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A-433-83
La Reine (appelante)
c.
Rex T. Parsons (intimé)
A-434-83
La Reine (appelante)
c.
Frederick G. Vivian (intimé)
Cour d'appel, juges Urie, Ryan et Stone— Toronto, 6 juin; Ottawa, 25 juin et 13 août 1984.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Cotisations Des sociétés de gestion ont reçu paiement de services fournis par les intimés Le premier juge a conclu que la création des sociétés de gestion n'avait pas de but commercial véritable, que les opérations en cause étaient toutefois valables et réelles, qu'elles étaient ce qu'elles paraissaient être et que les parties ont réglé leurs actes sur elles Dans l'arrêt Stubart Invest ments Limited c. La Reine, f1984] 1 R.C.S. 536, la Cour suprême du Canada a conclu qu'une opération ne doit pas être écartée aux fins de l'impôt sur le revenu uniquement parce qu'elle n'a pas de but commercial distinct; la Cour suprême a conclu en outre que, par suite de l'arrêt Massey Ferguson, l'arrêt Le ministre du Revenu national c. Leon ne s'applique qu'à ses propres faits Les faits en l'espèce sont différents de ceux dans l'arrêt Leon parce qu'il s'agit ici d'opérations vala- bles et complètes Selon la définition de trompe-l'oeil donnée dans l'arrêt Snook v. London & West Riding Investments, Ltd. et adoptée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Cameron, il n'y a pas eu de trompe-l'oeil en l'espèce La preuve n'appuie pas les alléga- tions qu'il y a eu mandat Appels rejetés.
Il s'agit d'appels de la décision de première instance accueil- lant les appels formés par les intimés contre des cotisations d'impôt sur le revenu pour les années 1975 1978 inclusive- ment. Le Ministre a inclus dans le revenu des intimés les sommes payées par Newfoundland Design Associates Limited (Design) aux sociétés de gestion de ces derniers. Les intimés étaient employés par Design, mais en 1975 ils ont démissionné pour devenir employés de leurs sociétés de gestion. Ces sociétés concluaient des contrats avec Design et lui fournissaient des services à l'égard desquels elles lui présentaient des factures, bien qu'il se soit agi en réalité des services personnels des intimés. Chacun des intimés recevait de sa société de gestion une rémunération. Chaque société de gestion avait un bureau et une ligne téléphonique. Leurs services étaient offerts à des clients autres que Design, mais celle-ci était leur client le plus important. Le premier juge a conclu que, même si la création des sociétés de gestion n'avait pas de fin commerciale véritable, il ne s'agissait pas moins d'opérations valables et réelles qui étaient ce qu'elles paraissaient être et sur lesquelles les parties ont réglé leurs actes. Il a refusé d'appliquer la définition donnée au terme .trompe-l'oeil» dans l'arrêt Le ministre du Revenu
national c. Leon, [1977] 1 C.F. 249 (C.A.). L'appelante fait valoir qu'ayant conclu (1) que l'intervention des sociétés de gestion n'avait pas de fin commerciale véritable, (2) que, suivant la définition de trompe-l'oeil dans l'arrêt Leon, «l'inter- vention des sociétés de gestion [constituait] un trompe-l'oeil» et (3) que les faits en l'espèce ne sont pas différents de ceux dans l'affaire Leon, le premier juge a commis une erreur de droit en ne concluant pas que l'arrêt Leon s'applique à la présente instance. L'appelante allègue en outre que les sociétés de gestion étaient les mandataires des intimés, que le revenu en cause a été tiré d'un emploi et que les personnes qui l'ont gagné sont imposables à l'égard de ce revenu.
