Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-1757-83
La Reine (appelante) (défenderesse) c.
CAE Industries Ltd. et CAE Aircraft Ltd. (inti- mées) (demanderesses)
Cour d'appel, juges Pratte, Urie et Stone-Winni- peg, 18, 19, 20, 21 et 22 février; Ottawa, 3 juillet 1985.
Couronne - Contrats - Appel est interjeté d'un jugement de première instance statuant qu'une lettre signée par des ministres de la Couronne et fournissant des assurances consti- tuait un contrat - Cette lettre porte que le ministère de la Production de défense ne saurait garantir plus de 40 000 â 50 000 heures-travail directes par an, mais que le gouverne- ment du Canada s'emploiera ..de son mieux. à obtenir du travail supplémentaire - L'exécution partielle indique l'in- tention de contracter - Le contrat n'est pas si incomplet qu'il ne peut être mis à exécution - Il prévoit tout ce qui devait être déterminé - Le fait qu'il sera nécessaire de conclure des marchés de service individuels pour la réparation et la révision des avions ne porte pas atteinte aux engagements de »réserver, des travaux et de s'employer »de son mieux» à fournir ceux-ci - Après leur acceptation, les ..assurances. sont devenues des engagements obligatoires - Interprétation des expressions »réservés, et »de son mieux» - Explication de l'arrêt Ver- reault (J. E.) & Fils Ltée c. Le procureur général (Québec), /19771 / R.C.S. 41 - Un ministre de la Couronne est habilité à lier la Couronne par contrat à moins que ce pouvoir ne soit restreint par une loi - L'objet du contrat relève des compéten- ces générales des ministres - Le Cabinet a autorisé la signa ture de la lettre - Aucune disposition législative ne restreint le pouvoir des ministres de lier la Couronne - Le Règlement ne constituait pas un obstacle à l'exécution du contrat comme l'indiquent son exécution partielle et la souplesse que revêt le Règlement - La preuve étaye la conclusion d'inexécution de contrat à laquelle est arrivé le juge de première instance - Aucune erreur dans l'évaluation des dommages-intérêts accor dés pour le manque à gagner - Le juge de première instance a commis une erreur en retenant le témoignage de l'estimateur de l'intimée - Les fondements factuels supportant les hypo- thèses sont trop ténus et trop hypothétiques - En modifiant l'intérêt après jugement le juge de première instance a agi dans les limites du pouvoir qui lui est conféré par l'art. 40 de la Loi sur la Cour fédérale - Loi sur la production de défense, S.R.C. 1952, chap. 62, art. 1, 3, 9, 15, 17 (mod. par S.C. 1967-68, chap. 27, art. 1) - Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1952, chap. 2, art. 2, 3 - Loi sur le ministère du Commerce, S.R.C. 1952, chap. 78, art. 2, 3, 5 - Règlement sur les marchés de l'État, DORS/64-390, art. 2(1)c)(iii), 6, 14 (mod. par DORS/68-89, art. I) - Loi sur l'administration finan- cière, S.R.C. 1952, chap. 116, art. 39 - Loi sur l'intérêt, S.R.C. 1970, chap. I-18, art. 13 - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 40 - Loi sur le ministère des Approvisionnements et Services, S.R.C. 1970, chap. S-18, art. 3 - Loi de 1969 sur l'organisation du gouvernement, S.C. 1968-69, chap. 28, art. 103 - Loi sur le ministère des Transports, S.R.C. 1952, chap. 79, art. 3 - Loi sur la responsabilité de la Couronne, S.R.C. 1970, chap. C-38.
Pratique Dépens Appel interjeté du refus du juge de première instance d'augmenter les frais entre parties au-delà de ce qui est prévu au tarif B Le juge de première instance a bien exercé son pouvoir discrétionnaire Appel rejeté Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 344, tarif B.
Pratique Parties Les intimées sont-elles parties au contrat en litige? Cession en equity Substitut accepté par les deux parties Les intimées possèdent un intérêt suffisant pour justifier les causes d'action.
Appel est interjeté d'un jugement de première instance qui a donné gain de cause aux intimées dans une action pour inexécu- tion de contrat.
Un fonctionnaire du gouvernement est entré en contact avec CAE Industries Ltd. (CAE) pour que cette dernière prenne en charge l'exploitation des installations d'Air Canada à Winnipeg par l'intermédiaire de sa filiale Northwest Industries Ltd. (Northwest). Northwest s'est montrée intéressée à prendre en charge les installations à condition que le gouvernement accepte de lui fournir une quantité minimale de travail (300 000 heures de production par an). Il a été précisé qu'une telle demande n'était pas compatible avec la politique gouvernementale de soumissions obtenues sur une base de concurrence qui s'appli- quait alors. Cependant, une lettre datée du 26 mars 1969 et signée par le ministre des Transports, le ministre du Commerce et le ministre de la Production de défense a été envoyée au président de CAE. Cette lettre exposait les conditions du contrat qui aurait été conclu. Elle fournissait notamment les assurances suivantes: 1) le gouvernement du Canada souscrivait à l'objectif voulant que les niveaux d'emploi devaient être maintenus; 2) il reconnaissait aussi que 700 000 heures-travail directes par an constituaient un objectif réaliste si on voulait faire de l'exploitation de ces installations une entreprise viable; 3) le ministère de la Production de défense ne pouvait garantir plus de 40 000 50 000 heures-travail directes par an, mais le gouvernement du Canada s'emploierait de son mieux à obtenir le travail supplémentaire nécessaire afin de respecter l'objectif de 700 000 heures-travail directes. Se fondant sur ces assuran ces, CAE a décidé que sa filiale achèterait la base de Winnipeg. Des arrangements ont été conclus en septembre 1969. Les choses allèrent bien jusqu'en 1971 lorsque la charge de travail a commencé à diminuer. Lorsque l'appelante a fait défaut de se conformer aux engagements contenus dans la lettre du 26 mars, les intimées ont intenté une action pour inexécution de contrat.
L'appelante allègue 1) que la Couronne n'avait pas l'inten- tion de conclure un contrat; 2) que le document est si vague ou incomplet qu'il ne peut être mis à exécution; 3) que s'il n'est pas trop vague, il ne peut être mis à exécution parce qu'il ne lie pas l'appelante; 4) que s'il lie l'appelante, il n'y a pas eu inexécution du contrat, et 5) que le juge de première instance a commis une erreur en évaluant les dommages-intérêts. Les intimées soutien- nent dans leur appel incident que le montant des dommages- intérêts aurait être plus élevé.
Une question préliminaire a été soulevée au sujet de l'identité des parties. Jusqu'au début de 1969, Northwest était considérée dans les négociations comme l'acheteur et l'exploitant de la base. L'appelante soutient que c'est Northwest qui est devenue l'autre partie au contrat et que ni l'une ni l'autre des intimées n'y sont parties. Les intimées allèguent qu'elles sont les parties en cause parce que la lettre du 26 mars était adressée à CAE
Industries Ltd. et que CAE Aircraft Ltd. est devenue acheteur et exploitant de la base de Winnipeg sur l'ordre de sa compa- gnie mère et au su du gouvernement. Elles font valoir que tous les droits que Northwest peut avoir possédés ont été conférés à CAE Aircraft Ltd. par voie d'une cession en equity.
Arrêt (le juge Pratte dissident): l'appel devrait être rejeté.
Le juge Stone: Il importe peu que l'entente ait été conclue avec la compagnie mère ou une filiale. On considérait que les compagnies du groupe CAE étaient habilitées à acheter et à exploiter la base. Le contrat, s'il existe, a été conclu avec CAE Industries Ltd., mais les deux parties ont considéré que CAE Aircraft Ltd. était un substitut valable. Le juge de première instance a statué à juste titre que la preuve confirme la transmission à CAE Aircraft Ltd. de tout intérêt que North west peut avoir acquis dans le contrat. Il a eu également raison de juger que les intimées possédaient un intérêt suffisant pour justifier les causes d'action alléguées.
Un contrat ne peut être conclu que s'il existe une intention de contracter. Mais l'intention de conclure un contrat peut se déduire des circonstances. Dans un cas de ce genre, le fardeau de la preuve dont est chargée la personne qui affirme qu'on ne voulait produire aucun effet est lourd. On ne s'est pas acquitté de cette obligation en l'espèce. Le gouvernement a lui-même pris l'initiative de trouver un acheteur dans le secteur privé et il a fait des démarches auprès de l'intimée à cet égard. Les parties ont considéré que le document constituait un contrat les liant dans la mesure il a été partiellement exécuté. Il existait une intention de conclure un contrat.
Le contrat n'est pas si incomplet qu'il ne peut être mis à exécution. Il prévoit tout ce qui devait être déterminé entre les parties. Le fait qu'il serait nécessaire de conclure des marchés de service individuels pour l'exécution de travaux de réparation et de révision des avions ne portait pas atteinte à l'engagement principal de «réserver» des travaux de réparation et de révision et de s'employer «de son mieux» à fournir d'autres travaux de ce genre. Les «assurances» étaient, après acceptation, censées devenir et sont devenues des engagements obligatoires. Le juge de première instance a conclu à juste titre que les travaux «réservés» constituaient une «garantie sans réserve» et que l'ap- pelante était forcée d'exécuter cette partie de la convention même s'il lui était nécessaire pour cela «d'enlever des comman- des à d'autres». Le gouvernement s'était engagé dans l'entente à faire «de son mieux» pour obtenir du travail additionnel. Si on interprète cette expression à la lumière du contrat, des parties contractantes et de son objectif, on constate qu'elle a créé l'obligation générale de fournir des travaux jusqu'à concurrence de la limite indiquée. Cela ne signifiait pas que le gouverne- ment se voyait obligé de ne pas tenir compte des obligations contractuelles existantes ni de l'intérêt public.
Le juge de première instance a statué que le contrat liait l'appelante parce qu'il avait été signé par trois ministres qui ou bien étaient réellement habilités en vertu d'un certain nombre de lois fédérales à lier la Couronne ou bien possédaient le pouvoir de le faire suivant le principe énoncé dans l'arrêt Verreault (J. E.) & Fils Liée c. Le procureur général (Québec), [1977] 1 R.C.S. 41. L'appelante a soutenu que la Couronne ne pouvait être liée par contrat que s'il existait un pouvoir à cette fin dans une loi ou dans un décret. On a fait valoir que les pouvoirs légaux de «gestion» et de «direction» ne vont pas jusqu'à autoriser la signature d'un contrat de ce genre.
Les décisions rendues avant celle de l'arrêt Verreault vien- nent appuyer le principe général voulant que, lorsqu'une loi réglemente le pouvoir de contracter, un contrat ne peut lier la Couronne que si les exigences de la loi sont remplies. Dans la décision qu'elle a rendue dans l'arrêt Verreault, la Cour suprême du Canada voulait déroger à la prudence juridique en matière de contrat en statuant que suivant les règles générales du mandat, et notamment celles concernant le mandat appa rent, un ministre de la Couronne est habilité, en sa qualité de chef d'un ministère, à lier la Couronne par contrat à moins que ce pouvoir ne soit restreint par la loi. L'objet de ce contrat tombait dans le champ des responsabilités générales des minis- tres dont les ministères constitueraient la source des travaux qui sont visés au contrat. Même si seulement trois ministres ont signé la lettre, le Cabinet les avait autorisés à le faire. Il appert que l'intention du gouvernement était de se lier par contrat.
La Loi sur l'aéronautique, la Loi sur le ministère du Com merce et la Loi sur la production de défense ne restreignaient pas le pouvoir des ministres de signer la lettre. L'alinéa 17(1)d) de la Loi sur la production de défense prévoit que le Ministre ne peut conclure aucun contrat sauf en conformité des règle- ments établis sous le régime de la Loi sur l'administration financière qui s'appliquent au contrat. Cette restriction est inapplicable étant donné que le règlement adopté en vertu de cette Loi s'applique seulement à un «marché de service».
Le Règlement sur les marchés de l'État n'empêche pas les parties de donner suite à leur intention de s'engager. L'exécu- tion des travaux était assujettie aux exigences de ce règlement. Dans la mesure il concerne les «marchés de service», le Règlement revêt une certaine souplesse qui aurait permis au gouvernement, par l'intermédiaire de ses ministres, et si néces- saire, du Conseil du Trésor, de fournir le travail indiqué dans le contrat sans qu'il soit nécessaire de faire des appels d'offres ou de tenir compte des limites d'ordre financier. L'appelante est liée par le contrat.
La preuve est venue étayer la position du juge de première instance qui a conclu que les obligations de fournir du travail «réservé» et de faire «de son mieux» n'avaient pas été entière- ment satisfaites et qu'il y avait eu inexécution du contrat.
Le juge de première instance a évalué les dommages-intérêts à 1 900 000 $ pour le manque à gagner et à 2 400 000 $ pour la perte de capital. L'appelante allègue que la créance pour perte de capital n'est pas recouvrable parce qu'elle est trop indirecte et incertaine. L'appelante soutient également que les sommes accordées étaient excessives. Le juge de première instance n'a pas commis d'erreur de principe en accordant des dommages- intérêts pour le manque à gagner ni en réduisant leur montant. Pour ce qui est de la perte de capital, le juge de première instance a retenu l'évaluation faite par le témoin des intimées. Il est possible que le juge de première instance ait commis une erreur quant à la qualité de la preuve soumise à l'appui de certaines hypothèses sous-jacentes faites par le témoin. Les faits servant de fondement aux hypothèses de l'estimateur étaient trop ténus et trop hypothétiques pour que l'opinion de ce dernier puisse servir de preuve. L'appel devrait être accueilli sur ce point et les dommages-intérêts devraient être réduits en conséquence.
L'appelante conteste les taux d'intérêt accordés. Le juge de première instance s'est appuyé sur l'affaire Domestic Conver ters Corporation c. Arctic Steamship Line, [1984] 1 C.F. 211;
(1983), 46 N.R. 195 (C.A.), pour accorder pour la période postérieure au jugement un intérêt autre que celui de 5 % prévu à l'article 3 de la Loi sur l'intérêt. Cette affaire a tranché la question du pouvoir conféré à la Cour par l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale et la Cour n'était pas disposée à réexami- ner cette question.
Le juge de première instance a refusé d'augmenter les frais entre parties au-delà de ce qui est prévu au tarif B. Suivant la Règle 344, le tarif s'applique. Le juge de première instance a bien présenté la question en exerçant sa discrétion.
Le juge Urie: Quand les conditions d'un contrat ont pour l'essentiel été respectées pendant un certain temps, ce n'est que lorsque la preuve est claire et indubitable que l'on peut conclure que les parties n'avaient pas l'intention de contracter et qu'en fait, elles n'ont pas conclu de contrat. La preuve montre clairement et indubitablement que les parties avaient l'intention de conclure et ont conclu un contrat qui les liait.
Le juge Pratte (dissident): Contrairement à ce que soutient l'appelante, les circonstances n'indiquent pas une intention de conclure un arrangement politique plutôt qu'un contrat.
Il est étonnant, compte tenu de l'importance de l'affaire, que les parties n'aient pas donné une forme officielle à leur conven tion. La lettre n'a pas été écrite pour faire une offre mais pour donner des assurances. Même si certaines de ces assurances indiquent une identité de vues et d'objectifs, elles n'ont mani- festement aucun caractère contractuel.
La Division de première instance a commis une erreur en concluant à l'existence d'une garantie d'au moins 40 000 heu- res-travail de travaux «réservés». La lettre portait que «le ministère de la Production de défense ne saurait garantir plus de 40 000 à 50 000 heures-travail». Il s'agissait d'une simple approximation du nombre maximum d'heures de travaux que le ministère pouvait garantir et non d'une détermination du nombre minimum que le ministère offrait de garantir.
L'engagement à faire «de son mieux» ne revêtait pas le caractère certain exigé d'une promesse contractuelle parce qu'il était limité par l'obligation première du gouvernement d'agir dans l'intérêt public. Le gouvernement ne pouvait avoir l'inten- tion de s'obliger à faire des choses préjudiciables à l'intérêt public.
Les intimées soutiennent qu'on a admis, au cours de l'interro- gatoire préalable, que chaque ministre avait le pouvoir néces- saire en vertu de la loi pour lier la Couronne en ce qui concerne son propre ministère. Mais il s'agit d'une question de droit qui ne pouvait faire l'objet d'un aveu. En fait, ce qui a été admis c'est que le Cabinet a autorisé les trois ministres à signer et à envoyer la lettre. En l'absence de dispositions législatives contraires, un décret suffit pour conférer le pouvoir de lier la Couronne. Le pouvoir exécutif est confié à la Reine qui agit sur l'avis de ses ministres et exprime ses volontés sous forme de décrets. Une décision du Cabinet n'est pas une décision de la Reine qui n'y a pas pris part. Une simple autorisation du Cabinet ne peut être assimilée à un décret. Aucune loi n'autori- sait les ministres à conclure le contrat. La Loi sur la production de défense autorisait le Ministre à conclure des contrats pour la réparation et l'entretien des approvisionnements de défense (y compris les avions). La Loi sur l'aéronautique imposait au ministre des Transports l'obligation «de contrôler et d'adminis- trer» tous les avions civils «nécessaires à la direction des services
de Sa Majesté». Le contrat dont il s'agit en l'espèce n'était ni un contrat pour l'entretien d'avions du gouvernement ni un contrat par lequel le ministre des Transports exerçait son pouvoir de contrôle et d'administration sur les avions civils utilisés par le gouvernement. Il s'agissait d'un contrat qui prévoyait que les contrats d'entretien d'avions seraient négociés avec les compagnies CAE. Ce contrat, qui ne pouvait avoir aucune répercussion immédiate sur la réparation et l'entretien des avions, aurait été conclu dans le seul but d'empêcher la fermeture de la base d'Air Canada à Winnipeg. La Loi sur le ministère du Commerce ne décrivait pas la sphère des activités gouvernementales qui avaient été attribuées à ce Ministère.
