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T-228-85
Willis Elvis James Maxie (requérant) c.
Commission nationale des libérations condition- nelles et Service correctionnel du Canada (inti- més)
Division de première instance, juge Muldoon— Saskatoon, 12 avril; Ottawa, 4 juin 1985.
Libération conditionnelle Le requérant a commis les infractions d'introduction par effraction, de vol et de voies de fait sur un agent de la paix alors qu'il était en liberté sous surveillance obligatoire Il a été reconnu coupable et s'est vu imposer une peine consécutive Révocation de sa libération sous surveillance obligatoire Ni la Commission ni l'art. 20 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus ne contre- viennent au droit à la protection contre la détention arbitraire garanti par l'art.9 de la Charte Il n'y a pas eu violation de l'équité quant au fond ou quant à la procédure en contraven tion de l'art. 7 de la Charte Les limites apportées à la liberté restreinte du requérant ont une justification qui peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 20 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 30) Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 9.
Droit constitutionnel Charte des droits Détention ou emprisonnement La Commission nationale des libérations conditionnelles a révoqué la libération sous surveillance obli- gatoire du requérant alors qu'il était en prison à la suite d'une nouvelle peine consécutive L'art. 20 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus qui prévoit une nouvelle incarcération lorsqu'il y a révocation de la libération condi- tionnelle, y compris de la libération sous surveillance obliga- toire, n'est pas incompatible avec le droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires garanti par l'art. 9 de la Charte La révocation est la conséquence du moment choisi pour commettre les infractions et de la nature de celles-ci, et seul le requérant peut en être tenu responsable La Commission n'a pas infligé au requérant un emprisonne- ment arbitraire, déraisonnable et injustifiable Suivant l'af- faire R. v. Konechny, /1984J 2 W.W.R. 481 (C.A.C.-B.), la politique législative est examinée pour déterminer si elle n'a aucun fondement rationnel Application de la norme de la proportionalité afin de déterminer si une disposition législative prévoyant une incarcération est arbitraire La conséquence de la révocation de la libération conditionnelle en raison de la violation de ses conditions est proportionnée à la faute, c'est-à-dire l'obligation de purger en totalité la peine appro- priée qui a été imposée Les buts de la disposition législa- tive, c'est-à-dire la réadaptation, la surveillance et la dissua sion, sont rationnels, proportionnés et n'ont pas un caractère arbitraire Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 art. 9 Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52 Loi sur la
libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 20 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 30).
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité de la personne La révocation de la libération sous surveillance obligatoire du requérant alors qu'il était en prison à la suite de l'imposition d'une nouvelle peine consécutive n'a violé l'art. 7 de la Charte ni quant au fond ni quant à la procédure Aucune preuve n'indique qu'on a porté atteinte, sur le plan de la procédure, aux droits du requérant à la justice fondamentale La Charte n'exige pas que la Cour passe outre à la décision du législateur d'accorder le privilège révocable d'une libération sous surveillance obligatoire aux détenus qui en violent les conditions Aucune loi du Parle- ment n'exige que le requérant purge sa peine en totalité Le requérant est responsable de la révocation de sa libération sous surveillance obligatoire Le droit de réattribuer les réduc- tions de peine que conserve la Commission en vertu de l'art. 20(3) vient confirmer qu'il y a eu équité quant au fond Les limites apportées à la liberté restreinte du requérant ont une justification qui peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. Il (R.-U,), art. 7, 24 Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 52 Loi sur la libération conditionnelle de détenus, S.R.C. 1970, chap. P-2, art. 15(2), 20 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 30) Règlement sur la libération conditionnelle de détenus, DORS/78-428, art. 20.1 (mod. par DORS/81-318, art. 1).
Pour un résumé des faits de l'espèce, voir la note de l'arrêtiste.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
La révocation de la libération sous surveillance obligatoire du requérant n'a pas violé son droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires, garanti par l'article 9 de la Charte. Le premier motif de plainte est que le nombre de jours de réduction de peine perdus par suite de la révocation ne reflétait aucunement la gravité relative des actes invoqués comme fondement de ladite révocation. Les éléments en cause sont le moment choisi par le requérant pour commettre une nouvelle transgression et la gravité de celle-ci. Tout ce qu'on peut dire au sujet de cet argument est que le requérant était seul responsable de ces éléments à l'origine de sa situation difficile. Le nombre de jours perdus dépend des moments choisis par le requérant, pendant sa surveillance obligatoire, pour commettre les infractions d'introduction avec effraction et de vol, et les voies de fait sur un agent de la paix. Lorsque la Commission exerce légalement son pouvoir discrétionnaire délégué, la révocation est une conséquence de la gravité des infractions que sont l'introduction par effraction, le vol et les voies de fait. On présume que la Commission s'est interrogée sur l'opportunité d'une telle mesure. La Commission n'a pas infligé au requérant un emprisonnement arbitraire, déraisonna- ble et injustifiable. Le requérant a lui-même choisi les occasions pour perpétrer ses crimes. Le requérant n'a pas été victime d'une détention ou d'un emprisonnement arbitraires. La révoca- tion a eu lieu parce qu'il a commis trois infractions criminelles pour lesquelles il a été reconnu coupable et condamné à une peine.
Les dispositions législatives elles-mêmes pourraient entrer en conflit avec l'article 9 de la Charte. Dans l'arrêt Belliveau c. La Reine, [1984] 2 C.F. 384; 10 D.L.R. (4th) 293; 13 C.C.C. (3d) 138 (Ire inst.), le juge Dubé a dit que l'interdiction prévue par l'article 9 en matière de détention arbitraire vise la détention sans autorisation expresse de la loi en vigueur ou sans référence à un principe déterminant et pertinent. De plus, une politique législative peut être rendue inopérante en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de /982 si elle n'a aucun fondement rationnel: R. v. Konechny, [1984] 2 W.W.R. 481 (C.A.C.-B.). Au cours de l'examen de la politique à l'origine de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, on a appliqué la norme de la proportionnalité afin de déterminer si une disposition législa- tive prévoyant une incarcération est arbitraire. La libération sous surveillance obligatoire est un droit qui est conféré par la loi et qui entre dans le champ de compétence législative du Parlement en matière de droit pénal, et qui est accordé en dérogation de la peine d'emprisonnement imposée par une cour compétente de juridiction criminelle. On doit présumer que la sentence rendue est appropriée. Lorsque le législateur statue que la Commission peut révoquer une libération sous surveil lance obligatoire lorsqu'il y a contravention à ses conditions, la loi est dotée d'un objectif rationnel dont les conséquences sont tout à fait proportionnées à la faute du détenu, c'est-à-dire qu'il doit purger la peine appropriée imposée par la cour. La loi vise à «réadapter graduellement l'ancien détenu, à surveiller son comportement et à l'empêcher de commettre de nouveaux crimes sous peine de révocations. Cette politique est rationnelle, proportionnée à ses fins et elle ne constitue pas une politique d'emprisonnement arbitraire.
