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T-1232-84 T-1235-84
Apple Computer, Inc. et Apple Canada Inc. (demanderesses)
c.
Mackintosh Computers Ltd., Compagnie d'Élec- tronique Repco Ltée/Repco Electronics Co. Ltd., Maison des Semiconducteurs Ltée/House of Semiconductors Ltd., Chico Levy, Joseph Levy, Nat Levy, Micro Computer Syncotech Systems Ltd., Roman Melnyk, Gary Grecco, Richard Wichlacz, Robert Pelland faisant affaires sous la dénomination sociale de Centre du Hobbie Enr., Éric-Pierre Durez et Serge Pelletier faisant affai- res sous la dénomination sociale de Pro-Micro Enr., Claude Denise Bérubé Villeneuve faisant affaires sous la dénomination sociale de Ville- neuve Électronique Enr., Daniel Renaud faisant affaires sous la dénomination sociale de Microbit Enr., Hastings Leasing (Belleville) Limited, Wil- liam George Knight, Evelyn Gwendelyn Knight, Glen Martin Sargent, Mohamed Nath000 Gulam- husein faisant affaires sous la dénomination sociale de Compu-Sys, Tempo Audivision Incorpo rated, Leslie David Graham Newton, Unitron Computer Corporation, Robert A. Hubbell, Ace Computer Supplies Inc., George Yin Kit Poon, Simon Yin On Poon, Mang Chi Ly, Nu Mini Yung, Sabtronic Systems Ltd., Bernard Allan Sabiston et Madeleine Irene Sabiston (défen- deurs)
et
Apple Computer, Inc. et Apple Canada Inc. (demanderesses)
c.
115778 Canada Inc., faisant affaires sous la déno- mination sociale de Microcom et James Begg et 131375 Canada Inc. (défendeurs)
RÉPERTORIE: APPLE COMPUTER INC c. MACKINTOSH COM PUTERS LTD.
Division de première instance, juge Reed— Toronto, 21, 22, 23, 24, 28, 29 et 31 janvier, 3, 4, 5, 6, 7 et 10 février; Ottawa, 29 avril 1986.
Droit d'auteur Programmes informatiques inscrits sur des microplaquettes de silicium faisant l'objet d'un droit d'au- teur En vertu de l'art. 3 de la Loi, le droit d'auteur
comprend le «droit exclusif de produire ou de reproduire une oeuvre sous une forme matérielle quelconque» La portée de l'art. 3 est assez large pour comprendre les nouvelles technolo gies La forme hexadécimale du programme en code source est une traduction de l'oeuvre originale et non une oeuvre littéraire différente L'expression «sous une forme maté- rielle quelconque+ vise le programme des demanderesses ins- crit sur la microplaquette ROM L'argument selon lequel puisque le programme des demanderesses présente une fusion de l'idée et de l'expression de celle-ci, il n'est donc pas susceptible d'être protégé par le droit d'auteur, n'est pas convaincant Le fait qu'un programme peut être écrit sous diverses formes, que le support choisi pour inscrire ce pro gramme n'est pas pertinent et qu'il est impossible pour le programmeur d'écrire le programme de la même façon deux fois de suite fait échec à l'argument de fusion Rejet des considérations de caractère politique Responsabilité per- sonnelle des défendeurs La connaissance signifie «une prise de conscience des faits à partir desquels une personne raison- nable conclurait à la contrefaçon du droit d'auteur» La seule connaissance des faits ne suffit pas à établir la responsa- bilité quant à la contrefaçon du droit d'auteur Il est nécessaire de prouver que les défendeurs ont autorisé la perpé- tration de l'acte reproché au sens de l'art. 3 ou ont participé aux activités interdites par l'art. 17(4) Remise et calcul des profits ordonnés Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30, art. 2, 3, 4(3), 17(1),(4), 25, 45, 46 Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1952, chap. 55, art. 2v) An Act to amend the Law of Copyright, 5 & 6 Vict., chap. 45 (R.-U.) Copyright Act, 1911, 1 & 2 Geo. 5, chap. 46, art. 1(2)a),d), 19(1) (R.-U.) Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. 1-8 Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 28(3).
Pour ce qui est des faits de l'espèce, il y a lieu de se référer à la note de l'arrêtiste infra.
Jugement: Il sera rendu une ordonnance enjoignant la remise de tous les dispositifs contenant le programme, de toutes les copies du programme et de tous les dispositifs contenant cel- les-ci, ainsi qu'un calcul des profits tirés par les défendeurs grâce à la vente d'ordinateurs et de composantes d'ordinateurs portant atteinte aux droits d'auteur d'Apple Computer.
L'argument des défendeurs selon lequel le droit d'auteur n'accorde aucune protection à la forme hexadécimale du pro gramme en code source parce qu'il ne s'agit pas d'une «traduc- tion» de l'oeuvre mais bien d'une oeuvre littéraire différente, ne saurait être accueilli. La conversion d'un code à un autre est visée par la définition du terme anglais «translation» dans The Concise Oxford Dictionary: «exprime le sens ... dans une autre forme de représentation». Le support choisi pour inscrire le programme conserve le caractère de l'oeuvre originale. La forme hexadécimale du programme ne constitue pas une oeuvre littéraire différente, mais bien une traduction de l'original.
N'est pas convaincant l'argument selon lequel puisqu'il ne peut y avoir qu'une seule façon de structurer la microplaquette ROM (mémoire morte) afin de lui permettre de reproduire le programme, ce dernier présente une fusion de l'idée et de l'expression de celle-ci à laquelle la Loi sur le droit d'auteur ne saurait s'appliquer. Les affaires Cuisenaire, Hollinrake et Moreau ne semblent pas confirmer l'argument avancé par les défendeurs selon lequel en cas de fusion, l'oeuvre ne peut être
protégée par le droit d'auteur. La portée exacte de cette règle, s'il en est, n'est pas claire. Plusieurs œuvres qui sont suscepti- bles d'être protégées par le droit d'auteur, telles que des poèmes, des pièces de théâtre, des tableaux, présentent une telle fusion. Le mot «idée» lui-même peut être défini de façon très variée. C'est seulement lorsque l'idée transmise par le mot est décrite d'une façon très abstraite que l'on peut dire qu'il n'y a pas de fusion. Dans un arrêt rendu en 1879, la Cour Suprême des États-Unis a statué que lorsque la technique utile ne peut être employée qu'en utilisant les formules ou les schémas qui ont servi à l'expliquer, ces derniers ne sont pas protégés par le droit d'auteur. Cet arrêt, qui a été critiqué, n'a pas été suivi au Canada. En fait, la Cour d'appel fédérale semble l'avoir impli- citement rejeté.
Le fait qu'un programme peut être écrit sous une variété de formes, que le même programmeur n'écrirait pas le programme de la même façon deux fois de suite, que le support pour inscrire ce programme n'est pas pertinent, tout cela indique que, pour les programmes informatiques, on ne peut faire exception en invoquant le principe de fusion (s'il existe).
La question de savoir si les premiers mots de l'article 3— « "droit d'auteur" désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque»—visent l'inscription du pro gramme des demanderesses sur la microplaquette ROM doit recevoir une réponse affirmative. La prétention des demande- resses selon laquelle l'article 3 a été rédigé intentionnellement de façon assez générale pour comprendre les technologies nou- velles était bien fondée. Sur le plan matériel, il n'existe aucune différence entre un disque qui «comprend» une œuvre musicale grâce aux sillons qui y sont gravés et une microplaquette ROM qui «comprend» un programme grâce au système d'alternance des zones de conductivité et de non-conductivité qui la caracté- rise. Quant au critère de la «lisibilité» ou de la «perception visuelle» discuté dans la jurisprudence, il doit y avoir simple- ment une façon de comparer visuellement l'œuvre apparem- ment protégée par le droit d'auteur et l'œuvre qui est censée la contrefaire, afin de déterminer s'il y a eu plagiat. Puisque le programme peut être «lu» à partir de la microplaquette ROM et comparé aux autres, ce critère est donc présent en l'espèce.
Les défendeurs soutiennent que l'objet ultime de la reproduc tion doit être de communiquer l'œuvre aux êtres humains. On peut semble-t-il, trouver le fondement de cette exigence dans le texte des dispositions législatives pertinentes qui doivent être interprétées par rapport aux exemples précis qui suivent chaque cas. L'expression «sous une forme matérielle quelconque» figu- rant à l'article 3 répond à cet argument. Elle vise expressément le programme inscrit sur la microplaquette ROM. Il n'y a rien dans l'article 3 qui permette de tirer une conclusion différente.
Est fondé l'argument selon lequel, peu importe l'interpréta- tion donnée aux premiers mots de l'article 3, la microplaquette ROM est visée par l'alinéa 3(1)d) en tant qu'organe au moyen duquel l'oeuvre peut être débitée. Le programme peut être exécuté sur l'écran du moniteur ou sur une impression destinée aux êtres humains.
Les arguments de caractère politique invoqués par les défen- deurs pour prétendre qu'il n'y a pas lieu à protection conférée par le droit d'auteur, à savoir des restrictions éventuelles du commerce et un chevauchement possible avec les règles portant
sur les brevets, ne sauraient être accueillis. Les propositions de révision de la Loi mentionnées par les défendeurs ne sont pas pertinentes. La Cour doit appliquer la loi telle qu'elle existe.
Compte tenu de la preuve, on ne saurait conclure que les défendeurs n'étaient pas au courant de l'acte de plagiat qui était commis. Dans toute affaire, c'est la déduction tirée des faits qui permet de savoir s'il y a connaissance ou non. Les défendeurs avaient plus que remarqué des faits qui auraient poussé une personne raisonnable à comprendre qu'il y avait contrefaçon du droit d'auteur. Cependant, la seule connaissance des faits ne suffit pas à donner lieu à une responsabilité pour contrefaçon du droit d'auteur. Les défendeurs doivent partici- per à des activités qui les assujettiraient à l'article 3 en autori- sant la reproduction de ]'oeuvre ou au paragraphe 17(4) qui fait état des activités interdites. «Autoriser» signifie «consentir, approuver et encourager». De plus, l'inactivité ou l'indifférence au risque de contrefaçon serait telle qu'on devrait déduire qu'il y a eu autorisation.
En achetant de la publicité dans les journaux, les défendeurs ont «commercialement offert en vente» les articles contrefaits (une activité interdite au sens de l'alinéa 17(4)a). Participer à des expositions et à des points de vente revient à «exposer commercialement en public» lesdits articles (alinéas 17(4)a) et c)).
L'action intentée contre Joseph Levy, l'un des particuliers défendeurs, est rejetée. Garantir des crédits pour l'importation des articles contrefaits, tout en sachant qu'un tel acte était commis, n'est pas visé par le paragraphe 17(4) ni par l'article 3, soit l'autorisation de la production ou de la reproduction du programme des demanderesses.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Thrustcode Ltd. v. W.W. Computing Ltd., [1983] F.S.R. 502 (Ch.D.); Apple Computer Inc v Computer Edge Ply Ltd (1984), 53 ALR 225 (F.C.); infirmant (1983), 50 ALR 581 (F.C.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Cuisenaire, Georges v. South West Imports Ltd., [1968] 1 R.C.E. 493; (1967), 37 Fox Pat. C. 93; confirmée par [1969] R.C.S. 208; (1968), 40 Fox Pat. C. 81; Cuisenaire v. Reed, [1963] V.R. 719 (S.C.); Schlumberger Canada Ltd. c. Le commissaire des brevets, [1982] 1 C.F. 845; (1981), 56 C.P.R. (2d) 204 (C.A.), demande de permis sion d'appel devant la Cour suprême du Canada rejetée (1981), 63 C.P.R. (2d) 261.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Hollinrake v. Truswell, [1894] 3 Ch. 420 (C.A); Moreau, Alfred v. St-Vincent, Roland, [1950] R.C.E. 198; Baker v. Selden, 101 U.S. 99 (1879); Bulman Group Ltd. (The) c. Alpha One -Write Systems B.C. Ltd. et autre (1981), 54 C.P.R. (2d) 179 (C.A.F.); Bulman Group Ltd. (The) c. «One Write» Accounting Systems Ltd., [1982] 2 C.F. 327; 62 C.P.R. (2d) 149 (1" inst.); Boosey v. Whight, [1899] 1 Ch. 836; confirmée par [1900] 1 Ch. 122 (C.A.); Sega Enterprises Limited v.
Richards and Another, [1983] F.S.R. 73 (Ch.D.); Ment- more Manufacturing Co., Ltd. et autre c. National Mer chandise Manufacturing Co. Inc. et autre (1978), 40 C.P.R. (2d) 164 (C.A.F.); C.B.S. Inc. v. Ames Records & Tapes Ltd., [1981] 2 W.L.R. 973 (Ch.D); Compo Com pany Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357; (1979), 45 C.P.R. (2d) 1.
