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A-1-86
Ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressour- ces, ministre des Finances, sous-ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources et sous- ministre des Finances (appelants) (défendeurs- intimés)
c.
Vérificateur général du Canada (intimé) (deman- deur-requérant)
RÉPERTORIÉ: CANADA (VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL) c. CANADA (MINISTRE DE L'ÉNERGIE, DES MINES ET DES RESSOURCES)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et Hugessen- Ottawa, 6, 7, 8 octobre 1986 et 22 janvier 1987.
Droit constitutionnel - Administration financière - Véri- ficateur général - Acquisition de Petrofina Canada Inc. par Petro -Canada - Le Parlement a autorisé des dépenses à cet égard - Il est interjeté appel du jugement de la Division de première instance portant que le vérificateur général a le droit de prendre connaissance des documents du Cabinet et des dossiers de Petro -Canada se rapportant à l'évaluation des
actions Les renseignements recherchés ne relèvent pas du champ d'application des fonctions attribuées au vérificateur général par l'art. 13 de la Loi sur le vérificateur général - Selon l'art. 13, ces fonctions se limitent à la vérification des comptes des ministères du gouvernement du Canada et des corporations de la Couronne fédérales - Le droit d'accès prévu à l'art. 13 doit être examiné en tenant compte de l'art. 14, qui permet de prendre connaissance des rapports des vérificateurs des corporations de la Couronne - Le fait que le Parlement a prévu expressément un droit d'accès à l'art. 14 a pour effet de limiter tout pouvoir général que l'on pourrait déduire de l'art. 13 - L'art. 7(2)d) impose l'obligation de vérifier si les ministres, en exécutant la volonté du Parlement exprimée dans les lois d'affectation de crédits, ont agi avec un souci suffisant de l'économie et de l'efficience - La responsa- bilité imposée par l'art. 7(2)d) ne s'étend pas à l'obligation de déterminer si le gouvernement a agi avec un souci suffisant de l'économie et de l'efficience - Le rôle du vérificateur général ne consiste pas à critiquer les mesures législatives adoptées - Appel accueilli - Loi sur le vérificateur général, S.C. 1976-77, chap. 34, art. 5, 6, 7, 8, 13, 14 - Loi sur l'adminis- tration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 2, 19, 54, 57, 58, 60, 61(1), 64, 77 - Loi n" 4 de 1980-81 portant affectation de crédits, S.C. 1980-81-82-83, chap. 51, annexe, crédit 5c - Loi sur la Société Petro -Canada, S.C. 1974-75-76, chap. 61, art. 17, 18, 26(1) - Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 36.3 (ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4) - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 28(6) - Déclaration canadienne des droits, S.R.C. 1970, Appendice III, art. 2.
Énergie - Acquisition de Petrofina Canada Inc. par Petro - Canada, qui est une corporation de la Couronne, au prix de 120 $ l'action - Le Parlement a autorisé des dépenses ne dépassant pas 1,7 milliard de dollars à cet égard - Le
vérificateur général a demandé à prendre connaissance des documents du Cabinet et des dossiers de Petro -Canada se rapportant à l'évaluation des actions avant et après leur acquisition L'appel formé contre la décision permettant de prendre connaissance des documents est accueilli Loi sur le vérificateur général, S.C. 1976-77, chap. 34, art. 5, 6, 7, 8, 13, I4 Loi sur la Société Petro -Canada, S.C. 1974-75-76, chap. 61, art. 17, 18, 26(1).
En février 1981, il a été annoncé que Petro -Canada, une société de la Couronne, avait conclu une entente visant l'achat de Petrofina Canada Inc. au prix de 120 $ l'action. Aux termes du crédit 5c de la Loi 4 de 1980-81 portant affectation de crédits, le Parlement a autorisé des dépenses ne devant pas dépasser 1,7 milliard de dollars pour permettre à Petro -Canada d'acquérir les actions et les biens de Petrofina. A cette fin, une taxe spéciale a été imposée sur toute la consommation cana- dienne de pétrole. Le produit de cette taxe devait être porté à un compte non budgétaire spécial connu sous le nom de Compte d'accroissement du taux de propriété canadienne.
Le vérificateur général s'est adressé au vérificateur de Petro - Canada, aux dirigeants de cette compagnie et au gouverneur en conseil afin d'obtenir des renseignements sur l'évaluation des actions de Petrofina avant et après leur acquisition par Petro - Canada. Ces demandes ont été refusées. La communication des documents du Cabinet a également été refusée pour le motif que ceux-ci constituaient des secrets du Conseil privé de la Reine pour le Canada. La Division de première instance a jugé ([1985] 1 C.F. 719) que le vérificateur général avait le droit d'obtenir la communication de tous les documents réclamés.
La question fondamentale est de savoir si l'intimé est en droit d'exiger que ces documents lui soient communiqués. Il est essentiel pour trancher cette question de déterminer la nature et l'étendue des fonctions du vérificateur général.
Arrêt (le juge Hugessen dissident): l'appel devrait être accueilli.
Le juge Heald: L'intimé ne peut pas invoquer le paragraphe 13(1) de la Loi sur le vérificateur général à l'appui de sa demande pour obtenir des renseignements, car les renseigne- ments recherchés ne relèvent pas du champ d'application des fonctions attribuées au vérificateur général par ledit paragra- phe.
(1) Documents du Cabinet
Suivant le paragraphe 13(1), le vérificateur général a le droit de prendre connaissance de tout renseignement se rapportant à l'exercice de ses fonctions; à cette fin, il peut exiger que les fonctionnaires fédéraux lui fournissent tout renseignement dont il a besoin. Le paragraphe 13(2) permet au vérificateur général de détacher des membres de son personnel auprès de «tout ministère». D'après le paragraphe 13(3), les employés du bureau du vérificateur général qui examinent les comptes d'«un ministère ou d'une corporation de la Couronne» sont tenus de prêter le serment de respecter le secret professionnel. Si l'on prend isolément l'économie de l'article 13 eu égard à son contexte, il semble de prime abord que les «fonctions» que le Parlement envisage au paragraphe (1) doivent se limiter à la vérification des comptes des ministères du gouvernement du Canada et des corporations de la Couronne fédérales. S'il en était autrement, le Parlement aurait, en édictant les paragra- phes (2) et (3), donné au vérificateur général des pouvoirs
d'aide et d'habilitation semblables aux précédents en ce qui concerne les ministres du Cabinet et le Conseil privé.
Cette opinion est renforcée par l'article 5 de la Loi sur le vérificateur général, qui renvoie au «vérificateur des comptes du Canada». Conformément à l'alinéa 54(1)a) de la Loi sur l'administration financière, le receveur général doit tenir des comptes qui indiquent les «dépenses effectuées en vertu de chaque crédit budgétaire». La responsabilité du vérificateur général prend donc naissance après que les crédits ont été votés par le Parlement. Elle ne peut pas s'étendre aux décisions prises par le gouverneur en conseil qui ont donné lieu à une affecta tion de crédit.
Les fonctions du vérificateur général sont liées à la mise en vigueur des textes législatifs adoptés par le Parlement et elles ne peuvent aller jusqu'à lui permettre de contester la sagesse de ces textes. En l'espèce, le jugement de première instance aurait pour effet de permettre au vérificateur général d'examiner le processus politique antérieur à l'adoption de la Loi, laquelle autorise les crédits budgétaires nécessaires à l'acquisition de Petrofina. Le pouvoir conféré au vérificateur général en vertu du paragraphe 13(1) ne peut pas être interprété comme ayant une portée aussi large.
(2) Dossiers de Petro -Canada
Le droit de prendre connaissance des registres de Petro - Canada, lequel droit pourrait sembler, par inférence, découler de l'article 13, doit être examiné en tenant compte de l'article 14. L'article 14 permet au vérificateur général de prendre connaissance du rapport du vérificateur d'une corporation de la Couronne. H lui permet de demander de plus amples renseigne- ments aux dirigeants de la corporation de la Couronne; et, en cas de refus de leur part, il peut s'adresser au gouverneur en conseil en vue d'obtenir une ordonnance les obligeant à permet- tre la consultation des registres et à fournir des renseignements supplémentaires.
Le fait que le Parlement a prévu expressément à l'article 14 le droit du vérificateur général d'obtenir des renseignements des corporations de la Couronne fédérales a pour effet de limiter en conséquence tout pouvoir général que l'on pourrait déduire de l'article 13, n'était-ce de l'article 14. Pour cette raison, le vérificateur général n'a pas le droit absolu, que lui accorde le jugement déclaratoire de la Division de première instance, de consulter les registres de Petro -Canada.
L'intimé soutient que le paragraphe 13(l) lui permet de déterminer quels renseignements se rapportent à l'exercice de ses fonctions. Les articles pertinents de la Loi ne confèrent pas des pouvoirs aussi larges. Lorsque le vérificateur général exa mine les comptes d'une corporation de la Couronne, il ne procède pas à la vérification des comptes du Canada. Le paragraphe 14(1) l'indique clairement, étant donné qu'il se réfère aux comptes du Canada par opposition aux comptes d'une corporation de la Couronne.
Le juge Pratte: L'alinéa 7(2)d) de la Loi sur le vérificateur général impose au vérificateur général l'obligation de vérifier si les divers ministres, en exécutant la volonté du Parlement exprimée dans les lois d'affectation de crédits, ont agi avec un souci suffisant de l'économie et de l'efficience, et de faire rapport à ce sujet. Toutefois, pour que l'intimé ait gain de cause sur le fondement de cette disposition, la responsabilité imposée par l'alinéa 7(2)d) devrait s'étendre plus loin de façon à viser
l'obligation d'établir si l'autorisation de dépenser contenue dans la loi d'affectation de crédits elle-même a été donnée avec un souci suffisant de l'économie et de l'efficience. L'intimé aurait alors le pouvoir de déterminer si le gouvernement qui a amené le Parlement à adopter la loi d'affectation de crédits a tenu compte de ces éléments.
Cette interprétation ne peut être acceptée car elle aurait pour effet de modifier la nature même des fonctions du vérificateur général. Le rôle du vérificateur général ne consiste ni à criti- quer les mesures législatives adoptées par le Parlement ni à se prononcer sur la sagesse des décisions du gouvernement qui ont conduit à l'adoption de ces mesures. Si le Parlement avait entendu modifier la nature des fonctions du vérificateur général de façon aussi radicale, il se serait exprimé beaucoup plus clairement.
Le juge Hugessen (dissident): La question de savoir si la responsabilité du vérificateur général va jusqu'à se demander si on a démontré un souci suffisant de l'économie et de l'efficience devrait recevoir une réponse affirmative.
Même une interprétation étroite des fonctions du vérificateur général doit impliquer l'obligation de déterminer si les crédits ont été dépensés aux fins auxquelles le Parlement les avait affectés. On ne peut pas ne pas tenir compte du libellé du crédit 5c. En permettant d'investir dans Petro -Canada, le Parlement a agi en vue d'accroître le taux de propriété canadienne au sein de l'industrie gazière et pétrolière au Canada au moyen de l'achat d'actions et de biens de Petrofina par Petro -Canada. Il s'ensuit que l'enquête visant à déterminer si les crédits ont été dépensés aux fins auxquelles ils avaient été affectés peut parfai- tement déborder le cadre du placement dans Petro -Canada pour s'intéresser à l'achat d'actions et de biens de Petrofina par Petro -Canada.
La proposition selon laquelle la décision d'acheter Petrofina était purement politique et ne relevait donc que du domaine politique n'est pas fondée. Le vérificateur général est tenu de révéler, et le Parlement a le droit de connaître, le coût économi- que de la décision politique. Si la mise en oeuvre de la décision d'accroître le taux de propriété canadienne au sein de l'indus- trie gazière et pétrolière impliquait l'achat d'actions et de biens à un prix supérieur à leur valeur marchande, le vérificateur général doit alors révéler cet excédent de façon à permettre à d'autres de porter un jugement politique sur l'opportunité qu'il y avait de le verser.
