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A-231-86
Guy Knockaert (appelant) (requérant) c.
Commissaire aux services correctionnels, Direc- teur de l'établissement de Stony Mountain et Comité des réductions méritées de peines de l'éta- blissement de Stony Mountain (intimés) (intimés)
RÉPERTORIÉ: KNOCKAERT C. CANADA (COMMISSAIRE AUX SERVICES CORRECTIONNELS)
Cour d'appel, juges Marceau, Hugessen et Lacom- be—Winnipeg, 28 octobre; Ottawa, 21 novembre 1986.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Double incrimination Détenu déclaré coupable d'une infraction disciplinaire Condamna- tion de ce détenu à être déchu de la réduction de peine méritée qu'il avait acquise Le refus de faire bénéficier ce détenu de la réduction de peine méritée pour un mois particulier ne constitue pas une «punition» au sens de l'art. 11h) de la Charte Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 1, 11 Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) (S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitu- tionnelle de 1982, 1), art. 91(27), 92(15) Loi d'interpréta- tion, S.R.C. 1970, chap. I-23, art. 27.
Pénitenciers Infraction disciplinaire La décision du tribunal disciplinaire d'imposer au requérant la déchéance de sa réduction de peine méritée et la décision du Comité des réductions méritées de peines de ne pas le faire bénéficier d'une réduction de peine méritée pour un mois particulier ne consti tuent pas une double incrimination Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 24(1) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41), 24.1 (ajouté, idem).
L'appelant, un détenu de l'établissement de Stony Mountain, a été déclaré coupable d'une infraction disciplinaire par le tribunal disciplinaire de ce pénitencier et condamné à être déchu du droit qu'il avait alors acquis à 30 jours de réduction de peine méritée. Le Comité des réductions méritées de peines du pénitencier a ensuite décidé que l'appelant, en raison de son inconduite, ne bénéficierait d'aucune réduction de peine méri- tée pour le mois au cours duquel l'infraction avait été commise.
Appel est interjeté de la décision de la Division de première instance qui rejetait la demande présentée par le requérant pour obtenir la délivrance d'un bref de certiorari annulant la décision du Comité. Cette demande s'appuyait sur l'argument voulant que la décision du Comité ait contrevenu à l'alinéa 11h) de la Charte en lui imposant une punition pour une infraction dont il avait déjà été puni.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Hugessen (avec l'appui du juge Lacombe): Le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en décidant que le refus du Comité d'accorder une réduction de peine ne pouvait
être qualifié de «punition» pour les fins de l'alinéa 11h) de la Charte. Selon le régime législatif prévu au paragraphe 24(1) de la Loi sur les pénitenciers, la réduction de peine méritée est accordée mensuellement au détenu pour le récompenser de sa bonne conduite. Si la déchéance, pour inconduite, des jours de réduction de peine méritée déjà attribués constitue une puni- tion, ce n'est pas le cas du refus d'attribuer une récompense attendue.
Il est impensable que le refus du Comité des réductions méritées de peine d'accorder une réduction de peine pour un mois particulier puisse être invoqué comme fin de non-recevoir à l'encontre d'une accusation relative à l'infraction à la disci pline. Et si le refus du Comité d'accorder une réduction de peine méritée constituait une «punition pour une infraction», les autres dispositions de l'article 11 de la Charte entreraient en jeu, une perspective difficile à accepter. Une telle façon de voir aurait également comme conséquence d'interdire à la Commis sion des libérations conditionnelles de refuser la mise en liberté à un détenu parce que son dossier fait état de condamnations pour des infractions disciplinaires, ce qui serait inacceptable. Bien qu'aucune de ces considérations ne soit nécessairement décisive, elles tendent toutes à appuyer la conclusion du juge de première instance.
Le juge Marceau (motifs concourants quant au résultat): l'appel devrait être rejeté parce que l'article 11 de la Charte ne s'applique pas et ne devrait pas s'appliquer aux affaires disciplinaires.
La définition donnée au mot «infraction» à l'article 27 de la Loi d'interprétation, l'utilisation du terme «inculpé» dans la version française de l'article 11 ainsi que la note marginale de cet article, en particulier la note «Affaires criminelles et péna- les» de la version française, constituent toutes des indices voulant que le terme «offence» («infraction») doive s'entendre dans un sens restreint et désigner une infraction criminelle ou quasi-criminelle. Toutefois, le plus important des indices rela- tifs à la portée de l'article I I est que plusieurs des droits qui s'y trouvent garantis ne peuvent avoir de sens que dans le cadre d'une procédure criminelle ou quasi-criminelle.
