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A-294-81
James Lipkovits, Penny Joy et The Association for Public Broadcasting in British Columbia (appelants)
c.
Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica- tions canadiennes, Canadian Cablesystems Lim ited et Premier Communications Limited (inti- més)
Cour d'appel, juges Pratte et Heald, juge sup pléant Cowan—Toronto, 18 et 19 novembre; Ottawa, 14 décembre 1982.
Radiodiffusion Prise de contrôle par la plus importante entreprise de câblodistribution au Canada de la deuxième plus importante entreprise en ce domaine Autorisation du CRTC requise Audience publique annoncée Intervention dépo- sée par les appelants Rejet de leur requête visant à contre- interroger les auteurs d'une étude prévisionnelle des tendances économiques et d'autres études produites à l'appui de la demande Certains auteurs ont été interrogés par les mem- bres du Conseil au cours de l'audience Le comité de direction a fait droit à la demande Un membre du Conseil qui n'était pas présent à l'audience a participé à la décision La règle de justice naturelle selon laquelle seuls ceux qui ont participé à l'audience peuvent participer à la décision ne s'applique pas aux décisions rendues par le comité de direction en vertu de l'art. 17 La prétention selon laquelle l'arrêt Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications cana- diennes c. CTV Television Network Limited, et autres, 11982] / R.C.S. 530; 41 N.R. 271, est inapplicable se fonde sur un argument indéfendable portant que la décision attaquée a été rendue par tous les membres du Conseil Le comité de direction a exercé son pouvoir à bon droit L'arrêt Innisfil ne s'applique pas en ce qui concerne le refus du droit de contre- interroger La Loi ne confère pas un tel droit Le CRTC n'était même pas obligé de tenir une audience publique La proposition selon laquelle le contre-interrogatoire fait partie intégrante d'une audience publique ne repose sur aucun fonde- ment jurisprudentiel Le Conseil est maître de sa procédure et il n'y a pas eu de violation des principes de justice naturelle Appel rejeté Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B-11, art. 17, 19, 21, 26 (mod. par S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 65 (Item 2)) Règles de procédure du CRTC, C.R.C., chap. 375, art. 13, 14, 15.
Contrôle judiciaire Appels prévus par la loi Appel fondé sur l'art. 26 de la Loi d'une décision du CRTC approu- vant l'acquisition d'une entreprise de câblodistribution La règle de justice naturelle selon laquelle seuls ceux qui ont participé à l'audience peuvent participer à la décision ne s'applique pas aux décisions rendues par le comité de direction en vertu de l'art. 17 Aucune obligation pour le Conseil de tenir une audience publique Aucun droit légal de contre- interroger La proposition selon laquelle le contre-interro- gatoire fait partie intégrante d'une audience publique ne repose sur aucun fondement jurisprudentiel Les principes de justice naturelle n'ont pas été enfreints Appel rejeté
Loi sur la radiodiffusion, S.R.C. 1970, chap. B-11, art. 17, 26 (mod. par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 65 (Item 2)).
L'intimée Canadian Cablesystems Limited («CCL») était la plus importante entreprise de câblodistribution au Canada. Elle entendait acquérir le contrôle de Premier Communications Limited («Premier»), la deuxième plus importante entreprise de câblodistribution au pays, et elle a demandé au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes d'ap- prouver cette acquisition. La demande présentée par CCL au Conseil comprenait de nombreuses études portant notamment sur une analyse des différents aspects de l'industrie de la câblodistribution, un examen de CCL et des prévisions écono- miques. Selon les appelants, ces études ne fournissaient pas beaucoup de renseignements pertinents concernant l'évaluation des études en question par le Conseil. Celui-ci a convoqué une audience publique. Les appelants sont intervenus et ils ont demandé qu'on leur permette de contre-interroger les auteurs des études soumises par CCL. Le Conseil a rejeté cette requête. À l'audience, le Conseil a entendu les dépositions des témoins- experts non assermentés de CCL, sans permettre aux appelants de contre-interroger ces témoins. Tous les membres du Conseil qui étaient présents à l'audience et cinq membres qui n'étaient pas présents ont assisté aux délibérations du Conseil postérieu- res à l'audience. L'une de ces cinq personnes était un membre à temps plein ayant subséquemment participé à la réunion du comité de direction qui a fait droit à la demande. Il y a eu appel de cette décision pour les deux motifs suivants: en premier lieu, seuls les membres du Conseil qui ont assisté à l'audience auraient participer à la décision; en second lieu, le Conseil a commis une erreur de droit en recevant et en prenant en considération les dépositions des témoins-experts que les appe- lants n'ont pu contre-interroger.
