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A-579-83
Daljit Singh (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
Cour d'appel, juges Heald et Mahoney, juge sup pléant Lalande—Toronto, 28 octobre; Ottawa, 15 décembre 1983.
Immigration Pratique Demande d'examen et d'annu- lation de la décision par laquelle la Commission d'appel de l'immigration a refusé de donner suite à la demande de réexamen du statut de réfugié L'agent d'immigration supé- rieur a fait des commentaires défavorables sur la crédibilité du requérant au cours de l'interrogatoire sous serment Le requérant a été simplement informé de son droit d'être repré- senté par un conseil lors de l'interrogatoire L'art. 45(6) donne le droit d'être représenté par un avocat, un procureur ou un autre conseil Demande accueillie Les commentaires concernant la crédibilité du requérant constituent une erreur tellement fondamentale qu'il faut considérer comme nulle la décision du Ministre et l'interrogatoire sous serment qui a conduit à cette décision Les commentaires étaient préjudi- ciables parce qu'ils émanaient d'un fonctionnaire qui n'agissait pas à titre d'opposant et dont les fonctions se limitaient à recueillir des renseignements L'inobservation de l'art. 45(6) constitue une irrégularité, mais n'est pas suffisante pour enta- cher de nullité la décision du Ministre étant donné la qualité des services rendus et parce qu'elle n'a causé aucun préjudice au requérant Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 45(1),(6), 70(2), 71(1).
Contrôle judiciaire Demande d'examen Immigration Demande d'examen et d'annulation de la décision par laquelle la Commission d'appel de l'immigration a refusé de donner suite Zr la demande de réexamen du statut de réfugié L'agent d'immigration supérieur a fait des commentaires défa- vorables quant à la crédibilité du requérant lors de l'interroga- toire sous serment Le requérant n'a pas été informé de son droit d'être représenté par un avocat, un procureur ou un autre conseil au cours de l'interrogatoire conformément à l'art. 45(6) de la Loi sur l'immigration de 1976 mais il a été simplement informé de son droit d'être représenté par un conseil Demande accueillie La procédure de réexamen est une sorte d'examen préliminaire qui ne comporte pas d'audition et personne ne comparait pour s'opposer à la demande Des commentaires déplacés et préjudiciables sur la crédibilité ont pu causer un grand tort et constituent une erreur tellement fondamentale qu'il faudrait considérer comme nulle la déci- sion du Ministre et l'interrogatoire sous serment L'inobser- vation de l'art. 45(6) n'est pas suffisante pour entacher de nullité la décision du Ministre puisque les services du conseil ont été satisfaisants et que le requérant n'a subi aucun préju- dice Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2• Supp.), chap. 10, art. 28 Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 45(1),(6), 70(2), 71(1).
Le requérant a présenté une demande d'examen et d'annula- tion de la décision par laquelle la Commission d'appel de
l'immigration a refusé de donner suite à une demande de réexamen du statut de réfugié et a statué que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Un agent d'immigration supérieur a interrogé le requérant sur les répon- ses qu'il avait données dans le formulaire de base et a fait des commentaires négatifs au sujet de la crédibilité du requérant. Le requérant a simplement été informé que le paragraphe 45(6) lui donnait le droit d'être représenté par un conseil au cours de l'interrogatoire. Le paragraphe 45(6) prévoit que toute per- sonne faisant l'objet d'un interrogatoire sous serment doit être informée qu'elle a droit aux services d'un avocat, d'un procu- reur ou de tout autre conseil pour la représenter au cours de cet interrogatoire. Il s'agit en l'espèce de décider si l'agent d'immi- gration supérieur a commis des irrégularités et, le cas échéant, si ces irrégularités, qui touchent uniquement une procédure purement administrative prévue à l'article 45, suffisent à vicier la procédure judiciaire prévue au paragraphe 71(1), c'est-à-dire la demande de réexamen de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention.
Arrêt (le juge Mahoney dissident): la demande est accueillie.
Le juge Heald (avec l'appui du juge suppléant Lalande): L'interrogatoire sous serment n'est pas un procès mais sert à recueillir le plus de renseignements possible relativement à la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. L'agent d'immigration supérieur n'est pas habilité à contre- interroger le requérant de manière à contester ses déclarations. Il ressort clairement de l'esprit de la Loi qu'un interrogatoire sous serment a pour but de permettre au requérant d'exposer les détails de sa demande de statut de réfugié. L'agent d'immi- gration supérieur a mal interprété son rôle et a agi de façon irrégulière.