DÉCISIONS CITÉES:
Newmark v. National Phonograph Company and Edison Manufacturing Company (1907), 23 T.L.R. 439 (K.B.); Monckton v. Gramophone Company Limited (1912), 106 L.T. 84 (C.A.); White-Smith Music Publishing Com pany v. Apollo Company, 209 U.S. 1 (1908); Apple Computer, Inc. v. Formula Intern., Inc., 562 F.Supp. 775 (U.S. Dist. Ct. 1983); Falcon v. Famous Players Film Co., [1926] 2 K.B. 474 (C.A.); Chabot v. Davies, [1936] 3 All E.R. 221 (Ch.D); King Features Syndicate, Incor porated v. Kleeman (O. & M.) Ld., [1941] A.C. 417 (H.L.); Dorling v. Honnor and Another, [1964] R.P.C.
160 (C.A.); Bayliner Marine Corp. c. Doral Boats Ltd., [1986] 3 C.F. 346; (1985), 5 C.P.R. (3d) 289 (1re inst.); Canusa Records Inc. et autres c. Blue Crest Music, Inc. et autres (1976), 30 C.P.R. (2d) 11 (C.A.F.); R. v. Budget Car Rentals (Toronto) Ltd. (1981), 31 O.R. (2d)
161 (C.A.); R. v. Philips Electronics Ltd.—Philips Elec- tronique Ltee (1980), 30 O.R. (2d) 129 (C.A.); Tuck v. Priester (1887), 19 Q.B.D. 629; Dalton c. Commission canadienne des droits de la personne, [1986] 2 C.F. 141; 63 N.R. 383 (CA.); Re Application Number 961,392 (1971), 5 C.P.R. (2d) 162 (C.A.B.); Gottschalk, Comr. Pats. v. Benson, 175 USPQ 673 (S.C. 1972); Dann, Comr. Pats. v. Johnston, 189 USPQ 257 (S.C. 1976); Re Bendix Corporation Application (Now Patent No. 1,176,734) (1984), 5 C.P.R. (3d) 198 (C.A.B.); Re Application for Patent of Dissly Research Corp. (Now Patent No. 1,188,811) (1984), 6 C.P.R. (3d) 420 (C.A.B.); Diamond, Comr. Pats. v. Diehr and Lutton, 209 USPQ 1 (S.C. 1981); Northern Office Microcompu ters (Pty) Ltd. v. Rosenstein, [1982] F.S.R. 124 (S.C. Afr. du Sud); Apple Computer Inc. v. Computermat Inc. (1983), 1 C.I.P.R. 1 (H.C. Ont.); Apple Computer, Inc. v. Minitronics of Canada Ltd. et autres (1985), 7 C.P.R. (3d) 104 (C.F. 1"° inst.); confirmée par (1985), 8 C.P.R. (3d) 431 (C.A.F.); Société (La) d'Informatique R.D.G. Inc. v. Dynabec Ltée et al. (1984), 6 C.P.R. (3d) 299 (C.S. Qué.); confirmée par (1985), 6 C.P.R. (3d) 322 (C.A. Qué.); F & I Retail Systems Ltd. v. Thermo Guard Automotive Products Canada Ltd. et al., Cour suprême de l'Ontario, rendue le 26 juin 1984, non publiée; Logo Computer Systems Inc. c. 115778 Canada Inc. et al., Cour supérieure du Québec, 25 octobre 1983, non publiée; Nintendo of America, Inc. c. Coinex Video Games Inc., [1983] 2 C.F. 189 (C.A.); Spacefile Ltd. v. Smart Computing Systems Ltd. et al. (1983), 75 C.P.R. (2d) 281 (H.C. Ont.); International Business Machines Corporation c. Ordinateurs Spirales Inc., [1985] 1 C.F. 190; (1984), 80 C.P.R. (2d) 187 (1"° inst.); Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.); Visa Inter national Service Association v. Visa Motel Corporation, carrying on business as Visa Leasing et al. (1984), 1
C.P.R. (3d) 109 (C.A.C.-B.); RCA Corporation y Custom Cleared Sales Pty Ltd (1978), 19 ALR 123 (N.S.W.C.A.); Albert v. S. Hoffnung & Co. Ltd. (1921), 22 S.R. 75 (N.S.W.S.C.); Clarke, Irwin & Co. Ltd. v. C. Cole & Co. Ltd. (1960), 33 C.P.R. 173 (H.C. Ont.); Simon & Schuster Inc. et al. v. Coles Book Stores Ltd. (1975), 9 O.R. (2d) 718 (H.C.); Proctor & Gamble Co. c. Bristol-Myers Canada Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1" inst.).
AVOCATS:
Alfred S. Schorr, Ivor M. Hughes et J. I. Etigson pour les demanderesses.
Robert H. C. MacFarlane pour les défen- deurs.
PROCUREURS:
Alfred S. Schorr, Toronto, et Ivor M. Hughes, Concord (Ontario), pour les deman- deresses.
Fitzsimmons, MacFarlane, Toronto, pour les défendeurs.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Le Directeur général a choisi de publier les motifs du jugement (75 pages) sous une forme abrégée. Les parties suivantes ont été omises: un examen (22 pages) de la preuve expliquant la création des programmes informatiques, les lan- gages informatiques, la mémoire interne de l'ordi- nateur, le circuit électrique intégré de l'ordinateur, le fonctionnement d'un ordinateur du point de vue du programmeur, l'ordinateur comme machine électrique et l'extraction ou la lecture d'un pro gramme à partir de la mémoire morte (ROM). Ont également été omis les points qui ne sont pas en litige (droit d'auteur sur le programme en code source, plagiat substantiel et propriété du droit d'auteur) et certaines parties d'un examen de la preuve intitulées «Défendeurs qui ne sont pas des personnes morales», «L'affaire Microcom—La preuve relative aux activités des défendeurs» et «L'affaire Mackintosh—La preuve relative aux activités des défendeurs». Des résumés des por tions omises ont été rédigés.
Le point en litige porte sur une question limitée mais importante: un programme informatique ins- crit sur une microplaquette de silicium dans un ordinateur peut-il faire l'objet d'un droit d'auteur?
Les demanderesses sont titulaires d'un droit d'auteur à l'égard de deux programmes informati- ques: Autostart ROM et Applesoft. Créés pour être utilisés dans l'ordinateur Apple Il +, les pro grammes devaient servir de mode d'instruction. Les témoins experts ont déclaré que la création d'un programme informatique demande beaucoup d'ingéniosité et qu'il faudrait des mois de travail pour écrire des programmes semblables à ceux en cause. Les programmes informatiques sont d'une nature très individuelle et il est pratique- ment impossible que deux programmeurs puis- sent, sans faire de plagiat, créer des programmes identiques.
Pourtant, sur les microplaquettes Microcom des défendeurs, 12 261 des 12 288 octets étaient identiques aux octets des microplaquettes corres- pondantes d'Apple U +. Sur les microplaquettes Mackintosh des défendeurs, il en était ainsi pour 12 277 des 12 288 octets..
La preuve des demanderesses—donnée sur- tout par des experts en logiciel—a porté sur l'exploitation d'un ordinateur selon /e point de vue du programmeur. La preuve des défendeurs a porté sur l'exploitation d'un ordinateur sous l'an- gle du matériel—le fonctionnement de la machine comme système complexe de circuits électriques intégrés. Pour l'avocat des défendeurs, un pro gramme ne constitue que de simples spécifica- tions pour les pièces d'une machine. Cette des cription n'a pas été retenue. Le programmeur qui écrit un programme ne fournit pas des spécifica- tions au fabricant de microplaquettes de mémoire morte (ROM). Il pense plutôt aux instructions qu'il doit donner à l'ordinateur afin de transférer l'infor- mation entre certains registres et d'accomplir cer- taines opérations là-dessus. Les programmes sont conçus pour des fins de communication avec les ordinateurs et utilisés pour porter l'ordi- nateur à accomplir certaines opérations (effectuer des calculs, extraire certaines données d'une banque de données). Ce pouvoir de déclencher des opérations nous fait sortir des notions con- ceptuelles normalement associées à la nature d'un texte écrit. Cet aspect unique est au cour même du différend sur l'existence d'un droit d'auteur.
Il est très difficile, sans copier les programmes Autostart ROM et Applesoft, de créer un autre
système informatique qui peut utiliser le logiciel (programmes d'application) conçu pour fonction- ner sur Apple ll +. C'est ce facteur économique qui est à l'origine du présent litige.
Les défendeurs ne contestent pas le fait que les versions des programmes, écrites en langage d'assemblage, sont visées par la Loi sur le droit d'auteur. Les programmes n'ont cependant pas été copiés dans leur forme écrite mais directe- ment à partir des microplaquettes.
Les défendeurs ne contestent pas le point sui- vant: si l'on conclut que le fait de copier des microplaquettes de mémoire morte (ROM) revient à copier le programme en code d'assemblage, il y a alors plagiat substantiel de ce programme.
Enfin, les défendeurs renoncent â toute contes- tation de la propriété du droit d'auteur par les demanderesses.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE REED:
Le point en litige
Le point en litige se résume à la question sui- vante: un programme informatique qui provient d'un texte écrit, dans le sens normal et habituel de ces termes, mais qui a une dimension qui n'est pas traditionnellement liée à ces textes, continue-t-il d'être protégé par le droit d'auteur lorsqu'il est converti en sa version code électrique ou, de façon plus précise en l'espèce, lorsqu'il est inscrit dans un dispositif conçu pour fournir une réplique de ce code.
L'argument des défendeurs selon lequel la pro tection du droit d'auteur ne s'étend pas à cette forme comporte plusieurs facettes: (1) la version du programme en code hexadécimal n'est pas une traduction de la version en code source; (2) puis- qu'il y a une relation univoque entre le programme en code source et son inscription dans la micropla- quette, il y a fusion de l'idée et de l'expression de l'idée, fusion que le droit d'auteur ne couvre pas; (3) le libellé de la Loi sur le droit d'auteur [S.R.C. 1970, chap. C-30] ne couvre pas les pro grammes informatiques sous leur forme gravée sur microplaquettes; ( 4) il existe des principes impé-
rieux de politique appuyant le refus d'étendre la protection du droit d'auteur en l'espèce, notam- ment en raison des restrictions possibles au com merce et d'un chevauchement possible avec la loi sur les brevets.
Le code hexadécimal constitue-t-il une traduction?
Les défendeurs prétendent que le droit d'auteur n'accorde aucune protection à la forme hexadéci- male du programme en code source parce qu'il ne s'agit pas d'une traduction de l'oeuvre, mais bien d'une oeuvre littéraire différente. La conversion du code d'assemblage en code hexadécimal, voire de tout langage informatique (code) à tout autre, est appelée «traduction» par les programmeurs infor- matiques. Je conviens qu'il ne s'agit pas d'un facteur pertinent. Il s'agit de savoir si la version en code hexadécimal est une traduction de la version originale en code d'assemblage, aux termes de la Loi sur le droit d'auteur, S.R.C. 1970, chap. C-30. Dans l'affirmative, le droit d'effectuer une telle traduction appartient exclusivement au titulaire du droit d'auteur sur l'oeuvre originale:
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur» ... comprend, ... le droit exclusif
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduc- tion de l'oeuvre; [C'est moi qui souligne.]
Si je comprends bien l'argument, même si la version en code source de langage d'assemblage peut être décrite comme un ensemble d'instruc- tions pour l'UCT [unité centrale de traitement] (une série de mnémoniques ou d'opérations qui décrivent ce que l'UCT devrait faire), la forme hexadécimale du programme serait une description de la microplaquette de mémoire morte (ROM). L'avocat allègue que ces deux codes peuvent fort bien être deux descriptions de la même chose, mais qu'en soi, ils constituent deux oeuvres littéraires différentes.
Cet argument ne me convainc pas. En premier lieu, je constate que le terme anglais «translation» est défini comme suit dans The Concise Oxford Dictionary (6e éd., 1976):
[TRADUCTION] Exprime le sens (d'un mot, d'une phrase, d'un discours, d'un livre, d'un poème, ...) dans une autre langue, ou dans une autre forme de représentation . .. [C'est moi qui souligne.]
La conversion d'un code à un autre est manifeste- ment visée par cette définition.
On peut tirer une analogie de la conversion d'un texte en code morse. Si une personne se met à convertir un texte en une série de points et de traits selon le code morse, il serait possible d'alléguer que la notation qui en résulte consiste en réalité en des instructions adressées au télégraphiste sur la façon de transmettre le message. Mais, à mon avis, le message écrit en code morse conserve toujours le caractère de l'eeuvre originale. Il ne s'agit pas d'une oeuvre littéraire différente. De même, on pourrait décrire un texte écrit en sténographie comme une description des sons du texte si celui-ci était lu à haute voix (puisque la sténographie est fondée sur la phonétique); mais cela n'en ferait pas une oeuvre littéraire différente de la version manuscrite.