La révocation de la libération sous surveillance obligatoire du requérant n'a violé l'article 7 de la Charte ni quant au fond ni quant à la procédure. L'article 7 de la Charte garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne et prévoit qu'il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale. La liberté et la sécurité de la personne sont limitées dans la mesure il peut être porté atteinte à ces droits en conformité avec les principes de la justice naturelle. L'article 20 de la Loi sur la libération condi- tionnelle de détenus ne contrevient pas à l'article 7. Aucune preuve n'indique qu'on a porté atteinte, sur le plan de la procédure, aux droits du requérant à la justice fondamentale. La Commission n'a rien fait de contraire à la justice fondamen- tale en se fondant sur les violations de la condition essentielle de la libération sous surveillance obligatoire, violations qui décou- laient nécessairement de la perpétration de ces infractions. Le comportement criminel du requérant a violé gravement une condition de sa libération sous surveillance obligatoire.
Dans l'arrêt Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734; 9 D.L.R. (4th) 393 (l inst.), le juge Strayer a indiqué que l'article 7 vise à garantir uniquement l'équité sur le plan de la procédure. Toutefois, dans l'opinion incidente qu'il a exprimée dans l'arrêt Howard c. Établisse- ment Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642 (C.A.), le juge en chef Thurlow n'a pas exclu la possibilité que l'article 7 puisse également viser des dispositions de fond. Dans l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] I R.C.S. 177, le juge Wilson a statué que, pour avoir gain de cause, les appelants devaient démontrer que la Charte exigeait que la Cour passe outre à la décision du législateur d'exclure le
genre d'équité en matière de procédure que demandaient les appelants. Ces derniers ont eu gain de cause même si les juges étaient également partagés pour déterminer s'il fallait appliquer l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ou l'article 7 de la Charte.
La Charte n'exige pas que la Cour passe outre à la décision du législateur d'accorder le privilège révocable d'une libération sous surveillance obligatoire aux détenus qui en violent les conditions. Aucune loi du Parlement n'a placé le requérant dans une situation de double incrimination. La perte brusque par le requérant de son espoir de ne pas avoir à purger la totalité de sa peine d'emprisonnement est une conséquence qu'il ne peut reprocher qu'à lui-même.
Le paragraphe 20(3) confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de réattribuer les réductions de peine dans les cas appropriés. Il n'est pas essentiel pour que le texte de la loi résiste à l'application d'un critère de fond en vertu de l'article 7, mais il permet dans une certaine mesure de franchir l'obsta- cle tout en gardant une certaine marge de manœuvre.
Les limites apportées par la Loi sur la libération condition- nelle de détenus à la liberté restreinte du requérant ont une justification qui peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Belliveau c. La Reine, [1984] 2 C.F. 384; 10 D.L.R. (4th) 293; 13 C.C.C. (3d) 138 (1" inst.); R. v. Konechny, [1984] 2 W.W.R. 481 (C.A.C.-B.); Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Sango c. Commission nationale des libéra- tions conditionnelles, [1984] 1 C.F. 183 (1" inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734; 9 D.L.R. (4th) 393 (P' inst.); Howard c. Établisse- ment Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642 (C.A.).
DÉCISION CITÉE:
Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441.
AVOCATS:
Lucinda Vandervort pour le requérant. Mark Kindrachuk pour les intimés.
PROCUREURS:
College of Law, University of Saskatchewan, Saskatoon, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON:
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Ce jugement a été choisi pour publication parce qu'on y a examiné la question de savoir si l'appli- cation de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus avait entraîné une violation des droits garantis par les articles 7 et 9 de la Charte. Les motifs de l'ordonnance qui portent sur cette ques tion couvrent 16 pages et demie parmi les 29 pages du jugement et sont publiées dans leur intégralité. L'arrêtiste a décidé de rédiger un résumé du reste des motifs de l'ordonnance de monsieur le juge en l'espèce.
Un détenu cherche à obtenir un certiorari annu- lant l'ordonnance par laquelle la Commission nationale des libérations conditionnelles a révo- qué sa libération sous surveillance obligatoire, et un mandamus ordonnant qu'il soit immédiatement mis en liberté, que la date de son admissibilité à la libération sous surveillance obligatoire soit recalculée ou que la réduction de peine qu'il a perdue à la suite de cette révocation soit réattri- buée à son actif conformément au paragraphe 20(2) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus.
Le requérant a fait valoir que la révocation de sa libération sous surveillance obligatoire, alors qu'il était en prison à la suite d'une nouvelle peine consécutive qui lui a été imposée lorsque sa libération sous surveillance obligatoire a été sus- pendue, était contraire à la loi. Suivant cet argu ment, étant donné que la peine consécutive cons- tituait le seul fondement de la détention du requérant à la date de la révocation, la libération sous surveillance obligatoire a été rendue inopé- rante par l'imposition d'une peine consécutive (dont la durée était plus longue que le reste de la peine antérieure) et par la confusion automatique de la nouvelle peine et de la peine existante conformément à l'article 14 de la Loi sur la libéra- tion conditionnelle de détenus. Le requérant a allégué subsidiairement qu'étant donné que sa libération sous surveillance obligatoire a été sus- pendue de manière permanente par le prononcé de la peine consécutive (Loi sur la libération conditionnelle de détenus, paragraphe 15(2)),
l'ordonnance de révocation outrepassait les pou- voirs conférés à la Commission. Il a en outre soutenu que la méthode arbitraire suivie pour calculer la date de son admissibilité à la libération sous surveillance obligatoire contrevenait à l'arti- cle 9 de la Charte et, enfin, que l'omission d'inter- préter et d'appliquer d'une manière libérale et en sa faveur une disposition ambiguë de la Loi con- trevenait à l'article 7 de la Charte.
