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A-529-82
République fédérale d'Allemagne (requérante)
c.
Helmut Rauca (intimé)
Cour d'appel, juges Heald et Urie, juge suppléant Cowan—Toronto, 30 juillet; Ottawa, 9 août 1982.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen Extradition Demande visant à l'examen et à l'annulation de l'ordon- nance de cautionnement rendue par la Haute Cour de Justice en attendant l'audience d'extradition sur allégation de crimes de guerre Décision révisable par la Cour d'appel fédérale puisque, lorsque la Haute Cour de Justice agit en vertu de la Loi sur l'extradition, elle agit à titre d'office, de commission ou de tribunal fédéral aux termes de l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale Les critères ordinairement applicables à tous les citoyens canadiens accusés d'un acte criminel s'appliquent en dépit de l'énormité des crimes imputés Le juge de première instance a conclu que l'intimé se présentera vraisem- blablement à l'audience d'extradition et que rien dans la preuve n'indique que l'intimé constitue une menace pour le public Demande rejetée Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28 Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, chap. E-21, art. 9, 10, 13.
Il s'agit d'une demande en vertu de l'article 28 visant à l'examen et à l'annulation d'une ordonnance de cautionnement rendue par la Haute Cour de Justice de l'Ontario en application de la Loi sur l'extradition. L'intimé a été accusé, en Républi- que fédérale d'Allemagne, de crimes de guerre et arrêté au Canada en vertu de la Loi sur l'extradition. Il a été remis en liberté sous diverses conditions dont un engagement au montant de 150 000 $. La requérante demande la révision de cette décision pour le motif que les critères applicables pour l'admis- sion à cautionnement dans des affaires d'extradition sont plus stricts que ceux qui s'appliquent à des enquêtes sur cautionne- ment ordinaires. L'énormité des crimes reprochés à l'intimé et le poids de la preuve invoquée contre lui lui fournissent des motifs de quitter le pays de sorte qu'il y a un danger réel qu'il ne se présente pas à l'audience d'extradition.
Arrêt: la demande est rejetée. L'intimé est citoyen canadien et il n'a pas d'antécédents criminels au Canada, il a des attaches ici et il est âgé de 73 ans. Un citoyen canadien qui est accusé dans un pays étranger d'un acte criminel qui le rend sujet à l'extradition ne doit pas être privé de son droit à un cautionnement s'il satisfait aux critères ordinairement applica- bles à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge d'accorder un cautionnement. Le juge d'extradition n'a pas commis d'er- reur en statuant que, même si la preuve était importante, elle ne constituait pas une preuve convaincante avant d'avoir été appréciée à l'audience d'extradition. Le juge d'extradition a conclu que l'intimé se présenterait probablement à l'audience et qu'il ne constituait pas une menace pour le public, donc qu'il satisfaisait au critère applicable à l'octroi d'un cautionnement.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez, [19751 1
R.C.S. 228.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re Barnes and State of Tennessee (1972), 34 C.C.C. (2d) 122 (H.C. Ont.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Herman, et autres c. Le sous-procureur général du Canada, [ 1979] 1 R.C.S. 729; Le ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495.
DÉCISIONS CITÉES:
Re State of Arizona and Thompson and Schliwa (1976), 30 C.C.C. (2d) 148 (C. cté Ont.); Re Armstrong and State of Wisconsin (1977), 37 C.C.C. (2d) 397 (C. cté Ont.); Re State of Ohio and Schneider (1977), 34 C.C.C. (2d) 130 (C. cté Ont.); Re Piperno and The Queen (1981), 65 C.C.C. (2d) 178 (C.S. Qué.); Le Common wealth de Virginie c. Cohen, [1973] C.F. 622 (I inst.); Re Gaynor and Green (No. 5) (1905), 9 C.C.C. 255 (B.R. Qué.); Re Low (1932), 41 O.W.N. 468 (C.A. Ont.).
AVOCATS:
W. I. C. Binnie, c.r., pour la requérante.
W. J. Parker et W. B. Horkins pour l'intimé.
Bert Raphael, c.r., David Matas et Irwin Coller pour le Congrès juif canadien.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la requérante.
William J. Parker, Toronto, pour l'intimé. Raphael, Wheatley & MacPherson, Toronto, pour le Congrès juif canadien.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Cette demande présentée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, vise l'examen et l'annulation de l'ordonnance rendue par le juge Griffiths, de la Haute Cour de Justice de la Cour suprême de l'Ontario, en application de la Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, chap. E-21, («la Loi»), qui ordonne la remise en liberté de l'intimé sur cautionnement aux conditions que je mentionnerai plus loin.
