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iTA-5319-83
Serge Charron (requérant) (débiteur saisi)
c.
Claude Dufour (tiers-saisi)
et
La Reine (intimée)
Division de première instance, juge Walsh—Mont- réal, 13 et 24 février 1984.
Impôt sur le revenu Saisies Saisie-arrêt conservatoire pour dettes fiscales La demande de paiement immédiat sous le régime de l'art. 158(2) de la Loi reposait sur l'avis du Ministre que le contribuable tentait d'éluder le paiement But de l'art. 158(2) et les cas on peut recourir à la procédure y prévue Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 152(2), 158(1),(2), 161(1), 223(1),(2), 224(3) (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 48, art. 103), 231, 239(1).
Impôt sur le revenu Pratique Saisie-arrêt conserva- toire pour dettes fiscales La demande de paiement immé- diat sous le régime de l'art. 158(2) de la Loi reposait sur l'avis du Ministre que le contribuable tentait d'éluder le paiement Utilisation appropriée de la procédure prévue à l'art. 158(2) Suffisance des affidavits Enregistrement du certificat Moment approprié pour décider si les sommes ont été saisies- arrêtées valablement Obligations du Ministre quant à l'en- voi de l'avis de nouvelle cotisation L'affidavit constitue une preuve suffisante d'expédition par la poste de l'avis Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 152(2), 158(1),(2), 161(1), 223(1),(2), 224(3) (mod. par S.C. 1980-81- 82-83, chap. 48, art. 103), 231,239(1)— Règlement de l'impôt sur le revenu, C.R.C., chap. 945, art. 900(1) Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 330 (mod. par DORS/79-58, art. 1), 1909 Loi sur la Cour fédérale. S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 56 Code de procédure civile du Québec, L.R.Q., chap. C-25, art. 627.
Droit constitutionnel Charte des droits Garanties juridiques Saisie-arrêt conservatoire pour dettes fiscales La saisie n'est pas abusive au sens de l'art. 8 de la Charte, puisque ce n'est pas un abus que de saisir-arrêter des fonds par suite du dépôt d'un certificat Il n'est pas question de peines cruelles ou inusitées au sens de l'art. 12 de la Charte, puisque la procédure est très commune et découle de la Loi L'art. 158(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu ne vas pas à l'encontre de l'art. 11d) de la Charte puisqu'il ne crée pas d'infraction criminelle; il s'agit d'une disposition qui constitue une question purement civile qui permet de demander paie- ment L'art. 158(2) ne contrevient pas à l'art. 24(1) de la Charte Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 158(2) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. il (R.-U.), art. 8,11d), 12,24(1)— Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.
Lorsque le requérant a été arrêté en vertu de la Loi sur les stupéfiants, l'argent qui semblait lui appartenir a été saisi et placé sous la garde du tiers-saisi. Apprenant l'existence des
sommes importantes saisies, le ministère du Revenu national a établi de nouvelles cotisations pour les années d'imposition antérieures du requérant et a déterminé que le requérant devait près de 20 000 $ à titre d'impôt sur le revenu, de pénalité et d'intérêts. Un avis de nouvelle cotisation a été envoyé et, ensuite, au lieu de suivre la procédure type prévue à l'alinéa 223(1)6) de la Loi et d'attendre 30 jours avant d'enregistrer un certificat, le Ministre a choisi de l'enregistrer seulement 28 jours après l'envoi de l'avis et de faire une demande formelle de paiement sous le régime du paragraphe 158(2) de la Loi au motif que le requérant tentait d'éluder le paiement d'impôts. La Cour a rendu une ordonnance ex parte en se fondant sur ce certificat.
Dans cette affaire, il s'agit de trois requêtes tendant à l'annulation et à la suspension de l'ordonnance ex parte et à l'annulation de la saisie-arrêt elle-même. Divers arguments ont été invoqués au sujet de la suffisance des affidavits. Il est allégué en outre que les sommes ne pouvaient être saisies-arrê- tées et que la saisie-arrêt n'était pas valable parce que le requérant n'a jamais reçu l'avis de nouvelle cotisation. Le requérant fait valoir que les nouvelles cotisations n'étaient pas justifiées, et que rien ne justifie de dire qu'il tentait d'éluder le paiement d'impôts. Ont également été invoqués les droits, prévus par la Charte, à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives et à la protection contre tous traitements ou peines cruels ou inusités. On prétend que le paragraphe 158(2) viole le droit, que garantit l'alinéa 11 d) de la Charte, d'être présumé innocent jusqu'à la preuve de la culpabilité, et contrevient au paragraphe 24(1). Le requérant soutient en dernier lieu qu'invoquer le paragraphe 158(2) en l'espèce va à l'encontre de la justice naturelle et de l'obligation d'agir équitablement.
