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A-1029-83
Procureur général du Canada (requérant) c.
Serge Brault et Pierre Dubois (intimés) et
Bernard Lenoir, Daniel Beaupré et Pierre Delage, Directeur, Division des Appels, Commission de la Fonction publique (Mis-en-cause)
Cour d'appel, juges Pratte, Marceau et Huges- sen—Ottawa, 7 mars et 23 mai 1984.
Fonction publique Nomination à un poste Ministère du Revenu national Mise sur pied d'unités canines de détection Les inspecteurs des douanes ont été interviewés afin d'évaluer leurs aptitudes à aimer, entretenir et vivre avec un chien Les mis-en-cause ont été choisis pour devenir maîtres-chien On en a appelé des nominations au motif que la sélection ne s'est pas faite suivant le principe du mérite puisque l'on n'a pas tenu compte des connaissances et aptitu des des candidats en tant qu'inspecteurs des douanes Le Comité a fait erreur en interprétant les observations formulées dans Kelso c. R., 1 . 19801 1 C.F. 659 (C.A.) comme voulant dire qu'une modification des tâches afférentes à un poste en fait un poste différent L'addition d'un chien comme outil de travail ne modifie pas la nature du poste Le Comité a fait erreur en présumant que la création d'un poste ne requérait pas une décision claire et une manifestation de cette intention de la part du Ministre ou de son représentant Il n'y a pas eu création de nouveaux postes Il n'y a pas eu de nomination à un nouveau poste La demande tendant à l'annulation de la décision est accueillie Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 21 Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28 Loi sur l'Administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 7 Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-35.
11 s'agit en l'espèce d'une demande tendant à l'annulation d'une décision d'un comité d'appel ayant fait droit à l'appel formé par les intimés à l'encontre de certaines nominations. Le ministère du Revenu national a mis sur pied une «unité canine de détection». Des inspecteurs des douanes ont été interviewés afin d'évaluer leurs aptitudes à aimer, entretenir un chien et vivre avec lui. Les mis-en-cause ont été choisis pour devenir «maîtres-chien». Les intimés ont interjeté appel conformément à l'article 21 de la Loi sur la Fonction publique en alléguant que la sélection ne s'était pas faite selon le principe du mérite puisque les connaissances, aptitudes et qualités personnelles des candidats en tant qu'inspecteurs des douanes n'avaient pas été prises en considération. Le Ministère a prétendu qu'il n'y avait pas eu nomination à un poste puisque les mis-en-cause occu- paient toujours leur poste d'inspecteur des douanes et qu'en les nommant «maîtres-chien», on leur a tout simplement fourni un outil nouveau pour les aider à remplir leurs fonctions. Le Comité a interprété les passages de l'arrêt Kelso c. R., [ 1980] I C.F. 659 (C.A.) comme voulant dire qu'un changement apporté dans les «qualités, fonctions et responsabilités d'un poste en fait
un poste différent qu'il faut combler au moyen de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique». Le Comité a conclu que les mis-en-cause avaient été nommés à de nouveaux postes et que leurs nominations pouvaient faire l'objet d'un appel en vertu de l'article 21.
Arrêt (le juge Pratte dissident): la demande devrait être accueillie.
Le juge Marceau (le juge Hugessen concourant): Le Comité a mal interprété les observations du juge en chef dans l'arrêt Kelso. Le juge en chef Jackett s'employait à contester à un ministère le droit de modifier unilatéralement les qualifications requises d'une personne nommée à un poste tant qu'elle l'oc- cupe. Suivant l'un des motifs exprimés, » ... , toute modifica tion semblable rendrait ce poste autre que celui auquel elle a été nommée.» On ne saurait tirer de ses propos l'affirmation générale retenue par le Comité. L'addition d'un chien comme outil de travail d'un inspecteur des douanes, même si la garde à domicile est requise, ne modifie pas la fonction de cet inspec- teur des douanes suffisamment pour en changer la »nature».