Le résumé des faits est le suivant: Le 17 juin 1982, à la suite d'une dénonciation et plainte portée conformément à l'article 10 de la Loi, le juge en chef adjoint Parker, de la Haute Cour de Justice de la Cour suprême de l'Ontario a lancé un
mandat d'arrestation contre l'intimé. La dénoncia- tion et plainte affirme que l'intimé [TRADUCTION] «... est accusé d'un ou plusieurs crimes entraînant l'extradition, savoir: participation et complicité au meurtre de 10,500 personnes commis le 28 octobre 1941, ou vers cette date, à Kaunas, en Lithuanie ...» et qu'un mandat en vue de son arrestation a été lancé en République fédérale d'Allemagne le 21 septembre 1961. Le 21 juin 1982, conformé- ment au mandat de renvoi lancé par le juge en chef adjoint Parker en même temps que le mandat d'arrestation, l'intimé a été amené devant le juge Griffiths. A ce moment-là, un avis de requête a été présenté, appuyé de trois déclarations sous ser- ment, pour faire libérer l'intimé sous caution. L'in- timé et trois autres témoins ont déposé en sa faveur et la requérante a fait entendre un témoin. A la fin de cette audience, le juge Griffiths a rendu l'ordonnance dont on demande l'annulation et dont les conditions sont les suivantes:
[TRADUCTION] ET ATTENDU que ledit HELMUT RAUCA a, aujourd'hui le 21 juin 1982, été amené devant moi et que j'ai ordonné de le remettre en liberté sous caution aux conditions suivantes:
1) qu'il signe un engagement au montant de cent cinquante mille dollars ($150.000.00) sans dépôt, garanti par des biens suffisants ou autrement et par trois cautions acceptables par Sa Majesté,
2) que son passeport reste en la garde de la G.R.C. et qu'il ne présente pas d'autre demande de passeport pendant la période d'application de la présente ordonnance,
3) qu'il demeure dans la municipalité du Toronto métropolitain,
4) qu'il se présente tous les jours, aux quartiers généraux de la G.R.C., 225, rue Jarvis, Toronto, entre 9 h et 17 h,
5) qu'il tienne constamment la G.R.C. au courant de l'en- droit il habite, et
6) qu'il soit présent au tribunal le 20 septembre 1982 et après cette date au besoin.
Au début de l'audition de la demande, trois avocats se sont présentés au nom du Congrès juif canadien et ont demandé à être entendus sur la demande. L'autorisation leur a été donnée de le faire et les trois avocats ont plaidé en faveur de l'octroi de la demande.
La Cour a ensuite, de son propre chef, soulevé la question de la compétence de cette Cour de réviser l'ordonnance en cause en l'espèce. On a signalé que même si la Cour suprême du Canada, à la
majorité, dans l'arrêt Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez', a jugé qu'un commissaire à l'extradition ou un juge siégeant en vertu de la Loi sur l'extradition agit comme persona designata et que sa décision est susceptible de révision par cette Cour, en application de l'article 28 de la Loi constitutive de la Cour, deux autres arrêts posté- rieurs de la Cour, Herman, et autres c. Le sous- procureur général du Canada 2 et Le ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand 3 , parais- sent avoir restreint de façon radicale l'application de la notion de juge agissant comme persona desi- gnata. Le texte des motifs de plusieurs des juges rend difficile de voir comment un juge agissant en vertu de la Loi sur l'extradition peut le faire à titre de persona designata tandis que les juges agissant en vertu d'autres lois fédérales ne le peu- vent pas. Après avoir entendu tous les avocats sur ce sujet, la question de compétence a été prise en délibéré et l'audience s'est poursuivie sur le fond.
