Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-900-84
Wayne William O'Brien (requérant) c.
Commission nationale des libérations condition- nelles (intimée)
Division de première instance, juge McNair— Ottawa, 15 mai et 23 novembre 1984.
Libération conditionnelle Certiorari Un jury de sept membres de la Commission nationale des libérations condi- tionnelles a refusé une demande d'absence temporaire sans escorte à la suite d'une audience tenue devant trois membres de ladite Commission, les membres présents s'étant prononcés en faveur de la demande et les membres absents contre celle-ci La Loi ne prescrit pas la tenue d'une audience La présence à l'audience de tous les membres appelés à se pronon- cer sur la demande était-elle requise? La procédure suivie ne constitue pas une violation du droit à la liberté garanti par l'art. 7 de la Charte, auquel il ne peut être porté atteinte qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale, mais contrevient au principe de l'équité fondamentale prévu par la common law Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7 Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 2 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 17), 6 (mod. par idem, art. 23), 8, 9 (mod. par idem, art. 24), 11 (mod. par idem, art. 26) Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 26.1(1), 26.2 (adoptés par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 42) Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 2, 14, 15 (mod. par DORS/81- 487, art. 1), 23(2),(3) (texte français mod. par DORS/81-487, art. 4), 24.
Droit constitutionnel Charte des droits Droit à la liberté Demande d'absence temporaire sans escorte présen- tée par un détenu Un jury de sept membres de la Commis sion nationale des libérations conditionnelles a refusé la libé- ration conditionnelle à la suite d'une audience tenue devant trois membres de ladite Commission, les membres présents s'étant prononcés en faveur de la demande mais une majorité des membres, qui étaient absents à l'audience, s'étant pronon- cés contre la demande La procédure suivie ne constitue pas une violation de l'art. 7 de la Charte La Loi ne prescrit pas la tenue d'une audience L'absence temporaire sans escorte est une question de privilège et ne constitue pas un droit enchâssé dans la Constitution Le mot «liberté» à l'art. 7 de la Charte ne doit pas être interprété hors de son contexte Cependant, la décision de la Commission des libérations con- ditionnelles contrevient au principe de l'équité fondamentale prévu par la common law Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B. Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Un jury de sept membres de la Commission nationale des libérations conditionnelles a rejeté la demande d'absence tem- poraire sans escorte présentée par un détenu, à la suite d'une
audience tenue devant trois membres de ladite Commission, les membres présents s'étant prononcés en faveur de la demande, les membres absents s'étant prononcés contre celle-ci La Loi ne prescrit pas la tenue d'une audience À partir du moment une instance administrative accepte de tenir une audience, même si la loi ne l'oblige pas à le faire, cette audience doit être conduite en conformité avec les principes élémentaires de la justice naturelle La connaissance des faits des membres absents, qui découlait de leur examen du dossier sans qu'ils aient entendu le requérant. équivalait à une ignorance suffisante pour les empêcher de rendre un jugement équitable sur le bien-fondé de la demande et constituait, par conséquent, une violation du principe de l'équité fondamentale prévu par la common law Tous les membres de la Commis sion appelés à se prononcer doivent entendre la demande Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 2 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 17), 6 (mod. par idem, art. 23), 8, 9 (mod. par idem, art. 24), 11 (mod. par idem, art. 26) Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 26.1(1), 26.2 (adoptés par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 42) Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 2, 14, 15 (mod. par DORS/81- 487, art. 1), 23(2),(3) (texte français mod. par DORS/81-487, art. 4), 24.
Le requérant, qui purge une peine d'emprisonnement à per- pétuité, a présenté à la Commission nationale des libérations conditionnelles une demande d'absence temporaire sans escorte pour une période de trois jours. Bien que la Loi ne les obligeait pas à le faire, trois des sept membres de la Commission chargés du cas ont assisté à une audience au cours de laquelle ils ont interrogé le requérant. Ces trois membres se sont prononcés en faveur de la demande, mais les quatre autres membres se sont prononcés in absentia contre la demande, sans avoir entendu le requérant.
Cette décision est contestée par une demande de certiorari ou de mandamus pour le motif qu'il était requis par l'obligation d'agir équitablement prévue par la common law ou par l'article 7 de la Charte que tous les membres de la Commission qui se sont prononcés sur la demande entendent personnellement le requérant.
Jugement: la requête est accueillie. Bien qu'il n'existe aucune disposition législative expresse exigeant que tous les membres de la Commission qui doivent se prononcer sur la demande assistent en personne à une audition ou à une entrevue, à partir du moment on choisit de tenir une audience, il en résulte automatiquement que cette audience doit être conduite en conformité avec les principes élémentaires de la justice natu- relle. La connaissance des faits des membres absents à l'au- dience, qui découlait de leur examen du dossier seulement, sans qu'ils aient entendu le requérant, équivalait à une ignorance suffisante pour les empêcher de rendre un jugement équitable sur le bien-fondé de la demande. Tous les membres de la Commission appelés à se prononcer sur la demande doivent l'entendre, et l'omission d'agir ainsi constitue une violation du principe de l'équité fondamentale.