À mon avis, la conversion d'une oeuvre en code, ou la conversion en un autre code d'une oeuvre écrite à l'origine dans un premier code constitue une traduction pour les fins de la Loi. De plus, comme nous l'avons souligné plus haut, le pro- grammeur qui crée un programme ne pense pas aux spécifications de la microplaquette de mémoire morte (ROM) lorsqu'il écrit la version en code d'assemblage, ni au moment la notation en code hexadécimal est préparée. Le programmeur ne se préoccupe aucunement du support qui sera choisi pour contenir le programme. Par consé- quent, il m'est difficile d'accepter l'argument de l'avocat des défendeurs selon lequel la forme hexa- décimale du programme constitue une oeuvre litté- raire différente et non une traduction de l'original.
Expression—Idée—Fusion
Il est allégué que le droit d'auteur ne s'applique pas aux programmes informatiques (1) parce qu'il protège l'expression d'une idée mais non l'idée exprimée et (2) parce qu'un programme informati- que tel qu'il est inscrit sur des microplaquettes ROM constitue une fusion de l'idée et de l'expres- sion de cette idée.
L'avocat des défendeurs s'appuie fortement sur la décision rendue dans Cuisenaire, Georges v. South West Imports Ltd., [1968] 1 R.C.É. 493; (1967), 37 Fox Pat. C. 93; confirmée par [1969] R.C.S. 208; (1968), 40 Fox Pat. C. 81 et dans Cuisenaire v. Reed, [1963] V.R. 719 (S.C.). Il s'agissait d'une publication du demandeur (un livre) qui décrivait une nouvelle méthode d'ensei-
gnement de l'arithmétique, laquelle incluait un certain nombre de baguettes de bois, de longueurs et de couleurs différentes, mais ayant toute la même épaisseur (un centimètre carré). Le livre comportait une table décrivant le nombre néces- saire de baguettes, leurs longueurs et leurs cou- leurs respectives. Rien n'indiquait que le livre con- tenait des schémas ou des illustrations des baguettes. Je reproduis une partie de la note de l'arrêtiste à la page 95 Fox Pat. C.:
[TRADUCTION] Il est à remarquer que ... le demandeur n'allègue pas que son droit d'auteur relatif à son livre a été contrefait mais seulement son droit d'auteur relatif à ses baguettes ... Si lesdites baguettes avaient été copiées à partir des illustrations qui se trouvent dans le livre du demandeur, le résultat aurait été différent, car il est notoire qu'il y a contrefa- çon lorsqu'une oeuvre protégée par le droit d'auteur est repro- duite «sous une forme matérielle quelconque».
La revendication présentée aux tribunaux cana- diens portait principalement sur l'alinéa 2v) de la Loi canadienne [S.R.C. 1952, chap. 55]':
2....
v) «toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale et artistique originale» comprend toutes les productions originales du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le mode ou la forme d'expression, telles que les livres, brochures et autres écrits, les conférences, les oeuvres dramatiques ou dra- matico-musicales, les oeuvres ou compositions musicales avec ou sans paroles, les illustrations, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture ou aux sciences. [C'est moi qui souligne.]
Le demandeur a prétendu qu'il n'était pas néces- saire de démontrer que ses baguettes étaient artis- tiques, littéraires, musicales ou dramatiques, parce que dans la mesure elles étaient «des produc tions originales du domaine scientifique», elles devaient être considérées comme faisant partie de la catégorie des oeuvres protégées par le droit d'auteur. La Cour de l'Échiquier et la Cour suprême ont toutes deux rejeté cette prétention.
Le demandeur a prétendu que même si les baguettes ne relevaient pas du champ d'application de la Loi, en particulier de l'alinéa 2v) précité, elles étaient néanmoins des oeuvres littéraires ou artistiques ou des oeuvres artistiques dues à des artisans. Cette prétention a été rejetée par les deux cours canadiennes pour le même motif que celui de la cour australienne dans Cuisenaire v. Reed. Le
' Il n'existe pas de disposition comparable dans la législation australienne et par conséquent l'affaire Cuisenaire v. Reed a bien traité de cette question.
juge Noël, en première instance, a cité [aux pages 517 et 518] le jugement rendu par le juge Pape dans Cuisenaire v. Reed aux pages 735 et 736:
[TRADUCTION] Lorsque, comme en l'espèce, vous avez un droit d'auteur littéraire relatif à certaines tables ou compilations, à mon avis, il n'y a pas de contrefaçon du droit d'auteur en ce qui concerne ces tables ou ces compilations à moins que ce qui est produit soit lui-même de la nature d'une table ou d'une compi lation laquelle, qu'elle soit bidimensionnelle ou tridimension- nelle et quelle que soit sa forme matérielle, reproduit ces tableaux. N'était-ce la loi, toute personne qui suivrait les instructions du livre censément protégé par le droit d'auteur dans l'affaire Meccano Ltd. v. Anthony Hordern and Sons Ltd. (1918), 18 S.R. (N.S.W.) 606, et construirait un modèle conformément à ces instructions, porterait atteinte au droit d'auteur littéraire du demandeur. En outre, comme l'a dit M. Fullagar, la personne qui ferait une tourte au lapin selon la recette de Mrs. Beeton's Cookery Book porterait atteinte au droit d'auteur littéraire de ce livre.
La Cour suprême a confirmé le jugement du juge Noël essentiellement pour les mêmes motifs. Elle a souligné, aux pages 211 R.C.S.; 84 Fox Pat. C., que l'oeuvre originale était le livre du deman- deur et qu'en essayant de faire valoir un droit d'auteur sur les baguettes décrites dans le livre, par opposition au livre lui-même, l'appelant se voyait appliquer le principe selon lequel un auteur ne peut se prévaloir d'un droit d'auteur sur les idées mais seulement sur l'expression de ces idées. Référence a été faite à l'application de ce principe dans les affaires Hollinrake v. Truswell, [1894] 3 Ch. 420 (C.A.), à la page 428 et Moreau, Alfred
v. St. Vincent, Roland, [1950] R.C.É. 198, la page 203.
Dans l'affaire Hollinrake v. Truswell, la partie a essayé de faire valoir un droit d'auteur sur un [TRADUCTION] «diagramme pour les manches» destiné à servir de patron. La Cour a conclu que [TRADUCTION] «La chose est en réalité un instru ment de mesure: elle n'est pas plus un diagramme ou plan au sens de la Copyright Act qu'une règle graduée» (le lord juge Lindley à la page 425).
Dans l'affaire Moreau v. St. Vincent, le deman- deur alléguait que le défendeur avait porté atteinte à son droit d'auteur relatif au «Concours: Recrute- ment d'Abonnés». Il s'agissait d'un concours heb- domadaire destiné à augmenter le tirage du jour nal «L'Information Sportive» du demandeur. La personne qui achetait le journal devait avoir son reçu d'abonnement, répondre à un questionnaire portant sur les sports et respecter les conditions du concours énoncées dans le journal. Le défendeur a
commencé à publier une brochure hebdomadaire, les «Mots Croisés», qui comportait un concours appelé «Quizz général de la publication Loisir Favori Enrg». La Cour a rejeté la revendication du demandeur selon laquelle cette activité portait atteinte à son droit d'auteur. La Cour a statué que le demandeur s'était mépris sur la nature du droit d'auteur et essayait en réalité de se protéger d'un concurrent qui organisait un concours d'une nature similaire. Il n'y a pas eu plagiat des textes perti- nents, c'est plutôt l'idée d'organiser un concours similaire qui était copiée.
Il ressort de ces décisions que la jurisprudence s'inspire de ce principe, selon lequel le droit d'au- teur protège l'expression des idées et non les idées elles-mêmes, dans au moins deux contextes diffé- rents. Dans des cas comme Hollinrake et Cuise- naire, ce principe sert à indiquer que «l'oeuvre» que l'on vise à protéger par le droit d'auteur n'entre pas dans une catégorie (par exemple littéraire, artistique) qui relève de la Loi. Dans l'affaire Cuisenaire v. Reed, le juge a statué que les baguettes elles-mêmes comme objets matériels n'étaient pas un type d'oeuvre couvert par la Loi. Dans des affaires comme Moreau, le principe sus- mentionné sert à indiquer que les deux oeuvres en cause ne sont pas en vérité semblables, il n'y a pas eu de plagiat substantiel. Ainsi, en faisant la tourte au lapin de Mme Beeton, il n'y a pas de plagiat substantiel d'un livre de recettes: les instructions qu'on y trouve ont été suivies mais le livre n'a pas été copié.
Aucune de ces applications du principe «idée- expression» ne s'adapte à l'espèce. Le programme, tel qu'il a été écrit originalement, peut être protégé par le droit d'auteur. En fait, il y a eu copie—le code qu'on peut lire à partir des microplaquettes des défendeurs est le même que celui qu'on peut lire sur les microplaquettes des demanderesses. Je ne vois pas comment la décision rendue dans l'af- faire Cuisenaire peut aider les défendeurs en l'es- pèce. Le programme informatique, une fois écrit, est nettement une oeuvre littéraire. De plus, son inscription sur une microplaquette de silicium con serve la forme d'expression de l'oeuvre originale. Le programme, dans sa version code source, peut être extrait (lu) par un processus de traduction(s)
à partir de la microplaquette ROM. Ce genre de relation n'existe pas entre les mots contenus dans le livre «Les Nombres en Couleurs» et les baguettes contestées dans l'affaire Cuisenaire. Aucune partie du livre ne pouvait être extraite ou «lue» à partir des baguettes.
L'avocat prétend qu'en reproduisant ROM, les défendeurs ne font pas plus que suivre la recette prescrite dans le programme, c'est-à-dire qu'ils ont simplement fait la tourte au lapin de Mme Beeton. À mon avis, il serait plus exact de dire qu'ils ont copié le livre de recettes.
Que dire donc de l'argument de l'avocat selon lequel un programme informatique présente une fusion de l'idée et de l'expression de cette idée et par conséquent ne peut être protégé par le droit d'auteur? Il m'est très difficile d'accepter cet argu ment pour plusieurs raisons. Premièrement, si cet argument est valable, il est difficile de comprendre pourquoi il a été admis que la version code d'as- semblage du programme peut être protégée par le droit d'auteur. S'il y a fusion de l'idée et de l'expression, alors elle doit sûrement exister non seulement dans la version code machine du pro gramme mais également dans la version écrite du code d'assemblage. Deuxièmement, la portée pré- cise du principe (s'il existe) selon lequel en cas de fusion de l'idée et de son expression, la protection du droit d'auteur ne s'applique pas, n'est pas du tout claire. Troisièmement, la preuve qu'il existe une multitude de formes d'expression pour écrire un programme donné me semble démontrer qu'il n'y a pas de fusion de l'idée et de l'expression de cette idée en ce qui concerne les programmes en cause.
Les affaires Cuisenaire, Hollinrake et Moreau ne semblent pas confirmer l'argument avancé par l'avocat selon lequel en cas de fusion de l'idée et de l'expression, l'oeuvre ne peut pas être protégée par le droit d'auteur. On ne m'a cité aucune affaire rendue au Royaume-Uni, en Australie ou au Canada dans laquelle cette règle a servi de raison- nement. L'argument de l'avocat en l'espèce semble être le suivant: il y a fusion de l'idée et de l'expres- sion parce qu'il ne peut y avoir qu'une seule confi guration dans la microplaquette ROM, c'est-à-dire une seule façon de structurer cette microplaquette afin de lui permettre de reproduire le programme
des demanderesses. Mais il est clair qu'il ne s'agit pas de fusion rendant impossible la protection par le droit d'auteur parce qu'il en serait de même pour tous les disques et toutes les cassettes.
Il m'est très difficile d'appliquer le principe allégué de la fusion: il me semble que beaucoup d'oeuvres susceptibles d'être protégées par le droit d'auteur présentent une fusion de l'idée qu'elles transmettent et de l'expression de cette idée, par exemple un poème, une pièce de théâtre, un tableau, une carte, un diagramme. C'est seulement lorsque l'idée transmise par ces œuvres est décrite d'une façon très abstraite, très différente ou en termes généraux que l'on peut dire qu'il n'y a pas de fusion de l'idée qu'elles transmettent et de l'expression par laquelle cette idée est transmise. En outre, le mot «idée» lui-même peut être défini de façon très variée 2 .