Si l'on applique les motifs de Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1983), 50 N.R. 385 (C.F. Appel), il s'agit alors de savoir si ces erreurs sont tellement fondamentales qu'elles rendent inopérants tant la décision du Ministre que l'interrogatoire sous serment. La procédure de réexamen prévue par le paragraphe 71(1) est une sorte d'examen préliminaire qui ne comporte pas d'audition et qui se déroule à un moment personne ne comparait pour s'opposer à la demande du requérant. La Commission doit tenir compte de la preuve écrite autorisée par le paragraphe 70(2) et se former une opinion sur les chances de réussite de la demande si elle suivait son cours. Les membres de la Commission n'entendent pas de témoin et n'ont pas la possibilité d'évaluer personnellement la crédibilité du requérant. Dans Gill c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration, la décision de la Commission a été annulée parce que le requérant a pu être lésé du fait qu'il n'a pas été représenté équitablement par son conseil à l'interrogatoire. En l'espèce, les commentaires de l'agent d'immigration supérieur étaient sus- ceptibles de causer un préjudice plus grave étant donné qu'ils émanaient d'un fonctionnaire du Ministère qui n'agissait pas à titre d'opposant et dont les fonctions étaient de recueillir des renseignements. Lorsque l'agent a abandonné l'objectivité requise et a adopté une attitude hostile vis-à-vis du requérant, elle a causé au requérant un préjudice tellement grave et fondamental qu'il a entaché de nullité la décision du Ministre et l'interrogatoire sous serment. Il ne peut être conclu que la Commission a porté son jugement sans avoir été influencée en quoi que ce soit, même inconsciemment, par les commentaires défavorables de l'agent d'immigration supérieur au sujet de la crédibilité du requérant.
Les dispositions du paragraphe 45(6) n'ont pas été respec- tées. La déclaration selon laquelle le requérant avait le droit d'être représenté par un conseil est une explication incomplète et incorrecte. Le paragraphe mentionne «un avocat, un procu- reur ou tout autre conseil». Normalement les agents d'immigra- tion supérieurs lisent tout le paragraphe au requérant ou le reformulent au complet. En ne faisant ni l'un ni l'autre, l'agent d'immigration supérieur n'a pas respecté les dispositions du paragraphe. L'inobservation des exigences du paragraphe ne peut être corrigée par le fait qu'un requérant est accompagné d'un conseil de son choix qui n'est ni avocat ni procureur. L'inobservation des dispositions du paragraphe 45(6) ne serait cependant pas, en elle-même, suffisante pour entacher de nul- lité la procédure de réexamen en raison de la qualité des services rendus par le conseiller et étant donné qu'elle n'a causé au requérant aucun préjudice grave. C'est une question de fait à trancher dans chaque cas que de savoir si l'inobservation des dispositions du paragraphe 45(6) constitue une «erreur telle- ment fondamentale» qu'il faut considérer comme nulle la déci- sion du Ministre.
Le juge Mahoney (dissident): L'arrêt Gill c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, ne devrait être appliqué que dans des affaires dont les faits sont très similaires. Dans cette espèce, l'irrégularité reprochée était inhabituelle. Elle tenait au com- portement de l'avocat du requérant. La Cour n'a pas donné les motifs de sa décision. En l'espèce, l'irrégularité n'a aucunement privé le requérant du droit ou de la possibilité de présenter ses éléments de preuve devant le Ministre. Dans Saraos c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada et autre, il est dit que si l'interrogatoire sous serment a été mené de façon irrégulière, si bien que la transcription de l'interrogatoire contient un témoignage autre que celui obtenu du requérant, cela ne vicie pas la décision du Ministre. En l'espèce, la transcription ne contient pas de preuves étrangères mais des commentaires gratuits et préjudiciables d'un agent d'immigra- tion supérieur que la Commission peut, tout autant que nous, reconnaître comme tels et écarter. Les documents que le requé- rant a présenté à l'appui de sa demande ne constituaient pas un fondement suffisant pour que la Commission puisse raisonna- blement conclure que le requérant pourrait vraisemblablement établir le bien-fondé de sa demande s'il y était donné suite. Comme la décision du Ministre n'a pas été viciée, il en est de même du réexamen par la Commission.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Saraos c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada et autre, [1982] 1 C.F. 304 (C.A.); Lugano et autres c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immi- gration, [1976] 2 C.F. 438 (C.A.); Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1983), 50 N.R. 385; 3 D.L.R. (4th) 452 (C.F. Appel); Gill c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, jugement en date du 21 janvier 1983, Division d'appel de la Cour fédérale, A-526-82, encore inédit.
DÉCISIONS CITÉES:
Kwiatkowsky c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1982] 2 R.C.S. 856; Quinones c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1983] 2 C.F. 81 (C.A.).
A COMPARU:
Daljit Singh pour son propre compte.
AVOCAT:
B. Evernden pour l'intimé.
LE REQUÉRANT POUR SON PROPRE COMPTE:
Daljit Singh, Toronto.
PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: Le requérant demande, en vertu de l'article 28, l'examen et l'annulation de la décision par laquelle la Commission d'appel de l'immigration a refusé de donner suite à la demande de réexamen de son statut de réfugié et a statué qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
Avant de commencer l'interrogatoire sous ser- ment, conformément au paragraphe 45 (1) de la Loi sur l'immigration de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52], l'agent d'immigration supérieur a fait la remarque suivante au requérant (dossier conjoint, page 10):
[TRADUCTION] M. Singh, cet interrogatoire n'est ni un procès, ni une enquête. Nous sommes ici pour recueillir le plus de renseignements possibles relativement à votre revendication du statut de réfugié au sens de la Convention ...
