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T-2648-84
S/S Steamship Co. Ltd. (créancier saisissant) c.
Eastern Caribbean Container Line S.A. (débiteur après jugement)
et
Brunswick International Seafoods Ltd. (tiers saisi)
Division de première instance, juge Dubé—Mont- réal, 13 mai; Ottawa, 19 juillet 1985.
Droit maritime Saisie-arrêt Un tiers saisi peut-il opposer au créancier saisissant la compensation des domma- ges-intérêts dus en raison d'un retard contre une réclamation de fret à un débiteur après jugement en vertu d'un connais- sement? La règle anglaise interdisant en matière d'amirauté la compensation au fret n'a pas été clairement approuvée par les tribunaux canadiens Le pouvoir discrétionnaire de la Cour l'autorise à refuser une ordonnance de saisie-arrêt quand l'equity interdit de le faire Insolvabilité du débiteur après jugement La délivrance d'une ordonnance favoriserait le créancier saisissant par rapport aux autres créanciers La défense de compensation est accueillie L'ordonnance de saisie-arrêt est refusée.
Pratique Saisie-arrêt Le tiers saisi peut-il invoquer à l'encontre du créancier saisissant la défense de compensation des dommages-intérêts au paiement du fret en vertu d'un connaissement? La Règle 2300(8) permet à la Cour de juger la question par procédure sommaire La Règle 418 permet de demander compensation qu'il s'agisse ou non d'une demande reconventionnelle Pouvoir discrétionnaire de la Cour Ordonnance de saisie-arrêt refusée en raison des principes d'equity applicables et des doutes quant à la solvabi- lité du débiteur après jugement Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 418, 2300(1),(8) Rules of the Supreme Court, O. 49, R. 5 (Angl.).
Le débiteur après jugement, Eastern Caribbean, s'était engagé à transporter du Nouveau-Brunswick à Haïti, une cargaison de denrées périssables vendues par le tiers saisi, Brunswick International. La cargaison devait être livrée le 1°' juin 1984 mais elle ne l'a été que le 26 juin 1984. L'acheteur a accepté la livraison tardive sous réserves d'une réduction de prix. Par conséquent, le tiers saisi doit maintenant 12 000 $ U.S. à l'acheteur. Le fret à Eastern en vertu du connaisse- ment s'élève à 8 700 $ U.S. Brunswick International prétend donc que sa dette envers Eastern est éteinte. Il s'agit de déterminer si un tiers saisi peut opposer au créancier saisissant la compensation des dommages-intérêts dus en raison d'un retard contre le paiement du fret à un débiteur après jugement en vertu d'un connaissement.
Jugement: l'ordonnance de saisie-arrêt est refusée.
En vertu de la common law anglaise en matière d'amirauté la compensation des dommages-intérêts ne peut être soulevée comme moyen de défense à une action pour fret en vertu d'un connaissement. Cependant, cette interdiction n'a pas été
clairement approuvée par les tribunaux canadiens. Mention est faite de décisions canadiennes qui semblent indiquer qu'il est possible d'invoquer la compensation dans une action pour fret. Présumant qu'il existait des arguments défendables permettant d'invoquer la défense de compensation, la Cour s'est ensuite demandée si cette défense pouvait être soulevée par un tiers saisi contre un créancier saisissant. La jurisprudence anglaise a clairement établi que, lorsque la compensation constitue un moyen de défense acceptable dans une action ordinaire, le tiers saisi peut également s'en prévaloir contre le créancier saisissant.