Arrêt: les appels doivent être rejetés. Avant que l'audience en appel ne soit terminée, la Cour suprême du Canada a rendu l'arrêt Stubart Investments Limited c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, dans lequel elle a rejeté le point de vue selon lequel il est possible d'écarter une opération du point de vue fiscal uniquement parce qu'elle n'a pas de but commercial distinct. La Cour suprême a toutefois fait remarquer que l'article 137 pourrait s'appliquer si l'opération relève de la définition d'«opé- rations factices». Compte tenu de l'arrêt Stubart, l'absence de fin commerciale n'a rien à voir avec la détermination de l'assujettissement des intimés à l'impôt sur le revenu.
Quant à l'allégation que «l'intervention des sociétés de ges- tion [constituait] un trompe-l'oeil» selon la définition donnée à ce terme dans l'arrêt Leon, la Cour suprême du Canada a conclu que l'arrêt Massey Ferguson semble avoir isolé l'affaire Leon en fonction de ses données de fait. Suivant la définition de trompe-l'oeil donnée dans l'arrêt Snook v. London & West Riding Investments, Ltd. et adoptée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Cameron, il n'y a pas eu de trompe-l'oeil en l'espèce. C'est-à-dire qu'on n'a rien fait «dans l'intention de faire croire à des tiers ou à la cour [qu'ils créent] entre les parties des obligations et droits légaux différents des obligations et droits légaux réels (s'il en est) que les parties ont l'intention de créer».
Les faits en la présente instance sont différents de ceux dans l'affaire Leon parce que les opérations dont il s'agit ici ont été jugées valables et complètes.
Les autres moyens doivent aussi être rejetés. Les opérations en cause n'étaient pas du trompe-l'oeil. Elles étaient complètes, parfaites et valables en droit. Les deux sociétés de gestion n'étaient pas «de simples entités constituées en sociétés, sans plus». Elles avaient pleine capacité, tous les rapports juridiques ont été dûment constatés par écrit et les intéressés ont agi en conséquence. Les intimés n'ont jamais eu le droit de toucher directement les montants versés par Design aux sociétés de gestion. Ni auraient-ils pu, en leur propre nom, poursuivre Design en recouvrement de tout montant impayé. Il n'y a rien qui tende à établir que les sommes payées par Design ont été reçues au nom des intimés par leurs sociétés de gestion agissant soit à titre de mandataires, de fiduciaires ou de personnes désignées. La preuve va toute dans le sens contraire.
L'article 137 ne s'applique pas parce que l'appelante ne l'a pas invoqué.
JURISPRUDENCE
DECISION SUIVIE:
Stubart Investments Limited c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536.
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Ministre du Revenu national c. Cameron, [1974] R.C.S. 1062; Snook v. London & West Riding Investments, Ltd., [1967] 1 All E.R. 518 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Le ministre du Revenu national c. Leon, [1977] 1 C.F. 249 (C.A.).
DECISIONS CITÉES:
Atinco Paper Products Limited c. La Reine (1978), 78 DTC 6387 (C.F. Appel); W.T. Ramsay Ltd. v. Inland Revenue Comrs., [1981] 2 W.L.R. 449 (H.L.); Inland Revenue v. Burmah Oil Co. Ltd., [1981] T.R. 535 (H.L.); Furniss (Inspector of Taxes) v Dawson, [1984] 1 All E.R. 530 (H.L.); Massey Ferguson Limited c. La Reine, [1977] 1 C.F. 760 (C.A.); Stubart Investments Limited c. Sa Majesté La Reine (1981), 81 DTC 5120 (C.F. Appel).
AVOCATS:
John R. Power, c.r., et Deen C. Olson pour l'appelante.
Donald G. Bowman, c.r., et Maralynne A. Monteith pour les intimés.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelante.