Jugement: les requêtes devraient être accueillies, mais seule- ment dans la mesure elles demandent l'annulation du certifi- cat, de l'ordonnance de saisie-arrêt conservatoire et de la saisie en découlant, mainlevée étant accordée au tiers-saisi.
Les affidavits soumis dans les présentes procédures étaient suffisants. De même, la décision sur la question de savoir si les sommes détenues par la police pouvaient valablement être saisies-arrêtées devrait attendre la déclaration du tiers-saisi et les oppositions à la saisie. Dans les présentes procédures, on n'a pas à trancher d'autres questions telles que la propriété de l'argent et l'exactitude de la nouvelle cotisation.
Le droit du requérant à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives et son droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités, garantis respectivement par les articles 8 et 12 de la Charte, n'ont pas été violés. L'article 8 ne s'applique pas puisqu'il reste à voir si la saisie est valable ou non. Une saisie irrégulière n'est pas nécessairement abusive. Et ce n'est pas un abus que de saisir- arrêter des fonds en vertu d'un certificat. Il n'y a non plus rien de cruel ou d'inusité dans l'application des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu pour tenter de percevoir des impôts. La procédure est très commune et le préjudice subi en l'espèce n'est pas plus grand que celui d'un autre débiteur saisi.
La question de savoir si le requérant a reçu l'avis de nouvelle cotisation est sans importance quant à la validité du titre. Le paragraphe 152(2) de la Loi exige seulement que le Ministre «envoie un avis de cotisation». Il n'est nullement obligatoire de s'assurer qu'il a été reçu. Quand à la preuve de l'expédition par
la poste, il suffit de mentionner dans l'affidavit que les avis ont été envoyés.
Le paragraphe 158(2) de la Loi ne contrevient pas à l'alinéa 11d) de la Charte puisqu'il ne crée pas d'infraction criminelle, mais qu'il constitue une question purement civile relative à une demande de paiement. Il ne vas pas non plus à l'encontre du paragraphe 24(1) de la Charte, puisque les droits du requérant n'ont pas été violés et qu'il garde intact son droit, au moyen d'une opposition à la saisie, de contester la présomption qu'il élude le paiement d'impôts.
Toutefois, invoquer le paragraphe 158(2) était contraire aux principes de justice naturelle et à l'obligation d'agir équitable- ment, et l'enregistrement du certificat est donc sans effet. On ne devrait y recourir qu'exceptionnellement et lorsqu'il y a la preuve manifeste d'une tentative d'éluder le paiement d'impôts. Le paragraphe 158(2) vise le cas un contribuable fait disparaître ses avoirs ou une circonstance de ce genre qui justifierait, en vertu d'une loi provinciale, une saisie avant jugement. Il n'est pas destiné à permettre au Ministre d'éviter de se conformer à l'alinéa 223(1)b) exigeant un délai de 30 jours avant l'enregistrement du certificat.
AVOCATS:
André Dugas pour l'intimée.
Louise Gagné pour le requérant (débiteur saisi).
PROCUREURS:
Leduc, LeBel, Montréal, pour l'intimée.
Gagné, Alferez, Montréal, pour le requérant (débiteur saisi).
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE WALSH: Dans cette affaire, le requé- rant a introduit trois requêtes qui ont été débattues
ensemble. La première, en vertu des Règles 330 [mod. par DORS/79-58, art. 1] et 1909 de la Cour fédérale [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] et des articles 8 et 12 de la Loi consti- tutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], vise à faire annuler et suspendre une ordonnance rendue ex parte; la deuxième conteste la saisie-arrêt de biens meubles et en demande l'annulation en vertu de l'article 627 du Code de procédure civile du Québec [L.R.Q., chap. C-25], des articles 8 et 12 de la Loi constitutionnelle de 1982 et de l'article 56 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10]; la troisième vise à l'annulation du jugement rendu ex parte ou à la suspension de son exécution, en application des Règles 330 et
1909 de la Cour fédérale et des articles 11, 12, 24 et 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Au débat, il a été reconnu que ces trois requêtes se chevauchaient dans une grande mesure.