Les exemples donnés à l'appui de l'application du principe de fusion sont des formules telles que E = me 2 , le théorème de Pythagore, ou diverses preuves algébriques. Il se peut que ces exemples démontrent simplement que l'idée particulière qui est exprimée est en vérité un renseignement sur le monde extérieur (en reconnaissant que E = mc 2 est en effet une hypothèse) et que les renseignements basés sur des faits sont quelque chose que le droit d'auteur ne protège pas. A mon avis, il y a analo- gie, par exemple, entre une déclaration comme «le premier ministre du Canada a rencontré le prési- dent des États-Unis le 17 mars» et «le carré de l'hypoténuse dans un triangle rectangle est égal à la somme des carrés des deux autres côtés». Aucune de ces phrases en tant que telle, extraites d'un texte elles peuvent figurer, ne pourrait être protégée par le droit d'auteur. L'exemple des preu- ves algébriques conduit, il me semble, à une dis cussion quasi philosophique sur la nature de la
2 La définition du mot «idée» dans The Concise Oxford Dictionary (6' éd.) est en partie comme suit:
[TRADUCTION] 1. Archétype, modèle, à distinguer de sa représentation dans les individus; (philosophie platonicienne) essence éternelle dont les choses individuelles dans n'importe quelle catégorie sont des copies imparfaites. 2. Concept, plan d'une chose que l'on vise, que l'on crée, que l'on découvre, etc ... 3. Notion conçue par l'esprit ... pensée ... opinion vague, perspective ... 4. (Descartes, Locke) objet immédiat de la pensée ou perception mentale; (Kant) concept de raisonnement transcendant toute expérience; (Hegel) vérité absolue dont toute existence de phénomène est l'expression.
pensée intellectuelle 3 . C'est une discussion qu'une cour, d'instance supérieure à la présente, peut juger nécessaire mais que je trouve suffisante en elle-même en constatant qu'un programme infor- matique n'est semblable à aucun des exemples cités. Il ne s'agit pas d'une déclaration qui rend compte d'un fait. Ce n'est pas comparable à une preuve algébrique. C'est une création au même titre qu'un manuel. Bien que le droit d'auteur n'empêche pas une personne de faire la tourte au lapin de Mme Beeton (en fait, c'est pour inviter les gens à la faire que le livre intitulé Mrs. Beeton's Book of Household Management a été publié), il empêche la personne de copier le livre lui-même. L'ordre dans lequel les recettes sont données, la forme et l'expression de ces dernières sont à pro- prement parler l'objet du droit d'auteur. Cet ordre, cette forme, ce modèle d'expression du programme des demanderesses se trouvent dans ROM et ils sont copiés lorsque les défendeurs copient ROM.
Une autre application du principe de fusion a prévalu aux Etats-Unis et il convient de l'exami- ner. Cette application semble avoir pris son origine dans l'affaire Baker v. Selden, 101 U.S. 99 (1879), citée dans plusieurs décisions rendues au «com- monwealth» 4 mais sans cependant retenir la portée globale de l'affaire Baker v. Selden. Celle-ci por- tait sur le droit d'auteur revendiqué à l'égard d'un livre qui décrivait un nouveau système de compta- bilité et en particulier de nouvelles formules de comptabilité (consistant en certaines lignes et titres soulignés). La Cour a statué que l'emploi du livre par le défendeur et la mise au point de formules propres à lui ne portaient pas atteinte au droit d'auteur du demandeur, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas de plagiat substantiel. Mais la Cour est allée plus loin en faisant une distinction entre les œuvres de science ou d'instruction et les autres
3 Ces preuves sont de nature tautologique, elles fonctionnent dans un système la notation ou les termes d'expression peuvent être complètement définis de façon arbitraire, elles consistent en énoncés sur la validité des relations qui existent dans ce système. En effet, on pourrait demander si au lieu de présenter une fusion de l'idée et de l'expression, les preuves algébriques ne représentent pas une indépendance des deux.
4 Hollinrake v. Truswell, précitée, p. 184; Cuisenaire v. South West Imports, précitée, p. 182; Cuisenaire v. Reed, précitée, p. 182. Voir Harold G. Fox, The Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 2' éd., 1967, p. 126; James Lahore, Intellectual Property Law in Australia, 1977, aux pp. 8, 41, 42, 81 et 196.
types d'oeuvres. Elle a affirmé ce qui suit: lorsque la technique utile ne peut être employée qu'en utilisant les formules ou les schémas qui ont servi à l'expliquer, ces derniers ne sont pas protégés par le droit d'auteurs.
La Cour a donc établi un principe bien plus large que ne l'imposait le contexte; elle a affirmé que les formules dans le livre n'étaient pas proté- gées par le droit d'auteur. Il ne fait nul doute que cette conclusion a été inspirée en partie par la législation du Congrès en vertu de la Constitution des Etats-Unis 6 . Cela a donné à la législation sur le droit d'auteur aux Etats-Unis une forme et une évolution qui sont propres à ce pays.
Cependant, l'affaire Baker v. Selden a été criti quée, même aux États-Unis: Nimmer on Copy right, volume 1, § 2.18. Ces critiques découlent en partie du raisonnement suivant: il est simplement inexact de penser qu'un exposé en science ou en matière de technique utile exige qu'une formule particulière fournie dans l'exposé original soit suivie avant qu'on puisse faire valoir l'«idéeu de l'oeuvre. Toutes ces oeuvres peuvent être exprimées sous une variété de formes.
Il me semble que cette évolution de la loi sur le droit d'auteur n'a pas été suivie au Canada. En effet, le rejet de cette évolution semble implicite dans la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Bulman Group (The) Ltd. c. Alpha One - Write Systems B.C. Ltd. et autre (1981), 54
5 Le juge Bradley (au nom de la Cour) a déclaré ce qui suit aux pages 103 et 104:
[TRADUCTION] Le but même de la publication d'un livre en science ou en matière de technique utile est de communiquer aux autres les connaissances utiles qu'il contient. Mais ce but serait inutile si la connaissance ne pouvait être employée sans qu'on soit accusé de piraterie. Et lorsque la technique qu'il transmet ne peut être employée sans avoir recours aux méthodes et aux schémas ayant servi à illustrer le livre ou d'autres qui leur sont semblables, ces méthodes et schémas doivent être considérés comme accessoires nécessaires à la technique et doivent donc être fournis en même temps au public non pas afin qu'ils soient publiés dans d'autres oeuvres qui expliquent cette technique mais aux fins d'une applica tion pratique.
Naturellement, ces remarques ne sont pas censées s'appli- quer à des dessins ornementaux, ni à des illustrations s'adres- sant au bon goût. On peut dire de ces derniers que leur forme est essentielle et que leur but est de procurer du plaisir à celui qui les regarde. [C'est moi qui souligne.]
6 Voir en particulier l'affaire Baker v. Selden, à la p. 105.
C.P.R. (2d) 179, et dans la décision subséquente de la Division de première instance Bulman Group Ltd. (The) c. «One Write» Accounting Systems Ltd., [1982] 2 C.F. 327; 62 C.P.R. (2d) 149. Dans ces deux affaires, il était question de la possibilité de protéger des formules comptables par le droit d'auteur. La revendication du droit d'auteur pour de telles formules avait été rejetée par la Division de première instance à la suite d'une demande d'injonction interlocutoire. La Cour d'appel a infirmé cette décision en indiquant que l'affaire était très contestable. À la suite de l'instruction, il a été statué qu'il y avait droit d'auteur (il n'y eut pas d'appel à la suite de cette décision).
En tout état de cause, je ne suis pas convaincu qu'il existe une fusion de l'idée et de l'expression de cette idée dans un programme informatique. Le fait qu'un programme peut être écrit sous une variété de formes, que le même programmeur n'écrirait pas le programme de la même façon deux fois de suite, que le support pour inscrire ce programme n'est pas d'une grande importance pour le programmeur, tout cela indique que pour les programmes informatiques, on ne peut faire exception à la protection du droit d'auteur en invoquant le principe de fusion (s'il existe).
Loi sur le droit d'auteur—Interprétation de la Loi
Voici un extrait de l'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur:
3. (1) ... «droit d'auteur» désigne le droit exclusif de pro- duire ou de reproduire une oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque ... [C'est moi qui souligne.]
Vient ensuite une liste d'exemples précis (voir à la page 196 (infra)). Il s'agit donc de déterminer si les premiers mots de l'article 3 visent l'inscription du programme des demanderesses sur la micropla- quette ROM.
Il est entendu que lorsque le Parlement a adopté la première version de la Loi sur le droit d'auteur actuelle, en 1921, personne n'avait songé aux pro grammes informatiques ni prévu s'ils seraient ou non visés par la Loi. Cette question n'est pas pertinente puisqu'il faut seulement déterminer s'il est juste d'affirmer que la Loi, telle que rédigée, protège les programmes semblables à celui qui est inscrit sur la microplaquette ROM.
Pour ce faire, il convient de faire appel aux textes législatifs qui ont précédé l'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur en vigueur. Voici un extrait de la loi britannique sur le droit d'auteur de 1842 (5 & 6 Vict., chap. 45 [An Act to amend the Law of Copyright]) qui, à l'époque, s'appliquait également au Canada:
[TRADUCTION] ... «droit d'auteur» désigne la faculté exclusive d'imprimer un [livre] ou d'en faire plusieurs copies de quelque autre façon ...
Selon la loi, [TRADUCTION] «un volume, une partie ou une division d'un volume, une brochure, une feuille de texte imprimé, une feuille de musi- que, une carte, un diagramme ou un plan» sont compris dans la définition de «livre».
Dans Boosey v. Whight, [1899] 1 Ch. 836, confirmée par [1900] 1 Ch. 122 (C.A.), il fallait notamment déterminer si des feuilles perforées destinées aux pianos mécaniques constituaient des copies des feuilles de musique en cause, aux fins de la loi. Le demandeur prétendait que l'on pouvait prendre les feuilles perforées et transcrire les notes de musique selon le mode normal de notation musicale, si l'on comprenait la méthode ou la façon de perforer les feuilles. Par contre, les défen- deurs alléguaient que les rouleaux destinés aux pianos n'étaient pas visés par la loi de 1842, que les boîtes à musique et les orgues de Barbarie fonctionnant selon le même principe existaient depuis longtemps et que le Parlement n'avait pas eu l'intention d'inclure ce genre d'appareil de reproduction mécanique de la musique dans la définition de «feuille de musique». Les tribunaux ont souscrit à la position des défendeurs. Voici ce qu'a affirmé le juge Stirling, en première instance [aux pages 841 et 842]:
[TRADUCTION] Je pense qu'une personne pourrait, en faisant des efforts considérables, maîtriser le processus des perforations de façon à pouvoir lire les notes ainsi déchiffrées, mais il ne semble pas que cela ait été fait ... Il me semble aussi qu'à cet égard, les rouleaux constituent une façon très encombrante d'écrire de la musique, et difficile d'accès sans l'aide d'un mécanisme particulier qui n'existe pas encore. De façon géné- rale, je pense qu'il est très improbable que quelqu'un prenne la peine d'apprendre à lire ces rouleaux.
D'après moi, le droit d'auteur conféré par la Loi [de 1842] comporte la faculté exclusive de reproduire quelque chose semblable à un livre. Dans la mesure ils contiennent des perforations, les rouleaux ne sont qu'une composante d'une machine destinée à la production de sons musicaux et non à la rédaction d'un livre.
Confirmant cette décision, la Cour d'appel a admis qu'en vertu de la Copyright Act de l'époque, la feuille de musique était considérée comme un livre, qu'une feuille perforée faisant partie intégrante d'un instrument de musique est différente d'une feuille de musique qui [TRADUCTION] «attire le regard» et que les feuilles perforées des défendeurs faisaient partie d'un «mécanisme» destiné à la pro duction de notes musicales.
Cette décision a fait jurisprudence des deux côtés de l'Atlantique, notamment dans les affaires suivantes: Newmark v. National Phonograph Company and Edison Manufacturing Company (1907), 23 T.L.R. 439 (K.B.), Monckton v. Gra mophone Company Limited (1912), 106 L.T. 84 (C.A.) et White-Smith Music Publishing Com pany v. Apollo Company, 209 U.S. 1 (1908).
La loi britannique sur le droit d'auteur (qui s'appliquait alors au Canada) a été modifiée en 1911' (1 & 2 Geo. 5, chap. 46 [Copyright Act, 1911]). Voici un extrait des dispositions adoptées en 1911:
[TRADUCTION] 1. ...
(2) ... adroit d'auteur» désigne le seul droit de produire ou de reproduire une oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme quelconque, d'exécuter ou de représenter ou, s'il s'agit d'une conférence, de débiter l'oeuvre ...; ce droit com- prend, en outre, le droit
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduc- tion de l'ceuvre;
d) s'il s'agit d'une oeuvre littéraire, dramatique ou musicale, de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film cinématographique ou autres organes quelconques, à l'aide desquels l'oeuvre pourra être exécutée ou représentée ou débitée mécaniquement ... [C'est moi qui souligne.]