Cependant, il n'y a pas eu violation du droit à la liberté garanti par l'article 7 de la Charte, auquel il ne peut être porté atteinte qu'en conformité avec les principes de justice fonda- mentale. L'absence temporaire sans escorte n'est pas un droit enchâssé dans la Constitution, mais un simple privilège qui a
été refusé au requérant en conformité avec des dispositions législatives manifestement impératives. En outre, il ne faut pas interpréter le mot «liberté» à l'article 7 hors de son contexte et conclure qu'il crée un idéal absolu. L'article 7 était destiné à assurer une protection du droit à la liberté contre les interven tions arbitraires et a déclaré qu'on ne peut y porter atteinte qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police, [1979] 1 R.C.S. 311; Marti- neau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602; Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 13 (C.A.); Re Mason and The Queen (1983), 7 C.C.C. (3d) 426; 1 D.L.R. (4th) 712 (H.C. Ont.); La Reine, et autres c. Operation Dismantle Inc., et autres, [1983] 1 C.F. 745 (C.A.); R. v. Commit tee on Works of Halifax City Council, Ex p. Johnston (1962), 34 D.L.R. (2d) 45 (C.S.N.-E.); R. v. Minister of Labour, Ex parte General Supplies Co. Ltd. (1964), 47 D.L.R. (2d) 189 (C.S. Alb.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Greenholtz v. Nebraska Penal Inmates, 442 U.S. 1 (1979).
DÉCISION CITÉE:
R. v. Cadeddu (1982), 32 C.R. (3d) 355; 146 D.L.R. (3d) 629 (H.C. Ont.).
AVOCATS:
David P. Cole pour le requérant. J. A. Pethes pour l'intimée.
PROCUREURS:
David P. Cole, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE McNAIR: Le requérant, qui purge dans un pénitencier une peine d'emprisonnement à perpétuité pour un meurtre au second degré, demande par requête une ordonnance de certiorari annulant la décision par laquelle la Commission nationale des libérations conditionnelles lui a refusé une absence temporaire sans escorte. Subsi- diairement, il sollicite un mandamus enjoignant à la Commission nationale des libérations condition- nelles de lui accorder une absence temporaire sans escorte ou encore, une ordonnance exigeant la tenue d'une nouvelle audition en conformité avec les principes de justice fondamentale et l'obligation
d'agir équitablement. Les motifs invoqués sont énoncés comme suit dans l'avis de requête:
[TRADUCTION] 1. La procédure suivie dans cette affaire par la Commission nationale des libérations conditionnelles pour refuser au requérant sa libération conditionnelle contrevient à l'article 7 de la Charte des droits et libertés (ci-après appelée la Charte) parce que les membres de la Commission qui ont voté contre la libération conditionnelle se sont pro- noncés sans avoir donné au requérant l'occasion de se faire entendre.
2. La procédure suivie dans cette affaire par la Commission nationale des libérations conditionnelles n'était pas équitable parce que, avant de rendre leur décision, lesdits membres de la Commission n'ont ni rencontré le requérant ni entendu les arguments qu'il a fait valoir en personne.
3. La Cour fédérale du Canada a compétence pour accorder le redressement fondé sur l'article 24 de la Charte.
Le requérant est actuellement emprisonné au pénitencier de Warkworth (Ontario). Sur la recommandation de l'équipe de gestion des cas, il a présenté une demande d'absence temporaire sans escorte pour une période de trois jours afin de rendre visite à sa vieille grand-mère qui habitait alors à Windsor (Ontario). Trois membres de la Commission nationale des libérations conditionnel- les ont assisté à une audience tenue à Warkworth et ont eu une entrevue avec le requérant. Ils ont interrogé ce dernier sur sa condamnation, sa con- duite en prison et les motifs pour lesquels il avait demandé une absence temporaire. A la fin de l'audience, la présidente, Mme Benson, a informé le requérant que les trois membres de la Commis sion s'étaient prononcés en faveur de sa demande d'absence temporaire sans escorte, mais qu'il était toutefois nécessaire que quatre autres membres de la Commission à Ottawa se prononcent sur sa demande, et qu'il serait avisé du résultat par la poste.
Le 25 janvier 1984, la Commission nationale des libérations conditionnelles a envoyé la lettre sui- vante au requérant:
[TRADUCTION] Monsieur,
À la suite de votre demande d'absence temporaire sans escorte, la Commission nationale des libérations conditionnelles a pro- cédé récemment à un examen attentif de votre cas et elle a également eu une entrevue avec vous le 11 janvier 1984. Votre dossier a ensuite été transmis au Bureau central de la Commis sion à Ottawa afin d'obtenir les autres votes requis.
La Commission a alors décidé de refuser de vous accorder une absence temporaire sans escorte.