Arrêt: l'appel doit être rejeté. En ce qui concerne le premier argument des appelants, la règle générale selon laquelle «seuls ceux qui ont participé à l'audience peuvent participer à la décision» ne s'applique pas lorsqu'elle est exclue par la loi qui régit le cas. Telle était la situation en l'espèce. Même s'ils n'ont pas un caractère obligatoire, les motifs prononcés par le juge en chef Laskin dans l'affaire Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes c. CTV Television Net work Limited, et autres établissent clairement que la règle générale ne s'applique pas aux décisions rendues par le comité de direction du Conseil en vertu de l'article 17 de la Loi sur la radiodiffusion, à la suite d'une audience tenue en vertu de l'article 19. Le comité de direction, par opposition à l'ensemble du Conseil, pouvait rendre la décision et il devait le faire. Les conditions qu'il avait initialement imposées concernant les licences des filiales de Premier prévoyaient que le Conseil devait approuver tout changement dans le contrôle de ces filiales; c'était toutefois le comité de direction qui devait donner cette approbation.
Les appelants ont prétendu en second lieu qu'en vertu de la décision du Conseil de tenir une audience publique, ils avaient le droit d'être entendus et de contester la demande, et qu'en les empêchant de contre-interroger les experts, on leur a refusé le droit de contester la demande de façon efficace. Cependant, aucune disposition de la Loi sur la radiodiffusion ou des règlements applicables n'accorde expressément ou implicite- ment aux personnes qui comparaissent devant le Conseil le droit de contre-interroger les témoins. Un tel droit ne fait pas partie intégrante d'une audience publique et il ne peut découler
implicitement d'une loi pour le motif qu'il en fait intégralement partie. En outre, la justice naturelle n'exige pas toujours que les parties à une audience puissent avoir le droit de contre-interro- ger. Elle n'imposait aucune obligation de la sorte en l'espèce, puisque les appelants ne faisaient l'objet d'aucune accusation, qu'il n'y avait aucun litige les opposant à la requérante et que la décision du Conseil ne pouvait toucher directement leurs droits. Sous réserve de ses règles, le Conseil était maître de sa procé- dure au cours de l'audience. Il devait seulement agir de bonne foi et écouter impartialement les deux parties.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunica- tions canadiennes c. CTV Television Network Limited, et autres, [1982] 1 R.C.S. 530; 41 N.R. 271.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Municipalité du canton d'Innisfil c. Municipalité du canton de Vespra, et autres, [1981] 2 R.C.S. 145; Board
of Education v. Rice, et al., [1911] A.C. 179 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Hoffman -La Roche Limited v. Delmar Chemical Lim ited, [1965] R.C.S. 575; Armstrong c. L'État du Wiscon- sin et autre, [1973] C.F. 437 (C.A.); Le Syndicat inter national des marins canadiens c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1976] 2 C.F. 369 (C.A.); In re le Conseil de la Radio- Télévision cana- dienne et in re la London Ccble TV Limited, [1976] 2 C.F. 621 (C.A.); In re la Los antidumping et in re une nouvelle audition dans la décision A-16-77, [1980] 1 C.F. 233 (C.A.).
AVOCATS:
A. J. Roman pour les appelants.
A. Cohen et P. A. Wylie pour le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, intimé.
P. Genest, c.r. et I. A. Blue pour Canadian Cablesystems Limited et Premier Communi cations Limited, intimées.
PROCUREURS:
The Public Interest Advocacy Centre, Toronto, pour les appelants.