La question de savoir si le vérificateur général a le droit d'exiger de prendre connaissance des documents concernant l'évaluation des actions de Petrofina devait également recevoir une réponse affirmative. Le paragraphe 13(1) est destiné à avoir le pas aussi bien sur les lois que sur les règles de la common law qui lui sont contraires. Il indique clairement que seule peut l'emporter sur lui une disposition dérogatoire qui le vise expressément. Il étend l'accès à tous les renseignements se rapportant à l'exercice des fonctions du vérificateur général. Le droit d'exiger des fonctionnaires qu'ils fournissent des rensei- gnements ainsi que le droit d'accès à d'autres sources de renseignements constituent deux droits distincts, comme l'indi- que le fait que le texte français les sépare par un point-virgule et l'anglais par la forme conjonctive «and he is also entitled ton. Ainsi, la première partie du paragraphe 13(1) s'étend manifes- tement aux renseignements dont disposent des personnes qui ne
sont pas des fonctionnaires, ceux-ci étant visés exclusivement par la seconde partie.
La prépondérance qu'établit le paragraphe 13(1) doit avoir une certaine portée pratique. Si le seul recours dont dispose le vérificateur général pour faire respecter le droit créé par le paragraphe 13(1) se trouve dans l'exercice des pouvoirs d'un commissaire que lui confère le paragraphe 13(4), ces derniers pouvoirs doivent donc eux-mêmes être prépondérants, et l'em- porter notamment sur l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada. On ne peut accepter l'argument subsidiaire selon lequel le seul recours du vérificateur général contre le refus de communication est un rapport défavorable remis au Parlement conformément à l'alinéa 7(1)b). Une garantie juridique com- porte un recours judiciaire. Un jugement déclaratoire du genre de celui qu'on tente d'obtenir en l'espèce constitue un redresse- ment approprié.
Enfin, bien qu'en premier il appartienne au vérificateur général de déterminer ce qui entre vraiment dans le champ de son enquête, la question doit être tranchée par une cour de justice chaque fois que son jugement est mis en doute sur ce point.
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
British Columbia Development Corporation et autre c. Friedmann, Ombudsman et autres, [1984] 2 R.C.S. 447.
AVOCATS:
W. I. C. Binnie, c.r. et Graham R. Garton pour les appelants (défendeurs-intimés). Gordon F. Henderson, c.r., Emilio S. Bina- vince et Martin W. Mason pour l'intimé (demandeur-requérant).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour les appelants (défendeurs-intimés).
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'intimé (demandeur-requérant).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PRATTE: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement rédigés respectivement par mes collègues le juge Hugessen et le juge Heald, et comme ce dernier, je diffère d'opinion avec le juge Hugessen sur la nature des fonctions du vérifica- teur général.
La principale question qui se pose en l'espèce est de savoir si l'intimé est en droit de se faire commu- niquer certains documents relatifs à l'évaluation des actions de Petrofina Canada Inc. Mis à part le
problème que soulève le prétendu caractère confi- dentiel de ces documents, le droit de l'intimé à la production de ces derniers doit découler des arti cles 13 et 14 de la Loi sur le vérificateur général [S.C. 1976-77, chap. 34]. I1 est clair que le vérifi- cateur général ne peut exercer les pouvoirs que lui confèrent ces deux articles que dans l'exercice des fonctions dont il est investi en vertu de la Loi. Par conséquent, quelle que soit l'étendue de ces pou- voirs, ils ne peuvent servir à la production de documents, confidentiels ou non, pour une autre fin que l'exercice des fonctions du vérificateur général telles que les définit la Loi. La première et principale question à résoudre en l'espèce, donc, est celle sur laquelle je diffère d'opinion avec mon collègue le juge Hugessen, savoir, quelle est la nature et l'étendue des fonctions de l'intimé en vertu de la Loi sur le vérificateur général?
L'intimé est le «vérificateur des comptes du Canada». Il n'est pas le vérificateur des comptes des sociétés de l'État telles que Petro -Canada. Quels que soient ses droits en vertu des articles 13 et 14, il ne peut les exercer que dans l'exercice de ses fonctions de vérificateur des comptes du Canada. Cette observation n'est pas superflue puisque les documents que veut obtenir l'intimé ont trait à l'évaluation des actions de Petrofina Canada Inc. avant leur acquisition par Petro - Canada. Ces documents seraient clairement perti- nents à la vérification des comptes de Petro - Canada; il n'est pas aussi clair qu'ils aient un lien avec la vérification des comptes du Canada.
Deuxième observation préliminaire. L'avocat de l'intimé, dans sa plaidoirie, a beaucoup insisté sur l'évolution législative de la Loi sur le vérificateur général laquelle évolution, selon lui, montre une progression constante des responsabilités du vérifi- cateur général et indique, pour cette raison, que la loi actuelle doit recevoir une interprétation con- forme au souhait du Parlement d'accroître ces responsabilités. Je ne vois pas le bien-fondé de cet argument. L'accroissement graduel des fonctions du vérificateur général ne peut être nié. Cette évolution, toutefois, n'aide pas à déterminer les limites précises de ces fonctions comme les définit présentement la Loi. À mon sens, tout ce qu'il convient de dire sur cette évolution législative pour les fins en cause est que les pouvoirs que l'intimé invoque en l'espèce excèdent certainement les limi-
tes de ses fonctions telles qu'elles étaient définies avant l'entrée en vigueur de la Loi sur le vérifica- teur général en 1977. Les responsabilités du vérifi- cateur général à l'égard des dépenses du gouverne- ment se limitaient alors premièrement, à vérifier si les comptes publics les reflétaient correctement, et deuxièmement à s'assurer que le Parlement les avait autorisées, et à faire rapport sur le tout. Il est clair que les documents que veut obtenir l'intimé en l'espèce ne se rapportent pas à l'exercice de ces fonctions. La question qui se pose est donc de savoir si la Loi sur le vérificateur général adoptée en 1977 a élargi les fonctions du vérificateur géné- ral de façon à justifier ses exigences en l'espèce.
La Loi sur le vérificateur général de 1977 n'a modifié les fonctions du vérificateur général relati- vement aux dépenses qu'à un seul égard. En sus de l'obligation qui lui était déjà faite de rendre compte à la Chambre si les comptes reflétaient fidèlement les dépenses en cause et si elles avaient toutes été autorisées par le Parlement, l'alinéa 7(2)d) de la nouvelle Loi imposait au vérificateur général l'obligation de mentionner dans son rap port à la Chambre des communes si «des sommes d'argent ont été dépensées sans égard à l'économie ou à l'efficience».
Le Parlement doit autoriser toutes les dépenses du gouvernement. Par conséquent, l'alinéa 7(2)d) doit viser les sommes d'argent dépensées en vertu de l'autorisation du Parlement. C'est suivant cette prémisse que doit être déterminé le sens de l'alinéa 7(2)d).
Lorsque le Parlement affecte un crédit à une fin déterminée, il autorise du fait même le ministre du ministère concerné à dépenser cette somme à la fin spécifiée. Dans la plupart des cas, toutefois, les lois d'affectation de crédits laissent une assez grande latitude au ministre, qui doit décider la façon dont il dépensera l'argent à la fin spécifiée. Ainsi, le ministre autorisé à dépenser X dollars pour cons- truire des bureaux doit déterminer leur emplace ment, choisir l'architecte, l'entrepreneur, etc. Le Parlement, lorsqu'il autorise une dépense de cette nature, s'attend certainement à ce que le ministre concerné prenne les décisions relatives à la façon dont l'argent sera dépensé, avec «égard à l'écono- mie ou à l'efficience». Je n'hésite donc pas à conclure que la nouvelle responsabilité dont se trouve investi le vérificateur général ne fait que lui
imposer l'obligation de vérifier si les divers minis- tres, en exécutant la volonté du Parlement expri- mée dans les lois d'affectation de crédits, ont agi avec un souci suffisant de l'économie et de l'effi- cience, et de faire rapport à ce sujet. Donc, cette nouvelle responsabilité n'est que l'extension de l'obligation qui était déjà faite au vérificateur général de vérifier si le gouvernement s'était con formé à la volonté du Parlement en ne faisant aucune dépense qui n'ait été autorisée par une loi d'affectation de crédits.
Si la nouvelle responsabilité dont est investi le vérificateur général ne va pas plus loin que cela, elle ne justifierait sûrement pas ce qu'il exige. En l'espèce, le Parlement avait autorisé le ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources à dépenser jusqu'à 1,7 milliard de dollars à l'acquisition d'ac- tions de Petro -Canada de manière à permettre à cette société d'État d'acheter Petrofina Canada Inc. La loi laissait très peu de latitude au ministre: il ne pouvait ni fixer les conditions de l'acquisition de Petrofina Canada Inc. ni refuser d'approuver les modalités de cet achat. Comme tous les docu ments dont l'intimé recherche la communication dans les présentes procédures ont trait à l'évalua- tion de Petrofina Canada Inc., ils ne se rapportent aucunement à l'exercice de la nouvelle responsabi- lité faite au vérificateur général de s'assurer que le ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources a dépensé les crédits votés par le Parlement avec un souci suffisant de l'économie et de l'efficience. Si le ministre n'avait aucune discrétion en la matière, il ne pouvait se préoccuper de l'économie et de l'efficience.
Pour que l'intimé ait gain de cause, il faut donc que les nouvelles responsabilités imposées au véri- ficateur général par l'alinéa 7(2)d) s'étendent plus loin que je ne l'ai dit, de façon à viser non seule- ment d'une part, l'obligation de déterminer si le ministre, en dépensant des crédits conformément à une loi d'affectation de crédits, s'est conformé à la volonté implicite du Parlement que les sommes autorisées soient dépensées de façon conforme à l'économie et à l'efficience, mais aussi d'autre part, l'obligation d'établir si l'autorisation de dépenser contenue dans la loi d'affectation de crédits elle- même a été donnée avec un souci suffisant de l'économie et de l'efficience. Si c'était le cas, l'in- timé aurait alors le pouvoir qu'il revendique en
l'espèce de déterminer si le gouvernement qui a amené le Parlement à adopter la loi d'affectation de crédits en cause a tenu suffisamment compte de l'économie et de l'efficience. Je ne puis donner à l'alinéa 7(2)d) de la Loi sur le vérificateur général une aussi large interprétation qui aurait pour effet, à mon sens, non seulement d'élargir les fonctions du vérificateur général mais aussi d'en modifier la nature même. Le rôle du vérificateur général, comme je le conçois, ne consiste ni à critiquer les mesures législatives adoptées par le Parlement, ni à se prononcer sur la sagesse des décisions du gouvernement qui ont conduit à l'adoption de ces mesures. Si le Parlement avait entendu modifier la nature des fonctions du vérificateur général de façon aussi radicale, il se serait, à mon sens, exprimé beaucoup plus clairement.
Pour ces motifs, j'estime donc que les documents dont l'intimé veut la communication en l'espèce ne se rapportent aucunement à l'exercice de ses fonctions.
J'accueillerais l'appel, j'annulerais le jugement de la Division de première instance et je rejetterais l'action de l'intimé, avec dépens aussi bien en cette Cour qu'en Division de première instance.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD: J'ai lu les motifs de jugement rédigés en l'espèce par mon collègue le juge Hugessen. Comme je diffère sensiblement d'opi- nion avec lui sur la décision qu'il propose et les motifs étayant ses conclusions, il m'est nécessaire d'exposer mes propres vues sur les conclusions qu'il convient de tirer en l'espèce.