Cette décision a été rendue pour les motifs suivants:
«Peu d'aptitude à faire face à la tension et à faire son examen de conscience, et preuve suffisante au dossier démontrant que M. O'Brien représente encore un trop grand risque pour qu'il soit admissible à tout genre de mise en liberté conditionnelle.«
Veuillez prendre note que cette décision de refuser une absence temporaire ne peut faire l'objet d'un nouvel examen.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les meilleurs,
(Signé) E. Warder
Elizabeth Warder
Préposée à la correspondance et à
l'information
Voici un extrait de la lettre datée du 15 février que la Commission a envoyée en réponse à la lettre du 28 janvier dans laquelle le requérant sollicitait un nouvel examen de sa demande:
[TRADUCTION] En ce qui concerne votre demande d'absence temporaire, comme vous le savez probablement, sept (7) mem- bres de la Commission nationale des libérations conditionnelles ont examiné votre cas. Les 3 membres qui vous ont rencontré se sont prononcés en faveur de l'application du programme d'ab- sence temporaire sans escorte décrit par Mme Benson; toute- fois, comme l'a indiqué le vote, vous n'avez pas obtenu suffi- samment de voix favorables pour être admis au programme d'absence temporaire...
Les questions à résoudre sont les suivantes:
(1) l'obligation d'agir équitablement prévue par la common law exige-t-elle que la personne qui présente une demande d'absence temporaire sans escorte ait l'occasion de se faire entendre par tous les membres de la Commission natio- nale des libérations conditionnelles qui se pro- noncent sur sa demande?
(2) subsidiairement, cette procédure exigeant que la personne soit présente est-elle prescrite par l'article 7 de la Charte?
L'avocat du requérant allègue pour l'essentiel que, même si les dispositions de la Loi ne prescri- vent pas la tenue d'une entrevue personnelle, une injustice a été commise parce que le résultat final de l'audience a été imposé par les voix de quatre membres de la Commission à Ottawa qui n'ont ni assisté à l'audience, ni rencontré le requérant, ni entendu son cas.
Il soutient subsidiairement que lorsque la Com mission choisit d'accorder une entrevue person- nelle, l'équité la plus élémentaire exige que tous les membres de la Commission qui décident du sort de la demande soient présents à l'entrevue.
L'avocat de l'intimée soutient qu'il n'existe aucune disposition législative exigeant la tenue d'une audience et qu'on a simplement procédé en l'espèce à l'examen d'une demande d'absence tem- poraire sans escorte. Il fait la distinction entre la révocation d'une libération conditionnelle qui com- porte une certaine forme de liberté conditionnelle et l'octroi ou le refus d'un priviliège. Se fondant sur cette distinction, il rejette l'article 7 de la Charte. L'avocat a admis qu'il était possible que l'obligation d'agir équitablement s'applique, mais seulement en ce sens que, à partir du moment on procède à une audience, il est concevable que le principe d'équité exige la tenue d'une telle audience devant tous les membres de la Commis sion appelés à se prononcer.
Il est d'abord nécessaire d'examiner le concept d'absence temporaire sans escorte et ses effets en tenant compte du cadre législatif et de l'économie de la loi, qui découlent des dispositions pertinentes de la Loi sur la libération conditionnelle de déte- nus, S.R.C. 1970, chap. P-2, de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, et du Règle- ment sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, et leurs modifications.
L'article 2 de la Loi sur la libération condition- nelle de détenus [mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 17] définit et distingue «libération condition- nelle» et «libération conditionnelle de jour». Il ne contient pas de définition expresse de l'expression «absence temporaire sans escorte». La libération conditionnelle est l'autorisation accordée à un pri- sonnier d'être en liberté pendant sa période d'em- prisonnement. La libération conditionnelle de jour est une libération conditionnelle plus restreinte dont les modalités exigent que le prisonnier retourne occasionnellement à la prison, pendant la durée de cette libération conditionnelle ou après une période déterminée. À moins d'une disposition contraire, la définition de l'expression «libération conditionnelle» vise la libération conditionnelle de jour.
L'article 6 , [abrogé et remplacé par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 23] de la Loi est très pertinent en l'espèce; il porte:
6. Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur les péniten- ciers et de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, la Commission est exclusivement compétente et a entière discré- tion pour accorder ou refuser d'accorder une libération condi- tionnelle ou une absence temporaire sans escorte en vertu de la
Loi sur les pénitenciers et pour révoquer une libération condi- tionnelle ou mettre fin à une libération conditionnelle de jour.
L'article 8 de la Loi oblige la Commission, «aux époques prescrites par les règlements», à examiner le cas de chaque détenu qui en fait la demande ou qui est admissible à la libération conditionnelle et à «décider s'il y a lieu d'accorder la libération conditionnelle ou non».
En vertu de l'article 9 [abrogé et remplacé par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 24] de la Loi, le gouverneur en conseil peut, par règlement:
9....
a) fixer la façon dont la Commission doit en vertu de l'article 8, examiner les cas des détenus et déterminer s'il doit y avoir audition devant la Commission;
b) fixer la portion de la peine d'emprisonnement que doivent obligatoirement purger les détenus ou une catégorie de déte- nus avant qu'une libération conditionnelle ou une absence temporaire sans escorte au sens des articles 26.1 ou 26.2 de la Loi sur les pénitenciers puissent leur être accordées;
d) fixer les époques la Commission doit obligatoirement examiner les cas de détenus purgeant des sentences d'emprisonnement;
J) fixer le nombre minimal de votants et le nombre minimal de voix favorables qui, au sein de la Commission, sont nécessaires pour que la libération conditionnelle puisse être accordée à un détenu lors de l'examen de son cas ou lors de l'audition de la demande qu'il présente en ce sens;
o) prendre toutes les autres mesures nécessaires à l'applica- tion de la présente loi ou au bon fonctionnement de la Commission.