Ensuite, l'agent d'immigration supérieur, après que le requérant eut reconnu sous serment la justesse des réponses qu'il avait données dans le formulaire de demande, a remis ce formulaire comme pièce #1. Par la suite, elle a donné la parole au conseil du requérant pour qu'il l'inter- roge sur les détails de sa demande de statut de réfugié au sens de la Convention. Voici quelques- unes des dernières questions qu'il lui a posées (dossier conjoint, page 13):
[TRADUCTION] Q. Avez-vous des parents qui habitent le
Canada?
R. Soeur, beau-frère, personne d'autre.
Q. sont vos parents?
R. Mère est ici.
À ce moment, l'agent d'immigration supérieur a interrompu l'interrogatoire et a échangé les propos suivants avec le requérant (dossier conjoint, pages 13 et 14):
[TRADUCTION] AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: J'ai une question à vous poser. Pourquoi n'avez-vous pas mentionné votre soeur à titre de parent dans votre formulaire?
R. On m'a dit seulement que lorsque je dis mon beau-frère, cela veut dire également ma soeur.
AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: La question dit: "Avez- vous des parents au Canada?" On ne dit pas inscrivez votre beau-frère mais n'inscrivez pas votre soeur.
R. C'était une erreur.
AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: J'espère vraiment que ce n'est pas le cas et aussi qu'elle ne s'en apercevra pas. Il vaut mieux que vous corrigiez la réponse à la question 28 et maintenant je vais vous remettre le formulaire pour que vous vérifiiez si vous n'avez pas commis d'autres erreurs.
(Le requérant examine le formulaire.)
Y a-t-il d'autres corrections à apporter au formulaire?
R. Non.
Après trois autres questions du conseil, l'agent d'immigration supérieur a poursuivi l'interroga- toire du requérant, dont voici un extrait (dossier conjoint, pages 14, 15 et 16):
[TRADUCTION] AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: J'ai quelques questions à vous poser.
L'AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR INTERROGE DALJIT SINGH.
Q. Vous avez dit qu'en Inde vous étiez agriculteur, est-ce exact?
R. Oui.
Q. Étiez-vous propriétaire de la ferme?
R. Oui.
Q. Qu'est-il advenu de cette ferme?
R. Je l'ai louée.
Q. Pour combien de temps l'avez-vous louée?
R. Deux ans.
Q. Pourquoi deux ans?
R. Je l'ai louée deux ans—cette fois-ci, et si c'est nécessaire, je devrai renouveler le bail pour deux autres années.
Q. Combien recevez-vous pour la location?
R. Quatre-vingts roupies le kanal.
Q. Qu'est-ce qu'un "kanal"?
R. Huit kanals font un acre.
Q. Combien de kanals avez-vous?
R. J'ai cinq acres.
Q. Les quatre-vingts roupies correspondent au loyer d'un mois, d'une semaine?
R. C'est le loyer d'une année.
Q. Combien cela fait-il en dollars canadiens, savez-vous?
R. Environ dix, je crois.
CONSEIL: Non, madame, sept dollars et quelques centimes. AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: Vous louez quarante
acres de votre terrain pour une somme de sept dollars par
année? Donc, combien d'argent recevez-vous?
CONSEIL: Trois cent mille deux cents roupies [sic].
AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: Est-ce que cet argent vous est envoyé au Canada?
R. Non.
Q. À qui est-il envoyé?
R. Le loyer de la première année a été payé d'avance et je l'ai apporté avec moi; et, pour la deuxième année, je demanderai qu'il soit versé à un de mes parents.
Q. Donc, vous avez d'autres parents en Inde?
R. Mon oncle maternel.
Q. Aucun autre parent?
R. Seulement les fils de mon oncle, pas de parents proches.
Q. En d'autres termes, la réponse à la question 29, est incorrecte elle aussi?
R. Parce que je n'ai pas de parents de mon côté, de parents liés par le sang.
Q. Votre oncle est un parent, non?
R. Je croyais qu'on me demandait si j'avais des parents là-bas.
Q. Un oncle n'est pas un parent, à votre avis?
R. C'en est un.
Q. M. Zuberi, aimeriez-vous conseiller votre client? (Discussion entre le conseil et le requérant)
R. J'ai mal compris. Je peux mettre mon oncle aussi comme parent.
Q. La crédibilité des réponses diminue progressivement. Y a-t-il d'autres questions auxquelles vous auriez en quelque sorte répondu mais sans vraiment y répondre?
R. Les autres, je crois sont correctes.
CONSEIL: Tout ce que je peux dire c'est qu'il n'a probable- ment pas compris le mot "parent". Il croit que le mot parent ne comprend que le père et la mère, ou une soeur, qu'il n'a malheureusement pas mentionnée dans le formu- laire. Voulez-vous le nom du cousin aussi, ou seulement celui de l'oncle?
AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: Est-ce que ces cousins et cousines sont des enfants de l'oncle en question?
R. Oui.
AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: Alors, pourriez-vous
mettre simplement cousins?
(Le requérant le fait)
Q. Vous avez dit que vous n'aviez aucun autre parent là-bas,
c'est-à-dire en Inde. Est-ce que cela signifie que tous les
autres parents proches que vous pourriez avoir (mère,
sœur, autres frères ou soeurs) sont au Canada?