Monsieur le juge a examiné les dispositions pertinentes de la Loi sur la libération condition- nelle de détenus et il a conclu que la suspension de la libération sous surveillance obligatoire n'em- pêchait pas celle-ci d'être révoquée. On a fait mention du problème que pose le calcul de la durée de l'emprisonnement. Le juge Muldoon a parlé de la nécessité d'une réforme de la Loi afin de solutionner ce problème: «Même si les difficul- tés posées par cette mystérieuse question ne mobiliseront probablement jamais l'opinion publi- que, le processus complexe de calcul nécessite néanmoins une réforme. Les termes apparem- ment clairs de la Loi masquent les problèmes du calcul du temps purgé et de celui qui doit l'être, même si les pouvoirs de la Commission nationale des libérations conditionnelles sont clairement énoncés.»
Étant donné le libellé clair des dispositions de la Loi, il fallait conclure que la libération sous surveil lance obligatoire du requérant pouvait être révo- quée et l'a effectivement été. La révocation n'était pas ultra vires. La décision Sango c. Com mission nationale des libérations conditionnelles, [1984] 1 C.F. 183 (1' B inst.) était concluante.
Après avoir tranché les questions relatives à la Charte (voir le texte publié des motifs de juge- ment), monsieur le juge a examiné le calcul de la peine du requérant et a conclu qu'on ne s'était pas conformé à l'article 137 du Code criminel mais que la Cour fédérale du Canada n'était pas compétente pour faire quoi que ce soit à ce sujet. Même si elle pouvait examiner la manière dont le chef de la Gestion des peines, un fonctionnaire, a rempli ses fonctions, la Cour ne pouvait annuler la sentence imposée au requérant pour avoir été illégalement en liberté ni obliger la Commission à lui réattribuer la réduction de peine qu'il avait perdue, parce que ce n'est pas la Commission qui a prononcé la sentence contestée. Monsieur le
juge a souligné en passant qu'il était peu probable que la décision de la Commission serait contestée si elle réattribuait au requérant sa réduction de peine en raison des circonstances atténuantes.
Étant donné que la Cour n'avait pas compé- tence pour annuler les sentences imposées par une cour, la requête a été rejetée, sans dépens.
Le requérant demande à la Cour de statuer que l'article 20 de la Loi sur la libération condition- nelle de détenus [S.R.C. 1970, chap. P-2 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 30)] est incompa tible avec la protection que lui accordent les arti cles 7 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] dont l'effet, affirme-t-il, est de suspendre l'application de l'arti- cle 20 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus dans son cas; il lui demande aussi de lui réattribuer la réduction de peine méritée qu'il a automatiquement perdue en vertu de l'article 20 à la suite de la révocation de la surveillance obligatoire.
L'article 9 de la Charte a été examiné avant l'article 7 dans les prétentions présentées au nom du requérant. Libellé d'une manière succincte mais ferme et élégante, l'article 9 prévoit:
9. Chacun a droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraires.
Voici les arguments du requérant au sujet de l'effet de l'article 9 de la Charte.
[TRADUCTION] 19. L'effet de l'article 20 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus est arbitraire dans son cas parce que le nombre de jours de réduction de peine méritée qu'il a perdus était simplement une conséquence des crédits de réduction de peine qu'il avait à son actif lorsqu'il a été mis en liberté sous surveillance obligatoire. Il ne traduisait en aucune manière la gravité relative des actes invoqués comme motif de la révocation. La révocation pour tout motif, du moins grave au plus grave, aurait entraîné la perte de tous les crédits de réductions de peine méritées.
20. Aucune preuve n'indique que la Commission nationale des libérations conditionnelles a en fait examiné le paragraphe 20(3) afin de déterminer s'il serait approprié, compte tenu des circonstances, de réattribuer tout ou partie des réductions de peine perdues.
21. Le requérant fait valoir, que même si le paragraphe 20(3) permettait, en ce sens qu'il n'interdisait pas ni n'empêchait, qu'une décision individuelle fondée sur des critères et des procédures clairs soit rendue quant aux réductions de peine méritées, s'il en existe, qui devraient lui être réattribuées, il n'a aucun motif de croire qu'une telle décision a été prise dans son
cas. La Loi sur la libération conditionnelle de détenus ne précise ni les critères ni les procédures à suivre pour les fins de cette décision. L'article 106-4, paragraphe 4.2 du Manuel des politiques et procédures de la Commission nationale des libéra- tions conditionnelles, en vigueur depuis le 21 juin 1982, porte que la réduction de peine ne sera réattribuée que dans des cas exceptionnels et n'énonce aucune directive précise. Ainsi, sauf dans les cas exceptionnels, la décision de révoquer, une fois prise, entraîne la perte de toutes les réductions de peine, peu importe les circonstances. Les procédures suivies pour la réat- tribution des réductions de peine figurent à l'article 106-25. Les dispositions applicables lorsque la surveillance obligatoire du requérant a été révoquée sont entrées en vigueur le 21 juin 1982. Elles ont été révisées le 24 mars 1983. Même s'ils ont en fait été utilisés, les procédures et critères qui y sont prescrits ne sont pas suffisamment détaillés, précis ou adéquats pour assu- rer que la décision rendue en vertu du paragraphe 20(3) ne sera ni arbitraire, ni injustifiée, ni subjective, ni fondée sur des considérations inappropriées. On n'a donc pas satisfait aux exigences de l'article 9 de la Charte.
22. Comme le requérant l'a expliqué aux paragraphes 20 et 21 de son affidavit, s'il avait commis les infractions auxquelles se rapportent ses peines les plus récentes, ne serait-ce qu'un jour plus tôt, alors qu'il était toujours en liberté conditionnelle de jour, il aurait été admissible à la mise en liberté sous surveil lance obligatoire vers le 26 novembre 1982 au lieu du 11 février 1985. La forme de libération conditionnelle à laquelle le requé- rant était assujetti au moment de la perpétration des nouvelles infractions a eu une incidence significative sur la gravité des conséquences découlant de la révocation. Il n'existe aucune raison valable et suffisante pour que le changement de statut seulement ait eu un effet aussi grave. On peut donc affirmer que cet effet est arbitraire en ce sens qu'il n'a aucun fondement raisonnable.