L'article 11 [abrogé et remplacé par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 26] de la Loi porte:
11. Sous réserve des règlements que peut établir à ce sujet le gouverneur en conseil, la Commission n'est pas obligée, lors- qu'elle étudie la possibilité d'accorder ou de révoquer une libération conditionnelle, de donner au détenu l'occasion de se faire entendre personnellement ou par l'intermédiaire d'une autre personne.
L'article 6 de la Loi sur la libération condition- nelle de détenus mentionne expressément la Loi sur les pénitenciers en ce qui concerne la compé- tence exclusive de la Commission d'accorder une absence temporaire sans escorte. C'est le paragra- phe 26.1(1) [édicté par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 42] de la Loi sur les pénitenciers qui s'appli- que; il prévoit:
26.1 (1) Sous réserve des règlements établis à cet effet en vertu de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, la
Commission nationale des libérations conditionnelles peut, lors- qu'elle l'estime souhaitable sinon nécessaire, autoriser l'absence sans escorte, d'un détenu pendant une période illimitée pour des raisons médicales ou pour au maximum quinze jours pour des raisons humanitaires ou de réinsertion sociale.
Dans le Règlement sur la libération condition- nelle de détenus, la «libération conditionnelle totale» est définie l'article 2] comme toute libération conditionnelle autre que la libération conditionnelle de jour. «L'absence temporaire» désigne toute absence sans escorte autorisée en vertu des articles 26.1 ou 26.2 de la Loi sur les pénitenciers. L'article 14 du Règlement prévoit l'examen du cas d'un détenu pour déterminer son admissibilité à la libération conditionnelle comme l'exige l'alinéa 8(1)a) de la Loi. L'article 15 [mod. par DORS/81-487, art. 1] du Règlement porte que l'examen visé à l'article 14 doit se faire par voie d'audition devant au moins deux membres de la Commission, sauf si le détenu renonce à l'audition ou s'il est un détenu sous juridiction fédérale incar- céré dans un établissement provincial. Ni la Loi ni le Règlement n'exigent la tenue d'une audition en cas de demande d'absence temporaire sans escorte, et la Commission n'est pas non plus obligée de donner au détenu l'occasion de se faire entendre personnellement ou par l'intermédiaire d'une autre personne.
En l'espèce, le requérant a comparu en personne devant trois membres de la Commission qui se sont prononcés en faveur de sa demande d'absence temporaire sans escorte. Ce résultat favorable a toutefois été annulé par le vote négatif des quatre autres membres de la Commission qui se sont prononcés in absentia.
Les articles 23 et 24 du Règlement sur la libé- ration conditionnelle de détenus traitent de la question des votes. Ce sont les paragraphes 23(2) et (3) [version française modifiée par DORS/81- 487, art. 4] et l'alinéa 24(1)a) qui s'appliquent en particulier lorsqu'il faut décider d'accorder ou de refuser une absence temporaire sans escorte. Le nombre de membres de la Commission qui devaient se prononcer en l'espèce était de sept.
Avant que la Charte n'entre en vigueur, la Cour suprême du Canada, dans plusieurs décisions mar- quantes, a étendu au processus décisionnel dans le domaine administratif ou exécutif l'application du
concept général de l'obligation d'agir équitable- ment au cours d'enquêtes, d'examens ou d'autres procédures administratives du même genre, compte tenu des circonstances particulières de chaque cas et de la question en cause. Le concept d'équité a été coulé dans le même moule que le principe de justice naturelle; toutefois, il concerne non seulement les fonctions judiciaires et quasi judiciaires, mais également le domaine admini- stratif. Les arrêts auxquels je fais allusion sont les suivants: Nicholson c. Haldimand-Norfolk Regional Board of Commissioners of Police' et Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui 2 . Dans l'arrêt Nicholson, le juge en chef Laskin a énoncé le principe de l'équité à la page 324:
On doit le traiter «équitablement» et non arbitrairement. J'ac- cepte donc aux fins des présentes et comme un principe de common law ce que le juge Megarry a déclaré dans Bates v. Lord Hailsham, à la p. 1378: [TRADUCTION] «dans le domaine de ce qu'on appelle le quasi-judiciaire, on applique les règles de justice naturelle et, dans le domaine administratif ou exécutif, l'obligation générale d'agir équitablement».
La doctrine de l'équité a fait un grand pas en avant dans l'arrêt Martineau la Cour suprême a statué qu'on peut recourir au certiorari pour mettre fin à la violation de l'obligation d'agir équitablement dans une décision administrative concernant la discipline carcérale. Les motifs de jugement de la minorité, qui ont été prononcés par le juge Dickson, ont une portée plus large que ceux de la majorité, bien que la décision ait été unanime.