La décision rendue dans l'arrêt Verreault n'aide pas la cause des intimées car elle supporte la proposition voulant que, en l'absence de dispositions législatives contraires, il n'est pas nécessaire qu'un ministre soit expressément autorisé par une loi ou un décret à conclure un contrat au nom de la Couronne, à condition que ledit contrat concerne directement la sphère des activités gouvernementales assignées à son ministère. Le con- trat en question ne concernait pas directement la sphère d'acti- vités des trois ministères visés. Le Règlement sur les marchés de l'État prévoyait que, avant de conclure un marché de service, un ministre devait solliciter des soumissions. Bien que le contrat invoqué ne constituait pas un marché de service, il prévoyait que des marchés de service seraient conclus et son exécution exigeait que ces marchés de service soient accordés sans tenir compte du Règlement. En l'absence d'une disposition législative prévoyant expressément le contraire, le pouvoir d'un ministre de conclure un contrat au nom de la Couronne est soumis aux restrictions qui lui sont imposées par la loi et les règlements. Les trois ministres n'étaient pas habilités à conclure un contrat qui contreviendrait au Règlement sur les marchés de l'État.
Est indéfendable la prétention suivant laquelle si la Cour devait conclure qu'il n'existait aucune convention valide et exécutoire, elle devrait statuer que l'appelante était responsable envers les intimées en raison des déclarations fausses et négli- gentes contenues dans la lettre du 26 mars. La lettre ne contenait aucune fausse déclaration qui pouvait donner lieu à une responsabilité délictuelle. Même si un délit avait été commis, il n'existe aucune preuve indiquant que les intimées ont subi des dommages en conséquence de celui-ci.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Attorney -General for British-Columbia v. Esquimalt and Nanaimo Railway Company, [1950] A.C. 87 (P.C.); Lindsey v. Heron & Co. (1921), 64 D.L.R. 92 (C.A. Ont.); Kelly v. Watson (1921), 61 R.C.S. 482; Hillas and Co. Limited v. Arcos Limited (1932), 147 L.T. 503 (H.L.); Marquest Industries Ltd. v. Willows Poultry Farms Ltd. (1969), 66 W.W.R. 477 (C.A.C.-B.); May and Butcher, Ltd. v. R., [1929] All E.R. Rep. 679 (H.L.); Murphy v. McSorley, [ 1929] R.C.S. 542; Sheffield Dis trict Railway Company v. Great Central Railway Com pany (1911), 27 T.L.R. 451 (Rail and Canal Corn.); Verreault (J. E.) & Fils Ltée c. Le procureur général (Québec), [1977] I R.C.S. 41; Town Investments Ltd. v. Department of the Environment, [1978] A.C. 359 (H.L.); British Westinghouse Electric and Manufacturing Com-
pany v. Underground Electric Railways Company of London, [1912] A.C. 673 (H.L.); Penvidic Contracting Co. Ltd. c. International Nickel Co. of Canada Ltd., [1976] 1 R.C.S. 267; Wood v. Grand Valley Railway Co. et al. (1915), 51 R.C.S. 283; Domestic Converters Cor poration c. Arctic Steamship Line, [1984] 1 C.F. 211; (1983), 46 N.R. 195 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Joy Oil v. The King, [1951] R.C.S. 624; 3 D.L.R. 582; Meates v Attorney-General, [1979] 1 NZLR 415 (S.C.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
The King v. McCarthy (1919), 18 R.C.É. 410; The Quebec Skating Club v. The Queen (1893), 3 R.C.E. 387; Wood v. The Queen (1877), 7 R.C.S. 634; Drew, Aileen M. v. The Queen, [1956-1960] R.C.E. 339; Walsh Advertising Co. Ltd. v. The Queen, [1962] R.C.E. 115; Jacques-Cartier Bank v. The Queen (1895), 25 R.C.S. 84; The King v. Vancouver Lumber Co. (1914), 41 D.L.R. 617 C. de l'E; R. c. Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 C.F. 159 (C.A.); Mackay v. Attorney-General for British Columbia, [1922] 1 A.C. 457 (P.C.); Livings- ton vs The King (1919), 19 R.C.E. 321; State of New South Wales v. Bardolph (1933-1934), 52 C.L.R. 455 (Aust. H.C.); Cudgen Rutile (No. 2) Pty. Ltd. v. Chalk, [1975] A.C. 520 (P.C.); Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341; 156 E.R. 145; Victoria Laundry (Windsor), Ld. v. Newman Industries Ld., Coulson & Co., Ld. (Third Parties), [1949] 2 K.B. 528 (C.A.); Czarnikow (C.) Ltd. v. Koufos, [ 1969] 1 A.C. 350 (H.L.); Freedhoff v. Poma- lift Industries Ltd. et al., [1971] 2 O.R. 773 (C.A.); Midway Mfg. Co. c. Bernstein, [1983] 1 C.F. 510 (1re inst.).
DÉCISIONS CITÉES:
Brandt's (William) Sons & Co. v. Dunlop Rubber Com pany, [1905] A.C. 454 (H.L.); Rose and Frank Co. v. Crompton and Brothers, [1923] 2 K.B. 261 (CA.); Edwards v. Skyways Ltd., [1964] 1 W.L.R. 349 (Q.B.); Bahamas Oil Refining Co. v. Kristiansands Tankrederei AIS and Others and Shell International Marine Ltd. (The «Polyduke»), [1978] 1 Lloyd's Rep. 211 (Q.B.); Province of Quebec v. Province of Ontario (1909), 42 R.C.S. 161; Attorney-General for Ceylon v. A. D. Silva, [1953] A.C. 461 (P.C.); Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S. 335; (1985), 55 N.R. 161; Nance v. British Columbia Electric Ry. Co. Ld., [1951] A.C. 601 (P.C.); Flint v. Lovell, [1935] 1 K.B. 354 (C.A.); South Australia and A.-G. (S.A.) v. Commonwealth (1962), 35 A.L.J.R. 460 (H.C.); Australian Woollen Mills Pty. Ltd. v. The Commonwealth (1954), 92 C.L.R. 424 (Aust. H.C.), confirmée par [1955] 3 All E.R. 711 (P.C.); Milne v. Attorney-General for Tasmania (1956), 95 C.L.R. 460 (Aust. H.C.); Papua and New Guinea Administration v. Leahy (1961), 34 A.L.J.R. 472 (H.C.); Terrell v. Mabie Todd & Coy. Ld. (1952), 69 R.P.C. 234 (Q.B.); Randall v. Peerless Motor Car Co., 99 N.E. 221 (S.C. Mass. 1912)—Chaplin v. Hicks, [1911] 2 K.B. 786 (C.A.).
AVOCATS:
E. A. Bowie, c.r. et B. Mclsaac pour l'appe- lante (défenderesse).
Marc M. Monnin, L. N. Mercury et D. G. Hill pour les intimées (demanderesses).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante (défenderesse).
Aikins, McAuley & Thorvaldson, Winnipeg, pour les intimées (demanderesses).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE (dissident): Appel est interjeté d'un jugement du juge Collier de la Division de première instance [[1983] 2 C.F. 616] dans une action pour inexécution de contrat intentée contre la Couronne par les intimées. Le jugement a donné gain de cause aux intimées. Le juge Collier a conclu que celles-ci avaient conclu avec la Cou- ronne un contrat dont cette dernière n'a pas exé- cuté les conditions; il a donc accordé aux intimées des dommages-intérêts de 4 300 000 $, plus les dépens.
Un appel incident a également été formé contre la même décision. Les intimées soutiennent que le juge de première instance aurait être plus géné- reux dans son évaluation des dommages-intérêts et qu'il a commis une erreur en n'exerçant pas le pouvoir discrétionnaire qui lui permettait d'accor- der des dépens supérieurs à ceux prévus au tarif applicable.
Le juge Collier a bien résumé la série d'événe- ments qui ont abouti aux présentes procédures la page 621]:
Autrefois, les activités d'Air Canada (anciennement T.C.A.) étaient centralisées à Winnipeg. En 1949, on a construit, à Montréal, des ateliers d'exploitation et d'entretien. En 1959, on a parachevé la construction d'ateliers importants et modernes de révision dans cette ville.
En 1962, Air Canada fit connaître son intention de fermer sa base de Winnipeg. Ce qui suscita de véhémentes protestations. La fermeture allait causer probablement la perte de plus de 1 000 emplois qualifiés dans la région de Winnipeg. A cette époque, les principaux travaux de révision et d'entretien effec- tués à la base d'Air Canada à Winnipeg concernaient sa flotte d'appareils Viscount.
Le premier ministre de l'époque, fin 1963 début 1964, déclara que la politique du gouvernement consistait à chercher d'une façon ou d'une autre à maintenir la base de Winnipeg en activité. Une commission royale d'enquête fut constituée et saisie de l'affaire. Elle fit certaines recommandations. Mais les négociations qui suivirent, afin d'en arriver à une solution acceptable pour maintenir ouverte la base de Winnipeg, échouèrent.
Au début d'octobre 1967, Air Canada annonça que sa flotte d'appareils Viscount serait, vers 1970, réduite à un point tel qu'il faudrait fermer la base de Winnipeg. Cette annonce suscita des rencontres entre le ministre fédéral des Transports et la province du Manitoba. Il en résulta ce qui suit (voir pièces P. 150 et 151):
[TRADUCTION] (1) Le ministre des Transports confirmait l'engagement antérieur du premier ministre, mais rappelait que cela ne signifiait pas nécessairement la continuation des opérations d'Air Canada quoique cela requérerait nul doute un appui substantiel d'Air Canada.
(2) On demandait à Air Canada de réexaminer ses besoins en révision d'appareils à la lumière du changement de cir- constances survenu depuis la remise du rapport de la Com mission royale.
(3) Un groupe de travail intergouvernemental était constitué afin d'étudier les solutions diverses proposées.
Plus tard en 1967, un fonctionnaire du ministère de l'Industrie a rencontré M. Reekie, qui était président-directeur général de l'intimée CAE Industries Ltd. (CAE), afin de savoir si la filiale de cette dernière, Northwest Industries Ltd. (Northwest), serait intéressée à prendre en charge l'exploitation des installations d'Air Canada à Winnipeg. Northwest s'occupait de la réparation et de la révision d'avions à Edmonton. M. Reekie s'est montré intéressé et de longues négociations ont suivi avec les fonctionnaires fédéraux et Air Canada.
Dès le départ, Northwest s'est montrée intéres- sée à prendre en charge les ateliers d'Air Canada à Winnipeg à condition que le gouvernement accepte de lui fournir une quantité minimum de travail pour plusieurs années à venir. Par contre, les fonc- tionnaires du gouvernement fédéral ont précisé rapidement au cours des négociations qu'une telle demande n'était pas compatible avec la politique gouvernementale de soumissions obtenues sur une base de concurrence qui s'appliquait alors'.
' Le Règlement sur les marchés de l'État (DORS/64-390, modifié par DORS/68-89, art. 1) imposait aux divers ministè- res l'obligation de solliciter des soumissions avant de conclure des marchés de service.
En janvier 1969, Northwest a présenté [TRA- DUCTION] «à Air Canada un projet d'achat et de prise en charge de l'exploitation de la base d'entre- tien de cette dernière à l'aéroport international de Winnipeg». Ce document stipulait:
[TRADUCTION] Nous devons répéter à nouveau qu'à moins d'un engagement ferme pour un total de 300 000 heures de production par an, jusqu'à 1976, nous ne serons pas intéressés à prendre en charge et à exploiter les installations d'entretien de Winnipeg. Notre projet, donc, est présenté sous la condition suspensive de l'engagement par Air Canada et le gouvernement canadien de fournir 300 000 heures de travail productif annuel- lement, jusqu'en 1976, en sus du travail que générera North west Industries Limited elle-même. Sans cet engagement, nous ne saurions promettre de maintenir un niveau d'emploi compa rable à celui existant, ni ne pouvons-nous prétendre développer une industrie saine et durable au Manitoba.
Le 28 février 1969, le président de CAE, M. Reekie, a écrit à M. E. L. Hewson, directeur de la Direction de la politique en matière de transport et de recherche au ministère des Transports, afin de lui exposer les demandes de CAE:
[TRADUCTION] Nous croyons comprendre qu'Air Canada a informé le gouvernement canadien que, à la suite de l'évalua- tion des projets soumis par les parties intéressées en janvier dernier, la compagnie Northwest Industries Limited est l'entre- preneur qu'elle a choisi pour prendre en charge et exploiter sa base d'entretien à Winnipeg. Nous croyons en outre compren- dre que le gouvernement du Canada souhaite maintenant négo- cier avec l'entrepreneur choisi afin de déterminer les exigences de ce dernier face au gouvernement canadien, exigences qui avaient été exposées d'une manière générale dans le projet susmentionné.
Afin de faciliter la solution de ce problème, nous voulons préciser les engagements que nous demandons au gouvernement du Canada et qui, en corrélation avec les engagements exigés d'Air Canada et les contributions que devra faire Northwest Industries, devraient nous permettre d'atteindre les objectifs de toutes les parties intéressées. Ces objectifs se résument briève- ment à développer à long terme une importante industrie aéronautique au Manitoba et à maintenir un niveau d'emploi comparable à celui existant.
Depuis presque deux ans, nous avons souvent exposé nos exi- gences. Nous considérons qu'elles constituent les minimums nécessaires pour maintenir le niveau d'emploi pendant une période suffisante, à notre avis, pour nous permettre de créer d'autres sources de travail. Nous sommes bien conscients des problèmes que cela cause à Air Canada et au gouvernement du Canada de s'engager à fournir du travail ou à remplir leurs autres engagements; il faut cependant admettre que, sans l'ap- pui essentiel d'Air Canada et du gouvernement du Canada, il n'y a aucune chance que le niveau d'emploi désiré puisse être maintenu.
Tout indique jusqu'à maintenant que la garantie de 300 000 heures-travail par an jusqu'en 1976 que nous avons demandée à Air Canada et au gouvernement du Canada ne sera pas fournie. Air Canada a offert des garanties de 150 000 heures-travail par an jusqu'en 1976 et le gouvernement du Canada a offert pour
sa part environ 50 000 heures-travail par an jusqu'en 1976, ce qui donne un total de 200 000 heures-travail par an. Cela équivaut à environ 100 000 heures-travail de moins par année que le total demandé, c'est-à-dire l'équivalent du travail d'ap- proximativement 50 personnes. Ces engagements s'ajoutent au travail de révision des Viscount qui s'effectue actuellement à la base.
La politique du gouvernement a été exposée par l'ex-Premier ministre du Canada, le très honorable Lester B. Pearson, et par le ministre des Transports, l'honorable Paul Hellyer, qui ont déclaré que le niveau d'emploi serait maintenu et que l'on continuerait à exploiter une industrie aéronautique viable à la base d'entretien d'Air Canada à Winnipeg. Il est difficile à notre avis d'établir un parallèle entre ces déclarations et le peu d'empressement du gouvernement du Canada à s'engager à fournir les ressources pour procurer du travail à cinquante personnes. Nous savons très bien que les politiques et les procédures à suivre pour la conclusion de marchés au ministère de la Production de défense et au ministère de l'Industrie ne prévoient pas le genre de solution que nous proposons, mais si l'on veut que les assurances données aux employés de la base d'Air Canada, au gouvernement du Manitoba et aux citoyens de cette province aient un sens, ces politiques et ces pratiques doivent alors être modifiées.
Pour aider à solutionner ce problème, nous aimerions faire les suggestions suivantes:
1. Une lettre portant que l'objectif du gouvernement est de maintenir le niveau d'emploi actuel et d'aider à développer une industrie aéronautique viable et durable à Winnipeg devrait être envoyée à Northwest Industries Limited.
2. Cette lettre reconnaîtrait que nous sommes justifiés de vous demander de fournir 300 000 heures-travail pour atteindre les fins désirées.
3. La lettre indiquerait le nombre d'heures-travail et les programmes de travail pour lesquels un engagement peut présentement être pris, compte tenu des renseignements actuels.
4. La lettre reconnaîtrait que le gouvernement du Canada s'emploiera de son mieux à obtenir, pour la période requise, le travail supplémentaire couvrant la différence entre celui offert et la quantité prévue dans notre proposition.
5. La lettre reconnaîtrait que tout travail confié à la base d'entretien de Winnnipeg ne proviendra pas des contrats de travail ou des programmes aéronautiques que North west Industries exécute actuellement à Edmonton.