Le premier motif de plainte est que le nombre de jours de réduction de peine perdus par suite de la révocation est ce qu'il est et ne reflétait aucune- ment la gravité relative des actes invoqués comme fondement de la révocation. Les éléments impor- tants en l'espèce sont le moment choisi par le requérant pour commettre une nouvelle transgres sion et la gravité de celle-ci. Étant donné l'objet des dispositions législatives, sur lequel je reviendrai plus tard, tout ce qu'on peut dire au sujet de cet argument est que le requérant était responsable de sa situation difficile. Le nombre de jours perdus dépend des moments choisis par le requérant, pen dant sa surveillance obligatoire, pour commettre les infractions d'introduction avec effraction et de vol (les 26 et 27 juin 1982), et les voies de fait sur un agent de la paix (le 28 juin 1982). C'est une maison d'habitation qui a fait l'objet du premier vol avec effraction. Lorsque la Commission exerce légalement son pouvoir discrétionnaire délégué, la révocation est une conséquence de la gravité des infractions que sont l'introduction par effraction,
le vol et les voies de faits. La Commission natio- nale des libérations conditionnelles a exercé son pouvoir discrétionnaire de révocation en réponse à l'inconduite du requérant. Aucune preuve n'est requise pour démontrer que la Commission s'est réellement interrogée sur l'opportunité d'une telle mesure: on le présume. En fait, aucune preuve n'indique le contraire.
La Commission n'a pas infligé au requérant un emprisonnement arbitraire, déraisonnable, et injustifiable. Le requérant a lui-même choisi les occasions pour perpétrer ses crimes. Il ne peut donc pas valablement se plaindre d'avoir été vic- time d'une détention ou d'un emprisonnement arbitraires. L'infortune du requérant ne s'est pas abattue sur lui sans raison, comme dans le cas d'une maladie ou d'un pogrom. La révocation a eu lieu parce qu'il a commis trois infractions criminel- les pour lesquelles il a été reconnu coupable et condamné à une peine. Il est possible que l'établis- sement ou l'absence de services de soutien pour les contrevenants comme le requérant aient une cer- taine incidence sur la question de savoir s'il aurait été suffisamment tenté et résolu pour commettre ces infractions criminelles. Même s'il s'agit sans aucun doute d'une question importante, ce point n'a pas été soulevé expressément et ne pouvait avoir une influence directe pour déterminer si le requérant avait été victime ou non d'une détention ou d'un emprisonnement arbitraires en raison d'un acte de la Commission nationale des libérations conditionnelles. La plainte du requérant au sujet de l'exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire doit être rejetée.
Cette conclusion ne tranche toutefois pas la question de savoir si, à la suite de la révocation de sa surveillance obligatoire, le requérant a été vic- time d'une détention ou d'un emprisonnement arbitraires. Les dispositions législatives elles- mêmes pourraient entrer en conflit avec l'article 9 de la Charte et pourraient par conséquent être jugées inconstitutionnelles. Dans l'arrêt Belliveau c. La Reine, [1984] 2 C.F. 384; 10 D.L.R. (4th) 293; 13 C.C.C. (3d) 138 (1' inst.), le juge Dubé de cette Cour a examiné cette question la page 395 C.F.; aux pages 301 et 302 D.L.R.; à la page 146 C.C.C.):
L'interdiction prévue par l'article 9 en matière de détention arbitraire vise la détention sans autorisation expresse de la loi en vigueur ou sans référence à une norme ou à un principe
déterminant et pertinent. (Regina v. Frankforth (1982), 70 C.C.C. (2d) 448 (C. cté C.-B.).) Cette interdiction vise toute mesure capricieuse ou arbitraire, attentatoire à la liberté indivi- duelle. (Re Jamieson and The Queen (1982), 70 C.C.C. (2d) 430 (C.S. Qué.).) ... Évidemment, le simple fait qu'une loi établit une procédure spécifique pour la détention d'une per- sonne ne signifie pas que l'application de cette loi est automati- quement dénuée de tout arbitraire. (Re Mitchell and the Queen (1983), 42 O.R. (2d) 481 (H.C.).)
À la lumière de l'article 52 de la Loi constitu- tionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)], le juge Macfar- lane de la Cour d'appel de la Colombie-Britanni- que a examiné la constitutionnalité des objectifs fondamentaux d'une loi. Il examinait alors la peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonne- ment prescrite par le paragraphe 88.1(2) de la Motor Vehicle Act [R.S.B.C. 1979, chap. 288 (mod. par S.B.C. 1981, chap. 21, art. 55)], une loi provinciale. Ainsi, dans R. v. Konechny, [ 1984] 2 W.W.R. 481 (C.A.C.-B.), à la page 503, il a écrit dans le jugement principal rendu à la majorité:
[TRADUCTION] J'admets qu'un emprisonnement n'est pas moins arbitraire parce qu'il est autorisé par la loi lorsque la politique législative n'a aucun fondement rationnel. Une politi- que arbitraire, c'est-à-dire une politique changeante, déraison- nable ou injustifiée, peut être rendue inopérante en vertu de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 parce qu'elle est incompatible avec les dispositions de la Charte. L'article 9 de la Charte n'excuse pas un emprisonnement arbitraire pour le motif qu'il est permis par la loi.
L'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 a conféré aux cours le pouvoir de réviser et, dans les cas appropriés, d'annuler des lois. Cela ne veut cependant pas dire que les juges ont été autorisés à substituer leur opinion à celle de la législature qui, en vertu de notre système démocratique, est habilitée à énoncer les politiques d'ordre public. Le fondement de ces politiques peut être révisé s'il est statué qu'elles contreviennent aux droits individuels garantis par la Charte mais, à mon avis, ces politi- ques ne devraient être annulées dans le cas d'une contestation faite en vertu de l'art. 9 que si elles n'ont aucun fondement rationnel. Si elles ont un fondement rationnel, je ne crois pas qu'il appartienne à un juge d'affirmer que lesdites politiques sont changeantes, déraisonnables ou injustifiées.
La Cour a conclu (le juge d'appel Lambert étant toutefois dissident) que la politique législative reposait sur un fondement rationnel. Cette conclu sion n'a nullement amoindri la force de l'article 52 qui conserve toute son importance sur le plan constitutionnel comme l'a souligné récemment la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres,
[1985] 1 R.C.S. 441.
Il faut examiner le principe même des disposi tions pertinentes de la Loi sur la libération condi- tionnelle de détenus, étant donné que le requérant soutient qu'elles entrent en conflit avec les droits individuels garantis par la Charte. La norme de la proportionnalité qui permet d'évaluer une politique législative constitue un critère décisif pour déter- miner le caractère arbitraire d'une disposition législative prévoyant une incarcération. Elle est implicite dans la plainte du requérant au sujet de la gravité des conséquences découlant de la révoca- tion de sa libération sous surveillance obligatoire. Un exemple de ce qui constituerait une dispropor tion flagrante serait, comme l'a dit le juge d'appel Macfarlane dans l'arrêt Konechny (précité), de faire d'un stationnement dépassant la durée pres- crite un délit majeur punissable d'emprisonnement à vie.