Après avoir réfléchi, lu et relu attentivement les trois arrêts, je suis arrivé à la conclusion que cette Cour est liée par l'arrêt Hernandez en dépit de la difficulté de le concilier logiquement avec les arrêts Herman et Coopers and Lybrand. La pré- sente demande, qui vise l'examen et à l'annulation de l'ordonnance de cautionnement rendue par le juge Griffiths, agissant comme persona designata en vertu de la Loi sur l'extradition, et non à titre de juge de la Cour suprême de l'Ontario, relève de la compétence de cette Cour parce qu'en agissant ainsi, le juge Griffiths est un office, une commis sion ou un autre tribunal fédéral aux termes de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Même si l'avocat de la requérante et ceux du Congrès juif canadien ont fait valoir plusieurs moyens sur le fond, un seul, à mon avis est fondé. Donc, à cause de l'avantage évident qu'il y a de disposer de cette demande en toute diligence et pour être bref, je n'aborderai que ce seul moyen. Pour étudier ce moyen, il est utile de citer, dans leur totalité, les passages pertinents des motifs du juge Griffiths, rendus oralement à la fin de l'audience.
[TRADUCTION] II s'agit d'une demande de cautionnement en faveur de Helmut Rauca, qui est citoyen canadien et qui a été
1 [1975] 1 R.C.S. 228.
2 [1979] 1 R.C.S. 729.
3 [ 1979] 1 R.C.S. 495.
arrêté en exécution d'un mandat d'arrêt lancé par le juge en chef adjoint Parker en application des dispositions de la Loi sur l'extradition.
Les dispositions de la Loi sur la réforme du cautionnement, qui modifient le Code criminel quant au cautionnement, ne s'appliquent pas aux circonstances de l'espèce. Il y a toutefois une jurisprudence abondante selon laquelle un juge de la Cour suprême a compétence pour accorder un cautionnement à une personne détenue en prévision de procédures d'extradition. En vérité, une telle demande équivaut à une demande d'habeas corpus.
Le substitut du procureur général m'a signalé la décision du juge Wright dans re Barnes and The State of Tennessee, 1972, 34 C.C.C. (2nd), 122, par laquelle le juge Wright a statué que même si un juge de la Cour suprême a une compétence d'office pour accorder un cautionnement, il ne faut l'accorder que dans des circonstances exceptionnelles et s'il n'y a pas de risque grave. Dans cette affaire-là, toutefois, il est manifeste, d'après les faits, que Barnes, le fugitif en cause, se trouvait au Canada illégalement à l'époque, qu'il n'était pas citoyen canadien et qu'il y avait de grandes chances qu'il ne se présente pas à l'audience d'extradition si on le libérait.
Ainsi que l'avocat du requérant l'a signalé, la Déclaration canadienne des droits reconnaît expressément le droit à un cautionnement raisonnable et le droit ordinairement applicable au Canada prévoit que nulle personne accusée d'une infraction criminelle ne doit être privée du droit à un cautionnement ou à une liberté provisoire sans cause raisonnable. A mon avis, un citoyen canadien ne peut se voir priver de son droit au caution- nement seulement parce qu'il doit répondre, dans un ressort étranger, à une accusation d'acte criminel, qu'il y aurait commis et pour lequel il subit des mesures d'extradition.
Peu importe sur qui repose le fardeau de la preuve, il ne m'est pas nécessaire de trancher cette question en l'espèce. Il me semble que, dans un cas de cette nature, le principe applicable est celui qui consiste à se demander d'abord s'il est probable que l'accusé se présentera à l'audience d'extradition si on le libère et ensuite, de se demander, si l'accusé était libéré, présenterait-il un danger pour la société de sorte qu'il serait contraire à l'intérêt public de le relâcher. J'ajouterais qu'il peut se trouver des cas la nature même du crime et la preuve convaincante, presque irréfutable, que le crime a été commis, pourraient justifier la détention de l'accusé dans l'intérêt public.
J'ai pris connaissance de la preuve en vertu de laquelle le juge en chef adjoint Parker a lancé le mandat d'arrestation en l'espèce et j'ai entendu les dépositions faites aujourd'hui. On ne peut s'empêcher d'avoir un mouvement de répugnance devant la nature et l'énormité du crime. On affirme que Helmut Rauca a, en 1941, désigné plus de 10,000 hommes, femmes et enfants juifs d'un ghetto de Lithuanie pour les faire fusiller. Cependant, notre répugnance à l'égard de la nature du crime ne doit pas faire oublier à la Cour le principe fondamental en vigueur au Canada selon lequel une personne accusée d'un crime est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité soit dûment établie. La preuve en l'espèce est importante, mais je ne suis pas prêt à dire qu'il y ait une preuve déterminante à l'encontre de l'accusé; j'aimerais mieux, avant de rendre une telle décision, entendre les dépositions des témoins sous serment en présence de l'accusé et les soumettre au contre-interroga-
toire et appliquer toutes les autres garanties d'un procès en règle.