6. La lettre porterait que la politique du gouvernement con- sistera à encourager un seul entrepreneur en réparation et en révision d'avions dans la région de Winnipeg, et qu'au- cun autre entrepreneur ne sera admissible aux futurs programmes de réparation et de révision d'avions dans cette région.
7. Le gouvernement consentirait à céder les baux de terrain existants à Northwest Industries comme dans le projet que nous avons présenté à Air Canada.
Nous désirons faire en sorte que cette entreprise dans la région de Winnipeg se poursuive sur une base solide et durable. Nous demandons que la présente lettre soit signée par les ministres de la Couronne et les sous-ministres qui seront chargés de s'assu- rer que les engagements de fournir du travail sont respectés comme prévu.
Le 20 mars 1969, le Cabinet a approuvé une réponse à la lettre de M. Reekie. Il s'agissait d'une lettre adressée à M. Reekie et signée par l'honora- ble Paul Hellyer, ministre des Transports, l'hono- rable J.-L. Pépin, ministre du Commerce, et l'ho- norable D. C. Jamieson, ministre de la Production de défense. Cette lettre était datée du 26 mars 1969. Elle mérite d'être citée en totalité parce que, selon les intimées, elle expose les conditions du contrat conclu par les parties:
[TRADUCTION] LE MINISTRE DES TRANSPORTS
OTTAWA, le 26 mars 1969
M. C. D. Reekie,
Président,
CAE Industries Ltd.,
C.P. 6166,
Montréal 3, P.Q.
Cher monsieur Reekie,
Le 28 février 1969, vous avez écrit à M. E.L. Hewson du ministère des Transports pour demander certaines assurances au sujet du projet d'achat de la base d'entretien d'Air Canada à Winnipeg par Northwest Industries Ltd., une filiale de CAE Industries Ltd. Vu l'accord signé par votre firme et par Air Canada, le soussigné est autorisé à fournir les assurances suivantes dans cette affaire:
a) Le gouvernement du Canada souscrit à l'objectif voulant que les niveaux d'emploi actuels soient maintenus et que tous les efforts possibles soient faits pour aider à dévelop- per une industrie aérospatiale viable et durable à Winnipeg.
b) Il reconnaît aussi, d'une part, que 700 000 heures-travail directes par an constituent un objectif réaliste si l'on veut faire de l'exploitation de ces installations une entreprise viable et, d'autre part, que les évaluations actuelles de la charge de travail future suggèrent qu'éventuellement les niveaux minimums fixés pourraient différer des niveaux réels entre 1971 et 1976 moins que de nouveaux contrats de réparation et de révision ou de fabrication aérospatiales ne soient souscrits.
c) Le ministère de la Production de défense ne saurait garan- tir plus de 40 000 50 000 heures-travail directes par an dans la période 1971-1976 au titre de travaux de répara- tion et de révision «réservés», mais le gouvernement du Canada s'emploiera de son mieux à obtenir le travail supplémentaire nécessaire d'autres ministères ou de socié- tés de la Couronne afin de respecter l'objectif de 700 000 heures-travail directes.
d) Dans l'exécution de l'engagement souscrit en c) ci-dessus, le gouvernement du Canada reconnaît que tout travail supplémentaire confié à la base d'entretien de Winnipeg ne proviendra pas des contrats de travail gouvernementaux que Northwest Industries exécute actuellement à Edmon- ton.
e) Il donne en outre son agrément à ce que le bail liant actuellement Air Canada et le ministère des Transports
soit cédé à NWI, aux conditions, financières- et autres,
actuelles, pour dix ans.
Veuillez accepter l'expression de mes sentiments distingués.
Paul T. Hellyer
Contresigné par:
L'honorable J. L. Pépin Ministre du Commerce
L'honorable D. C. Jamieson
Ministre de la Production de défense
Se fondant sur les assurances contenues dans ladite lettre, CAE a décidé que sa filiale achèterait et exploiterait les installations d'Air Canada à Winnipeg. Le 2 avril 1969, Northwest a conclu une entente préliminaire avec Air Canada. Peu après cependant, CAE a décidé que ces installa tions seraient acquises non par Northwest mais par une nouvelle filiale qu'elle possédait en propriété exclusive, CAE Aircraft Ltd. (Aircraft). Au début de septembre, la nouvelle filiale a conclu avec Air Canada les arrangements nécessaires, a pris en charge la base et commencé ses opérations. Au départ, les choses allèrent bien mais, en 1971, la charge de travail a commencé à diminuer. Les intimées ont alors demandé à l'appelante de se conformer aux engagements contenus à l'alinéa c) de la lettre du 26 mars et de fournir du travail à Aircraft. Leurs demandes n'ont pas été satisfaites. Elles ont par conséquent intenté une action pour inexécution de contrat.
Il faut tout d'abord déterminer si le juge de première instance a statué à juste titre que la lettre du 26 mars 1969 a créé un contrat ayant force exécutoire en vertu duquel:
a) le ministère de la Production de défense avait l'obligation de fournir aux intimées au moins
40 000 heures-travail par an de 1971 1976 au titre de travaux de réparation et de révision (réser- vés» 2 , et
b) le gouvernement du Canada était obligé de s'employer de son mieux à obtenir le travail sup- plémentaire nécessaire d'autres ministères ou de sociétés de la Couronne afin de respecter pour cette période l'objectif annuel de 700 000 heures- travail directes.
2 Il est admis que l'expression «travaux réservés» se rapportait à des travaux [TRADUCTION] «confiés à certains fournisseurs» sans appels d'offres.
Les intimées soutiennent que la lettre du 26 mars contenait une offre faite à CAE par les trois ministres agissant au nom de la Couronne. Elles affirment que cette offre a été implicitement acceptée lorsque Aircraft a acquis les installations d'Air Canada à Winnipeg.
Les avocats de l'appelante ne nient pas que les intimées et les trois ministres agissant au nom du Cabinet ont conclu une convention; ils ne contes- tent pas non plus que, suivant ladite convention, le gouvernement aurait pu être obligé du point de vue moral ou du point de vue politique de fournir du travail à Aircraft. Ils sont cependant d'avis que cette convention ne constituait pas un contrat et qu'elle n'a pas créé d'obligation exécutoire liant l'appelante.
À l'appui de leur position, les avocats de l'appe- lante affirment qu'il ressort de l'examen des cir- constances entourant l'envoi de la lettre du 26 mars que les parties avaient l'intention de conclure un arrangement purement politique plutôt qu'un contrat; ils soutiennent aussi que les termes de la lettre du 26 mars indiquent que ses auteurs n'avaient jamais eu l'intention de conclure un con- trat ayant force exécutoire; comme dernier argu ment, ils affirment que de toute façon la conven tion conclue par les trois ministres et les intimées ne pouvait lier Sa Majesté parce que les trois ministres n'étaient pas habilités à contracter en son nom.
Il peut exister des ententes de nature politique qui, comme les ententes à caractère social ou familial, ne donnent pas naissance à des obliga tions légales (voir: Attorney -General for British Columbia v. Esquimalt and Nanaimo Railway Company, [1950] A.C. 87 (P.C.); Meates y Attor- ney -General, [1979] 1 NZLR 415 (S.C.); South Australia and A.-G. (S.A.) v. Commonwealth (1962), 35 A.L.J.R. 460 (H.C.); Australian Woollen Mills Pty. Ltd. v. The Commonwealth (1954), 92 C.L.R. 424 (Aust. H.C.), confirmée par [1955] 3 All E.R. 711 (P.C.); Milne v. Attor- ney -General for Tasmania (1956), 95 C.L.R. 460 (Aust. H.C.); Papua and New Guinea Adminis tration v. Leahy (1961), 34 A.L.J.R. 472 (H.C.)). Cependant, si je m'en tiens simplement aux cir- constances entourant la rédaction de la lettre du 26 mars, je ne peux pas affirmer en toute assurance qu'elles indiquent une intention de con-
dure un arrangement politique plutôt qu'un con- trat. La politique du gouvernement d'alors consis- tait manifestement à essayer d'empêcher la fermeture de la base d'Air Canada à Winnipeg. Cela ne veut toutefois pas dire que toute entente conclue par le gouvernement pour atteindre cet objectif politique était une entente à caractère purement politique.
Il est par conséquent nécessaire d'examiner les termes de la lettre du 26 mars pour déterminer s'ils indiquent une intention de conclure un contrat ayant force exécutoire.
On peut faire quelques remarques préliminaires. La première, qui est loin d'être concluante, est que si les parties avaient l'intention de conclure un contrat, il est un peu étonnant, compte tenu de l'importance de l'affaire, qu'elles n'aient pas choisi de donner une forme officielle à leur convention. La deuxième remarque, qui est peut-être un peu plus pertinente, est qu'à première vue, la lettre du 26 mars ne semble pas avoir été écrite pour faire une offre mais plutôt pour donner certaines «assurances». Ce n'est pas le langage habituelle- ment utilisé dans une offre de conclure un contrat important. Comme troisième remarque, on peut souligner que, même si elles indiquent une identité de vues et d'objectifs de la part des parties, les assurances contenues aux alinéas a) et b) de la lettre n'ont manifestement aucun caractère con- tractuel.
La partie importante de la lettre est l'alinéa c) qui, selon les intimées, énonçait deux promesses contractuelles que l'appelante aurait omis de rem- plir. La première de ces deux promesses se trouve dans la première partie dudit alinéa:
c) Le ministère de la Production de défense ne saurait garan- tir plus de 40 000 50 000 heures-travail directes par an dans la période 1971-1976 au titre de travaux de répara- tion et de révision «réservés» ...
La deuxième promesse figure dans la dernière partie du même alinéa c):
mais le gouvernement du Canada s'emploiera de son mieux à obtenir le travail supplémentaire nécessaire d'autres ministères ou de sociétés de la Couronne afin de respecter l'objectif de 700 000 heures-travail directes.
Examinons maintenant l'un après l'autre chacun de ces deux engagements.
1. La garantie de travaux «réservés»
La Cour de première instance a considéré que la première partie de l'alinéa c) constituait une garantie d'au moins 40 000 heures-travail de tra- vaux «réservés». À mon avis, cette interprétation est erronée. Dans cette partie de l'alinéa c), les auteurs de la lettre du 26 mars n'ont pas donné l'assurance à M. Reekie que le ministère de la Production de défense garantissait ou offrait de garantir à sa compagnie un minimum de 40 000 heures-travail de travaux «réservés»; ils lui ont simplement assuré que «le ministère de la Produc tion de défense ne saurait garantir plus de 40 000 à 50 000 heures-travail». En d'autres termes, ils ne lui ont donné qu'une simple approximation du nombre maximum d'heures de travaux «réservés» que le ministère pouvait garantir; on ne peut, à mon avis, conclure qu'il s'agit d'une détermination du nombre minimum d'heures que le ministère offrait de garantir.
Pour cette raison, j'estime que la première partie de l'alinéa c) n'exprimait pas la ferme intention de garantir un nombre précis d'heures-travail de tra- vaux «réservés»; par conséquent, elle ne contenait pas une offre que les intimées pouvaient accepter de manière à créer la garantie contractuelle qu'el- les invoquent.
2. L'engagement à faire «de son mieux»
Dans la dernière partie de l'alinéa c) de leur lettre du 26 mars adressée à M. Reekie, les trois ministres lui ont donné l'assurance que
le gouvernement du Canada s'emploiera de son mieux à obtenir le travail supplémentaire nécessaire d'autres ministères ou de sociétés de la Couronne afin de respecter l'objectif de 700 000 heures-travail directes.
Selon moi, le problème consiste à déterminer si cet engagement était suffisamment précis pour exprimer une intention de conclure un contrat. En fait, pour qu'un contrat existe, il faut que ses conditions soient suffisamment déterminées'.
Ce problème n'a causé aucune difficulté au juge de première instance. Il n'a fait aucune différence entre le présent cas et ceux les tribunaux ont reconnu la validité de l'engagement contractuel
3 Voir Fridman, The Law of Contract in Canada, Carswell, 1976, p. 33 et ss.
d'une personne à faire de son mieux ou à faire tout son possible pour atteindre un résultat précis 4 .
Toutefois, l'engagement à faire «de son mieux» n'a pas toujours nécessairement la même portée. Celle-ci peut changer suivant les circonstances. À mon avis, on ne peut assimiler l'engagement con- tenu dans la dernière partie de l'alinéa c) à un engagement semblable pris par un individu au cours d'une opération commerciale ordinaire.
L'engagement en l'espèce visait à garantir que les contrats du gouvernement seraient accordés aux compagnies CAE de préférence à d'autres compagnies. Cet engagement a toutefois été pris au nom du gouvernement du Canada dont l'obliga- tion première était d'agir dans l'intérêt public, tel qu'il le percevait. Je ne peux concevoir qu'en pro- mettant de s'employer de son mieux à atteindre un certain résultat, le gouvernement pût souhaiter s'obliger à faire des choses qu'il considérait préju- diciables à l'intérêt public. Et plus précisément, en promettant de s'employer de son mieux à fournir du travail aux compagnies CAE, le gouvernement ne pouvait pas à mon avis vouloir s'obliger à fournir du travail à ces compagnies si les circons- tances étaient telles que, selon lui, l'intérêt public exigeait que le travail soit donné à d'autres. On doit donc considérer que l'obligation de faire «de son mieux» contenue dans la dernière partie de l'alinéa c) dépend de cette très importante limite subjective. Interprété ainsi, ledit alinéa ne revêt pas à mon avis le caractère certain exigé d'une promesse contractuelle.
J'estime par conséquent que, comme l'ont sou- tenu les avocats de l'appelante, le texte de l'alinéa c) de la lettre du 26 mars n'indiquait pas une intention d'assumer des obligations contractuelles.
À mon avis la prétention de l'appelante selon laquelle les trois ministres n'étaient pas habilités à lier la Couronne par le genre de contrat invoqué par les intimées vient renforcer cette conclusion et j'estime, en fait, que cette prétention est bien fondée.
4 Le juge a cité les causes Sheffield District Railway Com pany v. Great Central Railway Company (1911), 27 T.L.R. 451 (Rail and Canal Corn.); Terrell v. Mabie Todd & Coy. Ld. (1952), 69 R.P.C. 234 (Q.B.); Randall v. Peerless Motor Car Co., 99 N.E. 221 (S.C. Mass. 1912).
Le juge de première instance était d'avis con- traire. Les avocats des intimées ont avancé plu- sieurs arguments à l'appui de son opinion. Ils ont affirmé:
(1) que la Couronne a reconnu que les trois ministres avaient le pouvoir requis;
(2) que le Cabinet avait autorisé les ministres à envoyer la lettre du 26 mars;
(3) que, comme l'a décidé le juge de première instance, la Loi sur la production de défense [S.R.C. 1952, chap. 62], la Loi sur le ministère du Commerce [S.R.C. 1952, chap. 78] et la Loi sur l'aéronautique [S.R.C. 1952, chap. 2] autorisaient les ministres à agir ainsi;
(4) que, en vertu de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Verreault, les trois ministres pouvaient lier la Couronne même si aucune loi ni aucun décret ne leur avaient conféré ce pouvoir; et
(5) que, compte tenu des circonstances, la Cou- ronne n'était pas admise à invoquer l'absence de pouvoir.
L'argument voulant que le présent problème ait été réglé par un aveu est, à mon avis, sans fonde- ment. Suivant l'aveu en question, qui a été fait par un représentant de l'appelante au cours d'un inter- rogatoire préalable, chaque ministre avait le pou- voir nécessaire en vertu de la loi régissant son ministère. Il s'agit d'une question de droit qui ne pouvait faire l'objet d'un aveu.
En fait, ce qui a été admis au cours de l'interro- gatoire préalable c'est que le Cabinet avait, le 20 mars 1969, autorisé les trois ministres à signer et à envoyer la lettre. Les intimées se fondent sur cet aveu pour soutenir que cette autorisation du Cabi net suffisait pour conférer aux trois ministres le pouvoir de lier la Couronne. À mon avis, cet argument devrait être rejeté. En l'absence de dis positions législatives contraires, un décret suffit pour conférer le pouvoir de lier la Couronne parce que, en vertu de notre système de gouvernement, le pouvoir exécutif est confié à la Reine qui agit sur l'avis de ses ministres et exprime ses volontés sous forme de décrets. Si importante que puisse être une décision du Cabinet, elle n'est pas une décision de la Reine qui n'y a pas pris part. Pour cette
raison, une simple autorisation du Cabinet ne peut être assimilée à un décret.
J'estime également sans fondement la préten- tion, à laquelle le juge de première instance a souscrit, voulant que les trois ministres ont pu agir comme ils l'ont fait en vertu de la Loi sur la production de défenses, la Loi sur l'aéronautique 6 et la Loi sur le ministère du Commerce'.