Voici un aperçu des faits donnant lieu à ce litige. Le 13 janvier 1984, le juge Dubé a rendu une ordonnance de saisie-arrêt conservatoire enjoi- gnant au tiers-saisi de comparaître le 24 février 1984 pour déclarer toutes les sommes qu'il devait au débiteur, et de les conserver jusqu'à ce que la Cour ait rendu une décision à ce sujet. L'ordon- nance rendue reposait sur un certificat enregistré à la Cour le 7 décembre 1983 en vertu du paragra- phe 223(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148, (mod. par S.C. 1970- 71-72, chap. 63, art. 1)], réclamant la somme due par Charron pour l'impôt sur le revenu de 1981 et de 1982, la pénalité et l'intérêt s'élevant à 19 631,54 $, avec, conformément au paragraphe 161(1) de la Loi, un intérêt sur la somme de 13 852,71 $ du 10 novembre 1983 à la date du paiement.
Le paragraphe 223(1) de la Loi dispose:
223. (1) Un montant payable en vertu de la présente loi qui est impayé, ou le solde d'un montant payable en vertu de la présente loi, peut être certifié par le Ministre,
a) lorsqu'un ordre a été donné par le Ministre en vertu du paragraphe 158(2) immédiatement après cet ordre, et
b) dans les autres cas, à l'expiration d'une période de 30 jours après le manquement.
Le paragraphe (2) porte:
223... .
(2) Sur production à la Cour fédérale du Canada, un certifi- cat fait sous le régime du présent article doit être enregistré à cette cour et, lorsqu'il est enregistré, il a la même force et le même effet, et toutes les procédures peuvent être engagées à la faveur de ce certificat comme s'il était un jugement obtenu de cette cour pour une dette du montant spécifié dans le certificat, plus l'intérêt couru jusqu'à la date du paiement ainsi qu'il est prescrit dans la présente loi.
À l'appui d'une requête en saisie-arrêt conserva- toire en date du 5 janvier 1984, Robert Lefrançois a déposé un affidavit daté du 15 décembre 1983 dont un paragraphe déclarant que le Ministre demandait, en vertu du paragraphe 158(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, que le paiement soit effectué immédiatement après la cotisation, et qu'il estimait que le contribuable tentait d'éluder le paiement. Ce paragraphe était nécessaire pour pouvoir faire le dépôt du certificat sous le régime de l'alinéa 223(1)a), puisque la cotisation n'a été
établie que le 9 novembre 1983, donc seulement 28 jours avant l'enregistrement du certificat. Ledit article 158 porte:
158. (1) Le contribuable doit, dans les 30 jours qui suivent la date de l'expédition par la poste de l'avis de la cotisation, payer au receveur général du Canada toute fraction de l'impôt, des intérêts et des pénalités demeurant alors impayée, qu'une oppo sition ou un appel relatif à la cotisation soit ou non en instance.
(2) Lorsque, de l'avis du Ministre, un contribuable tente d'éluder le paiement des impôts, le Ministre peut ordonner que tous les impôts, pénalités et intérêts soient payés immédiate- ment après la cotisation.
L'avis de cotisation a, prétend-on, été envoyé à l'adresse du débiteur le jour même qu'il a été établi, c'est-à-dire le 9 novembre 1983. Le requé- rant prétend que, au 7 décembre 1983, il n'avait jamais reçu d'avis de cette cotisation, qui était, en fait, une nouvelle cotisation, puisqu'on avait déjà établi sa cotisation pour les années d'imposition 1981 et 1982 sur la base des déclarations qu'il avait faites sans que des sommes additionnelles soient réclamées.
D'après le requérant, ce n'est que vers le 30 janvier 1984, après avoir appris les procédures engagées pour exécuter le jugement, qu'il a produit des avis officiels d'opposition à ces nouvelles coti- sations. L'intimée ne nie pas que ces avis ont été produits dans les délais et qu'ils seront examinés en temps utile.