Aux termes de la Règle 2300(8) de la Cour fédérale, lorsque le tiers saisi prétend ne pas devoir la dette qui lui est réclamée, la Cour peut juger la question en litige par procédure som- maire. La Règle 418 prévoit expressément qu'une partie a le droit de présenter une demande de compensation, que cette demande soit ou ne soit pas faite à titre de demande reconven- tionnelle. En vertu de la Règle 2300(1), le pouvoir d'accorder une ordonnance de saisie-arrêt a un caractère discrétionnaire. On peut refuser de le faire lorsque ['equity l'interdit. En l'espèce, il semblerait que le débiteur après jugement est actuel- lement partie à des procédures de faillite. Dans un tel cas, il serait inéquitable d'ordonner au tiers saisi de verser une somme d'argent à un créancier saisissant, le privilégiant ainsi par rapport aux autres créanciers. Un tel traitement n'améliorerait pas la conduite des affaires en matière d'amirauté. La défense de compensation est donc accueillie et l'ordonnance de saisie- arrêt refusée.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Gaherty, Appellant, and Torrance et al., Respondents (1862), VI L.C. Jur. 313 (B.R.); Halcrow & Lemesurier (1884), X R.J.Q. 239 (B.R.); Spindler, et. al. v. Farqu- har (1905), 38 N.S.R. 183 (C.A.); The Insurance Com pany of North America v. Colonial Steamships Limited, [1942] R.C.É. 79; Kaps Transport Ltd. v. McGregor Telephone & Power Construction Co. Ltd. (1970), 13 D.L.R. (3d) 732 (C.A. Alb.); Tapp v. Jones (1875), 10 L.R.Q.B. 591; Rymill v. Wandsworth District Board (1883), Cab. & El. 92 (Q.B.); Hale v. Victoria Plumbing Co. Ltd., [1966] 2 Q.B. 746 (C.A.); Pritchard v. West- minster Bank, Ltd. (Westminster Bank, Ltd., Garnishee), [1969] 1 All E.R. 999 (C.A.); Lee (George) & Sons (Builders) Ltd v Olink, [1972] 1 All ER 359 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
St. Lawrence Construction Limited c. Federal Commerce and Navigation Company Limited, [1985] 1 C.F. 767; 56 N.R. 174; 32 C.C.L.T. 19 (C.A.); Meyer v. Dresser (1864), 33 (Part II) L.J.C.L. (N.S.) 289 (Trinity Term); Aries Tanker Corporation v. Total Transport Ltd. (The «Aries»), [1977] 1 Lloyd's Rep. 334 (H.L.); AIS Gunn- stein & Co. K/S v. Jensen Krebs and Nielson (The «Alfa Nord»), [1977] 2 Lloyd's Rep. 434 (C.A.); R H & D International Ltd v IAS Animal Air Services Ltd, [ 1984] 2 All ER 203 (Q.B.); The «Brede», [1973] 2 Lloyd's Rep. 333 (C.A.).
AVOCATS:
Gerald P. Barry pour le créancier saisissant. Martine Tremblay pour le tiers saisi.
PROCUREURS:
Barry & Associates, Montréal, pour le créan- cier saisissant.
Harris, Allain, Thomas, Mason, Montréal, pour le tiers saisi.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUBÉ: Dans les présentes procédures de saisie-arrêt, il s'agit de déterminer si un tiers saisi («Brunswick») peut opposer en compensation au créancier saisissant («S/S Steamship») les dom- mages qu'il a subis en raison d'une livraison tar- dive contre le fret auquel a droit le débiteur après jugement («Eastern») en vertu d'un connaissement. Plus généralement, il faut déterminer s'il y a lieu en l'espèce de rendre une ordonnance de saisie- arrêt en vertu de la Règle 2300 de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663].
Voici les faits essentiels tels qu'ils sont exposés dans l'affidavit de la compagnie Brunswick. Le 25 mai 1984, Brunswick a vendu des denrées périssa- bles (hareng) à la firme Maison Villard de Port-au-Prince (Haïti). Eastern s'est engagée à embarquer la cargaison à Saint John (Nouveau- Brunswick) le 28 mai 1984 et à la livrer à Port-au- Prince (Haïti), le 1°" juin 1984. Son départ n'ayant eu lieu que le 12 juin 1984, Eastern n'est arrivée à destination que le 26 juin de la même année. Maison Villard a accepté la livraison tardive sous réserve d'une réduction du prix d'achat, et c'est pourquoi Brunswick paye aujourd'hui à Maison Villard la réclamation de 12 000 $ U.S. présentée contre elle. (Le connaissement indique que le fret payable à Eastern s'élève à 8 700 $ U.S.) Bruns- wick prétend donc que sa dette envers Eastern est éteinte.
En toute logique, il faut premièrement se demander si, dans une action ordinaire entre deux parties («Eastern» contre «Brunswick»), un défen- deur peut opposer une défense de compensation à une réclamation de fret fondée sur un connaisse- ment et, deuxièmement, si ce moyen de défense peut être soulevé par un tiers saisi («Brunswick»)
contre un créancier saisissant («S/S Steamship») au cours de procédures de saisie-arrêt.