La portée de l'article 11 ne devrait pas non plus être étendue aux affaires disciplinaires. Il serait préférable que les droits relatifs à la procédure que chaque code ou règlement discipli- naire peut requérir soient définis de façon particulière pour chacun. De plus, une telle extension engendrerait des difficultés pratiques extrêmement importantes: comment la distinction entre les situations dans lesquelles l'alinéa 11h) s'applique et les situations dans lesquelles il ne s'applique pas devrait-elle être établie, et comment faire (et combien de temps faudrait-il) pour établir les limites devant s'appliquer aux autres garanties prévues à l'article 11? On peut douter qu'il convienne de s'appuyer sans réserve sur l'article 1 pour restreindre et aplanir les difficultés juridiques et sociales soulevées par les interpréta- tions exagérément larges des dispositions particulières de la Charte.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Wigglesworth (1984), 7 D.L.R. (4th) 361; 38 C.R. (3d) 388 (C.A. Sask.), qui a confirmé (1983), 150 D.L.R. (3d) 748; 7 C.C.C. (3d) 170 (B.R. Sask.); Re MacDo- nald and Marriott et al. (1984), 7 D.L.R. (4th) 697; 52 B.C.L.R. 346 (C.S.); Downey c. La Reine, jugement en
date du 16 mai 1985, Division de première instance de la Cour fédérale, T-937-85, non publié; R. v. Mingo et al. (1982), 2 C.C.C. (3d) 23; 4 C.R.R. 18 (C.S.C.-B.); Peltari v. Dir. of Lower Mainland Reg. Correctional Centre (1984), 42 C.R. (3d) 103; 15 C.C.C. (3d) 223 (C.S.C.-B.); Russell c. Radley, [1984] 1 C.F. 543; 11 C.C.C. (3d) 289 (1' inst.); Belhumeur v. Discipline Ctee. of Que. Bar Assn. (1983), 34 C.R. (3d) 279 (C.S. Qué.); Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; 9 D.L.R. (4th) 161.
AVOCATS:
Arne Peltz et Judy Elliott pour l'appelant
(requérant).
Theodore K. Tax pour les intimés (intimés).
PROCUREURS:
Service d'aide juridique du Manitoba, Ellen Street Community Legal Services, Winnipeg, pour l'appelant (requérant).
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés (intimés).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU: Je conclus comme le juge Hugessen que l'appel en l'espèce [de la décision publiée à [1986] 2 C.F. 361] ne peut être accueilli mais les motifs sur lesquels je fonde mon opinion sont très différents des siens; je m'appliquerai donc à énoncer mon propre point de vue sur la seule question qui doit être tranchée.
La plaidoirie de l'appelant ne soulève en effet qu'un seul point, dont la question suivante consti- tue un énoncé complet: la garantie contre la double incrimination octroyée par l'alinéa h) de l'article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitution- nelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] 1 , a-t-elle été
Pour des fins de commodité, voici cet article: 11. Tout inculpé a le droit:
a) d'être informé sans délai anormal de l'infraction précise qu'on lui reproche;
b) d'être jugé dans un délai raisonnable;
c) de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l'infraction qu'on lui reproche;
d) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépen- dant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;
e) de ne pas être privé sans juste cause d'une mise en
liberté assortie d'un cautionnement raisonnable;
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enfreinte par la décision par laquelle le Comité des réductions méritées de peines du pénitencier l'appelant était détenu refusait (conformément au paragraphe 24(1) de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6 (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41)) de le faire bénéficier de ses jours de réduction de peine mensuels pour le motif unique et précis qu'il avait été trouvé en possession d'un objet interdit, alors que l'appelant, pour cette même infraction, avait déjà été condamné par un tribunal disciplinaire (conformément aux disposi tions du paragraphe 24.1(1) de la Loi sur les pénitenciers (ajouté par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41)) à être déchu de trente des jours de réduction méritée de peine qu'il avait accumulés?
