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A-1292-83
John A. Ziegler, Maple Leaf Gardens Limited, Northstar Hockey Partnership, Le Club de Hockey Canadien Inc., Meadowlanders Inc., Nassau Sports Limited, New York Rangers Hockey Club, Philadelphia Hockey Club Inc., Pittsburgh Penguins Inc., Le Club de Hockey les Nordiques (1979) Inc., Boston Professional Hockey Association Inc., Niagara Frontier Hockey Corporation, Calgary Flames Hockey Club, Chicago Blackhawk Team Inc., Detroit Red Wings Inc., Edmonton World Hockey Enterprises Ltd., Hartford Whalers Hockey Club, California Sports, Washington Hockey Limited Partnership, 8 Hockey Ventures Inc., Northwest Sports Enter prises Limited, John Krumpe, Paul Martha, Marcel Aubut, Paul Mooney, Robert Swados, William Wirtz, Brian O'Neill, Seymour Knox, Michael Ilitch, Howard Baldwin, Gerry Buss, George Gund, Robert Butera, Harold Ballard, et Barry Shenkarow (appelants)
c.
Lawson A. W. Hunter, directeur des enquêtes et recherches nommé en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions et O. G. Stoner, prési- dent de la Commission sur les pratiques restricti- ves du commerce, nommé en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions (intimés)
Cour d'appel, juges Le Dain, Marceau et Huges- sen—Montréal, 27 et 28 octobre; Ottawa, 29 novembre 1983.
Preuve Subpoenas délivrés en vertu de l'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ordonnant la produc tion de nombreux documents L'art. 17 ne viole pas le privilège contre l'auto-incrimination garanti par l'art. 2d) de la Déclaration des droits Le privilège contre l'auto-incrimi nation accordé par la common law au témoin a été abandonné L'art. 2d) et l'art. 5 de la Loi sur la preuve au Canada assurent une protection contre l'usage subséquent des témoi- gnages Les art. 5 et 2d) n'accordent pas de protection en ce qui concerne la communication forcée de documents Élé- ments de preuve qui en dérivent L'art. 13 de la Charte procure la protection requise Une ordonnance rendue en vertu de l'art. 17 constitue-t-elle une perquisition ou une saisie au sens de l'art. 8 de la Charte? La saisie était-elle abusive? Aucune violation de l'art. 8 Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 17(1), 20(2) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 8) Déclara- tion canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2d) Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 5 Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi
de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8, 13, 26
- Constitution des É.-U., Amendements IV, V. �=
Droit constitutionnel - Charte des droits - Fouilles, per- quisitions ou saisies - Subpoenas délivrés en vertu de l'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ordonnant la production de nombreux documents - Une ordonnance rendue en vertu de l'art. 17 constitue-t-elle une perquisition ou une saisie au sens de l'art. 8 de la Charte? - La saisie était-elle raisonnable? - Aucune violation de l'art. 8 - Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 17(1), 20(2) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 8) - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 2, 7, 8 - Indivi dual's Rights Protection Act, R.S.A. 1980, chap. 1-2, art. 21, 22, 23 - Constitution des É.-U., Amendement IV.
Coalitions - Subpoenas délivrés en vertu de l'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ordonnant la production de nombreux documents - L'art. 17 ne contrevient ni au privilège contre l'auto-incrimination garanti par la Déclaration des droits, ni à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives accordée par la Charte - Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 8b)(iii) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 4), 15, 17(1), 20(2) (mod., idem, art. 8), 33 - Déclaration cana- dienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2d) - Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 5 - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8, 13, 26 - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 18 Constitution des É.-U., Amendements IV, V.
Pratique - Subpoenas - Subpoenas duces tecum délivrés en vertu de l'art. 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ordonnant la production de nombreux documents - L'art. 17 ne contrevient pas au privilège contre l'auto-incrimi nation garanti par l'art. 2d) de la Déclaration des droits - L'art. 2d) et l'art. 5 de la Loi sur la preuve au Canada n'accordent pas de protection en ce qui concerne la communi cation forcée de documents - L'art. 13 de la Charte procure la protection requise - Une ordonnance rendue en vertu de l'art. 17 constitue-t-elle une perquisition ou une saisie au sens de l'art. 8 de la Charte? - La saisie était-elle raisonnable? - Aucune violation de l'art. 8 - Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, art. 17(1), 20(2) (mod. par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 8) - Déclaration cana- dienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2d) - Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 5 - Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 8, 13, 26 Constitution des É.-U., Amendements IV, V.
La Ligue nationale de hockey regroupe vingt équipes de hockey professionnel établies au Canada et aux Etats-Unis. Chacun des appelants était soit une corporation ou une société administrant une équipe membre de la Ligue, soit un particu- lier ayant des liens étroits avec la Ligue ou avec une équipe déterminée. Le directeur intimé a ouvert une enquête sur l'existence possible d'un monopole relatif à la formation et au fonctionnement de la ligue majeure de hockey professionnel. À
la demande du directeur, le président intimé a rendu des ordonnances en vertu de l'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions; ces ordonnances enjoignaient aux particuliers appelants de comparaître pour témoigner et, dans le duces tecum qui les accompagnait, elles exigeaient qu'ils produisent de nombreux documents.
Les appelants ont déposé une demande en Division de pre- mière instance afin d'obtenir une ordonnance interdisant aux intimés de donner suite aux ordonnances rendues en vertu de l'article 17 ou, subsidiairement, afin de faire annuler lesdites ordonnances. A la suite du rejet de cette demande, le présent appel a été interjeté. L'appel portait principalement sur deux questions: (A) Une ordonnance de production rendue en vertu de l'article 17 violait-elle l'alinéa 2d) de la Déclaration des droits? (B) Une ordonnance de production rendue en vertu de l'article 17 constituait-elle une perquisition ou une saisie abusi- ves au sens de l'article 8 de la Charte?
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Le Dain: (A) Il existe des précédents dans lesquels le privilège contre l'auto-incrimination accordé au témoin par la common law s'étendait à la production de documents. Cepen- dant, l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits n'est censé ni préserver ni garantir ce privilège accordé par la common law. Il prévoit qu'une personne peut être contrainte de fournir une preuve auto-incriminante et il la protège unique- ment contre l'emploi de ce témoignage dans des poursuites criminelles ultérieures. Au moment de l'adoption•de la Déclara- tion, ce genre de protection existait et était fourni par l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada.
L'alinéa 2d) et le paragraphe 5(2) concernent tous les deux la protection d'une personne contre l'auto-incrimination décou- lant de son témoignage. On a jugé que le paragraphe 5(2) n'accorde pas une protection contre l'auto-incrimination décou- lant de la communication forcée de documents, et il est clair qu'il ne protège pas non plus le témoin contre l'auto-incrimina tion découlant d'éléments de preuve qui en sont tirés. Les mêmes restrictions s'appliquent à la protection garantie par l'alinéa 2d).
La protection garantie par l'alinéa 2d) est fournie par le paragraphe 20(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Par conséquent, l'article 17 ne contrevient pas à l'alinéa 2d).
(B) Une ordonnance de la nature d'un subpoena duces tecum ne constitue ni une perquisition ni une saisie au sens de l'article 8 de la Charte. L'opinion émise sur ce sujet dans l'arrêt Alberta Blue Cross Plan est erronée.
On considère qu'un subpoena duces tecum ne constitue ni une perquisition ni une saisie au sens du Quatrième amende- ment à la Constitution des États-Unis, et bien qu'on parle des exigences qui ont été imposées aux États-Unis quant à ces subpoenas comme des restrictions apportées par le Quatrième amendement, on peut se demander si cette dernière disposition constitue le véritable fondement constitutionnel desdites exigen- ces. De toute façon, étant donné que ces exigences tirent leur fondement du droit américain, il ne faut pas considérer qu'elles ont une incidence sur la validité constitutionnelle de l'article 17. Dans la mesure de telles exigences sont applicables aux conditions de subpoenas duces tecum particuliers, il faut remarquer que les ordonnances rendues en vertu de l'article 17 en l'espèce satisfont aux exigences du droit américain.
Le juge Marceau: (A) Avec l'adoption de l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada, le Parlement a écarté le privilège contre l'auto-incrimination accordé par la common law et l'a remplacé par la règle prohibant l'usage d'un témoignage auto- incriminant dans des poursuites pénales intentées ultérieure- ment contre un témoin. L'adoption de l'alinéa 2d) de la Décla- ration canadienne des droits n'exprimait pas la volonté du Parlement de revenir au privilège reconnu par la common law. L'adoption de la Déclaration des droits n'avait pas pour but de créer de nouveaux droits et de nouvelles libertés, mais plutôt d'enchâsser dans un texte les droits et libertés déjà reconnus. Par conséquent, la protection accordée par l'alinéa 2d) ne peut avoir une portée plus vaste que celle qui existait lorsqu'il a été adopté, c'est-à-dire la protection qu'on trouvait à l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada.
Les appelants affirment que le paragraphe 20(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions n'accorde pas la même protection que celle garantie par l'alinéa 2d) dans la mesure le paragraphe 20(2) ne procure aucune protection contre l'usage de documents. Ils invoquent la décision du juge Dickson dans l'arrêt Marcoux, et prétendent que cet arrêt reconnaît que la portée du privilège prévu à l'alinéa 2d) dépasse les limites fixées par la Loi sur la preuve au Canada, exigeant la protec tion dans le cas de la communication de documents. Toutefois, si on interprète correctement ce jugement, on constate qu'il ne contient aucune reconnaissance de ce genre. La protection accordée par le paragraphe 20(2) satisfait aux exigences de l'alinéa 2d), et les ordonnances rendues en vertu de l'article 17 ne contreviennent pas à cette dernière disposition.
(B) Les ordonnances rendues en l'espèce en vertu de l'article 17 n'équivalent pas à des perquisitions et à des saisies. Une ordonnance de perquisition et de saisie confère à un agent public le pouvoir d'entrer de force, en tout temps et sans avertissement, dans la demeure ou dans les locaux commer- ciaux d'une autre personne pour y chercher et y saisir des objets qu'il peut y trouver. L'exécution d'une telle ordonnance consti- tue une situation totalement différente de celle qui résulte de la signification d'un subpoena duces tecum. Ces deux situations n'ont absolument rien de commun en ce qui concerne l'intrusion dans la demeure et la vie privée d'un individu, et le besoin que l'on pourrait ressentir de garder un certain contrôle sur la délivrance de subpoenas duces tecum ne peut en aucune manière être comparé avec la nécessité de protéger les citoyens contre un usage abusif éventuel des pouvoirs de perquisition.