Stikeman, Elliott, Toronto, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Cet appel attaquant une déci- sion de la Division de première instance [sub nom. Vivian c. La Reine, [1983] 2 C.F. 427] a été entendu en même temps qu'un appel interjeté contre une décision semblable, La Reine c. Vivian (no du greffe: A-434-83), de sorte que les présents motifs s'appliqueront aussi à l'affaire Vivian, sous réserve seulement des modifications des montants qui s'imposent en raison des circonstances particu- lières de celle-ci, montants sur lequels, à ce que j'ai cru comprendre, les parties se sont mises d'accord. En l'espèce, la Division de première instance a accueilli l'appel formé par l'intimé contre les coti- sations d'impôt sur le revenu établies par le minis- tère du Revenu national qui avait inclus dans le
revenu de l'intimé des montants versés par New- foundland Design Associates Limited («Design») à Rex T. Parsons Management Limited. Dans l'af- faire Vivian, la société de gestion en cause est Frederick G. Vivian Management Limited et, aux fins de la fixation de l'impôt sur le revenu de l'intimé Vivian, on a tenu compte de certains montants que sa société de gestion avait reçus de Design. Les «sociétés de gestion» seront ci-après désignées par ce nom. Il s'agit dans les deux cas des cotisations personnelles pour les années d'im- position 1975, 1976, 1977 et 1978.
Les faits pertinents ne soulèvent guère de con- testation et peuvent être exposés brièvement. À toutes les époques en cause, les actions de Design, qui a été constituée en société à Terre-Neuve en 1963, étaient la propriété en parts égales de Par sons, de Vivian et de leurs épouses respectives ou de deux sociétés de portefeuille dont ils possèdent toutes les actions donnant droit de vote. Design est une société d'ingénieurs-conseils. Parsons et Vivian sont des ingénieurs autorisés à exercer leur profes sion à Terre-Neuve. Les sociétés de gestion, et probablement Design, bénéficiaient de la même autorisation. Depuis la date de sa constitution en société jusqu'au 1°' octobre 1975, Design employait l'intimé et Vivian à titre d'ingénieurs et d'adminis- trateurs.
Par des certificats de constitution en société datés du 30 septembre 1975, les intimés Parsons et Vivian ont acquis la majorité des actions donnant droit de vote de leurs sociétés de gestion respecti- ves. Point n'est besoin de préciser ici les objets de ces sociétés, qui sont d'ailleurs identiques. Il suffit de signaler qu'elles sont autorisées à exercer la profession d'ingénieur à Terre-Neuve. Parsons et Vivian ont quitté Design pour devenir employés de leurs sociétés de gestion respectives. Tous les servi ces que, antérieurement au 1er octobre 1975, ils avaient fournis à Design, ils les offraient mainte- nant à leurs sociétés de gestion. En échange de ces services, chacun recevait de la société de gestion portant son nom une rémunération et leurs épouses aussi touchaient un salaire. L'une et l'autre socié- tés de gestion faisaient profiter Design de leurs services et présentaient à celle-ci des factures à l'égard de ces services, bien qu'il se soit agi exclu- sivement des services personnels de Parsons ou de
Vivian. Les sociétés de gestion ont conclu avec Design des contrats dont les conditions ont été respectées à la lettre. En fait, on a apporté un soin méticuleux à la rédaction de tous les documents nécessaires pour préciser les rapports entre Design, les sociétés de gestion, certaines fiducies qui ont été constituées, et entre Parsons et Vivian person- nellement, et toutes les parties se sont conformées rigoureusement à leurs conditions, ce que recon- naît d'ailleurs l'avocat de l'appelante.
Chaque société de gestion a un bureau à la résidence de son principal actionnaire et chacune a une ligne téléphonique distincte. Leurs services étaient offerts et fournis à des clients autres que Design, mais celle-ci était leur client le plus impor tant. Lorsqu'on demandait à l'une ou l'autre société de gestion un service qu'elle était incapable de fournir elle-même, elle pouvait généralement, mais pas toujours, compter sur Design pour le fournir, auquel cas Design exigeait paiement selon les taux prescrits dans le tarif de l'Association of Professional Engineers of Newfoundland.
