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T-1401-84
Vérificateur général du Canada (demandeur) c.
Ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressour- ces; ministre des Finances; sous-ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources et sous- ministre des Finances (défendeurs)
Division de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Ottawa, 11 janvier, 7, 8 mars, 19 juillet et 1 e novembre 1985.
Droit constitutionnel Conventions Secret du Cabinet Celui-ci a-t-il préséance sur les droits d'accès conférés par l'art. 13 de la Loi sur le vérificateur général? Le vérifica- teur général s'est vu refuser l'accès à des informations concer- nant les deniers publics dépensés pour l'acquisition de Fina par Petro -Canada Le Premier ministre a déclaré que l'informa- tion requise consistait en des documents confidentiels du Con- seil privé de la Reine pour le Canada Documents d'un ancien ministère Les conventions forment une partie inté- grante du système constitutionnel Importance Nature des sanctions lorsqu'il y a violation La convention sur le secret des documents du Cabinet a été reconnue dans diverses lois mais n'est pas mentionnée dans la Loi sur le vérificateur général Intention du législateur fédéral Examen de l'évolution législative de la Loi sur le vérificateur général Concept d'une vérification incorporé dans la
Loi Rôle du vérificateur général à titre de fonctionnaire La responsabilité du gouvernement en matière de dépenses des fonds public revêt un intérêt public plus important que la doctrine du secret du Cabinet Aucune renonciation des membres du Conseil privé à leur obligation à l'égard de Sa Majesté Les ministres sont assujettis à un examen minu- tieux en particulier lorsqu'ils sont fiduciaires d'un compte qui a été créé pour servir à l'emploi de vastes quantités de deniers publics Le Cabinet ayant refusé de divulguer les documents, il n'est pas pratique pour le vérificateur général de s'adresser au Parlement pour obtenir un redressement Jugement déclaratoire portant que le vérificateur général a le droit d'avoir accès aux documents demandés et qu'un refus est injustifié Loi sur le vérificateur général, S.C. 1976-77, chap. 34, art. 5, 6 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 170, art. 25), 7, 13, 14 Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 5(4), 55 (mod. par S.C. 1980-81- 82-83, chap. 170, art. 16) Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 103 Acte pour assurer l'audition plus efficace des comptes publics, S.C. 1855, chap. 78 Acte pour pourvoir à la meilleure audition des comptes publics, S.C. 1878, chap. 7, art. 11, 48 Acte du revenu consolidé et de l'audition, S.R.C. 1886, chap. 29 Acte modifiant «l'Acte du revenu consolidé et de l'audition», S.C. 1888, chap. 7 Loi du revenu conso- lidé et de l'audition, S.R.C. 1906, chap. 24 Loi du revenu consolidé et de la vérification, 1931, S.C. 1930 (2e Sess.)-1931, chap. 27 Loi sur l'administration financière, S.C. 1951 (2e Sess.), chap. 12 Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1952, chap. 116 Loi modifiant la Loi sur l'administration
financière, S.C. 1966-67, chap. 74 Loi sur l'accès à l'infor- mation, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe I, art. 69 Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe II, art. 70.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Le vérifica- teur s'est vu refuser l'accès à des documents pour le motif qu'il s'agissait de documents confidentiels du Cabinet Manda- mus et injonction demandée par voie d'avis de requête L'ordonnance permanente ne peut être obtenue qu'après juge- ment au fond dans l'action Existe-t-il un devoir d'ordre public dont l'exécution peut être forcée par un mandamus? Le mandamus et l'injonction sont de nature discrétionnaire Ils ne sont accordés que lorsque tous les autres recours sont épuisés Un jugement déclaratoire est le redressement approprié = Les avocats ont convenu de transformer la demande en une action Dépôt des actes de procédure Renonciation aux interrogatoires préalables Requête consi- dérée comme une demande de jugement Prononcé d'un jugement déclaratoire portant que le demandeur a le droit d'avoir accès à l'information et qu'un refus est injustifié L'attestation visée à l'art. 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada n'est pas un obstacle à un jugement déclaratoire Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 36.3 (ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4).
Énergie La société d'État Petro -Canada s'est portée acquéreur de Fina Le Parlement a autorisé des dépenses de l'ordre de 1,7 milliard de dollars Le crédit a créé le Compte d'accroissement du taux de propriété canadienne dont le ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources est fidu- ciaire Le vérificateur général est habilité à demander des informations aux sociétés d'État Il souhaite enquêter sur l'acquisition de Fina Petro -Canada lui a refusé l'accès à l'information nécessaire Le gouverneur en conseil a refusé de donner directive à Petro -Canada de fournir l'information requise Le Premier ministre a refusé l'accès à l'information parce qu'elle consistait en des documents confidentiels du Conseil privé La Cour fédérale déclare que la loi confère un droit d'accès au vérificateur général L'examen rigoureux des dépenses de fonds publics revêt un intérêt public plus important que la doctrine du secret du Cabinet Un ministre fait particulièrement l'objet d'un examen minutieux lorsqu'il est fiduciaire d'un compte qui sert à l'emploi de sommes énormes Loi sur la Société Petro -Canada, S.C. /974- 75-76, chap. 6/ Loi 4 de 1980-81 portant affectation de crédits, S.C. 1980-81-82-83, chap. 51, annexe, crédit 5c Loi sur l'administration de l'énergie, S.C. 1974-75-76, chap. 47 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 114, art. 2), art. 65.26(3),(4) (ajouté, idem, art. 39).
On a annoncé le 3 février 1981 que la société d'État Petro - Canada avait convenu d'acheter Petrofina Canada Inc. Le 21 mars de la même année, le Parlement a autorisé sous le régime du crédit accordé au ministère de l'Énergie, des Mines et des Ressources que l'on dépense jusqu'à 1,7 milliard de dollars pour compléter l'opération. Le crédit créait le Compte d'accroisse- ment du taux de propriété canadienne (CAPC), un compte non budgétaire de fiducie qui figure parmi les comptes du Canada. Le ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources a été nommé fiduciaire des revenus et des actifs investis du CAPC. Le 18 avril 1981, une filiale de Petro -Canada a proposé aux actionnaires de Petrofina Canada Inc. d'acheter leurs actions au prix de 120 $ chacune. L'offre a été acceptée.
Le demandeur en l'espèce est le vérificateur général du Canada. Ses responsabilités à l'égard des comptes du Canada sont énoncées aux articles 5, 6 et 7 de la Loi sur le vérificateur général et aux articles 5(4) et 55 de la Loi sur l'administration financière. La législation lui donne la responsabilité «[d']effec- tue[r] les examens et enquêtes qu'il juge nécessaires pour lui permettre de faire rapport comme l'exige» la Loi sur le vérifi- cateur général. Dans son rapport annuel à la Chambre des communes, il «signale tout sujet qui, à son avis, est important et doit être porté à l'attention de la Chambre». Afin de faciliter la tâche du vérificateur général, on lui a conféré le droit «de prendre connaissance librement de tout renseignement se rap- portant à l'exercice de ses fonctions». On lui a aussi attribué les pouvoirs conférés aux commissaires par la Loi sur les enquêtes et il pouvait «interroger sous serment toute personne au sujet d'un compte soumis à sa vérification». Il pouvait demander aux sociétés d'État de lui fournir des renseignements et si elles ne le faisaient pas, en faire part au gouverneur en conseil qui peut ordonner aux dirigeants des sociétés de fournir les renseigne- ments demandés ou de permettre au vérificateur d'en prendre connaissance. Les dispositions législatives concernant les devoirs et les pouvoirs du vérificateur général ne faisaient pas spécifiquement mention d'une restriction quelconque au titre des documents confidentiels du Conseil privé de la Reine.
De mars 1982 mars 1984, le demandeur a cherché à
obtenir des défendeurs et de Petro -Canada les renseignements nécessaires pour procéder à la vérification du CAPC. Dans ses rapports de 1982, 1983 et 1984, le demandeur a mentionné son incapacité d'établir si on avait fait preuve d'économie et d'effi- cience dans l'emploi du 1,7 milliard de dollars prélevés à même les fonds publics pour acquérir les actions et les biens de Petrofina Canada Inc. Le 9 mars 1984, le vérificateur général a écrit à Petro -Canada, invoquant le paragraphe 14(2) de la Loi sur le vérificateur général, pour qu'on lui donne accès à certaines informations sur l'acquisition de Petrofina. Après avoir essuyé un refus, le demandeur a écrit au gouverneur en conseil sur le fondement du paragraphe 14(3) de la Loi afin de le notifier dudit refus. Le gouverneur en conseil a répliqué par un décret dans lequel il a refusé de donner directive à Petro - Canada de fournir l'information. En fin de compte, le vérifica- teur général a soumis l'affaire au Premier ministre. Dans sa réponse, celui-ci refusait le droit d'accès parce que l'informa- tion requise consistait en des documents confidentiels du Con- seil privé de la Reine pour le Canada.
Dans sa demande initiale présentée sous forme d'avis de requête, le vérificateur général cherchait à obtenir une ordon- nance lui donnant libre accès aux documents et une injonction interdisant aux intimés de l'empêcher d'obtenir le libre accès à l'information et d'obtenir des informations en vertu du paragra- phe 13(1) de la Loi sur le vérificateur général. Une des préoccupations de la Cour était qu'une ordonnance permanente ne pouvait être obtenue qu'après jugement au fond dans une action. De plus, se posait la question de savoir s'il existait en l'espèce un devoir d'ordre public dont l'exécution puisse être forcée par un mandamus. Enfin, compte tenu de la nature discrétionnaire du mandamus et de l'injonction, il fallait se demander si le requérant avait épuisé tous les autres recours à sa disposition: Harelkin c. Université de Regina, [l979] 2 R.C.S. 561. Pour éviter qu'il ne soit mis fin à l'instance, les avocats des parties ont rencontré le juge et ont convenu de transformer la demande en une action et de considérer la
requête (qui avait déjà été instruite) comme une demande de jugement au fond.
Dans sa déclaration, le vérificateur général cherche à obtenir un mandamus ou un jugement déclaratoire portant qu'il a droit d'accès à des catégories déterminées de documents relatifs à l'acquisition de Petrofina. On a avancé quatre raisons pour justifier le rejet de la présente action: (1) l'information deman- dée ne concernait pas la vérification du CAPC; (2) le vérifica- teur général faisait face à une fin de non-recevoir puisque dans ses rapports de 1981, de 1982 et de 1983 il a déclaré aux Communes qu'il avait reçu les informations nécessaires pour remplir ses fonctions; (3) la divulgation de l'information viole- rait la convention constitutionnelle qui interdit de divulguer les renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada. De plus, les documents confidentiels en cause étaient protégés par la convention constitutionnelle concernant les documents des anciens ministères et (4) c'est la Chambre des communes et non la Cour qui devait être saisie de la présente affaire.
La Cour a également été saisie d'une attestation, produite conformément à l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada, qui porte que le greffier du Conseil privé s'est opposé à la divulgation de l'information parce qu'elle constituait un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pen dant l'administration du Premier ministre Trudeau.