Tout d'abord, je dois dire que je conviens avec le juge Hugessen que les questions en litige n'ont pas été entièrement exposées en Division de première instance [[1985] 1 C.F. 719]'. J'estime également que mon collègue le juge Hugessen pose la ques tion fondamentale à résoudre de façon plus exacte,
' Je souscris également à ses remarques sur la pratique adoptée en l'espèce, en Division de première instance, soit la rédaction de deux motifs de jugement distincts. Je suis d'avis, moi aussi, qu'une telle façon de procéder n'est pas à recomman- der puisqu'elle «ne favorise pas l'expédition efficace et ordonnée des travaux de la Cour».
c'est-à-dire qu'il s'agit de déterminer la nature et l'étendue des fonctions du vérificateur général et, ce faisant, de décider si la responsabilité qui est la sienne de faire des examens et des enquêtes et d'adresser un rapport à la Chambre des communes comprend la responsabilité de rechercher l'emploi des fonds publics au-delà du premier bénéficiaire jusqu'au bénéficiaire ultime afin d'établir si la destination des deniers de l'État a été rentable. De cette question d'ordre général découlent deux questions consécutives dont le juge Hugessen a également parlé. Voici la première de ces deux questions: le vérificateur général est-il tenu de rechercher si l'acquisition de Petrofina s'est effec- tuée avec un souci suffisant de l'économie et s'est révélée rentable? Et si la réponse à la première question consécutive est affirmative, une seconde question consécutive se pose alors: le vérificateur général a-t-il le droit d'exiger que lui soient com- muniqués les documents du Cabinet et les registres de Petro -Canada visant l'acquisition de Petrofina, et si leur communication lui est refusée, peut-il faire valoir ce droit en ayant recours aux tribunaux?
Je diffère d'opinion avec mon collègue sur la réponse à donner à ces deux questions.
Plus particulièrement, je ne crois pas qu'une juste interprétation du paragraphe 13(1) de la Loi sur le vérificateur général impose la conclusion que, en vertu de l'autorité de ce paragraphe, le vérificateur général a le droit, selon les faits en cause, de se faire communiquer tous les documents du Cabinet relatifs à l'acquisition de Petrofina. De même, j'estime que le paragraphe 13(1) ne permet pas au vérificateur général de prendre connais- sance des registres de Petro -Canada. Le paragra- phe 13 (1) doit être analysé attentivement. En voici le libellé:
13. (1) Sous réserve des dispositions d'une autre loi du Parlement qui se réfèrent expressément au présent paragraphe, le vérificateur général a le droit, à tout moment convenable, de prendre connaissance librement de tout renseignement se rap- portant à l'exercice de ses fonctions; à cette fin, il peut exiger que les fonctionnaires fédéraux lui fournissent tous renseigne- ments, rapports et explications dont il a besoin. [C'est moi qui souligne.]
Tout comme mon collègue le juge Hugessen, j'es- time que la modification du libellé de l'ancienne disposition (le paragraphe 57(1) de la Loi sur l'administration financière [S.R.C. 1970, chap.
F-10]) indique clairement que le paragraphe 13(1) doit avoir prépondérance aussi bien sur les lois que sur les règles de common law qui lui sont contrai- res, et que seule peut l'emporter sur lui une dispo sition dérogatoire qui le vise expressément. Toute- fois, cette prépondérance se limite aux renseignements se rapportant à l'exercice des fonc- tions du vérificateur général. En conséquence, si les secrets du Cabinet en question ou le droit de prendre connaissance des registres de Petro - Canada ne se rapportent pas à de ses fonctions», la disposition attributive de prépondé- rance au début du paragraphe n'est d'aucun secours à l'intimé.
LE CADRE DES FONCTIONS DU VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL
a) En ce qui concerne les documents du Cabinet
La partie préliminaire du paragraphe 13(1) qui restreint aux renseignements se rapportant à «l'exercice de ses fonctions» le droit du vérificateur général de prendre connaissance de certains rensei- gnements, est séparée du reste du paragraphe par la conjonction «and» dans la version anglaise et par un point-virgule dans la version française. Donc, le large pouvoir discrétionnaire conféré au vérifica- teur général dans la seconde partie du paragraphe ne vise que les «fonctionnaires fédéraux» et non les ministres de la Couronne, les membres du Conseil privé de la Reine ni les employés de Petro-Cana- da 2 . Il est aussi important qu'au paragraphe 13(2), le vérificateur général peut, pour remplir plus effi- cacement ses fonctions, détacher des employés de son bureau auprès de «tout ministère». De plus, au paragraphe 13(3), les employés du bureau du véri- ficateur général qui examinent les comptes d'«un ministère ou d'une corporation de la Couronne» sont tenus de prêter le serment de respecter le secret professionnel. Conséquemment, si l'on prend
2 Les articles 17 et 18 de la Loi sur la Société Petro -Canada [S.C. 1974-75-76, chap. 61] prévoient que les cadres, manda- taires et employés de la Société «sont censés ne pas être employés dans la fonction publique du Canada» sauf à des fins particulières de la pension de la Fonction publique et de l'indemnisation des employés de l'État. Pour ce qui est des ministres de la Couronne, il est clair qu'ils ne sont pas membres de la fonction publique du Canada puisque la définition de l'expression «fonctionnaire public» à l'article 2 de la Loi sur l'administration financière mentionne les ministres de façon distincte des fonctionnaires publics. La définition à l'article 2 est ainsi libellée: «fonctionnaire public» comprend un ministre et toute personne employée dans la fonction publique du Canada». (C'est moi qui souligne.)
isolément l'économie de l'article 13 eu égard à son contexte, il semble de prime abord que les «fonc- tions» que le Parlement envisage au paragraphe (1) doivent se limiter à la vérification des comptes des ministères du gouvernement du Canada et des corporations de la Couronne fédérales. S'il en était autrement, je m'attendrais à ce que le Parlement, en édictant les paragraphes 13(2) et (3), ait donné au vérificateur général des pouvoirs d'aide et d'ha- bilitation semblables aux précédents en ce qui concerne les ministres du Cabinet et le Conseil privé 3 .
Cette opinion est renforcée, à mon sens, par les renvois à d'autres articles de la Loi sur le vérifica- teur général aussi bien qu'à des articles de lois connexes. L'article 5 de la Loi sur le vérificateur général prévoit ce qui suit:
5. Le vérificateur général est le vérificateur des comptes du Canada, y compris ceux qui ont trait au Fonds du revenu consolidé et, à ce titre, il effectue les examens et enquêtes qu'il juge nécessaires pour lui permettre de faire rapport comme l'exige la présente loi. [C'est moi qui souligne.]
La mention d'un rapport vise indubitablement l'obligation faite au vérificateur général à l'article 7 de la Loi de faire un rapport annuel à la Chambre des communes, aussi bien que la faculté que lui accorde l'article 8 d'adresser des rapports spéciaux à la Chambre des communes. La Loi sur le vérificateur général ne définit pas l'expression «comptes du Canada», mais la Loi sur l'adminis- tration financière en fait mention. L'article 54 de cette Loi est rédigé comme suit:
54. (1) Sous réserve des règlements du conseil du Trésor, le receveur général doit faire tenir des comptes de manière qu'ils indiquent
a) les dépenses effectuées en vertu de chaque crédit budgétaire;
b) les revenus du Canada; et
Voici le libellé des paragraphes 13(2) et 13(3): 13....
(2) Le vérificateur général peut, pour remplir plus effica- cement ses fonctions, détacher des employés de son bureau auprès de tout ministère. Celui-ci doit leur fournir les locaux et l'équipement nécessaires.
(3) Le vérificateur général doit exiger de tout employé de son bureau chargé, en vertu de la présente loi, d'examiner les comptes d'un ministère ou d'une corporation de la Couronne, qu'il observe les normes de sécurité applicables aux employés du ministère ou de la corporation et qu'il prête le serment de respecter le secret professionnel, auquel ceux-ci sont astreints.
c) les autres versements au Fonds du revenu consolidé et sur ledit Fonds.
(2) Le receveur général
a) doit faire tenir des comptes ayant pour objet d'indiquer tels éléments de l'actif et du passif direct et éventuel du Canada, et
b) doit établir, à l'égard de l'actif et du passif, telles réserves
qui, de l'avis du Ministre, sont nécessaires pour donner un aperçu juste et fidèle de la situation financière du Canada.
(3) Les comptes du Canada doivent être tenus en la monnaie du Canada.
Cela est conforme à l'article 19 de la même Loi, qui dit:
19. Sous réserve des Actes de l'Amérique du Nord britanni- que, 1867 à 1965, aucun paiement ne doit être fait à même le Fonds du revenu consolidé sans l'autorisation du Parlement.
Ainsi, conformément à l'alinéa 54(1)a), précité, le vérificateur général doit tenir des comptes qui indiquent «les dépenses effectuées en vertu de chaque crédit budgétaire». Ces comptes font partie des «comptes du Canada». Ils font partie des comp- tes sur lesquels le vérificateur général doit faire un rapport à la Chambre des communes. Toutefois, sa responsabilité prend naissance après que les crédits ont été votés par le Parlement. Par conséquent, je suis d'accord avec les avocats des appelants pour dire que «les responsabilités du vérificateur géné- ral» se situent [TRADUCTION] «en aval» de l'appli- cation de la Loi portant affectation de crédits ou autre loi habilitante, et que les activités du bureau du vérificateur général, sur lesquelles celui-ci doit préparer à l'intention de la Chambre des commu nes un rapport annuel conformément à l'article 7, ne s'étendent pas aux décisions prises par le gou- verneur en conseil qui ont donné lieu à une affecta tion de crédit (le crédit 5c de la Loi n" 4 de 1980-81 portant affectation de crédits [S.C. 1980-81-82-83, chap. 51]).
Je suis également d'accord avec les avocats des appelants lorsqu'ils soutiennent que les fonctions du vérificateur général sont liées à la mise en vigueur des textes législatifs adoptés par le Parle- ment, et qu'elles ne peuvent aller jusqu'à lui per- mettre de contester la sagesse de ces textes. En l'espèce, le jugement de première instance aurait pour effet de permettre au vérificateur général d'examiner le processus politique antérieur au 31 mars 1981, la date de l'adoption de la Loi n" 4 portant affectation de crédits, laquelle autorise les
crédits budgétaires nécessaires à l'acquisition de Petrofina. Je suis incapable de voir dans l'autorité conférée au vérificateur général en vertu du para- graphe 13(1) une portée aussi large.
b) En ce qui concerne les dossiers de Petro -Canada
J'ai dit plus tôt que la lecture du paragraphe 13(1) faite en corrélation avec les paragraphes 13(2) et (3) me convainc que les «fonctions» que le Parlement envisage au paragraphe (1) peuvent être limitées à la vérification des comptes des ministères fédéraux et des corporations de la Cou- ronne fédérales. Puisque Petro -Canada est une société de l'État fédérale et puisque l'intimé affirme qu'il a droit de prendre connaissance des registres de Petro -Canada au cours de sa vérifica- tion des comptes du Canada, il est nécessaire d'étudier plus attentivement la situation en ce qui concerne Petro -Canada. Plus particulièrement, il est nécessaire d'examiner les dispositions de l'arti- cle 14 de la Loi sur le vérificateur général. Voici le libellé de cet article:
14. (1) Par dérogation aux paragraphes (2) et(3), le vérifica- teur général, dans l'exercice de ses fonctions de vérificateur des comptes du Canada, peut se fier au rapport du vérificateur, régulièrement nommé, d'une corporation de la Couronne ou d'une de ses filiales.
(2) Le vérificateur général peut demander à toute corpora tion de la Couronne d'obtenir de ses administrateurs, diri- geants, employés, mandataires et vérificateurs anciens ou actuels ou de ceux de ses filiales, les renseignements et éclair- cissements dont il estime avoir besoin dans l'exercice de ses fonctions de vérificateur des comptes du Canada et de les lui fournir.