R. Je n'ai qu'une sœur.
Q. Elle est au Canada avec votre mère, n'est-ce-pas?
R. Oui.
Q. Avez-vous déjà fait une demande pour entrer au Canada à titre résident permanent?
R. Non.
Q. Votre sœur a-t-elle déjà fait une demande en votre nom?
R. Non.
Q. Vous avez dit que votre mère était au Canada, est votre père?
R. Il est décédé.
Q. Voulez-vous lui demander autre chose, Monsieur? CONSEIL: Non, Madame.
Par la suite, l'agent d'immigration supérieur a entendu un bref exposé du conseil du requérant; elle a décrit au requérant la procédure suivie à l'égard de la transcription de l'interrogatoire et a conclu en mentionnant au requérant qu'il avait le droit d'interjeter appel à la Commission d'appel de l'immigration. Par la suite, l'échange suivant a eu lieu avec le requérant (dossier conjoint, page 17):
[TRADUCTION] AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: ...
Avez-vous autre chose à ajouter?
REQUÉRANT: Non—Je veux parler d'un permis de travail. J'ai demandé la date et on m'a donné rendez-vous dans six mois.
AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: Monsieur, ce n'est pas de mon ressort. C'est un problème que vous devrez résou- dre avec la direction du centre d'immigration. Je présume que pour vous le facteur le plus important est que vous avez peur de retourner en Inde et que vous ne réclamez pas le statut de réfugié au Canada dans le but d'y travailler. Si tel est le cas, alors la crédibilité de votre demande de statut de réfugié diminue.
Est-ce le cas?
REQUÉRANT: Non.
AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: Alors, voici ce que je dois faire. Je dois entendre votre demande de statut de réfugié au sens de la Convention.
Avez-vous autre chose à dire à ce sujet?
REQUÉRANT: Non.
AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: Bien. L'interrogatoire est terminé.
En ce qui a trait à la reconnaissance du statut de réfugié, l'économie de la Loi sur l'immigration de 1976 est maintenant bien connue et notre Cour a été saisie de cette question à maintes reprises. La procédure à suivre, en ce qui concerne la décision que doit prendre le Ministre sur la demande de
statut de réfugié, est prévue aux articles 45 à 48 inclusivement de la Loi sur l'immigration de 1976. Par ailleurs, les articles 70 et 71 de la Loi sur l'immigration de 1976 indiquent la procédure à suivre dans le cas des demandes de réexamen des revendications du statut de réfugié à la Commis sion d'appel de l'immigration. Dans l'affaire Saraos c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration du Canada et autre', le juge Pratte, qui parlait au nom de la Cour, a fait les remarques suivantes après avoir passé en revue les dispositions de l'article 45 et des articles 70 et 71 de la Loi sur l'immigration de 1976:
Une lecture attentive de ces dispositions m'inspire les remar- ques suivantes:
1. L'interrogatoire sous serment prévu au paragraphe 45(1) est seulement un interrogatoire de la personne revendiquant le statut de réfugié. Ce n'est pas une enquête sur le bien-fondé de la demande. Par conséquent, l'agent d'immigration supérieur menant l'interrogatoire agit illégalement s'il fait plus que sim- plement interroger le requérant. Par exemple, il ne peut interro- ger une autre personne que le requérant, pas plus qu'il ne peut produire des documents pour réfuter les affirmations de ce dernier.
2. Les procédures réglementées par l'article 45 sont de nature purement administrative (Brempong c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration [1981] 1 C.F. 211); elles ne sont ni judiciaires ni quasi judiciaires. De plus, le Ministre peut pren- dre en compte tout témoignage ou toutes pièces obtenus de n'importe quelle source, et rendre sa décision en se basant sur ceux-ci sans donner au requérant l'occasion de se défendre [Note omise.]. D'où il suit que même si l'interrogatoire sous serment a été mené de façon irrégulière, si bien que la trans cription de l'interrogatoire contient un témoignage autre que celui obtenu du requérant, cela ne vicie pas la décision du Ministre.
3. Lorsqu'une personne demande un réexamen de sa revendi- cation à la Commission, celle-ci ne peut qu'apprécier, en appli cation de l'article 71, si le requérant est un réfugié au sens de la Convention. La Commission n'a pas le pouvoir de se prononcer sur la régularité des procédures qui ont conduit à la décision du Ministre, et elle ne peut annuler cette décision qu'en rendant elle-même sa décision.
4. Bien que les procédures menant à la décision du Ministre soient purement administratives, celles devant la Commission sont au contraire judiciaires. Cela est vrai pour les deux étapes de ces procédures. Cependant, le caractère spécial de la déci- sion qui doit être rendue en vertu du paragraphe 71(1), lors de la première étape, doit être souligné. Cette décision est rendue sans qu'il y ait eu d'audition, à un moment personne ne s'oppose à la demande du requérant et alors que la Commission n'a habituellement devant elle que la demande de réexamen et les autres documents déposés par le requérant conformément au paragraphe 70(2). Le rôle de la Commission à ce stade des procédures n'est pas d'apprécier et de comparer les preuves
' [1982] 1 C.F. 304 (C.A.), aux pp. 307 et 308.
contradictoires fournies par des parties dont les intérêts sont divergents, mais seulement d'examiner la preuve écrite déposée à l'appui de sa demande par le requérant conformément au paragraphe 70(2), et de se former une opinion sur les chances de réussite de la demande.