Le juge de première instance a passé en revue l'ensemble de la preuve se rapportant particulière- ment aux motifs invoqués par les intimés pour ce réaménagement complexe de leurs affaires mais, pour des raisons qui deviendront apparentes plus loin, il n'est pas nécessaire que je procède de la même façon. Le bref exposé que je viens de présen- ter suffit à une compréhension des faits sur lequels s'appuie la solution que je propose en l'espèce. Reproduisons donc les conclusions principales du premier juge [aux pages 433 et 434]:
Je conclus que l'intervention des sociétés de gestion (1) n'a pas une fin commerciale authentique, (2) vise d'abord à réduire directement leur assujettissement à l'impôt sur le revenu, (3) a, à titre secondaire, une fin de planification successorale qui, en l'absence de preuve digne de foi en sens contraire, doit être considérée comme ayant aussi été motivée uniquement par des considérations d'ordre fiscal et personnel, non par des considé- rations d'ordre commercial, et (4) n'est pas un trompe-l'oeil au sens que le droit reconnaît généralement à cette expression. Je pense que c'est l'opinion souvent citée de lord Diplock dans l'arrêt Snook v. London & West Riding Investments Ltd. ([1967] 1 All E.R. 518 (C.A.)) la page 528]:
[TRADUCTION] Je croirais que, s'il [le trompe-l'oeil] a quel- que signification en droit, il désigne ces actes faits, ou passés par les parties à la transaction et qui visent à simuler, aux yeux des tiers ou du tribunal, la création de droits et d'obli- gations juridiques différents des droits et obligations juridi- ques que les parties ont véritablement entendu créer (dans la mesure elles ont voulu en créer). Cependant, il est, me semble-t-il, clair en droit, en morale et dans la jurisprudence
... que, pour que des actes ou documents soient un «trompe- l'oeil», avec toutes les conséquences juridiques qui peuvent en découler, toutes les parties doivent avoir en outre l'intention commune de ne pas créer par ces actes les droits et obliga tions juridiques qu'elles paraissent y créer. Aucune intention implicite d'un des «simulateurs» n'affecte les droits d'une partie qu'il trompe.
Cette définition paraît avoir été retenue dans plusieurs arrêts récents de la Cour d'appel fédérale (Stubart Investments Limi ted c. Sa Majesté La Reine [(1981), 81 DTC 5120 [C.F. Appel]], à la p. 5123; Spur Oil Ltd. c. La Reine, [1982] 2 C.F. 113 [C.A.], à la p. 126) concernant la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1)].
Le premier juge s'est ensuite référé aux arrêts de cette Cour Le ministre du Revenu national c. Leon, [1977] 1 C.F. 249 (C.A.), aux pages 256 et 257, Massey Ferguson Limited c. La Reine, [1977] 1 C.F. 760 (C.A.), à la page 772, Stubart Investments Limited c. Sa Majesté La Reine (1981), 81 DTC 5120 (C.F. Appel), aux pages 5124 et suiv. et Atinco Paper Products Limited c. La Reine (1978), 78 DTC 6387 (C.F. Appel), à la page 6395. Après avoir soigneusement examiné les considérants de chacun de ces arrêts, il a conclu que, à la différence des opérations ou de la série d'opérations en cause dans les arrêts Atinco et Stubart, qui, de l'avis de cette Cour, n'ont pas eu l'effet qu'elles étaient censées avoir, celles en l'es- pèce ont eu exactement l'effet voulu. [Il a dit, à la page 436:]
Ce que l'on prétendait faire a effectivement été fait; ce qui a été fait pour aboutir au résultat souhaité, une réduction de l'impôt, constituait une opération ou des séries d'opérations valides et complètes, rien de moins. Les demandeurs ne peuvent échouer que si la définition de «trompe-l'oeil» adoptée dans l'arrêt Leon reste valide. Les arrêts ultérieurs de la Cour d'appel indiquent que cette Cour n'a pas considéré que le refus de l'autorisation de pourvoi par la Cour suprême du Canada équivalait à une approbation de cette définition. Ces arrêts ultérieurs soulèvent un doute quant à la validité de cette définition.
