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T-2043-85
Jeffrey Rogers Knitwear Productions Limited et Jeffrey Rogers Fashions Canada Inc. (demande- resses)
C.
R.D. International Style Collections Ltd. (défen- deresse)
Division de première instance, juge Dubé— Montréal, 30 septembre; Ottawa, 4 octobre 1985.
Droit d'auteur Demande d'injonction interlocutoire inter- disant à la défenderesse de vendre toute copie de l'ceuvre artistique appelée «Diamond Jacquard. Les pull-overs de la défenderesse portent des reproductions de l'ceuvre artistique des demanderesses La Cour fédérale accorde des injonc- tions interlocutoires dans les cas de violation flagrante de la Loi sur le droit d'auteur Les dessins utilisés comme échan- tillons et destinés à être multipliés par un procédé industriel sont protégés par la Loi sur les dessins industriels et non par la Loi sur le droit d'auteur Aux termes de la Règle 11(1) un dessin est censé être utilisé à cette fin (1) lorsqu'il est reproduit dans plus de 50 articles différents et (2) lorsqu'il est appliqué à des produits déterminés La conjonction «et.. doit-elle être interprétée comme ayant un effet disjonctif de sorte que les demanderesses ne bénéficieraient pas de la protection accordée par la Loi sur le droit d'auteur? Jurisprudence discordante Aucun dessin ne peut répondre à tous les critères énoncés aux al. 11(1)a) et b) Cette interprétation empêcherait dans les faits tout enregistrement sous le régime de la Loi sur les dessins industriels Les décisions de la Cour fédérale portant que la conjonction «et» doit être interprétée comme ayant un effet conjonctif ont force exécutoire Quoi qu'il en soit, une injonction interlocutoire est accordée, compte tenu du fait que le dessin des demanderesses a été violé de manière flagrante et que la question à trancher est sérieuse Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 36, 45, 46(1),(2) Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. 1-8 Règles régissant les dessins industriels, C.R.C., chap. 964, Règle 11(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Royal Doulton Tableware Ltd. et al. c. Cassidy's Ltd.- Cassidy's Ltée (1984), 1 C.P.R. (3d) 214 (C.F. 1' inst.); Interlego AG et autre c. Irwin Toy Ltd. et autre (1985), 3 C.P.R. (3d) 476 (C.F. 1" inst.); Bayliner Marine Corp. c. Doral Boats Ltd. (1985), 5 C.I.P.R. 268 (C.F. 1"° inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Universal City Studios, Inc. c. Zellers Inc., [1984] 1 C.F. 49; (1983), 73 C.P.R. (2d) I (1" inst.); Horn Abbot Ltd. c. W.B. Coulter Sales Ltd. (1984), 1 C.I.P.R. 97 (C.F. 1" inst.); International Business Machines Corporation c. Ordinateurs Spirales Inc., [1985] 1 C.F. 190 (1" inst.); Duomo Inc. c. Gificraft Ltd. (1984), 3 C.I.P.R. 70 (C.F. I" inst.).
DECISIONS CITÉES:
American Cyanamid Co v Ethicon Ltd, [1975] 1 All ER 504 (H.L.); Con Planck, Ld. v. Kolynos, Incorporated, [1925] 2 K.B. 804; King Features Syndicate, Incorpora ted v. Kleeman (O. & M.) Ld., [1941] A.C. 417 (H.L.); Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd. and National Sales Incentives Ltd. (1964), 44 C.P.R. 239 (H.C. Ont.); Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd., [1966] 1 O.R. 409 (C.A.).
AVOCATS:
François Guay et Robert Brouillette pour les demanderesses.
George Glezos et Richard S. Levy pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Lapointe Rosenstein, Montréal, pour les demanderesses.
Adessky, Kingstone, Montréal, pour la défen- deresse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE Dust: La présente demande vise à obtenir une injonction interlocutoire interdisant à la défenderesse de fabriquer ou de vendre toute copie de l'oeuvre artistique appelée «Diamond Jac- quard» jusqu'à l'ouverture de l'instruction ou jus- qu'à ce que la question soit autrement tranchée.
