compare les disposi tions de la Loi de l'impôt sur le revenu applicables à cet appel avec celles de l'article 175 qui régit les appels formés devant la Division de première instance. Puisque l'appel visé au paragra- phe 172(3) constitue un appel ordinaire que le tribunal tranche habituellement à la lumière du dossier constitué par le tribunal de première instance, il s'ensuit que le processus préalable à la décision du Ministre d'envoyer un avis d'annulation conformé- ment au paragraphe 168(1) doit lui permettre de constituer un dossier suffisamment complet pour que cette Cour puisse l'utili- ser en statuant sur l'appel. Cela présuppose que le Ministre doit suivre une procédure qui lui permet de constituer un dossier reflétant non seulement son point de vue mais également celui de l'organisme concerné. Les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu ne libèrent pas implicitement le Ministre de l'obligation de se conformer aux règles de la justice naturelle et de l'équité dans la procédure avant d'envoyer l'avis en question. Elles laissent plutôt entendre que le Ministre doit fournir aux personnes concernées une possibilité raisonnable de répondre aux allégations dirigées contre elles.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Re General Accident Assurance Co. of Canada (1926), 58 O.L.R. 470 (C.A.); Board of Education v. Rice and Others, [1911] A.C. 179 (C.L.); Nicholson c. Haldi- mand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; 88 D.L.R. (3d) 671; Marti- neau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Mats- qui (N° 2), [1980] 1 R.C.S. 602; 106 D.L.R. (3d) 385; Srivastava c. Le ministre de la Main - d'oeuvre et de l'Immigration, [1973] C.F. 138 (C.A.).
AVOCATS:
O. V Gray pour l'appelante. W. Lefebvre pour l'intimé.
PROCUREURS:
McTaggart, Potts, Stone, Winters & Her- ridge, Toronto, pour l'appelante.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE PRATTE: Il s'agit d'un appel fondé sur le paragraphe 172(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu S.R.C. 1952, chap. 148, mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1, et interjeté après que l'intimé eut avisé l'appelante, en vertu du paragra- phe 168(1), de son intention d'annuler son enregis- trement à titre d'organisme de charité.
L'appelante invoque deux motifs d'appel: elle prétend tout d'abord que l'intimé a suivi une pro- cédure incorrecte en rendant sa décision et en second lieu, qu'il a annulé son enregistrement sans motif valable.
Au début de l'audition, nous avons décidé d'en- tendre tout d'abord l'argumentation des deux avo- cats concernant le premier motif d'appel, ce qui est fait. Il ne nous sera pas nécessaire d'entendre les avocats plus longtemps puisque nous sommes arri- vés à la conclusion que l'appel doit être accueilli pour le motif qu'avant d'envoyer l'avis à l'appe- lante en vertu du paragraphe 168(1), l'intimé ne lui a pas donné l'occasion de réfuter les allégations portées contre elle.
Pour comprendre le problème, il faut se reporter aux dispositions suivantes de la Loi de l'impôt sur
le revenu [mod. par S.C. 1976-77, chap. 4, art. 87; 1977-78, chap. 1, art. 79]:
168. (1) Lorsqu'un organisme de charité enregistré ou une association canadienne enregistrée d'athlétisme amateur
a) s'adresse par écrit au Ministre, en vue de faire annuler son enregistrement,
b) cesse de se conformer aux exigences de la présente loi relatives à son enregistrement comme telle,
le Ministre peut, par lettre recommandée, aviser l'organisme de charité enregistré ou l'association canadienne enregistrée d'athlétisme amateur de son intention d'annuler l'enregistre- ment.