I La loi n'est pas claire. En matière d'impôt, bien que le
contribuable doive assumer le fardeau de la preuve des faits, c'est le fisc qui assume le fardeau d'établir que la loi impose clairement l'impôt qu'il cherche à recouvrer. Les appels à l'encontre des cotisations sont accueillis avec dépens.
Les présents appels, interjetés à Toronto, atta- quent ces décisions.
Les débats en appel ont commencé le 6 juin 1984, mais ne se sont pas terminés ce jour-là. Par conséquent, il y a eu ajournement de l'audience qui devait reprendre à Ottawa le 25 juin 1984; elle a pris fin le même jour. Dans l'intervalle, soit le 7
juin 1984, la Cour suprême du Canada avait rendu son arrêt [[1984] 1 R.C.S. 536] dans le cadre du pourvoi contre la décision de cette Cour dans Stubart Investments Limited, précité. On a donc permis à chaque partie de préparer et de déposer un exposé supplémentaire des faits et du droit, portant sur l'effet de l'arrêt Stubart sur les présen- tes instances. Les avocats se sont prévalus de cette possibilité et, de fait, on a pu en appel avoir des débats complets sur les arguments fondés sur la situation antérieure à l'arrêt Stubart et sur ceux fondés sur la situation postérieure à cet arrêt. À mon avis, il s'agit d'un arrêt qui a pour effet de rendre impuissante toute attaque dirigée contre les décisions en cause. J'expose brièvement ci-après les motifs qui m'ont amené à cette conclusion.
Dans son exposé initial des faits et du droit, l'avocat de l'appelante avait formulé de la manière suivante son opposition aux décisions portées en appel:
[TRADUCTION] Le sous-procureur général du Canada sou- tient respectueusement que le premier juge, ayant conclu
a) que l'intervention de la société de gestion n'avait pas de fin commerciale authentique,
b) que, suivant la définition de «trompe-l'oeil» établie par cette Cour dans l'arrêt Leon,
« ... l'intervention des sociétés de gestion [constituait] un trompe-l'oeil»,
c) que les faits en l'espèce ne sont pas différents de ceux dans l'affaire Leon,
a commis une erreur de droit en ne concluant pas que l'arrêt Leon de cette Cour s'applique aux présents appels.
Dans l'arrêt Stubart, le juge Estey, après un examen de ce que disent trois arrêts de la Cham- bre des lords [W. T. Ramsay Ltd. v. Inland Reve nue Comrs., [1981] 2 W.L.R. 449; Inland Revenue v. Burmah Oil Co. Ltd., [1981] T.R. 535 et Fur- niss (Inspector of Taxes) y Dawson, [1984] 1 All E.R. 530, sur la nécessité d'une «fin commerciale» pour qu'une opération qui s'inscrit dans le cadre d'un plan d'évitement de l'impôt puisse résister à l'examen, situe la question dans son contexte cana- dien; il dit, à la page 564 de ses motifs de jugement:
On pourrait soutenir que l'art. 137 s'applique parce que l'opéra- tion relève de la définition d'«opérations factices», mais les autorités fiscales n'ont pas invoqué cet argument pour justifier la cotisation en l'espèce. Toutefois, il reste à déterminer la question plus générale de savoir si le droit canadien reconnaît, à titre de principe d'interprétation, que la conduite du contribua- ble qui n'est pas motivée par un véritable objet commercial,
mais vise uniquement à diminuer l'impôt autrement payable en vertu de la Loi, peut être écartée en application des arrêts Furniss ou Helvering, précités, parce que l'opération, en fait et en droit, constitue un trompe-l'oeil.
Après une analyse approfondie de la jurispru dence pertinente du Royaume-Uni, des États-Unis, de l'Australie et du Canada, le juge Estey, à la page 575, arrive à la conclusion suivante:
Je suis donc d'avis de rejeter la proposition selon laquelle il est possible d'écarter une opération du point de vue fiscal uniquement parce que le contribuable l'a faite sans but com mercial distinct ou véritable ..