Existe-t-il au fond une disproportion dans ces dispositions de la Loi sur la libération condition- nelle de détenus qui délèguent à la Commission nationale des libérations conditionnelles le pouvoir discrétionnaire de révoquer une libération condi- tionnelle, y compris une libération sous surveil lance obligatoire, dans de telles circonstances? Après tout, la libération sous surveillance obliga- toire est un droit conféré par la loi au détenu. Il s'agit d'un droit entrant dans le champ de la compétence législative du Parlement en matière de droit pénal et accordé en dérogation de la peine d'emprisonnement imposée par une cour compé- tente de juridiction criminelle. En l'absence d'un tel droit conféré par la loi, le détenu serait obligé de purger chaque jour de la peine d'emprisonne- ment prévue dans le jugement de la cour. On doit présumer que la sentence rendue, qu'elle soit ou non confirmée ou modifiée par une cour d'appel, est appropriée. La cour qui prononce la sentence ou la cour d'appel, lorsque l'accusé exerce son droit de demander l'autorisation d'interjeter appel et l'obtient, s'assurent que la sentence est appro- priée et respecte les principes justes et connus de la détermination de la peine. Ce processus de la prééminence du pouvoir judiciaire constitue l'anti- thèse de l'arbitraire.
Il est important à cet égard d'établir une distinc tion entre un droit conféré par la loi et un droit garanti par la constitution. Dans ces circonstances particulières, on pourrait difficilement assimiler le droit à la libération conditionnelle ou à la libéra-
tion sous surveillance obligatoire conféré par la loi au droit constitutionnel énoncé à l'article 9 de la Charte. Si le législateur allait jusqu'à abroger et à abolir la libération conditionnelle ainsi que la libé- ration sous surveillance obligatoire en ne tenant aucunement compte de l'alinéa 10(1)e) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, cet acte serait-il si disproportionné qu'il rendrait l'em- prisonnement arbitraire? Sûrement pas. Même si cette politique législative d'une grande portée était adoptée, elle ferait simplement en sorte qu'un détenu serait obligé de purger la peine appropriée que la cour compétente lui a déjà imposée.
La réduction statutaire d'une peine d'emprison- nement accordée par le législateur en vertu de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus constitue un privilège conféré au détenu. L'annula- tion par la loi de ce privilège pourrait difficilement porter atteinte aux droits des détenus garantis par l'article 9 de la Charte. Ceux-ci devraient tout simplement purger les peines manifestement appropriées imposées dans les jugements originaux ou modifiés. Cela n'aurait rien d'arbitraire.
Lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le légis- lateur statue que la Commission nationale des libérations conditionnelles peut révoquer une libé- ration sous surveillance obligatoire lorsqu'il y a contravention à ses conditions, la loi est dotée d'un objectif rationnel dont les conséquences sont tout à fait proportionnées à la faute du détenu, c'est-à- dire qu'il doit purger la peine appropriée imposée par la cour. Comme l'a indiqué la page 392 C.F.] le juge Dubé dans l'arrêt Belliveau (précité), la loi vise à «réadapter graduellement l'ancien détenu, à surveiller son comportement et à l'empê- cher de commettre de nouveaux crimes sous peine de révocation». Cette politique est tout à fait rationnelle, proportionnée à ses fins et elle ne constitue pas une politique d'emprisonnement arbitraire.
La révocation de la libération sous surveillance obligatoire du requérant n'a pas violé son droit à la protection contre la détention ou l'emprisonnement arbitraire, garanti par l'article 9 de la Charte, et cette partie de sa demande est irrecevable.
Dans le dernier volet de sa demande, le requé- rant invoque l'article 7 de la Charte qui porte:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
En fait, l'article 7 garantit deux sortes de droits et le second droit, visant à interdire la violation du premier qui est affirmatif, rend le premier non pas absolu mais limité. Compte tenu du sens le plus restreint du mot vie, c'est-à-dire la protection contre la mort, il est possible d'affirmer que ce droit est absolu tant que le législateur évite d'im- poser la peine capitale pour punir les infractions criminelles graves. La liberté et la sécurité de la personne sont cependant limitées dans la mesure il peut être porté atteinte à ces droits en conformité avec les principes de justice fondamen- tale.
Le requérant demande à la Cour de [TRADUC- TION] «statuer que le report de son admissibilité à la mise en liberté sous surveillance obligatoire et la prolongation de son incarcération résultant direc- tement de la perte de la réduction de peine méritée à la suite de la révocation de sa surveillance obli- gatoire, constituaient une violation de ses droits constitutionnels garantis par l'article 7 de la Charte».
Voici en grande partie les arguments invoqués à l'appui de la position du requérant:
[TRADUCTION] 24. Si l'acte que l'on invoque pour révoquer sa libération conditionnelle avait eu lieu n'importe quand avant la date de la perpétration des infractions les plus récentes, il n'aurait perdu aucune réduction de peine méritée; la possibilité accrue d'incarcération découle donc de son statut au cours de la libération sous surveillance obligatoire et non de la gravité de son acte.
25. Même s'il avait commis une ou des infractions plus graves alors qu'il était en libération sous surveillance obligatoire ou si cette dernière avait été révoquée en raison d'un acte qui ne constituait pas une infraction criminelle, les effets de l'article 20 auraient été les mêmes qu'en l'espèce.
26. Parce que les effets de l'article 20 s'appliquent automati- quement et que la Commission nationale des libérations condi- tionnelles a pour politique de n'exercer son pouvoir discrétion- naire pour réattribuer les réductions de peine que dans des circonstances exceptionnelles, la prolongation de son incarcéra- tion ne résulte pas en l'espèce de l'application aux faits de ce cas particulier des principes de l'administration des peines pour permettre d'arriver à une décision fondée quant au nombre de jours additionnels d'emprisonnement qui, s'il y a lieu, devraient être imposés. On ne peut donc pas affirmer que la durée de la prolongation de l'incarcération de cet individu était conforme aux principes reconnus de l'administration des sanctions en vertu desquels la gravité de la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction.