Conseiller juridique, Conseil de la radiodif- fusion et des télécommunications canadien- nes, Hull (Québec), pour le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, intimé.
Cassels, Brock, Toronto, pour Canadian Cablesystems Limited et Premier Communi cations Limited, intimées.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: À la suite de l'autorisation accordée par cette Cour en vertu de l'article 26 de la Loi sur la radiodiffusion [S.R.C. 1970, chap. B-11, mod. par S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 65 (Item 2)], appel est interjeté d'une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommu- nications canadiennes qui approuvait la prise de contrôle par Canadian Cablesystems Limited (CCL) de Premier Communications Limited (Pre- mier) et de ses filiales titulaires d'une licence.
CCL a présenté une requête devant le Conseil. A cette époque, elle contrôlait déjà, par le biais de ses filiales, des réseaux de câblodistribution dans le sud de l'Ontario et en Alberta et constituait déjà la plus importante entreprise de câblodistribution au Canada. Elle entendait acquérir le contrôle de Premier qui, par le biais de sept filiales titulaires d'une licence, exploitait la deuxième plus impor- tante entreprise de câblodistribution au pays. Le Conseil devait autoriser cette acquisition puisque les licences de radiodiffusion des sept filiales de Premier étaient accordées à la condition expresse que le contrôle véritable de ces compagnies ne puisse être transféré sans son autorisation. CCL a demandé cette autorisation au début du mois de mars 1980 et, en présentant sa demande au Con- seil, elle a déposé une documentation volumineuse, dont certaines parties ont été appelées «Livre brun» et «Livre bleu» par les appelants. Dans leur mémoire, ceux-ci décrivent les documents contenus dans ces deux livres de la façon suivante:
[TRADUCTION] 12. En plus des renseignements de base deman dés par le CRTC, et des plans et engagements ordinaires de la requérante visant à montrer les avantages qui pourraient résul- ter d'une réponse favorable à la demande, le Livre brun con- tient une étude, sous la «Section II, Partie E», intitulée Plans de financement de la requérante. Cette section contient une impor- tante étude prévisionnelle des tendances économiques, sur laquelle la requérante s'est fondée pour convaincre le Conseil de l'utilité et de la praticabilité de ses plans de financement de la prise de contrôle. On y trouve des prévisions quinquennales pour les opérations de CCL et de Premier. Pour financer la prise de contrôle, CCL envisageait d'obtenir un important prêt bancaire dont le remboursement serait à la charge des abonnés. Les prévisions contiennent un certain nombre «d'hypothèses importantes», fondées sur une étude économique préparée par James R. LymBurner & Sons Limited à la demande de CCL. Cette étude incluait notamment une projection des taux d'infla- tion et d'intérêt pour la période de 1980 à 1985 et une projection, pour la même période, du taux de change du dollar canadien par rapport au dollar américain.
13. On trouve en outre dans le Livre brun un résumé des huit études contenues dans le Livre bleu. Voici ce que la requérante déclare au début de cette section:
La Section III de la présente demande contient des études préparées à la demande de la requérante et qui servent de fondement au corps de la demande.
14. Le Livre bleu contient huit études préparées sous les auspices de différentes firmes de consultants et portant sur divers aspects de l'industrie de la câblodistribution en général, ainsi qu'un examen particulier de CCL et des prévisions sur les tendances futures. Les études portent sur des sujets d'impor- tance capitale pour la défense des principaux arguments de la requérante. Elles appuient (et dans plusieurs cas, elles défen- dent ouvertement) le projet de prise de contrôle.
15. Toutes les études ne portent pas la signature de leurs auteurs. Certaines indiquent simplement les conclusions de leurs auteurs, qui sont vraisemblablement fondées sur leurs recherches, hypothèses et constatations, lesquelles ne sont pas incluses. Plusieurs études sont fondées, au moins en partie, sur des enquêtes auprès de groupes et auprès des abonnés de la requérante. De plus, la plupart des études n'indiquent à peu près pas les titres de compétence des auteurs ni les méthodes utilisées pour concevoir et faire les études et interpréter les résultats.