Le juge Hugessen, comme le juge de première instance, répondrait à cette question par la néga- tive; les considérations sur lesquelles il se fonde sont cependant différentes de celles du premier juge. Il aborde le problème de façon beaucoup plus directe. Essentiellement, il est d'avis que l'alinéa 11h) de la Charte n'est pas enfreint parce que le défaut de mériter une réduction de peine ne consti- tue pas une punition. Avec déférence, cette appro- che ne semble pas réellement convaincante. Le terme anglais «punishment» (punition) signifie «the imposition of a penalty» (l'imposition d'une peine); le terme anglais «penalty 2 » (peine) désigne, dans un sens large, un [TRADUCTION] «désavan-
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j) sauf s'il s'agit d'une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d'un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l'infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave;
g) de ne pas être déclaré coupable en raison d'une action ou d'une omission qui, au moment elle est survenue, ne constituait pas une infraction d'après le droit interne du Canada ou le droit international et n'avait pas de caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus
par l'ensemble des nations;
h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;
i) de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l'infraction dont il est déclaré coupable est modifiée entre le moment de la perpétration de l'infraction et celui de la sentence.
2 La définition donnée à ce terme par The Shorter Oxford English Dictionary (1973) est ainsi libellée:
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tage quelconque» sanctionnant un écart de con- duite et peut, selon moi, comprendre la perte d'une récompense. De plus, même si les jours de réduc- tion de la peine prononcée contre le détenu, étant accordés en fonction de sa bonne conduite, ne s'accumulent pas de façon automatique, la réduc- tion de peine méritée n'est pas une récompense attribuée de façon discrétionnaire mais elle est à ce point partie intégrante du système de détermina- tion de la peine qu'un prisonnier est en droit de s'attendre à ce que sa peine soit réduite grâce à des réductions méritées régulièrement, et que la perte d'une augmentation périodique des jours accumu- lés en vertu de ce droit doit, objectivement, être considérée comme une sanction tenant de la puni- tion. Je ne serais pas prêt à infirmer la conclusion que me semble tirer implicitement le juge de pre- mière instance selon laquelle la décision du Comité des réductions méritées de peines équivalait à une punition, une conclusion qui l'a obligée à traiter de l'argument relatif à la double incrimination en faisant appel à d'autres principes.
Cependant, pour en venir aux motifs du juge de première instance, je dois dire avec déférence que je ne puis accepter son opinion que l'alinéa 11h) de la Charte n'a pas été enfreint parce que seule la sanction du tribunal disciplinaire des détenus, à l'exclusion de la peine imposée par le Comité des réductions méritées de peines, a été imposée exclu- sivement pour la perpétration de l'infraction, c'est-à-dire «pour une infraction» ainsi que le pré- voit le libellé de la disposition susmentionnée. Il me semble que le Comité des réductions méritées de peines, dans ses motifs de décision, ne laisse planer aucun doute sur le fait que la réduction dont l'appelant aurait normalement bénéficié pour le mois en question lui a été refusée pour le seul et unique motif qu'il avait été déclaré coupable de possession d'un objet interdit.
Je ne suis pas non plus convaincu par l'argument du juge de première instance voulant que la perpé-
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Penalty [TRADUCTION] (peine, pénalité) 1. Douleur, souf- france (rare). 2. Punition sanctionnant la violation d'une loi, d'une règle ou d'un contrat; perte, incapacité ou inconvénient quelconques par lesquels la loi ou les parties contractantes, selon le cas, sanctionnent respectivement une infraction ou la rupture d'un contrat;
tration de cette infraction comporte deux aspects différents ou que les fins pour lesquelles ces deux décisions ont été prises aient été distinctes. Je ne suis pas certain de bien comprendre ce que le juge a voulu dire en parlant du double aspect de l'in- fraction visée puisque la conduite particulière visée était, aux yeux de tous les intéressés, répréhensible pour le seul motif qu'elle était interdite par une règle de l'établissement, et puisque les deux déci- sions qui ont été prises avaient pour objet de punir un manquement à cette règle particulière. Quoi- qu'il en soit, la protection contre la double incrimi nation pourrait difficilement être écartée, me sem- ble-t-il, du simple fait que la seconde instance imposant une punition prétend que son approche de la question ou les fins que vise sa sanction sont différentes de celles de l'autre instance. Il va sans dire qu'une action peut engendrer plus d'une con- séquence juridique; cependant, si chacune de ces conséquences constitue une punition distincte, je ne vois pas de quelle façon celles-ci peuvent être imposées séparément, par des tribunaux différents, sans constituer les punitions multiples visées par l'alinéa 11h) de la Charte.