(2) Lorsque le Ministre fait parvenir l'avis prévu au paragra- phe (1) à un organisme de charité enregistré ou à une associa tion canadienne enregistrée d'athlétisme amateur,
a) si l'ovuvre ou l'association lui a demandé, par écrit, d'annuler son enregistrement, le Ministre doit, immédiate- ment après la mise à la poste de l'avis en publier une copie dans la Gazette du Canada, et
b) dans tous les autres cas, le Ministre peut, à l'expiration d'un délai de 30 jours à partir du jour l'avis a été mis à la poste ou après l'expiration de la prolongation du délai, à partir du jour l'avis a été mis à la poste, que la Cour d'appel fédérale ou un de ses juges peut fixer ou permettre, lorsque demande lui en est faite à une date quelconque avant qu'il ne soit statué sur tout appel interjeté conformément au paragraphe 172(3) après l'envoi de l'avis, en publier une copie dans la Gazette du Canada,
et, dès la publication de la copie de l'avis, l'enregistrement de
l'ceuvre ou de l'association est annulé. -
172....
(3) Lorsque le Ministre
a) refuse de procéder à l'enregistrement d'un demandeur qui désire être reconnu comme organisme de charité enregistré ou comme association canadienne enregistrée d'athlétisme amateur, ou avise cet organisme de charité ou association, en vertu du paragraphe 168(1), de son intention d'annuler son enregistrement,
le demandeur, l'organisme de charité ou l'association, selon le cas, dans un cas visé à l'alinéa a) ... peuvent, nonobstant l'article 24 de la Loi sur la Cour fédérale, en appeler à la Cour d'appel fédérale ... de la signification de cet avis.
180. (1) Un appel auprès g de la Cour d'appel fédérale prévu par le paragraphe 172(3), peut être introduit en déposant un avis d'appel à la Cour dans les 30 jours de
a) la date à laquelle la décision du Ministre de rejeter la demande d'enregistrement ou de certificat d'exonération ou d'annulation de l'enregistrement d'un régime de participation aux bénéfices, a été signifiée à l'appelant par le Ministre par courrier recommandé, ou
b) la date d'expédition par la poste de l'avis à l'organisme de charité enregistré ou à l'association canadienne enregistrée d'athlétisme amateur, en vertu du paragraphe 168(1),
selon le cas, ou dans un délai supplémentaire que peut fixer ou accorder la Cour d'appel ou l'un de ses juges, avant ou après l'expiration des 30 jours susmentionnés.
(2) La Commission de révision de l'impôt et la Cour fédérale (Division de première instance) n'ont, ni l'une ni l'autre, com- pétence pour entendre toute affaire relative à une décision du Ministre contre laquelle il peut être interjeté appel en vertu du présent article.
(3) Un appel dont est saisie la Cour d'appel fédérale, en vertu du présent article, doit être entendu et jugé selon une procédure sommaire.
L'appelante était enregistrée à titre d'organisme de charité en vertu de la Loi lorsqu'elle a reçu, le
21 novembre 1980, un avis qui lui a été envoyé par l'intimé conformément au paragraphe 168(1). Cet avis prévoit en substance ce qui suit:
[TRADUCTION] Objet: Annulation de l'enregistrement d'un organisme de charité
Sachez que j'ai l'intention d'annuler l'enregistrement de Renaissance International en raison du fait qu'elle ne s'est pas conformée aux exigences de la Loi de l'impôt sur le revenu concernant l'enregistrement d'un organisme de charité, puisque l'organisme en question a affecté des fonds à des activités qui ne sont pas des oeuvres de charité; sachez en outre que l'avis suivant sera publié dans la Gazette du Canada à l'expiration d'un délai de 30 jours à compter de la mise à la poste du présent avis.
MINISTÈRE DU REVENU NATIONAL, IMPÔT
Conformément au paragraphe 168(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, j'avise que j'ai l'intention d'annuler l'enregistrement de l'organisme de charité ci-après désigné et qu'en vertu du paragraphe 168(2) de cette Loi, l'annulation de l'enregistre- ment prendra effet à la date de publication du présent avis dans la Gazette du Canada.
Nom et adresse Numéro d'enregistrement
Renaissance International 0463356-47-14
C.P. 100
Milton (Ontario)
L9T 2Y3
Il est admis qu'avant de recevoir cet avis, l'appe- lante n'a été avisée ni des allégations dirigées contre elle ni de l'intention de l'intimé d'annuler son enregistrement. C'est la raison pour laquelle elle prétend, à l'appui de son appel fondé sur le paragraphe 172(3), que l'intimé a omis de se conformer aux règles de l'équité dans la procédure ou de la justice naturelle.