Le 31 mars 1980, le CRTC a publié un avis public annonçant qu'une audience publique aurait lieu le 20 mai 1980, en vue d'examiner la demande de CCL. Cet avis décrivait la demande et indiquait une liste d'endroits le public pourrait en pren- dre connaissance.
Le 29 avril 1980, les appelants ont déposé une intervention en vertu des articles 13, 14 et 15 des Règles de procédure du CRTC [C.R.C., chap. 375]'. Dans cette intervention, les appelants se sont opposés à la demande de CCL et ils ont demandé l'autorisation de contre-interroger les auteurs des études contenues dans le Livre bleu. Voici les motifs de la demande du contre-interro- gatoire tels que résumés dans le mémoire des appelants:
[TRADUCTION] 1) Les auteurs de plusieurs études n'ont pas été identifiés. Le contre-interrogatoire visait à identifier tous les auteurs et à vérifier leur compétence pour exprimer les opinions énoncées dans les études.
2) Les plans de financement de la requérante ainsi que sa prétendue capacité de remplir les engagements énoncés dans le corps de sa demande se fondaient manifestement sur les prévi-
' Les articles 13 et 15 des Règles prévoient notamment ce qui suit:
13. Toute personne ... qu'intéresse une demande ... peut déposer auprès du Conseil une intervention dans le but d'appuyer une demande, de s'y opposer ou de la modifier.
15. L'intervention doit être déposée et signifiée au moins 20 jours avant la date d'ouverture de l'audience ...
sions économiques qu'elle a préparées ainsi que James LymBur- ner & Sons Limited. L'intervenant cherchait à déterminer la façon dont ces prévisions ont été préparées par leur auteur.
3) Certaines des études étaient un résumé des constatations ou des conclusions auxquelles leurs auteurs étaient arrivés, et comme le fondement de ces conclusions n'était pas fourni, le contre-interrogatoire était le meilleur moyen de connaître la preuve que l'intervenant aurait à faire et de vérifier les hypo- thèses et la recherche sur lesquelles les conclusions s'ap- puyaient.
4) Les appelants ont demandé au Conseil d'ordonner à la requérante de divulguer certains renseignements ou, subsidiai- rement, de leur permettre de la contre-interroger pour obtenir les renseignements demandés qui pourraient être nécessaires à l'exposé de leur cause. Si le Conseil refusait d'ordonner cette divulgation, il ne servirait à rien aux appelants de faire appel à leur propre expert pour préparer leur preuve, étant donné que les études ne contenaient pas suffisamment de données concrè- tes pour permettre à leurs experts d'analyser, d'accepter ou de rejeter les conclusions contenues dans les études. Par consé- quent, le contre-interrogatoire constituait le seul moyen pour les appelants de vérifier et de repousser cette preuve.
Dans un télex en date du 6 mai 1980, le Conseil a rejeté la demande de contre-interrogatoire des appelants. Ce télex est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] LA DEMANDE VISANT A OBTENIR LA POSSIBI- LITÉ DE CONTRE-INTERROGER LES AUTEURS DES DIFFÉREN- TES ÉTUDES, QUI FONT PARTIE DES DEMANDES, AINSI QUE LES ADMINISTRATEURS ET LES GESTIONNAIRES DE CANA- DIAN CABLESYSTEMS ET DE PREMIER COMMUNICATIONS A ÉTÉ EXAMINÉE; LE CONSEIL A CEPENDANT CONCLU QU'IL N'Y A AUCUNE RAISON MAJEURE POUR LAQUELLE IL DEVRAIT, A CE MOMENT-CI, DÉROGER À SA POLITIQUE ET A SA PRATIQUE ÉTABLIES A CET ÉGARD ET VOTRE DEMANDE EST DONC REJETÉE.