Par contre, dans l'arrêt Alberta Blue Cross Plan, la Cour d'appel de l'Alberta s'est montrée d'avis que la production forcée de documents pendant une enquête de nature adminis trative constitue une saisie; elle a raison, du moins aux fins de l'application de l'article 8 de la Charte. L'essence d'une (simple) saisie est l'appropriation par un pouvoir public d'un objet appartenant à une personne contre le gré de cette per- sonne, et le fait que la personne soit contrainte ou non de remettre elle-même l'objet n'est pas pertinent.
Néanmoins, les subpoenas en cause ne contreviennent pas à l'article 8 car ils ne donneront pas lieu à une saisie abusive. Cette conclusion repose sur le critère élaboré aux États-Unis quant au caractère raisonnable des perquisitions et des saisies, la nature de l'enquête en cause, et le fait que tous les docu ments demandés en l'espèce appartenaient à des corporations.
Le juge Hugessen: (A) L'alinéa 2d) de la Déclaration cana- dienne des droits exige simplement que si une personne est contrainte à fournir une preuve incriminante, cette contrainte soit accompagnée d'une protection contre l'usage de cette preuve contre le témoin lui-même.
Il est fort douteux que le privilège accordé par l'alinéa 2d) s'applique à la production de documents. Selon la décision du juge Dickson dans l'arrêt Marcoux, il ne s'applique pas. Le simple fait qu'un témoin soit contraint à communiquer des documents ne semble pas constituer un principe général et rationnel qui permette d'étendre le privilège à ces documents. En vertu de la common law, la règle est que les documents et autres objets trouvés en la possession d'un accusé sont admissi- bles à titre de preuves contre lui à condition qu'ils soient pertinents, et s'il advient que la Charte a modifié ce principe, la Déclaration canadienne des droits n'a pas eu un tel effet. L'alinéa 2d) n'accorde pas à une personne une plus grande protection que celle prévue au paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada, et étant donné que le paragraphe 5(2) protège la «réponse» donnée à une «question», il ne s'étend pas à la communication de documents.
De toute façon, il n'est pas strictement nécessaire en l'espèce de déterminer l'étendue du privilège contenu à l'alinéa 2d). La portée de l'article 13 de la Charte est au moins aussi étendue que celle de l'alinéa 2d). Par conséquent, l'article 13 accorde la protection requise par l'alinéa 2d), que cette protection s'étende ou non à la communication forcée de documents.
(B) Si, dans l'arrêt Alberta Blue Cross Plan, la Cour d'appel de la province affirmait que toute ordonnance de production de documents présentée par voie de subpoena duces tecum devait, aux fins de la Charte, être traitée comme une saisie, cette Cour était dans l'erreur. Cette proposition contredirait la jurispru dence américaine et canadienne. Elle serait également contraire aux sens ordinaires des termes «perquisition» et «saisie», ces deux termes impliquant l'intrusion d'un tiers dans la demeure ou la place d'affaires d'un citoyen pour chercher et enlever des documents ou d'autres objets. On ne peut voir de rapport valable entre l'ordonnance prévue au paragraphe 17(1), qui constitue un exemple classique de subpoena duces tecum, et les perquisitions et les saisies envisagées par l'article 8.
JURISPRUDENCE
DECISION SUIVIE:
Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; 26 D.L.R. (3d) 603.
DECISIONS EXAMINÉES:
Marcoux et autre c. La Reine, [1976] 1. R.C.S. 763; Alberta Human Rights Commission v. Alberta Blue Cross Plan (1983), 48 A.R. 192; 1 D.L.R. (4th) 301 (C.A.); Miller et al. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680; 70 D.L.R. (3d) 324; Southam Inc. v. Dir. of Investigation & Research, [1983] 3 W.W.R. 385 (C.A. Alb.); Thomson Newspapers Ltd. et autres c. Hunter, directeur des enquêtes et recherches et autres (1983), 73 C.P.R. (2d) 67 (C.F. P e inst.); R. v. McKay (1971), 4 C.C.C. (2d) 45 (C.A. Man.); Oklahoma Press Publishing Co. v. Walling, 327 U.S. 186 (1946).
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Simpson et al. (1943), 79 C.C.C. 344 (C.A. C.-B.); Klein v. Bell, [1955] R.C.S. 309; Tass v. The King, [1947] R.C.S. 103; A.G. Que. v. Côté (1979), 8 C.R. (3d) 171 (C.A. Qc); Stickney v. Trusz (1973), 16 C.C.C. (2d) 25 (H.C. Ont.), confirmé par (1974), 28 C.R.N.S. 125 (C.A. Ont.); Regina v. Crooks (1982), 39 O.R. (2d) 193 (H.C.), confirmé par (sub nom. Re Crooks and the Queen) (1982), 2 C.C.C. (3d) 57; 143 D.L.R. (3d) 601; R. v. Judge of the General Sessions of the Peace for the County of York, Ex parte Corning Glass Works Ltd., [1971] 2 O.R. 3 (C.A.); Canadian Fishing Company Limited et al. v. Smith et al., [1962] R.C.S. 294; Stevens, et autres c. La Commission sur les pratiques restrictives du commerce, [1979] 2 C.F. 159 We inst.); Rolbin v. The Queen (1982), 2 C.R.R. 166 (C.S. Qc); R. v. Brezack (1949), 96 C.C.C. 97 (C.A. Ont.); A.G. for Quebec v. Begin, [1955] R.C.S. 593; Hogan c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 574; D'Ivry v. World Newspaper Co. of Toronto et al. (1897), 17 P.R. 387 (C.A. Ont.); Attorney-General v. Kelly (1916), 28 D.L.R. 409 (C.A. Man.); Webster v. Solloway, Mills & Co., [1931] 1 D.L.R. 831 (C.A. Alb.); Staples v. Isaacs, [1940] 3 D.L.R. 473 (C.A. C.-B.); Rio Tinto Zinc Corporation and Others v. Westinghouse Electric Corporation, [197R] A.C. 547 (H.L.); Rank Film Distributors Ltd v. Video Information Centre, [1981] 2 All ER 76 (H.L.); Lilburn's Trial (1637), 13 How. St. Tr. 1315 (Pari. R.-U.); Thompson v. The King, [1918] A.C. 221 (H.L.); Kuruma v. The Queen, [1955] A.C. 197 (P.C.); Schmerber v. California, 384 U.S. 757 (1966); In re Horowitz, 482 F.2d 72 (2d Cir. 1973); F.T.C. v. Texaco, Inc., 555 F.2d 862 (D.C. Cir. 1977); F.T.C. v. Carter, 464 F. Supp. 633 (D.D.C. 1979); Dunham v. Ottinger, 154 N.E. 298 (N.Y. C.A. 1926).
AVOCATS:
A. M. Gans, J. L. Pelletier et J. J. Chapman pour les appelants.
B. Finlay, c.r. et S. Fréchette pour les intimés.
PROCUREURS:
Miller, Thomson, Sedgewick, Lewis & Healy, Toronto, et Aubut, Chabot, Québec, pour les appelants.
Le sous -procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LE DAIN: J'ai eu l'occasion de lire les motifs du jugement de mes collègues Marceau et Hugessen. Comme eux, je suis d'avis que l'appel devrait être rejeté.
Les appelants soutiennent, en se fondant sur l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits [S.R.C. 1970, Appendice III], que l'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coali tions [S.R.C. 1970, chap. C-23], en vertu duquel des ordonnances ont été rendues sous la forme de subpoenas duces tecum, est sans effet parce que, lu en corrélation avec le paragraphe 20(2) de la Loi [abrogé et remplacé par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 8], il autorise la Commission sur les prati- ques restrictives du commerce à contraindre une personne à témoigner sans bénéficier de la «protec- tion contre son propre témoignage, garantie par l'alinéa 2d) qui, prétendent-ils, comprend la pro tection contre l'auto-incrimination découlant de la communication forcée de documents et des élé- ments de preuve qui en dérivent.
Il est évident que le paragraphe 20(2) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, qui pré- voit expressément le degré de protection dont un témoin peut bénéficier en se conformant à une ordonnance rendue en vertu de l'article 17, ne fournit pas de protection contre l'auto-incrimina tion découlant de la communication forcée de documents et des éléments de preuve qu'ils appor- tent. Il oblige la personne à témoigner et à pro- duire des documents en exécution de l'ordonnance mais il ne la protège que contre l'usage ultérieur dans des poursuites criminelles de tout témoignage verbal qu'elle est tenue de faire. Voici le texte du paragraphe 20(2):
20....
(2) Nul n'est dispensé de comparaître et de rendre témoi- gnage et de produire des livres, documents, archives ou autres pièces en conformité de l'ordonnance d'un membre de la Com mission, pour le motif que le témoignage verbal ou les docu ments requis de lui peuvent tendre à l'incriminer ou à l'exposer à quelque procédure ou pénalité, mais nul témoignage oral ainsi exigé ne peut être utilisé ni n'est recevable contre cette per- sonne dans toutes poursuites criminelles intentées par la suite contre elle, sauf dans une poursuite pour parjure en rendant un tel témoignage ou dans une poursuite intentée en vertu de l'article 122 ou 124 du Code criminel à l'égard d'un tel témoignage.