Je suis également prêt à souscrire, du moins jusqu'à un certain point, à l'idée acceptée par le juge de première instance selon laquelle un parti- culier ayant de multiples obligations envers plu- sieurs personnes peut, par une seule action, enfreindre simultanément plusieurs de ces obliga tions différentes de façon que plusieurs infractions distinctes puissent lui être imputées. Comme l'a rappelé le juge de première instance, certains tri- bunaux se sont fondés essentiellement sur ce prin- cipe pour décider, après avoir observé que l'auteur d'une infraction pouvait être soumis à des devoirs particuliers non seulement envers la société mais également envers son employeur, envers le groupe particulier auquel il appartenait ou envers une institution comme une université ou la Commis sion des libérations conditionnelles, que le contre- venant pouvait légalement être passible à la fois de peines criminelles et de peines civiles (voir: R. v. Wigglesworth (1984), 7 D.L.R. (4th) 361; 38 C.R. (3d) 388 (C.A. Sask.), confirmant (1983), 150 D.L.R. (3d) 748; 7 C.C.C. (3d) 170 (B.R. Sask.); Re MacDonald and Marriott et al. (1984), 7 D.L.R. (4th) 697; 52 B.C.L.R. 346 (sub nom. MacDonald v. Marriott) (C.S.); Downey c. La Reine, décision non publiée de la Division de pre-
mière instance de la Cour fédérale, de greffe T-937-85, jugement en date du 16 mai 1985.) Toutefois, je ne crois pas qu'une telle situation existe en l'espèce puisque les obligations du détenu relativement à sa conduite en tant que prisonnier ne s'adressent qu'aux autorités pénitencières. Quoiqu'il en soit, j'ai de la difficulté à me convain- cre que cette doctrine des obligations multiples imposée à l'égard de plusieurs personnes différen- tes—à tout le moins lorsque les obligations parti- culières dont il est question sont les mêmes à l'égard de tous les créanciers et que le devoir qui a été enfreint est défini de la même façon dans tous les cas—n'est pas quelque peu artificielle lorsqu'il s'agit de réfuter un argument fondé sur [TRADUC- TION] «l'incrimination multiple» et n'est pas impossible à appliquer de façon cohérente et non arbitraire.
Pourquoi suis-je néanmoins d'accord avec la conclusion du juge Hugessen et du juge de pre- mière instance que la décision du Comité des réductions méritées de peines ne peut être annulée pour avoir enfreint l'alinéa 11h) de la Charte? Pour le simple motif que, selon moi, cet alinéa ne s'applique pas aux questions disciplinaires.
J'aurais souhaité pouvoir traiter de la question en litige et juger le présent appel sans examiner directement le difficile problème que pose la sphère d'application de l'article 11 de la Charte, d'autant plus que seul l'avocat du requérant a jugé bon de présenter des arguments relativement à cette question. Les difficultés qui m'empêchent de souscrire à l'opinion de mon collègue ainsi qu'à celle du juge de première instance m'interdisent cependant de laisser cette question en suspens.
La question de savoir si l'article 11 s'applique aux questions disciplinaires a été très controversée depuis la décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'affaire R. v. Mingo
et al. (1982), 2 C.C.C. (3d) 23, la page 36; 4 C.R.R. 18, la page 30, décision dans laquelle le juge Toy a conclu que l'article 11 ne s'appliquait qu'aux infractions relevant des tribunaux ordinai- res. Ainsi ce juge a-t-il déclaré:
[TRADUCTION] À mon avis, lorsque les auteurs de la nou- velle Charte ont employé le terme «infraction» seul par opposi tion à «infraction criminelle», ils n'ont fait que prévoir une protection égale pour tous les citoyens canadiens contre les violations de leurs droits découlant des lois provinciales et des
lois fédérales, pour ce qui concerne les prohibitions d'ordre public par opposition aux prohibitions d'ordre privé. Pour éta- blir ce qui constitue une infraction, il faut examiner les disposi tions légales et déterminer, en ce qui a trait aux lois fédérales, si l'allégation est soumise à une cour compétente pour connaître d'un acte criminel ou d'une infraction punissable après déclara- tion sommaire de culpabilité. Dans le cas de lois provinciales, il faut déterminer si l'allégation est soumise à une cour compé- tente pour connaître d'une infraction qui peut entraîner une mise en accusation en vertu des dispositions de la Offence Act, R.S.B.C. 1979, chap. 305. Un examen rapide de plusieurs lois provinciales et de la Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, et de ses règlements d'application, suffit à me convaincre que les législatures provinciales de même que le Parlement ont prévu dans leur législation des procédures relati ves à la discipline interne en plus de créer des «infractions» qui relèvent exclusivement des tribunaux publics compétents.