Il est vrai que les articles 15 et 17 de la Loi sur la production de défense autorisaient le ministre de la Production de défense à conclure des con- trats, au nom de Sa Majesté, pour la réparation et l'entretien des approvisionnements de défense (y compris les avions) et que les articles 2 et 3 de la Loi sur l'aéronautique imposaient au ministre des Transports l'obligation «de contrôler et d'adminis- trer» tous les avions civils «nécessaires à la direc tion des services de Sa Majesté». Toutefois, le contrat qui aurait été conclu au nom de Sa Majesté en l'espèce n'était ni un contrat pour l'entretien d'avions du gouvernement ni un contrat par lequel le ministre des Transports exerçait son pouvoir de contrôle et d'administration sur les avions civils utilisés par le gouvernement. Il s'agis- sait d'un contrat qui prévoyait que les contrats d'entretien d'avions seraient négociés avec les com- pagnies CAE; ce contrat, qui ne pouvait avoir aucune répercussion immédiate sur la réparation et l'entretien des avions, aurait été conclu dans le seul but d'empêcher la fermeture de la base d'Air Canada à Winnipeg en incitant les compagnies CAE à l'acquérir et à l'exploiter. Ce n'était pas, à mon avis, un contrat que le ministre de la Produc tion de défense et le ministre des Transports étaient autorisés à conclure en vertu de la Loi sur la production de défense et de la Loi sur l'aéronautique.
En ce qui concerne le ministre du Commerce, qui a aussi signé la lettre du 26 mars, je ne vois pas comment on pouvait considérer que la Loi sur le ministère du Commerce 8 l'autorisait à conclure un contrat du genre de celui invoqué par les intimées. Ladite loi ne contenait aucune description de la sphère des activités gouvernementales qui ont été
S.R.C. 1952, chap. 62 et ses modifications.
6 S.R.C. 1952, chap. 2.
S.R.C. 1952, chap. 78.
8 S.R.C. 1952, chap. 78.
attribuées au ministère du Commerce. Elle créait simplement un ministère appelé «ministère du Commerce», prévoyait que le ministre du Com merce était chargé de «la direction et du contrôle» de ce ministère et décrivait comme suit les obliga tions et les pouvoirs du Ministre:
5. Les fonctions et attributions du ministre du Commerce s'étendent à la mise à exécution des lois du Parlement du Canada et des arrêtés du gouverneur en conseil, concernant les matières qui se rattachent au commerce et à l'industrie en général, et qui ne sont assignées par la loi à aucun autre ministère du gouvernement du Canada, ainsi qu'à la direction de tous corps publics, fonctionnaires et préposés employés à l'exécution de ces lois et arrêtés.
Il est admis qu'il n'existait aucune loi ni aucun décret prévoyant la conclusion d'un contrat tel que celui dont il est question en l'espèce. C'est pour- quoi, à mon avis, le ministre du Commerce n'était pas habilité par la loi à lier la Couronne par un contrat du genre de celui invoqué par les intimées.
Si je comprends bien, la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Verreault 9 n'aide pas la cause des intimées car elle supporte la proposition voulant que, en l'absence de disposi tions législatives contraires, il n'est pas nécessaire qu'un ministre soit expressément autorisé par une loi ou un décret à conclure un contrat au nom de la Couronne, à condition que le contrat en question concerne directement cette partie des activités gouvernementales qui sont assignées à son minis- tère. En l'espèce, le contrat invoqué par les inti- mées ne concernait pas directement, comme je l'ai déjà dit, la sphère d'activités des trois ministères visés.
En outre, même si on considérait que le lien entre ledit contrat et la sphère d'activités assignées à ces ministères était suffisant pour justifier l'ap- plication du principe dégagé dans l'arrêt Ver- reault, je statuerais quand même qu'il ne s'appli- que pas. Le Règlement sur les marchés de l'État 10 prévoyait que, avant de conclure un marché de service, un ministre devait normalement solliciter des soumissions. Il est évident que le contrat invo-
9 Verreault (J. E.) & Fils Liée c. Le procureur général (Québec), [1977] 1 R.C.S. 41.
10 DORS/64-390, art. 14 et suivants, modifié par DORS/ 68-89, art. 1.
qué par les intimées ne constituait pas en soi un marché de service. Il prévoyait toutefois que des marchés de service seraient conclus dans le futur et son exécution exigeait que ces marchés de service soient accordés sans tenir compte du Règlement sur les marchés de l'État. En l'absence d'une disposition législative prévoyant expressément le contraire, le pouvoir d'un ministre de conclure un contrat au nom de la Couronne est soumis aux restrictions qui lui sont imposées par la loi et les règlements; c'est pourquoi les trois ministres n'étaient pas habilités à conclure un contrat qui ne pouvait être exécuté sans contrevenir au Règle- ment sur les marchés de l'État.
Enfin, je rejetterais l'argument des intimées fondé sur l'irrecevabilité. En autant que je sache, une personne ne peut, par ses propres affirmations, se constituer mandataire d'une autre personne.
J'estime donc que l'action en inexécution de contrat intentée par les intimées devrait être reje- tée. Cela ne tranche toutefois pas l'appel étant donné que les intimées ont fondé leur action à la fois sur le contrat et sur la négligence de l'appe- lante. Ayant conclu que l'appelante était liée par contrat, le juge de première instance n'a pas jugé nécessaire d'examiner le deuxième aspect du litige. Nous ne pouvons toutefois laisser de côté cet élé- ment parce que les avocats des intimées ont pré- tendu que si la Cour devait conclure qu'il n'existait aucune convention valide et exécutoire, elle devait néanmoins statuer que l'appelante était responsa- ble envers les intimées en raison des déclarations fausses et négligentes contenues dans la lettre du 26 mars 1969. Cette prétention est indéfendable. La lettre ne contenait aucune fausse déclaration qui pouvait donner lieu à une responsabilité délic- tuelle. En outre, même si en signant la lettre et en l'envoyant les trois ministres avaient commis un délit qui pouvait entraîner la responsabilité de la Couronne en vertu de la Loi sur la responsabilité de la Couronne", il n'existe aucune preuve indi- quant que les intimées ont subi des dommages par suite de ce délit. En fait, si la lettre du 26 mars 1969 n'avait pas été envoyée, il est probable qu'au- cune compagnie CAE n'aurait acheté la base d'Air Canada à Winnipeg; cependant, le dossier ne montre pas que la situation actuelle des intimées
" S.R.C. 1970, chap. C-38.
est pire qu'elle l'aurait été si l'achat n'avait pas eu lieu.
J'accueillerais l'appel avec dépens; je rejetterais l'appel incident avec dépens, j'annulerais le juge- ment de la Division de première instance et je rejetterais avec dépens l'action des intimées.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: J'ai eu l'avantage de lire les projets de motifs de jugement de mes collègues Pratte et Stone. Je souscris aux motifs du juge Stone ainsi qu'à sa manière de trancher l'appel. Je désire simplement ajouter le commentaire suivant. Il ressort très clairement de la preuve que vers la fin de 1973, quatre ans après les engagements pris le 26 mars 1969, toutes les personnes qui s'étaient employées à les exécuter considéraient que la lettre avait le caractère d'un contrat. Comme le juge Stone l'a souligné, ses conditions ont pour l'essen- tiel été respectées, c'est-à-dire que les obligations réciproques qui y étaient prévues ont été en partie remplies. Il faut tenir compte de ce fait pour déterminer si l'intention de contracter existait et s'il en a résulté un contrat. Dans de telles circons- tances, ce n'est que lorsque la preuve est claire et indubitable que l'on peut conclure que les parties n'avaient pas l'intention de contracter et qu'en fait, elles n'ont pas conclu de contrat. Pour les motifs énoncés par le juge Stone, je suis d'avis que la preuve montre clairement et indubitablement que les parties avaient l'intention de conclure et ont conclu un contrat qui les liait.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: J'ai eu l'avantage de lire le projet des motifs de jugement rédigé par le juge Pratte. Étant donné que le juge de première instance 12 , tout comme le juge Pratte d'ailleurs, a exposé en détail les faits de l'espèce dans ses motifs de jugement, il n'est pas nécessaire de les répéter.
12 [1983] 2 C.F. 616 (1tC inst.).
Le présent appel et l'appel incident soulèvent cinq questions importantes. On a allégué pour le compte de l'appelante que les parties n'avaient pas l'intention de conclure un contrat ayant force exé- cutoire et que, même si elles avaient eu une telle intention, le document en question est si vague, incertain ou incomplet qu'il ne peut être mis à exécution et que, dans le cas contraire, il ne peut être mis à exécution parce qu'il ne lie pas l'appe- lante; on a aussi soutenu que si le document lie l'appelante, le juge de première instance a commis une erreur en statuant qu'il y avait eu inexécution du contrat et, finalement, que le juge a commis une erreur en évaluant les dommages-intérêts découlant de l'inexécution et en fixant le taux d'intérêt. Pour leur part, les intimées lient contes- tation sur ces questions et invoquent un autre argument fondé sur des déclarations fausses et négligentes. Elles font aussi valoir dans leur appel incident qu'une erreur a été commise dans l'éva- luation des dommages-intérêts et elles affirment qu'on aurait accorder des dommages-intérêts et des dépens plus élevés.
Avant d'aborder ces questions, je dois d'abord examiner un point préliminaire qui a été soulevé devant la Cour au sujet de l'identité de la deuxième partie au contrat en présumant à cette fin qu'un contrat a été conclu. Comme la preuve administrée sur ce point a été mentionnée et exa minée par le juge de première instance, il n'est pas nécessaire de la reprendre en détail. L'intimée CAE Industries Ltd. est la compagnie mère de deux filiales. L'une de ces filiales est Northwest Industries Ltd. qui, pendant toute la période en cause, s'occupait d'une entreprise d'entretien d'avions à Edmonton. La seconde intimée, CAE Aircraft Ltd., a été constituée en compagnie quel- ques semaines après le 26 mars 1969 dans le but exprès d'acheter et d'exploiter la base d'entretien d'avions d'Air Canada à Winnipeg, ce qu'elle a fait. CAE Industries Ltd. a exploité pendant un certain temps le même genre d'entreprise à ses installations de Montréal. Comme le juge l'a conclu, il est clair que peu de temps après le premier contact avec Northwest, le président de CAE Industries Ltd., M. C. D. Reekie, s'est acti- vement occupé des négociations qui ont conduit à la lettre du 26 mars 1969.
Il ressort cependant du dossier que, pratique- ment jusqu'au début de 1969, la compagnie North west était considérée dans les négociations comme le futur acheteur et exploitant de la base. En fait, même si elle est adressée à M. Reekie, président de CAE Industries Ltd., la lettre du 26 mars 1969 renvoie au «projet d'achat de la base d'entretien d'Air Canada à Winnipeg par Northwest Indus tries Ltd., une filiale de CAE Industries Ltd.» L'appelante soutient en se fondant sur la preuve que c'est donc Northwest qui est devenue l'autre partie au contrat et que ni CAE Industries Ltd. ni sa filiale CAE Aircraft Ltd. ne sont parties. Elle allègue donc que Northwest était la partie légitime à l'action car elle seule pouvait recouvrer des dommages-intérêts pour inexécution du contrat ou, subsidiairement, pour faute délictuelle.
Les intimées prétendent que le juge de première instance les a traitées à juste titre comme les parties en cause parce que la lettre du 26 mars 1969 était adressée à CAE Industries Ltd. et que CAE Aircraft Ltd. est entrée en jeu à titre d'ache- teur et d'exploitant de la base de Winnipeg sur l'ordre de sa compagnie mère et au su du gouver- nement. Elles soutiennent, et le juge de première instance est d'accord avec elles, que tous les droits que Northwest peut avoir possédés ont été conférés à CAE Aircraft Ltd. par voie d'une cession en equity.
Ce qui me frappe le plus en ce qui concerne la preuve administrée, c'est que tout au long des négociations le gouvernement désirait conclure avec CAE Industries Ltd. une entente sous une forme ou une autre et en outre, qu'il semblait importer peu que l'entente soit conclue avec la compagnie mère ou une filiale. On considérait que les compagnies du groupe CAE étaient habilitées à acheter et à exploiter la base, ce qui est demeuré l'objectif principal tout au long des négociations. Dans ce contexte, je ne crois pas que nous devrions chercher une réponse légaliste sur ce point, l'inten- tion générale étant évidente. Je tends à croire que le contrat, s'il existe, a été conclu avec CAE Industries Ltd. mais que, par ailleurs, les deux parties aux négociations considéraient que CAE Aircraft Ltd., même si elle a été constituée en compagnie une fois l'offre faite, était un substitut valable. Dans ce dernier cas, je conclurais, comme le juge de première instance, que la preuve con-
firme la transmission à CAE Aircraft Ltd. de tout intérêt que Northwest peut avoir acquis dans le contrat. (Voir par exemple Brandt's (William) Sons & Co. v. Dunlop Rubber Company, [1905] A.C. 454 (H.L.), lord Macnaghten, à la page 462.) J'estime que le juge de première instance a consi- déré à juste titre que CAE Industries Ltd. et sa filiale CAE Aircraft Ltd., les intimées aux présen- tes, possédaient un intérêt suffisant pour justifier les causes d'action alléguées. Pour des raisons d'or- dre pratique, je désignerai les deux intimées en utilisant simplement l'expression «l'intimée».
Examinons maintenant les questions importan- tes dégagées plus haut.
Avait-on l'intention de conclure un contrat?
L'appelante prétend que, compte tenu des cir- constances, la lettre du 26 mars 1969 n'était pas censée devenir un contrat ayant force exécutoire si on présume qu'elle constituait essentiellement une offre qui a été acceptée par l'intimée et qu'il existait une contrepartie suffisante en droit. C'est la question de l'intention de conclure un contrat qui se pose dans ce cas. Je prends comme point de départ la règle de droit énoncée dans l'affaire Attorney -General for British Columbia v. Esqui- malt and Nanaimo Railway Company, [1950] A.C. 87 (P.C.), à la page 108:
[TRADUCTION] Outre la nécessité d'une offre et d'une accep- tation (qui, selon le cas, peuvent s'exprimer par des mots ou par un acte) et l'existence d'une contrepartie, un contrat ne peut être conclu que s'il existe une intention de contracter.
Voir aussi Rose and Frank Co. v. Crompton and Brothers, [1923] 2 K.B. 261 (C.A.).
Je souscris à l'opinion du juge Pratte voulant que les circonstances entourant la rédaction de la lettre n'indiquent pas une intention de conclure une entente à caractère purement politique plutôt qu'un contrat. Il est possible de déduire des cir- constances l'intention de conclure un contrat, comme le juge Middleton l'a souligné dans Lind- sey v. Heron & Co. (1921), 64 D.L.R. 92 (C.A. Ont.), aux pages 98 et 99 alors qu'il citait Corpus Juris, vol. 13, la page 265:
[TRADUCTION] L'assentiment mutuel apparent des parties, qui est essentiel à la formation d'un contrat, doit découler des termes qu'elles ont employés et le législateur prête à une personne l'intention correspondant au sens ordinaire que l'on peut donner à ses actes ou à ses paroles. Il juge son intention à partir de ses expressions extérieures et il exclut toutes les questions concernant son intention inexprimée.
Le gouvernement d'alors faisait face à une décision d'Air Canada de fermer progressivement sa base d'entretien d'avions à Winnipeg. C'est le gouverne- ment lui-même qui a pris l'initiative de trouver un acheteur dans le secteur privé et qui a fait des démarches auprès de l'intimée pour qu'elle se porte acquéreur de cette base, cherchant ainsi à solution- ner un problème particulier. Il était désireux de trouver un acheteur pour que subsistent la base d'entretien à Winnipeg et les emplois qui y étaient rattachés.
À mon avis, les circonstances entourant la rédaction de la lettre distinguent l'espèce des autres cas on a jugé qu'il n'existait aucune intention de conclure un contrat. (Voir par exem- ple Joy Oil v. The King, [1951] R.C.S. 624; 3 D.L.R. 582, et Meates y Attorney -General, [1979] 1 NZLR 415 (S.C.)). Il ressort de la preuve soumise que les parties ont considéré que le docu ment constituait un contrat les liant dans la mesure il a été partiellement exécuté. En outre, comme on l'a souligné, le fardeau de la preuve dans un cas de ce genre [TRADUCTION] «incombe à la personne qui affirme qu'on ne voulait produire aucun effet juridique et ce fardeau est très lourd» (Edwards v. Skyways Ltd., [1964] 1 W.L.R. 349 (Q.B.), à la page 355; voir aussi Bahamas Oil Refining Co. v. Kristiansands Tankrederei AIS and Others and Shell International Marine Ltd. (The «Polyduke»), [1978] 1 Lloyd's Rep. 211 (Q.B.)). J'estime qu'on ne s'est pas acquitté, de cette obligation. Je conclus sur le fondement de la preuve et des conclusions du juge de première instance qu'il existait de la part des deux parties une intention de conclure un contrat ayant force exécutoire.
Le contrat est-il vague, incertain ou incomplet?
Ma conclusion selon laquelle les parties ont eu l'intention de conclure un contrat ayant force exé- cutoire ne signifie pas qu'elles ont réussi à le faire. L'appelante soutient énergiquement que les termes utilisés par les parties sont si vagues et incertains ou que le document est si incomplet que le contrat est non exécutoire. Le juge de première instance n'a pas souscrit à cette opinion.