Un examen de la common law anglaise en matière d'amirauté révèle que la compensation des dommages-intérêts ne peut être soulevée comme moyen de défense à une action pour fret en vertu d'un connaissement'. La Cour d'appel fédé- rale a récemment invoqué cette règle dans l'arrêt St. Lawrence Construction Limited c. Federal Commerce and Navigation Company Limited'. Voici ce qu'a dit le juge Stone, en obiter la page 196 N.R.; 54 C.C.L.T.]:
Mais comme la question est devenue théorique, il n'est pas nécessaire d'en dire plus long, si ce n'est peut-être pour faire observer que la jurisprudence moderne semble fortement aller dans le sens de l'argument de l'appelante selon lequel opposer la compensation au paiement du fret n'est pas autorisé dans un cas de ce genre.
Il appert que la jurisprudence anglaise reconnaît que la règle n'est pas conforme aux principes généraux qui s'appliquent dans les matières com- merciales autres que maritimes. Dans la cause The «Brede» [précitée], lord Denning a déclaré que le fret en vertu d'un connaissement doit être acquitté rapidement afin d'éviter que des réclama- tions abusives ne retardent indûment la conduite normale des affaires. Selon le maître des rôles, ces réclamations doivent être présentées au cours d'ac- tions distinctes par les assureurs de la cargaison qui sont subrogés aux propriétaires des cargaisons dans leurs réclamations contre la compagnie de transport maritime.
Tout en reconnaissant dans l'arrêt Aries Tanker (précité) que la règle est dans une large mesure arbitraire, la Chambre des lords a conclu que la nécessité de maintenir la certitude dans les tran sactions maritimes et la connaissance des règles par toutes les parties concernées justifiaient le maintien de cette règle ancienne de droit maritime.
Le problème en l'espèce est que la jurisprudence anglaise ne reflète pas nécessairement le droit applicable au Canada. Dans l'arrêt St. Lawrence
Meyer v. Dresser (1864), 33 (Part II) L.J.C.L. (N.S.) 289 (Trinity Term); The «Brede», [1973] 2 Lloyd's Rep. 333 (C.A.); Aries Tanker Corporation v. Total Transport Ltd. (The «Ailes»), [1977] 1 Lloyd's Rep. 334 (H.L.); A/S Gunn- stein & Co. K/S v. Jensen Krebs and Nielson (The «Alfa Nord»), [1977] 2 Lloyd's Rep. 434 (C.A.). Voir aussi: 42 Halsbury (4e), par. 411 416.
2 [1985] 1 C.F. 767; 56 N.R. 174; 32 C.C.L.T. 19 (C.A.).
Construction (précité) la Cour d'appel fédérale a fait remarquer que deux décisions rendues au Québec, Gaherty, Appellant, and Torrance et al., Respondents 3 et Halcrow & Lemesurier 4 , sont allées en sens contraire. La première cause était une action pour fret à laquelle on a opposé une défense de compensation ou une demande recon- ventionnelle pour les dommages causés par l'eau. La Cour a statué que les dommages-intérêts pou- vaient être opposés en compensation à la réclama- tion de fret. Dans la seconde action, la Cour a jugé que les dommages-intérêts accordés en raison de la destruction de briques causée par une technique de chargement défectueuse pouvaient être opposés en compensation à une réclamation de fret.
Outre ces deux décisions rendues au Québec, d'autres affaires canadiennes semblent indiquer qu'il est possible d'invoquer la compensation dans une action pour fret.
Ainsi, dans l'affaire Spindler, et. al. v. Farqu- har', une action en recouvrement de fret fondée sur une charte-partie (et non sur un connaisse- ment) et intentée devant une cour de la Nouvelle- Écosse, le défendeur a eu gain de cause dans sa demande reconventionnelle et a obtenu des dom- mages-intérêts équivalant à la valeur de la cargai- son de poisson qui avait pourri en raison du retard injustifiable du capitaine à effectuer la livraison.
Dans l'appel interjeté de la décision d'un juge de district de l'Ontario en matière d'amirauté dans l'affaire The Insurance Company of North Ame- rica v. Colonial Steamships Limited 6 , la Cour de l'Échiquier du Canada a été saisie d'une réclama- tion pour dommages causés à la cargaison, présen- tée par l'endossataire des connaissements et le propriétaire de la cargaison (c'est-à-dire, la com- pagnie d'assurance demanderesse). Invoquant la contribution à l'avarie commune, le propriétaire du navire a déposé une demande reconventionnelle. La défenderesse a été exonérée de tout blâme et la demande reconventionnelle a été accueillie.