La décision rendue dans l'affaire Mingo a été suivie dans plusieurs affaires mais a récemment été désavouée dans l'arrêt Peltari v. Dir. of Lower Mainland Reg. Correctional Centre (1984), 42 C.R. (3d) 103; 15 C.C.C. (3d) 223 (sub nom.: Re Peltari and Director of the Lower Mainland Regional Correctional Centre et al.) (C.S.C.-B.) ainsi que dans la décision rendue dans l'affaire Russell c. Radley, [1984] 1 C.F. 543; 11 C.C.C. (3d) 289 (1g» inst.) après avoir été critiquée par certains universitaires (voir, en particulier: H. Kushner, «Charter of Rights and Freedoms, Sec tion 11—Disciplinary Hearings Before Statutory Tribunals», 62 R. du B. Can. 638 (1984); le point de vue opposé est soutenu par Y. Ouellette dans «La Charte canadienne et les tribunaux adminis- tratifs», 18 R.J.T. 295 (1984)).
Les arguments présentés à l'appui d'une applica tion étendue de l'article 11 procèdent toujours des propositions suivantes. Ni le libellé de l'article 11 ni la nature des droits que cet article a pour objet de garantir n'indiquent clairement que la sphère d'application de celui-ci doive se limiter aux affai- res criminelles ou quasi-criminelles, c'est-à-dire aux poursuites intentées devant les tribunaux publics. Certes, le terme «infraction» utilisé dans cet article, qui est très large, peut notamment désigner une conduite enfreignant une disposition d'un code de discipline; quant au terme [TRADUC- TION] «punition», il désigne simplement une sanc tion. Une application élargie de cet article fondée sur une interprétation téléologique constitue donc une nette possibilité, dont les tribunaux devraient se prévaloir généreusement. Les règlements disci- plinaires peuvent prévoir des peines importantes,
de sorte que les personnes s'y trouvant assujetties doivent bénéficier de certains droits fondamentaux en matière de procédure. Il est vrai que certaines des garanties prévues à l'article 11 ne peuvent se comprendre que dans le contexte d'une procédure criminelle tandis que d'autres ne peuvent s'appli- quer à des procédures disciplinaires sans être accompagnées de certaines réserves; cependant, les limites qui s'imposent n'ont qu'à respecter l'article 1, qui exige qu'elles soient raisonnables dans une société libre et démocratique.
Voilà, telle que je la comprend l'argumentation présentée à l'appui d'une application étendue de l'article 11. Avec beaucoup de déférence, je ne saurais y souscrire. Je demeure convaincu: tout d'abord, que l'article 11 n'a pas été destiné à s'appliquer aux affaires disciplinaires; en second lieu, que l'intention des rédacteurs de cet article doit, à cet égard, être respectée.
1—La portée envisagée de l'article 11.
Personne, évidemment, ne nierait que le libellé de l'article 11 ne contient aucune disposition res- treignant clairement son application aux procédu- res instruites devant une cour de justice ordinaire. Il est certain que, s'il en était autrement, la ques tion en litige ne se poserait même pas. Les termes clés «offence» («infraction») et «punishment» ([TRADUCTION] «punition>) possèdent évidemment un sens suffisamment large pour comprendre les questions disciplinaires; selon les dictionnaires, un manquement à quelque règle que ce soit, y compris une simple règle d'étiquette, constitue une «offence» («infraction>), et le terme «punishment» ([TRADUCTION] «punition»), ainsi qu'il a déjà été noté, peut désigner simplement une sanction. Au surplus, le mot «court» ([TRADUCTION] «cour») n'est aucunement mentionné dans la version anglaise de cet article, qui utilise uniquement le mot «tribunal» («tribunal»). Je crois cependant tout à fait superflu d'appuyer sur ces constatations puisque la question ne consiste pas à savoir si les termes utilisés, considérés de façon isolée, peuvent recevoir une signification plus étendue mais à savoir si, dans le contexte, une telle signification leur a été destinée. Selon moi, les indices voulant que le terme particulier «offence» («infraction») doive s'entendre dans un sens restreint et désigner une infraction criminelle ou quasi-criminelle— c'est-à-dire une infraction établie par le Parlement
(dans l'exercice de la compétence sur le droit criminel que lui confère le paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution- nelle de 1982, 1)]) ou par une législature pro- vinciale (en imposant, conformément au paragra- phe 92(15) de cette Loi, des sanctions pour punir le défaut de se conformer à ses prescriptions) et ne ressortissant qu'à un tribunal ordinaire—sont nombreux et, considérés dans leur ensemble, plei- nement convaincants.