Le Comité a fait erreur en supposant que la création d'un poste ne requérait pas une décision claire et une manifestation de volonté non équivoque du Ministre ou de son représentant. Il ressort implicitement de la décision du Comité que ce dernier avait adopté comme prémisse qu'un poste peut être créé par une simple situation de fait, c'est-à-dire par un comportement de gestion et ce, même à l'encontre des désirs des responsables de l'administration du Ministère. Cette proposition est insoute- nable. Étant donné que la création d'un poste implique la reconnaissance et la définition d'une fonction requérant l'em- ploi d'une personne et que le pouvoir de créer un poste est un pouvoir juridique impliquant la prise d'une décision, la création d'un poste exige une manifestation ferme et non équivoque. Admettre la prémisse du Comité voudrait dire que par des directives de gestion, les autorités d'un ministère pourraient, à leur insu et même malgré elles, créer des postes et en abolir. Les commentaires formulés dans l'arrêt Kelso sur lesquels s'est appuyé le Comité avaient pour but de montrer que le Ministre ne pouvait modifier unilatéralement les qualifications afféren- tes à un poste. Ensuite, si une modification avait un effet discriminatoire, elle pourrait vraisemblablement faire l'objet d'un recours en vertu de la Loi sur les Relations de travail dans la Fonction publique. Enfin, si une modification est acceptée par le titulaire du poste, ne comporte pas d'incidence discriminatoire à l'égard des autres et n'entraîne ni reclassifica- tion ni augmentation, elle devrait être accordée. Il n'y a pas eu création de nouveaux postes de »maître-chien» et donc aucune nomination à un poste au sens de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
Le juge Pratte (dissident): La seule question qui se pose consiste à déterminer si le Comité d'appel a eu raison de juger que le choix des maîtres-chien constituait des nominations. Comme la Loi ne définit pas les mots »nomination» et »poste», il faut donner à ces mots leur sens ordinaire, suivant lequel une personne est nommée à un poste lorsqu'elle est désignée pour remplir un emploi ou une fonction. Il s'ensuit qu'une personne qui détient déjà un poste est nommée à un autre poste si elle est désignée pour remplir un emploi différent de celui qu'elle occupe déjà. Il n'est pas nécessaire de la nommer expressément à un tel poste: il suffit que les responsables la désignent pour exécuter de façon permanente une tâche nouvelle substantielle-
ment différente de celle qui se rattachait au poste qu'elle occupait jusque là. Les nouvelles fonctions de «maître-chien étaient suffisamment différentes de celles d'un inspecteur des douanes pour constituer un emploi différent.
JURISPRUDENCE
DÉCISION EXAMINÉE:
Kelso c. R., [1980] 1 C.F. 659 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Bauer c. Le comité d'appel de la Commission de la Fonction publique, [1973] C.F. 626 (C.A.); Brown c. La Commission de la Fonction publique, [1975] C.F. 345 (C.A.).
AVOCATS:
James M. Mabbutt pour le requérant.
Robert W. Côté pour les intimés.
Personne n'a comparu pour le compte des
mis-en-cause.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour les intimés.
Personne n'a comparu pour le compte des mis-en-cause.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE (dissident): Le requérant se pourvoit en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10] à l'encontre d'une décision d'un comité établi par la Commission de la Fonction publique faisant droit à un appel que les intimés Brault et Dubois avaient fait en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique [S.R.C. 1970, chap. P-32]. Par cet appel, les intimés avaient contesté la nomination des mis-en-cause Lenoir et Beaupré au poste de «maître-chien» au sein d'une «unité canine de détection» établie par le ministère du Revenu national à Montréal.
Le 16 juillet 1982, le ministère du Revenu natio nal publiait un avis à l'intention des inspecteurs des douanes (niveau PM-01) de la région de Mont- réal, les prévenant qu'on établirait une «unité canine de détection» pour la région de Montréal et
invitant ceux d'entre eux qui voulaient y être affectés à faire acte de candidature en faisant parvenir leurs demandes à l'adresse indiquée avant la date fixée. Cet avis donnait les précisions sui- vantes sur cette «unité canine de détection» et sur le poste de «maître-chien»:
MAITRE CHIEN
Le Ministère a récemment autorisé l'établissement d'une unité canine de détection pour la région de Montréal. En plus du chien et de son maître, l'unité disposera d'un véhicule automo bile, d'un chenil, d'un enclos et de matériel spécial.