Ce que j'affirme essentiellement, c'est qu'en dépit de l'énor- mité du crime, je ne crois pas que je doive, seulement à cause de cela, priver cette personne, qui est citoyen canadien, des droits qu'il a en vertu du droit canadien. La preuve démontre que cet homme s'est établi de façon permanente au Canada, qu'il a été en apparence, depuis 1950 au moins, un bon citoyen et qu'il travaille de façon constante, qu'il n'a pas d'antécédents criminels au Canada et qu'il est âgé de 73 ans. La poursuite soutient qu'il y a un risque certain qu'il s'enfuie du pays et fasse défaut de se présenter à l'audition d'extradition. Je n'en suis pas persuadé. J'estime qu'on peut imposer des conditions qui garantissent sa présence. Quant à la seconde considération c'est-à-dire qu'il constitue une menace pour le public, il n'y a aucun élément de preuve en ce sens.
J'espère qu'on comprendra que par ma décision, je ne fais qu'appliquer les principes fondamentaux du droit canadien et administrer la justice de la façon dont je la comprends. Dans ces circonstances, je suis d'avis de remettre cet homme en liberté, mais à des conditions assez sévères. J'aimerais avoir l'avis de la poursuite sur celles-ci.
L'avocat de la requérante a prétendu, tout comme les avocats du Congrès juif canadien, que le juge d'extradition s'est trompé sur le critère à appliquer à une demande de cautionnement dans une affaire d'extradition et a, en conséquence, commis une erreur pouvant donner lieu à révision en application de l'alinéa 28(1)b) 4 de la Loi sur la Cour fédérale. On soutient que le savant juge n'a pas saisi la distinction à faire entre le critère à appliquer dans une affaire ordinaire de cautionne- ment et dans un cautionnement en matière d'extra- dition et qu'en conséquence, il a commis une erreur de droit.
Les avocats ont signalé un certain nombre de décisions relatives au pouvoir d'accorder un cau- tionnement dans des procédures d'extradition. On peut tirer les principes généraux suivants de ces décisions:
4 28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu- res devant un office, une commission ou un autre tribunal fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ...
(1) même si les juges des différents ressorts ne sont pas tous du même avis, la majorité estime qu'il existe un pouvoir discrétionnaire d'accorder un cautionnement à des fugitifs dans des affaires d'extradition;
(2) les principes à appliquer à l'occasion de demandes présentées avant l'incarcération, peu- vent être différents de ceux qui s'appliquent après l'arrestation mais avant l'audition d'extra- dition;
(3) sous réserve de ces principes, dans l'un et l'autre cas, un juge paraît posséder le pouvoir discrétionnaire, en vertu de l'article 9 de la Loi, d'accorder un cautionnement à celui qu'on dit être un fugitif;
(4) que le pouvoir mentionné à l'alinéa (3) ne vient pas de l'article 13 de la Loi;
(5) les dispositions de la Loi sur la réforme du cautionnement, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 2; 1970-71-72, chap. 37, ne s'appliquent pas aux demandes de cautionnement pour les fugitifs soumis à des procédures d'extradition;
(6) le droit applicable à l'égard de l'octroi d'un cautionnement à un fugitif est le droit en vigueur avant la mise en vigueur de la Loi sur la réforme du cautionnement, en 1972, et il incombe au fugitif de démontrer pourquoi le juge d'extradition devrait exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur.
Dans l'énoncé de ces principes, j'ai tenu compte, entre autres, des décisions suivantes que les avo- cats ont signalées: Re State of Arizona and Thompson and Schliwa 5 ; Re Armstrong and State of Wisconsin 6 ; Re State of Ohio and Schneider'; Re Piperno and The Queens; Le Commonwealth de Virginie c. Cohen 9 ; Re Gaynor and Green (No. 5) 10 ; Re Low 11 ; et Re Barnes and State of Tennessee' 2.
L'avocat de la requérante et ceux du Congrès juif canadien ont invoqué avec insistance la der- nière décision affirmant qu'elle énonce le critère
5 (1976), 30 C.C.C. (2d) 148 (C. cté Ont.).
6 (1977), 37 C.C.C. (2d) 397 (C. cté Ont.). 7 (1977), 34 C.C.C. (2d) 130 (C. cté Ont.).