L'avocat de l'intimé a répondu à cet argument de deux façons: il a tout d'abord affirmé que bien qu'un organisme de charité enregistré ait le droit d'être entendu avant que son enregistrement ne soit annulé, la loi précise que l'organisme en ques tion doit être entendu non par le Ministre, mais
par cette Cour, sur appel formé en vertu du para- graphe 172(3). En second lieu, il a prétendu que même s'il était vrai que l'intimé ne s'est pas con formé aux règles de l'équité dans la procédure, cette irrégularité est corrigée du fait que l'appe- lante aura la possibilité qui lui a été refusée par l'intimé, de répondre, devant ce tribunal, aux allé- gations dirigées contre elle.
Je rejette ce dernier argument sans aucune hési- tation. Ce n'est qu'en de rares cas, à mon avis, qu'un appel puisse être entendu pour remédier au fait qu'un tribunal inférieur ne s'est pas conformé aux règles de la justice naturelle, et la présente affaire n'est pas un de ces cas. Normalement, il me semble qu'un appelant a le droit d'être traité équi- tablement aussi bien par le tribunal de première instance que par la cour d'appel.
J'accorde beaucoup plus de valeur au premier argument de l'intimé selon lequel les différentes dispositions de la Loi traduisent l'intention du législateur de donner aux organismes de charité enregistrés la possibilité, avant l'envoi de l'avis visé au paragraphe 168(1), d'être entendus par cette Cour plutôt que par le Ministre. Ce qui importe, me semble-t-il, ce n'est pas que l'organisme de charité enregistré soit entendu avant l'envoi de l'avis (ce qui, à mon avis, ne porte pas atteinte à ses droits) mais qu'il soit entendu avant l'annula- tion de son enregistrement. Pour cette raison, je n'hésiterais aucunement à adopter le point de vue de l'intimé si la loi prévoyait qu'après l'envoi de l'avis, il pourrait y avoir un procès de novo pour déterminer si les circonstances justifiaient vrai- ment l'envoi de cet avis. Mais la loi ne prévoit pas ce genre d'audition. Elle prévoit plutôt un appel devant cette Cour après l'envoi d'un avis. Il est vrai que le mot «appel» est plutôt vague et, comme l'a fait remarquer le juge en chef Jackett dans l'affaire Srivastava c. Le ministre de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration, [1973] C.F. 138 (C.A.), à la page 148, il peut, selon le contexte dans lequel il est utilisé, désigner un appel de novo ou un appel ordinairement tranché à la lumière du dossier constitué devant la cour de première ins tance. Dans le présent cas, cependant, le droit d'appel conféré par le paragraphe 172(3) permet d'interjeter appel devant un tribunal qui, on le sait, tranche ordinairement les appels à la lumière du dossier constitué devant la cour de première ins-
tance et n'accepte de compléter la preuve que pour des «raisons spéciales» (voir la Règle 1102(1) [des Règles de la Cour fédérale]). En outre, si on compare les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu applicables à cet appel avec l'article 175 qui régit les appels formés devant la Division de première instance, il est manifeste que l'appel formé devant cette Cour n'était pas censé être un appel de novo comme l'appel interjeté devant la Division de première instance. Je conclus, par conséquent, que l'appel visé au paragraphe 172(3) constitue ce que j'appellerais un appel ordinaire, que le tribunal tranche habituellement à la lumière du dossier constitué par le tribunal de première instance. Il s'ensuit, à mon avis, que le processus préalable à la décision du Ministre d'envoyer un avis d'annulation en vertu du paragraphe 168(1) doit lui permettre de constituer un dossier suffi- samment complet pour que cette Cour puisse l'uti- liser en statuant sur l'appel. Ceci présuppose, à mon avis, que le Ministre doit suivre une procé- dure qui lui permet de constituer un dossier reflé- tant non seulement son point de vue mais égale- ment celui de l'organisme concerné.