(3) Le vérificateur général, au cas il estime qu'une corporation de la Couronne n'a pas donné des renseignements et éclaircissements satisfaisants à la suite d'une demande visée au paragraphe (2), peut en faire part au gouverneur en conseil; celui-ci peut alors ordonner aux dirigeants de cette corporation de fournir les renseignements et éclaircissements réclamés par le vérificateur général et de lui permettre de consulter les registres, documents, livres, comptes et pièces justificatives de la corporation et de ses filiales, dont il estime avoir besoin dans l'exercice de ses fonctions de vérificateur des comptes du Canada.
Le paragraphe 14(1) habilite le vérificateur géné- ral, dans l'exercice de ses fonctions de vérificateur des comptes du Canada, à prendre connaissance des rapports des vérificateurs, régulièrement
nommés, des corporations de la Couronne et à se fier à ces rapports'. Le paragraphe 14(2) autorise le vérificateur général à obtenir des renseigne- ments et des éclaircissements des administrateurs, des dirigeants, des employés, des mandataires et des vérificateurs d'une corporation de la Couronne. Le paragraphe 14(3) permet au vérificateur géné- ral dans le cas il estime qu'une corporation de la Couronne n'a pas donné des renseignements satisfaisants, de demander au gouverneur en con- seil d'ordonner aux dirigeants de cette corporation de fournir au vérificateur général les éclaircisse- ments et les renseignements supplémentaires dont il estime avoir besoin et de lui permettre de consul- ter les registres de la corporation dont il estime avoir besoins.
À mon avis, l'article 14 précité doit être inter- prété en corrélation avec l'article 13. Cela fait, je crois qu'il appert que le droit de prendre connais- sance des registres d'une corporation de la Cou- ronne telle que la Société Petro -Canada, lequel droit pourrait sembler, par inférence, découler des dispositions de l'article 13, doit être examiné en tenant compte des dispositions de l'article 14. Cet article 14 traite en détail des droits du vérificateur général relativement aux registres d'une corpora tion de la Couronne. L'article 14 permet au vérifi- cateur général de prendre connaissance des rap ports des vérificateurs d'une corporation de la Couronne; il lui permet de demander de plus amples renseignements et éclaircissements à la corporation de la Couronne et à ses vérificateurs; et, en cas de refus de leur part, il peut s'adresser au gouverneur en conseil en vue d'obtenir une ordonnance les obligeant à permettre la consulta tion des registres et à fournir des renseignements et des éclaircissements supplémentaires.
4 Le paragraphe 26(1) de la Loi sur la Société Petro -Canada prévoit:
26. (1) ... les comptes de la Corporation sont vérifiés chaque année par un vérificateur nommé par le gouverneur en conseil.
De fait, le cabinet Peat Marwick Mitchell était le vérificateur de la Société Petro -Canada à toutes les époques concernées.
Conformément au paragraphe 14(2), le vérificateur général a effectivement demandé à la Société Petro -Canada des rensei- gnements concernant l'acquisition par celle-ci de la société Petrofina. La Société Petro -Canada a demandé au vérificateur général de s'adresser à ses vérificateurs. Par la suite, le vérifica- teur général a demandé au gouverneur en conseil, conformé- ment au paragraphe 14(3), de prendre un décret pour obliger la Société Petro -Canada à fournir au vérificateur général les renseignements requis. Le gouverneur en conseil a, par décret en date du 26 juin 1984, refusé d'enjoindre aux dirigeants de la Société Petro -Canada de fournir les renseignements désirés.
À mon avis, le fait que le Parlement a prévu expressément à l'article 14 le droit du vérificateur général de prendre connaissance des registres et d'obtenir des renseignements des corporations de la Couronne fédérales a pour effet de limiter en conséquence tout pouvoir général que l'on pourrait déduire de l'article 13, n'était-ce de l'article 14. Pour cette raison, il me semble que le vérificateur général n'a pas le droit absolu, que lui accorde le jugement déclaratoire de la Division de première instance, de consulter les registres de la Société Petro -Canada. J'en viens à cette conclusion parce que les renseignements que l'intimé tente d'obtenir ne relèvent pas du champ d'application de ses fonctions et que, par conséquent, il ne peut pas invoquer le paragraphe 13 (1) à l'appui de sa demande.
c) Les allégations de l'intimé relativement à a) et b) précités
On a fait valoir toutefois, au nom de l'intimé, que le paragraphe 13 (1) permet à celui-ci [TRA- DUCTION] «de déterminer quels renseignements se rapportent à l'exercice de ses fonctions» (mémoire de l'intimé, paragraphe 33). On y soutient égale- ment (mémoire de l'intimé, paragraphe 35) que [TRADUCTION] «compte tenu des articles 5, 6 et 7, l'intimé a, conformément à l'article 13, le droit de prendre connaissance librement de tout renseigne- ment et d'exiger qu'on lui fournisse tous renseigne- ments, rapports et explications dont il a besoin pour lui permettre d'exercer ses fonctions sous le régime de la Loi sur le vérificateur général». Il s'agit d'une proposition par trop générale. Ce serait donner blanc-seing au vérificateur général; lui seul pourrait déterminer commencent et finissent ses «fonctions». À mon avis, les articles pertinents de la Loi ne peuvent pas raisonnable- ment s'interpréter de façon à conférer des pouvoirs aussi larges pour les raisons déjà mentionnées. De plus, l'article 5 accorde de vastes pouvoirs au vérificateur général par l'utilisation des mots «qu'il juge nécessaires» mais seulement lorsqu'il vérifie les comptes du Canada. Lorsqu'il examine les comptes d'une corporation de la Couronne, il ne procède pas à la vérification des comptes du Canada. Il me semble que le paragraphe 14(1) l'indique précisément, étant donné qu'il se réfère aux comptes du Canada par opposition aux comp- tes d'une corporation de la Couronne. Si l'on pou-
vait affirmer que les comptes du Canada compren- nent les comptes des corporations de la Couronne, les dispositions habilitantes de l'article 14 seraient redondantes, l'article 5 accordant au vérificateur général tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de ses fonctions en ce qui concerne les comptes du Canada 6 . De la même façon, le paragraphe 13(1) lui accorde de vastes pouvoirs par l'utilisation des mots «dont il a besoin» mais seulement aux fins de d'exercice de ses fonctions».
En plus de rendre superflues les dispositions habilitantes de l'article 14 de la Loi, l'interpréta- tion du paragraphe 13(1) que propose l'intimé rendrait nulles les dispositions du paragraphe (3) de l'article 14. Ainsi qu'il a été noté précédem- ment, le gouverneur en conseil a refusé d'ordonner à Petro -Canada en vertu du paragraphe 14(3) de fournir les renseignements que sollicitait le vérifi- cateur général sur l'acquisition par cette société de la société Petrofina. En exigeant que ces mêmes renseignements lui soient fournis directement par les appelants en leur qualité d'administrateurs de Petro -Canada conformément au paragraphe 13(1), l'intimé recherche en fait le renversement de la décision du gouverneur en conseil, un résultat qu'il ne pourrait obtenir par voie judiciaire puisque le paragraphe 28(6) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] dispose que cette Cour n'est pas compétente à examiner une décision ou une ordonnance du gouverneur en con- seil. A mon avis, une telle interprétation des termes utilisés au paragraphe 13(1) serait nette- ment inexacte puisqu'elle aurait pour conséquence de permettre à l'intimé d'obtenir indirectement ce qu'il ne peut avoir directement.
Comme j'ai conclu, pour les motifs qui précè- dent, que le droit sollicité par l'intimé et accordé par le jugement déclaratoire de la Division de première instance excède clairement les pouvoirs conférés au vérificateur général par le paragraphe 13(1) puisque ce droit ne s'inscrit pas dans les limites de son mandat, il ne m'est pas nécessaire de
6 S'il faut apporter un argument de plus sur ce point, disons qu'à mon sens les dispositions de l'article 77 de la Loi sur l'administration financière, qui exposent en détail la façon selon laquelle les comptes d'une corporation de la Couronne fédérale doivent être vérifiés et faire l'objet d'un rapport destiné au ministre qui en est responsable, indiquent clairement que le Parlement voulait établir une distinction entre les comptes des corporations de la Couronne et les comptes du Canada.
traiter des questions du privilège de la Couronne et de la convention constitutionnelle sur le secret des documents du Cabinet, dont les deux avocats ont d'ailleurs longuement traité dans leurs mémoires et lors de l'audition de l'appel.
LES REDRESSEMENTS OFFERTS AU VÉRIFICATEUR GÉNÉRAL
Avant de conclure, j'aimerais exprimer certaines opinions sur les redressements qui s'offrent au vérificateur général dans le cadre de l'exercice de ses fonctions. A mon avis, la Loi sur le vérificateur général prévoit à cet égard un ensemble de redres- sements d'importance croissante. Le premier redressement qui, selon moi, est un redressement primaire, procède de l'alinéa 7(1)b) de la Loi sur le vérificateur général. Le paragraphe 7(1) est ainsi libellé:
7. (1) Le vérificateur général prépare à l'intention de la Chambre des communes un rapport annuel dans lequel
a) il fournit des renseignements sur les activités de son bureau; et
b) il indique s'il a reçu, dans l'exercice de ces activités, tous les renseignements et éclaircissements réclamés.
Le redressement suivant est prévu au paragraphe 13(4) de la Loi sur le vérificateur général, dont voici le libellé:
13....
(4) Le vérificateur général peut interroger sous serment, toute personne au sujet d'un compte soumis à sa vérification; à cette fin, il peut exercer les pouvoirs conférés aux commissaires par la Partie I de la Loi sur les enquêtes.
Le troisième de ces redressements, fondé sur le paragraphe 13(1) est, ainsi qu'il a déjà été noté, celui de ces redressements dont la portée est la plus grande en raison de la disposition attributive de prépondérance figurant au commencement de ce paragraphe.
Je déduis de l'absence d'une disposition attribu tive de prépondérance au paragraphe 13(4) que le redressement prévu à ce paragraphe est plus faible que celui qui découle du paragraphe 13(1). L'étude de la façon dont l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10 (ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art.
4)] 7 s'applique à chacun des paragraphes visés renforce, selon moi, une telle conclusion. Étant donné l'absence d'une disposition attributive de prépondérance au paragraphe 13(4), je suis d'avis qu'une attestation déposée conformément au para- graphe 36.3(1) ferait effectivement échouer toute démarche entreprise par le vérificateur général sous le régime du paragraphe 13(4) relativement aux objets visés par l'attestation produite en vertu du paragraphe 36.3(1).
' Cet article est ainsi libellé:
36.3 (1) Le tribunal, l'organisme ou la personne qui ont le pouvoir de contraindre à la production de renseignements sont, dans les cas un ministre de la Couronne ou le greffier du Conseil privé s'opposent à la divulgation d'un renseignement, tenus d'en refuser la divulgation, sans l'exa- miner ni tenir d'audition à son sujet, si le ministre ou le greffier attestent par écrit que le renseignement constitue un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
(2) Pour l'application du paragraphe (1), «un renseigne- ment confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada» s'entend notamment d'un renseignement contenu dans:
a) une note destinée à soumettre des propositions ou recommandations au Conseil;
b) un document de travail destiné à présenter des problè- mes, des analyses ou des options politiques à l'examen du Conseil;
c) un ordre du jour du Conseil ou un procès-verbal de ses délibérations ou décisions;
d) un document employé en vue ou faisant état de commu nications ou de discussions entre ministres de la Couronne sur des questions liées à la prise des décisions du gouverne- ment ou à la formulation de sa politique;
e) un document d'information à l'usage des ministres de la Couronne sur des questions portées ou qu'il est prévu de porter devant le Conseil, ou sur des questions qui font l'objet des communications ou discussions visées à l'alinéa d);
f) un avant-projet de loi.
(3) Pour l'application du paragraphe (2), «Conseil» s'en- tend du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de leurs comités respectifs.