27. Si le requérant avait commis les mêmes infractions pendant qu'il purgeait sa première peine mais avant sa libération condi- tionnelle de jour (le 31 mai 1982, voir le paragraphe l I de l'affidavit du requérant; la mise en liberté sous surveillance obligatoire a eu lieu le 27 juin 1982, voir le paragraphe 12), il n'aurait perdu aucune réduction de peine méritée à la suite d'une mesure de la Commission des libérations conditionnelles car celle-ci n'aurait pas eu compétence pour prendre une telle mesure. La prolongation de son incarcération comme consé- quence directe ou légale de la perpétration d'infractions serait limitée à l'imposition d'une peine, eut-il été déclaré coupable de ces infractions. S'il avait été reconnu coupable des mêmes infractions par un tribunal disciplinaire d'un établissement et avait perdu sa réduction de peine méritée, cela aurait constitué une violation de ses droits prévus à l'alinéa 11h) de la Charte parce qu'il y aurait déjà eu une décision donnant lieu à une déclaration de culpabilité et à l'imposition d'une peine au sujet du même acte.
28. L'article 20 a pour effet d'imposer une autre peine (la perte de la réduction de peine méritée et par le fait même, le report du droit à une libération conditionnelle prévu par la loi) en plus de celle administrée par une cour criminelle lorsqu'il y a condamnation pour la même infraction. Le principe de la double incrimination constitue un aspect de la justice fonda- mentale dont parle l'article 7 et on doit tenir pour acquis qu'il empêche d'imposer une autre sanction pénale à un individu pour la même infraction. Dans un cas comme celui dont il s'agit en l'espèce, la sanction s'applique automatiquement sans qu'une autre «décision» soit rendue, la protection contre la «double incrimination» trouve son fondement à l'article 7; l'ali- néa 11h) s'oppose aux décisions multiples. Cependant, le prin- cipe général énoncé à l'alinéa 11h) est sans aucun doute à la base un «principe de justice fondamentale» et il faut donc considérer que l'article 7 protège le requérant contre des châti- ments multiples pour le même acte même s'il n'y a pas eu deux décisions comme telles.
29. Il faut en outre souligner que même si le crédit de réduction de peine méritée du requérant constituait un droit acquis à la libération conditionnelle (voir Moore, C.S.C.) et, par consé- quent, un droit à la liberté dont il ne devait pas être privé sans motif, la perte de ces crédits (qui a entraîné un retard significa- tif dans l'obtention de son droit à l'élargissement) ne résultait pas de la décision délibérée d'une instance décisionnelle obser vant les éléments essentiels de la justice fondamentale en suivant une procédure destinée à assurer que les principes de justice fondamentale, qui ont pour rôle de garantir qu'une décision se fonde sur les faits, ont d'une certaine manière été respectés, qu'il y ait eu ou non une audition personnelle com- plète ... Au contraire, les conséquences de l'article 20 s'appli- quent automatiquement et l'examen, auquel il est possible d'avoir recours en vertu de l'article 20, est, en vertu de la politique de la Commission nationale des libérations condition- nelles, un examen du dossier et il est tout à fait incapable de fournir les protections appropriées en matière de procédure. Et, bien sûr, comme on l'a souligné plus haut, une décision de réattribuer une réduction de peine ne sera de toute façon rendue que dans des circonstances exceptionnelles.
31. Le requérant demande à la Cour de statuer que la perte de son crédit de 611 jours de réduction de peine méritée sous le régime de l'article 20 de la Loi sur la libération conditionnelle
de détenus ne respectait pas les principes de justice fondamen- tale quant à la procédure, comme l'a conclu la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Re Glen Howard [A-1041-83, jugement prononcé le lef mars 1985.]
33. Le requérant allègue que pour faire un examen sur le fond en vertu de l'article 7, il n'est pas et ne devrait pas être nécessaire d'examiner minutieusement le bien-fondé du prin- cipe général de la disposition législative. Il n'est ni nécessaire ni approprié de recourir dans un examen d'ordre constitutionnel au redoutable principe du «Lochnerisme». En ce qui concerne l'article 20 de la Loi sur la libération conditionnelle de déte- nus, même si le requérant demandait à la Cour (ce qu'il ne fait pas) de statuer que cet article est inopérant pour raison d'in- compatibilité, dans ce cas, tout comme c'est le cas en l'espèce, on constaterait que cette incompatibilité réside dans la contra diction entre les effets des dispositions législatives et les princi- pes généraux de justice fondamentale comme la proportionna- lité et la responsabilité pénale. La Charte exige que les dispositions législatives, qu'elles soient justifiées ou non sur le plan des principes (ce qui fait souvent l'objet d'un débat public continu), ne doivent pas être fondamentalement injustes quant à leur effet sur la vie et la liberté des individus et leur sécurité personnelle, en l'absence d'une preuve sous le régime de l'article 1 montrant que l'effet en question est la conséquence d'une limite raisonnable et justifiable apportée aux droits des individus.
34. Le requérant soutient en outre que l'interprétation de l'article 7 proposée en l'espèce selon laquelle cet article a l'aspect d'une règle de fond, signifie que les cours peuvent statuer que des lois particulières violent l'article 7 parce que dans certains cas elles produisent des résultats qui sont fonda- mentalement injustes. Cela ne veut toutefois pas dire que les principes permettant de statuer qu'une loi contrevient à l'article 7 ou de suspendre les effets d'une disposition législative dans un cas particulier comportent une évaluation normative de la politique sous-jacente à la loi particulière comme telle ou de la conception politique qui peut avoir inspiré l'adoption des dispo sitions législatives en cause ... Si une politique particulière ne peut être exprimée dans une loi dont les répercussions sur les personnes sont «en conformité avec les principes de justice fondamentale», un examen en vertu de la Charte aura pour effet d'empêcher la mise en application de cette politique. Cependant, le principe permettant d'empêcher la mise à exécu- tion de cette politique par l'application de la loi dans un cas particulier comme celui-ci trouvera son fondement dans l'inter- prétation par les tribunaux des exigences des «principes de justice fondamentale» et dans un jugement déterminant si on a satisfait à celles-ci dans le cas de l'application de la loi en cause, de ses effets dans des cas particuliers, et non dans un jugement à caractère politique concernant les avantages du but qu'on cherchait à atteindre.
35. La Cour n'a été saisie d'aucune preuve ni d'aucun argument portant que l'article 20 de la Loi sur la libération condition- nelle de détenus constituait, quant au droit du requérant à la liberté, une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer...
36. Le requérant soutient que l'absence de protections adéqua- tes en matière de procédure sous le régime de l'article 20 ne peut se justifier étant donné l'importance du droit en jeu ... et le fait qu'il n'est pas nécessaire que la décision soit rendue immédiatement.