Il s'agit de déterminer si la «protection contre son propre témoignage, dont parle l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits comprend également la protection contre l'auto-incrimination découlant de la communication forcée de docu ments et des éléments de preuve qui en sont tirés. En soutenant que c'est le cas, les appelants insis-
tent particulièrement sur le privilège contre l'auto- incrimination accordé au témoin par la common law. Cette affirmation est étayée en effet par des précédents dans lesquels le privilège s'étendait, dans les procédures il s'appliquait, à la commu nication de documents. Voir R. v. Simpson et al. (1943), 79 C.C.C. 344 (C.A.C.-B.), et Klein v. Bell, [1955] R.C.S. 309. À l'appui de cette con ception de la portée du privilège accordé par la common law, les appelants ont invoqué les arrêts Rio Tinto Zinc Corporation and Others v. Wes- tinghouse Electric Corporation, [1978] A.C. 547 (H.L.) et Rank Film Distributors Ltd y Video Information Centre, [1981] 2 All ER 76 (H.L.), dans lesquels s'appliquaient les dispositions du paragraphe 14(1) du Civil Evidence Act 1968, 1968, chap. 64 (R.-U.), dont on a dit qu'elles constituaient la reconnaissance par une loi récente d'un principe depuis longtemps établi. Ils ont éga- lement invoqué l'application de la protection contre l'auto-incrimination, prévue au Cinquième amendement de la Constitution américaine, à la communication forcée de documents, comme dans Schmerber v. California, 384 U.S. 757 (1966). Cependant, l'alinéa 2d) de la Déclaration cana- dienne des droits n'est pas censé préserver ou garantir le privilège contre l'auto-incrimination accordé au témoin par la common law, quelle que puisse être sa portée. Il prévoit qu'une personne peut être contrainte de fournir une preuve qui peut tendre à l'incriminer, de sorte que la protection mentionnée consiste uniquement dans l'interdic- tion d'utiliser son témoignage contre elle-même dans des poursuites criminelles ultérieures. C'est ce que le juge Laskin (tel était alors son titre) a confirmé dans Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; 26 D.L.R. (3d) 603, il a dit aux pages 912 R.C.S. et 623 D.L.R.: «je ne puis interpréter l'art. 2(d) comme faisant plus que rendre inopérante toute règle de droit fédérale, énoncée dans une loi formelle ou non, qui obligerait quelqu'un à s'accu- ser devant une cour ou un tribunal semblable en fournissant une preuve, sans en même temps le protéger contre l'utilisation de cette preuve contre lui». Au moment la Déclaration canadienne des droits a été adoptée, ce genre de protection contre l'auto-incrimination était donné au Canada par l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10; auparavant S.R.C. 1952, chap. 307], dont voici le texte:
5. (1) Nul témoin n'est exempté de répondre à une question pour le motif que la réponse à cette question pourrait tendre à l'incriminer, ou pourrait tendre à établir sa responsabilité dans une procédure civile à l'instance de la Couronne ou de qui que ce soit.
(2) Lorsque, relativement à quelque question, un témoin s'oppose à répondre pour le motif que sa réponse pourrait tendre à l'incriminer ou tendre à établir sa responsabilité dans une procédure civile à l'instance de la Couronne ou de qui que ce soit, et si, sans la présente loi, ou sans la loi de quelque législature provinciale, ce témoin eût été dispensé de répondre à cette question, alors bien que ce témoin soit en vertu de la présente loi ou d'une loi provinciale, forcé de répondre, sa réponse ne peut pas être invoquée et n'est pas admissible à titre de preuve contre lui dans une instruction ou procédure crimi- nelle exercée contre lui par la suite, hors le cas de poursuite pour parjure en rendant ce témoignage.
Cet article a fait disparaître le droit accordé par la common law au témoin de refuser de répondre à une question au motif que sa réponse pourrait tendre à l'incriminer et l'a remplacé par la protec tion contre l'usage de sa réponse à titre de preuve contre lui dans des poursuites criminelles ultérieu- res. On fait souvent remarquer que l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada a aboli ou a remplacé le privilège contre l'auto-incrimination accordé au témoin par la common law sans toutefois suggérer que cet article n'était pas censé remplacer entière- ment ce privilège. Voir, par exemple, Tass v. The King, [1947] R.C.S. 103, à la page 105; A.G. Que. v. Côté (1979), 8 C.R. (3d) 171 (C.A. Qc), à la page 175; E. Ratushny, «Is There a Right Against Self-Incrimination in Canada?» (1973), 19 McGill L.J. 1, aux pages 50 et s.; E. Ratushny, Self- Incrimination in the Canadian Criminal Process, 1979, pages 78 et s.; Stickney v. Trusz (1973), 16 C.C.C. (2d) 25 (H.C. Ont.), aux pages 28 et 29, confirmé par (1974) 28 C.R.N.S. 125 (C.A. Ont.). Cependant, quel que soit l'effet exact du paragra- phe 5(1) de la Loi sur la preuve au Canada sur la portée du privilège contre l'auto-incrimination accordé au témoin par la common law, c'est, à mon avis, l'étendue de la protection prévue au paragraphe 5(2) qui est visée par l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits. Comme son texte français l'indique clairement («contraindre une personne à témoigner» et «la protection contre son propre témoignage»), l'alinéa 2d) concerne la protection d'une personne contre l'auto-incrimina tion découlant de son témoignage. C'est également ce que vise le paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada, dont a jugé qu'il n'étend pas la protection contre l'auto-incrimination découlant de
la communication forcée de documents: R. v. Simpson et al., précité. Il est clair qu'il ne protège pas non plus le témoin contre l'auto-incrimination découlant d'éléments de preuve qui en sont tirés. Cf. Regina v. Crooks (1982), 39 O.R. (2d) 193 (H.C.), à la page 198, confirmé par la Cour d'appel de l'Ontario, le 7 octobre 1982 [(sub nom. Re Crooks and The Queen) (1982), 2 C.C.C. (3d) 57; 143 D.L.R. (3d) 601].
L'avocat des appelants s'est fondé tout particu- lièrement sur l'extrait suivant du jugement du juge Dickson dans Marcoux et autre c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 763, la page 769, pour soutenir que la protection contre l'auto-incrimination garantie par l'alinéa 2d) s'appliquait à la commu nication forcée de documents:
Le droit américain sur le cinquième amendement, qui pro- tège une personne contre la contrainte [TRADUCTION] «de témoigner contre elle-même», et le droit canadien sur le privi- lège contre l'auto-incrimination ont suivi un cheminement parallèle en limitant l'application du privilège à sa portée historique, c.-à-d. assurer une protection contre la contrainte de témoigner. Une telle restriction fait naître une distinction entre des révélations verbales ou écrites obtenues de force lesquelles tombent sous le coup du privilège et ce qu'on a appelé la preuve «réelle ou matérielle», c.-à-d. une preuve matérielle qui a été obtenue d'une personne sans son consentement et qui, générale- ment parlant, n'est pas visée par le privilège.
Il semble que le «cheminement parallèle» dans l'évolution du droit américain et du droit canadien sur l'auto-incrimination dont parlait le juge Dick- son, concernait principalement la distinction entre la «contrainte de témoigner» et la «preuve maté- rielle qui a été obtenue d'une personne sans son consentement», qui faisait l'objet du litige dans cette affaire. En toute déférence, j'estime qu'il n'avait pas l'intention d'examiner la question de savoir si l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits garantissait la protection contre l'auto- incrimination découlant de la communication forcée de documents, mais qu'il exposait simple- ment la distinction essentielle qui l'intéressait, telle qu'elle existe en droit américain.
Selon moi, l'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions ne devient pas inopé- rant parce qu'il est contraire à l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits car le para- grahe 20(2) de la Loi prévoit la protection contre l'auto-incrimination garantie par l'alinéa 2d). Je ne crois pas nécessaire de me prononcer sur l'éten- due de la protection contre l'auto-incrimination
prévue à l'article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] ni sur l'effet éventuel de cette disposition sur l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits.
Les appelants soutiennent, en se fondant sur l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, que l'article 17 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions est nul et non avenu parce qu'il autorise une perquisition ou une saisie abusive au sens de l'article 8 de la Charte. À mon avis, une ordonnance de la nature d'un subpoena duces tecum ne constitue ni une perquisition ni une saisie au sens de l'article 8. En toute déférence, je ne peux adopter l'opinion émise sur ce sujet par la Cour d'appel de l'Alberta dans Alberta Human Rights Commission v. Alberta Blue Cross Plan (1983), 48 A.R. 192; 1 D.L.R. (4th) 301. On considère aux États-Unis qu'un subpoena duces tecum ne constitue ni une perquisition ni une saisie au sens du Quatrième amendement, et bien qu'on parle des exigences relatives au but permis de l'enquête, à sa pertinence et aux précisions qui doivent être fournies, qui sont applicables dans l'exécution judiciaire de tels subpoenas, comme étant des restrictions apportées par le Quatrième amendement au pouvoir de délivrer des subpoenas, la question est de savoir si c'est le Quatrième amendement ou la garantie du droit à l'application régulière de la loi qui constitue le véritable fonde- ment constitutionnel de ces exigences. Voir Okla- homa Press Publishing Co. v. Walling, 327 U.S. 186 (1946); In re Horowitz, 482 F.2d 72 (2d Cir. 1973); et W. LaFave, Search and Seizure: A Treatise on the Fourth Amendment, 1978, vol. 2, article 4.13 en général, et page 209, note 104, en particulier. Étant donné que ces exigences tirent leur fondement des dispositions constitutionnelles et du droit américains, j'hésiterais à les appliquer comme exigences constitutionnelles pour l'émission d'un subpoena duces tecum de nature administra tive au Canada. Je ne les appliquerais certaine- ment pas à la question de la validité ou de la portée de l'article 17 de la Loi relative aux enquê- tes sur les coalitions, que les appelants ont soule- vée dans leur allégation fondée sur l'article 8 de la Charte. Dans la mesure de telles exigences sont applicables aux conditions d'un subpoena duces tecum particulier, j'estime que les ordonnances
rendues en vertu de l'article 17 en l'espèce sont conformes à ces exigences telles qu'elles ont été appliquées aux subpoenas duces tecum de nature administrative dans les décisions des tribunaux américains. Voir, par exemple, F.T.C. v. Texaco, Inc., 555 F.2d 862 (D.C. Cir. 1977); F.T.C. v. Carter, 464 F. Supp. 633 (D.D.C. 1979).
Pour tous ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: Tous les appelants ont des liens avec la Ligue nationale de hockey (la «Ligue»), association non constituée en corpora tion, groupant vingt équipes de hockey profession- nel établies au Canada et aux États-Unis. Ils font partie des cadres, des administrateurs et des employés de la Ligue ou encore des corporations et des sociétés administrant les équipes membres de la Ligue. Pendant le mois de juin 1983, les appe- lants ont reçu individuellement signification d'or- donnances rendues en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23 (appelée ci-après la «Loi»), leur enjoignant de se présenter à un membre de la Commission sur les pratiques restrictives du commerce le 12 juillet 1983, afin d'être interrogés sous serment sur des questions relatives à la formation et au fonctionne- ment de la ligue majeure de hockey professionnel et à l'existence possible en son sein d'une situation de monopole prohibée par l'article 33 de la Loi. L'assignation contenait le duces tecum suivant:
[TRADUCTION] Vous êtes en outre requis de produire au moment et au lieu mentionnés plus haut:
1. Les notes, lettres, opinions, états financiers, mémoires, com- muniqués de presse, études, documents de travail, analyses et tout autre document dont vous avez la possession ou le contrôle, qui se rapportent de quelque manière que ce soit à la cession, à la vente ou à la résiliation d'un droit d'affiliation, de propriété ou de location de toute concession de la Ligue nationale de hockey entre le P' janvier 1970 et ce jour, et, sans restreindre la portée de ce qui précède, à la vente projetée des Blues de Saint-Louis et à leur cession à Coliseum Holdings Ltd. par Ralston Purins Company.