(4) Le paragraphe (1) ne s'applique pas:
a) à un renseignement confidentiel du Conseil privé de la Reine pour le Canada dont l'existence remonte à plus de vingt ans;
b) à un document de travail visé à l'alinéa (2)b), dans les cas les décisions auxquelles il se rapporte ont été rendues publiques ou, à défaut de publicité, ont été ren- dues quatre ans auparavant.
Un problème plus grave que celui-là me semble- rait toutefois se poser si le vérificateur général, se voyant opposer une attestation fondée sur le para- graphe 36.3 (1), sollicitait l'exécution d'un redres- sement visé au paragraphe 13(1). Si l'on pose, par hypothèse, que le vérificateur général est bien comme il le dit le seul juge de l'étendue de ses fonctions, il se pose alors l'intéressante question de savoir comment il pourrait faire respecter, par la voie des tribunaux, les droits que lui confère le paragraphe 13(1). Si, par exemple, le vérificateur cherchait à obtenir, par voie judiciaire, la commu nication des documents du Cabinet, et si un minis- tre de la Couronne ou le greffier du Conseil privé déposait une attestation conformément au para- graphe 36.3(1), les dispositions de ce paragraphe, si elles étaient applicables, exigeraient du tribunal saisi de l'affaire qu'il refuse la divulgation du renseignement demandé «sans l'examiner». À mon avis, cette situation illustre clairement les difficul- tés que présente la recherche d'un redressement efficace et réaliste, convenant aux droits que peut faire valoir l'intimé conformément au paragraphe 13(1). Bien que la Cour ne soit pas saisie d'un tel problème dans le cadre du présent appel, je crois que l'absence d'un redressement effectif est perti- nente à l'examen de la validité des prétentions de l'intimé concernant l'étendue de ses pouvoirs. En d'autres termes, saisie d'une demande du vérifica- teur général visant à assurer le respect du droit que lui confère le paragraphe 13(1), la Cour, en pré- sence d'une attestation fondée sur le paragraphe 36.3(1), pourrait très bien en être réduite à tenter d'établir si le vérificateur général outrepasse son mandat sans pouvoir examiner les renseignements visés en raison des restrictions imposées par le paragraphe 36.3(1). La Cour serait dans cette situation parce que, dans l'éventualité le vérifi- cateur général agissait dans le cadre de ses fonc- tions, en vertu du paragraphe 13(1), l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada ne s'applique- rait pas. Si, toutefois, le vérificateur général excé- dait les limites de ses attributions, les dispositions du paragraphe 13 (1) n'empêcheraient pas l'appli- cation de l'article 36.3. En conséquence, la ques tion préliminaire que la Cour devrait trancher serait celle de savoir si le vérificateur général agissait dans le cadre de ses attributions. Et pour trancher cette question préliminaire, il est possible que cette Cour aurait besoin de prendre connais- sance des renseignements visés. Or, en consultant ces renseignements, la Cour enfreindrait le para- graphe 36.3(1) avant même d'être en mesure de
décider si le vérificateur général devait être lié par ses dispositions. Si, après avoir examiné les docu ments, la Cour concluait que le vérificateur géné- ral était en droit de les réclamer dans le cadre de ses fonctions, les dispositions du paragraphe 36.3(1) seraient supplantées par les dispositions attributives de prépondérance figurant au paragra- phe 13(1) de la Loi sur le vérificateur général. Si, en revanche, la Cour décidait que le vérificateur général excédait les limites de ses pouvoirs, les dispositions attributives de prépondérance du para- graphe 13(1) ne seraient pas applicables, et le paragraphe 36.3(1) interdirait à la Cour la consul tation des documents en question. Dans de telles circonstances, la Cour aurait été placée dans la situation difficile et embarrassante d'avoir à enfreindre les dispositions du paragraphe 36.3(1) afin de remplir ses obligations relativement à la demande du vérificateur général fondée sur le paragraphe 13(1).
À mon sens, l'incohérence et les contradictions inhérentes à un tel résultat établissent de façon convaincante que le Parlement n'a jamais pu avoir l'intention que le paragraphe 13(1) vise les rensei- gnements confidentiels du Conseil privé, des minis- tres et du Cabinet.
CONCLUSION
Pour tous les motifs qui précèdent, j'ai conclu que l'intimé n'a droit à aucun des redressements que la Division de première instance lui a accor dés. J'accueillerais donc l'appel avec dépens, j'an- nulerais le jugement de la Division de première instance et je lui substituerais un jugement reje- tant avec dépens l'action ainsi que la demande de l'intimé.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN (dissident): La question qui se pose en l'espèce a été énoncée dans les termes suivants par le juge en chef adjoint, qui présidait le procès en Division de première instance:
Résumée en très peu de mots, la question litigieuse qui se pose en l'espèce est celle de savoir si le droit à l'accès à des documents, qui est conféré au vérificateur général du Canada par l'article 13 de la Loi sur le vérificateur général, S.C. 1976-77, chap. 34, a préséance ou non sur la convention sur le
secret du Conseil privé de la Reine pour le Canada. [Motifs de jugement, le lei novembre 1985, dossier, pp. 3174 et 3175 8 .]*
Il m'apparaît nécessaire de trancher au préala- ble la question sous-jacente à celle que pose le juge de première instance, à savoir quelle est la nature et l'étendue des obligations dévolues au vérifica- teur général. De façon plus précise, il s'agit de savoir si l'obligation faite au vérificateur général d'effectuer des examens et des enquêtes et de faire rapport à la Chambre des communes implique que celui-ci doive suivre l'utilisation des fonds publics depuis leur allocation première ou immédiate jus- qu'à leur ultime bénéficiaire afin de déterminer s'il y a eu un emploi rentable des deniers publics.
Le litige est de la façon suivante. En février 1981, Petro -Canada, une société de la Couronne, a annoncé avoir conclu avec Petrofina S.A. une
g Le dossier révèle que le juge a prononcé deux fois des motifs de jugement. Les premiers motifs, dont le passage précité est extrait, portent la date du I" novembre 1985 et semblent avoir été prononcés à l'audience ce jour-là. À ce qu'il m'apparaît, le prononcé de ces motifs a été suivi d'une audition supplémen- taire qui, tenue le 12 novembre 1985, avait pour objet la [TRADUCTION] adiscussion» des motifs de jugement; à la suite de cette audition, le juge a indiqué qu'il apporterait à ses motifs certaines corrections et modifications. Les deux parties ont alors présenté à la Cour des requêtes concluant qu'il soit prononcé un jugement conforme à leurs interprétations respec- tives des motifs du juge, et ces requêtes ont été entendues le 4 décembre 1985. Finalement, le 6 décembre 1985, le juge a prononcé des motifs modifiés de jugement différant considéra- blement des motifs initiaux; ces motifs modifiés contiennent notamment plusieurs nouvelles conclusions de fait. Le jugement lui-même a été inscrit au dossier le 6 décembre 1985.
Cette manière de procéder est à déconseiller. Le juge de première instance, qui avait pris l'affaire en délibéré depuis plus de sept mois, aurait mieux fait, s'il n'était pas prêt à prononcer ses motifs dans leur forme finale le le' novembre, d'attendre d'être en mesure de le faire. À mon avis, rendre ce que l'on ne peut appeler que des motifs à l'état de projet, susceptibles d'adjonctions et de corrections inspirées par les commentaires recherchés des parties, ne favorise pas l'expédi- tion efficace et ordonnée des travaux de la Cour.
* Note de l'arrêtiste: Les motifs modifiés de jugement sont publiés à [1985] 1 C.F. 719. Le passage précité figure à la p. 724 du recueil.
entente visant l'achat de Petrofina Canada Inc. au prix de 120 $ l'action'.
La Société Petro -Canada a été constituée par une loi du Parlement (S.C. 1974-75-76, chap. 61). La totalité de son capital-actions, qui est incessi- ble, est détenue en fiducie pour le compte de la Couronne par le ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources. La Société est un mandataire de Sa Majesté à toutes les fins de la loi et les pouvoirs qui lui sont attribués ne peuvent être exercés qu'à ce titre. Le vérificateur général n'est pas le vérifi- cateur de Petro -Canada; les comptes de cette société, conformément à l'article 26 de la Loi, sont vérifiés par un vérificateur nommé par le gouver- neur en conseil. Le budget d'investissement de Petro -Canada est soumis à l'approbation du gou- verneur en conseil.
L'acquisition de Petrofina par Petro -Canada constituait une entreprise énorme sur le plan finan cier. Au prix convenu de 120 $ l'action, son coût s'est élevé à environ 1,7 milliard de dollars. La veille de l'annonce de cet achat, le gouverneur en conseil avait approuvé le budget d'investissement supplémentaire de 1,5 milliard de dollars néces- saire à l'achat des actions par Petro -Canada.
Quelque temps après l'annonce de l'achat et la publication de ses modalités, il a été demandé au Parlement d'approuver le financement devant per- mettre à Petro -Canada de régler la facture. A cette fin, une taxe spéciale a été imposée sur toute la consommation canadienne de pétrole; le produit de cette taxe devait être porté à un compte non budgétaire spécial connu sous le nom de Compte d'accroissement du taux de propriété canadienne (C.A.T.P.C.). Bien que la loi imposant effective- ment cette taxe ne fut pas immédiatement adop- tée, le libellé du crédit 5c de la Loi 4 de 1980-81 portant affectation de crédits (S.C. 1980-81-82-83, chap. 51), contient tous les rensei- gnements nécessaires en l'espèce:
9 Comme c'est souvent le cas lorsque le contrôle d'une société change de mains, les modalités de la transaction étaient beau- coup plus compliquées, prévoyant, en plus de l'achat des actions et du transfert des actifs, l'interposition de sociétés subsidiaires. Bien que la complexité de telles clauses puisse légitimement inquiéter quiconque se préoccupe de la rentabilité de l'emploi des deniers publics, les détails de ces dispositions ne sont pas directement pertinents aux questions faisant l'objet du présent litige.
ÉNERGIE, MINES ET RESSOURCES A—MINISTÈRE
PROGRAMME DE L'ÉNERGIE
5c Énergie Dépenses de fonctionnement, y compris des verse- ments au cours de la présente année financière et des années financières subséquentes conformément aux condi tions que peut prescrire le gouverneur en conseil, sur recommandation du Ministre et du ministre des Finances, des sommes nécessaires en certaines occasions en vue d'effectuer des placements sous forme d'actions, de titres, d'obligations ou d'autres titres de créance de Petro -Canada en vue d'accroître le taux de propriété canadienne au sein de l'industrie gazière et pétrolière au Canada au moyen de l'achat d'actions et de biens de Petrofina Canada Inc. par Petro -Canada (pour un montant ne devant pas dépasser 1.7 milliard de dollars, montant qui comprend les frais de financement provisoire), et à cette fin sera créé le Compte d'accroissement du taux de propriété canadienne, un compte non budgétaire de fiducie, qui figurera parmi les comptes du Canada:
a) au crédit duquel on portera toutes les sommes perçues dans le cadre d'une taxe spéciale relative à l'accroisse- ment du taux de propriété canadienne au sein de l'industrie gazière et pétrolière au Canada; et
b) auquel seront imputés tous les investissements faits en vertu du présent crédit, pour l'achat d'actions et de biens de Petrofina Canada Inc.
et pour prévoir des dispositions afin d'interdire tout inves- tissement en vertu du présent crédit dont le montant excède le solde du crédit du compte, et pour prévoir un
montant supplémentaire de . . .. .. .. .... . 5,382,000
Il ressort clairement de ces dispositions que l'objet de l'autorisation visée était un investisse- ment dans la Société Petro -Canada dans le but de permettre à cette dernière d'acquérir les actions et les actifs de Petrofina. En d'autres termes, Petro - Canada est l'instrument choisi pour réaliser la politique d'accroissement de la propriété cana- dienne dont témoigne l'achat de Petrofina.
Le vérificateur général est d'avis qu'il entre dans ses attributions
... de vérifier si les pratiques d'économie avaient été dûment respectées à l'égard de l'acquisition de Petrofina Canada Inc. au coût de $1,7 milliard et s'il y avait eu optimisation des ressources 10 .