Et le paragraphe 19(1) a été ajouté:
Aux États-Unis, la modification des lois dans ce domaine a été plus lente; d'ailleurs, l'histoire des lois relatives au droit d'auteur dans ce pays a suivi un cours tout à fait différent. Cela est dû, en partie du moins, au contexte constitutionnel améri- cain. Selon l'affaire Apple Computer, Inc. v. Formula Intern., Inc., 562 F.Supp. 775 (U.S. Dist. Ct. (1983)), le droit d'auteur aux États-Unis n'existait qu'à l'égard des copies perceptibles par les êtres humains—les choses écrites ou publiées—, avant la modification de la loi en 1976, et ce principe faisait suite à l'ancienne décision White-Smith Music Publishing Company v. Apollo Company (précitée) dans laquelle il avait été statué qu'un rouleau de piano ne constituait pas une forme d'oeuvre que les personnes pouvaient percevoir.
[TRADUCTION] 19. (1) Le droit d'auteur existe à l'égard des empreintes, rouleaux perforés et autres organes à l'aide des- quels des sons peuvent être reproduits ...
Ces dispositions ont ensuite été reprises dans la loi canadienne et figurent maintenant, suivant le texte original de façon presque identique, à l'article 3 et au paragraphe 4(3) de la Loi actuelle.
L'avocat des demanderesses prétend que les pre miers mots du paragraphe 1(2), devenu l'article 3 de la Loi, ont été rédigés intentionnellement de façon assez générale pour comprendre les techno logies nouvelles qui n'avaient pas encore été con- çues au moment de l'adoption de la Loi. Je sous- cris à cette opinion.
Il me semble clair qu'après l'adoption des modi fications de 1911, il n'était plus nécessaire que la copie ou la reproduction de l'oeuvre soit lue par un être humain pour être protégée par le droit d'au- teur. De même, je crois que ces modifications ont eu pour effet d'abroger toute règle portant qu'une oeuvre n'était pas protégée par le droit d'auteur simplement parce que la copie ou la reproduction pouvait être considérée comme une composante d'une machine'.
Dans Boosey v. Whight, les rouleaux de piano étaient des composantes amovibles comparables aux disques, aux cassettes ou aux vidéocassettes actuels. Les microplaquettes ROM peuvent être enlevées assez facilement mais elles n'ont pas été conçues à cette fin. Elles ne sont pas amovibles comme le sont les disques souples ou les cassettes. La microplaquette ROM est censée demeurer dans la machine de façon permanente. Cependant, la loi ne fait aucune distinction à ce sujet. Par consé- quent, je pense qu'en l'espèce, il importe peu de savoir si le programme est inscrit sur un disque souple, une carte perforée ou une microplaquette ROM. La question de la possibilité de protection par le droit d'auteur ne repose pas uniquement sur le support sur lequel est inscrit le programme.
Sur le plan matériel, je ne vois aucune différence entre un disque qui «comprend» une oeuvre musi cale grâce aux sillons qui y sont gravés et une microplaquette ROM qui «comprend» un pro gramme grâce au système d'alternance des zones
8 Voir Falcon v. Famous Players Film Co., [1926] 2 K.B. 474 (C.A.), sur les changements apportés à la loi par suite des modifications de 1911.
de conductivité et de non-conductivité qui la carac- térise. À mon avis, le programme des demanderes- ses, inscrit sur une microplaquette ROM, est net- tement visé par les premiers mots de l'article 3 de la Loi. Il s'agit véritablement de la production ou de la reproduction de l'ceuvre sous une forme matérielle, tout comme un disque ou une cassette est la production ou la reproduction d'une œuvre sous une forme matérielle. (Je n'oublie pas qu'un article distinct de la Loi porte sur le droit d'auteur protégeant les disques.)
J'estime que le critère de la «lisibilité» ou de la «perception visuelle» relevé dans la jurisprudence signifie simplement qu'il doit y avoir une façon de comparer visuellement l'ceuvre apparemment pro- tégée par le droit d'auteur et l'ceuvre qui est censée la contrefaire, afin de déterminer s'il y a eu pla- giat. Puisque les programmes peuvent être «lus» à partir de la microplaquette ROM et ensuite com- parés aux autres, ce critère est donc présent en l'espèce. Je partage à cet égard l'opinion exprimée par le juge Megarry dans Thrustcode Ltd. v. W.W. Computing Ltd., [1983] F.S.R. 502 (Ch.D.), à la page 505:
[TRADUCTION] Dans le cas des ordinateurs, comme pour bien d'autres choses, il faut comparer la chose apparemment copiée et celle qui est censée avoir été contrefaite. Si ces deux choses sont invisibles, elles doivent normalement être reproduites sous une forme visible ou perceptible de quelque façon, avant que l'on puisse déterminer si l'une d'elles est contrefaite.
Normalement ... il faudra avoir recours à des impressions ou à une autre preuve documentaire du programme apparemment copié et du programme qui est censé avoir été contrefait, ou de parties suffisantes de chacun.
Je souscris aussi à la thèse du juge Fox dans l'affaire Apple Computer Inc v Computer Edge Pty Ltd (1984), 53 ALR 225 (F.C.), à la page 237:
[TRADUCTION] À mon avis, il importe peu que, le cas échéant, le code ne puisse être vu ... L'adaptation de l'ceuvre est perceptible à l'aide d'une machine. Il suffit que le code tire son existence des microplaquettes, par lesquelles elle peut être vérifiée.
Les décisions suivantes portent sur la création d'une œuvre sous une forme matérielle différente de l'original: Chabot v. Davies, [1936] 3 All E.R. 221 (Ch.D.) (façade d'un magasin construite à partir de plans de celle-ci); King Features Syndi cate, Incorporated v. Kleeman (O. & M.) Ld., [1941] A.C. 417 (H.L.) (broches et poupées faites à partir d'une bande dessinée de Popeye); Dorling
v. Honnor and Another, [1964] R.P.C. 160 (C.A.) (navires bâtis à partir de plans); et Bayliner Marine Corp. c. Dorai Boats Ltd., [1986] 3 C.F. 346; (1985), 5 C.P.R. (3d) 289 (lie inst.). Selon cette jurisprudence, une copie d'une reproduction qui existe déjà sous une forme matérielle différente de l'original constitue tout de même une contrefa- çon de l'original. Ce raisonnement est applicable en l'espèce même si les demanderesses n'invoquent pas un droit d'auteur à l'égard de la micropla- quette ROM elle-même, en tant qu'appareil, mais seulement à l'égard du programme qui y est ins- crit. À cet égard, la question en litige diffère des décisions susmentionnées. À mon avis, cela ren- force les prétentions des demanderesses au lieu de les affaiblir.
Si je comprends bien les arguments des défen- deurs, leur avocat prétend que même s'il n'est pas nécessaire que la reproduction elle-même puisse être lue par un être humain, l'objet ultime de la reproduction doit être de communiquer l'oeuvre au public. Le disque ou la cassette produit, à l'aide d'une machine, des sons destinés à l'oreille humaine, tandis que la principale fonction de la microplaquette ROM n'est pas la communication de données aux humains. Comme nous l'avons déjà affirmé, elle peut être utilisée à cette fin et dans certains cas, elle l'est effectivement, mais ce n'est pas le principal but visé.
Les défendeurs prétendent que tant les circons- tances de l'adoption de la Loi que le texte même des dispositions pertinentes constituent le fonde- ment de l'exigence selon laquelle l'oeuvre doit avant tout être communiquée aux êtres humains pour pouvoir être protégée par le droit d'auteur. Certains tribunaux ont accordé leur appui à la thèse des circonstances. Je prends note notamment de l'opinion dissidente du juge Sheppard dans l'affaire Computer Edge (précitée, à la page 194) à la page 277. Ses remarques portaient sur le sens des mots «traduction et adaptation» employés dans la Copyright Act australienne, mais c'est sur l'ap- proche utilisée que l'avocat attire l'attention de la Cour:
[TRADUCTION] Ces différentes dispositions [de la Loi] sem- blent signifier que ce qui est protégé par le droit d'auteur (que ce soit une oeuvre ou une adaptation de celle-ci) pourra être publié et donc vu ou entendu, même s'il ne l'est pas immédiate- ment ou s'il ne l'est jamais. Le concept même de la publication suppose que quelque chose devrait être vu ou entendu.
Les défendeurs allèguent que même si les cir- constances entourant l'adoption de la Loi n'indi- quent pas clairement que les programmes informa- tiques sous forme de code machine sont exclus de l'application de la Loi, le texte même des disposi tions pertinentes est très clair à cet égard; il s'agit de l'alinéa 2v) 9 et de l'article 3. Voici le texte de l'alinéa 2v):
2....
v) «toute oeuvre littéraire, dramatique, musicale et artistique originale» comprend toutes les productions originales du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu'en soit le mode ou la forme d'expression, telles que les livres, brochures et autres écrits, les conférences, les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales, les œuvres ou compositions musicales avec ou sans paroles, les illustrations, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'archi- tecture ou aux sciences. [C'est moi qui souligne.]
Et celui de l'article 3:
3. (1) Pour les fins de la présente loi, le «droit d'auteur» désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une oeuvre, ou une partie importante de celle-ci, sous une forme matérielle quelconque, d'exécuter ou de représenter ou, s'il s'agit d'une conférence, de débiter, en public, et si l'eeuvre n'est pas publiée, de publier l'oeuvre ou une partie importante de celle-ci; ce droit comprend, en outre, le droit exclusif
a) de produire, reproduire, représenter ou publier une traduc- tion de l'œuvre;
b) s'il s'agit d'une œuvre dramatique, de la transformer en un roman ou en une autre œuvre non dramatique;
c) s'il s'agit d'un roman ou d'une autre œuvre non dramati- que, ou d'une œuvre artistique, de transformer cette œuvre en une œuvre dramatique, par voie de représentation publi- que ou autrement;
d) s'il s'agit d'une œuvre littéraire, dramatique ou musicale, de confectionner toute empreinte, tout rouleau perforé, film cinématographique ou autres organes quelconques, à l'aide desquels l'ceuvre pourra être exécutée ou représentée ou débitée mécaniquement;
e) s'il s'agit d'une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de reproduire, d'adapter et de présenter publique- ment l'ouvrage par cinématographie, si l'auteur a donné un caractère original à son ouvrage. Si ce caractère original fait défaut, la production cinématographique jouit de la protec tion accordée aux œuvres photographiques;
f) s'il s'agit d'une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, de transmettre cette œuvre au moyen de la radiophonie;
le droit d'auteur comprend aussi le droit exclusif d'autoriser les actes mentionnés ci-dessus. [C'est moi qui souligne.]
9 J'ai fait référence à la Loi sur le droit d'auteur dans sa forme codifiée de 1952 pour des raisons de commodité. La définition de l'expression «toute œuvre littéraire, dramatique, musicale et artistique originale» qui s'y trouve est identique à celle qui figure dans la codification de 1970 une exception près: la version de 1970 ne comporte aucun alinéa.
Il a été affirmé que les termes généraux employés à l'alinéa 2v) («quel qu'en soit le mode ou la forme d'expression») et à l'article 3 («sous une forme matérielle quelconque») doivent être interprétés par rapport aux exemples précis qui suivent dans chaque cas; c'est-à-dire, à l'alinéa 2v), «les livres, brochures ...» et, à l'article 3, les différentes formes de production ou de reproduc tion énumérées aux alinéas a) à f). Il a été allégué que le principe d'interprétation des lois noscitur a sociis est applicable en l'espèce.
À mon avis, l'article 3 lui-même répond aux arguments de l'avocat fondés sur les circonstances entourant l'adoption de la Loi et sur le texte précis des articles en question. L'article 3 prévoit que « "le droit d'auteur" désigne le droit exclusif de produire ou de reproduire une oeuvre ... sous une forme matérielle quelconque». J'estime que cela vise expressément le programme inscrit sur la microplaquette ROM. Il n'y a rien dans l'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur qui permette de tirer une conclusion différente.
Quant au principe noscitur a sociis, il ne sert qu'à limiter la généralité d'une disposition législa- tive lorsqu'il est clair que le Parlement n'avait pas l'intention de lui donner un sens aussi large. L'in- tention du Parlement est très claire dans le cas de l'article 3, et peut-être aussi de l'alinéa 2v). Les énumérations servent d'exemples. Les termes géné- raux «comprennent» censément les éléments plus précis. Dans ce contexte, la règle noscitur a sociis ne peut être applicable.
Il a aussi été allégué que les premiers mots de l'article 3 n'étaient certainement pas censés porter sur les oeuvres présentées sous une forme maté- rielle «quelconque», puisque, si c'était vrai, il aurait été inutile d'adopter l'alinéa 3(1)d) de la Loi. D'après le texte de cet alinéa, il a été allégué que seuls les organes servant à communiquer avec les êtres humains devaient être visés par la Loi. Cette prétention est basée en partie sur le fait que, à l'article 2 de la Loi, il est question de «débiter» une conférence, et qu'une «représentation» est définie comme toute reproduction sonore ou visuelle. C'est pourquoi l'avocat des défendeurs prétend que les programmes d'application qui permettent d'affi- cher un texte ou des tableaux à l'écran ou qui entraînent l'émission de sons ou de musique sont protégés par le droit d'auteur. À son avis, il s'agit
d'organes (dans le cas de microplaquettes) grâce auxquels l'ceuvre peut être débitée de façon mécanique.