2. Les notes, lettres, opinions, états financiers, mémoires, com- muniqués de presse, études, documents de travail, analyses et tout autre document dont vous avez la possession ou le contrôle, qui se rapportent de quelque manière que ce soit à des deman- des de concession entre le 1" janvier 1970 et ce jour.
3. Les notes, lettres, opinions, états financiers, mémoires, com- muniqués de presse, études et tout autre document dont vous avez la possession ou le contrôle, invoqués de quelque manière que ce soit par les membres du comité consultatif de la Ligue nationale de hockey dans l'exécution de leurs obligations au moment de l'examen de la vente projetée des Blues de Saint- Louis et de leur cession à Coliseum Holdings Ltd. par Ralston Purina Company.
4. Les états financiers des trois dernières années de la conces sion que vous représentez.
Les ordonnances signées par l'intimé Stoner, président de la Commission sur les pratiques res- trictives du commerce, ont été rendues en vertu de l'article 17 de la Loi, dans le cadre d'une enquête instituée par l'intimé Hunter, directeur des enquê- tes et recherches nommé en vertu de la Loi, peu de temps après le refus des gouverneurs de la Ligue d'autoriser le transfert à Saskatoon de la conces sion des Blues de Saint Louis'.
En recevant signification des ordonnances, les appelants, tous hommes d'affaires résidant à divers
endroits au Canada et aux États-Unis, ont aussitôt considéré que l'obligation de trouver et de produire des milliers de documents présentait pour eux des
' Voici les dispositions pertinentes de la Loi [le sous-alinéa 8b)(iii) abrogé et remplacé par S.C. 1974-75-76, chap. 76, art. 4]:
8. Le directeur doit:
b) chaque fois qu'il a des raisons de croire
(iii) qu'on a commis ou qu'on est sur le point de commettre une infraction visée par la Partie V ou l'article 46.1, ou
faire étudier toutes questions qui, d'après lui, nécessitent une enquête en vue de déterminer les faits.
17. (1) Sur demande ex parte du directeur, ou de sa propre initiative, un membre de la Commission peut ordonner que toute personne résidant ou présente au Canada soit interro- gée sous serment devant lui ou devant toute autre personne nommée à cette fin par l'ordonnance de ce membre, ou produise à ce membre ou à cette autre personne des livres, documents, archives ou autres pièces, et peut rendre les ordonnances qu'il estime propres à assurer la comparution et l'interrogatoire de ce témoin et la production par ce dernier de livres, documents, archives ou autres pièces, et il peut autrement exercer, en vue de l'exécution de ces ordonnances ou de la punition pour défaut de s'y conformer, les pleins pouvoirs exercés par toute cour supérieure au Canada quant à l'exécution des brefs d'assignation ou à la punition en cas de défaut de s'y conformer.
inconvénients excessifs et que cela constituait d'ail- leurs une tentative d'ingérence inacceptable dans leurs affaires au demeurant confidentielles. Ils ont donc décidé de faire valoir leurs droits devant la Cour.
Une demande a donc été déposée en Division de première instance de la Cour afin d'obtenir une ordonnance interdisant aux intimés de donner suite aux ordonnances du président et, subsidiairement, par voie de certiorari, afin de faire annuler ces ordonnances. Le juge en chef adjoint a rejeté cette demande le 11 août 1983 [Ziegler et autres c. Hunter, directeur des enquêtes et recherches et autre (1983), 75 C.P.R. (2d) 222] et les appelants ont interjeté le présent appel devant cette Cour.
Les appelants prétendent que le juge de pre- mière instance a eu tort de ne pas conclure que lesdites ordonnances, rendues en vertu de l'article 17 de la Loi, violent les dispositions de l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des — droits et des articles 2, 7 et 8 de [la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de] la Loi constitutionnelle de 1982, et qu'elles sont, par conséquent, nulles et non avenues. Leur prétention repose sur deux propositions: premièrement, toutes les ordonnances rendues en vertu de l'article 17 de la Loi sont contraires à l'alinéa 2d) de la Déclara- tion canadienne des droits parce qu'elles contre- viennent inévitablement au privilège contre l'auto- incrimination; deuxièmement, les ordonnances, telles que rendues en l'espèce, sont contraires aux articles 2, 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés parce qu'elles constituent une intrusion dans la vie privée des appelants et une perquisition et une saisie abusives. Bien qu'elles mènent à la même conclusion, les deux proposi tions se rapportent évidemment à deux moyens de contestation distincts qui doivent être examinés séparément.
I
Les appelants appuient leur proposition selon laquelle toutes les ordonnances rendues en vertu de l'article 17 contreviennent au privilège contre l'auto-incrimination garanti par la Déclaration des droits, sur un fondement nouveau en ce sens qu'il n'a pas encore été soumis à un tribunal canadien. Je suppose qu'il serait pour cela préférable que je
prenne le temps de résumer ce qu'en a dit l'avocat et d'exposer ce que j'en ai compris.
L'avocat rappelle d'abord que la règle contre l'auto-incrimination, énoncée dans la maxime nemo tenetur seipsum accusare ou prodere, existe depuis longtemps en common law. Elle tire son origine des réactions aux premiers abus des procé- dures inquisitoriales et, depuis le cas d'espèce Lil- burn's Trial (1637), 13 How. St. Tr. 1315 (R.-U.), dans lequel le Parlement a jugé que la Chambre étoilée n'avait pas le droit d'obliger Lilburn, alors accusé de certains crimes, à se soumettre à un interrogatoire, elle a évolué rapidement et a revêtu bientôt pour les habitants des pays de common law une importance telle qu'après la révolution améri- caine elle a fait l'objet du Cinquième amendement de la Constitution des États-Unis 2 . L'avocat pour- suit en affirmant que la portée de la règle contre l'auto-incrimination a été clairement établie au cours des années par les tribunaux anglais et amé- ricains. Il est maintenant admis que la règle ne s'applique pas seulement aux questions qui pour- raient incriminer le témoin, mais couvre également les questions qui pourraient être utilisées comme moyens d'obtenir des preuves et même des élé- ments ne constituant qu'un maillon d'un enchaîne- ment de preuves; et il est souvent affirmé que la règle doit s'appliquer non seulement à l'interroga- toire oral mais également à la communication de documents de nature incriminante en réponse à une ordonnance de communication.
Cette règle de common law contre l'auto-incri mination, affirme ensuite le procureur, fait partie
2 Voici le texte de cet amendement:
[TRADUCTION] Cinquième amendement [1791]
Nul ne sera tenu de répondre à une accusation pour un crime capital ou infamant, sauf sur la dénonciation (present- ment) ou l'accusation (indictment) d'un grand jury, excep tion faite des délits commis dans les troupes de terre ou de mer ou dans la milice, lorsque celle-ci est en service actif en temps de guerre ou de danger public. Nul ne pourra être, deux fois pour le même crime, menacé dans sa vie ou molesté dans son corps (put in jeopardy of lift or limb); ni être contraint à témoigner contre lui-même dans aucune affaire criminelle; ni être privé de sa vie, de sa liberté ou de sa propriété sans une procédure conforme au droit (without due process of law). Aucune propriété privée ne pourra être prise pour un usage public sans une juste indemnité.
Incidemment, l'histoire de cette règle est examinée en pro- fondeur dans Wigmore on Evidence, Vol. 8 (McNaughton rev. 1961), paragraphes 2250 et 2251.
du droit canadien depuis l'adoption de la Déclara- tion canadienne des droits dont voici l'alinéa 2d):
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob- stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
d) autorisant une cour, un tribunal, une commission, un office, un conseil ou une autre autorité à contraindre une personne à témoigner si on lui refuse le secours d'un avocat, la protection contre son propre témoignage ou l'exercice de toute garantie d'ordre constitutionnel;
Cette disposition montre clairement que le privi- lège contre l'auto-incrimination au Canada est tiré de la common law anglaise et elle s'applique sans aucun doute à la Commission sur les pratiques restrictives du commerce de même qu'au directeur enquêtant sur une infraction présumée à la Partie V de la Loi: une protection adéquate contre l'auto- incrimination doit donc être accordée à toute per- sonne, individu ou société, soupçonnée d'avoir commis un acte criminel particulier ou d'y avoir participé, qui est assignée à témoigner devant le directeur et à produire des documents, livres, papiers et archives. «Une telle protection adéquate est-elle accordée par la loi?» demande alors l'avo- cat. Certainement pas, prétend-il. Il est vrai que l'on trouve au paragraphe 20(2) des dispositions semblables à celles contenues au paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada:
20....
(2) Nul n'est dispensé de comparaître et de rendre témoi- gnage et de produire des livres, documents, archives ou autres pièces en conformité de l'ordonnance d'un membre de la Com mission, pour le motif que le témoignage verbal ou les docu ments requis de lui peuvent tendre à l'incriminer ou à l'exposer à quelque procédure ou pénalité, mais nul témoignage oral ainsi exigé ne peut être utilisé ni n'est recevable contre cette per- sonne dans toutes poursuites criminelles intentées par la suite contre elle, sauf dans une poursuite pour parjure en rendant un tel témoignage ou dans une poursuite intentée en vertu de l'article 122 ou 124 du Code criminel à l'égard d'un tel témoignage.
Mais ce paragraphe n'assure pas au témoin une immunité qui corresponde à l'étendue du privilège et ne lui accorde pas la protection «concurrente» envisagée par le juge Laskin (tel était alors son titre) dans ses motifs de jugement dans Curr c. La Reine, [1972] S.C.R. 889; 26 D.L.R. (3d) 603, à
la page 619. En effet, le paragraphe n'accorde aucune protection contre l'utilisation que peut faire le procureur général du Canada des docu ments produits ainsi que de la transcription du témoignage donné en vue de décider si une pour- suite devrait être intentée, pas plus qu'il n'en accorde contre l'utilisation des documents ou des preuves obtenues à partir du témoignage donné, aux fins des poursuites pénales intentées par la suite contre le témoin. 3
De là, l'avocat soutient que la conclusion s'im- pose: l'article 17 de la Loi est sans effet parce qu'il vise à obliger des personnes à témoigner devant les autorités fédérales, tout en leur refusant la protec tion contre l'auto-incrimination enchâssée dans l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits.