8 (1981), 65 C.C.C. (2d) 178 (C.S. Qué.).
9 [1973] C.F. 622 (lfe inst.).
10 (1905) , 9 C.C.C. 255 (B.R. Qué.).
11 (1932), 41 O. W.N. 468 (C.A. Ont.).
12 (1972), 34 C.C.C. (2d) 122 (H.C. Ont.).
véritable de l'octroi d'un cautionnement à des fugi- tifs dans des affaires d'extradition. Dans cette affaire-là, un juge d'extradition avait accordé un mandat d'incarcération après audition à la suite de laquelle la personne incarcérée a demandé, au juge Wright de la Cour suprême de l'Ontario, un bref d'habeas corpus et un cautionnement. Le savant juge a étudié la jurisprudence (notamment les décisions que je viens de citer) et a dit ceci, aux pages 129 et 130 du recueil:
[TRADUCTION] De ces décisions, et de façon générale, je conclus que les juges de cette Cour, siégeant seuls, ont compé- tence pour accorder un cautionnement à un fugitif, en applica tion de la Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, chap. E-2I, aussi bien avant qu'après incarcération; qu'il faut exercer ce pouvoir avec prudence et parcimonie; qu'il faut accorder un grand poids aux obligations réciproques du Canada et des autres États en matière d'extradition; qu'il faut respecter et remplir ces obliga tions et qu'en définitive, il n'y a lieu d'accorder le cautionne- ment que dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu'il n'y a pas de risque sérieux, d'après la preuve, que la personne incarcérée ne se présente pas pour l'extradition et les procédu- res judiciaires qui l'accompagnent.
Je dois ajouter que les dispositions et l'aspect de la Loi sur la réforme du cautionnement, S.R.C. 1970, chap. 2 (2' Supp.); 1970-71-72 (Can.), chap. 37, ou la Partie XIV du Code crimi- nel, S.R.C. 170 [sic], chap. C-34 (selon le titre qu'on lui donne) ne s'appliquent pas aux demandes de cautionnement de fugitifs assujettis à des procédures d'extradition. Elles ne s'appliquent pas selon leur teneur. Si elles s'appliquaient, elles constitue- raient une modification unilatérale des obligations du Canada en vertu des traités d'extradition et pourraient, pour une bonne part, aller à l'encontre du but premier de ces traités. Mais elles peuvent amener la remise en liberté, s'il y a lieu, de personnes accusées de meurtre en application du Code criminel précité, comme le requérant l'a fait remarquer.
Enfin, même si la personne incarcérée a déposé en l'instance, j'espère que personne ne va conclure qu'il sera fait droit à des demandes de cautionnement dans des affaires semblables à moins que les faits ne soient absolument inhabituels et convain- cants et qu'il n'y aura pas d'audition avant que les pièces n'aient dûment été soumises à la Cour, en fonction de la jurisprudence.
Les avocats ont particulièrement insisté sur les mots «il n'y a lieu d'accorder le cautionnement que dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu'il n'y a pas de risque sérieux, d'après la preuve, que la personne incarcérée ne se présente pas pour l'extradition et les procédures judiciaires qui l'ac- compagnent». Les avocats ont affirmé qu'en l'es- pèce, à cause de l'énormité des crimes reprochés à l'intimé et du poids des preuves présentées contre lui qui le pousseraient à fuir le ressort du tribunal avant l'audition d'extradition, il y a un danger réel qu'il ne se présente pas à l'audition. On prétend
qu'en octroyant un cautionnement, le juge Grif- fiths n'aurait pas tenu compte de la recommanda- tion du juge Wright et, vu les faits de la présente affaire, il a, en conséquence, commis une erreur de droit.