Je trouve l'argument basé sur l'alinéa 3(1)d) peu convaincant. C'est une lame à double tran- chant. On peut tout aussi bien se demander pour- quoi les premiers mots de l'article 3 ont été rédigés de façon aussi générale si le Parlement avait l'in- tention de ne viser que les enregistrements ou les organes produisant des sons ou permettant la com munication aux êtres humains. Les renvois aux définitions ne sont pas convaincants. Ces dernières ne servent qu'à définir un aspect particulier de la façon dont les conférences sont débitées; il n'y a aucune définition globale de ce dernier mot. La définition de «représentation» n'est pas pertinente puisque personne n'a suggéré qu'elle s'appliquait en l'espèce. De plus, j'ai de la difficulté à compren- dre la distinction que fait l'avocat entre les pro grammes produisant quelque chose qui apparaît à l'écran et les autres (notamment ROM). Lorsque «quelque chose» apparaît à l'écran, il ne s'agit pas du programme (c'est-à-dire que ce n'est pas l'origi- nal ou une version hexadécimale de celui-ci). Le programme demeure invisible à moins d'être décomposé par un procédé de traduction semblable à celui utilisé pour «lire» ROM.
En outre, j'accorde un certain fondement à l'ar- gument selon lequel, peu importe l'interprétation donnée aux premiers mots de l'article 3, la micro- plaquette ROM est visée par l'alinéa 3(1)d), en tant qu'organe au moyen duquel l'ceuvre peut être débitée. Comme nous l'avons déjà affirmé, le pro gramme peut être exécuté sur l'écran du moniteur ou sur une impression destinée aux êtres humains. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de déterminer si le fait de «débiter» le programme à l'UCT répond aux exigences de l'alinéa 3(1)d).
Il est aussi fait mention des articles 45 et 46 pour démontrer que le Parlement n'avait pas l'in- tention d'assujettir toutes les oeuvres, sous une forme matérielle «quelconque». L'article 45 prévoit que le droit d'auteur n'existe qu'en vertu de la Loi et d'après l'article 46, la Loi ne s'applique pas à certains dessins susceptibles d'être enregistrés en vertu de la Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8. L'article 45 de la Loi est tout à fait inutile en l'espèce; il ne sert pas du tout à déterminer ce qui est visé par la Loi et ce qui ne
l'est pas. L'article 46 n'est pas plus pertinent puis- qu'il porte sur des oeuvres enregistrées en vertu de la Loi sur les dessins industriels, ce qui n'est manifestement pas le cas de la microplaquette ROM, du moins en ce qui concerne le programme qui y est inscrit.
Les défendeurs ont aussi prétendu que la Loi sur le droit d'auteur devrait être interprétée de façon restrictive, c'est-à-dire en leur faveur, puisqu'elle a des conséquences de nature pénale (article 25)'o En l'espèce, la poursuite ne porte pas sur la perpé- tration d'une infraction. Il s'agit d'une action civile entre deux parties privées. Dans Dalton c. Com mission canadienne des droits de la personne, [1986] 2 C.F. 141; 63 N.R. 383, aux pages 146 à 149 C.F.; 386 et 387 N.R., la Cour d'appel fédé- rale a douté de l'applicabilité de la règle d'inter- prétation restrictive aux infractions de nature cri- minelle, dans de telles circonstances. De fait, d'après la Cour d'appel de l'Ontario, dans R. v. Budget Car Rentals (Toronto) Ltd.", il semble que, contrairement à l'interprétation des défen- deurs, cette règle signifie tout simplement que les lois pénales doivent être interprétées comme toutes les autres lois, conformément au sens ordinaire du langage employé. De toute façon, je ne jugerais bon de tenir compte de la pertinence de la règle d'interprétation restrictive que si l'article 3 de la Loi sur le droit d'auteur me paraissait ambigu, ce qui n'est pas le cas. Comme je l'ai déjà affirmé, les mots «de produire ou de reproduire . .. sous une forme matérielle quelconque» me semblent très clairs.
Questions de politique
Il est allégué que si le droit d'auteur protégeait le programme inscrit sur la microplaquette ROM, cela constituerait un monopole à l'égard d'un arti cle sur le marché—une restriction du commerce qui n'était pas visée par l'adoption de la Loi sur le droit d'auteur. Il est aussi prétendu que certains programmes sont employés en rapport avec des
10 Les affaires suivantes sont citées à l'appui de cette thèse: Canusa Records Inc. et autres c. Blue Crest Music, Inc. et autres (1976), 30 C.P.R. (2d) 11 (C.A.F.), à la p. 13; R. v. Budget Car Rentals (Toronto) Ltd. (1981), 31 O.R. (2d) 161 (C.A.), aux pp. 165, 167, 168 et 173; R. v. Philips Electronics Ltd. Philips Electronique Ltee (1980), 30 O.R. (2d) 129 (C.A.), aux pp. 137 139; Tuck v. Priester (1887), 19 Q.B.D. 629, la p. 638.
" Ibid.
machines afin de contrôler des étapes précises de fabrication (programmes à des fins spécifiques) et que ces programmes peuvent être protégés par les lois relatives aux brevets. Par conséquent, les défendeurs allèguent que le droit d'auteur ne devrait pas protéger les programmes informatiques parce que cela créerait un chevauchement des règles relatives au droit d'auteur et de celles por- tant sur les brevets. L'avocat a soulevé deux der- nières questions de politique; d'une part, le Parle- ment discute actuellement de l'applicabilité du droit d'auteur aux programmes informatiques et du fait que la Cour s'arrogerait les pouvoirs du Parlement en décidant que la Loi actuelle est applicable; d'autre part, toute cette question est entourée de beaucoup d'incertitude et les défen- deurs ne devraient donc pas être pénalisés pour avoir agi ainsi alors que la question a été tellement débattue.
Quant au premier argument, la Loi sur le droit d'auteur a toujours eu pour but de créer un certain monopole. Elle ne contient aucune distinction rela tive à l'objectif visé par l'oeuvre créée, que ce soit le divertissement, l'enseignement ou autre. À mon avis, la Loi avait deux buts: encourager la publica tion d'oeuvres, pour «l'avancement de la science», et protéger et récompenser les efforts intellectuels des auteurs, pendant un certain temps. Un livre est un article offert sur le marché, tout comme le sont une carte ou un tableau. L'interprétation faite par les défendeurs, selon laquelle la Loi ne visait pas à influencer les pratiques commerciales, est inexacte et donne à la Loi un sens différent de celui qui ressort de son libellé.
Pour ce qui est du second argument, après lec ture de la doctrine et de la jurisprudence citées par l'avocat 12 je conclus que les programmes informa-
12 Barrigar, Legal Protection of Software from Unauthorized Use: Proprietary and Contractual Rights (1976), 30 C.P.R. (2d) 159; Re Application Number 961,392 (1971), 5 C.P.R. (2d) 162 (C.A.B.); Gottschalk, Comr. Pats. v. Benson, 175 USPQ 673 (S.C. 1972); Dann, Comr. Pats. v. Johnston, 189 USPQ 257 (S.C. 1976); Schlumberger Canada Ltd. c. Le commissaire des brevets, [1982] 1 C.F. 845; (1981), 56 C.P.R. (2d) 204 (C.A.), demande de permission d'appel devant la Cour suprême du Canada rejetée (1981), 63 C.P.R. (2d) 261; Re Bendix Corporation Application (Now Patent No. 1,176,734) (1984), 5 C.P.R. (3d) 198 (C.A.B.); Re Application for Patent of Dissly Research Corp. (Now Patent No. 1,188,811) (1984), 6 C.P.R. (3d) 420 (C.A.B.). Voir aussi l'affaire Diamond, Comr. Pats. v. Diehr and Lutton, 209 USPQ 1 (S.C. 1981).
tiques ne sont pas brevetables en soi mais qu'un appareil ou un procédé qui répond aux normes de nouveauté et de non-évidence prévues par la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, ne sera pas exclu de la protection des brevets du simple fait qu'un ordinateur est employé pour l'exploitation de l'appareil ou l'application du procédé. De plus, je ne pense pas que le chevauchement de différentes lois soit si inhabituel (voir le domaine de la respon- sabilité délictuelle et contractuelle). Je ne crois pas non plus que les tribunaux soient tenus de rendre des décisions qui permettent d'éviter de tels che- vauchements. En outre, je remarque qu'en l'es- pèce, il ne s'agit pas d'un programme à des fins spécifiques mais bien de l'exploitation d'un ordina- teur à des fins générales. Je dois toutefois avouer que pour l'instant, je ne vois pas le besoin de faire la distinction entre les deux. Je souligne que dans l'affaire Thrustcode (précitée, à la page 194), le juge Megarry n'a pas jugé bon de faire pareille distinction.
L'avocat des défendeurs s'est fondé sur la déci- sion de la Cour d'appel fédérale dans Schlumber- ger Canada Ltd. c. Le commissaire des brevets 13 à l'appui de ce second argument. Je ne crois pas que cette décision puisse venir en aide aux défendeurs. Il a été statué qu'un procédé par lequel un pro gramme informatique était employé pour exécuter certains calculs selon certaines spécifications ne pouvait être breveté. Il a été jugé qu'il s'agissait d'une formule mathématique qui pouvait être assi- milée aux «simples principes scientifiques ou con ceptions théoriques» au sujet desquels le paragra- phe 28(3) de la Loi sur les brevets prévoit qu'«il ne doit pas être délivré de brevet». Comme je l'ai déjà dit, un programme informatique n'est pas la même chose qu'une formule mathématique. De plus, il faut faire la distinction entre la tâche pour laquelle un ordinateur est programmé («le procédé», selon l'affaire Schlumberger) et le programme conçu pour accomplir cette tâche. Le seul fait que le résultat ne soit pas nouveau (par exemple, des calculs fondés sur les mesures faites dans les trous de sonde) ne signifie pas que le programme conçu pour accomplir cette tâche ne peut être protégé par le droit d'auteur, tout comme un manuel de mathématiques ou un guide d'instruction peuvent l'être.
Ibid.
À l'appui du troisième argument de caractère politique, il a été fait mention des propositions de révision de la Loi sur le droit d'auteur contenues dans De Gutenberg à Télidon, livre blanc publié par le ministre de la Consommation et des Corpo rations en 1984. Aux pages 79 83 de ce docu ment, les auteurs estiment que le régime actuel ne convient pas aux programmes informatiques et que la durée de la protection du droit d'auteur devrait être beaucoup plus courte (par exemple, cinq ans pour un programme pouvant être lu par un être humain). On a aussi cité devant moi le rapport du Sous-comité sur la révision du droit d'auteur, publié récemment sous le titre «Une charte des droits des créateurs et créatrices». Les auteurs de ce rapport recommandent, à la page 50, que tout le régime de protection du droit d'auteur (la vie de l'auteur plus cinquante ans) convient aux pro grammes informatiques et qu'aucune distinction ne devrait être faite entre les programmes pouvant être lus par les êtres humains et ceux qui peuvent l'être par une machine. La juxtaposition de ces deux textes démontre pourquoi les tribunaux conti- nuent de croire que de telles questions de politique ne sauraient influencer l'application de la loi en vigueur.
Le quatrième volet des «arguments de caractère politique» de l'avocat des défendeurs n'est pas plus pertinent. La question de l'applicabilité et du mode d'application de la loi à une situation donnée fait l'objet de débats tous les jours. N'était-ce ainsi, les salles des tribunaux seraient vides. Voici un extrait des commentaires du juge Collier, à la fin de la décision Bulman Group Ltd. (The) c. «One Write» Accounting Systems Ltd. (précitée, à la page 190), aux pages 335 et 336 C.F.; 156 C.P.R., qui s'appli- que aussi à l'espèce:
La défenderesse avait tort, en droit et en fait, lorsqu'elle estimait que les formules de la demanderesse ne donnaient pas lieu à un droit d'auteur.
Il y avait, je pense, des motifs raisonnables de présumer qu'il pouvait fort bien y avoir droit d'auteur. La défenderesse a préféré prendre ce risque. Une évaluation erronée du droit et des faits ne peut servir d'excuse justifiant d'échapper aux dommages-intérêts, à une reddition de compte des profits et aux autres recours auxquels peut prétendre la demanderesse.
Voir également Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres, [1980] 1 R.C.S. 357; (1979), 45 C.P.R. (2d) 1, aux pages 375 et 376 R.C.S.; 15 C.P.R.