Jugement: le demandeur a droit à un jugement déclaratoire portant que les articles 5 et 13 de la Loi sur le vérificateur général lui donnent accès aux renseignements contenus dans les documents énoncés dans la déclaration et qu'un refus était injustifié et qu'il continue de l'être.
La question litigieuse qui se pose en l'espèce est de savoir si le droit à l'accès à des documents, qui est conféré au vérificateur général par l'article 13 de la Loi sur le vérificateur général, a préséance sur la convention sur le secret du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
Les conventions forment une partie intégrante de notre régime constitutionnel. Alors que la sanction de la violation d'une convention est politique et non juridique, certaines con ventions sont plus importantes que certaines lois. Cela dépend du principe qu'elles sont censées protéger. L'une de ces conven tions est que le secret des délibérations du Cabinet doit être maintenu. Elle est reconnue par le Règlement de la Chambre et par trois lois: la Loi sur l'accès à l'information, la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la preuve au Canada. Il est significatif que, en adoptant la Loi sur le vérificateur général, le Parlement n'a pas apporté comme restriction au droit d'accès que la convention sur le secret du Cabinet devait être respectée. Cette omission ne devrait pas être attribuée à un simple oubli. Le Parlement n'a pas voulu que le vérificateur général soit assujetti à cette restriction.
L'évolution législative de la Loi sur le vérificateur général témoigne d'une augmentation de pouvoirs et de responsabilités. Suivant la version actuelle de cette Loi, en vigueur depuis 1977, le vérificateur général doit mentionner dans son rapport annuel aux Communes les cas des sommes d'argent ont été dépen- sées sans égard à l'économie ou à l'efficience. C'était l'expres- sion prévue par la loi quant au concept d'une vérification «rendement - coût» dans le secteur public. Le but visé est d'établir une norme permettant de mesurer la productivité et l'efficience dans la Fonction publique, ce qu'on avait cru impos-
sible de faire. Un fonctionnaire professionnel, le vérificateur général, était chargé d'aider les députés à remplir leur obliga tion la plus importante qui est de faire en sorte que le gouverne- ment rende compte de tous les deniers publics dépensés. Il était fondamental pour le système parlementaire que la dépense de deniers publics fasse l'objet d'une surveillance constante et étroite du Parlement. Mais le processus est si complexe que la surveillance par les députés est illusoire si ceux-ci n'ont pas l'appui de comptables et de vérificateurs professionnels.
L'argument que le législateur n'a peut-être pas pensé à la question de savoir si le vérificateur général devrait avoir un accès illimité aux documents confidentiels du Cabinet est réfuté par certains extraits du compte rendu officiel des débats de la Chambre. M. Andras y déclare que les dispositions de la Loi sur le vérificateur général portant sur l'accès à l'information sont rédigées de manière à prévaloir sur toutes les lois subsé- quentes à moins que le Parlement ne consente expressément à ce qu'il en soit autrement.
L'attestation visée à l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada constituerait un obstacle à une ordonnance de produc tion de documents, mais pas à un jugement déclaratoire.
La responsabilité du gouvernement en matière de dépenses de fonds publics revêt un intérêt public plus important que tout risque d'affaiblir la doctrine du secret du Cabinet. En cas de conflit entre ces deux intérêts, le premier doit prévaloir.
L'argument voulant que, puisque que le secret est une obliga tion imposée aux membres du Conseil privé de Sa Majesté, seule cette dernière peut renoncer à cette obligation, n'était pas fondé. Il ne s'agit pas en l'espèce d'une renonciation. Il est plutôt question d'une loi dûment adoptée par le Parlement et sanctionnée par Sa Majesté.
Si le présent jugement a placé le vérificateur général dans une situation supérieure à celle de la Cour, c'était une consé- quence qui découlait du libellé d'une mesure législative dont l'intention était claire.
Tout ministre fait l'objet d'un examen rigoureux en ce qui concerne les dépenses dont il est responsable. Les ministres qui sont défendeurs en l'espèce sont d'autant plus assujettis à un tel examen rigoureux qu'ils agissent comme fiduciaires du Compte d'accroissement du taux de propriété canadienne, un outil qui sert à l'emploi de vastes sommes de deniers publics.
La Cour ne pouvait non plus accepter l'argument voulant que puisque le vérificateur général est un préposé du Parlement, il devrait s'adresser à celui-ci pour obtenir un redressement. Le gouvernement est majoritaire en Chambre et c'est le Cabinet qui a refusé l'accès à l'information. Le résultat de tout vote de la Chambre était prévisible.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; Wilson c. Ministre de la Justice, jugement en date du 29 mai 1985, Division d'appel de la Cour fédérale, A-115-84, encore inédit.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Burmah Oil Co Ltd v Bank of England (Attorney Gene ral intervening), [1979] 3 All E.R. 700 (H.L.); Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [1981] I R.C.S. 753.
DÉCISIONS CITÉES:
Attorney -General v. Jonathan Cape Ltd., [1976] Q.B. 752; Conway v. Rimmer, [1968] I All E.R. 874 (H.L.).
AVOCATS:
Gordon F. Henderson, c.r., Emilio Binavince et G. F. Windsor pour le demandeur.
William Ian Corneil Binnie, c.r. et Graham Garton pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Gowling & Henderson, Ottawa, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement, tels qu'amendés, rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Après avoir prononcé les motifs de jugement à l'audience à Ottawa le ler novembre 1985, j'ai invité les avocats à soumettre d'autres arguments et je leur ai indiqué que je ferais dans ces motifs toutes les corrections qu'exigent les règles de grammaire et de ponctuation. J'ai suspendu l'affaire jusqu'au 12 novembre 1985, date à laquelle j'ai apporté les modifications nécessaires et ajouté certains com- mentaires afin de clarifier le texte du jugement. Les présents motifs amendés comportent les modi fications nécessaires quant à la ponctuation et à la grammaire ainsi que ces commentaires supplémen- taires.
Résumée en très peu de mots, la question liti- gieuse qui se pose en l'espèce est celle de savoir si le droit à l'accès à des documents, qui est conféré au vérificateur général du Canada par l'article 13 de la Loi sur le vérificateur général, S.C. 1976-77, chap. 34, a préséance ou non sur la convention sur le secret du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
Lorsque l'application d'une loi ou de dispositions particulières d'une loi à une situation de fait donnée est contestée ou est en conflit avec d'autres dispositions similaires, la responsabilité des juridic-
tions compétentes, lorsque saisies du recours approprié, est d'interpréter le droit. J'emploie les mots «recours approprié» parce que la requête originale était entachée de vices de procédure sérieux qui ont maintenant été réglés et dont je traiterai plus loin avec plus de détails. Lorsqu'on interprète le droit, le premier facteur à considérer est bien sûr le libellé du texte de loi. Si je conclus qu'il ne souffre d'aucune ambiguïté, la question est alors réglée, à moins qu'il n'y ait deux dispositions législatives qui sont toutes deux claires et valides, mais incompatibles. Si l'intention du Parlement n'est pas exprimée clairement dans la loi, je me dois de l'interpréter en conformité avec le but général pour lequel la loi a été édictée. Enfin, lorsque tous ces facteurs ne sont pas concluants, on peut trancher le litige en considérant l'intérêt public. L'intérêt public sera-t-il mieux protégé si l'une de ces dispositions l'emporte sur l'autre?
Pour les motifs qui suivent, je constate que tous ces facteurs m'amènent à la même conclusion. Le rôle du vérificateur général est défini dans les articles introductifs de la Loi sur le vérificateur général. Aux termes de l'article 5, le vérificateur général, en sa qualité de vérificateur des comptes du Canada, «effectue les examens et enquêtes qu'il juge nécessaires pour lui permettre de faire rap port comme l'exige» la Loi. Aux fins de l'exercice de cette fonction, le vérificateur général bénéficie, en vertu de l'article 13, du droit d'accès à des documents. En vertu de cet article, il peut exiger que les fonctionnaires fédéraux lui fournissent tous renseignements, rapports et explications dont il a besoin pour l'exercice de ses fonctions. Il peut aussi détacher un employé de son bureau auprès d'un ministère et interroger sous serment toute personne; il est également autorisé à exercer les pouvoirs conférés aux commissaires par la Partie I de la Loi sur les enquêtes [S.R.C. 1970, chap. I-13].
Cinq aspects de ces dispositions législatives méritent d'être soulignés.
1. L'expression «effectue les examens et enquêtes qu'il juge nécessaires», à l'article 5.
2. L'expression du paragraphe 13(1) «Sous réserve des dispositions d'une autre loi du Parlement qui se réfèrent expressément au présent paragraphe». Il s'agit d'une disposition nouvelle dans la Loi
actuelle et, pour ce qui est de la dernière partie de cette expression, soit les mots «qui se réfèrent expressément au présent paragraphe», je remarque qu'il n'existe pas de dispositions législatives qui le fassent.
3. La dualité du paragraphe 13 (1) qui, dans un premier temps, accorde au vérificateur général «le droit, à tout moment convenable, de prendre con- naissance librement de tout renseignement se rap- portant à l'exercice de ses fonctions»; et qui, dans un deuxième temps, ajoute qu'«à cette fin, il peut exiger que les fonctionnaires fédéraux lui fournis- sent tous renseignements, rapports et explications dont il a besoin».
4. Son droit porte sur des renseignements se rap- portant à l'exercice de ses fonctions. À moins que ce droit ne soit autrement limité, je ne vois pas pourquoi il ne renverrait pas à l'article 5.
5. Ni l'article 5 ni l'article 13 ne font spécifique- ment mention d'une quelconque restriction fondée sur les renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine.
J'estime que ces dispositions ne présentent aucune ambiguïté. Contrairement à ce qu'il a fait dans plusieurs autres lois, le Parlement n'a pas décrété que le droit d'accès doit céder le pas à la convention constitutionnelle sur le secret du Cabi net. Même si je devais conclure que ces facteurs s'équilibrent—et je ne le fais pas—l'examen rigou- reux des dépenses de fonds publics par le gouver- nement et la responsabilité de celui-ci en cette matière revêtent un intérêt public plus important que tout risque d'affaiblir la doctrine du secret du Cabinet. Je suis donc arrivé à la conclusion qu'en cas de conflit, le droit du vérificateur général d'avoir accès à des documents doit prévaloir.