Les remarques précitées du juge Pratte sont, à mon avis, pertinentes aux circonstances de la pré- sente affaire. Il ressort clairement des extraits de la transcription que l'agent d'immigration supé- rieur a utilisé les renseignements fournis par le requérant dans le formulaire de base pour attaquer fortement la crédibilité du requérante. Je crois qu'au début de l'interrogatoire, l'agent d'immigra- tion supérieur a bien décrit son objet lorsqu'elle a fait observer à la page 10 du dossier conjoint qu'il ne s'agissait pas d'un procès ni d'une enquête, ajoutant: «Nous sommes ici pour recueillir le plus de renseignements possibles relativement à votre revendication du statut de réfugié au sens de la Convention.» Par la suite, cependant, elle s'est éloignée sensiblement de l'objectif visé par sa manière de mener l'interrogatoire. Je ne crois pas que l'agent d'immigration supérieur était habilité à contre-interroger le requérant de manière à contes- ter ses déclarations. Il ressort clairement de l'esprit de la Loi que l'interrogatoire sous serment a pour but de permettre au requérant d'exposer tous les détails de sa demande de statut de réfugié. En l'espèce, l'agent d'immigration supérieur a mal interprété le rôle et les obligations que la loi lui attribue et, par le fait même, a agi de façon irrégulière à mon avis. Elle a posé de nombreuses questions qui n'avaient aucun rapport avec la demande du requérant. Il semble que ces questions avaient pour seul but de mettre en doute et d'atta- quer la crédibilité du requérant.
Toutefois, cela ne règle pas la question. Peut-on dire que, lorsque l'interrogatoire sous serment n'a pas été mené selon les règles, cette irrégularité, qui touche uniquement la procédure purement admi nistrative prévue à l'article 45, suffit à vicier la procédure judiciaire prévue au paragraphe 71(1) de la Loi, c'est-à-dire la demande de réexamen adressée à la Commission d'appel de l'immigra- tion? Comme le soulignait le juge Pratte dans l'affaire Saraos (précitée), la procédure de réexa-
2 Voir, par exemple, le commentaire qu'elle a fait à la page 15 du dossier conjoint: «La crédibilité des réponses diminue progressivement.»
men prévue au paragraphe 71(1) a un caractère particulier. Il s'agit d'une sorte d'examen prélimi- naire. Il ne comporte pas d'audition et se déroule à un moment personne n'a comparu pour s'oppo- ser à la demande du requérant. La Commission doit tenir compte de la preuve écrite autorisée par le paragraphe 70(2) et se former une opinion sur les chances de réussite de la demande si elle suivait son cours. À cette étape-ci de la procédure, les membres de la Commission n'entendent pas de témoins et n'ont pas la possibilité d'évaluer person- nellement la crédibilité du requérant. Cette déci- sion préliminaire est fondée uniquement sur l'exa- men des documents dont la production est permise au paragraphe 70(2). La Commission doit décider si, compte tenu de la preuve soumise, il existe des motifs raisonnables de croire que le requérant, selon la prépondérance des probabilités, sera pro- bablement en mesure de prouver son statut de réfugié au cours de l'audience tenue devant la Commission'. À cette audience, la procédure con- tradictoire permet à la Commission de juger par elle-même de la crédibilité du témoignage, selon le comportement du requérant et sa façon de répon- dre aux questions. En l'espèce, la Commission a refusé de tenir une audience en se fondant sur des documents qui contenaient des commentaires de l'agent d'immigration supérieur qui étaient à la fois déplacés et préjudiciables à la crédibilité du témoin. Des remarques aussi catégoriques et hosti les sur la crédibilité du requérant, peuvent, même subtilement, influencer la décision de la Commis sion qui étudie la documentation présentée en vertu du paragraphe 70(2). La présence de ces commentaires dans le dossier soumis à la Commis sion peut, selon moi, faire grand tort. Je ne peux conclure que la Commission a porté son propre jugement sur la crédibilité du requérant sans avoir été influencée en quoi que ce soit, même incons- ciemment, par les commentaires défavorables de l'agent d'immigration supérieur au sujet de la crédibilité du requérant.
' Il s'agit du critère, établi par notre Cour dans Lugano et autres c. Le ministre de la Main-d'œuvre et de l'Immigration, [1976] 2 C.F. 438 (C.A.) (le juge Urie à la page 443). La Cour suprême a approuvé ce critère dans l'affaire Kwiatkowsky c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1982] 2 R.C.S. 856.
Je veux souligner maintenant une autre irrégula- rité de l'interrogatoire mené par l'agent d'immi- gration supérieur. Le paragraphe 45(6) de la Loi sur l'immigration de 1976 prévoit:
45....