Il semble aussi que le Bureau du droit d'auteur du ministère de la Consommation et des Corpora tions avait une attitute ambivalente sur la question de savoir si la Loi sur le droit d'auteur s'appli- quait aux programmes informatiques. Voici un extrait d'une brochure «disponible» au Bureau du droit d'auteur et datée de 1982:
[TRADUCTION] Il n'est pas certain que les programmes infor- matiques ou les logiciels soient protégés en vertu de la Loi actuelle, entrée en vigueur en 1924. Cependant, les instructions écrites d'exploitation des programmes peuvent être protégées par le droit d'auteur, en tant qu'ceuvres «littéraires».
Rien ne prouve que cette brochure ait été distri- buée au public ou que l'un des défendeurs en ait eu une copie pendant la période pertinente. Par consé- quent, je ne crois pas qu'elle soit pertinente en l'espèce.
La jurisprudence relative aux programmes infor- matiques
Dans plusieurs ressorts les règles du droit d'auteur ne diffèrent pas tellement des nôtres, un nombre croissant de décisions tendent à affirmer que les programmes informatiques, sous forme de code machine, sont protégés par le droit d'auteur applicable dans ce ressort 14 . Cette nouvelle ten- dance est non seulement populaire à l'étranger mais aussi au pays 15 . L'avocat des défendeurs pré- tend qu'il s'agit de toutes les demandes interlocu- toires le tribunal n'a pu bénéficier d'un procès et de preuves d'experts. De plus, il allègue que
14 Sega Enterprises Limited v. Richards and Another, [1983] F.S.R. 73 (Ch.D.); Thrustcode Ltd. v. W.W. Computing Ltd., précitée, à la p. 194; Northern Office Microcomputers (Pty) Ltd. v. Rosenstein, [1982] F.S.R. 124 (S.C. Afr. du Sud); Apple Computer Inc v Computer Edge Pty Ltd, précitée, à la p. 194.
15 Apple Computer Inc. v. Computermat Inc. (1983), 1 C.I.P.R. 1 (H.C. Ont.); Apple Computer Inc. c. Minitronics of Canada Ltd. et autres (1985), 7 C.P.R. (3d) 104 (C.F. P e inst.), confirmée à (1985), 8 C.P.R. (3d) 431 (C.A.F.); Société (La) d'Informatique R.D.G. Inc. c. Dynabec Ltée et al. (1984), 6 C.P.R. (3d) 299 (C.S. Qué.); F & I Retail Systems Ltd. v. Thermo Guard Automotive Products Canada Ltd. et al. (décision non publiée de la Cour suprême de l'Ontario, rendue le 26 juin 1984); Logo Computer Systems Inc. c. 115778 Canada Inc. et al. (décision non publiée rendue par la Cour supérieure du Québec, le 25 octobre 1983); Nintendo of Ame- rica, Inc. c. Coinex Video Games Inc., [1983] 2 C.F. 189 (C.A.), qui traite de la question de façon accessoire; Spacefile Ltd. v. Smart Computing Systems Ltd. et al. (1983), 75 C.P.R. (2d) 281 (H.C. Ont.).
dans ces décisions, les tribunaux ont conclu que le programme lui-même, sous forme de notation écrite, se trouve en fait à l'intérieur de l'ordina- teur, et non sous forme de code électrique ou de support conçu pour reproduire ce code.
Je concède que la plupart de la jurisprudence est de caractère interlocutoire, bien que la décision de la division d'appel de la Cour fédérale d'Australie, dans Computer Edge, précitée à la page 194, contienne un exposé complet de la question et que des preuves considérables aient été produites dans cette affaire. J'estime que les raisonnements qui s'y trouvent sont très convaincants. La décision portait évidemment sur la législation australienne, qui ne s'applique pas de façon aussi générale la production d'une oeuvre sous une forme matérielle quelconque) que ce qui est prévu à l'article 3 de notre Loi, mais cela ne diminue pas pour autant la valeur des motifs avancés.
Je ne puis souscrire à la prétention de l'avocat selon laquelle les tribunaux considèrent que le programme écrit, en tant qu'oeuvre, se trouve dans la microplaquette de silicium. Dans ces décisions, les juges ont tendance à parler du langage machine comme s'il était situé à l'intérieur de la machine (sous forme de uns et de zéros). Les experts en informatique parlent ainsi. Cependant, je crois qu'il est faux de croire que les tribunaux n'ont pas reconnu la véritable nature d'un programme infor- matique avant d'accorder des injonctions interlo- cutoires. Notons par exemple l'affaire Sega Enter prises Limited v. Richards and Another (précitée à la page 203), la page 75, le juge Goulding de la Division de la chancellerie de la Haute Cour affirmait ce qui suit:
[TRADUCTION] D'après la preuve dont je dispose, j'estime que le droit d'auteur ... existe à l'égard du programme d'as- semblage du jeu «Frogger». Je crois qu'il faut considérer le code machine qui en est tiré, par l'exécution d'une composante du système de l'ordinateur appelée l'«assembleur», comme une reproduction ou une adaptation du programme d'assemblage ... [C'est moi qui souligne.]
Le juge Megarry de la Division de la chancellerie de la Haute Cour a affirmé ce qui suit dans Thrustcode Ltd. v. W.W. Computing Ltd. (préci- tée à la page 194), à la page 505:
[TRADUCTION] Dans le cas des programmes informatiques, le logiciel semble comprendre des articles qui, par des moyens magnétiques ou électriques, permettront au matériel de faire
certaines choses, à l'aide de ce qui est enregistré sur différents disques et landes. Ce faisant, les lettres, signes et chiffres du programme peuvent apparaître à l'écran ou sur une sortie imprimée; dans ce cas, il sera possible de comparer [deux textes écrits] comme d'habitude. [C'est moi qui souligne.]
Le juge Lockhart a déclaré ce qui suit à la page 263 de l'affaire Computer Edge (précitée à la
page 194):
[TRADUCTION] Il y aurait peut-être lieu de discuter des procé- dés précis utilisés dans les mémoires mortes (ROM) et les mémoires mortes programmables et effaçables (EPROM) de Wombat afin de générer les séquences pertinentes de pulsions électriques; mais il faudra inévitablement conclure que les ROM et EPROM de Wombat contiennent la même séquence de pulsions que les ROM de Apple.
Dans l'affaire International Business Machines Corporation c. Ordinateurs Spirales Inc., [1985] 1 C.F. 190; (1984), 80 C.P.R. (2d) 187 (1 1 e inst.), j'ai eu l'occasion d'étudier beaucoup de jurispru dence d'origine étrangère. Je n'ai pas cité cette décision en l'espèce et je n'ai pas l'intention de le faire. Cela ne signifie pas que je suis en désaccord avec les conclusions de celle-ci; seulement, je ne juge pas opportun de fonder ma décision en l'es- pèce sur celle que j'ai rendue à l'égard d'une procédure interlocutoire.
Il est important de souligner que dans une déci- sion récente, Société (La) d'Informatique R.D.G. Inc. v. Dynabec Ltée et al. 16 , confirmée par la Cour d'appel du Québec " , la Cour supérieure du Québec a jugé que quatre programmes d'applica- tion étaient protégés par le droit d'auteur. La Cour supérieure s'est fondée en grande partie sur l'af- faire Computer Edge (précitée à la page 194) et sur le fait qu'on y considère les programmes ins- crits sur une microplaquette comme des traduc- tions ou adaptations d'une oeuvre originale. La Cour d'appel du Québec a fait mention de l'am- pleur de l'article 3 de notre Loi.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Dans l'affaire Mackintosh, la preuve a révélé que la défenderesse, la Maison des Semiconduc- teurs, avait acheté des microplaquettes vierges et les avait programmées pour elle-même et pour la défenderesse Mackintosh—en y gravant le
16 Ibid.
" (1985), 6 C.P.R. (3d) 322 (C.A. Qué.).
programme des demanderesses. Les micropla- quettes avaient été ensuite insérées dans les ordinateurs vendus comme «compatibles avec Apple». A l'occasion, la Maison des Semiconduc- teurs avait importé de Ta!Wan des microplaquet- tes de mémoire morte (ROM) contenant le pro gramme des demanderesses.
La responsabilité des défendeurs Chico Levy et
James Begg
Les revendications à l'encontre des particuliers, Chico Levy et James Begg, sont contestées au motif qu'ils ne sont pas responsables, à titre per sonnel, des actes commis par les sociétés respecti- ves dans lesquelles ils participaient (Mackintosh et la Maison des Semiconducteurs d'une part et 115778 et 131375 Canada Inc. d'autre part), et on cite à l'appui l'affaire Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.). Je n'ai aucune difficulté à trouver ces deux défendeurs personnellement res- ponsables. La responsabilité personnelle des admi- nistrateurs ou des dirigeants d'une société dans les cas de contrefaçon de brevet a été étudiée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Mentmore Manufacturing Co., Ltd. et autre c. National Merchandise Manufacturing Co. Inc. et autre (1978), 40 C.P.R. (2d) 164. À la page 171, la Cour a cité 29 Hals., 3' éd., page 90, par. 192:
[TRADUCTION] Les administrateurs d'une société ne sont pas personnellement responsables de la contrefaçon commise par celle-ci, même s'ils sont administrateurs délégués ou adminis- trateurs et actionnaires uniques, à moins (1) qu'ils n'aient constitué la société dans le dessein de contrefaçon, (2) qu'ils n'aient directement ordonné ou autorisé les actes reprochés ou (3) qu'ils n'aient implicitement autorisé ou ordonné ces actes.
Plus loin, à la page 172, la Cour a indiqué que le fait d'être propriétaire (actionnaire) et administra- teur d'une société ne suffisait pas à justifier la conclusion qu'un particulier avait autorisé les actes de contrefaçon commis par la société. Il s'agit d'une question de fait qui doit être tranchée selon les circonstances de chaque cas. À la page 174, elle a déclaré ce qui suit:
Je ne pense pas qu'on doive aller jusqu'à poser en principe que l'administrateur ou le dirigeant doit savoir ou avoir des raisons de savoir que les actes qu'il ordonne ou accomplit constituent des violations. Ce serait imposer une condition de responsabilité qui n'existe pas, généralement, en matière de violation de brevet. Il convient d'observer qu'une telle connais- sance a été jugée, aux États-Unis, non essentielle en matière de responsabilité personnelle des administrateurs ou des dirigeants
(voir Deller's Walker on Patents, 2' éd. (1972), vol. 7, aux pp. 117 et 118). À mon avis, il existe toutefois certaines circons- tances à partir desquelles il y a lieu de conclure que ce que visait l'administrateur ou le dirigeant n'était pas la conduite ordinaire des activités de fabrication et de vente de celle-ci, mais plutôt la commission délibérée d'actes qui étaient de nature à constituer une contrefaçon ou qui reflètent une indiffé- rence à l'égard du risque de contrefaçon. De toute évidence, il est difficile de formuler précisément le critère approprié. Il convient de pouvoir, dans chaque cas, apprécier toutes les circonstances pour déterminer si celles-ci entraînent la respon- sabilité personnelle. Les termes dans lesquels le premier juge a formulé le critère qu'il a adopté sont peut-être critiquables— «s'est délibérément, ou de façon téméraire, lancé dans certaines opérations en se servant de la compagnie comme instrument, dans le but de s'assurer des profits ou une clientèle qui appar- tiennent de droit aux demanderesses»--mais je ne saurais con- clure que, sur l'essentiel, ce critère était erroné. [C'est moi qui souligne.]
La décision suivante constitue un exemple d'appli- cation de ces principes à une affaire de contrefaçon de marque de commerce: Visa International Ser vice Association v. Visa Motel Corporation, car rying on business as Visa Leasing et al. (1984), 1 C.P.R. (3d) 109 (C.A.C.-B.).
Ces principes s'appliquent également à la con- trefaçon du droit d'auteur. S'il est facile de contre- venir à un brevet accidentellement ou par inadver- tance, par contre il est difficile de copier accidentellement ou par inadvertance l'oeuvre d'un autre. C'est peut-être pour cela que la Cour d'ap- pel, dans l'affaire Mentmore, a jugé que les défen- deurs, les particuliers, n'étaient pas personnelle- ment responsables, tandis que la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a tiré la conclusion con- traire dans l'affaire Visa.
Il me semble évident que Chico Levy et James Begg ont sciemment agi en contrevenant au droit d'auteur. En ce qui concerne M. Begg, même si j'accepte son témoignage selon lequel il a été malade et ne participait pas à l'exploitation quoti- dienne de l'entreprise, ses actes démontrent tout de même une véritable «indifférence au risque». Mais je crois que d'après la preuve, il s'agissait bien plus que d'indifférence. Aucune preuve n'est venue cor- roborer sa «maladie», aucune preuve médicale ni aucun témoignage de membres de sa famille. Il n'a pas témoigné personnellement et seuls des extraits utiles à ses propres fins, tirés de l'interrogatoire préalable, ont été lus lors du procès. Selon la preuve documentaire (ses initiales sur les états financiers, sa signature sur tous les chèques, sa participation aux contrats de bail), il participait
beaucoup plus aux affaires de la société qu'il ne l'a admis au cours de l'interrogatoire préalable.