Pour ces motifs, j'ai conclu après beaucoup d'hé- sitation que, contrairement aux allégations de l'avocat de l'intimé, les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu ne libèrent pas implicitement le Ministre de l'obligation de se conformer aux règles de la justice naturelle et de l'équité dans la procédure avant d'envoyer un avis en vertu du paragraphe 168(1). Au contraire, ces dispositions laissent plutôt entendre, à mon avis, que le Minis- tre doit, avant d'envoyer l'avis, fournir à la per- sonne ou aux personnes concernées une possibilité raisonnable de répondre aux allégations dirigées contre elles.
Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel et annule- rais l'avis envoyé par l'intimé à l'appelante le 21 novembre 1980.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement prononcés à l'audience par
LE JUGE HEALD: J'ai conclu que l'appel devrait être accueilli et que l'avis envoyé le 21 novembre 1980 par E. A. Chater, directeur de la Division de l'enregistrement du ministère du Revenu national, Impôt, qui agissait à titre de délégué du Ministre
(en vertu du règlement 900(7) de l'impôt sur le revenu)', devrait être annulé pour le motif que le directeur en question devait se conformer aux règles de la justice naturelle ou reconnaître à l'appelante le droit à l'équité dans la procédure et que, dans les circonstances présentes, il ne s'est conformé à ni l'une ni l'autre de ces obligations.
L'appelante est, depuis 1976, enregistrée au Canada auprès du ministère du Revenu national, Impôt, à titre d'organisme de charité. L'alinéa 168(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit notamment ce qui suit:
168. (1) Lorsqu'un organisme de charité enregistré ...
b) cesse de se conformer aux exigences de la présente loi relatives à son enregistrement comme telle,
le Ministre peut, par lettre recommandée, aviser l'organisme de charité enregistré ... de son intention d'annuler l'enregistre- ment.
Le paragraphe 168(2) ajoute:
168....
(2) Lorsque le Ministre fait parvenir l'avis prévu au paragra- phe (I) à un organisme de charité enregistré ou à une associa tion canadienne enregistrée d'athlétisme amateur,
a) si l'ouvre ou l'association lui a demandé, par écrit, d'annuler son enregistrement, le Ministre doit, immédiate- ment après la mise à la poste de l'avis en publier une copie dans la Gazette du Canada, et
b) dans tous les autres cas, le Ministre peut, à l'expiration d'un délai de 30 jours à partir du jour l'avis a été mis à la poste ou après l'expiration de la prolongation du délai, à partir du jour l'avis a été mis à la poste, que la Cour d'appel fédérale ou un de ses juges peut fixer ou permettre, lorsque demande lui en est faite à une date quelconque avant qu'il ne soit statué sur tout appel interjeté conformément au paragraphe 172(3) après l'envoi de l'avis, en publier une copie dans la Gazette du Canada,
et, dés la publication de la copie de l'avis, l'enregistrement de l'ouvre ou de l'association est annulé.
Les parties importantes du paragraphe 172(3) sont ainsi conçues:
172. .. .
(3) Lorsque le Ministre
' La partie dudit règlement 900(7) de l'impôt sur le revenu qui nous intéresse dit [C.R.C., chap. 945]:
900... .
(7) Le directeur de la division de l'Enregistrement du ministère du Revenu national, Impôt, peut exercer les pou- voirs et remplir les fonctions que la Loi attribue au Ministre en vertu
b) des paragraphes 168(1) et (2) ... de la Loi;
a) ... avise cet organisme de charité ... en vertu du paragra- phe 168(1), de son intention d'annuler son enregistrement,
... l'organisme de charité ... dans un cas visé à l'alinéa a) ... [peut], nonobstant l'article 24 de la Loi sur la Cour fédérale, en appeler à la Cour d'appel fédérale ... de la signification de cet avis.
Les extraits pertinents de l'article 180 de la Loi de l'impôt sur le revenu sont ainsi rédigés:
180. (1) Un appel auprès de la Cour d'appel fédérale prévu par le paragraphe 172(3), peut être introduit en déposant un avis d'appel à la Cour dans les 30 jours de
b) la date d'expédition par la poste de l'avis à l'organisme de charité enregistré ... en vertu du paragraphe 168(1),
... ou dans un délai supplémentaire que peut fixer ou accorder la Cour d'appel ou l'un de ses juges, avant ou après l'expiration des 30 jours susmentionnés.