Il ne fait aucun doute que les parties ont choisi de donner à leur convention, conclue après de longues négociations, une forme et un style quel-
que peu inhabituels. Mais ce fait en lui-même ne doit pas nous empêcher d'y donner effet si les parties se sont exprimées en des termes suffisam- ment clairs pour créer des droits et des obligations pouvant être exercés devant une cour de justice. Comme je l'ai déjà souligné, c'est particulièrement le cas lorsque le contrat a été exécuté en partie car alors, pour reprendre les propos du juge Mignault dans l'arrêt Kelly v. Watson (1921), 61 R.C.S. 482, la page 490, moins qu'il ne soit incomplet [TRADUCTION] «la cour ... s'opposera à toutes les difficultés résultant de l'imprécision du contrat». Comme dans l'arrêt Hillas and Co. Limited v. Arcos Limited (1932), 147 L.T. 503 (H.L.), il s'agit en l'espèce d'un contrat à caractère commer cial et comme lord Wright l'a souligné dans ce cas la page 514):
[TRADUCTION] Les hommes d'affaires consignent souvent d'une manière sommaire les ententes les plus importantes; les modes d'expression qui leur paraissent suffisants et clairs dans la marche de leurs affaires peuvent sembler loin d'être complets ou précis à ceux qui ne sont pas familiers avec ce domaine d'activités. La Cour a par conséquent l'obligation d'interpréter de tels documents d'une manière équitable et large, sans cher- cher de façon trop pointilleuse les imprécisions ...
Pour décider s'il existe un contrat exécutoire, j'es- time que nous devrions faire tous les efforts pour trouver un sens aux termes utilisés par les parties. C'est, à mon avis, ce que demande la jurispru dence. Ainsi, dans l'arrêt Marquest Industries Ltd. v. Willows Poultry Farms Ltd. (1969), 66 W.W.R. 477 (C.A.C.-B.), la cour a statué (aux pages 481 et 482):
[TRADUCTION] En premier lieu, il faut examiner le devoir d'une cour et les règles qu'elle devrait appliquer lorsqu'on vise à faire annuler une partie d'un accord commercial entre deux parties contractantes en raison de son caractère incertain ou, en d'autres termes, de son absence de sens. La première règle d'interprétation est la maxime «ut res magis valeat quam pereat» ou «un contrat ne devrait jamais être annulé lorsqu'il est possible de l'interpréter dans le sens qui assure sa validité.» Cette maxime a servi de fondement à des décisions qui ont fait jurisprudence comme Scammell & Nephew Ltd. v. Ouston [1941] AC 251, 110 LJKB 197, [1941] 1 All ER 14; Wells v. Blain [1927] 1 WWR 223, 21 Sask LR 194 (C.A.); Ottawa Elec. Co. v. St. Jacques (1902) 31 RCS 636, infirmant 1 OLR 73, ainsi qu'à plusieurs autres décisions qui établissent qu'une cour devrait faire tous les efforts possibles pour trouver un sens en examinant le contenu et non simplement la forme, et que les difficultés d'interprétation ne rendent pas une clause nulle parce qu'il n'est pas possible de l'interpréter tant qu'on peut en extraire un sens déterminé. En d'autres termes, on doit si possible donner effet à chaque clause d'un contrat. En outre, comme il a été statué dès 1868 dans Gwyn v. Neath Canal Navigation Co. (1868) LR 3 Exch 209, 37 LJ Ex 122, s'il est
possible de découvrir à partir des termes utilisés dans le docu ment les intentions réelles des parties, la cour doit donner effet à ces intentions en suppléant ce qui doit nécessairement être déduit et en rejetant ce qui est contraire à ces intentions réelles ainsi établies.
Par contre, j'admettrais également que le con- trat dont nous avons été saisis ne serait pas valide s'il était vague et incertain au point de ne pas être exécutoire, ou s'il était incomplet comme dans l'affaire May and Butcher, Ltd. v. R., [1929] All E.R. Rep. 679 (H.L.), à la page 682, lord Buckmaster a écrit:
[TRADUCTION] Depuis de nombreuses années, c'est un principe bien connu du droit des obligations que lorsque deux parties s'engagent à signer une entente dans laquelle une partie déci- sive de l'objet du contrat sera déterminée ultérieurement, cet engagement ne vaut nullement contrat.
Le vicomte Dunedin a ajouté les remarques sui- vantes (aux pages 683 et 684):
[TRADUCTION] En droit des obligations, un contrat n'est valide que s'il est parfait, et un contrat parfait est un contrat est prévu tout ce qui est nécessaire, et les parties n'auront rien encore à déterminer par accord. Évidemment, il est possible qu'il reste quelque chose à déterminer, mais alors cette détermi- nation ne doit pas dépendre de l'accord entre les parties.
Ici, la Cour suprême du Canada a statué qu'un contrat d'achat d'un terrain qui prévoyait que le solde du prix d'achat devait [TRADUCTION] «être fixé plus tard» était non exécutoire parce que la Cour ne pouvait conclure l'accord que les parties n'avait pas elles-mêmes conclu (Murphy v. McSorley, [1929] R.C.S. 542).
Le contrat en cause est-il si incomplet qu'il est non exécutoire au sens de ces principes? Je suis d'avis que non. Contrairement aux cas mentionnés plus haut, il prévoit tout ce qui devait être déter- miné entre les parties. Il constitue un contrat complet et valide. A mon avis, le fait qu'après son exécution, il serait nécessaire de conclure des mar- chés de service individuels pour l'exécution des travaux de réparation et de révision des avions ne portait pas atteinte à son engagement principal qui, dans le contexte de la lettre du 26 mars 1969, consistait à «réserver» des travaux de réparation et de révision et à s'employer «de son mieux» à four- nir à l'intimée d'autres travaux de ce genre.
Il me semble plus difficile de déterminer si le contrat peut être exécuté malgré l'existence de ce
qui constitue à mon avis une certaine imprécision comme, par exemple, la présence du mot «assuran- ces» au premier alinéa de la lettre et des expres sions «saurait garantir», «réservés» et «de son mieux» à l'alinéa c) de ladite lettre. En ce qui concerne le premier terme, je n'ai aucune difficulté à conclure, compte tenu des circonstances, que ces «assurances» étaient, après acceptation de l'inti- mée, censées devenir et sont devenues des engage ments obligatoires. La partie de l'alinéa d) suivant immédiatement les termes «Dans l'exécution de l'engagement souscrit en c) ci-dessus» confirme ce fait. Il est évident que les ministres considéraient que l'alinéa c) constituait un «engagement» malgré l'emploi du terme «assurances» au premier alinéa de la lettre. Je considérerais de la même manière l'expression «saurait garantir» qui était censée indi- quer et indiquait effectivement la quantité limitée de travaux de réparation et de révision «réservés» que l'intimée pouvait s'attendre à obtenir si elle décidait d'accepter ce qui à ce moment était une contre-proposition. Après acceptation, la proposi tion est devenue un engagement obligatoire garan- tissant du travail «réservé». Il faut en même temps interpréter cet engagement d'une manière raison- nable à la lumière des termes utilisés car je serais d'accord pour dire que, à titre de garantie, sa portée devait être déterminée. J'estime que, sui- vant les termes utilisés, les parties donnaient à entendre qu'au moins 40 000 heures-travail direc- tes de travail «réservé» seraient fournies. Comme les deux parties l'ont admis devant nous, tout nombre d'heures excédant ce chiffre ne serait pas visé par la garantie dite de «réserve».
Le terme «réservés» a lui-même fait l'objet de preuves à l'instruction établissant qu'il désignait des travaux devant être confiés à l'intimée sans appel d'offres et être exécutés à l'usine avec droit à un plein coefficient d'imputation des frais géné- raux. D'autres éléments de preuve portaient qu'il s'agissait simplement de travaux effectués sans concurrence et sans participation aux frais géné- raux. Il semble que le juge de première instance ait admis les premiers éléments de preuve et rejeté les autres. Il a statué la page 638), sur le fonde- ment de ces preuves, que les travaux «réservés» constituaient «une garantie sans réserve» et que l'appelante était forcée d'exécuter cette partie de la convention même s'il lui était nécessaire pour cela «d'enlever des commandes à d'autres». Il m'est
impossible de ne pas souscrire à sa conclusion à cet égard ou à son interprétation de cette expression fondée sur la preuve qui lui a été soumise. Compte tenu de toutes les circonstances qui ont entouré l'opération, l'explication donnée par les témoins de l'appelante quant au sens de l'expression «réservés» n'est tout simplement pas raisonnable. C'est en fait la conclusion que le juge de première instance a tirée dans ses motifs, peut-être pas expressément mais implicitement.
Passons enfin à l'expression «de son mieux», le gouvernement s'étant engagé à agir de cette manière pour garantir du travail additionnel. L'ap- pelante s'en prend à cette expression pour le motif qu'elle est si imprécise qu'elle ne peut légalement créer des droits et des obligations pouvant être exécutés devant une cour de justice. Je reconnais qu'il s'agit d'une expression plutôt générale mais notre tâche en l'espèce consiste à découvrir, si possible, ce que les parties ont voulu dire en l'utili- sant. Selon le juge de première instance, elle équi- valait à l'expression «tout son possible» (best endeavours) telle qu'elle a été interprétée dans l'affaire Sheffield District Railway Company v. Great Central Railway Company (1911), 27 T.L.R. 451 (Rail and Canal Corn.) le juge A. T. Lawrence (siégeant à la Commission des che- mins de fer et des canaux) a déclaré la page 452) que, sous réserve de certaines limites, cette expression signifiait, généralement parlant, «ne laisser aucune avenue inexplorée». A mon avis, il faut interpréter l'expression «de son mieux» à la lumière du contrat lui-même, des parties contrac- tantes et de l'objectif général du contrat tel qu'il ressort des termes qui y sont utilisés. Le contrat a créé l'obligation générale de fournir à l'intimée des travaux de réparation et de révision jusqu'à con currence de la limite indiquée.
Cela ne signifiait pas, et on n'a pas laissé enten- dre le contraire, que le gouvernement se voyait obligé de ne pas tenir compte des obligations con- tractuelles existantes ni, bien sûr, de l'intérêt public. Dans la mesure cet intérêt exigeait que des travaux soient effectués par d'autres personnes que l'intimée, on ne pouvait pas prétendre que le contrat serait de ce fait inexécuté. En fait, il semble que les termes du contrat contiennent implicitement cette limite puisque l'appelante s'est engagée non pas à fournir du travail à l'intimée
mais seulement à s'employer «de son mieux» à lui en obtenir. Je ne peux donc trouver dans les termes du contrat de dispositions visant à obliger l'appe- lante à agir d'une manière contraire à l'intérêt public.
En résumé, je souscrirais à la conclusion du juge de première instance selon laquelle cet élément du contrat obligeait le gouvernement à s'employer «de son mieux» à obtenir d'autres ministères ou de sociétés de la Couronne le travail supplémentaire «pour combler toute carence, jusqu'à 700 000 heures par année, pour les années 1971 1976». Il a précisé plus loin la page 635):
L'accord souscrit par la défenderesse visait la fourniture d'un nombre fixe d'heures-travail par le MPD à quoi s'ajoutait l'obligation pour elle (la Couronne) de s'employer de son mieux à combler le fossé entre ce que les demanderesses obtenaient en termes d'heures par an de cette source et d'autres sources, et 700 000 heures. J'ai déjà résumé les lignes directrices de la convention. En droit strict, il n'était pas nécessaire de convenir d'autre chose. La défenderesse devait s'employer de son mieux à fournir les heures nécessaires. Quand devait-elle s'employer de son mieux? Quand cela serait nécessaire et uniquement si cela le devenait; c'était à la défenderesse de le discerner. Les nécessités commerciales et pratiques exigeraient bien sûr que des consultations et des négociations au sujet du travail à fournir, jusqu'à combler un déficit de 700 000 heures, et de son coût, aient lieu. En fait c'est ce qui se produisit. Mais, en droit, aucun accord ultérieur n'était requis pour valider la lettre du 26 mars.
Le contrat lie-t-il la Couronne?
Il est maintenant nécessaire d'examiner si le contrat en cause lie l'appelante. Le juge de pre- mière instance était d'avis que ledit contrat liait l'appelante et que l'intimée avait droit à des dom- mages-intérêts en raison de son inexécution. En statuant ainsi, il estimait que la signature du con- trat par les trois ministres constituait un acte du gouvernement en ce sens que ou bien ces ministres étaient réellement habilités en vertu d'un certain nombre de lois fédérales 13 à lier la Couronne, ou bien ils possédaient le pouvoir apparent d'agir ainsi suivant le principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Verreault (J. E.) & Fils Liée c. Le procureur général (Québec), [1977] 1
13 Les dispositions législatives invoquées se trouvent dans la Loi sur la production de défense, S.R.C. 1952, chap. 62, modifiée, la Loi sur l'aéronautique, S.R.C. 1952, chap. 2 et la Loi sur le ministère du Commerce, S.R.C. 1952, chap. 78.
R.C.S. 41. L'appelante soutient que les ministres ne pouvaient par leurs actes lier la Couronne car ils n'avaient ni le pouvoir réel ni le pouvoir appa rent pour ce faire. Elle fait valoir qu'elle ne peut être liée par un contrat que s'il existe un pouvoir à cette fin dans une loi ou dans un décret. Elle allègue que le pouvoir réel des ministres de lier la Couronne en vertu des pouvoirs légaux de «gestion» et de «direction» des ministères qu'ils dirigent ne va pas jusqu'à les autoriser à signer un contrat du genre de celui qui est en cause.
Afin de situer cette question dans son contexte, il est nécessaire d'examiner les décisions qui ont été rendues avant l'arrêt Verreault et de décider ensuite si le principe dégagé dans cette décision est applicable en l'espèce. Dans une série de décisions remontant jusqu'au siècle dernier, la Cour de l'Échiquier du Canada a sans cesse jugé que le pouvoir de lier la Couronne par contrat doit trou- ver son fondement soit dans une loi soit dans un décret. C'est ce qu'a affirmé le juge Audette dans l'arrêt The King v. McCarthy (1919), 18 R.C.É. 410, à la page 414:
[TRADUCTION] À moins qu'un décret ou qu'une loi ne l'y autorise, un ministre de la Couronne ne peut lier son gouvernement 14 .
14 J'estime que le terme «gouvernement» est tout à fait appro- prié dans ce contexte même si cela laisse en suspens la question principale qui consiste à déterminer si le «gouvernement» ou la «Couronne» (suivant le terme qui est utilisé) est lié par un contrat. Lord Diplock a manifesté devant la Chambre des lords une certaine répugnance à établir une distinction entre ces deux termes dans l'affaire Town Investments Ltd. v. Department of the Environment, [1978] A.C. 359 la p. 381):
[TRADUCTION] Lorsque, comme en l'espèce, nous avons à nous pencher sur le caractère légal de l'exercice des pouvoirs exécutifs du gouvernement, je crois qu'il aurait été possible d'éliminer certaines caractéristiques athanasiennes du débat tenu devant la Chambre si au lieu de parler de la «Cou- ronne», nous parlions du «gouvernement», un terme approprié pour englober à la fois collectivement et individuellement tous les ministres de la Couronne et tous les secrétaires parlementaires sous la direction desquels le travail adminis- tratif du gouvernement est effectué par les fonctionnaires des différents ministères. C'est par l'intermédiaire de ceux-ci que les pouvoirs exécutifs du gouvernement de Sa Majesté au Royaume-Uni s'exerçent, au nom de Sa Majesté lorsqu'il s'agit des affaires administratives les plus importantes, mais le plus souvent en leur nom officiel. Les décisions exécutives prises par chacun d'eux constituent des décisions de la «Cou- ronne» au sens conventionnel ce terme est maintenant utilisé en droit public anglais.
Le juge a cité plusieurs décisions à l'appui de ce point de vue, la plus ancienne étant The Quebec Skating Club v. The Queen (1893), 3 R.C.E. 387. Selon moi, en raison des restrictions imposées par la loi, les terrains que le requérant avait consenti à accepter en remplaçement des siens ne pouvaient être transférés par le gouverneur en conseil et il fallait recourir à une autre loi. C'est pourquoi une convention conclue entre le ministre et l'appelante en l'absence de dispositions législatives ne revêtait aucun caractère obligatoire. Néanmoins, les vues du juge Audette ont été ultérieurement acceptées comme [TRADUCTION] «principe élémentaire» (Drew, Aileen M. v. The Queen, [1956-1960]
R.C.E. 339, la page 350) et [TRADUCTION] «comme principe général» (Walsh Advertising Co. Ltd. v. The Queen, [1962] R.C.E. 115, la page 123) 15 . I1 faut remarquer que ces décisions repo- saient sur l'existence de restrictions expresses imposées par la loi et réglementant le pouvoir de contracter 16 .
15 Dans Wood v. The Queen (1877), 7 R.C.S. 634, le juge en chef du Canada, William B. Richards, siégeant comme membre de la Cour de l'Échiquier du Canada, a dit la p. 644):
[TRADUCTION] Le ministère des Travaux publics de ce Dominion étant un ministère d'État dirigé par un ministre de la Couronne responsable devant le Parlement de la conduite des affaires de son ministère, peut, je n'en doute pas, en tant que mandataire représentant la Couronne pour toutes les questions dont ledit ministère est chargé, conclure des enten tes et des contrats qui lieraient la Couronne, à moins qu'il n'existe une disposition législative ou encore, des décrets, contrôlant ou limitant un tel pouvoir.