PROGRAMME
Le candidat (e) choisi (e) recevra une formation sur place d'une durée d'environ trois mois dont la plus grande partie sera donnée à Montréal. La formation sera axée sur la fouille des véhicules, des bagages et des navires. Le dressage des chiens comprendra la détection des divers stupéfiants, des armes à feu et des munitions ainsi que l'obéissance, l'agilité et le dépistage.
ADMISSIBILITÉ
Les demandes écrites des inspecteurs des douanes PM-0l com- pétents de la région de Montréal seront prises en considération. Les candidats (es) devront préciser pourquoi ils (elles) sont intéressés (es) et indiquer toute expérience extérieure ayant trait au dressage de chien.
Pour se voir offrir cette affectation, l'employé (e) intéressé (e) devra satisfaire aux conditions suivantes:
—satisfaire aux exigences linguistiques du poste à combler
AVANT l'affectation (nomination impérative AABB); —consentir à accomplir ces fonctions durant au moins 3 années
consécutives;
—connaître à fond les fonctions d'un Inspecteur des Douanes et en avoir eu l'expérience;
être en bonne santé;
—avoir une facilité à communiquer avec autrui;
—être prêt à voyager et détenir un permis de conduire;
être prêt à consacrer le temps et les efforts nécessaires au soin d'un chien de détection et à l'entretien du matériel connexe;
occuper un logement avec cour suffisante pour loger un chenil et un enclos.
Suite à la publication de cet avis, plusieurs inspecteurs des douanes, dont les intimés Brault et Dubois et les mis-en-cause Lenoir et Beaupré, se portèrent candidats. Ils furent tous convoqués à une entrevue dans le but de déterminer ceux d'en- tre eux qui étaient les plus aptes à devenir «maî- tres-chien». Peu après, les intimés Brault et Dubois étaient prévenus que leurs noms n'avaient pas été retenus. On avait choisi les mis-en-cause Lenoir et Beaupré. Les intimés se prévalurent alors de l'arti- cle 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et firent appel de ces deux nominations.
Ils prétendaient que, lors du concours, le mérite de divers candidats n'avait pas été vraiment évalué parce qu'on avait tenté d'évaluer seulement quel- ques-unes des qualités exigées des «maîtres-chien».
Le ministère concerné contesta cet appel pour un seul motif, savoir que le choix des mis-en-cause Lenoir et Beaupré ne constituait pas une nomina tion à un poste de la Fonction publique mais une simple affectation qui ne pouvait pas faire l'objet d'un appel en vertu de l'article 21. Suivant cette prétention, les mis-en-cause Lenoir et Beaupré conservaient toujours, après comme avant leur nomination, leur poste d'inspecteur des douanes et, en les nommant «maîtres-chien», on leur avait sim- plement donné un outil nouveau pour les aider à remplir certaines de leurs fonctions.
Le Comité rejeta cette prétention. Il exprima d'abord l'opinion, en se fondant sur la décision du juge en chef Jackett dans l'affaire Kelso', qu'un «changement apporté dans les qualités, fonctions et responsabilités d'un poste en fait un poste différent qu'il faut combler au moyen de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.» Puis, se tournant vers les faits de l'espèce, il cita l'avis de concours que j'ai reproduit plus haut, et poursuivit:
De plus, le représentant du ministère admit à l'audition qu'étant donné la nature de l'outil de travail particulier qu'était le chien, le douanier qui se le verrait attribuer devrait avoir certaines qualités spéciales et que ce n'était pas tous les doua- niers qui pouvaient travailler avec un chien. Celui qui se voyait confier un chien devait accepter de le garder chez lui, de l'entretenir, de lui faire faire sur ses heures ouvrables une heure ou deux d'exercice tous les jours, etc. C'était pour cela que lors des entrevues avec les douaniers intéressés on leur avait demandé des questions tel que si leur conjoint était d'accord avec le fait de garder un chien à domicile, si les voisins avaient des animaux à la maison, si leur cour était assez grande, s'ils avaient d'autres animaux à la maison.