LES FAITS:
Petro -Canada est une société d'État constituée en vertu de la Loi sur la Société Petro -Canada, S.C. 1974-75-76, chap. 61, et est une mandataire de Sa Majesté. On a annoncé le 3 février 1981 que Petro -Canada et Pétrofina s.a., la compagnie mère de Petrofina Canada Inc., avaient convenu que Petro -Canada achèterait Petrofina Canada Inc. Le 21 mars 1981, soit presque deux mois après que les conditions de l'achat eurent été rendues publiques, le Parlement du Canada a adopté une disposition
législative permettant de dépenser jusqu'à 1,7 mil- liard de dollars pour cet achat grâce aux sommes accordées au ministère de l'Énergie, des Mines et des Ressources sous le régime du crédit 5c de l'annexe de la Loi 4 de 1980-81 portant affec tation de crédits, S.C. 1980-81-82-83, chap. 51:
ÉNERGIE, MINES ET RESSOURCES A—MINISTÈRE
PROGRAMME DE L'ÉNERGIE
Énergie—Dépenses de fonctionnement, y compris des verse- ments au cours de la présente année financière et des années financières subséquentes conformément aux conditions que peut prescrire le gouverneur en conseil, sur recommandation du Ministre et du ministre des Finances, des sommes néces- saires en certaines occasions en vue d'effectuer des place ments sous forme d'actions, de titres, d'obligations ou d'au- tres titres de créance de Petro -Canada en vue d'accroître le taux de propriété canadienne au sein de l'industrie gazière et pétrolière au Canada au moyen de l'achat d'actions et de biens de Petrofina Canada Inc. par Petro -Canada (pour un montant ne devant pas dépasser 1.7 milliard de dollars, montant qui comprend les frais de financement provisoire), et à cette fin sera créé le Compte d'accroissement du taux de propriété canadienne, un compte non budgétaire de fiducie, qui figurera parmi les comptes du Canada:
a) au crédit duquel on portera toutes les sommes perçues dans le cadre d'une taxe spéciale relative à l'accroisse- ment du taux de propriété canadienne au sein de l'indus- trie gazière et pétrolière au Canada; et
b) auquel seront imputés tous les investissements faits en vertu du présent crédit, pour l'achat d'actions et de biens de Petrofina Canada Inc.
et pour prévoir des dispositions afin d'interdire tout investis- sement en vertu du présent crédit dont le montant excède le solde du crédit du compte, et pour prévoir un montant
supplémentaire de 5,382,000
Le crédit 5c a créé le Compte d'accroissement du taux de propriété canadienne (CAPC), un compte non budgétaire de fiducie qui figure parmi les comptes du Canada. Les revenus portés au CAPC sont perçus sous le régime de la Loi sur l'adminis- tration de l'énergie, S.C. 1974-75-76, chap. 47 [mod. par S.C. 1980-81-82-83, chap. 114, art. 2]. Les paragraphes 65.26(3) et (4) de la Loi [ajoutés, idem, art. 39] prévoient que les investissements autorisés par le crédit 5c doivent être portés au débit du CAPC. Les actions émises conformément à ces investissements doivent être détenues au nom du ministre de l'Énergie, des Mines et des Res- sources et portées au crédit du CAPC. Ledit Ministre était (et est) donc le fiduciaire des reve- nus et des actifs investis du CAPC. Tous les investissements faits pour l'achat d'actions et de biens de Petrofina Canada Inc. devaient être portés au débit du CAPC.
Le 18 avril 1981, Petro -Canada Exploration Inc. (PEX), une filiale à cent pour cent de Petro - Canada, a proposé aux actionnaires de Petrofina Canada Inc. d'acheter leurs actions au prix de 120 $ chacune, sous réserve d'un rajustement et de certaines conditions. Cette offre d'achat compor- tait les mêmes conditions financières que celles convenues entre Petro -Canada et Pétrofina s.a., et elle était subordonnée à l'exécution du transfert de certains biens de Petrofina Canada Inc. à Pétroles Petro -Canada Inc. (PPCI), une filiale à cent pour cent de PEX, en échange d'actions privilégiées de PPCI. Les actionnaires de Petrofina Canada Inc. ont accepté cette offre le l er mai 1981. L'offre était valable du 18 avril 1981 au 28 février 1983 et, pour ce qui concerne les actions qui n'ont pas été vendues le 23 mai 1981, on a rajusté leur prix en ajoutant l'intérêt imputé au taux offert sur le marché de Londres par les banques (London Inter-Bank Offered Rate ou LIBOR) pour les dépôts en dollars américains, moins les dividendes versés, jusqu'à ce que ce que les actions soient mises en vente. Le rajustement du prix d'achat pour l'intérêt imputé au taux LIBOR a augmenté à plus de 120 $ l'action le prix des actions qui n'avaient pas été mises en vente dès le départ, et l'intérêt payé par PEX aux banques commerciales qui ont financé l'achat des actions a été débité au CAPC. Le tout est inscrit dans les états financiers sommaires du Canada comme un placement sous forme d'actions de Petro -Canada qui sont détenues en fiducie et portées au crédit du CAPC.
Voici les opérations qui ont été effectuées entre le 2 février et le 12 mai 1981 en vue de l'acquisi- tion des actifs et des actions de Petrofina Canada Inc.:
a) Le 2 février 1981, Petro -Canada a consenti à acheter les actions que Pétrofina s.a. possédait dans Petrofina Canada Inc. et acceptait de lui vendre à certaines conditions, notamment l'approbation par une résolution des actionnaires de Petrofina Canada Inc. de la vente des actifs de cette dernière à PPCI.
b) Le 23 février 1981, Petro -Canada a fait en sorte que les actions privilégiées de PPCI soient transférées à Petrofina Canada Inc.
c) Le 18 avril 1981, Petro -Canada a fait en sorte que PEX offre aux détenteurs d'actions ordinaires de Petrofina Canada Inc. d'acheter les actions ordinaires en circulation à un prix de 120 $ l'action, sous réserve de rajustements et de certaines conditions. Les actionnaires qui acceptaient l'offre devaient confier leurs actions à des fiduciaires, la Montreal Trust Com pany (Canada) et la Société Générale de Banque (Europe) (les «fiduciaires»).
d) Un peu avant le 11 mai 1981, Petro -Canada a fait en sorte que PEX contracte avec des banques un prêt de 1,5 milliard de dollars, sous réserve de l'obtention d'un cautionnement de Petro -Canada.
e) Le 11 mai 1981, les actionnaires de Petrofina Canada Inc. se sont réunis et, par un vote spécial, ont approuvé à la majorité (plus de 2/3 des voix) la vente de ses actifs transférables à PPCI.
f) Le 11 mai 1981, le gouverneur en conseil a pris le décret C.P. 1981-1235 qui modifiait le décret C.P. 1981-259 et approuvait le budget d'immobilisations de Petro -Canada afin de permettre à cette dernière de se porter garante des obligations de PEX découlant de l'offre d'achat de toutes les actions ordinaires en circulation de Petrofina Canada Inc., et de se porter garante des obligations de PPCI découlant de son engagement d'acheter les actifs de Petrofina Canada Inc.
g) Le 12 mai 1981, (i) Petrofina Canada Inc. a transféré à une filiale de Pétrofina s.a. certains des actifs qu'elle n'avait pas vendus à PPCI; (ii) Petro -Canada a fait en sorte que PPCI achète le reste des actifs de Petrofina Canada Inc. en échange des actions privilégiées de PPCI, et (iii) Petro -Canada a fait en sorte que PEX achète des fiduciaires les actions de Petrofina Canada Inc. qui leur avaient été confiées.
Le 2 février 1981, le gouverneur général en conseil a approuvé, dans le décret C.P. 1981-259, un budget supplémentaire permettant à Petro - Canada d'entreprendre l'achat d'actions au prix de 1,5 milliard de dollars, y compris les sommes nécessaires pour le financement. Le 11 mai 1981, le décret C.P. 1981-259 a été modifié par le C.P. 1981-1235. Petro -Canada a utilisé les garanties autorisées par cette modification pour établir des marges de crédit bancaires en faveur de PEX afin de lui permettre d'acquérir les actions de Petrofina Canada Inc. en utilisant des fonds empruntés.
Le 26 mars 1982, le gouverneur général en conseil a pris le décret C.P. 1982-971 qui prescri- vait les modalités applicables aux paiements effec- tués à même le CAPC. L'annexe «A», qui est un accord intervenu entre Sa Majesté la Reine repré- sentée par le ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources et Petro -Canada, porte notam- ment:
[TRADUCTION] 1. En plus des fonds déjà tirés du Compte, le Ministre doit avancer à Petro -Canada les fonds qui sont à l'occasion disponibles dans le Compte, les fonds avancés ou qui devront l'être ne devant pas excéder une somme d'un milliard sept cent millions de dollars (1,7 milliard de dollars), jusqu'à ce que Petro -Canada ait reçu du Ministre un montant égal au total de l'investissement et des intérêts payables par Petro - Canada pour l'acquisition de quatre-vingt-quinze pour cent (95 %) des actions (la «date du paiement final").
2. Petro -Canada doit fournir sans délai au Ministre pour les fonds déjà avancés et sur réception de chaque autre avance tirée du Compte des reconnaissances de dette sous la forme
figurant dans l'annexe A indiquant les montants reçus et la date de leur réception.
3. Petro -Canada doit fournir au Ministre, au plus tard le 15° jour de chaque mois précédant la date du paiement final, un relevé en date du dernier jour du mois précédent faisant état:
a) du total des fonds reçus du Compte;
b) de l'évaluation par Petro -Canada du montant total des investissements et des intérêts nécessaires pour acquérir qua- tre-vingt-quinze pour cent (95 %) des actions; et
c) de la date à laquelle aura lieu le paiement final selon Petro -Canada.
4. Dès l'adoption d'une loi prévoyant l'émission d'actions ordi- naires de Petro -Canada en contrepartie des avances tirées du Compte et, par la suite, au plus tard le 31 mars de chaque année juqu'à la date du paiement final, Petro -Canada doit émettre au nom du Ministre la totalité des actions ordinaires de Petro -Canada dont la valeur nominale de cent mille dollars (100 000 $) est déterminée en divisant par cent mille dollars (100 000 $) (sic) l'investissement total avancé à Petro -Canada par le Ministre depuis le 31 mars de l'année précédente pour laquelle aucune action ordinaire n'a été émise. L'émission par Petro -Canada de ces actions ordinaires éteindra complètement les dettes de Petro -Canada à l'égard du Ministre en ce qui concerne la totalité des investissements et des intérêts avancés à Petro -Canada par le Ministre depuis le 31 mars de l'année précédente.
5. Petro -Canada doit, à la date du paiement final, remettre sans délai au Ministre un avis écrit et doit, dans les trente (30) jours de cette date, émettre au nom du Ministre les actions ordinaires de Pétro-Canada dont la valeur nominale de cent mille dollars (100 000 $) est déterminée en divisant par cent mille dollars (100000$) (sic) l'investissement total depuis le 31 mars de l'année précédente. L'émission par Petro -Canada de ces actions ordinaires éteindra complètement les dettes de Petro -Canada à l'égard du Ministre en ce qui concerne la totalité des investisse- ments et des intérêts avancés à Petro -Canada par le Ministre depuis le 31 mars de l'année précédente.
6. La présente entente entre en vigueur à compter du 31 décembre 1981, comme si elle avait été conclue à cette date, et elle restera exécutoire jusqu'au 30 juin 1983.
Le 29 juin 1982, le Parlement a modifié la Loi sur la Société Petro -Canada par S.C. 1980-81- 82-83, chap. 105, pour autoriser le paiement d'une prime d'émission d'actions en sus de la valeur au pair des actions de Petro -Canada. Le décret C.P. 1983-918, portant date du 25 mars 1983, a été pris conformément à cette modification afin de pres- crire le paiement d'une prime d'émission de 11 031 $ pour chacune des 12 451 actions ordinai- res de Petro -Canada achetées avec les fonds du CAPC.