37. Le requérant fait en outre valoir que la prolongation de son incarcération, qui découle de l'article 20 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus comme conséquence auto- matique de la révocation, n'est ni raisonnable ni justifiable dans ce cas parce que:
a) le requérant a été incarcéré en vertu d'une peine consécutive de 27 mois qui lui a été imposée le 14 juillet 1982 et, par conséquent, n'a pas été admissible à une libération conditionnelle pendant une période d'au moins 18 mois; la protection du public ne nécessitait donc pas la révocation de sa libération et il n'existait aucun risque de violation des conditions de la libération, le requérant étant détenu sous surveillance étroite en vertu de la peine consécutive;
b) la prolongation de son incarcération qui a découlé de la révocation n'est pas «raisonnable» parce qu'elle n'était que la conséquence de la réduction de peine méritée en vertu des peines antérieures et il n'y avait donc aucun lien logique entre le fondement de la condamnation pour la nouvelle infraction et la prolongation de son incarcération sous sur veillance étroite;
c) en déterminant les peines pour les infractions les plus récentes, le juge pouvait, à sa discrétion, tenir compte du dossier antérieur du requérant dans la mesure cela était justifié par les principes ordinaires de détermination des peines; l'aggravation de la peine imposée automatiquement par l'article 20 lorsqu'il y a révocation, en plus de la peine imposée au moment du prononcé de la sentence, n'est pas raisonnable et ne sert aucun objectif social de bonne foi qui n'a déjà été atteint par d'autres moyens plus justes et plus appropriés.
La contestation porte principalement sur l'article 20 de la Loi sur la libération condition- nelle de détenus. Il faut l'interpréter en se rappe- lant qu'en vertu du paragraphe 15(2), la «libéra- tion conditionnelle» comprend la «libération sous surveillance obligatoire». Le requérant ne demande pas que cet article soit déclaré inopérant. Il cher- che simplement à obtenir un redressement contre l'effet inconstitutionnel dudit article à son égard.
Si la Cour statue que l'application de l'article 20 porte atteinte au droit du requérant à la liberté et à la sécurité de sa personne en violation des princi- pes de justice fondamentale, elle doit lui accorder un redressement. Compte tenu de l'article 52 de la Constitution et de l'article 24 de la Charte, il faut, quelle que soit la conséquence, faire respecter les impératifs d'ordre constitutionnel.
La question de la proportionnalité a déjà été examinée en l'espèce quant à l'effet de la révoca- tion de la libération sous surveillance obligatoire. Après avoir été admis à la libération sous surveil lance obligatoire, comme c'était son droit en vertu de la loi, le requérant a commis les infractions d'introduction par effraction et de vol ainsi que de
voies de fait sur un agent de la paix. En adoptant les dispositions pertinentes de la Loi sur la libéra- tion conditionnelle de détenus, le législateur a offert un avantage conditionnel aux détenus: ceux-ci ne sont pas obligés de purger la totalité de la peine d'emprisonnement appropriée qui leur a été imposée à condition qu'ils s'abstiennent de commettre d'autres crimes en gardant la paix et en se comportant bien. S'ils se conforment à cette condition raisonnable, on considère que le reste de leur peine d'emprisonnement est purgé à l'exté- rieur d'un établissement carcéral. C'est un avan- tage auquel ils n'auraient pas droit autrement parce que cela les dispense de purger la totalité de la peine qui leur a été à juste titre imposée par une cour compétente de juridiction criminelle. Étant donné que la Charte vise avant tout à garantir les droits et libertés, la Cour ne pourrait pas se préoc- cuper de la proportionnalité si le législateur devait accorder aux individus le droit de ne pas être incarcérés s'ils commettaient d'autres actes crimi- nels. Cela accorderait une plus grande liberté, mais il n'est pas nécessaire pour le législateur de réduire autant les peines imposées antérieurement et il ne l'a pas fait.
En appliquant l'article 7 de la Charte, la Cour doit empêcher les conséquences légales qui portent atteinte au droit à la liberté des individus et à la protection de leur personne en violation des princi- pes de justice fondamentale. Suivant leur sens ordinaire, l'article 20 et les dispositions connexes de la Loi sur la libération conditionnelle de déte- nus n'ont pas un tel effet.
En l'espèce, aucune preuve directe ni aucune implication pertinente n'indiquent qu'on a porté atteinte, sur le plan de la procédure, aux droits du requérant à la justice fondamentale reconnus par la Loi sur la libération conditionnelle de détenus. La tenue d'une audition postérieure à la suspen sion était nécessaire avant la révocation et rien ne laisse entendre qu'on a empêché d'une manière ou d'une autre le requérant d'y présenter les argu ments qu'il pouvait avoir. Il pouvait certainement chercher à persuader la Commission de lui réattri- buer, conformément au paragraphe 20(3) de la Loi, tout ou partie de la réduction de peine qu'il avait perdue. Suivant l'article 20.1 du Règlement [Règlement sur la libération conditionnelle de
détenus, DORS/78-428 (mod. par DORS/81-318, art. 1)], il avait droit d'obtenir à l'audience l'aide et l'assistance d'une personne, y compris celle d'un avocat. Il n'existe aucune preuve que le requérant a été privé d'une audition juste et équitable au sens de cette expression ou quant aux divers aspects d'une telle audition.
Après tout, il n'appartient pas à la Commission nationale des libérations conditionnelles d'atténuer ou d'écarter le fait que la cour criminelle a reconnu le requérant coupable des infractions cri- minelles d'introduction par effraction, de vol et de voies de fait sur un agent de la paix. La Commis sion n'a rien fait de contraire à la justice fonda- mentale en se fondant sur les violations de la condition essentielle de la libération sous surveil lance obligatoire, violations qui découlaient essen- tiellement de la perpétration de ces infractions. Il serait évidemment tout à fait exagéré que la Com mission puisse appliquer la Loi pour révoquer une libération en raison d'une infraction consistant, par exemple, à rouler à bicyclette sur un trottoir, mais c'est loin d'être le cas en l'espèce. Le comporte- ment criminel du requérant en l'espèce violait gravement une condition de sa libération sous sur veillance obligatoire, et c'est lui et non la Commis sion qui a choisi le moment de son inconduite.