Conformément au paragraphe 14(1) de la Loi sur le vérificateur général", le vérificateur général
10 Rapport du vérificateur général pour l'exercice financier terminé le 31 mars 1983, paragraphe 9.197. Dossier, p. 121.
'' 14. (1) Par dérogation aux paragraphes (2) et (3), le vérificateur général, dans l'exercice de ses fonctions de vérifica- teur des comptes du Canada, peut se fier au rapport du vérificateur, régulièrement nommé, d'une corporation de la Couronne ou d'une de ses filiales.
a demandé au vérificateur de Petro -Canada de lui transmette certains renseignements. Dans sa réponse, ce dernier a indiqué que son mandat ne s'étendait pas à la vérification du rapport coût-ren- dement et que, en conséquence, les renseignements requis n'étaient pas disponibles. (Lettre de Peat Marwick en date du 4 août 1983. Dossier, pages 861 867.)
Le vérificateur général ayant, en vertu du para- graphe 14(2) de la Loi sur le vérificateur général 12 , demandé à Petro -Canada de lui trans- mettre les évaluations des actions et actifs de Petrofina, faites aussi bien avant qu'après leur acquisition, s'est vu opposer un refus.
Une demande fondée sur le paragraphe 14(3) de la Loi sur le vérificateur général" a alors été présentée au gouverneur en conseil; le vérificateur général y demandait au gouverneur en conseil d'ordonner à Petro -Canada de lui transmettre les renseignements requis. Cette demande a égale- ment été refusée.
Finalement, dans une demande écrite adressée à chacun des défendeurs, le vérificateur général a requis les documents suivants:
[TRADUCTION]
Une copie des analyses et/ou rapports d'évaluation relatifs à l'acquisition de Petrofina Canada Inc.;
Une copie de tous les documents, propositions ou mémoires que vous avez pu prendre en considération en élaborant vos recommandations relatives à l'acquisition de Petrofina Canada Inc. au moyen de fonds provenant du Compte d'ac- croissement du taux de propriété canadienne;
2 14. ...
(2) Le vérificateur général peut demander à toute corpora tion de la Couronne d'obtenir de ses administrateurs, diri- geants, employés, mandataires et vérificateurs anciens ou actuels ou de ceux de ses filiales, les renseignements et éclair- cissements dont il estime avoir besoin dans l'exercice de ses fonctions de vérificateur des comptes du Canada et de les lui fournir.
"14. ...
(3) Le vérificateur général, au cas il estime qu'une corporation de la Couronne n'a pas donné des renseignements et éclaircissements satisfaisants à la suite d'une demande visée au paragraphe (2), peut en faire part au gouverneur en conseil; celui-ci peut alors ordonner aux dirigeants de cette corporation de fournir les renseignements et éclaircissements réclamés par le vérificateur général et de lui permettre de consulter les registres, documents, livres, comptes et pièces justificatives de la corporation et de ses filiales, dont il estime avoir besoin dans l'exercice de ses fonctions de vérificateur des comptes du Canada.
Une copie des évaluations de l'acquisition de Petrofina Canada Inc. et de ses actifs auxquelles on aurait procédé postérieurement à cette acquisition. [Dossier, page 128.]
La communication de ces documents a été refusée au motif que ceux-ci constituaient des secrets du Conseil privé de la Reine pour le Canada.
Les présentes procédures ont ensuite été enta- mées. Ces procédures, après avoir subi certaines modifications techniques dont nous n'avons pas à nous préoccuper à ce point-ci, prennent la forme d'une action sollicitant un jugement déclaratoire portant que le vérificateur général a le droit d'ob- tenir la communication des informations et docu ments suivants:
[TRADUCTION] (i) Les analyses et/ou rapports d'évaluation concernant l'acquisition de Petrofina Canada Inc. préparés pour les défendeurs, ou reçus par eux, ou dont ils ont tenu compte dans l'exercice de leurs responsabilités légales respecti- ves, individuelles ou collectives;
(ii) Les documents, propositions ou mémoires concernant l'em- ploi de fonds à même les comptes du Canada (notamment le Compte d'accroissement du taux de propriété canadienne) pour l'acquisition de Petrofina Canada Inc., qui ont été rédigés pour les défendeurs, ou reçus par eux, ou dont ils ont tenu compte dans l'exercice de leurs responsabilités légales respectives, col lectives ou individuelles, concernant l'acquisition de Petrofina Canada Inc.;
(iii) Toutes les évaluations de l'acquisition de Petrofina Canada Inc. et/ou des actifs acquis, faites ultérieurement à l'acquisition par les défendeurs, rédigés pour eux, ou reçus par eux, ou dont ils ont tenu compte dans l'exercice de leurs responsabilités légales respectives, individuelles ou collectives;
(iv) Afin de fournir au demandeur l'information, les rapports et les explications que comportent les documents énoncés en a)(i). [Dossier, pages 24 et 25.]
Il semble ne faire aucun doute que les docu ments en question existent et peuvent être mis à la disposition du vérificateur si la Cour l'ordonne. Un certificat du greffier du Conseil privé qui aurait été délivré conformément à l'article 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada (S.R.C. 1970, chap. E-10, modifiée par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4) déclare qu'une ordonnance comme celle qui est sollicitée
[TRADUCTION] ... impliquerait que les intimés visés par la présente demande fournissent au vérificateur général les docu ments énumérés à l'annexe «A» ci-jointe. Suite à mon examen minutieux de chacun de ces documents, je conclus que l'infor- mation qu'ils contiennent entre dans la catégorie des secrets du Ministère du très honorable Pierre Trudeau, puisque ces docu ments constituent des mémoires au Cabinet, des mémoires au Comité du Cabinet, des ordres du jour du Cabinet, des ordres du jour du Comité du Cabinet, des procès-verbaux de réunions du Cabinet, des procès-verbaux de réunions du Comité du
Cabinet, des documents faisant état de décisions du Cabinet, des documents faisant état de décisions du Comité du Cabinet, des avant-projets de loi, du courrier échangé entre ministres de la Couronne, des documents faisant état de discussions interve- nues entre des ministres de la Couronne ou des documents d'information destinés aux ministres de la Couronne et portant sur des questions étudiées par le Cabinet. [Dossier, page 72.]
En conséquence, se pose uniquement la question de savoir si le vérificateur général est en droit d'exiger que lui soient communiqués ces docu ments et, si leur communication lui est refusée, de faire valoir ce droit en ayant recours aux tribu- naux. La meilleure façon d'amorcer l'examen de cette question est d'étudier le rôle joué par le vérificateur général au sein du réseau complexe de relations qui structure l'appareil gouvernemental contemporain du Canada.
Même si le poste de vérificateur général est de création plutôt récente en comparaison de nom- breux postes plus traditionnels, le vérificateur général est un haut fonctionnaire de l'État. Il est nommé par le gouverneur en conseil pour un mandat non renouvelable de dix ans. Son traite- ment est égal à celui du juge en chef de la Cour fédérale, et il ne peut être destitué que sur adresse conjointe des deux Chambres du Parlement. Le vérificateur général est fondamentalement et effec- tivement le contrôleur principal des dépenses gou- vernementales; ses rapports annuels, avec leurs dolentes litanies faisant état du gaspillage des deniers ainsi que de la dilapidation des ressources, sont lus avec avidité et largement diffusés.
Le rôle du vérificateur général a évolué considé- rablement au cours des années et, à l'instar d'un grand nombre des institutions de l'État canadien, il a eu tendance à déborder (sans enfreindre la loi, évidemment) le cadre des dispositions strictement légales qui le définissent. Celles-ci ont elles-mêmes été révisées assez récemment dans la Loi sur le vérificateur général, qui est entrée en vigueur le 1°'
août 1977 14 . L'interprétation de cette Loi se situe au coeur même du présent litige. Toutefois, il est important que la Cour, au moment de procéder à cette interprétation, tienne compte non seulement de la Loi elle-même mais encore de l'évolution qu'a connue la charge du vérificateur général au cours de son histoire.
Il convient de dire que cette évolution s'est manifestée par un passage progressif d'une vérifi- cation financière à une vérification intégrée, d'une certification de la validité des méthodes compta- bles à un examen de la valeur reçue en contrepar- tie de l'argent dépensé 15 . Une comparaison de l'état de la législation avant et après l'adoption de la Loi de 1977 est des plus éloquentes. Cette Loi, toutefois, constituait elle-même une mise-à-jour visant à transposer en termes juridiques le rôle de l'auditeur général tel qu'il s'exerçait à cette époque. Ce rôle ayant continué de se transformer et, ainsi que nous le verrons, la Loi de 1977 ne contenant aucune disposition qui exige qu'elle doive être interprétée de façon stricte, nous devons prendre garde de ne pas attribuer à la fonction du vérificateur général un caractère figé plutôt qu'évolutif.
14 La Loi elle-même a résulté d'un conflit entre le sixième vérificateur général, Maxwell Henderson, et le gouvernement de l'époque sur le droit du vérificateur général de faire enquête et de faire rapport sur les paiements «improductifs»—en d'au- tres termes, la rentabilité de l'emploi des deniers publics. En temps utile, un comité indépendant d'experts (le Comité Wilson) fut formé. Son rapport de mars 1975 recommandait fortement l'adoption du concept d'une vérification intégrée; la Loi de 1977, dans une large mesure, transposait dans une loi du Parlement les recommandations de ce rapport. Voir le Rapport du Comité indépendant de révision sur les fonctions du vérifi- cateur général du Canada, Ottawa, mars 1975, Information Canada de catalogue FA7-1975; voir également Sonja Sin- clair, «Value-for -money auditing: after ninety-nine years of controversy, an idea whose time has corne». Optimum, 10, 1 (1979), aux pp. 39 46; et Douglas G. Hartle, «The Role of the Auditor General of Canada», Canadian Tax Journal, 23, 3 (mai-juin 1975), aux pp. 193 204.
15 On trouve une bonne description des «trois éléments» cons- titutifs de la vérification intégrée contemporaine dans l'ouvrage intitulé Standards for Audit Of Governmental Organizations, Programs, Activities, And Functions, United States General Accounting Office, révision de 1981 (U.S. Government Prin ting Office stock 020-000-00205-1), à la p. 3:
[TRADUCTION]
1. États financiers et conformité à la loi—la vérification inté- grée détermine a) si les états financiers de l'organisme qui
(Suite à la page suivante)
Avant 1977, le vérificateur général tirait ses pouvoirs de la Partie VII de la Loi sur l'adminis- tration financière (S.R.C. 1970, chap. F-10). Le caractère essentiellement financier de la vérifica- tion à laquelle il devait procéder ressort clairement des articles 58 et 60:
58. L'auditeur général doit examiner, de la manière qu'il peut juger nécessaire, les comptes relatifs au Fonds du revenu consolidé et aux biens publics. Il doit déterminer si, à son avis,
a) les comptes ont été tenus d'une manière fidèle et convenable;
b) on a pertinemment rendu compte de tous deniers publics, et si les règles et procédures appliquées sont suffisantes pour assurer un contrôle efficace de la cotisation, de la perception et de la répartition régulière du revenu;
e) les sommes d'argent ont été dépensées pour les fins auxquelles le Parlement les avait affectées, et les dépenses faites de la façon autorisée; et si, à son avis,
d) les registres essentiels sont tenus, et si les règles et procédures appliquées suffisent à sauvegarder et contrôler les biens publics.
60. L'auditeur général doit examiner et certifier d'après le résultat de ses examens les divers états dont l'article 55 exige l'inclusion dans les comptes publics et tout autre état que le Ministre peut présenter en vue d'un certificat de vérification.
Le libellé de ces dispositions est tout à fait compatible avec la tâche traditionnelle du vérifica- teur qui consiste à examiner les livres comptables et à certifier les états financiers.