De mars 1982 mars 1984, le demandeur a
cherché à obtenir des défendeurs, Petro -Canada et d'autres fonctionnaires du gouvernement, l'infor- mation dont il avait besoin pour procéder à la vérification du CAPC. Dans ses rapports de 1982,
1983 et 1984 la Chambre des communes, le demandeur mentionne l'absence de documents lui permettant d'établir si on a fait preuve d'économie et d'efficience dans l'emploi du 1,7 millard de dollars prélevés sur le CAPC à même les fonds publics pour acquérir les actions et les biens de Petrofina Canada Inc. Il a aussi indiqué qu'il avait des difficultés à obtenir les renseignements néces- saires pour qu'il se prononce sur cette question. Le 9 mars 1984, il a écrit à Petro -Canada, invoquant le paragraphe 14(2) de la Loi sur le vérificateur général, pour demander qu'on lui fournisse certai- nes informations concernant l'acquisition de Petro- fina Canada Inc., ou qu'on lui donne accès à ces informations. Il demandait notamment les infor- mations contenues dans les documents suivants:
[TRADUCTION] a) les analyses et/ou rapports d'évaluation rela- tifs à l'acquisition de Petrofina Canada Inc.;
b) les documents, propositions ou mémoires présentés aux membres et aux représentants du gouvernement du Canada;
c) les évaluations de l'acquisition de Petrofina Canada Inc. et/ou de ses actifs auxquelles on aurait procédé postérieurement à l'acquisition de Petrofina Canada Inc.
Le demandeur a essuyé un refus. Le 16 avril 1984, il a écrit au gouverneur en conseil sur le fondement du paragraphe 14(3) de la Loi sur le vérificateur général, le notifiant du refus de Petro - Canada de lui communiquer cette information ou de lui permettre d'en prendre connaissance. Sur notification, le gouverneur en conseil est autorisé par le paragraphe 14(3) à donner directive à Petro -Canada de fournir au vérificateur général l'information demandée ou de lui permettre d'en prendre connaissance. Le gouverneur en conseil a toutefois répliqué par le décret C.P. 1984-2243, portant date du 26 juin 1984, par lequel il a refusé de donner directive à Petro -Canada de fournir l'information requise au demandeur. Subséquem- ment, d'autres demandes d'information ont été faites aux défendeurs; toutes ont essuyé un refus.
Le 25 juin 1984, le demandeur a écrit au Pre mier ministre, le Très Honorable Pierre Elliott Trudeau, pour appeler son attention sur le refus des défendeurs de fournir au demandeur l'informa- tion requise. Par lettre, datée du 29 juin 1984, le
Premier ministre a répondu que l'information requise consistait en des documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada et que le demandeur n'avait pas droit d'accès à ces docu ments confidentiels.
LA PROCÉDURE:
Le vérificateur général s'adresse à la Cour pour qu'elle résolve cette impasse. Sa demande initiale était sous forme d'avis de requête sollicitant:
[TRADUCTION] a) Une ordonnance enjoignant aux intimés de donner au requérant libre accès aux informations contenues dans les documents préparés par les intimés, ou reçus par eux, ou dont ils ont tenu compte dans l'exercice de leurs responsabi- lités légales respectives, individuelles ou collectives; et
b) Une ordonnance sous forme d'injonction permanente, inter- disant aux intimés d'entreprendre toute action qui aurait pour effet d'empêcher le requérant:
(i) d'obtenir le libre accès à cette information,
(ii) et d'obtenir des informations en vertu du paragraphe 13(1) de la Loi sur le vérificateur général.
Sous cette forme, la requête soulevait plusieurs questions de procédure qui m'ont préoccupé dès le départ et qui étaient d'ailleurs suffisamment graves pour avoir attiré l'attention de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Harelkin c. Uni- versité de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, et de la Cour d'appel fédérale, dans l'arrêt Wilson c. Ministre de la Justice (jugement en date du 29 mai 1985, Division d'appel de la Cour fédérale, A-115-84, encore inédit). Il n'est pas nécessaire de se référer longuement aux faits ou aux décisions de chacune de ces espèces. Toutes deux confirment mes préoccupations; une ordonnance permanente de la nature recherchée ne peut être obtenue qu'a- près jugement au fond dans une action.
Se posaient également au moins deux questions de fond: premièrement, existe-t-il en l'espèce un devoir d'ordre public dont l'exécution puisse être forcée par une ordonnance de mandamus? Il est bien établi qu'on ne peut avoir recours au manda- mus que pour forcer l'exécution d'une obligation spécifique prévue dans une loi donnée. En l'espèce, même si je concluais que l'article 13 de la Loi sur le vérificateur général accorde au demandeur le droit de forcer des fonctionnaires ou des ministres de la Couronne à produire des documents, toute obligation pour ces derniers de s'y conformer n'est qu'une présomption et non une responsabilité pré- cise prévue dans le texte même de la Loi. Deuxiè-
meurent, le mandamus et l'injonction étant de nature discrétionnaire, il peut être tout à fait inopportun d'accorder l'une ou l'autre de ces demandes avant que le requérant n'ait d'abord épuisé tous les autres recours à sa disposition (voir l'arrêt Harelkin de la Cour suprême du Canada). En bref, il semble fort clair que pour que la Cour soit en position de résoudre ce litige, il faut emprunter la voie du jugement déclaratoire. Celui-ci ne s'obtient qu'en Division de première instance de la Cour fédérale du Canada dans le cadre d'une action. Le juge Mahoney dit dans l'affaire Wilson la page 3 de ses motifs]:
... deux partis s'offrent au juge saisi d'une requête en jugement déclaratoire: il peut soit rejeter la demande pour des motifs d'ordre procédural tout en réservant au requérant le droit d'intenter son action dans un délai qu'il fixe, soit, avec le consentement des parties et non simplement en l'absence d'ob- jection, ordonner que l'on considère que l'instance a été réguliè- rement introduite, à condition que les parties versent au dossier un exposé conjoint de tous les faits sur lesquels les questions en litige devront être tranchées.
Plutôt que de mettre fin à l'instance, j'ai donc convoqué les avocats de toutes les parties, au mois de juillet. Il a résulté de cette rencontre qu'ils ont convenu de transformer la requête initiale en une action entre les parties, de produire les actes de procédure nécessaires, de renoncer aux interroga- toires préalables et de considérer la requête que j'avais déjà instruite comme une demande de juge- ment dans une action au fond.
Par déclaration, produite le 2 août 1985, le demandeur sollicite un mandamus ou, subsidiaire- ment, un jugement déclaratoire disant que libre accès aux informations que contiennent les docu ments suivants lui est accordé:
[TRADUCTION] (i) Les analyses et/ou rapports d'évaluation concernant l'acquisition de Petrofina Canada Inc. préparés pour les défendeurs, ou reçus par eux, ou dont ils ont tenu compte dans l'exercice de leurs responsabilités légales respecti- ves, individuelles ou collectives;
(ii) Les documents, propositions ou mémoires concernant l'em- ploi de fonds à même les comptes du Canada (notamment le Compte d'accroissement du taux de propriété canadienne) pour l'acquisition de Petrofina Canada Inc., qui ont été rédigés pour les défendeurs, ou reçus par eux, ou dont ils ont tenu compte dans l'exercice de leurs responsabilités légales respectives, col lectives ou individuelles, concernant l'acquisition de Petrofina Canada Inc.;
(iii) Toutes les évaluations de l'acquisition de Petrofina Canada Inc. et/ou des actifs acquis, faites ultérieurement à l'acquisition par les défendeurs, rédigés pour eux, ou reçus par eux, ou dont ils ont tenu compte dans l'exercice de leurs responsabilités légales respectives, individuelles ou collectives;
(iv) Afin de fournir au demandeur l'information, les rapports et les explications que comportent les documents énoncés en (i),
concernant les paiements de fonds publics prélevés sur les comptes du Canada, plus particulièrement les paiements préle- vés sur le Compte d'accroissement du taux de propriété cana- dienne, crédit 5c, Loi 4 de 1980-81 portant affectation de crédits pour acquérir les actions et la propriété de Petrofina Canada Inc., que le demandeur estime nécessaire à l'exercice de sa fonction en vertu de la Loi sur le vérificateur général.
Les défendeurs soutiennent que l'action devrait être rejetée pour quatre raisons. Premièrement, l'information que veut obtenir le vérificateur géné- ral ne concerne pas sa vérification du Compte d'accroissement du taux de propriété canadienne. Deuxièmement, le vérificateur général ne peut pas alléguer que l'information qu'il demande est néces- saire à l'exercice de ses fonctions puisque en 1981, 1982 et 1983, dans son rapport à la Chambre des communes, il a indiqué qu'on lui avait fourni toutes les informations et explications requises pour remplir ses fonctions de vérificateur. Troisiè- mement, la divulgation de l'information demandée violerait la convention constitutionnelle qui inter- dit de divulguer les renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada. De plus, les documents confidentiels en cause concer- nent le ministère de l'ancien Premier ministre Tru- deau et sont donc protégés par la convention cons- titutionnelle concernant les documents des anciens ministères. Quatrièmement, c'est la Chambre des communes, et non les tribunaux, qui devrait être saisie d'une demande du vérificateur général visant l'accès aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine.
Le greffier du Conseil privé s'est également opposé à la divulgation à la Cour des informations que requiert le demandeur, attestant par écrit que cette information constitue un renseignement con- fidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada relatif à l'époque du ministère du Premier ministre Trudeau. L'attestation est produite con- formément à l'article 36.3, de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 36.3, ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4, et aussi en vertu de l'immunité de common law concernant la communication d'informations con- fidentielles de la Couronne.
LE DROIT:
On reconnaît que le demandeur doit vérifier les comptes du Canada, y compris le Compte d'ac- croissement du taux de propriété canadienne, dans lequel ont été puisés les fonds publics investis dans Petro -Canada. Les responsabilités du vérificateur général à l'égard des comptes du Canada sont énoncées aux articles 5, 6 et 7 de la Loi sur le vérificateur général et au paragraphe 5(4) et à l'article 55 de la Loi sur l'administration finan- cière, S.R.C. 1970, chap. F-10.
Loi sur le vérificateur général
5. Le vérificateur général est le vérificateur des comptes du Canada, y compris ceux qui ont trait au Fonds du revenu consolidé et, à ce titre, il effectue les examens et enquêtes qu'il juge nécessaires pour lui permettre de faire rapport comme l'exige la présente loi.
6. Le vérificateur général examine les différents états finan ciers qui doivent figurer dans les comptes publics en vertu de l'article 55 de la Loi sur l'administration financière et tous autres états que lui soumet [< span> président du conseil du Trésor ou» ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 170, art. 25, sanc- tionné le 30 novembre 1983] le ministre des Finances pour vérification; il indique si les états sont présentés fidèlement et conformément aux conventions comptables énoncées pour l'ad- ministration fédérale et selon une méthode compatible avec celle de l'année précédente; il fait éventuellement des réserves.