Compte tenu des commentaires dèjà rapportés du juge Jac- kett, de la Cour d'appel fédérale, sur l'effet des modifications apportées aux qualités, fonctions et responsabilités d'un poste, et compte tenu des qualités, fonctions et responsabilités supplé- mentaires attendues, en sus de celles normales d'un douanier, d'un «maître chien», il me semble évident qu'en les prescrivant le ministère se trouvait de fait à établir et créer des postes différents de ceux de douaniers. Pour moi, il est clair que le fait d'avoir la garde constante à domicile d'un chien spécialement dressé, de passer une à deux heures par jour de son temps ouvrable à lui faire faire des exercices, de veiller à l'entretien du matériel connexe à la garde et l'utilisation de ce chien, et d'être astreint à des conditions supplémentaires à celles habi-
' Kelso c. R., [1980] 1 C.F. 659 (C.A.), aux pp. 663à 665.
tuellement exigées des douaniers ordinaires, rend le poste du «maître chien» bien différent de celui du douanier ordinaire. Le ministère reconnaissait même qu'il fallait des qualités spéciales pour devenir «maître chien» et que ce n'était pas tous les douaniers qui pouvaient le devenir.
A mon avis les prétentions du ministère sur le fait que le chien n'était qu'un simple outil de travail ne tiennent pas. La garde et le dressage continus d'un chien impliquent autrement plus de temps et de dextérité que la simple utilisation d'un bateau, d'une voiture, d'un détecteur de métal ou d'un autre appareil mécanique. Ce n'est en outre pas parce que le poste de «maître chien» peut éventuellement avoir la même classification PM-01 ou encore le même numéro que le poste de douanier auquel il se trouve à succéder qu'il n'est pas un poste différent. Le ministère n'a peut-être pas établi de description de tâches spéciale pour des postes de «maître chien», mais c'est à tort, à mon avis. La description de poste de Inspecteur des douanes PM-01 (pièce M-1) qu'il m'a remise à l'audition est peut-être exacte pour les postes ordinaires de douanier mais, selon moi, elle ne reflète nullement les qualités, fonctions et responsabilités particulières attendues d'un «maître chien» tel [sic] qu'elles sont mentionnées sur le placard 82-44 ou qu'elles ont été présentées à l'audition d'appel. Quant à l'unique énoncé de qualités natio nal que le ministère prétend utiliser pour les concours de douanier, il faut dire qu'il a été assez bien complété en l'espèce par les spécifications contenues au placard 82-44.
En somme, j'estime donc qu'en accédant à des postes de «maître chien» messieurs Beaupré et Lenoir se trouvaient à être automatiquement affectés à des postes distincts et différents de ceux qu'ils occupaient auparavant, même s'ils pouvaient éven- tuellement porter la même classification et le même numéro.
Le Comité conclut donc que les mis-en-cause Lenoir et Beaupré avaient bien été nommés à de nouveaux postes en vertu de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique et que leur nomination pouvait faire l'objet d'un appel en vertu de l'article 21. Cela décidé, le Comité jugea que les nomina tions attaquées devaient être révoquées parce qu'elles n'avaient pas été faites «selon une sélection établie au mérite».
La seule question que soulève cette affaire est celle de savoir si le Comité d'appel a eu raison de juger que le choix des mis-en-cause Lenoir et Beaupré comme «maîtres-chien» constituait des nominations au sens de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. Si cette question doit recevoir une réponse affirmative, le requérant reconnaît en effet que les nominations des mis-en-cause n'ont pas été faites selon une sélection établie au mérite.