Plus loin, dans les principes directeurs qu'il pro pose à l'intention des tribunaux pour ce type de cas, le juge Estey dit que, si les faits ne révèlent pas l'existence d'un but commercial véritable, Par ticle 137 peut trouver application. L'appelante n'a toutefois pas invoqué cette disposition en l'espèce.
Voilà donc qui tranche la question de la pre- mière erreur dont la décision de première instance serait entachée, puisque le premier juge a conclu que, même si la création des sociétés de gestion n'avait pas de fin commerciale véritable, il ne s'agissait pas moins d'opérations valables et réelles qui étaient ce qu'elles paraissaient être et sur lesquelles les parties ont réglé leurs actes. En d'autres termes, l'absence de fin commerciale, dans les circonstances des présentes instances, n'a rien à voir avec la détermination de l'assujettisse- ment des parties à l'impôt sur le revenu.
Quant à l'allégation que «l'intervention des sociétés de gestion [constituait] un trompe-l'oeil» selon la définition donnée à ce terme dans l'arrêt Leon, le juge Estey déclare, à la page 570:
L'arrêt Leon, précité, est tout au plus une variante du critère du trompe-l'oeil, mais l'arrêt Massey-Ferguson, précité, semble l'avoir isolé en fonction de ses données de fait.
Aux pages 572 et 573, il répète que, dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Cameron, [1974] R.C.S. 1062, à la page 1068, la Cour suprême du Canada a adopté la définition de trompe-l'oeil reprise par lord Diplock dans l'arrêt Snook v. London & West Riding Investments, Ltd., précité la page 528]. Lord Diplock a conclu qu'il n'y avait pas de trompe-l'oeil parce que les parties n'avaient rien fait:
[TRADUCTION] ... dans l'intention de faire croire à des tiers ou à la cour qu'ils créent entre les parties des obligations et droits
légaux différents des obligations et droits légaux réels (s'il en est) que les parties ont l'intention de créer.*
Puisque l'avocat de l'appelante reconnaît que, selon ce critère, il n'y a pas non plus de trompe- l'oeil en l'espèce, la deuxième allégation d'erreur ne peut être retenue.
Sur la ressemblance des faits de la présente instance et de ceux dans l'affaire Leon, je me contente de signaler la conclusion du premier juge que les opérations en cause sont à tout point de vue valables et complètes. J'adopte cette conclusion. À la différence donc de celles dont il s'agit dans les arrêts Leon et Atinco, précités, les opérations qui nous intéressent étaient en droit parfaites et vala- bles ainsi que l'était, selon la Cour suprême, celle dont il est question dans l'arrêt Stubart. Par consé- quent, la troisième allégation d'erreur ne résiste pas à l'examen.
À la reprise de l'audience en cette Cour, l'avocat de l'appelante a fait valoir:
a) que Parsons et Vivian avaient gagné l'argent versé aux sociétés de gestion et que c'était donc eux qui devaient être assujettis à l'impôt sur le revenu;
b) que le revenu en cause ne provenait pas d'un commerce exploité par les sociétés de gestion à leur propre compte; qu'en droit le rapport établi par Parsons et Vivian entre eux-mêmes et leurs sociétés de gestion respectives, simples entités constituées en sociétés sans plus, n'était tout au plus qu'un simple mandat;
c) qu'il s'agit en l'espèce d'un revenu tiré d'un emploi qui, à ce titre, n'est pas le revenu des sociétés de gestion, mais celui des personnes qui l'ont gagné, en l'occurrence Parsons et Vivian;
d) que le fait de reporter ce revenu sur les sociétés, quel que soit le moyen employé, ne change rien à son caractère imposable; et
e) que les documents en cause ne traduisent pas la situation véritable.