Il existait toutefois un autre aspect des devoirs du vérificateur général. Il devait faire un rapport annuel à la Chambre des communes. Bien que cette tâche ait pu, dans le passé, être considérée
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fait l'objet de la vérification reflètent correctement sa situa tion financière et le résultat de ses opérations financières suivant les méthodes comptables généralement reconnues et b) si l'organisme en question s'est conformé aux lois et aux règlements qui peuvent avoir une incidence importante sur ses états financiers.
2. Économie et efficience—la vérification intégrée détermine a) si l'organisme visé gère et utilise ses ressources (tels le personnel, les biens, l'espace) avec économie et efficience, b) les causes des pratiques dépourvues d'efficience et d'écono- mie, et c) si l'organisme s'est conformé aux lois et aux règlements relatifs aux questions d'économie et d'efficience.
3. Résultats des programmes—la vérification intégrée déter- mine a) si les résultats ou les avantages recherchés par la législature ou toute autre instance habilitante ont été obtenus et b) si l'organisme visé a envisagé des solutions de rechange susceptibles de donner les résultats recherchés à un coût moindre.
comme une simple formalité, à l'image du rapport du vérificateur aux actionnaires d'une société du secteur privé, elle a directement entraîné l'exten- sion du rôle de l'auditeur général et les modifica tions remarquables qui y ont été apportées. Le paragraphe 61(1) de la Loi sur l'administration financière montre aussi bien les limites du rapport annuel que l'extension dont il est susceptible:
61. (1) L'auditeur général doit faire connaître à la Chambre des communes, tous les ans, le résultat de ses examens et signaler chaque cas il a remarqué
a) qu'un fonctionnaire ou employé a, volontairement ou par négligence, omis de percevoir ou de recevoir des deniers appartenant au Canada,
b) qu'il n'a pas été dûment rendu compte de deniers publics et que des deniers de ce genre n'ont pas été dûment versés au Fonds du revenu consolidé,
c) qu'un crédit budgétaire a été dépassé ou a été affecté à une fin ou d'une manière non autorisée par le Parlement,
d) qu'une dépense n'était pas autorisée ou qu'elle n'a pas été dûment appuyée de pièces justificatives ou certifiée,
e) qu'il y a eu déficit ou perte par la fraude, la faute ou l'erreur de quelqu'un, ou
f) qu'un mandat spécial a autorisé le paiement d'une somme d'argent,
ainsi que tout autre cas qui, d'après lui, mérite d'être porté à la connaissance de la Chambre des communes.
Alors que les alinéas a) à f) y compris semblent envisager une vérification purement financière (quoique étendue, puisque l'alinéa c) vise une enquête sur la «fin» à laquelle l'argent a été ou aurait être affecté), les vérificateurs généraux considéraient que les derniers mots du paragraphe permettaient une enquête étendue sur l'économie, l'efficience et l'efficacité des opérations du gouver- nement; en un mot, une vérification intégrée.
Comme on l'a dit, la Loi de 1977 reflète claire- ment cette extension du rôle du vérificateur géné- ral. Naturellement, la vérification financière et la certification subsistent. L'article 6 reprend le fond de l'ancien article 60:
6. Le vérificateur général examine les différents états finan ciers qui doivent figurer dans les comptes publics en vertu de l'article 55 de la Loi sur l'administration financière et tous autres états que lui soumet le ministre des Finances pour vérification; il indique si les états sont présentés fidèlement et conformément aux conventions comptables énoncées pour l'ad- ministration fédérale et selon une méthode compatible avec celle de l'année précédente; il fait éventuellement des réserves.
Cet article est toutefois précédé, au nouvel arti cle 5, d'un exposé général des responsabilités et des fonctions du vérificateur général:
5. Le vérificateur général est le vérificateur des comptes du Canada, y compris ceux qui ont trait au Fonds du revenu consolidé et, à ce titre, il effectue les examens et enquêtes qu'il juge nécessaires pour lui permettre de faire rapport comme l'exige la présente loi.
Bien que ce libellé s'inspire, pour une partie, des premiers mots de l'ancien article 58, il en diffère sous un aspect très important en rattachant les examens du vérificateur général (auxquels s'ajou- tent les enquêtes) non pas aux comptes dont il fait la vérification mais au rapport qu'il doit présenter à la Chambre des communes. Le cadre de ce rapport est aussi beaucoup plus vaste que ce qu'en- visageait l'ancien paragraphe 61(1). Les disposi tions clés se trouvent aux paragraphes 7(1) et 7(2):
7. (1) Le vérificateur général prépare à l'intention de la Chambre des communes un rapport annuel dans lequel
a) il fournit des renseignements sur les activités de son bureau; et
b) il indique s'il a reçu, dans l'exercice de ces activités, tous les renseignements et éclaircissements réclamés.
(2) Dans le rapport mentionné au paragraphe (I), le vérifica- teur général signale tout sujet qui, à son avis, est important et doit être porté à l'attention de la Chambre des communes, notamment les cas il a constaté que
a) les comptes n'ont pas été tenus d'une manière fidèle et régulière ou des deniers publics n'ont pas fait l'objet d'un compte rendu complet ou n'ont plus été versés, lorsque cela est légalement requis au Fonds du revenu consolidé;
b) les registres essentiels n'ont pas été tenus ou les règles et procédures utilisées ont été insuffisantes pour sauvegarder et contrôler les biens publics, assurer un contrôle efficace des cotisations, du recouvrement et de la répartition régulière du revenu et assurer que les dépenses effectuées ont été autorisées;
c) des sommes d'argent ont été dépensées à d'autres fins que celles auxquelles le Parlement les avait affectées;
d) des sommes d'argent ont été dépensées sans égard à l'économie ou à l'efficience; ou
e) des procédures satisfaisantes n'ont pas été établies pour mesurer et faire rapport sur l'efficacité des programmes dans les cas elles peuvent convenablement et raisonnablement être mises en œuvre.
Trois points importants se dégagent de la lecture de ce texte:
1. Les alinéas de l'ancien article 58 visant l'exa- men des comptes effectué par le vérificateur géné- ral et l'ancien paragraphe 61(1) concernant son rapport à la Chambre ont été réunis; l'examen et le rapport ont désormais le même objet.
2. La nature non limitative des alinéas énumérés de l'ancien paragraphe 61(1) a été conservée et renforcée; le vérificateur général doit signaler tout sujet qui, à son avis, est important, y compris les sujets dont la liste est établie.
3. Les alinéas d) et e) autorisent expressément d'enquêter sur les questions d'économie, d'effi- cience et d'efficacité; c'est la terminologie classi- que propre à la vérification intégrée ou la vérifica- tion rendement-coût.
Gardant cette analyse à l'esprit, j'en arrive à la question de savoir si le vérificateur général a en effet la responsabilité, comme il l'affirme, de véri- fier si l'acquisition de Petrofina s'est effectuée avec un souci suffisant de l'économie et s'est révélée rentable. À mon avis, la réponse à cette question est un «oui» sans équivoque.
Tout d'abord, je dois noter que même une inter- prétation étroite des fonctions du vérificateur général doit impliquer l'obligation de déterminer si les crédits ont été dépensés aux fins auxquelles le Parlement les avait affectés (voir l'alinéa 7(2)c) de la Loi sur le vérificateur général). S'il se trouve que le crédit 5c ne visait qu'à permettre de dépen- ser 1,7 milliard de dollars à l'achat d'actions, de débentures, d'obligations ou d'autres titres de créance de Petro -Canada, l'enquête du vérificateur général devrait alors se limiter à établir que cet investissement a réellement été fait. Mais une telle interprétation ne tiendrait pas compte de la plus grande partie du libellé du crédit 5c. Je ne puis considérer comme de simples embellissements ora- toires le fait que le Parlement, en permettant d'investir dans Petro -Canada, a agi de la sorte
... en vue d'accroître le taux de propriété canadienne au sein de l'industrie gazière et pétrolière au Canada au moyen de l'achat d'actions et de biens de Petrofina Canada Inc. par Petro -Canada ... [C'est moi qui souligne.]
Il me semble s'ensuivre que l'enquête visant à déterminer si les crédits ont été dépensés aux fins auxquelles ils avaient été affectés peut parfaite- ment déborder le cadre du placement dans Petro - Canada pour s'intéresser à l'achat d'actions et de biens de Petrofina par Petro -Canada.
Mais il y a plus. Le crédit 5c permet de dépenser les sommes nécessaires sous forme de placements dans Petro -Canada en vue d'accroître le taux de
propriété canadienne au sein de l'industrie gazière et pétrolière au moyen de l'achat de Petrofina, les sommes en question
... ne devant pas dépasser 1.7 milliard de dollars, montant qui comprend les frais de financement provisoire ...
La mention des frais de financement est significa- tive. L'investissement effectué par le gouverne- ment du Canada dans Petro -Canada ne comporte aucuns frais de financement. Or, l'achat d'actions et de biens de Petrofina a occasionné à Petro - Canada des frais de financement considérables. Il s'ensuit donc, du simple point de vue de l'interpré- tation législative, que les sommes «nécessaires . en vue d'effectuer des placements ... [dans] Petro - Canada» sont les sommes dont avait besoin Petro - Canada pour l'achat d'actions et de biens, y com- pris les frais de financement. Cela étant, la vérifi- cation des dépenses effectuées en vertu du crédit 5c doit régulièrement établir quelles sommes étaient nécessaires à cette fin.
Cette enquête, dans le cadre d'une vérification intégrée comme celle qu'a décrétée le Parlement, implique clairement la tâche de déterminer si l'em- ploi des deniers publics a été rentable, non seule- ment lorsque les Canadiens ont investi 1,7 milliard de dollars dans Petro -Canada, mais aussi lorsque Petro -Canada a consacré cette même somme à l'achat d'actions et de biens de Petrofina.
Ce n'est pas répondre aux prétentions du vérifi- cateur général que de dire que la décision d'ache- ter Petrofina était purement politique, assortie de mobiles et de justifications politiques, et qu'elle ne relevait donc que du domaine politique. Il est fort possible que cette décision ait été politique, mais assurément le vérificateur général est tenu de révé- ler, et le Parlement a le droit de connaître, le coût économique de la décision politique. Le vérifica- teur n'a pas, ni ne prétend avoir, le droit de mettre en question la sagesse de la décision d'accroître le taux de propriété canadienne au sein de l'industrie gazière et pétrolière au moyen de l'achat d'actions et de biens de Petrofina. Toutefois, si la mise en oeuvre de cette décision impliquait l'achat d'ac- tions et de biens à un prix supérieur à leur valeur marchande, le vérificateur général peut et doit alors révéler cet excédent de façon à permettre à d'autres de porter un jugement politique sur l'op- portunité qu'il y avait de le verser.
J'en arrive maintenant au droit qu'a le vérifica- teur général d'exiger la communication des docu ments relatifs à l'évaluation des actions et des biens de Petrofina tant avant qu'après leur achat par Petro -Canada. Encore une fois, la réponse repose sur l'interprétation de la Loi sur le vérifica- teur général en fonction de son contexte évolutif.
L'évolution des dispositions législatives régissant l'obligation faite au vérificateur général de procé- der à un examen et de faire rapport trouve son parallèle dans les articles qui traitent du droit du vérificateur à l'information. Les dispositions perti- nentes de la Partie VII de la Loi sur l'administra- tion financière étaient les paragraphes 57(1),(2) et (3) et l'article 64.
57. (1) Nonobstant toute loi du Parlement, l'auditeur général a le droit de prendre librement communication, à toutes épo- ques raisonnables, des dossiers, documents et autres archives se rattachant aux comptes de chaque département, et il a aussi le droit d'exiger et de recevoir, des membres de la fonction publique du Canada, les renseignements, rapports et explica tions qu'il juge indispensables au fidèle accomplissement de ses devoirs.