(6) Toute personne faisant l'objet de l'interrogatoire visé au paragraphe (1) doit être informée qu'elle a droit aux services d'un avocat, d'un procureur ou de tout autre conseil pour la représenter et il doit lui être donné la possibilité de choisir un conseil, à ses frais.
Au début de l'interrogatoire, l'agent d'immigration supérieur a fait les remarques suivantes au requé- rant (dossier conjoint, page 9):
[TRADUCTION] AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: M. Singh, le paragraphe 45(6) vous accorde le droit d'être représenté par un conseil à l'interrogatoire. Je remarque que vous êtes accompagné par M. J. Zuberi qui est, si mes informations sont bonnes, conseiller en matière d'im- migration. Avez-vous retenu ses services à titre de conseil pour cet interrogatoire?
REQUÉRANT: Oui.
AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: Monsieur, pourriez- vous décliner vos nom et adresse pour les besoins de l'enquête, s'il-vous-plaît?
CONSEIL: Oui, madame. Mon nom est J.U. Zuberi. Je suis conseiller en immigration. Mon adresse est 100, Mornelle Court, Suite 2015, Scarborough. Mon numéro de télé- phone: 281-4402. Merci.
AGENT D'IMMIGRATION SUPÉRIEUR: Je présume que vous êtes prêt et que nous pouvons procéder à l'interrogatoire aujourd'hui?
CONSEIL: Oui, Madame.
L'interrogatoire proprement dit a alors commencé. À mon avis, les dispositions du paragraphe 45(6) de la Loi n'ont pas été respectées dans l'extrait précité, ni ailleurs dans la transcription. La décla- ration de l'agent d'immigration supérieur selon laquelle «l'article 45(6) vous accorde le droit d'être représenté par un conseil durant l'interrogatoire» est une explication incomplète et, par conséquent, incorrecte du paragraphe. Le paragraphe men- tionne «un avocat, un procureur ou tout autre conseil». Normalement, les agents d'immigration supérieurs lisent tout le paragraphe au requérant ou le reformulent au complet. En l'espèce, l'agent d'immigration supérieur n'a fait ni l'un ni l'autre et, à mon avis, n'a donc pas respecté les disposi tions du paragraphe. Ces dispositions sont disjonc- tives et exigent que le requérant soit informé qu'il a le droit d'être représenté par un avocat, un procureur ou tout autre conseil. Je ne crois pas que
l'inobservation des exigences du paragraphe puisse être corrigée par le fait qu'un requérant est accom- pagné d'un conseiller de son choix qui n'est ni unt avocat, ni un procureur. On pourrait se demander si le requérant aurait retenu les services d'un con- seil qui n'était ni avocat ni procureur si on l'avait pleinement informé de ses droits comme le prévoit le paragraphe 45(6).
En résumé et pour les motifs précités, je conclus que le dossier révèle deux irrégularités dans la façon dont l'agent d'immigration supérieur a mené l'interrogatoire sous serment. Dans une affaire récente qu'il a entendue avec les juges Mahoney et Stone, Singh c. Ministre de l'Emploi et de l'Im- migration'', le juge en chef a étudié de manière approfondie l'effet que peuvent avoir des irrégula- rités de procédure dans les interrogatoires sous serment, sur la validité de la procédure de réexa- men devant la Commission en vertu du paragraphe 71(1). Dans cette affaire, la seule irrégularité reprochée était qu'en fait on avait refusé au requé- rant le droit d'être représenté pendant une partie de l'interrogatoire sous serment devant l'agent d'immigration supérieur. Abordant la question des pouvoirs de la Commission en matière de réexa- men en vertu du paragraphe 71(1), le juge en chef a dit ceci, aux pages 5 et 6 [N.R., page 388; D.L.R., page 456] des motifs du jugement:
Le pouvoir conféré à la Commission lorsque celle-ci entend une demande est donc très particulier et très restreint. Il ne com- porte pas le pouvoir de renvoyer l'affaire au Ministre, ni d'envisager ni de prendre des mesures à l'égard des défauts ou des irrégularités qui auraient pu survenir au cours de la procé- dure mengnt à la décision du Ministre. A mon avis, la Commis sion peut, traiter la demande de manière différente de celle prévue au par. 71(1) uniquement lorsque l'irrégularité dans l'examen constitue une erreur tellement fondamentale qu'on peut considérer que la décision du Ministre est entachée de nullité et que la Commission n'est pas en mesure d'exercer sa compétence pour connaître d'une demande de réexamen. Dans cette éventualité, la Commission, à mon avis, n'entendrait pas la demande et n'aurait d'autre choix que de l'annuler ou de refuser de l'entendre pour le motif qu'il n'y a pas eu de décision émanant du Ministre.