7. (1) Le vérificateur général prépare à l'intention de la Chambre des communes un rapport annuel dans lequel
a) il fournit des renseignements sur les activités de son bureau; et
b) il indique s'il a reçu dans l'exercice de ces activités, tous les renseignements et éclaircissements réclamés.
(2) Dans le rapport mentionné au paragraphe (1), le vérifica- teur général signale tout sujet qui, à son avis, est important et doit être porté à l'attention de la Chambre des communes, notamment les cas il a constaté que
a) les comptes n'ont pas été tenus d'une manière fidèle et régulière ou des deniers publics n'ont pas fait l'objet d'un compte rendu complet ou n'ont plus été versés, lorsque cela est légalement requis au Fonds du revenu consolidé;
b) les registres essentiels n'ont pas été tenus ou les règles et procédures utilisées ont été insuffisantes pour sauvegarder et contrôler les biens publics, assurer un contrôle efficace des cotisations, du recouvrement et de la répartition régulière du revenu et assurer que les dépenses effectuées ont été autorisées;
c) des sommes d'argent ont été dépensées à d'autres fins que celles auxquelles le Parlement les avait affectées;
d) des sommes d'argent ont été dépensées sans égard à l'économie ou à l'efficience; ou
e) des procédures satisfaisantes n'ont pas été établies pour mesurer et faire rapport sur l'efficacité des programmes dans les cas elles peuvent convenablement et raisonnablement être mises en œuvre.
(3) Le rapport annuel du vérificateur général à la Chambre des communes est soumis à l'Orateur de la Chambre des communes au plus tard le 31 décembre de l'année à laquelle il se rapporte, ce dernier doit le déposer devant la Chambre des communes immédiatement ou, si la Chambre ne siège pas, le premier jour de séance suivante.
Pour faciliter la tâche du vérificateur général, le Parlement a adopté les articles 13 et 14 de la Loi:
13. (1) Sous réserve des dispositions d'une autre loi du Parlement qui se réfèrent expressément au présent paragraphe, le vérificateur général a le droit, à tout moment convenable, de prendre connaissance librement de tout renseignement se rap- portant à l'exercice de ses fonctions; à cette fin, il peut exiger que les fonctionnaires fédéraux lui fournissent tous renseigne- ments, rapports et explications dont il a besoin.
(2) Le vérificateur général peut, pour remplir plus efficace- ment ses fonctions, détacher des employés de son bureau auprès de tout ministère. Celui-ci doit leur fournir les locaux et l'équipement nécessaires.
(3) Le vérificateur général doit exiger de tout employé de son bureau chargé, en vertu de la présente loi, d'examiner les comptes d'un ministère ou d'une corporation de la Couronne, qu'il observe les normes de sécurité applicables aux employés du ministère ou de la corporation et qu'il prête le serment de respecter le secret professionnel, auquel ceux-ci sont astreints.
(4) Le vérificateur général peut interroger sous serment, toute personne au sujet d'un compte soumis à sa vérification; à cette fin, il peut exercer les pouvoirs conférés aux commissaires par la Partie I de la Loi sur les enquêtes.
14. (1) Par dérogation aux paragraphes (2) et (3), le vérifica- teur général, dans l'exercice de ses fonctions de vérificateur des comptes du Canada, peut se fier au rapport du vérificateur, régulièrement nommé, d'une corporation de la Couronne ou d'une de ses filiales.
(2) Le vérificateur général peut demander à toute corpora tion de la Couronne d'obtenir de ses administrateurs, diri- geants, employés, mandataires et vérificateurs anciens ou actuels ou de ceux de ses filiales, les renseignements et éclair- cissements dont il estime avoir besoin dans l'exercice de ses fonctions de vérificateur des comptes du Canada et de les lui fournir.
(3) Le vérificateur général, au cas il estime qu'une corporation de la Couronne n'a pas donné des renseignements et éclaircissements satisfaisants à la suite d'une demande visée au paragraphe (2), peut en faire part au gouverneur en conseil; celui-ci peut alors ordonner aux dirigeants de cette corporation de fournir les renseignements et éclaircissements réclamés par le vérificateur général et de lui permettre de consulter les registres, documents, livres, comptes et pièces justificatives de la corporation et de ses filiales, dont il estime avoir besoin dans l'exercice de ses fonctions de vérificateur des comptes du Canada.
Loi sur l'administration financière 5....
(4) Le conseil du Trésor peut prescrire, à l'occasion, la manière dont les comptes du Canada et les comptes des divers ministères doivent être tenus, et en indiquer la forme. Il peut aussi enjoindre à toute personne qui reçoit, administre ou débourse des deniers publics de tenir les livres, registres ou comptes que le conseil estime nécessaires.
55. (1) Un rapport appelé «Comptes publics» doit être pré- paré par le receveur général pour chaque année financière et doit être déposé devant la Chambre des communes par le Ministre après la fin de cette année et au plus tard le 31 décembre suivant ou, si le Parlement n'est pas alors en session, l'un des quinze premiers jours il siège par la suite.
(2) Les comptes publics doivent revêtir la forme que prescrit le Ministre et renfermer
a) un rapport sur les opérations financières de l'année ci-des- sous mentionnée;
b) un état, certifié par l'auditeur général du Canada, des dépenses et revenus du Canada pour l'année financière;
c) un état, certifié par l'auditeur général, des éléments d'actif et de passif du Canada que le Ministre juge nécessaires pour indiquer la situation financière du Canada à la fin de ladite année;
d) le passif éventuel du Canada; et
e) les autres comptes et renseignements qui sont indispensa bles pour indiquer, à l'égard de l'année susdite, les opérations et la situation financière du Canada, ou dont une loi exige la présence dans les comptes publics.
L'article 55 a été abrogé et remplacé par S.C. 1980-81-82-83, chap. 170, art. 16:
16. L'article 55 de ladite loi est abrogé et remplacé par ce qui suit:
«55. (1) Un rapport appelé «Comptes publics» doit être préparé par le receveur général pour chaque année financière et doit être déposé devant la Chambre des communes par le président du conseil du Trésor après la fin de cette année et au plus tard le 31 décembre suivant ou, si la Chambre des communes ne siège pas, l'un des quinze premiers jours la Chambre des communes siège par la suite.
(2) Les comptes publics doivent revêtir la forme que prescri- vent le président du conseil du Trésor et le Ministre et contenir
a) un état des
(i) opérations financières de l'année financière,
(ii) dépenses et revenus du Canada pour l'année financière, et
(iii) éléments d'actif et de passif que le président du conseil du Trésor et le Ministre jugent nécessaires pour indiquer la situation financière du Canada à la fin de l'année financière;
b) le passif éventuel du Canada;
c) l'avis du vérificateur général du Canada sur les états qu'il examine en application de l'article 6 de la Loi sur le vérifica- teur général; et
d) en ce qui a trait à l'année financière, les autres comptes et renseignements que le président du conseil du Trésor et le Ministre jugent indispensables pour présenter fidèlement les opérations et la situation financière du Canada ou dont une loi exige la présence dans les comptes publics.
En plus de décider si les articles 13 et 14 autori- sent le demandeur à prendre connaissance des documents en question, je dois déterminer quel effet, si effet il y a, une attestation produite en vertu de l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada a sur les redressements sollicités en l'instance:
36.3 (1) Le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont, dans les cas un ministre de la Couronne ou le greffier du Conseil privé s'opposent à la divulgation d'un renseignement, tenus d'en refuser la divulgation, sans l'examiner ni tenir d'audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseignement constitue un renseignement confi- dentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
(2) Pour l'application du paragraphe (1), «un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada» s'entend notamment d'un renseignement contenu dans:
a) une note destinée à soumettre des propositions ou recom- mandations au Conseil;
b) un document de travail destiné à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l'examen du Conseil;
c) un ordre du jour du Conseil ou un procès-verbal de ses délibérations ou décisions;
d) un document employé en vue ou faisant état de communi cations ou de discussions entre ministres de la Couronne sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique;
e) un document d'information à l'usage des ministres de la Couronne sur des questions portées ou qu'il est prévu de porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l'objet des communications ou discussions visées à l'alinéa d);
J) un avant-projet de loi.
(3) Pour l'application du paragraphe (2), «Conseil» s'entend du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de leurs comités respectifs.
(4) Le paragraphe (1) ne s'applique pas:
a) à un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada dont l'existence remonte à plus de vingt ans;
b) à un document de travail visé à l'alinéa (2)b), dans les cas les décisions auxquelles il se rapporte ont été rendues publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans auparavant.
LA CONVENTION CONSTITUTIONNELLE SUR LE SECRET DU CABINET:
C'est sans difficulté que je constate qu'il existe au Canada une convention en vertu de laquelle les délibérations privées des ministres de la Couronne au Conseil de Sa Majesté demeurent confidentiel- les. La Cour suprême du Canada a défini les conventions constitutionnelles dans le Renvoi: Résolution pour modifier la Constitution, [19811 1 R.C.S. 753, la page 883:
Avec égards, nous adoptons la définition de convention donnée par le savant juge en chef du Manitoba, le juge Freedman, dans le renvoi du Manitoba, précité, aux pp. 13 et 14:
[TRADUCTION] Qu'est-ce qu'une convention constitution- nelle? On trouve d'assez nombreux écrits sur le sujet. Bien qu'il puisse y avoir des nuances entre les constitutionnalistes, les experts en sciences politiques et les juges qui y ont contribué, on peut énoncer comme suit avec un certain degré d'assurance les caractéristiques essentielles d'une convention. Ainsi il existe un consensus général qu'une convention se situe quelque part entre un usage ou une coutume d'une part et une loi constitutionnelle de l'autre. Il y a un consensus général que si l'on cherchait à fixer cette position avec plus de précision, on placerait la convention plus près de la loi que de l'usage ou de la coutume. Il existe également un consensus général qu'aune convention est une règle que ceux à qui elle s'applique considèrent comme obligatoire.. Hogg, Constitu tional Law of Canada (1977), p. 9. Selon la prépondérance des autorités sinon le consensus général, la sanction de la violation d'une convention est politique et non juridique.