Comme l'a souligné l'avocat du requérant, la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique utilise fréquemment l'expression «nomination à des postes de la Fonction publique» mais ne définit pas les
mots «nomination» et «poste». Il en faut conclure que ces mots sont utilisés dans leur sens ordinaire suivant lequel une personne est nommée à un poste lorsqu'elle est désignée pour remplir un emploi ou une fonction. Il s'ensuit qu'une personne qui détient déjà un poste dans la Fonction publique, comme c'était le cas des mis-en-cause Lenoir et Beaupré, est nommée à un autre poste si elle est désignée pour remplir un emploi différent de celui qu'elle occupe déjà. À mon avis, pour que celui qui occupe déjà un poste dans la Fonction publique soit nommé à un poste nouveau, il n'est pas néces- saire que les autorités concernées le nomment expressément à un tel poste; il suffit que ces autorités, sans créer expressément de poste nou- veau, le désignent pour exécuter de façon perma- nente dans l'avenir une tâche nouvelle substantiel- lement différente de celle qui est attachée au poste qu'il occupait jusque-là.
Les mis-en-cause Lenoir et Beaupré étaient ins- pecteurs des douanes lorsqu'ils ont été choisis pour remplir la fonction de «maître-chien». Pour savoir s'ils ont été alors nommés à de nouveaux postes, il faut déterminer si leurs nouvelles fonctions étaient suffisamment différentes de celles d'un inspecteur des douanes pour constituer un emploi différent. À cette question, le Comité a répondu affirmative- ment. Je crois qu'il a eu raison. Car, la fonction de «maître-chien» ajoute des responsabilités et des obligations si importantes à celles d'un inspecteur des douanes qu'il me paraît impossible d'admettre la prétention du requérant que le choix des mis-en- cause comme «maîtres-chien» n'était rien d'autre qu'une affectation de tâches dans le cadre normal de leur emploi comme inspecteurs des douanes.
Pour ces motifs, je rejetterais la demande.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE MARCEAU: Cette demande faite en vertu de l'article 28 soulève une question qui est autrement plus difficile et importante que ne le laisseraient supposer le contexte dans lequel elle se pose et l'intérêt pratique immédiatement mis en cause. Elle soulève même, d'après moi, une ques tion qui va jusqu'au coeur des pouvoirs de gestion interne des unités administratives de la Fonction
publique fédérale. Malheureusement, je ne partage pas l'avis de mon collègue, monsieur le juge Pratte quant à la nature exacte de cette question et à la solution qu'il faut lui apporter et je ne disposerais pas de la demande de la façon qu'il suggère. Voici comment je crois pouvoir expliquer mon désaccord et appuyer ma façon de voir.
Il n'y a aucun intérêt à reprendre les faits sauf peut-être pour en rappeler les éléments essentiels et ainsi laisser dans son contexte pratique la ques tion à résoudre. Au cours de l'été 1982, le minis- tère du Revenu national (Douanes et Accise), émettait un avis à l'intention de ses inspecteurs des douanes de la région de Montréal (niveau PM-01) faisant part de son intention d'établir une unité canine de détection et invitant les inspecteurs inté- ressés à travailler avec un chien à soumettre leur candidature à la direction. L'avis, dont on a pu prendre connaissance du texte en lisant les notes du juge Pratte, mentionnait, on l'a vu, un certain nombre de conditions auxquelles l'intéressé devait satisfaire «pour se voir offrir cette affectation». Plusieurs inspecteurs soumirent leur candidature. A la suite d'entrevues avec chacun des candidats, entrevues visant strictement à s'enquérir des apti tudes de chacun à aimer, entretenir et vivre avec un chien, la direction fit part de son choix, un monsieur Alexander. Les deux intimés, déçus de n'avoir pas été choisis, décidèrent de s'en plaindre auprès de la Commission de la Fonction publique. Faisant valoir que la sélection n'avait pas été faite conformément aux exigences que la Loi sur l'em- ploi dans la Fonction publique (S.R.C. 1970, chap. P-32) définit pour qu'une nomination à un poste soit faite au mérite, étant donné que la direction n'avait pas tenu compte des connaissan- ces, capacités et qualités personnelles des candi- dats en tant qu'inspecteurs des douanes, les intimés interjetèrent appel en vertu de l'article 21 de ladite Loi 2 . Le ministère contesta. Il fit aussitôt valoir