Le juge Thurlow (tel était alors son titre) était cependant d'avis en rendant son jugement dans l'affaire Walsh Advertising que certaines affirmations tirées de l'affaire Wood ne pouvaient avoir préséance sur les points de vue différents exprimés dans Drew, Aileen M. v. The Queen, The King v. McCarthy et, peut-être, Livingston vs The King (1919), 19 R.C.É. 321.
16 La dernière déclaration faite à ce sujet devant cette Cour est l'opinion incidente du juge en chef Jackett dans l'arrêt R. c. Transworld Shipping Ltd., [1976] 1 C.F. 159 (C.A.) il a dit la p. 163):
En ce qui concerne le pouvoir d'agir pour un ministère en matière de contrat, comme le pouvoir d'une personne passant un contrat en qualité de mandataire d'un particulier, si une personne contracte au nom de Sa Majesté, le manda- taire doit avoir la capacité d'agir au nom de son commettant; et, s'agissant d'un gouvernement dans notre système de gou- vernement responsable, un tel pouvoir est ordinairement conféré soit par une loi, soit par une ordonnance en conseil. A cet égard, on doit noter que les actes ordinaires du gouverne- ment au Canada sont répartis parmi des ministères créés par la loi, ayant chacun à sa tête un ministre de la Couronne chargé, de par la loi, de la «gestion» et de la direction de son
(Suite à la page suivante)
Les décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Jacques-Cartier Bank v. The Queen (1895), 25 R.C.S. 84 et The King v. Van- couver Lumber Co. (1914), 41 D.L.R. 617 (C. de l'É.) [confirmée en appel à la Cour suprême du Canada, 4 décembre 1914] sont également citées à l'appui du principe invoqué dans l'affaire McCar- thy. Dans le premier de ces arrêts, la Cour a statué qu'un ministre n'était pas habilité à lier la Cou- ronne lorsque l'objet du présumé contrat (l'impres- sion de certains documents) n'avait pas été auto- risé par la Chambre qui avait déjà pris certaines mesures quant à cette question, mais sans aller jusqu'à autoriser l'impression. Dans l'arrêt Van- couver Lumber (confirmé ultérieurement par le Conseil privé (1919), 50 D.L.R. 6), il a été statué qu'un ministre n'était pas habilité à modifier un contrat conclu en vertu d'un décret en l'absence d'un autre décret l'autorisant à agir ainsi. La décision du Conseil privé dans Mackay v. Attor- ney -General for British Columbia, [1922] 1 A.C. 457 est au même effet. Dans cette affaire, le pouvoir de conclure un contrat avait été conféré par la loi au lieutenant-gouverneur en conseil ce qui a amené leurs seigneuries à conclure (aux pages 461 et 462) qu'en l'absence d'un décret ou d'une résolution du lieutenant-gouverneur en con- seil, [TRADUCTION] «le simple consentement des ministres d'alors à la conclusion du contrat ne pouvait ... en faire un contrat ayant force exécu- toire ...» Voir aussi l'arrêt Province of Quebec v. Province of Ontario (1909), 42 R.C.S. 161.
Il me semble que les décisions invoquées plus haut viennent appuyer le principe général voulant que lorsqu'une loi réglemente le pouvoir de con- tracter, un contrat liant la Couronne ne peut exis- ter que si les exigences de la loi sont remplies. La décision de la Cour de l'Échiquier du Canada dans Livingston vs The King (1919), 19 R.C.É. 321 ne semble pas d'une portée aussi restreinte; la Cour y a statué que la conclusion d'un contrat devant lier la Couronne pour un nombre déterminé d'années devait être autorisée par le gouverneur en conseil. Cette question n'a pas été examinée davantage dans cette espèce et on n'y a pas invoqué de
(Suite de la page précédente)
ministère. À mon avis, sauf les restrictions légales qui peu- vent par ailleurs être imposées, un ministre a légalement le pouvoir de passer les contrats d'usage, relatifs à cette partie de l'activité du gouvernement fédéral qui est assignée à son ministère.
décisions antérieures. À mon avis, le juge Rich a bien exposé le principe susmentionné dans State of New South Wales v. Bardolph (1933-1934), 52 C.L.R. 455 (Aust. H.C.) la page 496):
[TRADUCTION] Lorsque l'administration de fonctions particu- lières du gouvernement est réglementée par la loi et que cette réglementation vise expressément ou implicitement le pouvoir de contracter, toutes les conditions prévues par la loi doivent être remplies et il ne fait aucun doute que ce pouvoir n'a pas une portée plus large que celle qui était envisagée par la loi.
Ce passage a été cité et endossé par lord Wilber- force dans l'affaire Cudgen Rutile (No. 2) Pty. Ltd. v. Chalk, [1975] A.C. 520 (P.C.), à la page 533.
En concluant que les ministres en cause étaient habilités à contracter au nom de la Couronne, le juge de première instance s'est fondé sur l'arrêt Verreault qui, selon lui la page 630), avait rejeté comme trop restrictive «l'interprétation selon laquelle les contrats administratifs ne sont valides que si autorisés par un décret ou par la législation» et qui appliquait la page 631) la doctrine du «pouvoir ... apparent et manifeste». Suivant les principes ordinaires du droit applicable au mandat, le pouvoir apparent exige que le commettant indi- que l'étendue du pouvoir de son mandataire. (Voir par exemple Attorney -General for Ceylon v. A. D. Silva, [1953] A.C. 461 (P.C.), à la page 479.)
Les faits de l'arrêt Verreault étaient simples. Le 7 juin 1960, le sous-ministre du Bien-être social du Québec a signé un contrat avec l'appelante pour la construction d'un foyer pour personnes âgées. Le 22 juin de la même année, des élections générales ont eu lieu dans la province et un nou- veau gouvernement a été élu. Deux mois plus tard, le nouveau gouvernement ordonnait à l'appelante de cesser les travaux prévus au contrat. Le mois suivant, le contrat a été résilié et des soumissions publiques ont été demandées pour les travaux. L'appelante a intenté une action pour perte de profits et pour dommages à sa réputation. Elle a eu gain de cause en première instance mais a perdu en appel. La Cour d'appel du Québec a statué que, en vertu de l'article 10 de la Loi constituant le département du bien-être social, S.Q. 1958-59, chap. 27, le ministre du Bien-être social, au nom duquel le contrat avait été signé, n'était pas habi- lité à conclure un contrat de construction mais qu'il était autorisé à conclure un contrat pour l'achat de terrains. L'article 10 de la Loi porte:
10. Le lieutenant-gouverneur en conseil peut autoriser, aux conditions qu'il détermine, le ministre du bien-être social à organiser des institutions du bien-être social administrées par le département du bien-être social.
Il peut aussi l'autoriser à acquérir, de gré à gré ou par expropriation, des terrains ou des immeubles nécessaires à ces fins.
L'article 8 de la Loi prévoyait aussi qu'un contrat ne liait pas le département à moins qu'il n'ait été signé par le ministre ou le sous-ministre.
Comme le juge Pigeon l'a dit la page 46), il s'agissait de déterminer dans cette affaire «si vrai- ment, en l'absence d'une législation restrictive, un ministre est incapable de contracter au nom du Gouvernement». Après avoir cité et endossé le principe de droit suivant tiré de l'ouvrage de Grif- fith et Street intitulé Principles of Administrative Law (3 e éd., 1963, à la page 269):
... Un contrat signé par un représentant du gouvernement agissant dans les limites de son mandat apparent est un contrat valide obligeant le gouvernement; en l'absence de crédits affec tés expressément ou implicitement au contrat par le Parlement, le contrat n'est pas exécutoire.
et après avoir fait remarquer que suivant l'article 9 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5]] (aujourd'hui appelé la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution- nelle de 1982, 1)]), «le pouvoir exécutif est attribué à la Reine», il a répondu comme suit la page 47) à cette question au nom de tous les membres de la Cour suprême (c'est-à-dire le juge en chef Laskin et les juges Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré):
Sa Majesté est évidemment une personne physique, et je cherche en vain le principe d'après lequel les règles générales du mandat, y compris celles du mandat apparent, ne lui seraient pas applicables. A cet égard, la situation des ministres et autres fonctionnaires du Gouvernement est fondamentalement diffé- rente de celle des fonctionnaires municipaux. Dans notre sys- tème, les municipalités sont des créatures de la loi, par consé- quent, la doctrine de l'ultra vires doit recevoir sa pleine application.
En ce qui concerne certaines décisions antérieures, la Cour suprême estimait la page 48) que «dans presque tous les cas, l'opinion exprimée sur cette question est un simple obiter et non pas le fonde-
ment de la conclusion». En particulier, elle a dit au sujet de l'affaire Walsh Advertising la page 49):
... il faut noter que la décision a été rendue sous le régime de la Loi sur l'Administration financière S.R.C. 1952, c. 116. Dans cette espèce de code sur le sujet, on trouve relativement aux contrats du Gouvernement des dispositions restrictives sur lesquelles il y avait lieu de s'appuyer sans qu'il soit vraiment nécessaire de recourir aux principes généraux. Comme l'a signalé l'avocat de l'appelante à l'audition, ce n'est qu'en 1961 que la Législature du Québec a décrété des dispositions analo gues à celles de cette loi fédérale (1960-61 (Qué.), c. 38).
En fin de compte, la Cour suprême a conclu que le contrat en cause liait les parties et que l'appelante avait droit à des dommages-intérêts pour sa résiliation.
Je suis convaincu que dans la décision qu'elle a rendue dans l'affaire Verreault, la Cour suprême du Canada voulait déroger à ce qui était considéré comme la prudence juridique en matière de con- trat, c'est-à-dire qu'un ministre de la Couronne n'est pas habilité à lier la Couronne par contrat à moins que le pouvoir d'agir ainsi ne soit prévu dans une loi ou un décret. Si je comprends bien, il est statué que, suivant les règles générales du mandat et notamment celles concernant le mandat appa rent, un ministre de la Couronne est habilité, en sa qualité de chef d'un ministère, à lier la Couronne par contrat à moins que ce pouvoir ne soit restreint par une loi". À mon avis, l'objet du contrat qui nous préoccupe tombait sous le coup des responsa- bilités générales des ministres dont les ministères fournissaient ou constitueraient la source des tra- vaux qui sont visés au contrat. Certes, seulement trois ministres ont signé la lettre mais, comme le juge de première instance a conclu la page 625), «Le Cabinet de l'époque avait, le 20 mars 1969, autorisé les trois Ministres à signer la lettre du 26 mars.» Il me semble qu'en agissant ainsi, chacun d'eux a exercé son pouvoir dans la mesure requise, même si la lettre n'a été signée que par trois de leurs collègues. Il appert que l'intention générale du gouvernement était de se lier par contrat.
" En tant que société formée d'un seul membre et non consti- tuée en vertu de la loi, la Couronne est habilitée à contracter sans que des dispositions législatives précises soient nécessaires à cet effet; néanmoins, comme l'ont souligné les auteurs de l'ouvrage Chitty on Contracts (25e éd., vol. 1) (1983) par. 685 aux pp. 369 et 370, ce pouvoir reste assujetti à toute loi le limitant ou apportant des restrictions à l'étendue du pouvoir de chacun des ministres:
(Suite à la page suivante)
Il reste à déterminer si, compte tenu des circons- tances, la loi restreignait le pouvoir des ministres de signer ou d'approuver la lettre du 26 mars 1969 et faisait en sorte que leurs actes ne liaient pas la Couronne. Il faut pour ce faire examiner la législa- tion pertinente. Suivant l'alinéa 3d) de la Loi sur l'aéronautique, il incombe au ministre des Trans ports et, dans les questions relatives à la défense, au ministre de la Défense nationale «de contrôler et d'administrer tous les aéronefs et tout l'équipe- ment nécessaires à la direction des services de Sa Majesté». À mon avis, les termes de cet alinéa ne restreignent nullement le pouvoir des ministres en qualité de chef de leur ministère respectif. Je ne trouve non plus aucune restriction de ce genre dans le libellé de la Loi sur le ministère du Commerce. En particulier, je ne crois pas que les dispositions de l'article 5 de ladite Loi limitent le pouvoir général conféré par l'article 3. Ces articles prévoient:
3. Le ministre du Commerce est membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada; il occupe sa charge à titre amovible et a la direction et le contrôle du ministère du Commerce.
5. Les fonctions et attributions du ministre du Commerce s'étendent à la mise à exécution des lois du Parlement du Canada et des arrêtés du gouverneur en conseil, concernant les matières qui se rattachent au commerce et à l'industrie en général, et qui ne sont assignées par la loi à aucun autre ministère du gouvernement du Canada, ainsi qu'à la direction de tous corps publics, fonctionnaires et préposés employés à l'exécution de ces lois et arrêtés.
(Suite de la page précédente)
[TRADUCTION] Les contrats de la Couronne, en tant que société formée d'un seul membre et non constituée en vertu de la loi, ne sont pas visés par la doctrine de l'ultra vires. Dans certains cas, les pouvoirs de chacun des ministres ont été définis par la loi ... ou par des documents à caractère législatif ... Ceux-ci peuvent limiter le pouvoir de la Cou- ronne elle-même (Cugden Rutile (No. 2) Ltd. v. Chalk, [1975] A.C. 520), ou l'étendue des pouvoirs des mandataires de la Couronne (Daintith (1979) 32 Current Legal Problems 41, 42 45; voir après § 695). Mises à part ces restrictions législatives, la Couronne est habilitée à contracter sans que des dispositions législatives précises soient nécessaires à cette fin. On a laissé entendre que ce pouvait être le cas seulement des contrats qui sont accessoires aux fonctions ordinaires et reconnues du gouvernement (New South Wales v. Bardolph
(1934) 52 C.L.R. 455, 474 496, 502 et 503, 508, 518) même s'il semble que rien ne justifie en principe une telle restriction (Verreault & Fils Ltée c. P. G. du Québec (1975) 57 D.L.R. (3d) 403 (C.S. du Canada); Campbell (1970) 44 A.L.J. 14; Hogg, Liability of the Crown (1971), p. 120 et 121; Turpin, Government Contracts (1972), p. 19).
Il vaut la peine de souligner que les dispositions de l'article 5 ne limitent en aucune manière le pouvoir général du Ministre. Au contraire, il ressort à la lecture dudit article, on emploie l'expression «s'étendent à», qu'il visait à étendre les fonctions et attributions dudit Ministre aux matières qui y étaient mentionnées plutôt qu'à les restreindre. En sa qualité de chef de son ministère, le Ministre avait un mandat général «de direction et de contrôle» 180
L'examen des dispositions de la Loi sur la pro duction de défense ne m'a pas convaincu que cette dernière apportait des restrictions au pouvoir de contracter du ministre responsable de cette ques tion. Comme l'article 15 l'indiquait clairement, le ministre était habilité à «réparer ou entretenir des approvisionnements de défense» et suivant l'article 1, un aéronef faisait partie des approvisionnements de défense. L'alinéa 17(1)d) [mod. par S.C. 1967-68, chap. 27, art. 1] de la loi s'appliquait à tout contrat conclu par le ministre au nom de Sa Majesté:
17. (1) ...
d) le Ministre ne peut conclure aucun contrat sauf en conformité des règlements établis sous le régime de la Loi sur l'administration financière qui s'appliquent au contrat.
18 Le libellé utilisé dans les dispositions législatives concer- nant la création des ministères du gouvernement, la nomination du Ministre et son mandat général n'est pas uniforme (voir les articles 2 et 3 de la Loi sur le ministère du Commerce, les articles 3 et 9 de la Loi sur la production de défense et l'article 3 de la Loi sur le ministère des Approvisionnements et Servi ces, S.R.C. 1970, chap. S-18 (portant que le 1e' avril 1969 ce Ministre devient suivant l'article 103 de la Loi de 1969 sur l'organisation du gouvernement, S.C. 1968-69, chap. 28, res- ponsable de l'application de la Loi sur la production de défense) et l'article 3 de la Loi sur le ministère des Transports, S.R.C. 1952, chap. 79 (ce Ministre étant responsable de l'appli- cation de la Loi sur l'aéronautique); il semble néanmoins évident que le Ministre, nommé par commission sous le grand sceau du Canada, dirige le ministère, occupe sa charge à titre amovible et a la «gestion et la direction» du ministère. En tant que membre du Conseil privé de la Reine (voir par exemple l'article 3 de la Loi sur le ministère du Commerce), le Ministre prête un serment par lequel il s'engage notamment à «servir Sa Majesté avec loyauté et fidélité au sein de son Conseil en ce Dominion du Canada».
Je ne crois pas cependant que cette restriction soit applicable étant donné que, pour les fins qui nous intéressent, le règlement adopté en vertu de cette Loi s'appliquait seulement à un «marché de ser vice» tel qu'il y est défini 19 . Le contrat dont nous sommes saisis n'est pas visé par cette définition.