Je n'ai pas l'intention de revoir chacune des nombreuses prétentions contenues dans ce raison- nement en vue d'exprimer mon accord ou mon désaccord à leur sujet, bien que je puisse affirmer que j'entretiens des doutes sérieux quant à la justesse de certaines. Par exemple, je considère comme discutable l'affirmation selon laquelle en common law, le privilège s'étend aux corporations et aux documents corporatifs (voir Wigmore, op. cit., paragraphe 2259; voir les motifs du juge d'appel Arnup dans R. v. Judge of the General Sessions of the Peace for the County of York, Ex parte Corning Glass Works Ltd., [1971] 2 O.R. 3 (C.A.)); je ne suis pas disposé non plus à accepter tout de suite la proposition selon laquelle le privi- lège, avec l'étendue qu'on lui a attribuée, s'appli- que sans réserve, en dehors des procédures judi- ciaires, dans une simple procédure d'enquête comme celle dont il est question en l'espèce (voir Phipson on Evidence, 11e éd. (1970), pages 615 et s., et, en ce qui concerne la nature de l'enquête du
3 L'article 15 de la Loi est ainsi libellé:
15. (1) Le directeur peut, à toute étape d'une enquête et en plus ou au lieu de la continuer, remettre tous dossiers, rapports ou preuve au procureur général du Canada pour examen sur la question de savoir si l'on a commis ou si l'on est sur le point de commettre une infraction à la présente loi, et pour toutes mesures qu'il plaît au procureur général du Canada de prendre.
(2) Le procureur général du Canada peut intenter et conduire toutes poursuites ou autres procédures prévues par la présente loi. A ces fins, il peut exercer tous les pouvoirs et fonctions que le Code criminel confère au procureur général d'une province.
directeur, voir Canadian Fishing Company Limi ted et al. v. Smith et al., [ 1962] R.C.S. 294).
Si j'estime qu'il n'est pas nécessaire de prendre partie sur ces points particuliers, c'est tout simple- ment parce que je ne suis pas d'accord avec l'allé- gation sur laquelle tourne tout le raisonnement des appelants, soit que le privilège contre l'auto-incri mination de la common law, avec 'toute l'extension qu'on a pu lui accorder en Angleterre, est partie intégrante du droit canadien.
Toutes les autorités reconnaissent qu'en 1893, le Canada a abandonné le principe général de non- incrimination accepté en common law et l'a rem- placé, dans les procédures soumises à juridiction fédérale, par une protection contre l'usage d'un témoignage incriminant dans des poursuites péna- les intentées ultérieurement contre un témoin. C'est ce qui découla de l'adoption par le Parlement de l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10 4 , qui visait à subsumer les effets de la règle telle qu'elle était interprétée alors. A compter de là, le droit contre l'auto-incri mination dans des procédures du ressort fédéral est devenu un droit strictement réglementé par la loi, et réduit aux termes de l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada et à ceux d'articles connexes ajoutés subséquemment dans des lois particulières. (Voir les commentaires du professeur Ratushny dans sa longue étude intitulée «Is There A Right Against Self-Incrimination in Canada?» (1973), 19 McGill L.J. 1, et dans son livre Self-Incrimi nation, aux pages 52 et s.; voir parmi de nombreu-
4 Voici le texte de cet article:
5. (1) Nul témoin n'est exempté de répondre à une ques tion pour le motif que la réponse à cette question pourrait tendre à l'incriminer, ou pourrait tendre à établir sa respon- sabilité dans une procédure civile à l'instance de la Couronne ou de qui que ce soit.
(2) Lorsque, relativement à quelque question, un témoin s'oppose à répondre pour le motif que sa réponse pourrait tendre à l'incriminer ou tendre à établir sa responsabilité dans une procédure civile à l'instance de la Couronne ou de qui que ce soit, et si, sans la présente loi, ou sans la loi de quelque législature provinciale, ce témoin eût été dispensé de répondre à cette question, alors bien que ce témoin soit en vertu de la présente loi ou d'une loi provinciale, forcé de répondre, sa réponse ne peut pas être invoquée et n'est pas admissible à titre de preuve contre lui dans une instruction ou procédure criminelle exercée contre lui par la suite, hors le cas de poursuite pour parjure en rendant ce témoignage.
ses décisions celle de R. v. Simpson et al. (1943), 79 C.C.C. 344 (C.A.C.-B.).) L'avocat des appe- lants connaît naturellement ces faits, mais il vou- drait, comme je l'ai expliqué plus haut, qu'en adoptant l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits en 1960, le Parlement ait exprimé sa volonté de revenir au privilège reconnu par la common law, mettant fin ainsi à la période pen dant laquelle les effets de ce privilège au Canada avaient été limités par la loi.
Cette prétention est, à mon avis, tout simple- ment inacceptable. Il est clair à la seule lecture de la Déclaration canadienne des droits et de son préambule que le but poursuivi par le Parlement n'était pas de créer de nouveaux droits et de nouvelles libertés fondamentales découlant des principes acceptés dans notre société, mais plutôt d'enchâsser dans un texte les droits et libertés déjà reconnus et de leur accorder l'importance qu'ils méritent. Dans Miller et al. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 680; 70 D.L.R. (3d) 324, le juge Ritchie, appuyé par quatre autres membres de la Cour, déclare (aux pages 703 et 704 R.C.S., et 343 D.L.R.):
Je souscris à l'analyse du sens et de l'effet des art. 1 et 2 de la Déclaration canadienne des droits que le juge Martland, par- lant pour la majorité de la Cour, a faite dans ses motifs de jugement dans La Reine c. Burnshine ([1975] I R.C.S. 693), à la p. 705. Après avoir souligné que la Déclaration canadienne des droits a ... porte déclaration et continuation de droits et libertés existants, de par ses termes exprès», il dit:
Ce sont ces droits et ces libertés qui existaient alors qui ne doivent être violés par aucune loi fédérale. L'article 2 ne crée pas de droits nouveaux. Son but est d'empêcher la transgres sion de droits existants. Il précise effectivement, dans les alinéas a) à g), certains droits faisant partie de ceux qui sont déclarés dans l'art. 1 ...
La «protection contre son propre témoignage prévue à l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits ne peut avoir une portée plus vaste que celle que l'on avait considérée adéquate en 1960, c'est-à-dire la protection accordée par la Loi sur la preuve. L'avocat des appelants mentionne un extrait des motifs fournis par le juge Dickson en prononçant le jugement au nom des neuf membres de la Cour dans l'arrêt Marcoux et autre c. La Reine, [ 1976] 1 R.C.S. 763, le juge parle la page 769) du cheminement parallèle qu'ont suivi le droit canadien et le droit américain en ce qui concerne le privilège contre l'auto-incrimination et fait même allusion à la possibilité que le privilège
puisse couvrir une «révélation écrite» 5 . L'avocat estime que ce passage reconnaît que la portée du privilège dépasse les limites fixées par la Loi sur la preuve au Canada. Je pense cependant que l'avo- cat interprète mal le passage cité. Le parallèle fait avec le droit américain a pour objet d'expliquer que le droit canadien et le droit américain ont suivi un cheminement «limitant l'application du privi- lège à sa portée historique, c.-à-d. assurer une protection contre la contrainte de témoigner», et la référence aux «révélations ... écrites obtenues de force» semble se rapporter aux diverses formes de témoignage donné par écrit, telles que les interro- gatoires ou les affidavits. En fait, dans le premier paragraphe de la partie de ses motifs traitant de la portée du privilège, d'où est tiré l'extrait cité par l'avocat, le juge s'était prononcé d'une façon géné- rale et sans équivoque en disant la page 768):
La limite du privilège contre l'auto-incrimination est claire. Le privilège est celui d'un témoin de ne pas répondre à une question qui peut l'incriminer. C'est tout ce que signifie la maxime latine nemo tenetur seipsum accusare, que l'on avance souvent à tort pour étayer une proposition beaucoup plus générale.
Et dans le paragraphe suivant, après s'être référé à des décisions antérieures, il avait cité la page 768], en l'approuvant, la déclaration du juge Laskin (tel était alors son titre) dans Curr c. La Reine (déjà cité plus haut) aux pages 912 R.C.S. et 623 D.L.R.:
... je ne puis interpréter l'art. 2d) comme faisant plus que rendre inopérante toute règle de droit fédérale, énoncée dans une loi formelle ou non, qui obligerait quelqu'un à s'accuser devant une cour ou un tribunal semblable en fournissant une preuve, sans en même temps le protéger contre l'utilisation de cette preuve contre lui.
La première proposition avancée par les appe- lants doit être rejetée. Les ordonnances rendues en vertu de l'article 17 de la Loi ne violent pas
5 Cet extrait est rédigé comme suit:
Le droit américain sur le cinquième amendement, qui protège une personne contre la contrainte [TRADUCTION] «de témoigner contre elle-même», et le droit canadien sur le privilège contre l'auto-incrimination ont suivi un chemine- ment parallèle en limitant l'application du privilège à sa portée historique, c.-à-d. assurer une protection contre la contrainte de témoigner. Une telle restriction fait naître une distinction entre des révélations verbales ou écrites obtenues de force lesquelles tombent sous le coup du privilège et ce qu'on a appelé la preuve «réelle ou matérielle», c.-à-d. une preuve matérielle qui a été obtenue d'une personne sans son consentement et qui, généralement parlant, n'est pas visée par le privilège.
l'alinéa 2d) de la Déclaration des droits. La pro tection accordée au témoin par le paragraphe 20(2) de la Loi est «concurrente» avec le privilège contre l'auto-incrimination tel qu'il est envisagé et défini par le droit canadien. (Comparer avec Ste- vens, et autres c. La Commission sur les pratiques restrictives du commerce, [1979] 2 C.F. 159 (l rc inst.).)
II
La deuxième proposition des appelants, soit celle voulant que les ordonnances telles que rendues violeraient les droits à la protection de la vie privée et à la protection contre les perquisitions et les saisies abusives que leur garantit la Constitution, est formulée comme mettant en cause trois articles différents de la Charte canadienne des droits et libertés, savoir les articles 2, 7 et 8 dont voici les textes:
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes:
a) liberté de conscience et de religion;
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;
c) liberté de réunion pacifique;
d) liberté d'association.