Le requérant avance divers arguments pour con- tester l'ordonnance de saisie-arrêt conservatoire rendue le 13 janvier 1984. Il fait valoir que l'affi- davit en vertu duquel l'ordonnance a été obtenue est défectueux parce qu'il ne dit pas qu'on ne s'est pas conformé au certificat du 7 décembre 1983, qui avait le même effet qu'un jugement. Cette prétention est erronée puisque le paragraphe 1 de l'affidavit dit que la somme demeure impayée. Il prétend que l'affidavit ne donne pas les montants que lui doit le tiers-saisi. L'affidavit contenait nécessairement certains renseignements essentiels indiquant pourquoi une ordonnance devait être rendue contre le tiers-saisi pour lui enjoindre de faire sa déclaration. Il est reconnu que le requérant a été arrêté le 19 octobre 1983 et a été accusé sous le régime de la Loi sur les stupéfiants [S.R.C. 1970, chap. N-1], que, lorsqu'il a été arrêté, on a trouvé les sommes suivantes: 800 $ sur sa per- sonne, 4 670 $ dans ses effets personnels qui se trouvaient dans un sac et 14 000 $ à l'Esterel, 2
Place Dupuis, et qu'elles se trouvent en la posses sion du greffier de la Cour des sessions de la paix, le tiers-saisi. Des documents à l'appui ont été joints à l'affidavit. Le 17 novembre 1983, une ordon- nance enjoignant la production des sommes saisies a, en vertu du paragraphe 224(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu [mod. par S.C. 1980-81- 82-83, chap. 48, art. 103], été signifiée au corps policier de la Communauté urbaine de Montréal et, le 1 ° ' décembre 1983, une demande de paiement formelle a été faite au greffier de la Cour des sessions de la paix, à Montréal.
Il semble certes discutable que les sommes déte- nues par la police rentrent dans les dispositions du paragraphe 224(3) de la Loi, qui ne mentionne que les fonds payables au débiteur fiscal à titre «d'inté- rêt, de loyer, de rémunération, de dividende, de rente ou autre paiement périodique»; mais la ques tion de savoir si ces sommes peuvent être à juste titre saisies-arrêtées devrait attendre d'être tran- chée lorsque le tiers-saisi a fait sa déclaration; à ce moment, des oppositions à la saisie provenant soit du débiteur, du tiers-saisi, ou d'une tierce partie ayant droit à ces sommes peuvent être examinées.
Bien que la culpabilité ou l'innocence du débi- teur ne soit pas en litige devant cette Cour et qu'il doive, en tout état de cause, être présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été prouvée, ce renseignement, auquel son avocat s'est opposé avec vigueur, était nécessaire pour donner la nature des fonds détenus par le tiers-saisi. L'avocat du requé- rant a souligné toutefois que l'accusation visait le requérant et d'autres personnes, ce qui fait qu'il n'a pas été établi que l'argent saisi par la police lui appartenait. En particulier, rien n'indique que la somme de 14 000 $ saisie à l'Esterel, 2, Place Dupuis ait été saisie à son adresse, quoique les documents produits révèlent que la saisie a été effectuée en vertu d'un mandat de perquisition. encore, si l'argent saisi ou une partie de cet argent n'appartient pas au débiteur, les propriétaires peu- vent, en temps utile, s'opposer à la saisie.
Le fait que le débiteur soit en prison ne le prive d'aucun droit civil, à l'exception de ceux résultant nécessairement de son incarcération, ni ne porte atteinte à son droit d'en appeler de la cotisation. Il ressort d'un autre affidavit de Robert Lefrançois, produit à l'audition, que Charron n'avait pas fait de déclaration d'impôt pour les années 1978 ou
1979, n'avait déclaré comme revenu que la somme de 1 084,05 $ pour 1980, la somme de 2 332 $ pour 1981 et la somme de 1 719 $ pour 1982, ce qui fait que des représentants du Ministre, informés des sommes importantes saisies, se sont renseignés davantage sur ses dépôts bancaires en 1982 et 1983 et ses frais de subsistance, par suite de quoi, dans les nouvelles cotisations datées du 9 novem- bre 1983, on a ajouté, à titre de revenu commer cial, la somme de 38 532 $ à sa déclaration de 1981, et la somme de 42 826 $ à sa déclaration de 1982. La question de savoir si ces nouvelles cotisa- tions étaient justifiées ou non ne sera tranchée qu'après la décision sur ses avis d'opposition et les appels qu'il peut former. Entre-temps, que les cotisations soient fondées ou erronées, les certifi- cats en découlant ont été enregistrés le 7 décembre 1983.
