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A-776-83
Frankie Hak Wo Lau (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Mar- ceau—Vancouver, 7 et 9 février 1984.
Immigration Expulsion ou interdiction de séjour Étudiant étranger qui a prolongé son séjour au Canada et y a exercé un emploi sans y être autorisé L'arbitre a prononcé une ordonnance d'expulsion au lieu d'un avis d'interdiction de séjour Le caractère délibéré et volontaire du comportement du requérant l'a emporté sur sa bonne réputation Suite à une demande fondée sur l'art. 28, l'ordonnance d'expulsion est annulée Le caractère délibéré d'un comportement ne suffit pas en soi à justifier une expulsion Il faut tenir compte de toutes les circonstances Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 27(2)b),e), 32(6) Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28.
Preuve Immigration Audition portant sur l'expulsion ou l'interdiction de séjour L'arbitre a admis en preuve une note de service comportant certaines allégations non fondées et pouvant causer du tort au requérant L'arbitre leur a accordé «peu d'importance» Il aurait les rejeter entière- ment L'ordonnance d'expulsion est annulée.
Le requérant, qui vient de Hong Kong, est entré au Canada sur la foi d'un visa d'étudiant en décembre 1976. Le visa, valide jusqu'au 30 juin 1981, ne l'autorisait pas à exercer un emploi. A la fin de ses études universitaires, au printemps 1981, le requérant a commencé à travailler dans une agence de voyages; c'est qu'il travaillait lors de son arrestation en mai 1983 aux termes de l'article 104 de la Loi sur l'immigration de 1976. L'arbitre a opté pour une ordonnance d'expulsion, reconnais- sant que le requérant s'était attiré le respect de ses collègues, mais en concluant toutefois que cela n'excusait pas son compor- tement «volontaire et délibéré» ni sa «manifestation de ... mauvaise foi vis-à-vis des autorités» en se cherchant un emploi alors qu'il n'était pas autorisé à le faire. L'ordonnance d'expul- sion était également fondée sur le fait que le requérant était demeuré au Canada après avoir perdu sa qualité de visiteur, en contravention de l'alinéa 27(2)e) de la Loi. Invoquant l'article 28, le requérant demande à la Cour d'appel fédérale d'examiner la décision de l'arbitre. Le requérant ne conteste pas les conclu sions de l'arbitre selon lesquelles il faisait partie des catégories de personnes non admissibles visées par les alinéas 27(2)b) et e) de la Loi, mais la décision de l'arbitre de prononcer une ordonnance d'expulsion au lieu d'un avis d'interdiction de séjour.
Arrêt: la demande devrait être accueillie. L'ordonnance d'ex- pulsion est annulée et l'affaire renvoyée à l'arbitre pour qu'il rende une décision appropriée.
La Cour ne peut souscrire au raisonnement de l'arbitre portant que le comportement «volontaire et délibéré» du requé- rant l'emporte sur les circonstances qui lui sont favorables. Dans la plupart des cas, un requérant agit délibérément, c'est-à-dire qu'il prolonge sciemment son séjour ou accepte
sciemment un emploi. Si le caractère délibéré d'un comporte- ment suffisait en lui-même pour permettre à un arbitre de refuser d'émettre un avis d'interdiction de séjour, il serait alors difficile d'imaginer un cas il y aurait lieu d'émettre un avis d'interdiction de séjour. Le paragraphe 32(6) impose à l'arbitre de tenir compte de toutes les circonstances lorsqu'il décide entre l'expulsion ou l'interdiction de séjour. Le Parlement a conféré à l'arbitre un pouvoir discrétionnaire que celui-ci doit exercer même s'il y a eu violation de la Loi.
Une autre erreur commise par l'arbitre constitue un deuxième motif d'annulation de l'ordonnance d'expulsion. L'ar- bitre a admis en preuve une note de service contenant des allégations selon lesquelles le requérant serait entré au Canada en ayant fourni de faux renseignements. Ces allégations non fondées ont causé du tort au requérant et l'arbitre, qui dit leur avoir accordé peu d'importance, aurait les rejeter entièrement.