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
Les appelants n'ont cependant pas expliqué pour- quoi ils ont spécifiquement invoqué les articles 2 et 7 et je ne vois pas comment ces articles pourraient servir de fondement à leur proposition indépen- damment de l'article 8. En fait, l'argument de l'avocat était en substance que les ordonnances rendues, en raison de leur portée et de leur carac- tère extrêmement onéreux, équivalaient à des per- quisitions et à des saisies du genre de celles prohi- bées par l'article 8 de la Charte, si on applique les principes énoncés par la Cour d'appel de l'Alberta dans Southam Inc. v. Dir. of Investigation & Research, [1983] 3 W.W.R. 385, et plus tard, par la Division de première instance de la Cour dans Thomson Newspapers Ltd. et autres c. Hunter, directeur des enquêtes et recherches et autres (décision du juge Collier en date du 6 juillet 1983, encore inédite [maintenant publiée à 73 C.P.R. (2d) 67]). En réalité, je crois que la question
soulevée par la proposition est plus complexe que cela mais, de toute façon, le seul article de la Charte impliqué est l'article 8.
La prétention des appelants selon laquelle les ordonnances violeraient leurs droits constitution- nels garantis par l'article 8 de la Charte demande, à mon avis, l'examen de deux questions.
La première, suggérée strictement par l'argu- mentation soumise par l'avocat, consiste à se demander si l'on peut considérer que les ordonnan- ces telles qu'émises à des procédures de perquisi- tion et de saisie, créant une situation dont il faut vérifier si elle est permise en vertu de l'article 8 selon les directives exposées dans les décisions Southam et Hunter. Je ne crois pas que la question se pose vraiment si on lit attentivement les motifs prononcés par le juge Prowse pour la Cour d'appel de l'Alberta et par le juge Collier pour la Division de première instance. Il est évident que la caracté- ristique essentielle de la situation créée par une ordonnance de perquisition et de saisie (et certes, la seule qui explique la réaction des deux juges) tient à ce qu'un agent public reçoit le pouvoir d'entrer de force, au moment qui lui convient et sans donner d'avertissement, dans la demeure ou dans les locaux commerciaux d'une personne, pour y chercher et saisir des documents ou objets qu'il peut y trouver. Cette caractéristique est totalement absente de la situation créée par la signification d'un subpoena duces tecum, peu importe la nature et le nombre des documents demandés. Les deux situations n'ont rien de commun en ce qui con- cerne l'intrusion dans la demeure et la vie privée d'un individu. La nécessité de protéger les citoyens contre un usage abusif éventuel des pouvoirs de perquisition n'est absolument pas comparable avec le besoin que l'on pourrait ressentir de garder un certain contrôle sur la délivrance de subpoenas duces tecum.
La prétention des appelants soulève toutefois une autre question qui ne peut être tranchée aussi facilement. C'est celle de savoir si les ordonnances contestées ne doivent pas être considérées comme équivalant à des saisies et à des saisies abusives au sens de l'article 8 de la Charte. La question se pose parce que l'article 8 prohibe non seulement la «fouille et saisie» abusive mais aussi la «simple saisie» abusive, les deux termes étant reliés dans le
texte par la conjonction disjonctive «ou» et non par la conjonction de coordination «et».
Dans une décision très récente, Alberta Human Rights Commission v. Alberta Blue Cross Plan (décision du 8 septembre 1983, encore inédite [maintenant publiée à 48 A.R. 192; 1 D.L.R. (4th) 301]), cinq juges de la Cour d'appel de l'Alberta n'ont pas hésité la page 195 A.R., et à la page 307 D.L.R.] à [TRADUCTION] « ... accepter l'idée que la production forcée de documents dans des procédures civiles, ou pendant une enquête de nature administrative, constitue une saisie». Je n'hésite pas non plus à le faire, du moins aux fins de l'application de l'article 8 de la Charte. C'est l'appropriation par un pouvoir public d'un objet appartenant à une personne contre le gré de cette personne qui constitue l'essence même d'une saisie, et le fait que la personne soit contrainte ou non de remettre elle-même l'objet n'est pas pertinent à mon avis. Aussi, la seule véritable difficulté soule- vée par la question est donc de savoir si la saisie qui résultera nécessairement de la mise à exécution des ordonnances est raisonnable au sens de la Charte.
Les dispositions de l'article 8 de la Charte cor respondent à celles du Quatrième amendement de la Constitution des États-Unis 6 . La position de la Cour suprême des États-Unis sur les subpoenas délivrés par des organismes exerçant des pouvoirs d'enquête devrait être directement pertinente et fournir un guide incomparable quant à l'attitude à adopter. Dans son traité sur le Quatrième amende- ment, Search and Seizure (1978), W. R. LaFave déclare au chapitre 4 (pages 192 et 193):
[TRADUCTION] Le cas d'espèce faisant autorité au sujet des restrictions apportées par le Quatrième amendement au pouvoir de délivrer des subpoenas est Oklahoma Press Publishing Co. v. Walling (327 U.S. 186 (1946)), décision invoquée par les tribunaux inférieurs parce qu'elle établissait les normes régis- sant les subpoenas émis par les organismes administratifs, les grand jurys, le ministère public et les comités législatifs. Dans Walling, un administrateur fédéral (Federal Wage and Hour Administrator) a délivré un subpoena demandant la production
6 En voici le texte:
[TRADUCTION] Quatrième amendement [1791]
Le droit des citoyens d'être garantis dans leurs personnes, leur domicile, leurs papiers et leurs effets contre des perquisi- tions et saisies déraisonnables ne pourra être violé. Aucun mandat ne sera décerné que pour un motif plausible, appuyé par serment ou affirmation, et avec la désignation précise du lieu devra se faire la perquisition et des personnes ou objets à saisir.
des registres de Oklahoma Press afin de déterminer si l'éditeur était assujetti aux exigences du Fair Labor Standards Act concernant le salaire minimum, et s'il violait cette loi. La Cour, constatant la confusion existant dans la jurisprudence au sujet de l'application du Quatrième amendement, a déclaré que l'obéissance à un subpoena ne constituait nullement une perqui- sition ou une saisie réelle et que le Quatrième amendement ne s'appliquait que par analogie, le subpoena ne concernant qu'une perquisition «simplement «symbolique» ou «virtuelle»». Par con- séquent, la Cour a jugé qu'il s'agissait de «mettre en balance l'intérêt public et la sécurité privée» et a statué que «l'essence même de la protection réside dans la nécessité que la divulga- tion demandée ne soit pas déraisonnable». La Cour a donné trois directives afin de préciser cette exigence. Premièrement, il n'est pas nécessaire qu'une accusation pour un crime particulier soit portée: «il suffit que l'enquête soit effectuée dans un but permis par la loi, tout en respectant les limites du pouvoir conféré au Congrès de la requérir». Deuxièmement, étant donné qu'il n'est pas essentiel qu'un crime particulier soit allégué, aucune raison probable de soupçonner la perpétration d'un crime n'est requise. Au lieu de cela, un subpoena est valide si «les documents demandés sont pertinents pour l'enquête». Fina- lement, pour satisfaire à la garantie contenue au Quatrième amendement qui exige une description précise dans un mandat des personnes ou des articles à saisir, il suffit que, dans les subpoenas, «la désignation des documents à produire soit adé- quate, et ne soit pas excessive, pour les fins de l'enquête en cause». Bien que la Cour ait donné des détails sur ces trois aspects particuliers de l'enquête pour déterminer la validité d'un subpoena en vertu du Quatrième amendement, elle a aussi fait une mise en garde en soulignant que l'examen judiciaire doit tenir compte des faits: «Forcément ... cela ne peut se réduire à une formule puisque le caractère pertinent, adéquat ou excessif d'un subpoena varie en fonction de la nature, des fins et de l'étendue de l'enquête.» Toutefois, les trois normes fixées dans Walling, que la Cour continue de citer et d'approu- ver, fournissent un cadre permettant d'analyser la portée que les tribunaux ont accordée ultérieurement à la protection four- nie par le Quatrième amendement contre la communication forcée de documents.
J'avoue qu'à prime abord, j'ai été consterné par le nombre de documents concernés, puisqu'il y en a plusieurs milliers, mais après avoir examiné un certain nombre de décisions intéressantes rendues aux États-Unis, mentionnées par l'avocat des inti- més, notamment F.T.C. v. Texaco, Inc., 555 F.2d 862 (D.C. Cir. 1977), et F.T.C. v. Carter, 464 F. Supp. 633 (D.D.C. 1979), j'ai compris que le nombre de documents devait être en relation directe avec la nature et l'étendue de l'enquête menée. En outre, on nous a affirmé à l'audition que les documents demandés étaient des docu ments corporatifs, c'est-à-dire des documents appartenant à des corporations et non à des parti- culiers. Si on applique les principes établis par la jurisprudence américaine, qui, à mon avis, sont tout à fait raisonnables, et si on considère la nature
de l'enquête ainsi que le fait que les documents sont des documents corporatifs, je ne crois pas que l'on puisse affirmer que les subpoenas duces tecum en cause sont déraisonnables et violent l'article 8 de la Charte.
J'estime donc que la deuxième proposition avan- cée par les appelants est tout aussi inacceptable que la première. Les ordonnances contestées ne violent pas leurs droits constitutionnels pas plus qu'elles ne sont prohibées par l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits.
Par conséquent, je rejetterais l'appel.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Appel est interjeté d'une ordonnance du juge en chef adjoint Jerome, en date du 11 août 1983 (motifs déposés le 9 août 1983) [75 C.P.R. (2d) 222], rejetant la demande présentée par les appelants afin d'obtenir un bref de prohibition et un bref de certiorari en applica tion de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10].
Les appelants ont tous des liens étroits avec la Ligue nationale de hockey. Certains sont membres de la Ligue et les autres sont cadres, administra- teurs ou employés de membres de la Ligue ou de la Ligue elle-même.
L'intimé Hunter est le directeur des enquêtes et recherches nommé en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, chap. C-23, et l'intimé Stoner est le président de la Commission sur les pratiques restrictives du com merce créée en vertu de la même Loi.
Conformément au sous-alinéa 8b)(iii) de la Loi [édictée par S.C. 1974-75-76, chap. 76, article 4], le directeur a ouvert une enquête sur une infrac tion possible à l'article 33 de la Loi, c'est-à-dire l'existence d'un monopole relatif à la réalisation et au fonctionnement du hockey professionnel au niveau des ligues majeures. A la demande du directeur, le président de la Commission a lancé, en vertu de l'article 17 de la Loi, des subpoenas adressés à chacun des particuliers appelants en l'espèce et leur enjoignant de se présenter à un
membre de la Commission pour témoigner. Les subpoenas étaient accompagnés par un duces tecum rédigé comme suit:
Vous êtes en outre requis de produire au moment et au lieu mentionnés plus haut:
1. Les notes, lettres, opinions, états financiers, mémoires, com- muniqués de presse, études, documents de travail, analyses et tout autre document dont vous avez la possession ou le contrôle, qui se rapportent de quelque manière que ce soit à la cession, à la vente ou à la résiliation d'un droit d'affiliation, de propriété ou de location de toute concession de la Ligue nationale de hockey entre le lm janvier 1970 et ce jour, et, sans restreindre la portée de ce qui précède, à la vente projetée des Blues de Saint-Louis et à leur cession à Coliseum Holdings Ltd. par Ralston Purina Company.