Il faut garder à l'esprit toutefois que bien qu'il ne s'agisse pas de lois, certaines conventions peuvent être plus importantes que certaines lois. Leur importance dépend de la valeur ou du principe qu'elles sont censées protéger. En outre, elles forment une partie intégrante de la Constitution et du régime constitu- tionnel. Elles relèvent du sens du mot «Constitution. dans le préambule de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867:
Considérant que les provinces du Canada, de la Nouvelle- Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale ... avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni:
La nature de cette convention est exposée aux paragraphes 65 et 68 du mémoire des défendeurs, l'on se réfère à plusieurs publications; on y explique que le respect du secret des délibérations du Cabinet est dans l'intérêt public [voir Dawson, R.M., The Government of Canada (University of
Toronto Press, 5e éd. 1970), la page 185, et Mallory, J.R., The Structure of Canadian Government (MacMillan, Toronto, 1971) aux pages 90 et 911 Ces deux auteurs soulignent que le secret doit être maintenu afin que les membres du Cabinet puissent librement débattre de tout
sujet dont ils sont saisis. Les avocats ont aussi mentionné certaines décisions dans d'autres juri- dictions dotées d'un système parlementaire l'on a reconnu la convention constitutionnelle proté- geant les secrets du Cabinet. Dans l'affaire Burmah Oil Co Ltd v Bank of England (Attorney General intervening), [1979] 3 All E.R. 700 (H.L.) à la page 707, lord Wilberforce dit:
[TRADUCTION] Un de ces motifs est la nécessité d'une commu nication franche entre les personnes chargées d'établir des politiques. Il est actuellement de bon ton de dénigrer un tel principe, mais s'il est vrai que l'on a peut-être exagéré son importance à une époque, j'estime qu'il reçoit maintenant une trop forte dose d'indifférence. Contrairement au Ministre, je ne suis pas du tout disposé à minimiser, lorsqu'il s'agit de la formulation d'une politique aussi controversée que celle qui nous occupe, la nécessité d'une communication franche et complète de conseils et de renseignements, de la Banque au gouvernement ainsi qu'entre les fonctionnaires et les ministres
Un autre motif est la protection contre l'examen par des critiques éventuels, du processus interne d'élaboration par le gouvernement d'importantes mesures gouvernementales. Je ne crois pas que le scepticisme ait touché ce principe ni qu'il incombe aux tribunaux de se faire les défenseurs d'un gouver- nement ouvert. Si, comme je le crois, cela constitue un motif qui justifie la protection, il doit continuer à s'appliquer au-delà de la durée de l'événement considéré. Concrètement, le fait de révéler les renseignements qui ont alors été demandés et obte- nus ainsi que le mécanisme permettant de les demander et de les examiner, pourrait compliquer la tâche du gouvernement aujourd'hui.
J'admets sans hésitation que ces deux énoncés reflètent fidèlement le droit applicable au Canada en ce qui concerne les conventions constitutionnel- les. (Voir aussi Attorney -General v. Jonathan Cape Ltd., [1976] Q.B. 752; Conway v. Rimmer, [1968] 1 All E.R. 874 (H.L.)).
En outre, il existe trois manifestations législati- ves de cette reconnaissance officielle en plus d'une quatrième manifestation dans le Règlement de la Chambre des communes. Les députés à la Cham- bre des communes peuvent inscrire des questions au feuilleton et demander la production de docu ments au gouvernement. Tous les jours, on répond au nom du Cabinet que certaines questions écrites, ou certaines parties d'entre elles, ne recevront pas de réponse parce que ce serait violer la convention du secret du Cabinet. On refuse fréquemment pour la même raison de produire des documents. Dans le cas de la motion portant production de docu ments, le député qui en a été chargé, s'il n'est pas satisfait de la réponse, peut l'envoyer en débat, et le Règlement prévoit expressément qu'à la pro-
chaine heure réservée aux initiatives parlementai- res, assignée à cette fin, l'affaire doit être mise aux voix. Il est donc manifeste que la convention est reconnue par le Règlement de la Chambre qui en traite spécialement, offrant ainsi aux députés la possibilité de l'éprouver.
La convention a aussi été reconnue par trois lois. L'article 69 de la Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe I, porte:
69. (1) La présente loi ne s'applique pas aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada, notamment aux:
a) notes destinées à soumettre des propositions ou recom- mandations au Conseil;
b) documents de travail destinés à présenter des problèmes, des analyses ou des options politiques à l'examen du Conseil;
c) ordres du jour du Conseil ou procès-verbaux de ses délibérations ou décisions;
d) documents employés en vue ou faisant état de communica tions ou de discussions entre ministres de la Couronne sur des questions liées à la prise des décisions du gouvernement ou à la formulation de sa politique;
e) documents d'information à l'usage des ministres de la Couronne sur des questions portées ou qu'il est prévu de porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l'objet des communications ou discussions visées à l'alinéa d); J) avant-projets de loi;
g) documents contenant des renseignements relatifs à la teneur des documents visés aux alinéas a) à J).
(2) Pour l'application du paragraphe (I), «Conseil» s'entend du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de leurs comités respectifs.
(3) Le paragraphe (1) ne s'applique pas:
a) aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada dont l'existence remonte à plus de vingt ans;
b) aux documents de travail visés à l'alinéa (I)b), dans les cas les décisions auxquelles ils se rapportent ont été rendues publiques ou, à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans auparavant.
L'article 70 de la Loi sur la protection des rensei- gnements personnels, S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe II, comporte une disposition similaire que, pour les fins de la présente décision, je n'ai pas à énoncer. En adoptant la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des ren-
seignements personnels, le législateur fédéral a apporté des modifications corrélatives à la Loi sur la preuve au Canada. Enfin, il y a l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada auquel je viens juste de faire référence.
Il me semble que deux conséquences ressortent de tout ceci. La première est que l'existence de la convention n'est plus mise en doute, surtout depuis qu'elle a été reconnue et par le Règlement de la Chambre et par des lois. La seconde qui, pour les fins de l'espèce, est plus importante, me semble être que l'absence d'une disposition restrictive similaire dans la Loi sur le vérificateur général ne peut guère être attribuée à un simple oubli. Le Parlement est réputé connaître le droit et, même sans de telles manifestations de cette reconnais sance dans les lois, ce serait un argument fort persuasif de dire que l'absence de restriction doit signifier que le Parlement a eu l'intention de l'écarter. Puisque le Parlement l'a déjà fait, c'est-à-dire a déjà formulé spécifiquement une telle restriction dans trois autres lois, comme je l'ai indiqué plus haut, j'estime que la chose ne fait plus de doute. Le législateur fédéral a voulu que ceux qui exercent un recours en vertu de la législation sur l'accès à l'information ou la protection des renseignements personnels n'aient pas accès aux documents confidentiels du Cabinet. Il n'a pas voulu que le vérificateur général soit assujetti à la même restriction.
ÉVOLUTION DES FONCTIONS DU VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL:
L'évolution législative de la Loi sur le vérifica- teur général de 1855 à nos jours témoigne d'une augmentation des pouvoirs et des responsabilités du vérificateur général. L'article 103 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)], reconnaissait la nécessité d'une vérifi- cation des comptes publics par un organisme indé- pendant, comme le faisait d'ailleurs une loi anté- rieure à la Confédération, l'Acte pour assurer l'audition plus efficace des comptes publics, S.C. 1855, chap. 78. Cette mesure législative instituait un bureau d'audition, composé d'un auditeur et de deux autres membres. L'auditeur devait procéder à la vérification de tous les établissements et institu-
tions financés à l'aide des deniers publics; il était tenu d'examiner, de contrôler et de vérifier les comptes et dépenses et l'émission des billets de banque et de tenir les comptes publics. Pour assu- rer son indépendance, l'auditeur ne pouvait être élu membre de l'une ou de l'autre Chambre.
En 1878, le gouverneur général nommait offi- ciellement un auditeur général du Canada en vertu de l'article 11 de l'Acte pour pourvoir à la meil- leure audition des comptes publics, S.C. 1878, chap. 7, qui étendait l'obligation de rendre compte de l'auditeur général et ses pouvoirs en matière de vérification. Cet Acte prévoyait également que tout officier recevant des deniers publics devait en rendre compte à l'auditeur général qui devait s'as- surer que tous les paiements étaient autorisés, que les deniers avaient été dépensés régulièrement et qu'ils étaient appuyés de pièces justificatives ou de preuves de paiement. L'auditeur général devait examiner les comptes de toutes les recettes des revenus formant le Fonds du revenu consolidé du Canada (FRCC) «et tous autres comptes publics qui, quoique ne se rattachant pas directement aux recettes ou dépenses du Canada, lui seront pres- crits par le Bureau de la Trésorerie» [article 48].
Aux termes de l'Acte de 1878, l'auditeur général devait aussi soumettre au ministre des Finances, à l'intention du Parlement, un état des opinions des jurisconsultes, des rapports du conseil, des man- dats spéciaux et des chèques émis sans son autori- sation. L'auditeur général devait certifier les comptes soumis par le Ministre et faire rapport à ce sujet, relativement aux lois du Parlement sous l'autorité desquelles ces déboursés pouvaient être faits sur le FRCC. Le ministre des Finances et le receveur général devaient soumettre annuellement au Parlement les comptes publics, lesquels étaient contresignés par l'auditeur général. Si le ministre des Finances ne présentait pas à la Chambre des communes, dans le temps prescrit, le rapport fait par l'auditeur général sur quelque compte que ce soit, ce dernier devait présenter ce rapport immédiatement.
En 1886, le Parlement adoptait l'Acte du revenu consolidé et de l'audition, S.R.C. 1886, chap. 29. En vertu de cette loi, l'auditeur général devait faire la vérification de chaque compte de crédit de la Fonction publique. Le ministre des Finances et le receveur général devaient transmettre les comp- tes de crédit à l'auditeur général aux fins d'examen avant le 31 octobre et, lorsque l'auditeur général
estimait nécessaire de rendre compte au gouver- neur en conseil, il devait le faire par l'intermé- diaire du ministre des Finances et du receveur général.
Les fonctions de vérification du vérificateur général et son obligation de rendre compte ont été modifiées de nouveau en 1888 par l'Acte modifiant «l'Acte du revenu consolidé et de l'audition», S.C. 1888, chap. 7. En vertu de cette Loi, l'auditeur général devait faire rapport au conseil du Trésor, par l'entremise du ministre des Finances et du receveur général, de tous les cas un sous-comp- table avait employé des deniers à des fins dépas- sant sa compétence. L'auditeur général était tenu de signaler chaque cas un paiement n'avait pas été porté correctement au débit d'un octroi ou était, sous un rapport quelconque, entaché d'irré- gularité. L'Acte prévoyait également qu'avant d'être signé par l'auditeur général, chaque compte de crédit devait être examiné, sous la direction de ce dernier, par un fonctionnaire ou un commis de son bureau. Le ministre des Finances et le receveur général devaient transmettre un compte à l'audi- teur général au plus tard le 30 septembre de chaque année, indiquant les déboursés faits sur le Fonds du revenu consolidé jusqu'au 30 juin, et ce compte devait être soumis à la Chambre des com munes au plus tard le 31 janvier de l'année sui- vante, si le Parlement était alors en session, ou si ce n'était pas le cas, au plus tard une semaine après la reprise de ses travaux. L'obligation qui avait été faite à l'auditeur général de contresigner les comptes publics soumis au Parlement a été révoquée.