Le principe sous-jacent de la décision est énoncé par le juge Dickson aux pages 622 et 623:
Les sources que j'ai mentionnées indiquent que l'application d'une obligation d'agir équitablement assortie d'un contenu procédural ne dépend pas de la preuve d'une fonction judiciaire ou quasi judiciaire. Même lorsque la fonction s'avère adminis trative à l'analyse, les cours peuvent intervenir dans un cas approprié.
En l'espèce, le comité de discipline n'était ni expressément ni implicitement tenu de suivre une procédure de nature judi- ciaire, mais en rendant sa décision et en imposant la peine, il devait constater des faits touchant un citoyen et exercer un certain pouvoir discrétionnaire. De plus, la décision du comité avait pour effet de priver une personne de sa liberté en l'incar- cérant dans une «prison au sein d'une prison». Dans ces circons- tances, la justice élémentaire exige une certaine protection dans la procédure. Le principe de la légalité doit régner à l'intérieur des murs d'un pénitencier.
' [1979] 1 R.C.S. 311. 2 [1980] I R.C.S. 602.
À mon avis, on peut recourir au certiorari chaque fois qu'un organisme public a le pouvoir de trancher une question tou- chant aux droits, intérêts, biens, privilèges ou libertés d'une personne.
Dans l'arrêt Nicholson, la Cour suprême [aux pages 326 et 327] a approuvé ce que lord Denning avait dit à propos de l'obligation d'agir équitable- ment dans l'arrêt Selvarajan v. Race Relations
Board 3 :
[TRADUCTION] ... Ces dernières années nous avons examiné la procédure de nombreux organismes chargés de faire enquête et de se faire une opinion ... Dans tous ces cas, on a jugé que l'organisme chargé d'enquêter a le devoir d'agir équitablement; mais les exigences de l'équité dépendent de la nature de l'en- quête et de ses conséquences pour les personnes en cause. La règle fondamentale est que dès qu'on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu'on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l'enquête et du rapport, il faut l'informer de la nature de la plainte et lui permettre d'y répondre. Cependant, l'organisme enquêteur est maître de sa propre procédure. Il n'est pas nécessaire qu'il tienne une audi tion. Tout peut se faire par écrit. Il n'est pas tenu de permettre la présence d'avocats. Il n'est pas tenu de révéler tous les détails de la plainte et peut s'en tenir à l'essentiel. Il n'a pas à révéler sa source de renseignements. Il peut se limiter au fond seule- ment. De plus, il n'est pas nécessaire qu'il fasse tout lui-même. Il peut faire appel à des secrétaires et des adjoints pour le travail préliminaire et plus. Mais en définitive, l'organisme enquêteur doit arrêter sa propre décision et faire son propre rapport. (C'est moi qui souligne.)
La Charte canadienne des droits et libertés" a ensuite été adoptée. L'article 7 de la Charte porte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Dans l'arrêt R. v. Cadeddu 5 , le juge Potts, avec l'audace qui le caractérise, a innové en statuant que l'article 7 de la Charte exige qu'il soit donné au détenu en liberté conditionnelle l'occasion de se faire entendre personnellement avant que sa libé- ration conditionnelle puisse être révoquée. Le prin- cipe applicable dans cet arrêt est énoncé à la page
368 C.R.:
[TRADucTIotv] Examinons maintenant si les droits du requé- rant garantis par l'article 7 de la Charte ont été violés. Il me semble qu'il faut répondre à deux questions: le requérant était-il libre lorsqu'il était en liberté conditionnelle, et si oui,
3 [1976] 1 All E.R. 13 (C.A.).
4 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11, (R.-U.).
5 (1982), 32 C.R. (3d) 355; 146 D.L.R. (3d) 629 (H.C. Ont.).
a-t-il été porté atteinte à son droit à la liberté en conformité avec les principes de justice fondamentale?
Ma réponse à la première question est que le requérant était libre pendant sa libération conditionnelle. Bien qu'il soit évident que la libération conditionnelle est un privilège qu'un détenu ne peut réclamer de plein droit, que lorsque qu'un détenu est en liberté conditionnelle, il purge sa peine d'emprisonnement, et que décider d'accorder ou de révoquer une libération conditio- nelle équivaut à décider un détenu doit purger sa peine (voir les affaires McCaud, Howarth et Mitchell, précitées), à mon avis, aucune de ces considérations n'est utile pour déterminer quel était le statut du requérant pendant sa libération condi- tionnelle. Il est évident qu'il jouissait de la possibilité d'être en liberté conditionnelle ou restreinte pendant la durée de son incarcération. Même s'il s'agissait d'une liberté restreinte qui pouvait être révoquée, cela suffit, à mon avis, pour entraîner l'application des garanties d'ordre constitutionnel contenues à l'art. 7 de la Charte. Par conséquent, pour ne pas violer les droits du requérant, la Commission ne pouvait révoquer sa libération conditionnelle qu'en conformité avec les règles de justice fondamentale.