Il faut observer que l'on a récemment statué que la règle anglaise interdisant en matière d'amirauté la compensation pour dommages subis dans une
3 (1862), VI L.C. Jur. 313 (B.R.). ° (1884), X R.J.Q. 239 (B.R.).
5 (1905), 38 N.S.R. 183 (C.A.).
6 [1942] R.C.É. 79.
action pour fret fondée sur un connaissement s'ap- plique également, en Angleterre, au fret en vertu d'un contrat de transport terrestre (R H & D International Ltd v IAS Animal Air Services Ltd) 7 . Le droit canadien, tel que le conçoit la Cour d'appel de l'Alberta, pourrait être différent.
Dans l'arrêt Kaps Transport Ltd. v. McGregor Telephone & Power Construction Co. Ltd. 8 , cette Cour a instruit une action en recouvrement d'une somme due sur un contrat de transport par camion dans laquelle la défenderesse a soulevé la défense de compensation pour les dommages causés aux marchandises expédiées. La demanderesse a demandé la radiation de la compensation ou de la demande reconventionnelle. La Cour a statué que la radiation n'était pas nécessaire puisque la récla- mation pouvait facilement être tranchée dans la même action.
Si l'on présume pour l'instant qu'il existe des arguments défendables permettant de soutenir qu'un défendeur peut invoquer au Canada la com pensation pour les dommages dans une action ordi- naire pour fret en vertu d'un connaissement, il faut alors se demander si un tel moyen de défense peut être soulevé par un tiers saisi à l'encontre d'un créancier saisissant.
Il ressort clairement de la jurisprudence anglaise que, lorsque la compensation constitue un moyen de défense acceptable dans une action ordinaire, le tiers saisi peut également s'en prévaloir contre le créancier saisissant. Dans la cause Tapp v. Jones 9 , le juge Blackburn a déclaré, en obiter, que le tiers saisi pouvait opposer en compensation les sommes que lui devait le débiteur après jugement. Dans Rymill v. Wandsworth District Board 10 , le tiers saisi devait de l'argent au débiteur après jugement pour l'exécution de travaux de construction. Ce dernier lui devait toutefois une somme plus consi- dérable en vertu d'un engagement d'indemniser protégeant le tiers saisi contre toute procédure de mise en cause pour les dommages découlant de la
[1984] 2 All ER 203 (Q.B.).
8 (1970), 13 D.L.R. (3d) 732 (C.A. Alb.).
9 (1875), 10 L.R.Q.B. 591.
10 (1883), Cab. & El. 92 (Q.B.).
construction. La Cour a statué que le tiers saisi pouvait opposer une défense de compensation au créancier saisissant. Dans une décision beaucoup plus récente, Hale v. Victoria Plumbing Co. Ltd.", on prétendait que le tiers saisi devait au débiteur après jugement une somme pour des travaux exé- cutés en vertu d'un contrat par sous-traitant. Le tiers saisi a nié toute dette, alléguant que le sous- traitant avait mal exécuté le contrat. La Cour a jugé qu'il s'agissait d'une demande reconvention- nelle équivalant à une compensation en equity, même si le tiers saisi n'avait pas engagé d'action. Des dommages-intérêts d'un montant indéterminé, accordés pour mauvaise exécution, ont donc été opposés en compensation à la somme due sur le contrat par sous-traitant. Dans cette affaire, les règles anglaises en cause étaient pratiquement les mêmes que les Règles 418 et 2300(8) de la Cour fédérale. Cette dernière Règle est ainsi libellée:
Règle 2300... .
(8) Lorsque le tiers saisi conteste l'obligation de payer la dette échue ou à échoir dont on le prétend débiteur envers le débiteur saisi, la Cour pourra juger la question en litige par procédure sommaire ou ordonner que tout point qui doit être tranché pour permettre de statuer sur l'obligation du tiers saisi soit instruit selon l'un des modes d'instruction applicables à tout point ou à toute question qui se pose dans une action.