2. Les notes, lettres, opinions, états financiers, mémoires, com- muniqués de presse, études, documents de travail, analyses et tout autre document dont vous avez la possession ou le contrôle, qui se rapportent de quelque manière que ce soit à des deman- des de concession entre le 1" janvier 1970 et ce jour.
3. Les notes, lettres, opinions, états financiers, mémoires, com- muniqués de presse, études et tout autre document dont vous avez la possession ou le contrôle, invoqués de quelque manière que ce soit par les membres du comité consultatif de la Ligue nationale de hockey dans l'exécution de leurs obligations au moment de l'examen de la vente projetée des Blues de Saint- Louis et de leur cession à Coliseum Holdings Ltd. par Ralston Purina Company.
4. Les états financiers des trois dernières années de la conces sion que vous représentez.
En première instance et en appel, les appelants ont contesté les subpoenas en invoquant deux moyens d'ordre constitutionnel distincts. Le pre mier est fondé sur l'article 8 de la Charte cana- dienne des droits et libertés, Loi constitutionnelle de 1982, annexe B [Loi de 1982 sur le Canada], et le deuxième, sur l'alinéa 2d) de la Déclaration canadienne des droits S.R.C. 1970, Appendice III. (Il semble que les appelants ont également con testé les subpoenas devant la Commission pour des motifs relatifs à leur portée, leur pertinence, etc., mais ces motifs ne font pas directement l'objet du présent appel.)
La Charte—article 8
L'article 8 de la Charte prévoit que
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
Il est difficile à première vue de comprendre comment cette disposition pourrait être pertinente en l'espèce. Nous avons affaire à un subpoena duces tecum et non à un mandat de perquisition ou
à un bref de saisie. Comme l'a dit le juge de première instance la page 226],
... il ne s'agit pas ici de perquisitions et de saisies, mais de la compétence d'exiger la comparution de personnes ou la produc tion des documents devant la Commission, par voie de sub poena. Il n'y a ni intrusion chez des particuliers ni saisie de biens.
Pour confirmer l'argument des appelants sur ce point, il nous faudrait conclure que le subpoena duces tecum est l'équivalent d'une perquisition ou d'une saisie. À cet égard, on nous a demandé de suivre la décision récente de la Cour d'appel de l'Alberta dans Alberta Human Rights Commis sion v. Alberta Blue Cross Plan (encore inédite, appel 14904, déposée le 8 septembre 1983 [maintenant publiée à 48 A.R. 192; 1 D.L.R. (4th) 301]).
J'avoue que cette décision me cause beaucoup de difficultés qui ne tiennent pas uniquement au res pect aux cinq juges qui ont rendu cette décision unanime. Voici tout ce que la Cour a déclaré sur la question qui nous concerne en l'espèce la page 195 A.R., et à la page 307 D.L.R.]:
[TRADUCTION] Nous admettons que la production forcée de documents dans des procédures civiles ou pendant une enquête de caractère administratif constitue une saisie.
Si on la juge sur les apparences, cette déclara- tion, non motivée ni appuyée par aucune autorité, est inacceptable. Elle semble contredire l'essentiel de la jurisprudence américaine (voir, par exemple, Oklahoma Press Publishing Co. v. Walling, 327 U.S. 186 (1946); Dunham v. Ottinger, 154 N.E. 298 (N.Y.C.A. 1926)). Les décisions canadiennes qui nous ont été citées vont dans le même sens (par exemple, Rolbin v. The Queen (1982), 2 C.R.R. 166 (C.S. Qc)). Cette déclaration est également contraire aux sens ordinaires habituellement donnés aux termes «perquisition» et «saisie». Ces deux termes impliquent indubitablement l'intru- sion d'un tiers dans la demeure ou la place d'affai- res d'un citoyen, pour chercher et enlever des documents ou des objets. Les perquisitions et les saisies sont habituellement faites en vertu d'un mandat ou d'un bref, adressé à l'agent effectuant la perquisition ou la saisie, et lui permettant de pénétrer sur les lieux à de telles fins. En revanche, en vertu d'un subpoena duces tecum, personne ne pénètre dans la demeure ou la place d'affaires du citoyen à l'exception, bien sûr, du citoyen lui-
même et de ses invités. L'ordonnance de la cour est adressée au témoin lui-même et n'est pas une autorisation de s'introduire dans des lieux mais plutôt un ordre de produire quelque chose.
En toute honnêteté pour la Cour de l'Alberta, il faut replacer la déclaration de ses juges dans le contexte de leur décision. Ils avaient été saisis par la Commission des droits de la personne d'une demande visant à obtenir des documents nécessai- res à une enquête sur un cas présumé de discrimi nation. Les dispositions légales applicables sont maintenant contenues aux articles 21 à 23 de la Individual's Rights Protection Act, R.S.A. 1980, chapitre I-2:
[TRADUCTION] 21 La personne enquêtant sur une plainte en vertu de l'article 20 peut:
a) pénétrer sur le terrain ou dans la propriété d'une personne, autre qu'un local ou lieu utilisé comme lieu d'habitation, en tout temps raisonnable, et les inspecter;
b) exiger, afin de les examiner, la production des demandes d'emploi, feuilles de paye, archives et autres documents qui sont ou peuvent être pertinents pour l'enquête sur la plainte;
c) après en avoir donné un reçu, enlever les objets mentionnés à l'alinéa b) afin d'en tirer des copies ou des extraits.
22 (1) La personne enquêtant sur une plainte en vertu de l'article 20 ne peut pénétrer dans un local ou lieu utilisé comme lieu d'habitation et les inspecter qu'à condition
a) que leur propriétaire ou la personne qui en a la disposition autorise l'entrée sur les lieux et l'inspection, ou
b) que l'entrée sur les lieux et l'inspection soient autorisées par une ordonnance d'un juge de la Cour du Banc de la Reine conformément au paragraphe (3).
(2) Si la personne enquêtant sur une plainte en vertu de l'article 20
a) ne peut obtenir l'autorisation de pénétrer dans un local ou lieu utilisé comme lieu d'habitation et de les inspecter ou, ayant obtenu cette autorisation, est entravée dans son action, ou
b) se voit refuser l'entrée sur un terrain ou une propriété autre qu'un local ou lieu utilisé comme lieu d'habitation,
elle peut présenter une demande, par avis de requête, à un juge de la Cour du Banc de la Reine afin d'obtenir l'ordonnance prévue au paragraphe (3).
(3) Si, après avoir reçu une demande en vertu du paragraphe (2), le juge est convaincu qu'il existe des motifs raisonnables et probables de croire que l'accès au local ou lieu utilisé comme lieu d'habitation, ou au terrain ou à la propriété, est nécessaire pour les fins de l'enquête, il peut rendre une ordonnance
a) autorisant l'entrée sur les lieux et l'inspection, ou
b) interdisant à toute personne de gêner ou d'empêcher l'entrée sur les lieux et l'inspection,
ou les deux.
23 Si une personne à laquelle est présentée une demande de production en vertu de l'alinéa 21b), fait défaut ou refuse
a) d'obtempérer à la demande, ou
b) de permettre l'enlèvement de l'objet conformément à l'alinéa 21c),
la personne enquêtant sur la plainte peut présenter une demande, par avis de requête, à un juge de la Cour du Banc de la Reine, et le juge peut rendre toute ordonnance qu'il estime nécessaire pour assurer l'observation des alinéas 21b) ou c).
Notons que la Cour de l'Alberta devait statuer sur une demande en vertu de l'article 23 visant à faire exécuter une demande de production de documents en vertu de l'alinéa 21b), mais que l'ensemble du processus d'enquête instauré par les articles cités va beaucoup plus loin et prévoit que les mêmes procédures peuvent donner lieu à des ordonnances autorisant l'entrée de force sur des lieux et des perquisitions. Cela permet peut-être de mieux comprendre pourquoi la Cour a considéré que l'ensemble du processus était assujetti aux restrictions imposées par l'article 8 de la Charte.
Par contre, si la Cour de l'Alberta avait l'inten- tion d'affirmer que toute ordonnance de communi cation de documents présentée par voie de sub poena duces tecum doit être traitée comme une saisie aux fins de la Charte, je dois, en toute déférence, exprimer mon désaccord.
La disposition légale pertinente en l'espèce est le paragraphe 17(1) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions. Ce paragraphe prévoit, dans les termes usuels, l'obtention d'un subpoena duces tecum qu'il décrit comme étant une «ordonnance» pour la «production ... de livres, documents, archi ves ou autres pièces».
Pour les motifs que j'ai exposés, je ne peux voir de rapport valable entre une telle ordonnance et les perquisitions et les saisies envisagées par l'article 8 de la Charte et je ne retiendrais pas cette partie des allégations des appelants.
Déclaration des droits—alinéa 2d)
Voici le texte de la disposition applicable de la Déclaration des droits:
2. ... nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
d) autorisant une cour, un tribunal, une commission, un office, un conseil ou une autre autorité à contraindre une personne à témoigner si on lui refuse ... la protection contre son propre témoignage ...
Afin d'avoir gain de cause pour cette partie de leur plaidoirie, les appelants doivent évidemment prouver qu'ils ne sont pas protégés contre l'auto- incrimination par d'autres dispositions légales ou constitutionnelles. La Déclaration des droits n'in- terdit pas de contraindre une personne à fournir une preuve incriminante; elle exige simplement qu'une telle contrainte soit accompagnée d'une protection contre l'usage de cette preuve contre la personne qui l'a apportée.
L'argument principal des appelants sur ce point consiste à dire que les subpoenas les obligent à communiquer des documents, qu'en outre, aucune loi n'accorde de protection contre l'usage des docu ments pour incriminer le témoin qui les produit et que, par conséquent, la contrainte exercée pour les forcer à les produire viole l'alinéa 2d).
À mon avis, l'argument des appelants doit être rejeté pour deux raisons. D'abord, je doute sérieu- sement que le privilège accordé par l'alinéa 2d) s'applique à des documents. Ensuite, je suis con- vaincu que tout ce qui peut être visé par l'alinéa 2d) est protégé par l'article 13 de la Charte des droits.