Il faut d'abord souligner, d'après les motifs de jugement du juge Griffiths précités, que non seule- ment il était au courant du critère proposé par le juge Wright, mais qu'il a établi une triple distinc tion: dans cette affaire-là, le fugitif se trouvait au Canada illégalement, il n'était pas citoyen cana- dien et il n'était pas sûr qu'il se présenterait à l'audition d'extradition si on le remettait en liberté. Dans l'affaire qui nous occupe d'autre part, la personne incarcérée est un citoyen cana- dien (bien que les avocats du Congrès aient sou- tenu qu'il ne devrait pas l'être à cause des fausses déclarations qu'il aurait faites au moment de son entrée au Canada), qu'il n'a pas d'antécédents criminels ici, qu'il a des attaches ici et qu'il est âgé de 73 ans. De plus, il est manifeste que le juge a appliqué le principe énoncé dans la jurisprudence précitée selon lequel même si un citoyen canadien est accusé dans un pays étranger d'un acte crimi- nel qui le rend sujet à l'extradition, il ne doit pas être privé de son droit à un cautionnement s'il satisfait aux conditions applicables à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du juge d'accorder ou de refuser un cautionnement à un accusé. Je suis d'accord avec ce principe. Je ne vois pas beaucoup de justification dans la jurisprudence, et je n'en vois aucune dans la Loi, à la prétention selon laquelle parce que le Canada a des obligations envers un État requérant en vertu d'un traité entre les deux pays qu'il faille refuser à un fugitif admis sible à cautionnement les garanties et recours autrement accordés aux citoyens du Canada (voir Re Piperno and The Queen, précité, à la page 184). Les obligations découlant d'un traité sont un facteur dont il faut tenir compte, mais, à mon avis, ce n'est pas nécessairement un facteur prépondé- rant dans la décision d'accorder ou de refuser un cautionnement à un fugitif avant son incarcération bien que, de toute évidence, ce peut être un facteur très important dans une demande de cautionne- ment après incarcération.
Toutes les parties reconnaissent, si je comprends bien, que les principes directeurs cités par le juge Griffiths applicables à l'octroi d'un cautionnement
sont ceux qui s'appliquaient en matière criminelle avant l'adoption de la Loi sur la réforme du cautionnement. Toutefois, la requérante soutient qu'en plus de ces principes, on doit tenir compte du fait qu'en l'espèce les crimes dont l'intimé est accusé sont si énormes et si révoltants qu'il faut écarter les principes ordinairement applicables devant les tribunaux canadiens, avant l'adoption de la Loi sur la réforme du cautionnement, fondés sur la présomption d'innocence de l'accusé, et qu'il faut refuser le cautionnement. Le juge Griffiths qui a pris connaissance non seulement des pièces qui ont amené le juge en chef adjoint Parker à lancer le mandat d'arrestation, mais aussi les trois déclarations sous serment à l'appui de la requête et qui a eu, en plus, l'avantage d'entendre la déposi- tion de l'intimé et des quatre autres témoins, et d'observer ces témoins, a conclu que la preuve soumise contre l'intimé était «importante» mais que, quant à lui (le juge Griffiths), elle ne consti- tuait pas une preuve déterminante à l'encontre de l'intimé. Ce que le juge Griffiths a dit en sub stance, c'est qu'on ne peut apprécier la valeur de la preuve avant une audience, assortie de toutes les mesures protectrices et garanties inhérentes qu'elle comporte. A mon avis, contrairement à ce que soutiennent les avocats, ce n'est pas une erreur d'être arrivé à cette conclusion. C'était une conclu sion qu'il pouvait tirer vu la preuve et c'était une conclusion pertinente dans la décision de rendre ou de ne pas rendre l'ordonnance de cautionnement. Elle ne constitue donc pas un motif d'annulation de l'ordonnance.
Le juge devait alors décider s'il était probable que l'intimé se présente à l'audition d'extradition. Après avoir évalué la preuve, il a conclu qu'il était possible d'«imposer des conditions qui garantissent sa présence» en cour. Je ne puis absolument pas affirmer qu'il a exercé son pouvoir discrétionnaire à tort en arrivant à cette conclusion puisqu'il était conscient de l'énormité des crimes qu'on reproche à l'intimé.
Quant au second principe relatif à la remise en liberté sur cautionnement, je suis d'accord avec le juge que rien dans la preuve n'indique que l'intimé constitue une menace pour le public.
Puisqu'il est manifeste que l'octroi d'un caution- nement ressortit à l'exercice d'un pouvoir discré- tionnaire, une cour de révision ne doit pas modifier
cet exercice du pouvoir discrétionnaire à moins qu'elle ne soit convaincue que le juge a appliqué un principe erroné ou qu'aucune preuve n'appuie sa conclusion. Pour les motifs qui précèdent, je ne suis pas convaincu que l'une ou l'autre de ces conditions soient remplies en l'espèce. En consé- quence, je suis d'avis de rejeter la demande présen- tée en vertu de l'article 28.
LE JUGE HEALD: Je souscris.
LE JUGE SUPPLÉANT COWAN: Je souscris.
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