LE CONSEIL A ORDONNÉ A LA REQUÉRANTE DE FAIRE EN SORTE QUE LES AUTEURS DES RAPPORTS QU'ELLE VEUT FAIRE EXAMINER PAR LE CONSEIL SOIENT PRÉSENTS A L'AUDIENCE PUBLIQUE POUR QU'ILS PUISSENT ÊTRE INTERROGÉS PAR CE DERNIER.
L'audience publique a débuté le 20 mai 1980 et elle a duré quatre jours. À l'ouverture, l'avocat des appelants a de nouveau demandé la permission de contre-interroger les auteurs des études contenues dans le Livre bleu. Cette demande a été rejetée. Au cours de l'audience, aucun des témoins-experts n'a été assermenté ni contre-interrogé par l'une ou l'autre des parties. Les membres et les avocats du Conseil ont cependant interrogé quelques-uns des experts qui ont rédigé les études dans le Livre bleu. L'avocat des appelants a fait des observations orales mais il n'a pas tenté de réfuter ces études en ayant recours à des témoignages d'experts.
Neuf membres du Conseil ont siégé à l'audience publique: six membres à temps plein et trois mem-
bres à temps partiel. Après l'audience, la question en litige a été examinée au cours des réunions du Conseil tenues les 9 et 10 juillet 1980. Les neuf membres qui avaient siégé à l'audience, ainsi que cinq autres membres, ont participé à ces réunions: l'un d'eux, M. Lasalle, était un membre à temps plein, et les quatre autres étaient des membres à temps partiel. Au cours d'une réunion du comité de direction du Conseil tenue le 11 juillet 1980, il a été décidé de faire droit à la demande de CCL. Les six membres du Conseil qui avaient siégé à l'au- dience publique ont participé à cette réunion en compagnie de M. Lasalle qui n'était pas présent à cette audience.
Le Conseil a rendu sa décision le 30 juillet 1980. Il ressort des motifs de cette décision qu'il s'est prononcé en faveur de CCL après avoir examiné la preuve et les arguments.
En vertu d'une ordonnance de cette Cour rendue le 7 avril 1981, les appelants ont obtenu l'autorisa- tion d'interjeter appel de cette décision unique- ment sur les deux questions de droit suivantes:
[TRADUCTION] I. Dans les circonstances de la présente affaire, les membres du Conseil qui ont rendu la décision attaquée avaient-ils compétence pour le faire?
2. Le Conseil a-t-il commis une erreur de droit en recevant et prenant en considération des rapports d'experts inclus dans le dossier soumis par l'intimée Canadian Cablesystems Limited sans que les experts concernés soient assermentés et en refusant aux requérants la possibilité de contre-interroger ces experts?
I. Les membres du Conseil qui ont rendu la déci- sion avaient-ils compétence pour le faire?
Il est admis que la décision attaquée n'a pas été rendue uniquement par les membres du Conseil qui ont siégé à l'audience publique. Les appelants prétendent que seuls les membres du Conseil qui avaient siégé à l'audience publique auraient participer à la décision.
En général, un membre d'un tribunal qui parti- cipe à une décision commet un déni de justice naturelle s'il n'a pas entendu tous les témoignages et arguments 2 . Toutefois, cette règle est clairement inapplicable lorsqu'elle est exclue par la loi qui
2 Voir: de Smith's Judicial Review of Administrative Action, quatrième édition, par J. M. Evans, p. 219.
régit le cas. Telle est, à mon avis, la situation en l'espèce.
La décision de la Cour suprême du Canada rendue dans l'arrêt Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes c. CTV Television Network Limited, et autres [[1982] 1 R.C.S. 530]; 41 N.R. 271, établit clairement, à mon avis, que le principe selon lequel [TRADUC- TION] «Celui qui a participé à l'audience peut participer à la décision» ne s'applique pas aux décisions rendues par le comité de direction du CRTC en vertu de l'article 17 de la Loi sur la radiodiffusion à la suite d'une audience publique tenue en application de l'article 19 de cette Loi. L'avocat des appelants a fait valoir que ce que le juge en chef Laskin a dit à ce sujet dans l'affaire CTV était une opinion incidente et ne liait pas ce tribunal. Même s'il en était ainsi, il me semble que cette opinion du juge en chef est si bien fondée qu'elle devrait être suivie.