L'article 7 de la Charte se limite-t-il à établir des normes en matière de procédure? Dans l'arrêt Latham c. Solliciteur général du Canada, [1984] 2 C.F. 734; 9 D.L.R. (4th) 393 (1"° inst.), le juge Strayer de cette Cour a examiné l'argument selon lequel l'article 20 de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus est, quant à ses disposi tions de fond, contraire aux principes de justice fondamentale et, par conséquent, à l'article 7 de la Charte. Voici ce qu'il a écrit sur cette question (aux pages 750 et 751 C.F.; à la page 405 D.L.R.):
Je ne connais aucune jurisprudence qui me lie quant à cette interprétation de l'article 7 de la Charte, et je la rejette. Il ressort de l'historique de l'article 7 qu'il vise à garantir unique- ment la justice ou l'équité sur le plan de la procédure. Le texte peut-être plus large de la disposition comparable figurant dans la Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, alinéa 1 a), qui faisait mention de «l'application régulière de la loi», a, à l'évidence, été délibérément évité. Le langage utilisé à l'alinéa 2e) de la Déclaration, qui parlait de «justice fonda- mentale», a plutôt été employé. La Cour suprême (Duke c. La Reine, [1972] R.C.S. 917, à la p. 923) a interprété cette expression comme ayant un contenu procédural, et on peut supposer que la Charte a ultérieurement employé cette expres sion dans ce sens. En fait, donner à cette expression un contenu
de fond laisserait entendre que les corps législatifs et les gouvernements qui ont adopté la Charte étaient disposés à laisser aux tribunaux le soin de trancher initialement les ques tions telles que l'opportunité de l'avortement ou de la peine capitale, ou la durée appropriée des peines d'emprisonnement. C'est autant lancer un défi à l'histoire.
Par conséquent, si l'article 7 de la Charte se limite au contenu procédural déterminé par le juge Strayer, il devient évident que le requérant n'a pas fait valoir une plainte valide à cet égard.
Dans une décision récente de la Division d'appel de cette Cour, Howard c. Établissement Stony Mountain, [1984] 2 C.F. 642, le juge en chef Thurlow, aux motifs duquel le juge Pratte a sous- crit, a dit la page 661]:
Au surplus, bien qu'en l'espèce le débat ait été centré sur le sens et l'effet des mots «en conformité avec les principes de justice fondamentale. comme garantie du respect des normes en matière de procédure, je n'exclus toutefois pas la possibilité que ces mots puissent également viser ou inclure des normes de fond.
Même si on peut qualifier cet extrait d'opinion incidente dans les circonstances, il laisse entendre l'existence d'un contenu de fond dans les mots de l'article 7.
Il semble que la Cour suprême du Canada ait franchi l'étape de l'application quant au fond des dispositions de l'article 7 dans une décision encore plus récente Singh et autres c. Ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration, [ 1985] I R.C.S. 177. Dans cette affaire, les six juges de la Cour qui ont rendu le jugement étaient également partagés pour déterminer s'il fallait appliquer l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits ou l'article 7 de la Charte, mais ils en sont finalement venus à la même conclusion. Dans le deuxième groupe, madame le juge Wilson a déclaré la page 201] dans ses motifs auxquels souscrivaient le juge en chef Dickson et le juge Lamer:
Si je comprends bien, les appelants prétendent essentielle- ment qu'ils n'ont pas eu vraiment la possibilité de présenter leurs revendications de statut de réfugié ni de savoir ce qu'ils devaient établir. Je ne crois pas qu'on puisse laisser entendre que la procédure énoncée dans la Loi sur l'immigration de 1976 n'a pas été suivie correctement quand on a statué sur leurs revendications. Je ne pense pas non plus qu'on puisse interpré- ter les dispositions pertinentes de la Loi sur l'immigration de 1976 de manière à exiger un degré de justice naturelle ou d'équité en matière de procédure qui soit beaucoup plus élevé que celui mentionné dans l'analyse qui précède. Les termes mêmes de la Loi semblent s'y opposer. Donc, pour avoir gain de
cause, les appelants doivent, à mon avis, démontrer que la Charte exige que la Cour passe outre à la décision du législa- teur d'exclure le genre d'équité en matière de procédure que demandent les appelants.
En . fin de compte, les appelants ont eu gain de cause malgré la différente manière d'examiner leur situation suivie par les deux groupes égaux de juges de la Cour suprême.
La Charte exige-t-elle que la Cour passe outre à la décision du législateur d'accorder le privilège révocable d'une libération sous surveillance obliga- toire aux détenus qui en violent les conditions? Certainement pas. Aucune loi du Parlement ni aucun organisme de l'État agissant sur le fonde- ment de celle-ci n'a placé le requérant dans une situation de double incrimination. Il ressort de la nature même des dispositions de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus que le détenu qui, par son comportement criminel, contrevient aux conditions de la réduction de peine qui lui a été accordée peut dès lors être obligé d'assumer toutes les conséquences de la situation de danger initiale et réelle dans laquelle il s'est lui-même placé. La disposition prévoyant la perte de la réduction de peine qui aurait entraîné une liberté restreinte ne viole, compte tenu des circonstances, aucun principe de justice fondamentale. La perte brusque par le requérant de son espoir de ne pas avoir à purger la totalité de la peine d'emprisonne- ment qui lui avait été légalement et adéquatement imposée est une conséquence qu'il ne peut repro- cher qu'à lui-même.
Le législateur a prévu au paragraphe 20(3) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus un moyen d'atténuer la conséquence fondamentale- ment juste mais sévère qui découle du comporte- ment du requérant. La Commission nationale des libérations conditionnelles conserve le pouvoir dis- crétionnaire de réattribuer les réductions de peine dans les cas appropriés. Elle n'utilise ce pouvoir que rarement, mais cela ne vient pas appuyer l'argumentation du requérant même s'il est conce- vable que cela puisse lui être utile. Le paragraphe 20(3) n'est pas essentiel pour que le texte de la Loi résiste à l'application d'un critère de fond en vertu de l'article 7 de la Charte, mais il permet dans une certaine mesure de franchir l'obstacle tout en gar- dant une certaine marge de manoeuvre.
Il y a certes eu atteinte à la liberté restreinte du requérant, mais ce en conformité avec les principes de justice fondamentale. Par conséquent, si on applique l'article 7 de la Charte en tenant compte du fond et de la procédure, on constate que la révocation de la libération sous surveillance obliga- toire du requérant en l'espèce n'a pas violé cette disposition.
L'examen susmentionné de la preuve et des arguments des avocats indique clairement que les limites apportées par la Loi sur la libération con- ditionnelle de détenus à la liberté restreinte du requérant dans ces circonstances ont une justifica tion qui peut se démontrer dans le cadre de toute société libre et démocratique. Ces limites ont une justification objective.
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