AVOCATS:
R. Cantillon pour le requérant. M. Taylor pour l'intimé.
PROCUREURS:
Cantillon & McKenzie, Vancouver, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Le requérant attaque, au moyen d'une demande fondée sur l'article 28 [de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10], une ordonnance d'expulsion rendue contre lui et reposant sur les conclusions de l'arbitre selon lesquelles premièrement, il était une personne visée par l'alinéa 27(2)e) de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52] parce qu'il est entré au Canada en qualité de visiteur et y est demeuré après avoir perdu cette qualité; et deuxièmement, il était une personne visée par l'alinéa 27(2)b) de la Loi parce qu'il a pris un emploi au Canada sans avoir de permis de travail en cours de validité, en contravention avec le paragraphe 18(1) du Règlement sur l'immigra- tion de 1978 [DORS/78-172]. À l'audience devant notre Cour, l'avocat du requérant (qui le représen- tait aussi à l'enquête) n'a pas, ni à l'enquête ni devant nous, sérieusement contesté les conclusions de l'arbitre portant que, compte tenu de la preuve soumise, le requérant faisait partie des catégories de personnes non admissibles visées par les alinéas
27(2)b) et 27(2)e) de la Loi. Il a contesté plutôt la décision de l'arbitre, prise en vertu du paragraphe 32(6) de la Loi, de prononcer une ordonnance d'expulsion en l'espèce plutôt qu'un avis d'interdic- tion de séjour.
Sur cette question, l'arbitre a correctement décrit, à mon avis, le critère applicable exposé au paragraphe 32(6) de la Loi. Il s'est dit convaincu, compte tenu de la preuve, que le requérant quitte- rait le Canada dans le délai imparti fixé par l'arbitre dans l'avis d'interdiction de séjour. Par la suite, il s'est demandé si les circonstances devraient donner lieu à une ordonnance d'expul- sion ou à un avis d'interdiction de séjour. Il a ensuite passé en revue lesdites circonstances (dos- sier conjoint aux pages 34 et 35) que l'on peut résumer de la façon suivante. Le requérant, qui a 30 ans, vient de Hong Kong. Il est arrivé au Canada en décembre 1976 muni d'un visa d'étu- diant. Ce visa l'autorisait à faire des études du début de l'année 1976 jusqu'à la fin juin 1981. Voici les conditions mentionnées sur le permis:
[TRADUCTION] 1. Ne peut exercer d'emploi.
2. Doit fréquenter l'Université de l'Alberta à l'exclusion de toute autre.
3. Le permis expire le 30 juin 1981.
Après un bref séjour à l'étranger pendant l'hiver 1980-81, il est revenu au Canada en février 1981 sur la foi du permis de séjour pour étudiant en cours de validité que l'on vient de décrire. Après avoir obtenu son diplôme de l'Université de l'Al- berta, à Edmonton, au printemps 1981, il a com- mencé à , travailler à Vancouver en juin 1981 comme organisateur de circuits dans une agence de voyages. Il a conservé cet emploi jusqu'à ce qu'il soit arrêté en mai 1983, en conformité avec l'article 104 de la Loi sur l'immigration de 1976. Voici ce que dit l'arbitre à la page 35 du dossier conjoint:
[TRADUCTION] Il semble que suite à un renseignement prove- nant de source anonyme, des fonctionnaires de l'immigration se soient rendus à votre lieu de travail le 4 mai de l'année en cours, vous aient questionné et finalement vous aient mis sous leur garde. La preuve démontre qu'au début, vous avez déclaré être un citoyen canadien qui avait obtenu son droit d'établisse- ment en 1976. Lors de cet entretien, vous ne saviez pas que votre interlocuteur était un fonctionnaire de l'immigration et vous avez indiqué dans votre déposition que lorsqu'il a révélé son identité, vous avez reconnu que vous n'aviez pas le droit d'être au Canada. Vous avez été arrêté suite à cette série d'événements.
Maintenant, comme votre avocat l'a souligné, vous vous êtes attiré le respect de vos collègues, tant sur le plan personnel que professionnel.
J'ai l'impression que vous étiez sincère lors de cette enquête et j'ajouterais que votre comportement est tout à votre honneur. Toutefois, vous étiez étudiant et, à la fin de vos études, vous avez choisi de demeurer au Canada. Je remarque aussi que même lorsque vous étiez étudiant vous ne respectiez pas la loi. Vous avez déclaré dans votre témoignage que lorsque vous fréquentiez l'Université de l'Alberta, vous travailliez comme garçon de table à temps partiel, deux jours par semaine. Visiblement, vous n'aviez pas l'autorisation d'exercer un emploi et vous avez fait cela dans le but d'augmenter l'allocation que votre famille vous envoyait.