En 1906, la Loi du revenu consolidé et de l'audition, S.R.C. 1906, chap. 24 apportait d'au- tres modifications aux fonctions de l'auditeur général, et en 1931, la Loi du revenu consolidé et de la vérification, 1931, S.C. 1930 (2 e Sess.)- 1931, chap. 27 étendait les pouvoirs de vérification de l'auditeur général aux comptes et registres con- cernant les réserves d'or, les garanties, le matériel, les fournitures et les approvisionnements ou matiè- res appartenant à Sa Majesté, et à tout autre compte dont le conseil du Trésor ordonnait la vérification. En vertu de cette Loi, l'auditeur géné- ral pouvait poster des fonctionnaires dans un ministère ou une division de la Fonction publique, et le ministère devait fournir à ces fonctionnaires
les locaux et le matériel nécessaires à leurs tra- vaux. L'auditeur général était tenu d'examiner les comptes des divers ministères et les comptes du Canada, dressés en la forme qu'il désirait, par les personnes désignées par le ministre des Finances. Les comptes visés par la Loi comprenaient notam- ment les comptes de toutes recettes et dépenses concernant le Fonds du revenu consolidé et tout autre compte dont le conseil du Trésor ordonnait l'examen et la vérification. Les comptes étaient soumis en la forme exigée par l'auditeur général. Tous les comptes devaient être examinés par l'au- diteur général, qui devait certifier à la Chambre des communes qu'ils avaient été vérifiés sous sa direction et qu'ils étaient exacts. L'étendue de l'obligation de rendre compte imposée à l'auditeur général a été définie davantage par la Loi de 1931, qui prévoyait que ce dernier devait rapporter chaque année à la Chambre des communes le résultat de son examen et de sa vérification des comptes du Canada de manière à indiquer la situation véritable de chaque compte. En faisant rapport à la Chambre des communes, l'auditeur général devait signaler chaque cas une alloca tion avait été dépassée, et chaque cas une objection de l'auditeur général avait été rejetée par le gouverneur en conseil ou le conseil du Trésor.
Les pouvoirs de vérification de l'auditeur géné- ral ont de nouveau été élargis en 1951 par la Loi sur l'administration financière, S.C. 1951 (2e Sess.), chap. 12, et la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1952, chap. 116.
En 1967, la Loi modifiant la Loi sur l'adminis- tration financière, S.C. 1966-67, chap. 74, a enlevé au ministre des Finances le pouvoir d'ordonner à l'auditeur général de faire enquête et rapport sur toute question relative aux affaires financières du Canada ou sur les questions d'aide financière, ce pouvoir n'étant maintenu qu'au profit du gouver- neur en conseil et du conseil du Trésor. L'obliga- tion pour l'auditeur général de signaler immédiate- ment tout cas il apparaissait qu'une personne avait irrégulièrement retenu des deniers publics faisait aussi l'objet d'une disposition de la Loi, laquelle prévoyait que l'auditeur général devait en signaler les circonstances au président du conseil du Trésor, plutôt qu'au ministre des Finances.
Les articles 5, 6 et 7 de l'actuelle Loi sur le vérificateur général qui a été sanctionnée le 14 juillet 1977 accordent au vérificateur général des fonctions encore plus étendues. En vertu du para- graphe 7(1), le vérificateur général doit préparer à l'intention de la Chambre des communes un rap port annuel sur les activités de son bureau. Dans ce rapport, il signale tout sujet qui, à son avis, est important et doit être porté à l'attention de la Chambre des communes. Les alinéas a) à e) du paragraphe 7(2) précisent les cas qui doivent être inclus dans le rapport, l'ajout le plus important étant «les cas il a constaté que des sommes d'argent ont été dépensées sans égard à l'économie ou à l'efficience». C'est ainsi que la Loi exprime le concept d'une vérification «rendement - coût» dans le secteur public. Ce concept a été élaboré pour la première fois par James McDonell, le prédécesseur du demandeur en l'espèce et c'est grâce à lui que le Canada a donné un exemple suivi de plus en plus largement dans le monde entier. Le but visé est d'établir une norme permettant de mesurer la pro- ductivité et l'efficience dans la Fonction publique ce qui n'avait été jugé envisageable auparavant que dans le secteur privé. L'historique de cette législation est tout à fait compatible avec le point de vue que le vérificateur général a été nommé avant tout à titre de fonctionnaire professionnel, et en particulier pour aider les députés à remplir leur obligation la plus importante qui est de faire en sorte que le gouvernement rende compte de tous les deniers publics dépensés.
Le principe fondamental qui a mené à la forma tion du premier Parlement est qu'aucun denier ne pouvait être obtenu du peuple sans qu'il se soit prononcé. Ce principe a aussi été exprimé de la manière suivante: à moins qu'une attention parti- culière n'ait été donnée aux griefs des représen- tants dûment élus, aucune somme d'argent ne peut être avancée à Sa Majesté. Ce principe s'applique manifestement à l'obtention de deniers publics. Il est tout aussi important pour notre système parle- mentaire que la dépense de deniers publics fasse l'objet d'une surveillance constante et étroite du Parlement. La complexité du processus fait cepen- dant que cette surveillance par les simples députés est un non-sens si ceux-ci n'ont pas l'appui de comptables et de vérificateurs professionnels, d'où le concept de vérificateur général. Cela a égale- ment eu pour effet d'étendre la portée de ce con-
cept au cours des années et d'augmenter considéra- blement les pouvoirs du vérificateur général, ses effectifs et les moyens financiers nécessaires à l'exercice de sa tâche qui, crois-je comprendre, dépassent 40 000 000 $ par année. Il n'est donc pas surprenant de voir que les pouvoirs étendus confé- rés par l'article 13 de la présente Loi sur le vérificateur général ont été soigneusement étudiés lors des débats sur ce projet de loi.
Il a souvent été dit qu'il est très dangereux de tenter de lire entre les lignes d'une loi et de recourir aux débats ou aux votes pour interpréter la loi en question. Les raisons en sont évidentes. Un député qui vote en faveur d'une loi donnée peut le faire pour un certain nombre de motifs qui n'ont absolument rien à voir avec ceux du membre du Cabinet qui a parrainé la loi. Qui plus est, les commentaires d'un député au cours d'un débat sont loin d'être universels et enfin, il faut laisser les termes utilisés dans la loi parler pour eux-mêmes; il serait en fait tout à fait incorrect de chercher dans les débats enregistrés une interprétation qui n'est pas justifiée par les termes choisis par le législateur dans la loi. En l'espèce, cependant, les débats enregistrés sont utiles non pas pour aider à comprendre le sens des termes utilisés aux articles 13 et 5, mais pour les fins d'une question connexe. Un des arguments avancés par l'avocat des défen- deurs porte que le Parlement n'a pas, dans la loi sur le vérificateur général, mentionné de façon précise le secret du Cabinet; il faut donc présumer qu'il n'avait pas l'intention de le faire et qu'il n'entendait pas modifier le caractère sacré de la convention sur le secret du Cabinet. Cela me semble être l'argument classique à double tran- chant. Manifestement, de par ses termes mêmes, la proposition est difficile à prouver: le fait d'omettre la mention expresse dans une loi d'un traitement plus favorable de la convention sur le secret du Cabinet pourrait être maintenant une indication de l'intention du législateur de le maintenir. On peut présumer toutefois qu'il y a des cas ce genre d'omission démontre cette intention. Peut-on croire qu'il en est ainsi dans le cas d'espèce, alors que le règlement de la Chambre démontre qu'on se heurte quotidiennement au secret du Cabinet à la Chambre des communes et alors que le Parlement, dans trois cas manifestes, a pris la peine de consa- crer et de protéger le secret du Cabinet dans des lois? Quelle justification pourrais-je trouver pour
dire que le législateur, en ne prévoyant pas expres- sément la même protection, n'agissait pas inten- tionnellement? Certainement, la seule conclusion raisonnable doit être que si le législateur a omis toute restriction fondée sur le secret, c'est que telle était son intention. Enfin, l'argument que le légis- lateur n'a pas pensé à la nécessité de conférer un accès illimité à l'information au vérificateur géné- ral, est réfuté par certains extraits des débats. J'aurais été étonné si cette question n'avait pas fait l'objet d'une étude soigneuse pendant les débats et j'estime approprié de me référer au compte rendu officiel des débats de la Chambre pour confirmer que ce fut le cas:
[TRADUCTION] M. Andras:
Sur l'«Accès à l'information», à la clause 12 du Projet de loi C-20, M. Mazankowski a fait remarquer que le texte du paragraphe 12(1) du projet était fort restrictif, aussi a-t-il proposé que le texte de la loi actuelle, le paragraphe 57(1) de la Loi sur l'administration financière, soit retenu. Le ministère de la Justice nous avise qu'en vertu de l'ancien texte, c.-à-d. de l'article 57 précité, il serait possible, par l'adoption d'un projet de loi ultérieurement à l'adoption de celui dont nous sommes saisis, le Projet de loi C-20, d'interdire au Vérificateur général l'accès à des informations en ajoutant la réserve: «nonobstant toute autre loi», etc. Avec le texte révisé de la clause 12(1) que nous proposons, les dispositions de cette loi portant sur l'accès à l'information prévaudront sur toutes les lois subséquentes à moins que le Parlement ne consente expressément je répète, expressément—à ce que ces dispositions soient écartées dans un cas particulier. Nous sommes donc d'avis que le texte, tel qu'il est, est plus fort en réalité.
Dans le cas d'espèce, je pense qu'un jugement déclaratoire s'impose, aussi n'accorderais-je pas d'ordonnance de faire. J'invite les avocats à se faire entendre sur la forme précise que devrait prendre le dispositif du jugement, lequel fera loi lorsque j'y aurai apposé ma signature. Selon mon habitude, il se peut que je réexamine mes notes avant qu'elles ne soient formellement déposées à titre de motifs du jugement, mais uniquement à des fins de corrections de la grammaire et de la ponctuation. Cependant, avant d'entendre les avo- cats, je désire commenter brièvement plusieurs autres points qui ont été soulevés au cours du débat.
Puisque je rends un jugement déclaratoire plutôt qu'une ordonnance portant production de docu ments, l'attestation visée à l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada, qui aurait constitué un obstacle absolu à toute ordonnance de ma part visant la production de documents, n'a pas de portée directe en l'espèce. Deuxièmement, puisque
j'ai conclu que selon l'intention et l'expression du législateur, seul le vérificateur général est juge des examens nécessaires à l'exercice de ses responsabi- lités, la proposition en vertu de laquelle il n'a pas à voir les documents en cause doit être rejetée égale- ment. On a fait valoir que puisque le secret en l'espèce est une obligation imposée aux membres du Conseil privé dans l'exercice de leurs responsa- bilités à l'égard de Sa Majesté, point de vue auquel je souscris, seule Sa Majesté peut renoncer à cette obligation. Il ne s'agit toutefois pas d'une renon- ciation, mais d'une conséquence qui s'impose par l'action d'une loi dûment adoptée par le Parlement et sanctionnée par Sa Majesté sur l'avis des mem- bres de son Conseil privé. On pourra soutenir que le présent jugement place le vérificateur général dans une situation supérieure à celle des tribunaux, puisque l'on pourrait m'empêcher d'avoir accès aux documents en question au moyen de l'attesta- tion visée à l'article 36.3. C'est possible. Il a en effet des pouvoirs beaucoup plus étendus que les députés, aucun d'entre eux ne pouvant ordonner une enquête, ni citer des témoins, ni jouir des droits d'examen exposés à l'article 13. Si telles sont les conséquences, qu'il en soit ainsi. Ces con- séquences découlent du libellé d'une mesure légis- lative dont l'intention me paraît claire et parfaite- ment compatible avec l'obligation fondamentale de tenir le gouvernement responsable des dépenses publiques. Permettez-moi d'ajouter que tout minis- tre de la Couronne fait l'objet du même examen rigoureux en ce qui concerne les dépenses dont il ou elle est responsable. Les ministres qui sont défendeurs en l'espèce sont doublement assujettis à un tel examen minutieux, car ils sont les fiduciai- res du Compte d'accroissement du taux de pro- priété canadienne, qui est un outil qui sert unique- ment à l'emploi de vastes quantités des deniers publics. Finalement, on a soutenu énergiquement que puisque le vérificateur général est un préposé du Parlement, qu'il fait rapport à ce dernier et qu'il dispose de tous les autres pouvoirs conférés par l'article 13, il devrait tout d'abord exercer tous ces pouvoirs avant de faire appel à la Cour, et qu'en tout état de cause, il devrait s'adresser au Parlement pour obtenir un redressement. Ces arguments seraient plus pertinents si l'on deman- dait en l'espèce à la Cour d'exercer sa discrétion en délivrant un bref de mandamus. Or nous sommes en présence d'une impasse entre deux principes, chacun d'eux faisant partie de notre droit, et le
demandeur demande à la Cour de mettre fin à l'impasse. Nous sommes tenus de le faire. En outre, la possibilité de résoudre totalement le pro- blème au sein de la Chambre des communes con- naît des limites d'ordre pratique. Le grief en cause est le refus de communiquer des documents qui sont entre les mains du Cabinet. Ce dernier pos- sède le pouvoir exécutif étant donné la majorité du gouvernement à la Chambre des communes. Je présume que l'issue finale d'un grief ferait suite à une motion portant production de documents, et, que ce soit au sein des comités permanents ou à la Chambre des communes, le vote qui en résulterait dépendrait à coup sûr de la même majorité.