Le requérant prétend toutefois que rien ne justi- fie de dire qu'il élude le paiement d'impôt. Certes, ni le non-paiement ni le fait de faire de fausses déclarations (cela n'a pas encore été prouvé étant donné l'avis d'opposition) n'équivalent à une éva- sion. Il est clair que ce n'est pas le but que vise le paragraphe 158(2) de la Loi. Le Ministre peut avoir eu de bonnes raisons d'utiliser cet article pour enregistrer le certificat seulement 28 jours après les cotisations au lieu d'attendre le délai normal de 30 jours qui lui éviterait d'alléguer un évitement de l'impôt. Le requérant soutient toute- fois que Robert Lefrançois, qui a établi l'affidavit, ne pouvait faire cette déclaration parce qu'il n'ap- partient qu'au Ministre de tirer cette conclusion. Cependant, tout ce que dit l'affidavit, c'est que le Ministre était de cet avis, non que c'est l'avis de Lefrançois. Bien que le requérant dise qu'il s'agit de ouï-dire, la déclaration est étayée par une pièce jointe à l'affidavit et une copie de la lettre envoyée au débiteur le 9 novembre 1983 par le sous-minis- tre pour l'aviser des nouvelles cotisations et lui demander d'effectuer immédiatement le paiement; il est dit dans cette lettre:
Cette directive vous est donnée en vertu du paragraphe 2 de l'article 158 de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada.
Le sous-ministre peut exercer les pouvoirs du Ministre.
Bien que le requérant invoque l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui cons- titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de
1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] dans la Constitution canadienne de 1982, qui prévoit que chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, et l'article 12 qui dispose que «Chacun a droit à la protection contre tous traite- ments ou peines cruels et inusités», je ne crois pas que l'article 8 s'applique puisqu'il reste à voir si la saisie était valable ou non. Il existe certes une différence entre une saisie entachée d'un vice de forme et une saisie «abusive». Ce n'est pas un abus que de saisir-arrêter des fonds à la suite du dépôt, sous le régime de l'article 231 de la Loi, d'un certificat en vue de cotisations d'impôt sur le revenu. Pour ce qui est de l'article 12, il n'est certainement pas question de traitements ou de peines inusités. Ce qui a été fait relève d'une procédure très commune et bien que le requérant prétende que, par suite de la saisie, on le prive maintenant de toute source de revenu et qu'il subit un grave préjudice, ce n'est pas plus que le préju- dice subi par un débiteur dont l'actif est saisi par un créancier; il n'y a non plus rien de cruel ou d'inusité dans l'application des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu pour tenter de perce- voir les impôts qu'on croit dus. Comme je l'ai indiqué, le requérant a tout lieu de s'opposer à la saisie avant qu'elle ne devienne définitive, et aussi de contester son assujettissement à l'impôt qui a conduit à la saisie.
Plusieurs arguments ont été invoqués au nom du requérant. La plupart d'entre eux ne sauraient être maintenus, à l'exception d'un argument solide que j'examinerai à la fin de ces motifs.
Comme je l'ai dit ci-dessus, le requérant fait valoir qu'il n'a pas reçu l'avis de nouvelle cotisa- tion et que, pour cette raison, le certificat enregis- tré était sans effet. Le paragraphe 152(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu exige seulement que le Ministre «envoie un avis de cotisation». Il est pro- bablement vrai que Charron ne l'a pas reçu. Il n'est nullement requis de le signifier ni même de l'envoyer par poste recommandée. C'est à juste titre qu'on a envoyé l'avis à l'adresse que le contri- buable a indiquée dans sa déclaration, et si par hasard il se trouvait en prison à l'époque et qu'on ne l'y a pas fait suivre, ce n'est pas la responsabi- lité du Ministre. Même si les représentants du Ministre étaient au courant de l'incarcération du
requérant, ils ne seraient pas tenus de lui envoyer l'avis à la prison, puisque adopter cette politique obligerait le Ministre à essayer de retrouver l'adresse d'un contribuable qui a déménagé depuis le dépôt de sa déclaration pour lui envoyer l'avis. La Loi oblige à envoyer l'avis et non à s'assurer qu'il a été reçu. De plus, dans cette affaire, sans doute par prudence excessive à la suite des requê- tes introduites, on a déposé, à l'ouverture de l'audi- tion, un autre affidavit de Robert Lefrançois qui donne les noms des personnes qui ont envoyé par la poste les avis à Charron et qui joint leurs affidavits à ce sujet, indiquant l'expédition de l'avis par la poste le 9 novembre 1983. Bien que le requérant souligne que ces affidavits ne se conforment pas strictement aux règles de la Cour relatives aux affidavits parce que l'adresse et l'occupation de l'auteur n'y sont pas données et qu'il n'y est pas dit que leurs auteurs sont des employés du ministère du Revenu national, cela importe peu puisque, en premier lieu, comme le souligne l'intimée, ces let- tres aurait pu être envoyées par la poste par n'im- porte qui, pas nécessairement par un employé du Ministère, et que de plus, comme je l'ai dit, une preuve aussi rigide de l'expédition d'une lettre par la poste n'est certainement pas nécessaire ni faisa- ble à l'égard des milliers d'avis de cotisation ou de nouvelle cotisation envoyés régulièrement dans la pratique. Il suffit de mentionner dans l'affidavit, comme on l'a fait, que les avis ont été envoyés.