La déclaration jointe à la requête allègue que la demanderesse Jeffrey Rogers 6Knitwear Produc tions Limited («U.K.») est propriétaire du droit d'auteur «Diamond Jacquard», d'identification KP5570, d'enregistrement 346189, enregistré au Canada le 18 septembre 1985. La demanderesse Jeffrey Rogers Fashions Canada Inc. («Canada») est la distributrice exclusive au Canada des vête- ments U.K. et la titulaire exclusive dans ce pays du droit d'auteur relatif à ces vêtements. Les demanderesses prétendent que la défenderesse a importé d'Angleterre et vend à des détaillants canadiens, sous l'étiquette «Razzle Dazzle», divers pull-overs qui portent des reproductions de l'ouvre artistique susmentionnée.
La preuve sous forme d'affidavit et les pièces déposées à l'audience démontrent clairement que la défenderesse a vendu à la société Sears un pull-over qui est de toute évidence une imitation
du pull-over «Diamond Jacquard». Le motif qui se trouve sur le pull-over portant le d'identification KP5570 a tout simplement été inversé sur l'autre pull-over.
Il est de droit constant qu'en matière d'injonc- tion, le requérant doit généralement établir une solide preuve prima facie et faire la preuve d'un préjudice irréparable. Lorsque la partie adverse démontre qu'elle a une cause défendable et sérieuse, la Cour doit examiner la question du plus grand préjudice pour les parties. Depuis la décision rendue par lord Diplock au nom de la Chambre des lords dans l'affaire American Cyanamid Co v Ethicon Ltd', l'élément prima facie a été défini en termes plus généraux comme une «question sérieuse à être tranchée».
Toutefois, dans les cas de violation flagrante de droits d'auteur enregistrés sous le régime de la Loi sur le droit d'auteur 2 , les juges de la Cour fédérale accordent des injonctions interlocutoires sans con- sidérer la question du préjudice irréparable ni celle du plus grand préjudice. Dans la cause Universal City Studios, Inc. c. Zellers Inc. 3 , le juge Walsh a interdit à la défenderesse de continuer à acheter et à vendre des poupées «E.T.» et a déclaré aux pages 60 et 61 C.F.; 10 C.P.R.:
La protection des droits de propriété industrielle contre la contrefaçon revêt une importance croissante. En principe, ces droits devraient être protégés, que leur violation cause ou non un préjudice grave.
Dans l'affaire Horn Abbot Ltd. c. W.B. Coulter Sales Ltd. °, le juge Cattanach a interdit la distri bution de jeux parce que ceux-ci portent atteinte au droit d'auteur de la demanderesse sur le jeu «Trivial Pursuit». Voici ce qu'il a dit aux pages 107 et 108:
En matière de droit d'auteur, il n'est pas nécessaire d'appor- ter la preuve d'un préjudice réel. Le droit du propriétaire du droit d'auteur ne se mesure pas à l'aune du préjudice réel qu'il a subi. Le droit d'auteur est un droit de propriété et le propriétaire a droit à la protection de celui-ci. En cas de violation, l'on délivrera une injonction sans exiger la preuve d'un préjudice réel.
Dans la cause International Business Machines
' [1975] 1 All ER 504 (H.L.).
2 S.R.C. 1970, chap. C-30.
3 [1984] 1 C.F. 49; (1983), 73 C.P.R. (2d) 1 (1" inst.).
4 (1984), 1 C.I.P.R. 97 (C.F. 1" inst.).
Corporation c. Ordinateurs Spirales Inc. 5 , le juge Reed a examiné le droit d'auteur des demanderes- ses sur un programme d'ordinateur intitulé «IBM Personal Computer Basis Input Output System - 1.0». Elle a estimé qu'il serait difficile de conclure que les demanderesses subiraient un préjudice irré- parable, mais la page 206]:
... à cause de l'encouragement que le fait de ne pas accorder l'injonction donnerait à nombre d'autres sociétés de se lancer dans l'importation et la vente d'ordinateurs comportant le programme pour lequel la demanderesse détient un certificat de droit d'auteur—à cause de l'effet d'avalanche. L'avocat de la demanderesse a exprimé ce phénomène de façon imagée en parlant d'une [TRADUCTION] «mort à coups d'épingle».
Dans la cause Duomo Inc. c. Giftcraft Ltd. 6 , le juge Strayer a abordé la question des droits d'au- teur relativement à des photographies de Sa Sain- teté le pape Jean-Paul II et il a déclaré aux pages 74 et 75:
Je suis donc convaincu qu'une solide preuve prima facie a été établie et que dans les circonstances il est inutile de s'attarder davantage sur la question du plus grand préjudice. Je serais donc disposé à accorder une injonction sur cette seule base.