2 Les parties pertinentes de cet article 21 se lisent comme
suit: -
21. Lorsque, en vertu de la présente loi, une personne est nommée ou est sur le point de l'être et qu'elle est choisie à cette fin au sein de la Fonction publique
a) à la suite d'un concours restreint, chaque candidat non reçu, ou
b) sans concours, chaque personne dont les chances d'avance- ment, de l'avis de la Commission, sont ainsi amoindries, (Suite à la page suivante)
que la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique n'était nullement en cause, de sorte qu'il ne pou- vait être question de respect des formalités de cette Loi ni d'abord d'appel sous l'égide de cette Loi. Il n'y avait, en effet, eu aucune nomination à un poste, soutint-il: le chien n'était qu'un outil de travail mis à la disposition d'un douanier pour lui permettre d'exercer ses fonctions; il n'existait pas de poste de «maître-chien» au Ministère, bien qu'une quinzaine de douaniers à travers le Canada travaillaient avec des chiens, il n'existait que des postes de douanier. Il n'avait jamais été question de créer de nouveaux postes, ni de transférer des titulaires de poste dans de nouveaux postes, et cette situation, claire dès l'origine, n'avait pas varié: le poste occupé par le candidat choisi était resté le même et sa nomination inchangée. Le Comité établi pour disposer de l'appel jugea inac- ceptable la position du Ministère invoquant comme motif, qu'il y avait eu effectivement un concours, mais la décision révoquant la nomination de monsieur Alexander devint caduque, lorsque, peu après qu'elle eut été contestée devant cette Cour, monsieur Alexander de lui-même cessa d'agir comme maître-chien. Ne croyant pas devoir changer d'attitude, le Ministère fit simplement savoir que les deux mis-en-cause Lenoir et Beau- pré remplaçaient monsieur Alexander, sur quoi les intimés s'empressèrent de réitérer sur les mêmes bases leur contestation, logeant un nouvel appel qui donna lieu à la formation d'un nouveau comité. Comme on l'a vu par les explications de Monsieur le juge Pratte, le comité, cette fois-ci, fut plus attentif aux prétentions du Ministère et ne se contenta plus de dire, comme la première fois, que puisqu'il y avait eu concours restreint à la manière de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, les exigences de cette Loi devaient s'appliquer, un raisonnement qui manifestement confondait forme et substance; il reconnut que la condition essen-
(Suite de la page précédente)
peut, dans le délai que fixe la Commission, en appeler de la nomination à un comité établi par la Commission pour faire une enquête au cours de laquelle il est donné à l'appelant et au sous-chef en cause, ou à leurs représentants, l'occasion de se faire entendre. La Commission doit, après avoir été informée de la décision du comité par suite de l'enquête,
c) si la nomination a été faite, la confirmer ou la révoquer, ou
d) si la nomination n'a pas été faite, la faire ou ne pas la
faire,
selon ce que requiert la décision du comité.
tielle pour que l'appel des intimés fût recevable— et la seule d'ailleurs en question--était qu'il y eût nomination à un nouveau poste. Son raisonnement, cependant, devait être en définitive tout aussi suc cinct que l'avait été celui du premier comité: inter- prétant certains passages des notes de l'ancien juge en chef de cette Cour dans l'affaire Kelso c. R., [1980] 1 C.F. 659 (C.A.), comme impliquant qu'«un changement apporté dans les qualités, fonc- tions et responsabilités d'un poste en fait un poste différent» (D.C., page 67), il n'hésita pas à dire que le Ministère, en agissant comme il avait agi, «se trouvait de fait à établir et créer des postes différents de ceux de douaniers» (D.C., page 68). C'est naturellement cette décision du deuxième comité qui est maintenant devant la Cour.