Pour justifier l'argument selon lequel la décision de la Cour suprême dans l'affaire CTV ne s'appli- que pas en l'espèce, l'avocat des appelants a sou- tenu que la décision attaquée devait être rendue par tous les membres du Conseil et qu'en fait, elle a été rendue par le Conseil plutôt que par le comité de direction. Cet argument est indéfendable. En premier lieu, le dossier montre clairement que la décision attaquée a été rendue par le comité de direction du Conseil. L'assertion de l'avocat selon laquelle cette décision a été rendue par le Conseil contredit l'affidavit du secrétaire du Conseil. En second lieu, la décision attaquée devait être rendue par le comité de direction plutôt que par le Con- seil. Le CRTC devait approuver la prise de con- trôle de Premier et de ses filiales parce que le comité de direction avait assujetti les licences de radiodiffusion de ces filiales à la condition que le contrôle effectif de celles-ci ne puisse être changé sans l'approbation du Conseil. Ce pouvoir d'ap- prouver un transfert du contrôle des compagnies titulaires d'une licence découlait simplement de son pouvoir de délivrer des licences et le comité de direction a exercé ce pouvoir à bon droit. En d'autres termes, lorsqu'en délivrant des licences aux filiales de Premier, le comité de direction a exigé que tout changement dans le contrôle effectif des filiales soit approuvé par le Conseil, il voulait manifestement dire qu'il s'agissait de l'approbation du comité de direction et non de celle de tous les
membres du Conseil.
Pour ces motifs, je suis d'avis que le premier argument des appelants devrait être rejeté.
II. Le Conseil a-t-il commis une erreur de droit en recevant et en prenant en considération des rapports d'experts dont l'authenticité n'avait pas été attestée sous serment sans accorder aux appelants la possibilité de contre-interroger ces experts?
Il convient de souligner que les appelants ont renoncé expressément à leur prétention selon laquelle le Conseil a commis une erreur en rece- vant en preuve des rapports d'experts n'ayant pas fait l'objet de serments. Ils prétendent uniquement, en ce qui concerne cet aspect du litige, que le Conseil a enfreint les règles de justice naturelle lorsque, après avoir refusé aux appelants le droit de contre-interroger les auteurs des études conte- nues dans le Livre bleu, il a néanmoins pris ces études en considération en rendant sa décision.
Avant de statuer sur la demande de CCL, le Conseil a décidé de tenir des audiences publiques au cours desquelles toutes les parties intéressées avaient, conformément aux Règles du Conseil, le droit d'être entendues. Les appelants avaient donc le droit, selon leur avocat, de comparaître devant le Conseil et de contester la demande de CCL; en les empêchant de contre-interroger les experts, dit-il, le Conseil leur a refusé le droit de contester la demande de CCL de façon efficace. L'avocat a fondé ces arguments principalement sur la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Municipalité du canton d'Innisfil c. Municipalité du canton de Vespra, et autres' il a été jugé que la Commission municipale de l'On- tario avait commis une erreur de droit en refusant à une partie qui avait comparu devant elle pour contester une demande, le droit de contre-interro- ger un témoin dont la déposition appuyait la demande.
3 [ 1 98 1 ] 2 R.C.S. 145.
À mon avis, l'arrêt Innisfil ne s'applique pas en l'espèce. Dans cette affaire, la législature avait, comme l'a décidé la Cour suprême 4 ,
... fait obligation à la Commission d'entendre toutes les oppo- sitions et, en vertu de l'al. 10c) et du par. 23(2) de The Statutory Powers Procedure Act, 1971, précitée, exigé que la Commission accorde aux parties la possibilité de contre-interro- ger les témoins.