J'incline toutefois à penser qu'en matière de droit d'auteur, l'exclusivité du droit doit être protégée peu importe que sa violation puisse ou non être compensée par l'attribution de dommages-intérêts.
Aux termes de l'article 36 de la Loi sur le droit d'auteur, tout registre des droits d'auteur constitue une preuve des détails y inscrits et un certificat d'enregistrement de droit d'auteur sur une oeuvre est une preuve que cette oeuvre fait l'objet d'un droit d'auteur et que la personne portée à l'enregis- trement est le titulaire de ce droit d'auteur. Les demanderesses ont déposé à l'audience ce certificat qui est une preuve prima facie qu'elles sont pro- priétaires de l'oeuvre artistique appelée «Diamond Jacquard».
J'accorderais donc immédiatement une injonc- tion interlocutoire afin d'empêcher cette violation flagrante du droit d'auteur des demanderesses. Toutefois, l'argument suivant présenté par les avo- cats de la défenderesse mérite d'être examiné attentivement.
Aux termes de l'article 45 de la Loi sur le droit d'auteur, personne ne peut revendiquer un droit d'auteur sur une oeuvre artistique autrement qu'en
5 [1985] 1 C.F. 190 (1" inst.).
6 (1984), 3 C.I.P.R. 70 (C.F. lrc inst.).
conformité avec la Loi. Le paragraphe 46(1) pré- voit que la Loi ne s'applique pas aux dessins susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels', à l'exception des des- sins qui ne sont pas destinés à servir d'échantillons, pour être multipliés par un procédé industriel quel- conque. Le paragraphe 46(2) dispose qu'en vertu de la Loi sur les dessins industriels, il peut être édicté un règlement général pour déterminer les conditions sous lesquelles un dessin doit être consi- déré comme étant utilisé dans le but précité. Le paragraphe 11(1) des Règles régissant les dessins industriels [C.R.C., chap. 964] est ainsi conçu:
11.(1) Un dessin est censé servir de modèle d'échantillon destiné à être multiplié par un procédé industriel quelconque au sens de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur,
a) lorsque le dessin est reproduit ou destiné à être reproduit dans plus de 50 articles différents, à moins que ces articles dans lesquels le dessin est reproduit, ou est destiné à être reproduit, ne forment ensemble qu'un seul assortiment tel qu'il est défini au paragraphe (2); et
b) lorsque le dessin doit être appliqué à
(i) des tentures de papier peint,
(ii) des tapis, linoléums ou toiles cirées fabriqués ou vendus à la mesure ou à la pièce,
(iii) des tissus en pièce, ou des tissus fabriqués ou vendus à la mesure ou à la pièce, et
(iv) de la dentelle qui n'est pas faite à la main.
La défenderesse fait valoir que le mot «et» reliant l'alinéa 11(1)a) à l'alinéa 11(1)b) doit être interprété comme ayant un effet disjonctif: par conséquent, comme le dessin des demanderesses est de toute évidence destiné à être reproduit sur plus de cinquante pull-overs, il est censé servir d'échantillon destiné à être multiplié par un pro- cédé industriel quelconque au sens de l'article 46 de la Loi sur le droit d'auteur. Par conséquent, ledit dessin est susceptible d'être enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels et la Loi sur le droit d'auteur ne s'y applique pas. La conclusion évidente qui se dégage de cette proposi tion est que les demanderesses ne bénéficient d'au- cun droit d'auteur en vertu de la Loi sur le droit d'auteur et que, comme elles n'ont pas allégué que le dessin était enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels, elles n'ont pas droit à une injonction.
7 S.R.C. 1970, chap. 1-8.
La jurisprudence anglaises et deux décisions rendues par des tribunaux ontariens 9 paraissent appuyer cette prétention. Trois décisions récentes de la présente Cour vont dans le sens inverse. Deux articles parus dans le numéro de février 1985 du Intellectual Property Journal" critiquent en termes sévères le point de vue de la Cour fédérale sur cette question.
 la lumière des arguments qui m'ont été soumis, je serais enclin, avec respect, à me disso- cier de l'opinion de mes deux collègues quant à l'interprétation de la Règle 11(1). Si un dessin doit répondre à tous les critères énoncés aux alinéas 11(1)a) et 11(1)b) pour être censé servir d'échan- tillon destiné à être multiplié par un procédé indus- triel quelconque, il m'apparaît alors évident qu'au- cun dessin ne peut être reconnu comme tel et, par voie de conséquence, qu'aucun dessin n'est suscep tible d'être enregistré en vertu de la Loi sur les dessins industriels. En d'autres termes, je ne vois pas comment un dessin peut être reproduit dans plus de cinquante articles et en même temps être appliqué à des tentures de papier, des tapis, des tissus en pièce et de la dentelle qui n'est pas faite à la main. Si on l'interprétait ainsi, la Règle empê- cherait dans les faits tout enregistrement sous le régime de la Loi sur les dessins industriels. Telle ne pouvait être l'intention du législateur.