Cette Règle permet donc à la Cour de juger la question en litige par procédure sommaire ou d'or- donner l'instruction de tout point qui doit être tranché pour permettre de statuer sur l'obligation du tiers saisi. En l'espèce, Brunswick a déposé un affidavit et était représentée par un avocat. L'au- teur de l'affidavit n'a pas été contre-interrogé, de sorte que son témoignage doit être tenu pour véri- dique aux fins de la présente requête. Eastern n'a pas produit de défense et n'a pas été entendue. Selon l'avocat, la solvabilité de Eastern serait dou- teuse, et elle serait actuellement partie à des procé- dures de faillite. Dans un tel cas, le règlement rapide du fret serait à l'évidence injustifié puisque ce n'est pas la compagnie de transport maritime qui en bénéficierait mais un créancier. On n'amé- liorerait pas la conduite des affaires en matière d'amirauté en privilégiant un créancier aux dépens des autres. Et, tel qu'il ressort de mon examen de la jurisprudence canadienne sur cette question, le caractère certain de la règle anglaise qui interdit toute compensation en matière d'amirauté n'est pas clairement reconnu au Canada.
" [1966] 2 Q.B. 746 (C.A.).
Outre la règle anglaise qui interdit la compensa tion en matière d'amirauté, il est possible que l'equity fournisse des motifs de ne pas délivrer une ordonnance de saisie-arrêt. On a statué, sur le fondement de l'ordonnance anglaise 49, Règle 5 des Rules of the Supreme Court 1965 [S.I. 1965/ 1776], que les mots [TRADUCTION] «la Cour pourra» (qui figurent également à la Règle 2300(1) de la Cour fédérale) confèrent un carac- tère discrétionnaire au pouvoir d'accorder une ordonnance de saisie-arrêt. Les tribunaux ont refusé de délivrer ce type d'ordonnance quand l'equity interdisait de le faire. Dans Pritchard y. Westminster Bank, Ltd. (Westminster Bank, Ltd., Garnishee) 12 , le maître des rôles, lord Denning, a statué que lorsqu'un débiteur après jugement est insolvable, les règles de l'insolvabilité s'appliquent, et on ne doit pas privilégier l'un des créanciers par voie de saisie-arrêt.
Dans la cause Lee (George) & Sons (Builders) Ltd y Olink 13 , la Cour a statué que si la solvabilité d'un débiteur après jugement est incertaine, elle peut ordonner la consignation à la Cour des sommes détenues par le tiers saisi jusqu'à la tenue d'une enquête sur la solvabilité dudit débiteur.
Ainsi, si la jurisprudence anglaise a catégorique- ment interdit la compensation dans les actions intentées sur le fondement d'un connaissement en matière d'amirauté, cette interdiction n'a pas été clairement endossée par les tribunaux canadiens. Dans ce domaine, il est toujours possible d'invo- quer le pouvoir étendu qu'a la Cour fédérale de radier une plaidoirie en vertu de la Règle 419 lorsqu'une partie n'a pas une cause raisonnable d'action. Qui plus est, notre Règle 418 prévoit expressément qu'une partie a le droit de présenter une demande de compensation, que cette demande soit ou ne soit pas faite à titre de demande recon- ventionnelle. De plus, je ne dois pas perdre de vue le caractère inéquitable d'une ordonnance qui enjoindrait à Brunswick de payer une somme d'ar- gent à un créancier saisissant à qui elle ne doit rien, le privilégiant ainsi par rapport aux autres créanciers d'une compagnie apparemment insolva ble qui pourrait elle-même être endettée envers Brunswick.
12 [1969] 1 All E.R. 999 (C.A.).
13 [1972] 1 All ER 359 (C.A.).
Compte tenu de mon interprétation du droit, je suis disposé à conclure que, en l'espèce, la défense de compensation doit être accueillie. Même si ma conclusion était erronée, j'estime qu'en raison des principes d'equity qui doivent s'appliquer et des doutes concernant la solvabilité du débiteur après jugement, la présente affaire se prête bien à l'exer- cice de mon pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder une ordonnance de saisie-arrêt.
Le créancier saisissant («S/S Steamship») est, bien sûr, libre de tenter par d'autres moyens de faire exécuter son jugement contre le débiteur après jugement («Eastern»). De plus, je désire préciser que ma décision concernant la défense de compensation ne s'applique qu'entre le créancier saisissant et le tiers saisi («Brunswick») dans les présentes procédures de saisie-arrêt. L'ordonnance qui suivra n'aura pas force de chose jugée ou ne constituera pas une fin de non-recevoir entre Eas tern et Brunswick.
ORDONNANCE
La demande d'ordonnance de saisie-arrêt est refusée et il n'y aura pas saisie d'argent. Ni l'une ni l'autre des parties n'a droit à ses dépens.
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