J'ai examiné la jurisprudence invoquée par les avocats. Il n'est pas nécessaire de s'y attarder plus longuement parce que, à mon avis, chaque cas doit être déterminé à partir de ses faits particuliers. Ce qui dans un cas peut être considéré comme la violation d'un droit garanti par la Charte ou comme la violation flagrante du «franc-jeu« peut, dans une autre situation mettant en présence des personnes différentes, être jugé juste et légal.
L'arrêt Re Mason and The Queen 6 ressemble beaucoup à l'affaire en instance. Le juge Ewas- chuk a statué dans ce cas que la procédure pres- crite par l'alinéa 24(2)b) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus qui prévoit que, lorsque les deux membres de la Commission des libérations conditionnelles se prononçant sur une révision de la suspension de la libération sous surveillance obligatoire n'arrivent pas à s'entendre,
le président peut accorder une voix prépondérante à une troisième personne qui n'a pas entendu les arguments du détenu, est contraire à la garantie de justice fondamentale de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le juge a fait valoir les motifs suivants la page 430 C.C.C.):
[TRADUCTION] ... en examinant si la procédure suivie en l'espèce était «juste et appropriée», je conclus qu'elle ne l'était pas. Au contraire, il s'agissait d'une procédure impersonnelle fondée sur un dossier alors qu'on aurait procéder à une audition en personne et non à une procédure de révision. Le fait qu'une révision de l'appel en l'absence de la personne en cause est prévue n'a rien à voir avec l'affaire.
6 (1983), 7 C.C.C. (3d) 426; 1 D.L.R. (4th) 712 (H.C. Ont.).
Conscient que l'art. 7 garantit seulement qu'une procédure équitable sera suivie, procédure qui peut varier selon les cir- constances, j'estime que l'art. 24(2)b) du Règlement sur la libération conditionnelle de détenus est essentiellement injuste. Parce qu'il contrevient à l'art. 7 de la Charte, l'art. 24(2)b) est ultra vires et, en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, il est inapplicable et de nul effet.
Il a ajouté pour conclure [aux pages 430 et 431]:
[TRADUCTION] ... ce à quoi le requérant a droit est une audience juste et convenable, ce qui peut être réalisé devant un nouveau jury formé de trois membres de la Commission qui siégeraient en personne pour déterminer si le requérant est en droit d'obtenir sa liberté ou s'il doit rester en détention. Il ne s'ensuit pas que les trois membres doivent assister à toutes les auditions, bien qu'une majorité d'entre eux doive le faire. Cependant, lorsqu'une décision majoritaire n'est d'abord pas rendue, il faut donner au détenu l'occasion de comparaître en personne devant chaque membre de la Commission dont la présence est nécessaire pour former un jury complet dans ce cas particulier.
L'avocat de l'intimée s'est fondé en grande partie sur l'arrêt Greenholtz v. Nebraska Penal 'mates'', une affaire soumise à la Cour suprême des États-Unis concernant l'audition d'une pre- mière demande de libération conditionnelle d'un détenu. La procédure qui a été suivie comportait l'interrogatoire du détenu et la réception de lettres ou de déclarations à l'appui de sa demande d'élar- gissement. Se fondant sur son examen du dossier et sur son entrevue avec le détenu, la commission des libérations conditionnelles a décidé que la mise en liberté du détenu présentait trop de risques et lui a donc refusé sa libération conditionnelle tout en l'informant des motifs de sa décision. On a objecté que la procédure suivie par la commission était contraire à l'application régulière de la loi. La majorité des membres de la Cour en ont décidé autrement pour le motif qu'il existait une diffé- rence entre la mise en liberté discrétionnaire et la révocation de la libération conditionnelle, et que, dans le premier cas, le fait d'avoir donné au détenu l'occasion de se faire entendre et d'avoir précisé les motifs du refus de sa libération satisfaisait de manière raisonnable aux exigences de l'application régulière de la loi. Le fondement de la décision de la majorité se trouve dans l'extrait suivant tiré des motifs du juge en chef Burger la page 15]:
[TRADUCTION] À la première audition devant la Commission, le détenu est autorisé à comparaître devant celle-ci et à lui présenter lettres et déclarations en son nom. II lui est donc possible d'abord de s'assurer que tous les documents dont la
7 442 U.S. 1 (1979).
Commission a été saisie sont, en fait, ceux qui concernent son cas, et en second lieu, de faire valoir toutes les considérations spéciales montrant qu'il est un candidat admissible à la libéra- tion conditionnelle. Etant donné que la décision doit être rendue dans une large mesure à partir des documents du détenu, cette procédure constitue une garantie adéquate contre les risques d'erreurs graves et permet ainsi l'application régulière de la loi.
Je ne vois pas comment cet arrêt supporte de manière concluante la position de l'intimée si l'on tient compte de l'obligation de procéder à une entrevue personnelle.