À la même date, soit le 9 novembre 1983, des demandes formelles de paiement ont également été envoyées. La formule type dit que [TRADUCTION] «Un certificat a été enregistré à la Cour fédérale du Canada relativement à l'arriéré d'impôts fédé- raux indiqué», ce qui, à l'évidence, n'est pas exact puisque le certificat n'a été enregistré que le 7 décembre; il est évident que la formule type n'était pas applicable aux faits de l'espèce. En tout cas, les lettres avisant des nouvelles cotisations envoyées le 9 novembre 1983 demandaient le paie- ment immédiat et mentionnaient le paragraphe 158(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu et, de plus, en tout état de cause, le contribuable recon- naît avoir été mis au courant en temps utile, quoiqu'après l'enregistrement du certificat le 7 décembre, des avis de nouvelles cotisations et, comme je l'ai indiqué, il a déposé un avis d'opposi- tion dans les délais prévus par la loi. Qui plus est, beaucoup de temps s'est écoulé entre l'enregistre-
ment du certificat le 7 décembre 1983 et l'ordon- nance provisoire du 13 janvier 1984. En outre, il est dit dans l'affidavit de Lefrançois produit à l'audition que le 25 novembre 1983, il a envoyé à Charron, à l'adresse de sa résidence, une copie de la demande de paiement formelle dont copie est jointe à l'affidavit. Il n'y est pas fait mention de la date d'enregistrement du certificat.
Un autre affidavit d'André Héroux, un employé du Ministère, dit que le 17 novembre 1983, Char- ron lui a téléphoné pour s'enquérir de la raison pour laquelle Revenu Canada lui demandait de payer environ 19 000 $. Héroux l'a informé qu'un cotiseur l'appellerait pour fixer un rendez-vous. Il ressort d'un autre affidavit de Jean-Pierre Paquette, un employé du Ministère, que le 6 décembre, il a reçu d'un agent du centre de déten- tion, rue Parthenais, un appel téléphonique disant que Charron avait reçu de Revenu Canada divers documents et qu'il désirait le voir. Bien entendu, il s'agit de ouï-dire. Par la suite, le 13 décembre, il s'y est rendu avec Gaetan Côté, et Charron a dit à ce moment que les documents qu'il avait reçus de Revenu Canada avaient été envoyés à son avocat à Québec. Il dit en outre que Charron ne collaborait nullement avec lui relativement à l'établissement de ses sources de revenu. Un affidavit de Côté corrobore ce fait.
Le requérant fait valoir que le paragraphe 158(2) (susmentionné) va à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés et plus particulièrement de son alinéa 11d), qui prévoit que tout inculpé a le droit d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformé- ment à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable. Le paragraphe 158(2) ne fait qu'autoriser le Ministre (ou le sous-ministre qui peut exercer ses pouvoirs en vertu du paragraphe 900(1) du Règle- ment de l'impôt sur le revenu [C.R.C., chap. 945]) à estimer que le contribuable tente d'éluder le paiement d'impôts, et il n'est donc pas tenu d'at- tendre 30 jours à partir de l'expédition par la poste de l'avis de cotisation pour en demander le paie- ment. Le requérant met ce fait en corrélation avec le paragraphe 239(1) de la Loi qui sanctionne le fait d'éluder le paiement des impôts. Certes, toute personne accusée d'une infraction sous le régime
de l'article 239 devrait avoir un procès équitable. Charron n'a été accusé d'aucune infraction en matière d'impôt sur le revenu même si la nouvelle cotisation peut avoir découlé de ce que, de l'avis du Ministre, il a omis d'inclure dans ses déclarations une partie substantielle de son revenu. Le paragra- phe 158(2) en vertu duquel le certificat a été enregistré se suffit à lui-même et ne crée pas d'infraction criminelle, et cette disposition consti- tue une question purement civile qui permet de demander paiement sans attendre 30 jours à partir de l'expédition par la poste de l'avis de cotisation. Il est intéressant de souligner qu'y est employé le terme «éluder» le paiement des impôts plutôt que l'expression «se soustraire à» qui caractérise l'in- fraction criminelle.