Dans la lettre-contrat du 26 mars 1969, on s'est engagé à «réserver» des travaux de réparation et de révision et à s'employer «de son mieux» à obtenir du travail supplémentaire. Ces engagements étant respectés, il fallait conclure à l'occasion pendant la durée du contrat, des marchés de service indivi- duels au sujet de l'exécution de ces travaux. Néan- moins, je ne considère pas que le Règlement sur les marchés de l'État constituait un obstacle empêchant les parties de donner suite à leur inten tion et il semble effectivement qu'il n'ait pas eu cet effet. Je ne doute pas que l'exécution réelle des travaux mentionnés dans le contrat était assujettie aux exigences contenues dans ce Règlement et qu'il faut tenir pour acquis que l'intimée devait connaître leur existence lorsque le contrat a été conclu. Il est cependant très clair, même si on allègue qu'il y a inexécution du contrat, que l'ap- pelante a en fait fourni à l'intimée une quantité importante de travail conformément à ses engage ments contenus au contrat. On ne nous a soumis aucune preuve montrant qu'un problème s'était présenté à cet égard ni que, d'une manière ou d'une autre, l'existence de ce Règlement a empê- ché l'intimée d'obtenir ce genre de travail. Cela s'explique peut-être par le fait que le Règlement sur les marchés de l'État, dans la mesure il concerne les «marchés de service», revêt une cer- taine souplesse qui aurait permis au gouvernement, par l'intermédiaire de ses ministres, et si néces- saire, du Conseil du Trésor, de fournir le travail indiqué dans le contrat sans qu'il soit nécessaire de
19 Le règlement est celui intitulé Règlement sur les marchés de l'État, DORS/64-390 modifié, pris conformément à l'article 39 de la Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1952, chap. 116. Le sous-alinéa 2(1)c)(iii) du Règlement définit cette expression comme «un marché pour la fourniture ou l'accom- plissement d'un service de quelque genre que ce soit».
faire des appels d'offres ou de tenir compte des limites d'ordre financier 20 .
Je conclus de mon analyse des circonstances de l'espèce que l'appelante est liée par le contrat en question. Étant donné cette conclusion, je m'abs- tiendrai d'examiner l'argument subsidiaire avancé par l'intimée qui a prétendu qu'elle avait aussi une cause d'action en responsabilité fondée sur les affirmations fausses et négligentes qui auraient été faites. C'est mieux ainsi vu qu'une décision que l'appelante invoque à l'appui de la proposition voulant qu'une telle cause d'action n'existe pas (Meates y Attorney -General, [1979] 1 NZLR 415 (S.C.)) a été plus tard infirmée en appel ((1983) NZLR 308 (C.A.)).
Y a-t-il eu inexécution du contrat?
Le juge de première instance a répondu à cette question en disant que, tant en ce qui concerne le travail «réservé» qu'en ce qui concerne l'obligation de faire «de son mieux», le contrat a été inexécuté. Il a conclu que l'obligation de fournir du travail «réservé» n'a été respectée que pendant l'année financière 1972-1973. Il a également statué que, sauf pour l'année financière 1972-1973, l'obliga- tion de faire «de son mieux» n'a pas été remplie au cours des années prévues au contrat. Pour en arriver à ces conclusions, il a montré une nette préférence pour les témoignages des témoins de l'intimée, et en particulier pour celui de M. D. A. Race, vice-président-directeur-général de CAE Aircraft Ltd., qu'il a manifestement cru puisqu'il l'a décrit dans ses motifs comme «un excellent témoin». M. Race a conservé des notes détaillées sur les discussions et les conversations qu'il a eues
20 Ainsi, suivant l'article 14 dudit Règlement, le ministre compétent en tant qu'«autorité contractante» pouvait ne pas se conformer aux exigences concernant la sollicitation de soumis- sions «dans les cas ou catégories de cas l'autorité contrac- tante considère que la sollicitation de soumissions n'est pas d'intérêt public»; la restriction apportée au pouvoir d'un minis- tre de conclure un marché de service suivant le montant qui y était payable ainsi que la nécessité dans certaines circonstances de faire des appels d'offres, ne s'appliquait que lorsqu'un ministre agissait «sans l'agrément du Conseil du Trésor». On ne nous a soumis aucune preuve montrant que l'approbation que le Conseil du Trésor pouvait donner en vertu de l'article 6 du Règlement (si elle était en fait requise) n'a pas été donnée. On peut trouver certains éléments de preuve concernant l'approba- tion du Conseil du Trésor dans le dossier du procès (Voir la preuve, p. 532, lignes 19 à 24; p. 2191, lignes 19 à 26; p. 2848, lignes 17 à 31; p. 3055, lignes 10 à 21).
à ce sujet avec les ministres du Cabinet et les hauts fonctionnaires du gouvernement. Le juge a écrit aux pages 28 et 29 de la partie non publiée de ses motifs de jugement au sujet du témoignage de celui-ci concernant les efforts faits par l'intimée pour obtenir du travail du gouvernement et le manque à gagner à l'inexécution du contrat:
. je le crois quand il affirme avoir constamment pressé la défenderesse, ou plutôt ses ministres et leurs subordonnés, de lui fournir du travail de façon à atteindre les 700,000 heures, et quand il dit avoir suggéré et présenté des plans de travaux à confier à l'Aircraft. Je le crois aussi, ainsi que M. L. H. Prokop, au sujet du calcul du manque à gagner des demanderesses ...
Pendant la première partie de la durée du con- trat, la charge de travail de l'intimée à la base de Winnipeg a connu une croissance considérable. Mais ce fut de courte durée en raison de la perte de deux contrats importants. En 1969, Northwest Industries Ltd. s'est vu adjuger par un entrepre neur principal, Canadian Commercial Corpora tion, un contrat de révision et de réparation d'un certain nombres d'appareils militaires américains appelés «T-39»; le contrat a par la suite été trans- féré à CAE Aircraft Ltd. Il a été résilié à compter de la fin de 1971. Selon le juge de première instance, la résiliation du contrat «fut un coup dur» pour l'intimée. S'ajouta à cela, à la fin de l'année financière 1970-1971, la réduction progressive des travaux de réparation et de révision de la flotte d'appareils Viscount d'Air Canada. Le juge de première instance était satisfait des mesures prises par l'intimée pour réagir à ces revers car, aux pages 30 et 31 de la partie non publiée de ses motifs de jugement, il dit:
À la suite de ces revers, l'Aircraft, en les personnes de Race et de Reekie, exerça une pression continuelle sur la défende- resse et les divers ministères du gouvernement. Race s'adressa à des ministres et à d'autres hauts fonctionnaires pour obtenir le respect des engagements de fourniture de travail prévus par la convention du 26 mars 1969. On a administré au nom des demanderesses une preuve fort importante, littérale et testimo- niale, à ce sujet.
Cette preuve peut être résumée en peu de mots. À part ce qu'on pourrait qualifier d'engagements symboliques, nul travail important n'a été confié à l'Aircraft en exécution des engage ments souscrits.
Il semble inutile d'examiner en détail la preuve sur laquelle le juge de première instance s'est fondé pour conclure à l'inexécution du contrat. On a admis que certains des programmes de travail satisfaisaient aux obligations de fournir du travail «réservé» comme le prévoyait le contrat. L'appe-
lante soutient que d'autres programmes auraient être considérés de la même manière, mais le juge de première instance a indiqué son désaccord à ce sujet. Il n'a pas voulu admettre non plus que plusieurs programmes satisfaisaient à l'obligation de faire «de son mieux». Par contre, il était d'avis que les programmes individuels contenus dans un projet de charge de travail (pièce P-150(19), en date du 23 avril 1971) préparé par le directeur de la Direction de l'aéronautique et de l'espace du ministère des Approvisionnements et Services peu de temps après qu'on eut appris que le programme de travail des T-39 serait annulé, auraient consti- tué une exécution de l'obligation de faire «de son mieux» s'ils avaient été offerts à l'intimée. Étant donné que de nombreux éléments de preuve étayaient ses conclusions, je n'entends pas les modifier et je souscris à la conclusion générale à laquelle il est arrivé.
Le juge de première instance était également d'avis que l'appelante a été amenée à ne pas remplir les engagements pris le 26 mars 1969 parce qu'elle croyait que ceux-ci n'avaient pas force obligatoire. Cette opinion se fonde dans une certaine mesure sur la preuve concernant la réac- tion du ministère des Approvisionnements et Servi ces au projet de CAE Aircraft Ltd. d'établir un centre d'entretien pour appareils à réaction à Win- nipeg. Un mémoire daté du 29 novembre 1973 et adressé par le directeur de la Direction de l'aéro- nautique et de l'espace à un autre fonctionnaire de cette direction portait que le projet était [TRADUC- TION] «incompatible avec la position actuelle du ministère» qui était [TRADUCTION] «d'abandonner progressivement cette compagnie et de respecter l'engagement du gouvernement face à Winnipeg en réaffectant la charge de travail provenant du gouvernement à l'industrie aéronautique et aéros- patiale à Winnipeg». De toute façon, il est clair que le juge de première instance a considéré parti- culièrement révélateur la manière dont le gouver- nement a accueilli la tentative de CAE Aircraft Ltd. d'obtenir les travaux de réparation et de révision de la flotte d'appareils Boeing 707 du ministère de la Défense nationale. Pendant la durée du contrat, ces travaux devaient être confiés à l'entreprise privée. CAE Aircraft Ltd. avait reçu de la part du ministre responsable la promesse orale qu'elle obtiendrait ces travaux et cette pro- messe avait été confirmée par un collègue membre
du cabinet. Le juge de première instance a conclu que la compagnie avait accordé une grande impor tance à cette promesse car celle-ci constituait la pierre d'assise de son projet d'établissement d'un centre d'entretien pour appareils à réaction à Win- nipeg. À l'automne 1974, le ministère des Approvi- sionnements et Services et le Conseil du Trésor ont tous deux donné leur approbation pour que la compagnie obtienne les travaux, mais cette déci- sion a été renversée peu après et les travaux ont été accordés à une compagnie concurrente, la Tran- sair. Aux pages 40 et 41 de la partie non publiée de ses motifs de jugement, le juge de première instance a fait les commentaires suivants sur la tournure des événements:
La décision, on le comprendra, consterna l'Aircraft ainsi que Race et Reekie. Reekie rencontra le ministre des Approvision- nements et Services, M. Goyer, le 23 décembre 1974. Le sous-ministre était aussi présent. Goyer informa Reekie de la
décision de confier l'entretien des 707 la Transair. Reekie prétendit sans ambages que c'était contraire aux engagements souscrits dans la lettre du 26 mars 1969. Goyer répondit à Reekie qu'en ce qui le concernait (lui, Goyer), aucune obliga tion n'avait été contractée envers l'Aircraft en vertu de la lettre de mars, laquelle d'ailleurs ne valait rien et qu'il n'avait nulle- ment l'intention de faire quoi que ce soit à son égard.
Reekie répliqua à Goyer que cela ne laissait à la compagnie d'autre choix que d'ester. D'après Reekie, voici quelle fut la réponse de Goyer:
[TRADUCTION] M. Goyer m'a alors informé que—il m'a dit qu'il serait fort peu sage de la part de notre compagnie d'agir en justice contre le gouvernement sur le fondement de la lettre du 26 mars 1969; il me détruirait alors, moi et ma compagnie. Ce sont ses termes mêmes.
Q. Et qu'avez-vous répondu à M. Goyer?
R. J'ai dit à M. Goyer qu'il pouvait faire ce qu'il voulait quant à lui; quant à nous, nous savions ce qu'il nous restait à faire, et là-dessus je me suis levé et je suis sorti.
Et il a ajouté à la page 44:
Race a poursuivi:
[TRADUCTION] M. D.G. HILL:
Q. Outre ces contrats, qu'avez-vous discuté de plus avec M. Goyer?
R. Et bien, M. Goyer, fort explicitement, m'a dit, pour reprendre ses mots, que si je choisissais de «déchirer la maudite lettre» cela ne pourrait qu'améliorer les relations entre le gouvernement fédéral et la CAE et en particulier entre le M.A.S. et la CAE.
La «maudite lettre», c'est la lettre du 26 mars 1969.
Cette preuve montre que le ministre des Approvisionnements et Services de l'époque ne considérait pas la lettre de 1969 comme un contrat. Ses gestes démontrent tout ce que l'on voudra, sauf que son ministère s'est employé à faire «de son mieux».
L'examen de l'affaire m'amène à souscrire à l'opinion du juge de première instance voulant que l'appelante n'ait pas exécuté le contrat. C'est pour- quoi il devient nécessaire de me pencher sur les divers arguments et contre-arguments avancés par les parties, et portant que les dommages-intérêts accordés étaient soit trop élevés soit trop bas. Il faut aussi examiner la prétention de l'appelante voulant que, de toute façon, il n'y avait pas lieu d'accorder des dommages-intérêts pour la perte de capital.
Les dommages-intérêts
L'intimée a réclamé des dommages-intérêts au montant de 2 520 000 $ pour le manque à gagner et de 3 400 000 $ pour la perte de capital. Le juge de première instance a évalué les dommages-inté- rêts à 1 900 000 $ pour le manque à gagner et à 2 400 000 $ pour la perte de capital. Il a agi ainsi parce qu'il estimait que la réclamation pour le manque à gagner ainsi que celle pour la perte de capital devaient être réduites, la première d'envi- ron un quart et la seconde, d'environ un tiers. Il a admis par ailleurs les autres éléments de preuve présentés par l'intimée. L'appelante allègue que la créance pour perte de capital n'est pas recouvrable parce qu'elle est trop indirecte et incertaine. Les deux parties ont présenté des témoignages d'opi- nion au sujet du calcul des dommages-intérêts réclamés sous cette rubrique. L'appelante soutient de toute façon que les sommes accordées étaient excessives compte tenu de la preuve. L'intimée prétend que les dommages-intérêts réduits par le juge de première instance devraient être rétablis.
Il n'appartient évidemment pas à cette Cour siégeant en appel d'évaluer les dommages-intérêts car si elle agissait ainsi, elle enlèverait au juge de première instance cette fonction qui lui revient de plein droit. Il a déjà été statué à plusieurs reprises qu'une cour d'appel ne devrait pas infirmer la décision d'un juge de première instance quant au montant des dommages-intérêts pour la simple raison qu'elle estime que, si elle avait été saisie de l'affaire en première instance, elle aurait accordé une somme inférieure ou supérieure. Pour que la cour soit justifiée d'infirmer la décision du juge de première instance quant à son évaluation des dom- mages-intérêts, il faut démontrer qu'il s'est fondé sur un principe erroné. (Voir par exemple Guerin et autres c. La Reine et autre, [1984] 2 R.C.S.
335; (1985), 55 N.R. 161, le juge Dickson aux pages 390 et 391 R.C.S.; 178 N.R.; et le juge Wilson à la page 364 R.C.S.; 191 N.R.; Nance v. British Columbia Electric Ry. Co. Ld., [1951] A.C. 601 (P.C.), à la page 613; Flint v. Lovell, [1935] 1 K.B. 354 (C.A.) le lord juge Greer à la page 360.)
Gardant ces principes à l'esprit, je vais mainte- nant examiner les prétentions portant que les dom- mages-intérêts accordés sous ces deux rubriques étaient trop bas ou trop élevés, et que la réclama- tion concernant la perte de capital n'aurait pas être accueillie.
a) Manque à gagner
On ne m'a pas convaincu que le juge de pre- mière instance a commis une erreur de principe en évaluant les dommages-intérêts ou en réduisant le montant des dommages-intérêts accordés. Il a pris soin d'expliquer les motifs qui l'avaient amené à les réduire et le fait que, vu l'absence d'éléments de preuve, il pouvait être difficile de calculer préci- sément la diminution ne constitue pas une raison de rejeter celle-ci parce qu'elle aurait été erronée. Il était d'avis que les dommages-intérêts ne pou- vaient et ne devaient pas «être évalués sur une base purement mathématique.» Malgré cette difficulté, l'intimée avait le droit [TRADUCTION] «[d'être remise] dans une situation aussi avantageuse, pour autant que cela puisse se faire par l'allocation d'une somme d'argent, que si le contrat avait été exécuté» (le vicomte Haldane L.C., dans British Westinghouse Electric and Manufacturing Com pany v. Underground Electric Railways Company of London, [1912] A.C. 673 (H.L.), à la page 689, cité par le juge Spence dans Penvidic Contracting Co. Ltd. c. International Nickel Co. of Canada Ltd., [ 1976] 1 R.C.S. 267, la page 278). A mon avis, les remarques du juge Davies dans l'arrêt Wood v. Grand Valley Railway Co. et al. (1915), 51 R.C.S. 283, la page 289, au sujet de l'affaire Chaplin v. Hicks, [1911] 2 K.B. 786 (C.A.), s'ap- pliquent aussi en l'espèce:
[TRADUCTION] À la lumière des faits de cette cause, c'était vraiment impossible d'évaluer avec grande précision le préju- dice subi par la demanderesse, mais il me semble que les savants juges ont clairement établi qu'une telle impossibilité ne «décharge pas pour autant l'auteur du préjudice de l'obligation de payer des dommages pour la rupture du contrat» et que d'autre part, le tribunal doit évaluer le préjudice même si, en pareilles circonstances, le jury ou le juge doit «agir au mieux»,
et sa conclusion ne sera pas infirmée même si le montant accordé n'est en fait que le fruit de conjectures.