La première question à laquelle il faut répondre est la suivante: le vote in absentia des quatre membres de la Commission qui n'ont ni rencontré ni entendu le requérant constitue-t-il une violation manifeste de l'article 7 de la Charte parce qu'il a porté atteinte au droit du requérant à la liberté d'une manière non conforme aux principes de jus tice fondamentale?
Les dispositions législatives n'exigeaient pas la tenue d'une audience mais il y en a eu une. Les trois membres présents qui ont interrogé le requé- rant se sont prononcés en faveur de l'absence temporaire sans escorte. L'objet de la demande était simplement une requête. Il n'était pas ques tion de la privation d'un droit à la liberté, condi- tionnelle ou autre, enchâssé dans la Constitution comme ce pourrait être le cas s'il s'agissait de la révocation d'une libération conditionnelle et de ses effets sur une réduction méritée de peine ou sur la suspension de la libération sous surveillance obli- gatoire. Le requérant a demandé qu'on lui octroie un privilège mais celui-ci lui a été refusé en confor- mité avec des dispositions législatives manifeste- ment impératives. A mon avis, il faut établir une distinction entre le fait de refuser à un particulier la jouissance d'un privilège anticipé concernant sa liberté et la privation d'un droit à la liberté dont une personne jouit actuellement, lorsqu'une telle privation est contraire à la justice fondamentale.
Il ne faut pas conclure que l'emploi du mot «liberté» à l'article 7 de la Charte crée un idéal absolu isolé de tout. Il existe une certaine logique dans l'argument voulant que ce mot ne doit pas être séparé de l'expression «liberté et sécurité de sa personne» qui, interprétée dans son contexte, com- porte généralement l'idée normale et acceptée d'immunité contre les arrestations et les déten- tions, et la protection du concept étendu de liberté
contre les interventions arbitraires. L'article 7, même si on l'interprète point par point, insiste sur la protection du droit à la liberté en ce sens qu'il ne peut y être porté atteinte qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale, plutôt que sur la liberté au sens abstrait. À mon avis, les tribunaux devraient se montrer suffisamment pru- dents pour ne pas en arriver à dissocier les articles de la Charte et à les interpréter d'une manière si large qu'ils substituent leurs opinions à celles du législateur. Les mots du juge Pratte dans l'arrêt La Reine, et autres c. Operation Dismantle Inc., et autres' contiennent un message fort à propos la page 752):
La Charte a été adoptée pour protéger des libertés et des droits fondamentaux. Elle n'avait pas pour but de conférer des pou- voirs législatifs et exécutifs aux juges.
Pour ces motifs, je suis d'avis que la décision administrative de rejeter la demande d'absence temporaire sans escorte présentée par le requérant ne constituait pas la privation d'un droit à la liberté enchâssé dans la Constitution et prévu à l'article 7 de la Charte.
Il reste à déterminer si l'obligation d'agir équita- blement exige que tous les membres de la Commis sion qui sont appelés à se prononcer sur la demande d'absence temporaire sans escorte assis- tent en personne à l'audition ou à l'entrevue. Il faut se rappeler que trois membres de la Commis sion se sont prononcés en faveur de cette demande à la fin de l'audition. Les quatre autres membres dont le vote était requis ont infirmé la décision de leurs collègues qui étaient présents à l'audition en se prononçant in absentia contre la demande. Il n'existe aucune disposition législative expresse exi- geant que tous les membres de la Commission qui doivent se prononcer sur la demande assistent en personne à une audition ou à une entrevue. Il s'agit d'une décision administrative qui doit être confir- mée ou infirmée en conformité avec l'obligation d'agir équitablement prévue par la common law.
La question à examiner est l'admission d'une demande visant à obtenir une sorte de liberté temporaire et non la révocation ou la restriction d'une liberté existante. La procédure envisagée est un examen ou une enquête plutôt que la tenue d'une audience complète avec toutes les garanties habituelles que cela comporte, comme par exem-
8 [1983] 1 C.F. 745 (C.A.).
ple, le droit d'une partie de savoir d'avance quels seront les arguments invoqués contre elle, son droit d'être représentée par avocat ou du moins d'obte- nir de l'aide pour assurer sa défense, et générale- ment, le droit de présenter une défense complète aux arguments invoqués contre elle.
À mon avis, l'affaire se résume essentiellement à la question suivante: une fois que l'on a étendu la portée de la procédure comportant un examen équitable et que l'on a choisi de tenir une audience, l'obligation d'agir équitablement exige-t-elle que tous les membres de la Commission appelés à se prononcer doivent avoir personnellement rencontré et entendu le requérant avant de rendre leur déci- sion finale? Comme d'éminents auteurs l'ont habi- tuellement souligné 9 , la tenue d'audiences volon- taires pose un véritable problème lorsqu'il s'agit d'établir un juste équilibre entre la praticabilité sur le plan administratif et les exigences minimales de l'équité. Il faut toujours laisser suffisamment de latitude pour créer l'impression que justice a été rendue. de Smith a donné une réponse claire à cette question avec cette déclaration de principe aux pages 219 et 220:
[TRADUCTION] La personne qui décide d'une affaire doit-elle aussi l'instruire? En général, la réponse est affirmative. Cela constitue une violation de la justice naturelle de la part d'un membre d'un tribunal judiciaire ou d'un arbitre de participer à une décision s'il n'a pas entendu tous les témoignages et les arguments. Le même principe a été appliqué aux membres d'organismes administratifs qui ont pris part à des décisions touchant des droits individuels, rendues à la suite d'audiences tenues devant ces organismes et auxquelles lesdits membres n'ont pas assisté, «car la partialité et l'ignorance empêchent de la même manière de rendre un jugement équitable sur le bien-fondé d'une affaire.»