(2) La Commission de révision de l'impôt et la Cour fédérale (Division de première instance) n'ont, ni l'une ni l'autre, com- pétence pour entendre toute affaire relative à une décision du Ministre contre laquelle il peut être interjeté appel en vertu du présent article.
(3) Un appel dont est saisie la Cour d'appel fédérale, en vertu du présent article, doit être entendu et jugé selon une procédure sommaire.
L'avis de l'intention d'annuler l'enregistrement de l'appelante à titre d'organisme de charité enregis- tré lui a été envoyé par lettre recommandée le 21 novembre 1980 (D.A., p. 85). À mon avis, le directeur a rendu deux décisions en rédigeant cette lettre. Il a, en premier lieu, décidé que l'appelante avait cessé de se conformer aux exigences de la Loi de l'impôt sur le revenu en matière d'enregistre- ment. Il a, en second lieu, décidé d'exercer le pouvoir, conféré au Ministre par le paragraphe 168(1), d'aviser l'appelante de son intention d'an- nuler, conformément au paragraphe 168(2), l'en- registrement de cette dernière.
À mon avis, ces deux décisions sont, selon toute vraisemblance, des décisions quasi judiciaires, nonobstant le fait que les dispositions législatives susmentionnées ne permettent pas expressément à la partie concernée de participer au processus déci- sionnel. Ce point de vue est confirmé par le fait que la loi permet de former devant cette Cour un appel semblable aux appels des décisions de la Division de première instance de la Cour fédérale. Un examen attentif des articles 172 et 175 180 inclusivement de la Loi de l'impôt sur le revenu montre clairement, à mon avis, que les prétendus
«appels» d'une cotisation interjetés directement devant la Division de première instance et les appels des décisions de la Commission de révision de l'impôt portés devant cette même Division sont censés être des procès de novo alors qu'un appel formé devant cette Cour en vertu de l'article 180 est un appel au sens ordinaire, c'est-à-dire un appel il s'agit de savoir si la décision du tribunal de première instance est fondée, compte tenu des documents qui lui ont été soumis. Les éléments de preuve en l'espèce indiquent clairement qu'avant de rendre les deux décisions mentionnées dans sa lettre du 21 novembre 1980, le directeur ne s'est pas conformé aux règles de la justice naturelle et de l'équité dans la procédure dans la mesure il a rendu une décision préjudiciable aux droits de l'appelante sans l'avoir au préalable avisée de l'af- faire et sans lui avoir fourni l'occasion de se défen- drez. Suivant la preuve, on a attiré l'attention du directeur, au mois de février 1980, sur un article paru dans le quotidien The Globe and Mail de Toronto qui tendait à mettre en doute le droit de l'appelante de continuer d'être enregistrée à titre d'organisme de charité. Il a donc demandé à son personnel de mener une enquête plus approfondie sur cette affaire. Cette enquête s'est poursuivie pendant environ deux mois et elle a été apparem- ment suspendue jusqu'au mois de novembre 1980. C'est alors que, après avoir pris connaissance d'une autre publication de l'appelante et d'un article anonyme paru dans The Toronto Sun, et après plusieurs discussions avec les membres de son per sonnel, le directeur a rendu les décisions susmen- tionnées, qu'il a communiquées à l'appelante dans sa lettre du 21 novembre 1980. Ces décisions ont été rendues sans que l'appelante soit avisée des enquêtes qui les ont précédées ni des allégations sur lesquelles le directeur entendait se fonder et sans qu'elle ait eu la possibilité de contester ces allégations ou d'être entendue par le directeur pour y répondre.
2 Voir, par exemple, les arrêts: Re General Accident Assurance Co. of Canada (1926), 58 O.L.R. 470 (C.A.), à la p. 481; Board of Education v. Rice and Others, [1911] A.C. 179 (C.L.), à la p. 182 (le lord Chancelier Loreburn); Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of
Police, [1979] 1 R.C.S. 311 [aux pp. 324 328]; 88 D.L.R. (3d) 671 aux pp. 680, 681 et 682; Martineau c. Le Comité de discipline de l'Institution de Matsqui (N° 2), [1980] 1 R.C.S. 602 [aux pp. 622 à 624]; 106 D.L.R. (3d) 385, aux pp. 405 et 406.