Si nous suivons cette opinion, il nous reste à déter- miner en l'espèce si les irrégularités susmention- nées, étant donné qu'elles sont survenues au cours de la procédure menant à la décision du Ministre,
4 (1983), 50 N.R. 385; 3 D.L.R. (4th) 452 (C.F. Appel). Les juges Mahoney et Stone ont souscrit aux motifs du juge en chef. Le juge Stone a aussi écrit des motifs concourants.
sont des erreurs tellement fondamentales qu'elles rendent inopérantes tant la décision du Ministre que l'interrogatoire sous serment mené par l'agent d'immigration supérieur. Dans l'affaire Singh pré- citée, la Cour a statué que, dans les circonstances particulières de cette affaire, l'inobservation des dispositions du paragraphe 45(6) de la Loi au cours d'un interrogatoire sous serment n'était pas, en elle-même, suffisante pour entacher de nullité la procédure de réexamen devant la Commission. Dans les présentes circonstances, je conclus égale- ment que l'inobservation du paragraphe 45(6) ne devrait pas vicier la procédure de réexamen, car je suis convaincu, après lecture de la transcription de l'interrogatoire, de la qualité des services rendus par le conseiller en immigration. En conséquence, l'irrégularité en l'espèce était de caractère pure- ment technique et n'a pas causé au requérant un préjudice grave. Il peut, bien sûr, y avoir des cas l'inobservation des dispositions du paragraphe 45(6) pourrait constituer une «erreur tellement fondamentale» qu'il faudrait considérer comme nulle la décision du Ministre. Il appartient au tribunal saisi de l'affaire de déterminer s'il s'agit d'une erreur d'une telle importance dans un cas particulier. Toutefois, j'estime que la première irrégularité relevée, c'est-à-dire les conclusions de l'agent d'immigration supérieur mettant en doute la crédibilité du requérant, à la suite du contre- interrogatoire, est beaucoup plus grave et se situe à un niveau différent. À mon avis, cette irrégularité est au moins aussi grave que celle reprochée dans l'affaire Gill c. Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration 5 dont notre Cour a été saisie. Dans cette affaire, la Cour a rendu le jugement suivant:
La Cour est d'avis que le requérant a pu être gravement lésé par la présence des documents versés au dossier soumis à la Commission d'appel de l'immigration la page 17 du dossier conjoint), ce qui indique que le requérant n'a pas été représenté équitablement par son conseil à l'interrogatoire sous serment devant l'agent d'immigration supérieur, et que la revendication par le requérant du statut de réfugié au sens de la Convention devrait être entendue de nouveau.
La Cour ordonne que la décision de la Commission d'appel de l'immigration rendue le ou vers le 7 juin 1982 soit annulée.
Si le défaut de représentation équitable à l'inter- rogatoire sous serment indique que ... «le requé-
5 Jugement en date du 21 janvier 1983, Division d'appel de la Cour fédérale, A-526-82, encore inédit.
rant a pu être gravement lésé» et qu'il faut donc reprendre depuis le début l'examen de la demande de statut de réfugié, j'estime que la manière dont l'interrogatoire sous serment a été mené en l'es- pèce, est une irrégularité aussi grave, sinon plus grave que celle de l'affaire Gill précitée. Dans cette dernière affaire, on a pu conclure que les commentaires du procureur du requérant indi- quaient que ce dernier doutait de la validité de la revendication de son client. En l'espèce, les com- mentaires de l'agent d'immigration supérieur ont le même effet et peuvent, à mon avis, causer un préjudice beaucoup plus grave étant donné qu'ils émanent d'un fonctionnaire du ministère de l'Im- migration qui n'agit pas à titre d'opposant et dont les fonctions se limitent à recueillir des renseigne- ments. Lorsque l'agent a abandonné l'objectivité requise et a adopté une attitude hostile vis-à-vis du requérant, elle a causé au requérant un préjudice tellement grave et fondamental qu'il a entaché de nullité la décision du Ministre et l'interrogatoire sous serment menant à cette décision.
Par ces motifs, j'estime que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle n'a pas refusé d'en- tendre la demande au motif qu'il n'y avait pas eu de décision valide de la part du Ministre.
En conséquence, j'annulerais la décision de la Commission d'appel de l'immigration.
LE JUGE SUPPLÉANT LALANDE: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY (dissident): J'ai eu l'avan- tage de lire les motifs de jugement du juge Heald. Il a décrit les faits pertinents en l'espèçe, et je suis d'accord avec lui lorsqu'il conclut que, par la façon dont elle a contre-interrogé le requérant et les commentaires qu'elle a passés sur la crédibilité de ce dernier, l'agent d'immigration supérieur a agi de manière irrégulière au cours de l'interrogatoire sous serment tenu conformément au paragraphe 45(1) de la Loi sur l'immigration de 1976. Je fais mienne aussi l'analyse de la procédure d'examen et de réexamen du statut de réfugié qui a été faite
dans l'affaire Saraos c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada et autre 6 . En consé- quence, j'estime également que les irrégularités survenues durant la procédure menant à la déci- sion du Ministre ont entaché cette décision de nullité et que notre Cour peut, sur ce fondement et en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10], annu- ler une décision de la Commission d'appel de l'immigration rendue en vertu du paragraphe 71(1) de la Loi sur l'immigration de 1976. En l'absence d'irrégularité dans la procédure devant la Commission elle-même, une demande fondée sur l'article 28 doit, pour réussir, être fondée sur le défaut de compétence de la Commission. A mon avis, ceci n'est possible que s'il n'y a eu, ni en fait ni en droit, de décision sur laquelle fonder la demande de réexamen. Bien que je souscrive à tous ces points, je ne puis arriver à la même conclusion que celle de la majorité de la Cour.