Ces considérations me renvoient à ce que j'ai dit au tout début. La sagesse qu'il y a à accorder au vérificateur général ces responsabilités et ces pou- voirs ne me concerne pas. J'estime que cette con clusion est conforme à l'intérêt public et qu'elle est compatible avec la responsabilité fondamentale du Parlement d'examiner minutieusement les dépen- ses publiques et avec les responsabilités du vérifi- cateur général qui consistent non seulement à véri- fier les comptes mais également à indiquer au Parlement si ces dépenses ont été faites en confor- mité avec les principes d'économie et d'efficience. C'est pour ces motifs qu'on a utilisé un tel libellé dans les articles en question. Je ne vois aucune raison de conclure que le Parlement n'a pas voulu que ces termes produisent leurs conséquences nor- males. Quel que soit le caractère sacré de la confi- dentialité de leurs délibérations en leur qualité de conseillers de Sa Majesté lorsque l'exécutif pro- cède à la dépense de fonds publics, les membres du Cabinet savent fort bien que tout ce qu'ils font est assujetti à l'examen que le vérificateur général juge nécessaire pour exercer les fonctions qui lui sont conférées par la Loi.
Je conclus par conséquent que le demandeur a droit à un jugement déclaratoire portant que les articles 5 et 13 de la Loi sur le vérificateur général donnent au demandeur accès aux renseignements qu'il juge nécessaires pour procéder aux examens qu'il estime également nécessaires pour vérifier les comptes publics du Canada, les états financiers requis par l'article 55 de la Loi sur l'administra- tion financière et pour lui permettre de présenter son rapport au Parlement et de signaler les cas une somme d'argent a été dépensée sans égard à
l'économie ou à l'efficience. Compte tenu des faits de l'espèce, il a droit à un jugement déclarant que, au moment de sa demande initiale, il avait droit d'accès aux renseignements contenus dans les documents énoncés dans la déclaration, et que le refus était alors injustifié et qu'il continue par conséquent de l'être.
Je voudrais ajouter deux commentaires. D'abord, j'estime qu'il ressort très clairement du texte des présents motifs, et j'y ai fait plusieurs fois allusion, que le litige en l'espèce porte sur des dépenses de l'État. Comme je l'ai déjà dit, le crédit 5c, le Compte d'accroissement du taux de pro- priété canadienne, l'obligation pour les défendeurs en l'espèce d'agir à titre de gardiens dudit Compte créé par le vote 5c indiquent très clairement que nous devons arriver à une conclusion de fait pré- cise, qu'il s'agit de dépenses de l'État et que, de ce fait, les documents demandés dans la déclaration tombent sous le coup des fonctions de vérification du vérificateur général. Celles-ci incluent évidem- ment le rapport qu'il doit présenter au Parlement et la vérification rendement-coût, ce qui soulève la question de savoir si ces dépenses ont été effec- tuées «sans égard à l'économie ou à l'efficience».
Il en résulte deux conséquences. La première est que, étant donné qu'il s'agit de dépenses de l'État et que celles-ci tombent manifestement sous le coup des fonctions de vérification du vérificateur général, l'article 5 habilite ce dernier à effectuer «les examens et enquêtes qu'il juge nécessaires».
La deuxième est que les arguments fondés sur une situation de faits différente, c'est-à-dire une situation il n'est pas question de dépenses de l'État et qui, de ce fait, ne relève pas des fonctions de vérification du vérificateur général, sont pure- ment hypothétiques en ce qui concerne la présente décision et n'ont aucune influence sur celle-ci.
Enfin, j'ai affirmé dans la dernière phrase de mes motifs que «le refus était alors injustifié et qu'il continue par conséquent de l'être». Comme je l'ai déjà dit dans les premières parties des motifs de jugement, j'ai conclu que la convention sur le secret du Cabinet n'aurait pas avoir préséance sur les demandes de renseignements lorsque le vérificateur général les a présentées pour la pre- mière fois. Cette convention n'habilitait pas le gouvernement d'alors à refuser l'accès aux rensei-
gnements en violation des dispositions de la Loi sur le vérificateur général telles que je les ai interpré- tées. Il serait tout aussi impensable de conclure qu'une convention semblable permettant de main- tenir le caractère confidentiel des documents des gouvernements antérieurs autoriserait le gouverne- ment actuel à persister dans son refus d'y donner accès.
Pour ces motifs, le demandeur aura droit au jugement déclaratoire approprié, le tout avec dépens.
JUGEMENT
VU la requête faite à la Cour, en présence des avocats du demandeur et de ceux des défendeurs, en vue d'obtenir jugement dans la présente action, après avoir lu les plaidoiries écrites et avoir entendu les témoignages présentés devant la Cour le 11 janvier, les 7, 8 et 20 mars, le 31 mai et les Zef et 12 novembre 1985, et étant donné qu'il appa- raît, à la satisfaction de la Cour, que, première- ment, les renseignements demandés dans la décla- ration concernent des dépenses de l'État et que, deuxièmement, les dépenses de l'État décrites plus en détail dans ladite déclaration tombent sous le coup des responsabilités du vérificateur général énoncées à la Loi sur le vérificateur général, S.C. 1976-77, chap. 34, et après avoir entendu les argu ments des avocats des parties, et jugement devant être rendu ce jour:
1. LA COUR DÉCLARE QUE le demandeur a droit, conformément au paragraphe 13(1) de la Loi sur le vérificateur général, de prendre connaissance des renseignements, y compris les renseignements que renferment les documents constituant des ren- seignements confidentiels du Conseil privé de la Reine, qui concernent des dépenses de l'État et qui tombent sous le coup des responsabilités du vérifi- cateur général énoncées à la Loi sur le vérificateur général et que le demandeur estime nécessaires pour s'acquitter desdites responsabilités, notam- ment pour vérifier les états financiers requis par l'article 55 de la Loi sur l'administration finan- cière, S.R.C. 1970, chap. F-10, et pour lui permet- tre de présenter son rapport au Parlement et de signaler les cas une somme d'argent a été dépensée sans égard à l'économie et à l'efficience.
2. LA COUR DÉCLARE EN OUTRE QUE le deman- deur a droit, conformément au paragraphe 13(1)
de la Loi sur le vérificateur général, de prendre connaissance des renseignements que renferment les documents énumérés ci-après, y compris les documents constituant des renseignements confi- dentiels du Conseil privé de la Reine:
(i) Les analyses et/ou rapports d'évaluation con- cernant l'acquisition de Petrofina Canada Inc. préparés pour les défendeurs, ou reçus par eux, ou dont ils ont tenu compte dans l'exercice de leurs responsabilités légales respectives, indivi- duelles ou collectives;
(ii) Les documents, propositions ou mémoires concernant l'emploi de fonds à même les comp- tes du Canada (notamment le Compte d'accrois- sement du taux de propriété canadienne) pour l'acquisition de Petrofina Canada Inc., qui ont été rédigés pour les défendeurs, ou reçus par eux, ou dont ils ont tenu compte dans l'exercice de leurs responsabilités légales respectives, col lectives ou individuelles, concernant l'acquisition de Petrofina Canada Inc.;
(iii) Toutes les évaluations de l'acquisition de Petrofina Canada Inc. et/ou des actifs acquis, faites ultérieurement à l'acquisition par les défendeurs, rédigés pour eux, ou reçus par eux, ou dont ils ont tenu compte dans l'exercice de leurs responsabilités légales respectives, indivi- duelles ou collectives;
(iv) Afin de fournir au demandeur l'informa- tion, les rapports et les explications que compor- tent les documents énoncés en a)(i), concernant les paiements de fonds publics prélevés sur les comptes du Canada, plus particulièrement les paiements prélevés sur le Compte d'accroisse- ment du taux de propriété canadienne, crédit 5c, Loi 4 de 1980-81 portant affectation de crédits pour acquérir les actions et la propriété de Petrofina Canada Inc., que le demandeur estime nécessaire à l'exercice de sa fonction en vertu de la Loi sur le vérificateur général.
3. LA COUR DÉCLARE EN OUTRE QUE, au moment de sa demande initiale, le demandeur avait droit d'accès aux renseignements contenus dans les documents énoncés dans la déclaration et que le refus était alors injustifié et qu'il continue par conséquent de l'être, même si ces renseignements sont contenus dans des documents confidentiels d'un gouvernement antérieur.
4. La demande visant à obtenir un mandamus ou une injonction est rejetée.
5. LA COUR ORDONNE aux défendeurs de verser au demandeur les frais entre parties des présentes procédures dès qu'ils auront été taxés.
ERRATUM
Dans la décision Michael Bishop et Agence cana- dienne des droits de reproduction musicale limitée c. Martin Stevens, P.B.I. Records, Manacord Pub., Fran- çois Pilon, Son Soleil Inc., Downstairs Records Ltd., Unidisc Productions Ltd., Télé-Métropole Inc., CRC Records Ltd. et Enregistrements Audiobec Canada Inc.—Audiobec Recording Canada Inc., publiée à [1985] 1 C.F. 756, le cabinet Léger, Robic & Richard de Montréal a été désigné comme procureur des défen- deurs. Il y est en outre indiqué que M" J.A. Léger et L. Carrière ont comparu pour les défendeurs. En fait, le cabinet Léger, Robic & Richard ne représentait qu'un seul des défendeurs, soit Télé-Métropole Inc. Lors de l'instruction de l'affaire, seule Télé-Métropole Inc. était encore partie à l'instance.
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