À mon sens, le paragraphe 158(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu ne contrevient nullement au paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Les droits du contribuable ne sont pas non plus violés en raison de l'application de cette disposition. Le paragraphe 24(1) dispose:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
Bien qu'il soit vrai que l'avis du Ministre sur le fait que le contribuable élude le paiement des impôts a été exprimé sans entendre au préalable le contri- buable, ce dernier garde intact son droit de s'y opposer en établissant, au moyen d'une opposition à la saisie, qu'il ne tente pas d'éluder le paiement des impôts. De fait, en l'espèce, Côté et Paquette, comme le montrent leurs affidavits susmentionnés, se sont même rendus à la prison pour interroger Charron (bien que, de l'avis de tous, ceci ait eu lieu après l'enregistrement du certificat) sur ses plaintes relatives à la cotisation; Charron les a simplement informés qu'il avait envoyé les docu ments à son avocat à Québec et n'a nullement collaboré avec eux. Bien que le terme collaboration soit quelque peu vague, il a certainement eu la possibilité, à ce moment-là, de prétendre à tout le moins qu'aucune des sommes saisies ne lui appar- tenait, ou qu'il les avait reçues d'une manière qui ne l'obligeait nullement à les inclure dans son revenu imposable, de sorte qu'une enquête aurait pu être faite sur ses allégations. Au lieu de cela, il
a choisi de garder le silence, bien qu'il ait toujours la possibilité de produire une telle preuve, si c'est possible, dans une opposition à la saisie.
Ceci nous amène à examiner ce que je considère pourtant comme un argument sérieux qui me permet de croire que les requêtes du requérant doivent être accueillies en partie. Selon la procé- dure type pour l'enregistrement d'un certificat prévue à alinéa 223(1)b) (précité), il faut, après l'envoi de l'avis de cotisation, attendre 30 jours avant d'enregistrer le certificat qui a alors le même effet qu'un jugement de la Cour. Il est vrai qu'il s'agit d'un article strict, et la Cour n'a aucun pouvoir discrétionnaire relativement à l'enregistre- ment d'un tel certificat lorsqu'il est produit à cette fin et signé par un agent compétent du ministère du Revenu national. Le certificat lui-même ne mentionne nullement la date d'expédition de l'avis de cotisation ou de nouvelle cotisation. Il n'y est fait mention que de l'année d'imposition pour laquelle la cotisation est établie. Par la suite, on peut procéder immédiatement à l'introduction d'une requête en saisie conservatoire bien que, en l'espèce, le Ministre ait attendu presque un mois avant d'introduire cette requête. Pour des raisons évidentes, celle-ci est introduite ex parte. La déci- sion sur cette requête fixe une date à laquelle le débiteur et, s'il s'agit d'une saisie-arrêt, le tiers- saisi, doit comparaître pour faire sa déclaration. Un avis à ce sujet doit leur être signifié et ils peuvent à ce moment s'opposer à la saisie. Entre- temps, il est interdit au tiers-saisi de disposer de l'objet saisi.
Invoquer le paragraphe 158(2) comme cela a été fait en l'espèce est une exception à la règle géné- rale qui exige un délai de 30 jours entre l'expédi- tion par la poste de la cotisation et l'enregistre- ment du certificat. Pour des raisons qu'il connaît mieux, le Ministre n'a attendu que 28 jours; le certificat ne pouvait donc être valablement enre- gistré si ce n'est en vertu du paragraphe 158(2).