Cette décision du comité aujourd'hui mise en cause soulève tout de suite évidemment une ques tion de définition de termes, tout spécialement du terme «poste» («position» en anglais) que la Loi utilise à maintes reprises mais ne définit nulle part. Au sujet de cette question, je dirai simplement que je comprends mal comment on peut parler de poste différent d'un autre, au point de vue contenu, sans d'abord s'entendre sur ce qui caractérise et identi- fie un poste quelconque et le distingue des autres. Le comité ne dit rien à cet égard, et, contrairement à lui, je ne vois pas que prêter au mot «poste» le sens ordinaire d'«emploi» ou de «fonction» puisse dispenser de le faire. En tout cas, personne dans le langage courant ne sera porté à dire qu'il a changé d'«emploi» parce que son patron a modifié quelque peu certaines de ses responsabilités ou que ses «fonctions» ne sont plus les mêmes depuis qu'il a fait l'acquisition d'un nouvel outil de travail ou a adopté une nouvelle façon de travailler. Le prési- dent du comité, à mon avis, attribue aux propos de l'ancien juge en chef de cette Cour dans l'arrêt Kelso une portée qu'ils n'avaient pas. Le juge Jackett s'employait à contester à un ministère le droit de «modifier [unilatéralement] les qualifica tions requises d'une personne nommée à un poste tant qu'elle conserve celui-ci» (page 663), et de changer «la nature [d'un] poste en ce qui concerne la personne qui l'occupe déjà» (page 664), et l'un des motifs qu'il faisait valoir était exprimé dans la phrase qui semble avoir frappé le président: «Any such change in qualifications would, in effect, make the position something other than that to which he was appointed.» (traduit par: «En réalité,
toute modification semblable rendrait ce poste autre que celui auquel elle a été nommée.»). Le juge n'expliquait pas ce qu'il entendait par la «nature» d'un poste ni ce que couvrait l'expression «modifier les qualifications requises» pour exercer le poste (encore qu'en l'espèce il s'agissait d'un poste qu'on avait déclaré bilingue, les faits étaient assez éloquents); et de toute façon, on ne saurait tirer de ses propos l'affirmation générale retenue par le président du comité à savoir qu'«un change- ment apporté dans les qualités, fonctions et respon- sabilités d'un poste en fait un poste différent.» Ainsi, je ne vois pas en vertu de quel principe et sur la base de quelle définition on peut dire que l'addition d'un chien comme outil de travail d'un inspecteur des douanes, même si la garde du chien à domicile est requise, modifie la fonction de cet inspecteur des douanes suffisamment pour en changer la «nature» (et j'emploie ici à dessein l'expression du juge Jackett). C'est tout ce que j'avais l'intention de dire sur cette question de définition de terme car, à mon sens, ce n'est pas la difficulté majeure que présente la décision attaquée.
Cette difficulté majeure, dont la solution me semble pouvoir être fort lourde de conséquences, se rapporte à la prémisse que la décision implique, soit qu'un poste peut être créé au sein d'un minis- tère tacitement et même malgré la volonté des autorités administratives de ce ministère. Une telle prémisse est-elle valide? Je n'arrive tout simple- ment pas à m'en convaincre.
On vient de rappeler que la Loi nulle part ne définit ce qu'elle entend par un poste dans la Fonction publique. C'est le temps d'ajouter qu'elle ne dit nulle part non plus qui peut créer un poste dans la Fonction publique et comment se crée un poste dans la Fonction publique.
La question de savoir qui peut créer un poste ne soulève apparemment plus de problème ni théori- que ni pratique. On admet sans peine que les larges pouvoirs généraux de gestion attribués par le Parlement au Ministre à qui est confiée la direction de l'unité administrative qu'est le minis- tère, comprennent celui de déterminer le nombre des employés nécessaires à l'accomplissement des tâches du ministère, les qualités et aptitudes que chacun de ces employés devra posséder et la tâche qu'il sera appelé à remplir. Sous réserve de l'obli-
gation constitutionnelle d'obtenir du Parlement l'autorisation de dépenser des fonds publics, le Ministre a donc le pouvoir de créer un poste. L'ancien juge- en chef de cette Cour justement discute cette question avec soin dans Bauer c. Le comité d'appel de la Fonction publique, [1973] C.F. 626 (C.A.), puis encore, dans Brown c. La Commission de la Fonction publique, [1975] C.F. 345 (C.A.), aux pages 348 et suivantes, et de nouveau, dans l'affaire Kelso dont on a parlé plus haut.