La Partie I du Règlement sur l'immigration qui était en vigueur au moment de votre arrivée au Canada, pour vos études, exigeait que vous ayez des ressources financières suffisantes pour subvenir à vos besoins et interdisait expressément aux étudiants d'exercer un emploi sans obtenir l'autorisation écrite préalable d'un fonctionnaire de l'immigration. De la même façon, la loi actuelle considère que les étudiants ne font pas normalement partie de la population active durant leur séjour au Canada et interdit également à un étudiant d'exercer un emploi sans y être autorisé.
On a dit beaucoup de bien à votre sujet mais je dois conclure, étant donné votre comportement durant et après vos études, que je ne suis pas convaincu qu'une ordonnance d'expulsion ne devrait pas être rendue.
Votre réputation professionnelle ne vous dispense pas, selon moi, des conséquences de votre comportement qui doit être considéré comme la manifestation de votre mauvaise foi vis-à- vis des autorités, tant lorsque vous résidiez légalement au Canada à titre d'étudiant que durant les deux années suivantes. Rien dans la preuve ne montre que votre décision de demeurer et travailler illégalement au Canada fut autre chose qu'un acte volontaire et délibéré.
Pour ces motifs, j'ai décidé d'ordonner votre expulsion. Après votre renvoi du Canada, il vous sera interdit d'y revenir sans obtenir le consentement préalable du Ministre.
La difficulté réside à mon avis dans l'avant-der- nier paragraphe de cet extrait, que je considère comme la ratio sur laquelle l'arbitre s'est fondé pour prononcer une ordonnance d'expulsion plutôt qu'un avis d'interdiction de séjour. Dans ce para- graphe, l'arbitre semble dire que, bien qu'une grande partie de la preuve soumise et de nombreu- ses circonstances de l'affaire, notamment sa répu- tation professionnelle et sa crédibilité, soient tout à l'éloge du requérant, le fait néanmoins qu'il ait, sans autorisation, prolongé son séjour au Canada et accepté un emploi l'emporte sur les circons- tances qui lui sont favorables et neutralise leur effet parce qu'il s'agit d'actes «volontaires et déli- bérés». Je ne puis souscrire à ce raisonnement. À mon avis, dans la plupart des affaires de ce genre, le requérant agit délibérément et volontairement, c'est-à-dire qu'il prolonge sciemment son séjour ou accepte sciemment un emploi, sans autorisation. Si
ces circonstances suffisaient en elles-mêmes pour permettre à un arbitre de refuser d'émettre un avis d'interdiction de séjour, malgré l'existence de nom- breux autres facteurs favorables au requérant, il serait alors difficile d'imaginer un cas il y aurait lieu d'émettre un avis d'interdiction de séjour. Dans tous les cas, le choix entre l'expulsion et l'interdiction de séjour en vertu du paragraphe 32(6) n'intervient qu'après la constatation par l'ar- bitre qu'un requérant fait partie d'une catégorie de personnes non admissibles. Donc, il y a violation des dispositions de la Loi sur l'immigration de 1976 dans chaque cas exigeant une décision selon le paragraphe 32(6). Comme je l'ai déjà souligné, je crois qu'on pourrait aussi dire que dans la plupart des cas, l'illégalité résulte d'un acte déli- béré de la part du requérant. Toutefois, le paragra- phe (6) de l'article 32 impose à l'arbitre de tenir compte de toutes les circonstances d'une affaire lorsqu'il décide entre l'expulsion ou l'interdiction de séjour.