Le débiteur Charron ne saurait prétendre qu'il ignorait cette intention puisque, dans les lettres l'informant des avis de nouvelle cotisation, on a mentionné cet article. Certes, à mon avis, cet article lui-même ne contrevient pas à la- Charte canadienne des droits et libertés. Je conclus toute- fois que, compte tenu de la justice naturelle et de l'obligation bien établie d'agir équitablement, on
ne devrait y recourir qu'exceptionnellement et lors- que le Ministre a la preuve manifeste que le contri- buable «tente d'éluder le paiement des impôts». S'il n'en était pas ainsi, alors le Ministre pourrait utiliser cet article dans tous les cas, évitant ainsi de se conformer à l'alinéa 223(1)b) qui impose le délai de 30 jours. Dans un sens, on peut dire que tout contribuable qui dépose une déclaration incomplète ou fausse tente d'éluder le paiement des impôts. De façon générale, on peut peut-être soutenir aussi que tout contribuable qui a en sa possession d'importantes sommes d'argent mais qui n'a pas payé ses impôts tente d'éluder le paie- ment de ceux-ci. Toutefois, je ne crois pas que le paragraphe 158(2) vise l'un ou l'autre de ces cas. Il viserait davantage le cas un contribuable est coupable de faire disparaître ses avoirs, de les transférer à d'autres pour une contrepartie insuffi- sante, est sur le point de quitter le pays, ou une circonstance de ce genre qui justifierait, en vertu d'une loi provinciale, une saisie avant jugement. En l'espèce, le contribuable conteste que les fonds lui appartiennent ou qu'ils résultent d'un revenu non déclaré, et il a effectivement déposé un avis d'opposition aux cotisations. Il est certes vrai que, à la date de l'affidavit, aucune de ces éventualités n'a été portée à la connaissance du Ministre. Un rapprochement de l'affidavit avec les faits dont la Cour est maintenant saisie n'indique nullement que le Ministre est fondé à estimer que le débiteur tente d'éluder le paiement des impôts. Le fait qu'il soit en prison en attendant son procès n'y ajoute certainement rien.
Ma conclusion est donc qu'on n'aurait pas recourir au paragraphe 158(2) pour enregistrer prématurément le certificat et que, par consé- quent, cet enregistrement est sans effet. Il s'ensuit que le jugement portant saisie conservatoire rendu par le juge Dubé le 13 février 1984 doit être infirmé. Ces questions n'ont pas été soulevées devant lui, et c'est à juste titre que le jugement a été rendu sur la foi des affidavits déposés à l'appui de la requête en jugement provisoire qui a invoqué le paragraphe 158(2).
Par conséquent, j'accueille la requête du requé- rant, mais seulement dans la mesure elle demande l'annulation de la saisie conservatoire au moyen d'une saisie-arrêt pratiquée en vertu du jugement du 13 janvier 1984, et la suspension de
l'exécution d'un jugement en découlant. Néan- moins, je ne fais pas droit à la troisième conclusion figurant dans les requêtes selon laquelle l'argent saisi devrait être versé au requérant. La période de 30 jours s'étant maintenant écoulée depuis l'envoi de l'avis de nouvelle cotisation, l'intimée peut, sous le régime de l'alinéa 223(1)b), enregistrer un nou- veau certificat sans invoquer les dispositions du paragraphe 158(2) et, si elle choisit de le faire, elle peut sur-le-champ solliciter une nouvelle ordon- nance portant saisie-arrêt conservatoire sur la base de ce nouveau certificat, et elle n'a pas à attendre la date normalement prévue par les Règles de cette Cour pour présenter des requêtes en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais elle peut les présenter immédiatement. En temps utile, comme je l'ai déjà dit, si cela est fait, le débiteur Charron ou quiconque revendique la propriété des sommes saisies peut présenter une opposition à la saisie à la date fixée pour rendre définitif le jugement provi- soire. Pour les trois requêtes, il n'est adjugé au requérant qu'un seul mémoire de frais.
ORDONNANCE
Cette ordonnance s'applique aux trois requêtes introduites en l'espèce.
1. Ni le paragraphe 158(2) ni l'article 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu ne sont inconstitution- nels.
2. Le certificat en matière d'impôts enregistré le 7 décembre 1983 est annulé sans qu'il soit porté atteinte au droit de l'enregistrer de nouveau.
3. Par conséquent, le jugement portant saisie-arrêt conservatoire rendu le 13 janvier 1984, ainsi que la saisie en découlant, sont infirmés, mainlevée étant accordée au tiers-saisi.
Pour les trois requêtes, le requérant obtiendra un seul mémoire de frais.
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