Si j'interprète bien cette décision, c'est pour cette raison que la Cour a jugé que la Commission municipale de l'Ontario avait commis une erreur de droit en refusant le droit de contre-interroger. La situation en l'espèce est tout à fait différente. Aucune disposition de la Loi sur la radiodiffusion ou des règlements applicables n'accorde expressé- ment aux personnes qui comparaissent devant le Conseil le droit de contre-interroger les témoins. Je ne peux non plus trouver de disposition qui recon- naît implicitement ce droit. Selon l'article 19 de la Loi sur la radiodiffusion, le Conseil n'était aucu- nement obligé de tenir une audience publique con- cernant la demande de CCL à moins d'estimer «qu'une telle audition est souhaitable». Si le Con- seil avait décidé de ne pas tenir d'audience, les appelants n'auraient pas eu la possibilité de com- paraître devant lui, de contester la demande et de contre-interroger les témoins. En l'absence d'une disposition législative accordant expressément aux personnes qui comparaissent à une audience publi- que le droit de contre-interroger, il est impossible d'affirmer que la loi confère ce droit aux appelants à moins que l'on ne considère que le droit en question fait partie intégrante d'une audience publique, proposition qui, à mon avis, ne repose sur aucun fondement jurisprudentiel. Par conséquent, aucune disposition législative ne prévoyait l'obliga- tion d'accorder aux appelants la possibilité de contre-interroger.
L'avocat des appelants a également invoqué les principes de justice naturelle et prétendu que le Conseil a violé ces principes en lui refusant le droit de contre-interroger. Il est admis que la justice naturelle n'exige pas toujours que les parties à une audience puissent avoir le droit de contre-interro-
4 [1981] 2 R.C.S. 145, la p. 171, premier paragraphe
complet.
gel- 5 . À mon avis, il n'y avait aucune obligation de la sorte dans les circonstances de l'espèce. Il ne s'agissait pas d'une audience visant à faire la lumière sur une accusation portée contre les appe- lants; il n'y avait aucun litige opposant les appe- lants et la requérante devant le Conseil; la décision que celui-ci devait rendre ne pouvait toucher direc- tement les intérêts des appelants. La question que le Conseil devait trancher était de savoir s'il pou- vait, dans l'intérêt public, autoriser CCL à acqué- rir le contrôle de plusieurs compagnies de câblodis- tribution. Il avait le pouvoir de tenir une audience publique à ce sujet et, sous réserve des Règles adoptées en vertu de l'article 21 de la Loi sur la radiodiffusion, il était, au cours de cette audience, maître de la procédure. Il était tenu de suivre ses règles de procédure, qui ne font aucunement men tion du droit de contre-interroger, et [TRADUC- TION] «d'agir de bonne foi et d'écouter impartiale- ment les deux parties.. .» 6 I l n'y avait, à mon avis, aucune obligation d'accorder aux appelants ou à toute autre personne la possibilité de contre-inter- roger les témoins.
Par ces motifs, je rejetterais l'appel.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE SUPPLÉANT COWAN: Je souscris à ces motifs.
5 Voir: Hoffman -La Roche Limited v. Delmar Chemical Limited, [1965] R.C.S. 575; Armstrong c. L'État du Wisconsin
et autre, [1973] C.F. 437 (C.A.), aux pp. 440 444; Le Syndicat international des marins canadiens c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1976] 2 C.F. 369 (C.A.); In re le Conseil de la Radio-Télévision canadienne et in re la London Cable TV Limited, [1976] 2 C.F. 621 (C.A.), à la p. 623; In re la Loi antidumping et in re une nouvelle audition dans la décision A-16-77, [1980] 1 C.F. 233 (C.A.), à la p. 239; Municipalité du canton d'Innisfil c. Municipalité du canton de Vespra, et autres, [1981] 2 R.C.S. 145.
6 Board of Education v. Rice, et al., [1911] A.C. 179 (H.L.), à la p. 182.
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