Prenant d'abord le point e), je présume qu'on veut dire par que les opérations en cause sont du trompe-l'oeil. Or, le premier juge a conclu que ce n'était pas le cas et, si j'ai bien compris, l'avocat de l'appelante a reconnu que nous ne nous trouvons
* Cette version est celle qu'a adoptée la Cour suprême du Canada dans Stubart Investments Limited c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536.
pas ici devant un «trompe-l'oeil» au sens de la définition formulée dans la décision Snook. Selon moi, il ressort clairement du dossier que l'avocat n'a pu faire autrement que reconnaître cela. Ce moyen est donc sans fondement.
Pour ce qui est des quatre autres moyens, les circonstances et les faits mènent tous [TRADUC- TION] «inexorablement à la conclusion» que la création des sociétés de gestion, la démission de Parsons et de Vivian de Design, leur engagement par les sociétés de gestion, l'exploitation par ces sociétés, dans des locaux distincts de ceux de Design, d'un commerce d'ingénierie dont le client principal était Design, et ce, sans même qu'il y ait un soupçon de preuve quant à l'existence d'un mandat, constituaient des opérations complètes, parfaites et valables en droit. Les deux sociétés de gestion n'étaient pas [TRADUCTION] «de simples entités constituées en sociétés, sans plus». Elles avaient pleine capacité; tous les rapports juridiques ont été dûment constatés par écrit et les intéressés ont agi en conséquence. On ne saurait faire comme si ces sociétés n'existaient pas sans faire abstrac tion à la fois de la réalité juridique des entités constituées en sociétés et du caractère complet des opérations résultant des contrats valides conclus par ces entités, particulièrement ceux intervenus entre les sociétés de gestion présentement en cause et Design. Ni Parsons ni Vivian n'a jamais eu le droit de toucher directement les montants versés par Design aux sociétés de gestion conformément auxdits contrats. Ni auraient-ils pu, en leur propre nom, poursuivre Design en recouvrement de tout montant impayé. Il n'y a absolument rien qui tende à établir que les sommes payées par Design ont été reçues au nom de Parsons ou de Vivian par leurs sociétés de gestion agissant soit à titre de mandataires, de fiduciaires ou de personnes dési- gnées. La preuve va toute dans le sens contraire. En conséquence, ces moyens doivent aussi être rejetés.
Avant de terminer, il serait bon de citer les propos du juge Estey aux pages 572 et 573 de ses motifs. Ces propos s'appliquent parfaitement en l'espèce et mettent en relief les failles dans les arguments de l'appelante concernant l'existence d'un trompe-l'oeil, car, bien qu'on ne le dise pas expressément, il s'agit de l'élément essentiel du moyen supplémentaire de l'appelante.
Les documents qui déterminent et donnent effet à la convention intervenue entre les parties se trouvaient tous présents dans les archives des parties et les autorités pouvaient en prendre con- naissance. Il n'a pas été question de documents antidatés ou de falsification de documents après les événements. On ne peut soutenir que l'opération elle-même et la forme dans laquelle les parties, leurs conseillers juridiques et comptables l'ont réalisée l'ont été de manière à créer une fausse impression pour les tiers, notamment les autorités fiscales. L'apparence créée par les documents correspond précisément à la réalité. Les obligations prévues dans les documents étaient des obligations juridiques dans le sens qu'elles étaient absolument exécutoires en droit ... En bref, il y a absence totale de l'élément de tromperie qui est au coeur même du trompe-l'oeil. Par leur convention, les parties ont fait ce qu'elles avaient dit vouloir faire. Le contribuable a soumis l'opération aux autorités fiscales pour en faire détermi- ner les conséquences fiscales en droit. Dans ces circonstances, rien ne justifie à mon avis d'appliquer la doctrine du trompe- l'oeil qui découle de la jurisprudence de ce pays.
Pour tous les motifs exposés dans les présents motifs, les tentatives de faire une distinction avec l'arrêt Stubart échouent. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter les deux appels avec dépens.
LE JUGE RYAN: J'y souscris.
LE JUGE STONE: Je suis d'accord.
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