Bien sûr, en temps normal, le mot «et» est conjonctif et le mot .koui est disjonctif, mais pour réaliser l'objectif visé par la loi, il est parfois
8 Con Planck, Ld. v. Kolynos, Incorporated, [1925] 2 K.B. 804 et King Features Syndicate, Incorporated v. Kleeman (O. & M.), Ld., [1941] A.C. 417 (H.L.).
9 Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd. and Natio nal Sales Incentives Ltd. (1964), 44 C.P.R. 239 (H.C. Ont.) et Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd., [1966] 1 O.R. 409 (C.A.).
10 Royal Doulton Tableware Ltd. et al. c. Cassidy's Ltd.- Cassidy's Ltée (1984), 1 C.P.R. (3d) 214 (C.F. 1"° inst.); Interlego AG et autre c. Irwin Toy Ltd. et autre (1985), 3 C.P.R. (3d) 476 (C.F. 1" inst.) et Bayliner Marine Corp. c. Dorat Boats Ltd. (1985), 5 C.I.P.R. 268 (C.F. 1'° inst.).
" «Royal Doulton Tableware Ltd. v. Cassidy's Ltd. Two Views Copyright: Must Patterns for China Be Protected By Industrial Design Registrations?», p. 171, William L. Hay- hurst, c.r., membre de l'étude Ridout & Maybee, Toronto et «Judicial Repeal of the Industrial Design Act?», p. 175, Dan Hitchcock, membre du cabinet d'avocats Riches, McKenzie & Herbert, Toronto.
nécessaire d'interpréter la conjonction «et» comme si elle était disjonctive' 2 . La Règle 11(1) est une disposition qui crée une présomption. A ce titre, elle énumère toutes les conditions en vertu desquel- les un dessin est censé servir d'échantillon qui est susceptible d'être enregistré sous le régime de la Loi sur les dessins industriels. Il s'agit de la condition (1)a) et (ou) des conditions (1)b)(i), (ii), (iii) et (ou) (iv). A mon sens, il suffit qu'un dessin satisfasse à l'une ou l'autre de ces conditions pour être enregistrable.
Je crois comprendre qu'au moins une des déci- sions de la Cour fédérale fait présentement l'objet d'un appel. Il faut espérer que la Cour d'appel rendra une décision avant que ne commence l'ins- truction de la présente action. Toutefois, pour les fins de la présente injonction interlocutoire, l'ad- ministration de la justice exige que je suive les décisions récentes de la Cour. Quoi qu'il en soit, compte tenu du fait que la défenderesse a violé de manière flagrante le dessin des demanderesses en le plagiant, et comme il est patent que la question à trancher est sérieuse, je rendrai une ordonnance interdisant à la défenderesse de fabriquer et de vendre des copies de l'oeuvre artistique appelée «Diamond Jacquard» jusqu'à l'ouverture de l'ins- truction ou jusqu'à ce que la question soit autre- ment tranchée. Je ne rendrai pas cependant l'autre ordonnance sollicitée par les demanderesses par voie de requête distincte afin d'obtenir la saisie avant jugement des articles incriminés qui sont encore en la possession de la défenderesse.
ORDONNANCE
IL EST ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES que la défenderesse R.D. International Style Collections Ltd. cesse de fabriquer, de vendre, d'offrir en vente ou en location, de distribuer à des fins commercia- les ou autres, d'exposer en public et d'importer pour fins de vente ou de location au Canada toute copie ou copie d'une partie importante de l'oeuvre artistique appelée «Diamond Jacquard» sous quel- que forme que ce soit jusqu'à l'ouverture de l'ins- truction ou jusqu'à ce que la question soit autre- ment tranchée. Dépens en faveur des demanderesses.
12 The Interpretation of Statutes, 12' éd., London, Sweet & Maxwell, 1969, pp. 232 et 233.
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