Ces remarques ont été adoptées à l'unanimité par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Penvidic à la page 279.
Je rejetterais par conséquent l'appel ainsi que l'appel incident sur cet aspect de l'affaire.
b) Perte de capital
Trois motifs ont été invoqués pour contester le montant des dommages-intérêts accordés sous cette rubrique. L'appelante soutient d'abord qu'une erreur a été commise dans le calcul du montant desdits dommages-intérêts. Ensuite, l'inti- mée prétend que le juge de première instance a commis une erreur en réduisant le montant des dommages-intérêts qui avaient été calculés d'une manière différente. Enfin, l'appelante fait valoir que de toute façon il n'y avait pas lieu d'accorder des dommages-intérêts de la nature de ceux récla- més sous cette rubrique. Étant donné ma conclu sion concernant le troisième point de contestation, il devient inutile d'examiner les deux autres.
Ce troisième point a été débattu longuement et mérite qu'on s'y arrête. L'appelante allègue que la réclamation est trop indirecte et indéterminée pour qu'il soit possible d'accorder des dommages-inté- rêts pour inexécution de contrat. L'exposé classi- que des principes régissant le recouvrement de dommages-intérêts découlant de l'inexécution de contrat se trouve dans le jugement de la Cour de l'Échiquier Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341; 156 E.R. 145 le baron Alderson a dit (aux pages 354 et 355 Ex.; 151 E.R.):
[TRADUCTION] Nous croyons que la règle équitable dans un cas tel que celui en cause est la suivante: Lorsque deux parties ont passé un contrat que l'une d'elle a rompu, la réparation que l'autre partie doit recevoir pour cette rupture doit être celle qu'on peut considérer justement et raisonnablement soit comme celle qui découle naturellement, c'est-à-dire selon le cours normal des choses, de cette rupture du contrat, soit comme celle que les deux parties pouvaient raisonnablement et probable- ment envisager, lors de la passation du contrat, comme consé- quence probable de sa rupture. Cependant, si les demandeurs avaient porté à la connaissance des défendeurs les circonstances spéciales dans lesquelles le contrat avait été conclu et qu'elles aient été connues des deux parties, les dommages-intérêts exigi- bles par suite de la rupture du contrat et envisagés par les deux parties seraient donc directement fondés sur le préjudice décou- lant normalement d'une rupture de contrat dans les circons- tances particulières telles qu'elles étaient connues et avaient été révélées. Mais d'un autre côté, si ces circonstances spéciales
étaient totalement inconnues de la partie qui rompt le contrat, tout au plus pourrait-on considérer qu'elle avait en vue le préjudice qui découlerait généralement et dans la majorité des cas, abstraction faite de toutes circonstances particulières, à la suite d'une rupture de contrat. Car, si les circonstances particu- lières avaient été connues, on peut supposer que les parties auraient stipulé des clauses spéciales quant aux dommages-inté- rêts exigibles en cas de rupture de contrat; et il serait très injuste de les priver de cet avantage. Voilà les principes que les jurés devraient suivre lorsqu'il s'agit d'estimer les dommages résultant d'une rupture de contrat.
Cette règle a été appliquée en de nombreuses occasions au Canada. Elle a été reformulée par la Cour d'appel d'Angleterre dans Victoria Laundry (Windsor), Ld. v. Newman Industries Ld., Coulson & Co., Ld. (Third Parties), [ 1949] 2 K.B. 528, formulation qui à son tour a fait l'objet de réserves par la Chambre des lords dans Czarnikow (C.) Ltd. v. Koufos, [1969] 1 A.C. 350. Dans cette dernière affaire, la majorité des lords a de manière générale appuyé la sixième proposition (invoquée par l'intimée) avancée par lord juge Asquith dans l'affaire Victoria Laundry la page 540):
(6.) Enfin, pour qu'une perte particulière puisse être indem- nisée, il n'est pas non plus nécessaire de prouver que, d'après certains renseignements donnés, le défendeur pouvait, agissant en homme raisonnable, prévoir qu'une rupture entraînerait nécessairement cette perte. Il suffit qu'il puisse prévoir qu'elle pouvait vraisemblablement en découler. Il suffit en fait ... que la perte (ou quelque facteur l'ayant provoquée) constitue une «possibilité sérieuse» ou «un danger réel». Pour être bref, nous avons utilisé le terme «susceptible» d'en découler.
L'appelante affirme que la réclamation pour perte de capital ne tombe pas sous le coup de ces principes et aurait être rejetée à l'instruction. Elle invoque en particulier l'affaire Freedhoff v. Pomalift Industries Ltd. et al., [1971] 2 O.R. 773 (C.A.). Dans cette affaire, le demandeur cherchait à obtenir une indemnité pour la perte matérielle résultant de l'inexécution d'un contrat de vente et d'installation d'un remonte-pente. Le juge de pre- mière instance a admis qu'il y avait eu inexécution du contrat et qu'une indemnité pour perte maté- rielle ainsi que pour d'autres pertes pouvait être accordée. La Cour d'appel a toutefois statué que, compte tenu des circonstances de l'opération, les dommages résultant de la perte matérielle étaient trop indirects pour qu'une indemnité soit accordée.
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire que je me prononce sur la question de savoir si, en vertu des principes concernant le caractère indirect susmen- tionnés, une indemnité peut être accordée pour la
perte de capital. L'intimée a présenté le témoi- gnage d'un expert, un nommé Kent, au sujet de l'évaluation de l'entreprise et il est clair que le juge de première instance a préféré son témoignage à celui de l'expert de l'appelante. Il a affirmé dans son témoignage que si le contrat avait été exécuté, la valeur maximum d'exploitation de CAE Air craft Ltd. au 31 mars 1976 (qui était la date finale du contrat) aurait été de 3 600 000 $ alors qu'elle avait une valeur d'exploitation réelle de 200 000 $ à cette date, soit une perte de capital de 3 400 000 $. Le juge de première instance a conclu à la page 54 de la partie non publiée de ses motifs de jugement que même si «les méthodes et les prémisses de Kent étaient bonnes», il fallait pour les raisons qu'il a indiquées réduire à 2 400 000 $ les dommages-intérêts pour perte de capital.
En toute déférence, l'argument de l'appelante selon lequel la décision portant qu'une indemnité pouvait être accordée pour les dommages résultant de la perte de capital comportait en l'espèce une erreur de principe de la part du juge de première instance me paraît fondé. Cette erreur réside à mon avis dans la qualité de la preuve soumise à l'appui de certaines hypothèses sous-jacentes faites par M. Kent lorsqu'il a exprimé son opinion. Ces hypothèses, dont il a dit expressément que son opinion dépendait, sont énoncées à la pièce P-151 qui figure aux pages 5917 et 5918 du dossier d'appel:
[TRADUCTION] Choix du taux de capitalisation et hypothèses sous-jacentes
Nous avons choisi les taux de capitalisation de 11,1 % à 14,3 % pour l'évaluation de l'exploitation de la compagnie projetée au 31 mars 1976 en nous fondant sur notre examen des conditions économiques et des conditions du marché boursier et du marché monétaire au Canada au 31 mars 1976 (voir l'annexe E). Il a aussi été nécessaire de formuler certaines hypothèses quant aux conditions qui auraient probablement un effet sur ladite compagnie projetée à la date de l'évaluation et qui, par conséquent, influenceraient le choix d'un taux appro- prié de capitalisation.
À cet égard, il était nécessaire de prendre comme hypothèse que la compagnie continuerait, après la date d'évaluation, à obtenir à la fois du secteur public et du secteur privé des travaux en quantité suffisante pour maintenir des niveaux d'exploitation égaux ou supérieurs à ceux que l'on estimait avoir atteints de 1971 à 1976 inclusivement. Il semblerait raisonnable de présumer que la compagnie aurait acquis au cours de la période allant de 1971 à 1976 une réputation d'exploitation rentable et que cette réputation lui permettrait d'obtenir de nouveaux travaux dans les années à venir. En outre, nous avons présumé que ces nouveaux travaux pourraient être effectués aux installations de la compagnie. Dans l'éven-
tualité il n'aurait pas existé suffisamment de travail compa tible, la direction nous a indiqué que les fonds nécessaires pour transformer les installations et permettre d'effectuer le travail offert auraient pu facilement être obtenus à condition qu'une entreprise viable soit en place.
Il est ressorti de nos discussions avec la direction au sujet de la situation de concurrence que peu ou pas d'autres compagnies au Canada auraient la même capacité, les mêmes possibilités et les mêmes installations que CAE Aircraft Ltd. Étant donné que les installations de la compagnie sont nombreuses et uniques dans cette industrie, la compagnie était à même d'effectuer tous les travaux nécessaires de réparation et de révision sur les avions à turbopropulseur, les avions à moteur à pistons et les avions militaires et les avions à réaction civils de petite ou de moyenne grandeur. La possibilité que d'autres compagnies deviennent des concurrents sérieux dans ce domaine était faible étant donné que les coûts et les efforts requis pour reproduire de telles installations auraient été énormes, et c'est pourquoi il existait peu de risques que la compagnie voit son chiffre d'affaires diminuer au profit de nouveaux concurrents.
Il était en outre nécessaire de présumer que les installations de la compagnie seraient d'une capacité suffisante pour effectuer 700000 heures-travail par année. En 1970 et 1971, la compa- gnie a prouvé qu'elle pouvait atteindre un niveau d'exploitation de plus de 900 000 heures-travail dans les installations de base
équivalentes telles qu'elles existaient de 1971 1976 et ont continué d'exister après la date d'évaluation.
Nous avons également présumé que la compagnie n'aurait aucune difficulté majeure à obtenir les travaux et les matériaux nécessaires pour fonctionner à un rythme de 700 000 heures- travail. Il est ressorti de nos discussions avec la direction que la compagnie maintiendrait vraisemblablement avec l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aéroastro- nautique, loge 2397, les relations amicales qu'elle a entretenues avec celle-ci pendant ses premières années d'exploitation. Nous avons en outre pris pour hypothèse que la compagnie serait capable d'obtenir de diverses sources fiables les pièces d'avions et autres matériaux.
L'expression «la compagnie projetée» est décrite comme suit ailleurs dans la même partie de l'opinion:
[TRADUCTION] Aux fins de la présente partie, la compagnie projetée est censée être la compagnie actuelle, CAE Aircraft Ltd., si on suppose que son exploitation à un rythme de 700 000 heures-travail directes au titre de travaux effectués sur des avions, ce qui aurait respecté l'engagement allégué du gouver- nement, ainsi qu'au titre d'autres travaux divers effectués depuis la création de la compagnie lui aurait permis de réaliser certains gains pour la période du 1e" avril 1971 au 31 mars 1976.
L'intimée a attiré notre attention sur certains éléments de preuve qui, à son avis, supportent ces hypothèses sous-jacentes. Mais, dans l'ensemble, j'estime qu'ils sont trop ténus et trop hypothétiques pour qu'on admette qu'ils servent de fondement factuel aux hypothèses de l'estimateur. C'est parti- culièrement le cas, par exemple, des hypothèses au
sujet des niveaux d'exploitation et des gains que la compagnie pourrait continuer à réaliser une fois que le contrat aurait pris fin le 31 mars 1976. Il m'est impossible de conclure en me fondant sur ces éléments de preuve que l'on a démontré de manière satisfaisante les faits servant de fonde- ment à ces hypothèses importantes et que l'opinion de l'estimateur pourrait servir de preuve devant une cour de justice.
Je conclus que l'appel devrait être accueilli sur ce point et que les dommages-intérêts accordés en première instance devraient être réduits en conséquence.
Intérêts et dépens
L'appelante conteste les taux d'intérêt accordés par le juge de première instance dans son jugement rendu le 31 juillet 1982. A la page 7 de ses motifs de jugement prononcés le 18 novembre 1983 au sujet d'une demande présentée par l'intimée afin d'obtenir des directives spéciales concernant les frais taxables et les frais des témoins experts ainsi qu'une augmentation du taux d'intérêt fondée sur la décision rendue par cette Cour dans l'affaire Domestic Converters Corporation c. Arctic Steamship Line, [1984] 1 C.F. 211; (1983), 46 N.R. 195 (C.A.), le juge a dit:
Le jugement rendu dans l'affaire Domestic Converters m'au- torise à accorder un taux d'intérêt autre que 5 % pour la période postérieure au jugement. A ma demande, l'avocat des demanderesses m'a fourni les taux de la Banque du Canada pour plusieurs années jusqu'au mois d'avril 1983 inclusivement. J'ai obtenu les taux pour les mois de mai à juillet de l'année en cours.
Les taux hebdomadaires du mois d'août 1983 (sic) à la fin du mois de juillet 1983 varient de 15,60 % à 9,27 %. Le taux hebdomadaire moyen est de 10,9 % environ.
Le taux d'intérêt pour la période postérieure au jugement s'étendant du 31 juillet 1982 au 30 juillet 1983 sera fixé à 10,9%.
Après le 31 juillet 1983, le taux d'intérêt annuel sera de 5 % ou le taux moyen de la Banque du Canada selon le plus élevé de ces taux, jusqu'à ce que le jugement soit exécuté.
Le taux d'intérêt de 5 % est évidemment celui prévu à l'article 3 de la Loi sur l'intérêt, S.R.C. 1970, chap. I-18.
L'appelante prétend en fait que la décision rendue dans l'arrêt Domestic Converters était erro- née et que la Cour devrait la réviser. Je ne peux
accepter cette prétention. Cet arrêt concernait le pouvoir conféré à la Cour par l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale:
40. A moins qu'il n'en soit autrement ordonné par la Cour, un jugement, notamment un jugement contre la Couronne, porte intérêt à compter du moment le jugement est rendu au taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.
et il portait, suivant les termes mêmes du juge Pratte la page 229 C.F.; à la page 208 N.R.), que cet article donne le pouvoir à la Cour «d'or- donner qu'un jugement porte ou ne porte pas intérêt et, dans le premier cas, de fixer le taux de cet intérêt et le moment après le jugement à compter duquel il commencera à courir». Les juges Le Dain et Lalande qui connaissaient également de cette affaire ont souscrit à cette opinion. En fixant les taux d'intérêt pour les périodes posté- rieures au jugement, le juge de première instance a agi, à mon avis, dans les limites du pouvoir qui lui a été conféré. Je ne peux souscrire à la prétention de l'appelante selon laquelle ce pouvoir se limite à ordonner que le jugement porte ou ne porte pas intérêt et qu'il n'autorise pas la Cour à fixer un taux d'intérêt supérieur à celui prévu à l'article 3 de la Loi sur l'intérêt. En ce qui nous concerne, cette question a été tranchée par l'arrêt Domestic Converters. Je rejetterais donc cet élément de l'appel.
Dans sa décision du 18 novembre 1983, le juge de première instance a refusé d'augmenter les frais entre parties à l'instruction au-delà de ce qui est prévu au tarif B des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663]. L'instruction a duré plusieurs jours et a nécessité des frais considérables. Selon les calculs de l'intimée, près de 650 000 $ ont été engagés au titre de frais juridiques seulement. Elle a extrapolé en disant que, compte tenu du tarif, il serait possible de recouvrer de 11 000 $ à 12 000 $. Au titre de frais entre parties plus les déboursés. Devant une cour supérieure d'une province comme l'Ontario par exemple, l'intimée aurait peut-être pu obtenir un montant plus élevé de frais entre parties qu'en vertu des Règles de la Cour. Mais le juge de première instance devait appliquer ces Règles qui prévoient, sous réserve d'un certain pouvoir discrétionnaire, que le tarif s'applique (Règle 344).
À mon avis, le juge de première instance a bien présenté la question en exerçant sa discrétion. Il a
invoqué deux décisions antérieures de cette Cour et sa propre décision dans l'arrêt Midway Mfg. Co. c. Bernstein, [1983] 1 C.F. 510 (ire inst.), à la page 519, il a dit:
Personnellement, bien que je souscrive aux critiques que les tarifs sont très bas, je n'ai jamais jusqu'à maintenant augmenté les tarifs dans aucun cas ... Je suis d'avis qu'une augmentation doit rarement être accordée. J'appuie cette décision sur deux arrêts de la Cour d'appel ... Je suis d'accord que les tarifs sont très bas. Mais je suis d'avis que le remède consiste à modifier les Règles relatives aux tarifs, plutôt qu'à demander au juge de contourner les tarifs en les augmentant dans un cas particulier.
Même si je partage sa «sympathie» dans le cas présent, il m'est impossible d'affirmer qu'il a exercé sa discrétion à tort alors qu'il ne considérait pas que cette affaire faisait exception à sa pratique habituelle. Je rejetterais donc cet élément de l'ap- pel incident.
En fin de compte, je rejetterais tous les éléments de l'appel ainsi que l'appel incident sauf l'appel visant les dommages-intérêts accordés pour la perte de capital. Étant donné que les parties ont eu gain de cause de manière égale, il n'y aura pas d'adjudication de dépens en cette Cour.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.