À mon sens, l'arrêt Gill c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration' ne devrait être appliqué que dans des affaires dont les faits sont très similaires. Dans cette espèce, l'irrégularité reprochée était inhabituelle. Elle tenait au comportement de l'avo- cat du requérant. La Cour n'a pas donné les motifs de sa décision. J'ai de la difficulté à concevoir que l'irrégularité dans Gill est de même nature que celle en l'espèce qui tient entièrement à la conduite de l'agent d'immigration supérieur. En l'absence de motifs, il est probablement vain de s'interroger sur la ratio de l'arrêt Gill; toutefois, en présumant que la Cour a appliqué les principes dégagés dans la décision Saraos, on peut penser qu'elle a peut- être conclu que le requérant n'a pas réellement été interrogé au sujet de sa demande. Étant donné qu'il s'agit du seul but de l'interrogatoire, je ne peux imaginer d'irrégularité plus fondamentale. En l'espèce, il n'est pas allégué que le requérant n'a pas eu l'occasion d'exposer sa version des faits à l'interrogatoire et rien ne permet de conclure que tel a été le cas.
En l'espèce, l'irrégularité n'a aucunement privé le requérant du droit ou de la possibilité de présen- ter ses éléments de preuve devant le Ministre. Au contraire, l'irrégularité dans la présente affaire est plutôt le résultat de l'inclusion, dans le dossier de
6 [1982] 1 C.F. 304 (C.A.), aux pp. 307 et s.
7 Jugement en date du 21 janvier 1983, Division d'appel de la Cour fédérale, A-526-82, encore inédit.
l'interrogatoire, d'éléments non pertinents, savoir les conclusions mettant en doute la crédibilité du requérant. Cela semble être, à mon avis, une irré- gularité de même nature que celle reprochée dans Saraos, il est dit la page 308]:
D'où il suit que même si l'interrogatoire sous serment a été mené de façon irrégulière, si bien que la transcription de l'interrogatoire contient un témoignage autre que celui obtenu du requérant, cela ne vicie pas la décision du Ministre.
Puis la page 309]:
... Toutefois, la décision de la Commission doit être annulée si la preuve [examinée par la Commission] est préjudiciable au requérant et si la Commission l'a prise en considération sans son consentement.
Alors que cette dernière proposition était un obiter dictum dans l'affaire Saraos, elle a été la ratio decidendi dans l'arrêt Quinones c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration 8 . Dans la présente affaire toutefois, il n'est pas question de la preuve mais de commentaires gratuits et préjudiciables de l'agent d'immigration supérieur que la Commis sion d'appel de l'immigration peut, tout autant que nous, reconnaître comme tels et écarter; en l'ab- sence de motifs, nous n'avons pas les éléments permettant de conclure que ces commentaires ont influencé la décision de la Commission. Bien au contraire, indépendamment de la question de cré- dibilité, la version des faits exposée par le requé- rant, et acceptée sans réserves, ainsi que les docu ments qu'il a présentés à l'appui de sa demande ne constituaient pas un fondement suffisant pour que la Commission puisse raisonnablement conclure que le requérant pourrait vraisemblablement éta- blir le bien-fondé de sa demande, s'il y était donné suite. Il s'agit aussi de documents que le requérant a lui-même versés au dossier soumis à la Commis sion, conformément au paragraphe 70(2) dans le cas d'une demande de réexamen, et auxquels il ne s'est pas opposé, alors que l'alinéa 70(2)d) l'autori- sait à faire toute observation qu'il estimait pertinente.
Les commentaires défavorables de l'agent d'im- migration supérieur n'auraient pas apparaître dans la transcription soumise au Ministre, mais, compte tenu de l'arrêt Saraos, leur présence n'a pas vicié la décision du Ministre. Affirmer que la décision du Ministre n'est pas viciée par une irré- gularité dans la conduite de l'interrogatoire sous
8 [1983] 2 C.F. 81 (C.A.).
serment revient à dire qu'elle n'est pas entachée de nullité. Ce n'est pas déclarer qu'elle ne peut être annulée dans une procédure appropriée. Pour emprunter les termes utilisés dans un autre domaine du droit, la décision du Ministre peut être annulable, mais n'est pas nulle. Comme, à mon avis, la décision du Ministre n'a pas été viciée par les irrégularités commises durant l'interrogatoire sous serment, je ne puis conclure que le réexamen de la Commission a été, par conséquent, vicié.
Je conviens que la transcription n'indique pas si l'agent a respecté le paragraphe 45(6) et qu'il est souhaitable que la transcription le fasse. Je n'ex- prime pas d'opinion, toutefois, sur la question de savoir si la Cour a le droit de conclure que ce paragraphe n'a pas été respecté étant donné le silence du dossier sur ce point, parce qu'il ne s'agirait pas d'une irrégularité donnant ouver- ture à un recours dans la présente procédure.
Je rejetterais la présente demande fondée sur l'article 28.
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