Pour les motifs que je viens d'exposer, je conclus qu'en l'espèce, l'arbitre a accordé une importance exagérée au fait qu'il y a eu violation de la Loi sur l'immigration de 1976. Si le Parlement avait voulu en faire le facteur dominant et déterminant, il ne lui aurait servi à rien de conférer à l'arbitre le pouvoir discrétionnaire du paragraphe 32(6). En conférant ainsi un pouvoir discrétionnaire, le Par- lement voulait certainement que l'arbitre examine toutes les circonstances d'une affaire et le pouvoir discrétionnaire en question comporte implicite- ment le pouvoir d'émettre des avis d'interdiction de séjour lorsque toutes les circonstances le justifient, même s'il y a eu violation de la Loi sur l'immigra- tion de 1976. Par conséquent, je conclus que l'arbi- tre a mal interprété les limites du pouvoir discré- tionnaire que le paragraphe 32(6) de la Loi lui accorde et que cette mauvaise interprétation cons- titue une erreur de droit annulable par la Cour en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
L'avocat du requérant a soulevé une autre objec tion concernant la procédure devant l'arbitre. Elle porte sur l'admission par l'arbitre de la pièce C4, lors de l'enquête. Ce document est censé être une note de service datée du 30 janvier 1976 adressée par un certain F. B. Webster, enquêteur spécial à Vancouver, au Commissariat du Canada, Section
de la main-d'oeuvre et de l'immigration, Hong Kong. La note de service est rédigée dans les termes suivants:
[TRADUCTION] LAU Hak Wo (Frankie
1. Le 10 décembre 1975, votre service émettait un visa de non-immigrant en vertu de l'alinéa 7(1)c) à M. Lau, le 4 octobre 1953. Le 23 décembre 1975, M. Lau demandait que son statut soit modifié pour celui d'étudiant; il fut arrêté par la suite en vertu des dispositions du sous-alinéa 18(1)e)(viii) de la Loi sur l'immigration pour être entré au Canada sous de faux renseignements ou des renseignements trompeurs qu'il avait fournis. Une enquête a été ouverte puis ajournée, quand M. Lau a demandé d'être représenté par un avocat. Nous venons d'être informés que M. Lau a pris l'avion pour Hong Kong, par Japanese Airlines, le 27 décembre 1975. Toutefois, il a été impossible de confirmer son départ.
2. Nous vous saurions gré de vérifier si M. Lau se trouve bien à Hong Kong; sa dernière adresse était 989 King's Road, app. C2, 11/F Hong Kong. En outre, la direction du collège Colum- bia nous informe qu'elle lui a envoyé une lettre d'acceptation que M. Lau pourra présenter après mai 1976.
La transcription de l'enquête révèle que la pièce C4 a été admise en preuve malgré les objections soulevées par l'avocat du requérant. L'avocat a contesté son admission parce que, premièrement, le document n'avait pas été établi sous serment et que, deuxièmement, on ne lui avait pas donné l'occasion de contre-interroger le signataire de la lettre sur son contenu. L'arbitre a admis la note de service en preuve et a réservé sa décision quant à l'importance à lui accorder. Dans ses motifs, il a tranché la question de la manière suivante:
[TRADUCTION] Le représentant du Ministre a tiré des conclu sions défavorables des circonstances entourant votre voyage et de la modification ultérieure de votre permis; il me semble toutefois que vos explications sont aussi plausibles que crédi- bles. J'accorde donc très peu d'importance aux événements de 1975 dans ma décision sur la présente enquête. [C'est moi qui souligne.]
À mon avis, l'arbitre n'aurait accorder aucune importance à ce document. La note porte uniquement sur des allégations selon lesquelles le requérant serait entré au Canada en ayant fourni des renseignements faux ou trompeurs. Rien dans le dossier ne suggère que l'enquête ait eu lieu ni qu'un enquêteur spécial ait rendu une décision au sujet de ces allégations. En conséquence, il s'agit d'allégations qui ne sont ni prouvées ni fondées. Comme telles, elles pouvaient causer du tort au requérant et auraient être rejetées sur-le- champ. De plus, elles ont trait à des actes que le requérant aurait commis plus de sept ans avant la
tenue de l'enquête. Cette erreur de l'arbitre est moins grave à mon avis que la première dont j'ai parlé plus haut, puisqu'il a expressément indiqué qu'il accordait très peu d'importance aux événe- ments de 1975 dans sa décision sur l'enquête en cause. Toutefois, comme l'agent chargé de présen- ter le cas a mis l'accent sur l'importance de la pièce C4 dans sa dernière argumentation devant l'arbitre et comme il n'est pas possible de conclure que l'arbitre n'a pas été, jusqu'à un certain point, influencé par cet élément de preuve, cette autre erreur constitue, à mon avis, un deuxième motif pour ne pas maintenir l'ordonnance d'expulsion.
Par conséquent, et pour les motifs précités, je conclus que la demande fondée sur l'article 28 devrait être accueillie, l'ordonnance d'expulsion annulée et l'affaire renvoyée à un arbitre pour qu'il rende la décision qu'exige le paragraphe 32(6) de la Loi sur l'immigration de 1976 en tenant compte des présents motifs.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris. LE JUGE MARCEAU: Je souscris.
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