Quant au droit d'auteur, une personne y porte atteinte aux termes du paragraphe 17 (1) et de l'article 3 en autorisant ou en tentant «d'autoriser» l'exécution d'un acte que seul le titulaire du droit d'auteur a la faculté d'exécuter. Selon la jurispru dence, «autoriser» signifie [TRADUCTION] «consen- tir, approuver et encourager' 8 ». Voici un extrait pertinent de l'affaire C.B.S. Inc. v. Ames Records & Tapes Ltd., [1981] 2 W.L.R. 973 (Ch.D.), aux pages 987 et 988:
[TRADUCTION] ... l'indifférence démontrée par des actes, de la nature d'une exécution ou d'une omission, peut être telle qu'on peut l'interpréter comme une autorisation ou une permission. La véritable conclusion à tirer de la conduite d'une personne constitue une question de fait dans chaque cas ...
Certes, même si je croyais que M. Begg a participé de façon restreinte aux activités des sociétés Microcom, son inactivité ou son indiffé- rence serait telle que l'on devrait déduire qu'il autorisait ou permettait la contrefaçon du droit d'auteur. De tout évidence, Chico Levy a permis les actes de contrefaçon commis par Mackintosh et la Maison des Semiconducteurs.
La responsabilité des défendeurs Repco, Nat Levy et Joseph Levy
Qu'en est-il maintenant de la société défende- resse Repco et des défendeurs Nat et Joseph Levy? Il est inutile de tenter d'analyser la situation sur le plan de la responsabilité délictuelle. Voici ce qu'af- firmait la Cour suprême dans l'affaire Compo Company Ltd. c. Blue Crest Music Inc. et autres (précitée à la page 202), aux pages 372 et 373 R.C.S.; 13 C.P.R.:
... le droit d'auteur n'est pas régi par les principes de la responsabilité délictuelle ni par le droit de propriété mais par un texte législatif ... La loi concernant le droit d'auteur crée simplement des droits et obligations selon certaines conditions et circonstances établies dans le texte législatif ... Il n'est pas utile, aux fins de l'interprétation législative, d'introduire les principes de la responsabilité délictuelle. La loi parle d'elle- même et c'est en fonction de ses dispositions que doivent être analysés les actes de l'appelante.
18 Falcon v. Famous Players Film Co. (précitée à la p. 193), à la p. 491.
Comme le démontrent les faits exposés ci-des- sus, tant Nat et Joseph Levy que la société défen- deresse, Repco, ont, par leurs actes, aidé et appuyé Chico dans ses actes de contrefaçon. Selon la preuve, Nat a joué un rôle plus important que Joseph. L'avocat des défendeurs a prétendu que Nat et Joseph n'étaient pas vraiment au courant de la contrefaçon (ils savaient que leur frère avait une entreprise d'informatique et qu'il vendait des ordinateurs compatibles avec Apple) et que cela ne signifie pas pour autant qu'ils étaient au courant de ses actes de contrefaçon. L'avocat me demande de conclure, d'après la preuve, que Nat et Joseph Levy ont simplement aidé leur frère cadet Chico, à mettre sur pied ses nouvelles entreprises, comme tout frère l'aurait fait (par exemple: partage de l'espace locatif, loyer gratuit à l'exception d'un «rajustement» à la fin de l'année, garanties de crédit, publicité dans les journaux qui ne voulaient pas faire affaires avec Chico tant que ses entrepri- ses n'auraient pas une assise plus solide).
Je ne puis accepter cette interprétation de la preuve. Il est tout simplement impossible, dans les circonstances, de conclure que Nat et Joseph Levy n'étaient pas au courant des actes de plagiat commis par leur frère. Dans toute affaire, c'est la déduction tirée des faits qui permet de savoir s'il y a connaissance ou non. Voir RCA Corporation y Custom Cleared Sales Pty Ltd (1978), 19 ALR 123 (N.S.W.C.A.), à la page 126, ainsi que Albert v. S. Hoffnung & Co. Ltd. (1921), 22 S.R. 75 (N.S.W.S.C.), à la page 81, Clarke, Irwin & Co. Ltd. v. C. Cole & Co. Ltd. (1960), 33 C.P.R. 173 (H.C. Ont.), à la page 181 et Simon & Schuster Inc. et al. v. Coles Book Stores Ltd. (1975), 9 O.R. (2d) 718 (H.C.). Selon cette jurisprudence, la «connaissance» dans des cas semblables signifie la prise de conscience de faits à partir desquels une personne raisonnable conclurait à la contrefaçon du droit d'auteur—[TRADucTION] «une prise de conscience qui attirerait l'attention d'une personne raisonnable» (dans l'affaire Albert (précitée), aux pages 81 et 82). En effet, je crois qu'en l'espèce, les défendeurs Repco, Joseph et Nat Levy avaient bien plus que remarqué des faits qui auraient poussé une personne raisonnable à comprendre qu'il y avait contrefaçon du droit d'auteur. Je conclus que Nat et Joseph Levy, et Repco par leur intermédiaire, étaient au courant des actes de con- trefaçon. Je tire cette conclusion du fait que les
entreprises exploitées par les trois frères, avant Mackintosh et la Maison des Semiconducteurs, appartenaient à un domaine connexe à celui des deux sociétés. De plus, Repco était intimement liée aux affaires de Mackintosh et de la Maison des Semiconducteurs, après leur création. En outre, non seulement leurs activités avaient-elles lieu l'une près de l'autre, mais elles étaient intégrées l'une à l'autre. Nat Levy remplaçait personnelle- ment son frère au magasin et dans les expositions commerciales. Il avait même proposé le nom de Mackintosh pour l'une des sociétés. Repco et Mac kintosh partageaient les mêmes locaux, numéros de téléphone et services de secrétariat. Il est tout à fait impossible de croire que Nat et Joseph Levy, et Repco par leur intermédiaire, n'étaient pas au courant des actes de contrefaçon.
Cependant, la seule connaissance des faits ne suffit pas à rendre une personne coupable de con- trefaçon du droit d'auteur. Peut-on dire que la société défenderesse, Repco, ou les défendeurs Joseph et Nat Levy, participaient à des activités qui les assujettiraient à l'article 3 de la Loi en autorisant la reproduction de l'ceuvre des deman- deresses, ou au paragraphe 17(4) de la Loi? Voici le texte du paragraphe 17(4) de la Loi sur le droit d'auteur:
17....
(4) Est également considéré comme ayant porté atteinte au droit d'auteur, quiconque
a) vend ou loue, ou commercialement met ou offre en vente ou en location;
b) met en circulation, soit dans un but commercial, soit de façon à porter préjudice au titulaire du droit d'auteur;
c) expose commercialement en public; ou
d) importe pour la vente ou la location au Canada;
une œuvre qui, à sa connaissance, viole le droit d'auteur ou le violerait si elle avait été produite au Canada.
Compte tenu de ses activités, Nat Levy, et Repco par son intermédiaire, sont nettement assu- jettis au paragraphe 17(4) de la Loi sur le droit d'auteur. En achetant de la publicité dans les journaux pour la Maison des Semiconducteurs, ils ont, à mon avis, «commercialement offert en vente» les articles contrefaits, aux termes de l'alinéa a). De plus, Nat Levy a participé personnellement à différentes activités de la société, lors d'expositions et au magasin de l'avenue Brunswick. Je crois que ses activités à cet égard constituent une offre de
biens en public (alinéa a)) et ce, commercialement (alinéa c)). En outre, je renvoie à la conclusion du juge Addy dans Procter & Gamble Co. c. Bristol- Myers Canada Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 145, aux pages 165 167, selon laquelle les activités de la défenderesse, en vue d'encourager la contrefa- çon du droit d'auteur suffisaient, dans certains cas, à constituer une contrefaçon en soi. J'estime que ce principe s'applique en l'espèce, et plus particulière- ment, aux activités de Chico Levy et de Repco.
Cependant, je ne crois pas qu'il y ait assez de preuves pour me permettre de conclure que les activités de Joseph Levy, en son nom personnel, contrevenaient au paragraphe 17(4). La seule preuve de sa participation personnelle aux activités en cause prend la forme de garanties de crédit offertes pour l'importation de ROM contrefaites, tout en sachant que son frère commettait des actes de contrefaçon. Je ne pense pas que cela soit visé par l'un des alinéas du paragraphe 17(4) ni par l'article 3 de la Loi, soit l'autorisation de la pro duction ou de la reproduction du programme des demanderesses. Je pense que ce serait abusif de conclure que Joseph Levy a «autorisé» les actes de contrefaçon définis à l'article 3, tout simplement en garantissant les crédits nécessaires à l'acte reproché. Je souscris à l'opinion exprimée à la page 984 de l'affaire Ames (précitée, à la page 208):
[TRADUCTION] À mon avis, une personne ordinaire conclurait qu'une autorisation ne peut venir que de quelqu'un qui a une compétence réelle ou présumée et qu'un acte n'est pas autorisé par quelqu'un qui a tout simplement permis à un tiers de le faire, l'y a aidé ou même encouragé, sans avoir la compétence lui permettant de justifier l'acte reproché. [C'est moi qui souligne.]
Par conséquent, l'action intentée contre Joseph Levy est rejetée.
Commentaires relatifs à la preuve
Je suis tout à fait consciente qu'un tribunal supérieur sera très probablement saisi bientôt de cette affaire. En conséquence, j'aimerais souligner que je me suis fortement inspirée du premier témoignage du professeur Graham et du témoi- gnage du professeur Burkowski. J'estime que la plupart de la «contre-preuve» est inutile. C'est avec réserve que j'emploie le mot «contre-preuve» puis-
que la preuve soumise à ce titre était plus considé- rable que ce à quoi l'on pourrait s'attendre dans ce contexte. De toute façon, je ne me suis pas fondée tellement sur la contre-preuve. Notamment, je trouve qu'il est presque incroyable que l'expert des demanderesses, en matière de «matériel», ait refusé de s'exprimer en d'autres termes que ceux relatifs au logiciel. De plus, je n'ai pas été convaincue par le «tableau d'abstractions» qui aurait m'amener à conclure qu'il était inopportun de parler de programmes et d'ensemble de circuits ou de niveaux de voltage dans une même phrase.
Recours
Les demanderesses demandent que soient pro- noncées des injonctions interdisant aux défendeurs et à leurs préposés et agents d'importer, de vendre et de distribuer des ordinateurs et des composantes d'ordinateur sous le nom de Mackintosh ou de Microcom qui comprennent une copie ou une copie substantielle des oeuvres littéraires «AUTOSTART ROM» ou «APPLESOFT»; elles demandent aussi que soient calculés tous les profits tirés par les défen- deurs grâce à la vente d'ordinateurs et de compo- santes portant atteinte aux droits d'auteur d'Apple Computer et que les défendeurs soient tenus de leur remettre toutes les copies d'ordinateurs et de composantes d'ordinateur, en la possession de l'un d'eux, qui comprennent une copie ou une copie substantielle des droits d'auteur en cause.
Les défendeurs allèguent que la demande de calcul des profits et de remise de tous les ordina- teurs et composantes d'ordinateur comprenant une copie des programmes est trop vaste. Je souscris à cette opinion, en ce qui concerne la remise des ordinateurs et des composantes d'ordinateur. Il est facile d'enlever les microplaquettes ROM. Je ne vois pas pourquoi les défendeurs seraient tenus de remettre aux demanderesses les autres composan- tes d'ordinateur, à savoir le clavier, les boîtiers, les cartes de circuits, etc. II sera ordonné de remettre les seuls supports comprenant le programme, toutes les copies du programme et tous les supports comprenant des copies.
Quant au calcul des profits, je crois que la demande n'est pas trop vaste. Il est clair que les profits tirés de la vente des ordinateurs «compati- bles avec Apple» s'expliquent surtout parce qu'ils contenaient le programme des demanderesses.
Rien ne pourrait me faire croire que les défendeurs auraient pu vendre des ordinateurs à un prix très supérieur au coût d'achat payé pour les composan- tes, s'ils n'avaient pas compris les microplaquettes ROM. A mon avis, les profits tirés de la vente des ordinateurs dans l'ensemble sont surtout imputa- bles au fait qu'ils étaient «compatibles avec Apple» et qu'ils comprenaient les programmes contrefaits. De plus, je ne vois pas comment les profits tirés des ventes pourraient être répartis entre ce qui est attribuable aux microplaquettes et ce qui est attri- buable aux autres composantes de l'ordinateur. Par conséquent, il convient de procéder au calcul des profits, comme l'ont demandé les demanderes- ses.
L'avocat des demanderesses a demandé que la question des dépens soit reportée jusqu'à ce que le jugement soit rendu. Par conséquent, je ne prends aucune décision à cet égard, sauf en ce qui con- cerne les défendeurs envers lesquels les demande- resses ont cessé leurs poursuites.
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