Dans l'arrêt R. v. Committee on Works of Hali- fax City Council, Ex p. Johnston'°, la Cour suprême de la Nouvelle-Ecosse a statué qu'une ordonnance de démolition du comité des travaux du conseil municipal devait être annulée parce que quatre membres du comité s'étant prononcés en faveur de la démolition n'avaient pas assisté à toutes les réunions au cours desquelles des témoi- gnages avaient été déposés et des arguments soule- vés, ce qui était contraire aux principes de justice
9 de Smith's Judicial Review of Administrative Action, éd., pp. 220, 237 et 238. Reid et David, Administrative Law and Practice, éd., pp. 20 et 21.
10 (1962), 34 D.L.R. (2d) 45 (C.S.N.-E.).
naturelle. À la page 57, le juge MacDonald a fondé sa décision sur le principe général suivant:
[TRADUCTION] ... lorsqu'un ou des membres d'un organisme chargé de trancher une question (comme par exemple, un conseil municipal) sont absents des réunions au cours desquelles des aspects importants de cette question en litige ont été présentés ou discutés, ce ou ces membres deviennent inhabiles à prendre part aux délibérations finales de cet organisme ou à la décision de celui-ci sur cette question; et s'ils y participent, la décision de l'organisme est viciée et doit être annulée.
Je suis arrivé à cette conclusion en me fondant d'abord sur l'étroite ressemblance entre la situation en cause et celle un membre devient inhabile en raison de sa partialité; car la partialité et l'ignorance empêchent de la même manière de rendre un jugement équitable sur le bien-fondé d'une affaire et nuisent à l'exercice d'une influence appropriée sur les autres membres. (C'est moi qui souligne.)
On peut également identifier un principe général voulant qu'à partir du moment une instance administrative choisit de tenir une audience, même si la loi ne l'oblige pas à le faire, il en résulte automatiquement que cette audience doit être con- duite en conformité avec les principes élémentaires de la justice naturelle ".
Dans l'arrêt Martineau (N° 2), précité, le juge Dickson a énoncé le critère suivant qui doit être appliqué dans les cas nécessitant la prise de déci- sions administratives la page 631):
8. En conclusion, la simple question à laquelle il faut répon- dre est celle-ci: compte tenu des faits de ce cas particulier, le tribunal a-t-il agi équitablement à l'égard de la personne qui se prétend lésée? Il me semble que c'est la question sous-jacente à laquelle les cours ont tenté de répondre dans toutes les affaires concernant la justice naturelle et l'équité.
Si j'applique ce critère aux circonstances parti- culières de l'espèce, j'estime que la Commission n'a pas agi de manière équitable envers le requé- rant. Du point de vue de l'équité, il fallait sûre- ment que le requérant puisse avoir l'occasion de se faire entendre personnellement devant tous les membres de la Commission qui devaient se pro- noncer sur sa demande. Les voix décisives en l'es- pèce sont celles de quatre membres qui se sont prononcés in absentia et qui n'ont ni rencontré le requérant ni entendu sa demande mais qui, au contraire, ont probablement fondé leur décision sur son dossier. En fait, il n'existe aucune preuve concernant la manière dont les membres absents de la Commission ont examiné la question qu'ils
" de Smith, ibid., à la p. 237. R. v. Minister of Labour, Ex parte General Supplies Co. Ltd. (1964), 47 D.L.R. (2d) 189 (C.S. Alb.).
avaient à trancher. De toute façon, il faut considé- rer que leur connaissance des faits qui découlait de leur examen du dossier seulement, sans qu'ils aient entendu le requérant, équivalait à une ignorance suffisante pour les empêcher de rendre un juge- ment équitable sur le bien-fondé de la demande. A mon avis, tous les membres de la Commission appelés à se prononcer sur la demande doivent l'entendre et l'omission d'agir ainsi constitue une violation du principe de l'équité fondamentale. Il s'ensuit que la décision de la Commission est nulle.
Par ces motifs, la requête du requérant est accueillie avec dépens.
ORDONNANCE
1. La décision par laquelle la Commission natio- nale des libérations conditionnelles a rejeté la demande d'absence temporaire sans escorte pré- sentée par le requérant est donc annulée.
2. La Commission doit, sans délai, donner au requérant l'occasion de se faire entendre devant tous les membres de la Commission appelés à se prononcer sur le bien-fondé de la demande.
3. Le requérant a droit aux dépens et aux autres frais de la requête.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.