Tout examen de la portée de l'alinéa 2d) doit commencer avec ce qu'en disait le juge Laskin (tel était alors son titre), au nom de la majorité, dans l'arrêt Curr c. La Reine, [1972] R.C.S. 889; 26 D.L.R. (3d) 603. Dans son jugement [aux pages 906 et 907 R.C.S., et 619 D.L.R.], le juge Laskin déclare être dans l'ensemble d'accord avec ce que le juge en chef Freedman du Manitoba (s'expri- mant au nom de la Cour qui était composée de lui-même et des juges d'appel Monnin et Dickson (tels étaient alors leurs titres)) a déclaré dans R. v. McKay (1971), 4 C.C.C. (2d) 45 (C.A. Man.). Bien que le juge en chef du Manitoba ait inter- prété l'expression «à témoigner» à l'alinéa 2d) comme signifiant [TRADUCTION] «faire une décla- ration sous serment» la page 49), le juge Laskin a déclaré expressément qu'il ne désirait pas se prononcer sur cette question:
... je ne puis interpréter l'art. 2(d) comme faisant plus que rendre inopérante toute règle de droit fédérale, énoncée dans une loi formelle ou non, qui obligerait quelqu'un à s'accuser devant une cour ou un tribunal semblable en fournissant une preuve, sans en même temps le protéger contre l'utilisation de cette preuve contre lui. Je n'examinerai pas ici la portée du terme »preuve», puisque cette question ne se pose pas en l'espèce.
(aux pages 912 R.C.S. et 623 D.L.R.).
La question de la portée de l'alinéa 2d) a de nouveau été soumise à la Cour suprême environ trois ans plus tard dans l'affaire Marcoux et autre c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 763. Le jugement de la Cour a été prononcé par le juge Dickson qui a déclaré à la page 768:
La limite du privilège contre l'auto-incrimination est claire. Le privilège est celui d'un témoin de ne pas répondre à une question qui peut l'incriminer. [C'est moi qui souligne.]
et il a ajouté à la page 769:
En résumé, le privilège s'applique à l'accusé en tant que témoin et non pas en tant qu'accusé; il s'applique particulièrement à la contrainte de témoigner et non pas à la contrainte en général ... [C'est moi qui souligne.]
Si l'affaire en était restée là, il ne serait guère possible de douter que le privilège enchâssé dans l'alinéa 2d) ne s'applique pas à la communication de documents. Le juge Dickson a toutefois pour- suivi, au paragraphe suivant la page 769]:
Le droit américain sur le cinquième amendement, qui pro- tège une personne contre la contrainte [TRADUCTION] «de témoigner contre elle-même», et le droit canadien sur le privi- lège contre l'auto-incrimination ont suivi un cheminement parallèle en limitant l'application du privilège à sa portée historique, c: à-d. assurer une protection contre la contrainte de témoigner. Une telle restriction fait naître une distinction entre des révélations verbales ou écrites obtenues de force lesquelles tombent sous le coup du privilège et ce qu'on a appelé la preuve «réelle ou matérielle», c: à-d. une preuve matérielle qui a été obtenue d'une personne sans son consentement et qui, générale- ment parlant, n'est pas visée par le privilège. [C'est moi qui souligne.]
Bien qu'à mon avis, la meilleure interprétation est, qu'en utilisant l'expression «révélations ... écrites obtenues de force», le juge Dickson parlait simplement des formes de témoignages qui sont écrits (par exemple, les réponses aux interrogatoi- res écrits, les affidavits, etc.), les appelants, comme on peut le comprendre, allèguent qu'il avait l'in- tention d'étendre le privilège à tout le domaine de la communication forcée de documents.
Je ne peux être d'accord avec cette allégation. En fait, il est difficile de trouver un principe général ou rationnel qui permette de conclure que le privilège contre l'auto-incrimination devrait s'appliquer à des documents simplement parce qu'un témoin est contraint de les communiquer. J'ai toujours pensé qu'en droit, les documents et objets trouvés en la possession d'un accusé étaient
admissibles à titre de preuves contre lui, à la seule condition d'en prouver la pertinence (Thompson v. The King, [1918] A.C. 221 (H.L.)). De tels objets peuvent être saisis même sans mandat au moment de son arrestation (R. v. Brezack (1949), 96 C.C.C. 97 (C.A. Ont.), et la jurisprudence qui y est citée). De toute façon, le droit prévoit que même une saisie illégale ne peut servir de fin de non-recevoir pour l'admissibilité de preuves perti- nentes (Kuruma v. The Queen, [1955] A.C. 197 (P.C.); A.G. for Quebec v. Begin, [1955] R.C.S. 593). Même s'il est possible que l'on juge que l'entrée en vigueur de la Charte a modifié la rigueur de certaines de ces règles, il s'agit en l'espèce de l'interprétation de la Déclaration des droits qui, d'après la décision de la majorité dans Hogan c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 574, n'a aucun effet sur la règle de common law concernant l'admissibilité de preuves pertinentes.
La raison d'être du privilège contre l'auto-incri mination est d'empêcher que des personnes soient interrogées au cours de procédures d'enquête et poursuivies ensuite en raison de leurs réponses. Il constitue la contrepartie logique aux règles relati ves à l'admissibilité des aveux. Le but du privilège n'est certainement pas d'empêcher que les témoins soient contraints de produire ce qui, de toute façon, pourrait leur être pris de force. Un accusé ne peut être contraint de témoigner dans sa propre cause et, par conséquent, il a le droit d'être protégé contre les conséquences de son témoignage dans la cause d'une autre personne; il ne bénéficie pas de protection contre l'usage contre lui-même des documents ou objets trouvés en sa possession, et il n'a donc pas le droit de refuser de les produire lorsqu'on le lui demande.
Il est vrai qu'on a jugé dans plusieurs causes qu'au cours de procédures de communication de documents, dans des poursuites civiles, la produc tion des documents ne sera pas ordonnée s'il est démontré qu'ils sont de nature à incriminer la partie qui les communique (voir D'Ivry v. World Newspaper Co. of Toronto et al. (1897), 17 P.R. 387 (C.A. Ont.); Attorney -General v. Kelly (1916), 28 D.L.R. 409 (C.A. Man.); Webster v. Solloway, Mills & Co., [1931] 1 D.L.R. 831 (C.A. Alb.); Staples v. Isaacs, [1940] 3 D.L.R. 473 (C.A.C-B.)). La jurisprudence n'est toutefois pas unanime sur ce point (voir Stickney v. Trusz
(1973), 16 C.C.C. (2d) 25 (H.C. Ont.), confirmé par (1974), 28 C.R.N.S. 125 (C.A. Ont.)) et, pour les motifs donnés, j'ai de la difficulté à comprendre la raison pour laquelle il faudrait étendre le privi- lège aux documents.
Je terminerai en disant que l'étude de cette question par le professeur Ratushny dans son livre intitulé Self-Incrimination in the Canadian Cri minal Process (Carswell, 1979) m'a été très utile et que je partage en général sa façon de voir. Comme il dit:
[TRADUCTION] Il est évident que le privilège contre l'auto- incrimination, tel qu'il existe aujourd'hui au Canada, est un concept très étroit. Il décrit simplement deux règles particuliè- res en matière de procédure et de témoignages: l'impossibilité de contraindre un accusé à témoigner dans son propre procès et la protection du paragraphe 5(2) contre l'usage du témoignage d'une personne dans des poursuites ultérieures. Il n'existe pas de principe général qui puisse être invoqué pour atteindre un résultat précis dans un cas particulier.
la page 92).
En ce qui concerne la disposition relative à l'auto-incrimination contenue à l'alinéa 2d) de la Déclaration des droits, elle
[TRADUCTION] ... n'est pas plus étendue que la protection contenue dans le paragraphe 5(2) de la Loi sur la preuve au Canada.
la page 91).
Étant donné que ce dernier paragraphe s'appli- que spécifiquement à la «réponse* donnée à une «question*, il ne s'étend pas à la communication de documents (R. v. Simpson et al. (1943), 79 C.C.C. 344 (C.A.C.-B.)).
Quoi qu'il en soit, il n'est pas strictement néces- saire, à mon avis, de déterminer, pour les fins du présent appel, l'étendue exacte du privilège con- tenu à l'alinéa 2d). Quel que soit ce privilège, je suis convaincu qu'il a été repris en totalité par les dispositions de l'article 13 de la Charte des droits qui accordent précisément la protection qui consti- tue une condition préalable à la contraignabilité en vertu de l'alinéa 2d).
Cette constatation ressort clairement de la com- paraison des deux dispositions légales. Dans le texte anglais, la protection accordée par l'alinéa 2d) tient à l'interdiction de contraindre une per- sonne «to give evidence if ... denied ... protection
against self crimination ... ». L'article 13 de la Charte accorde à quiconque «testifies ... the right not to have any incriminating evidence so given used to incriminate that witness ... ». Bien que l'un des textes emploie la forme active et l'autre, la forme passive, dans les deux cas, l'activité protégée est le fait de témoigner.
Le texte français rend encore plus évidente la correspondance entre ces dispositions. L'alinéa 2d) ne reconnaît à aucune autorité le droit de «con- traindre une personne à témoigner si on lui refuse ... la protection contre son propre témoi- gnage ...».
Par ailleurs, l'article 13 accorde à chacun le «droit à ce qu'aucun témoignage incriminant qu'il donne ne soit utilisé pour l'incriminer ...».
Dans chaque cas, la protection vise l'usage contre une personne de son propre «témoignage».
J'ajouterais qu'à mon avis l'article 26 de la Charte ne fait pas obstacle à cette interprétation. Cet article ordonne simplement que les disposi tions de la Charte ne soient pas interprétées de façon à nier l'existence d'autres droits. Le droit accordé par l'alinéa 2d) est conditionnel; l'article 13 ne rejette pas ce droit mais, au contraire, il le confirme et le rend absolu.
Que l'alinéa 2d) de la Déclaration des droits couvre ou non le cas d'un témoin qui est contraint de produire des documents incriminants en vertu d'un subpoena duces tecum, je conclus que la portée de l'article 13 est au moins aussi étendue que celle de cet alinéa et, par conséquent, accorde à ce témoin la «protection contre son propre témoi- gnage» requise par l'alinéa 2d).
Il ressort de ce qui précède qu'à mon avis, le juge de première instance était justifié de rejeter les deux points soulevés par les appelants. C'est pourquoi, je rejetterais l'appel avec dépens.
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