L'intimé prétend toutefois qu'étant donné que la Loi de l'impôt sur le revenu elle-même permet à l'appelante et à d'autres personnes se trouvant dans une situation semblable d'être entendues lors- que leurs droits sont, en quelque sorte, mis en péril, il n'y a pas lieu de suppléer à la loi lorsque, comme en l'espèce, le législateur a lui-même prévu ce cas. Selon l'intimé, l'envoi de l'avis en confor- mité avec le paragraphe 168 (1) ne détermine pas de façon définitive le statut de l'appelante en tant qu'organisme de charité enregistré. Il s'agirait sim- plement d'une intention d'annuler l'enregistrement qui n'a d'effet que lorsque le Ministre ou son délégué publie l'avis dans la Gazette du Canada conformément au paragraphe 168(2), cette publi cation ayant pour effet d'annuler l'enregistrement de l'organisme de charité. Je ne souscris pas à ce point de vue. Même si l'envoi de l'avis prévu au paragraphe 168(1) ne détermine pas de façon défi- nitive le statut de l'appelante en tant qu'organisme de charité enregistré, il lui porte certainement atteinte parce que tout d'abord, il décide de façon claire et non équivoque que l'appelante ne remplit plus les exigences de l'enregistrement et que, par conséquent, elle n'est plus autorisée à être un organisme de charité enregistré et, en second lieu, il informe l'appelante qu'à l'expiration d'un délai de 30 jours à compter de la mise à la poste de , l'avis, celui-ci sera publié dans la Gazette du Canada, ce qui annulera l'enregistrement de l'ap- pelante en vertu du paragraphe 168(2). Si l'appe- lante ne s'était pas prévalue des dispositions lui permettant d'interjeter appel devant cette Cour ou si cet appel était rejeté, la publication dans la Gazette du Canada et l'annulation de l'enregistre- ment s'ensuivraient sans autre recours ou possibi- lité d'intervenir pour l'appelante'. Je suis donc convaincu que ces «décisions» portent sérieusement atteinte aux droits de l'appelante, de sorte qu'il incombe au directeur d'observer les règles de la justice naturelle ou tout au moins, de reconnaître à l'appelante le droit à l'équité dans la procédure. Selon la disposition qui prévoit l'appel devant cette
3 Les dispositions des paragraphes 149.1(16) et (17) de la Loi de l'impôt sur le revenu montrent le caractère préjudiciable de ces actes de procédure. Ces deux paragraphes font mention de la date à laquelle est posté l'avis qui indique l'intention du Ministre d'annuler l'enregistrement. Ils sont stricts et peuvent avoir des conséquences importantes sur les droits de l'appelante.
Cour, ce doit être un appel au sens strict et traditionnel puisqu'il ne s'agit pas d'une nouvelle audition ou d'un procès de novo. Par conséquent, l'appel devrait être formé à partir du dossier com- plet de la preuve produite devant le directeur et qui l'a convaincu de rendre les décisions qui font l'objet du présent litige. En l'espèce, le dossier de la preuve soumis au directeur est incomplet, puis- que, tout le monde en convient, il ne contient pas tous les éléments de preuve produits devant ce dernier. Ce dossier de la preuve comporte une lacune encore plus grave puisqu'il ne contient aucun document fourni par l'appelante. Il ressort de ces circonstances, à mon avis, que les règles de la justice naturelle et l'obligation d'agir équitable- ment n'ont pas été respectées 4 .
Pour ces raisons, j'accueillerais l'appel et j'annu- lerais l'avis du 21 novembre 1980.
LE JUGE SUPPLÉANT COWAN y a souscrit.
4 Le juge d'appel Masten adopte un point de vue semblable dans l'affaire Re General Accident Assurance Co. of Canada, précitée, à la p. 481.
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