(2) L'auditeur général peut poster dans un département toute personne employée dans son bureau afin de lui permettre d'accomplir plus efficacement ses devoirs, et le département doit fournir à un fonctionnaire ainsi posté les facilités de bureau nécessaires.
(3) L'auditeur général doit exiger de toute personne employée dans son bureau et chargée d'examiner les comptes d'un département en conformité de la présente loi qu'elle observe les prescriptions de sécurité applicables aux personnes employées dans ce département et prête tout serment de discré- tion auquel sont astreintes les personnes y employées.
64. L'auditeur général peut interroger toute personne, sous serment, sur une matière relevant. d'un compte sujet à sa vérification et, aux fins d'un tel interrogatoire, il peut exercer tous les pouvoirs d'un commissaire en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes.
Comme on le voit aisément, ces dispositions mettent l'accent sur la communication des comptes qui font l'objet de l'examen du vérificateur géné- ral. Les mêmes dispositions reviennent dans la Loi de 1977, mais elles sont réunies en un seul article, sous la rubrique «ACCÈS À L'INFORMATION», et elles comportent d'importantes modifications, notamment au paragraphe (1).
ACCÈS À L'IN FORMATION
13. (1) Sous réserve des dispositions d'une autre loi du Parlement qui se réfèrent expressément au présent paragraphe, le vérificateur général a le droit, à tout moment convenable, de
prendre connaissance librement de tout renseignement se rap- portant à l'exercice de ses fonctions; à cette fin, il peut exiger que les fonctionnaires fédéraux lui fournissent tous renseigne- ments, rapports et explications dont il a besoin.
(2) Le vérificateur général peut, pour remplir plus efficace- ment ses fonctions, détacher des employés de son bureau auprès de tout ministère. Celui-ci doit leur fournir les locaux et l'équipement nécessaires.
(3) Le vérificateur général doit exiger de tout employé de son bureau chargé, en vertu de la présente loi, d'examiner les comptes d'un ministère ou d'une corporation de la Couronne, qu'il observe les normes de sécurité applicables aux employés du ministère ou de la corporation et qu'il prête le serment de respecter le secret professionnel, auquel ceux-ci sont astreints.
(4) Le vérificateur général peut interroger sous serment, toute personne au sujet d'un compte soumis à sa vérification; à cette fin, il peut exercer les pouvoirs conférés aux commissaires par la Partie 1 de la Loi sur les enquêtes.
La confrontation de l'ancien paragraphe 57(1) et du nouveau paragraphe 13(1) révèle ce qui suit:
1. La disposition attributive de prépondérance est passée de «nonosbtant» à «sous réserve de[s]». Il est soutenable que l'ancien paragraphe ne l'empor- terait pas sur les règles de droit non prévues par une loi; il ne fait aucun doute que le nouveau paragraphe est destiné à avoir le pas aussi bien sur les lois que sur les règles de la common law qui lui sont contraires.
2. L'ancienne disposition attributive de prépon- dérance était susceptible d'être renversée implicite- ment par un texte législatif postérieur. La nouvelle disposition, qui s'inspire, semble-t-il, de l'article 2 de la Déclaration canadienne des droits (S.R.C. 1970, Appendice III), indique clairement que seule peut l'emporter sur elle une disposition dérogatoire qui la vise expressément.
3. L'ancien texte limitait le droit d'accès aux comptes des ministères; le nouveau l'étend à tous les renseignements se rapportant à l'exercice des fonctions du vérificateur général.
4. Le droit d'exiger des fonctionnaires qu'ils fournissent des renseignements a été assujetti à la même condition que le droit d'accès à d'autres sources de renseignements. Dans chaque cas, il s'agit de déterminer si les renseignements recher- chés se rapportent à l'exercice des fonctions du vérificateur général. Étant donné qu'il s'agit clai- rement de deux droits distincts, comme l'indique le
fait que le texte français les sépare par un point- virgule et l'anglais par la forme conjonctive «and he is also entitled to», on peut affirmer sans risque d'erreur que le premier s'étend aux renseignements dont disposent des personnes qui ne sont pas des fonctionnaires («fonctionnaires fédéraux»), ceux-ci étant visés exclusivement par le second droit.
À moins que le paragraphe 13(1) ne soit un verbiage spécieux, la prépondérance qu'il établit doit avoir une certaine portée pratique. Si le seul «recours» dont dispose le vérificateur général pour faire respecter le droit créé par le paragraphe 13(1) se trouve dans l'exercice des pouvoirs d'un commissaire que lui confère le paragraphe 13(4), ces derniers pouvoirs doivent donc eux-mêmes être prépondérants, et l'emporter notamment sur l'arti- cle 36.3 de la Loi sur la preuve au Canada.
Par conséquent si, comme les appelants l'ont allégué, le paragraphe 13(4) est le seul moyen que le vérificateur général possède pour faire respecter son droit d'accès à l'information, l'argument se résout donc en un simple ergotage sur le plan de la procédure: en réalité, cela ne peut sûrement pas faire de différence que l'on demande à la Division de première instance de faire respecter un sub poena décerné par le vérificateur général confor- mément aux pouvoirs que lui confère le paragra- phe 13(4) ou, comme cela s'est produit de fait, qu'on lui demande de déclarer que le droit d'accès à l'information existe.
Pour ma part, cependant, je ne peux voir aucun principe qui nous oblige de limiter par la procé- dure édictée au paragraphe 13(4) le droit d'accès à l'information garanti au vérificateur général par le paragraphe 13(1). Celui-ci a une portée tellement plus vaste que celui-là que toute restriction de ce genre équivaudrait, en vérité, au refus de reconnaî- tre le droit lui-même.
De même, je ne puis accepter l'argument des appelants lorsqu'ils font valoir, à titre subsidiaire, que le seul recours du vérificateur général contre le refus de communication est un rapport défavorable au Parlement conformément à l'alinéa 7(1)b). La Loi parle de droit, terme juridique tout à fait apte pour décrire une garantie juridique à l'appui de laquelle il doit exister un recours judiciaire. Un jugement déclaratoire du genre de celui qu'on tente d'obtenir en l'espèce constitue un redresse-
ment particulièrement approprié. Si j'avais quel- que doute sur la question (mais ce n'est pas le cas), j'appliquerais à la Loi sur le vérificateur général le genre d'interprétation large et téléologique que la Cour suprême a donné à l'Ombudsman Act (R.S.B.C. 1979, chap. 306) dans l'arrêt British Columbia Development Corporation et autre c. Friedmann, Ombudsman et autres, [ 1984] 2 R.C.S. 447.
Il n'y a lieu de faire que quelques autres observations.
Dans leurs exposés écrits et durant la plaidoirie de l'appel, les parties ont traité de façon exhaustive et approfondie des questions du privilège de la Couronne et de la convention constitutionnelle sur le secret des documents du Cabinet. Il est peut-être souhaitable par conséquent que j'en traite briève- ment, ne serait-ce que dans le but d'indiquer que le présent appel ne nous oblige pas, à mon sens, à nous prononcer de façon définitive sur l'un ou l'autre sujet.
Quant à la doctrine du privilège de la Couronne, ou du privilège officiel, je ferai d'abord remarquer qu'elle est simplement une règle de preuve et qu'elle ne constitue pas une restriction constitu- tionnelle aux pouvoirs législatifs. En effet, tant le Parlement que les législatures provinciales ont adopté des lois sur le sujet au cours des dernières années. Par conséquent, bien que l'on puisse se demander si les récentes modifications apportées à la Loi sur la preuve au Canada (notamment l'arti- cle 36.3) constituent une codification complète ou s'il reste certaines dispositions de la common law encore en vigueur, il ne fait pas de doute que, en ce qui concerne la Couronne fédérale et ses organis- mes, le Parlement du Canada peut adopter les règles qu'il juge bon quant au privilège de la Couronne. À mon avis, il n'y a tout simplement aucun doute possible que le libellé du paragraphe 13(1) de la Loi sur le vérificateur général est assez fort pour l'emporter sur tout privilège, qu'il soit fondé sur une loi ou sur la common law. En conséquence, il ne me semble pas que nous ayons à ajouter à la jurisprudence déjà abondante qui s'est efforcée de définir les limites du privilège.
La convention sur le caractère confidentiel des documents du Cabinet, laquelle interdit aux mem- bres d'un gouvernement de prendre connaissance
des secrets d'un gouvernement précédent d'un parti politique différent, (et à plus forte raison de les divulguer), constitue une autre question. Le juge de première instance a conclu à l'existence d'une telle convention. Je ne suis pas tout à fait sûr qu'il ait eu raison ' 6 . Mais je ne crois pas nécessaire d'exprimer une opinion définitive sur la question. La convention, si elle existe, n'est rien de plus que cela. Une convention, par définition, doit céder le pas devant un texte de loi formel. Je veux bien convenir que c'est un principe judicieux d'interpré- tation des lois de ne pas conclure qu'une conven tion bien établie a été abrogée par un texte ambigu; à cet égard, toutefois, je ne puis rien trouver d'ambigu dans le libellé du paragraphe 13(1) de la Loi sur le vérificateur général. En effet, d'après la nature même de ses fonctions, le vérificateur général enquête sur des événements passés, parfois déjà vieux de plusieurs années. Il est tout simplement impensable qu'un changement de gouvernement puisse faire échouer ses recher- ches.
Il reste encore un point. Au paragraphe 2 de son ordonnance, le juge de première instance a déclaré que le vérificateur général a le droit de prendre librement connaissance des renseignements que contiennent certaines catégories précisées de docu ments; ces catégories correspondent assez bien à ce que le vérificateur général avait revendiqué initia- lement dans la lettre qu'il avait adressée aux appe- lants et dans les poursuites subséquentes qu'il avait intentées en Division de première instance.
Le paragraphe 1 de l'ordonnance formelle du juge de première instance est cependant une autre affaire. Il est rédigé ainsi la page 752]:
I. LA COUR DÉCLARE QUE le demandeur a droit, conformé- ment au paragraphe 13(1) de la Loi sur le vérificateur général, de prendre connaissance des renseignements, y compris les renseignements que renferment les documents constituant des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine, qui concernent des dépenses de l'État et qui tombent sous le coup des responsabilités du vérificateur général énoncées à la Loi sur le vérificateur général et que le demandeur estime nécessaires pour s'acquitter desdites responsabilités, notamment pour véri- fier les états financiers requis par l'article 55 de la Loi sur
' 6 0n se rappelle de la fameuse affaire «Munsinger°, le premier ministre Pearson semble avoir eu libre accès à certains documents confidentiels du précédent gouvernement Diefenba- ker. Voir notamment les pp. 51 à 54 du Rapport de la Commission d'enquête sur certaines questions relatives à la dénommée Gerda Munsinger. Ottawa, septembre 1966. Impri- meur de la Reine de catalogue Z1-1966/2F.
l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, et pour lui permettre de présenter son rapport au Parlement et de signaler les cas une somme d'argent a été dépensée sans égard à l'économie et à l'efficience. [Dossier p. 32671
À mon avis, cette déclaration va bien au-delà de ce qui était demandé et elle devrait, de toute façon, être rejetée. En effet, avec tout le poids que lui confère l'autorité d'un jugement déclaratoire de la Cour, elle donne au vérificateur général blanc- seing pour consulter tout document que lui seul considère comme nécessaire. Bien qu'en premier lieu, il appartienne naturellement toujours au véri- ficateur général de déterminer ce dont il a besoin ou non pour exercer ses fonctions, il est également vrai que, chaque fois que son jugement est mis en doute sur ce point, la question doit être tranchée par une cour de justice. C'est précisément ce qui s'est produit en l'espèce et si quelque problème devait se poser à l'avenir au sujet des limites régulières de l'enquête du vérificateur général, il faudra le résoudre de la même façon. J'annulerais donc le paragraphe 1 de l'ordonnance rendue par le juge de première instance. Sous réserve de ce point seulement, je rejetterais l'appel avec dépens.
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