Si la question de savoir qui peut créer un poste dans la Fonction publique a été ainsi suffisamment discutée en jurisprudence, je n'ai pu trouver de cas on s'était demandé comment pouvait être exercé ce pouvoir. Peut-être a-t-on toujours pensé que la réponse, sur le plan théorique évidemment (car il ne s'agit pas de s'interroger sur les procédu- res), allait de soi. Il me semble, quant à moi, qu'étant donné que la création d'un poste implique la reconnaissance et la définition d'une fonction requérant l'emploi d'une personne et que le pou- voir de créer un poste est un pouvoir juridique impliquant la prise d'une décision', on peut diffici- lement douter que la création d'un poste exige une manifestation de volonté ferme et non-équivoque. En adoptant comme prémisse qu'un poste peut être créé par une simple situation de fait, un simple comportement de gestion, et même malgré le désir et la volonté du Ministre ou de ses représentants, le Comité, à mon sens, donne effet à une proposi tion qui, théoriquement, ne peut tenir.
Ce n'est pas sur le seul plan des principes d'ail- leurs que le raisonnement du Comité me paraît intenable. C'est aussi sur le plan pratique. Admet- tre un tel raisonnement et l'appliquer générale- ment veut dire qu'on admet qu'à tout moment, par des directives de gestion, les autorités d'un minis- tère peuvent, à leur insu et même malgré elles, créer des postes (et aussi, je suppose, en faire disparaître). L'analyse des tâches à l'intérieur d'un ministère à un moment donné pourrait conduire à des résultats cocasses quant à l'identification et à la définition des postes et à la situation juridique
3 Le juge Jackett écrit dans une note au cours de ses motifs dans l'affaire Brown ci-haut citée (page 348): «Du point de vue technique, le terme «poste» désigne, à mon sens, le pouvoir juridique d'employer une personne dans la Fonction publi- que...»
de leurs titulaires! On pourrait penser que le rai- sonnement a malgré tout un avantage pratique en ce qu'il s'oppose à ce que le Ministre (ou ses gestionnaires), dans l'exercice des pouvoirs géné- raux de gestion qui lui sont conférés ou de ceux, prévus à l'article 7 de la Loi sur l'administration financière (S.R.C. 1970, chap. F-10), qu'il est appelé à exercer par voie de délégation du Conseil du trésor, modifie à volonté les tâches, responsabi- lités et qualifications des employés de son minis- tère, mais il n'en est rien. Rappelons d'abord que les commentaires du juge Jackett tirés de l'affaire Kelso et cités par le président du comité avaient justement pour but de montrer que le Ministre ne pouvait modifier unilatéralement les qualifications d'un poste. Ensuite, si une modification même acceptée de l'employé avait quelque incidence de discrimination à l'égard de co-employés, elle pour- rait vraisemblablement faire l'objet d'un recours en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique (S.R.C. 1970, chap. P-35). Enfin, si une modification est acceptée par le titulaire du poste, ne comporte pas d'incidence discriminatoire pour d'autres et n'emporte aucun changement de classification ni aucun avantage salarial, on voit mal pourquoi il faudrait l'empêcher.
Je suis donc d'opinion que le comité a erré en supposant que la création d'un poste dans la Fonc- tion publique ne requérait pas une décision claire et une manifestation de volonté non-équivoque du Ministre ou de quelqu'un habilité à agir pour lui, qu'elle pouvait résulter d'une simple situation de faits ou d'un simple comportement des gestionnai- res et devait avoir effet même à l'insu de l'autorité voire même à l'encontre de sa volonté. A mon avis, dans les circonstances révélées par le dossier et reconnues par le comité, il n'y a pas eu de création de nouveaux postes de «maître-chien»; il n'y a donc pas eu de nomination à un poste au sens de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, et l'article 21 de cette loi ne pouvait recevoir application.
J'annulerais donc la décision du comité et retournerais l'affaire devant lui pour qu'il en dis pose en conformité des principes et propositions que je viens de faire valoir.
LE JUGE HUGESSEN: Je suis d'accord.
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