Certains de ces indices proviennent des termes mêmes qui sont utilisés. L'on ne doit pas oublier que si, dans le langage courant, le terme anglais «offence» et son équivalent français «infraction» peuvent tous deux recevoir une acception très large, une telle utilisation dans un texte législatif serait tout-à-fait exceptionnelle. L'article. 27 de la Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. I-23 pré- voit qu'une «offence» ou une «infraction» est un manquement aux prescriptions d'un texte législatif pour lequel le contrevenant peut être poursuivi au moyen d'un acte d'accusation ou est punissable sur déclaration sommaire de culpabilité. S'il est vrai que la Loi d'interprétation ne touche pas directe- ment l'interprétation de la Charte, elle n'a pas pu ne pas influencer ses rédacteurs ainsi que les parle- mentaires qui l'ont approuvée. La présence, dans la version française, du terme «inculpé» est encore plus convaincante à cet égard. À la fois le diction- naire Le Petit Robert (1973) et l'ouvrage de Henri Capitant intitulé Vocabulaire juridique [P.U.F., Paris] (1930), qui fait autorité, définissent le terme «inculpation» de la manière suivante: «impu- tation officielle d'un crime ou d'un délit à un individu contre qui est, en conséquence, dirigée une procédure d'instruction». L'inculpé est donc la personne accusée d'un crime ou d'un délit à carac- tère pénal devant une cour de justice (voir à ce sujet: Belhumeur v. Discipline Ctee. of Que. Bar Assn. (1983), 34 C.R. (3d) 279 (C.S. Qué.)).
Les notes marginales de l'article 11, qui étaient présentes lorsque le Parlement a approuvé le libellé de cet article, fournissent un indice supplémen- taire. Si l'on examine la note marginale anglaise «Proceedings in criminal and penal matters», il est très peu probable que les rédacteurs aient utilisé
l'expression «penal matters» («affaires pénales») pour désigner simplement les affaires dans le cadre desquelles une peine peut être imposée, puisque l'expression «affaires pénales» aurait alors compris les affaires criminelles et que ces deux expressions n'auraient pas été utilisées pour désigner des caté- gories de sujets qui, cela ressort à l'évidence, ont été entendues comme distinctes. Cependant, ici encore, la note marginale de la version française, «Affaires criminelles et pénales», est plus révéla- trice. Dans un contexte français, je ne crois pas que les affaires disciplinaires puissent jamais être confondues avec les affaires criminelles et pénales, ces catégories de sujets étant clairement distinctes. Je n'oublie pas que les notes marginales ne font pas partie de la loi, ce qui rend discutable leurs prises en considération pour des fins d'interpréta- tion mais la Cour suprême a approuvé l'utilisation des rubriques pour faciliter l'interprétation des lois, notamment dans l'arrêt Law Society of Upper Canada c. Skapinker, [1984] 1 R.C.S. 357; 9 D.L.R (4th) 161, et les motifs qu'elle a prononcés dans cette affaire sont également applicables aux notes marginales. Quoi qu'il en soit, je ne recher- che dans celles-ci que ce que j'appellerais une indication de l'intention du législateur.
Finalement, le plus important des indices relatifs aux intentions des rédacteurs quant à la portée de l'article 11 nous est, selon moi, fourni par l'examen de cet article dans son ensemble. Il est évident que plusieurs des droits qui s'y trouvent garantis ne peuvent avoir de sens que dans le cadre d'une procédure criminelle ou quasi-criminelle. Si l'in- tention des rédacteurs avait néanmoins été de rendre cet article également applicable dans un autre contexte, il me semble que son libellé aurait reflété cette double applicabilité.
On a là, à mon point de vue, autant d'indices irréfutables que l'article 11 n'était pas destiné à s'appliquer à des questions autres que criminelles ou quasi-criminelles. Cependant, il est évident que cette constatation est loin d'être décisive.
2—L'extension de la portée envisagée de l'article 11.
À la suite des déclarations faites par la Cour suprême au sujet de la Charte, c'est un lieu commun de dire que celle-ci, à titre de document constitutionnel, doit être interprétée quelque peu
différemment des autres textes législatifs. Destinée à avoir une longévité beaucoup plus grande et à être beaucoup plus difficile à modifier qu'un texte législatif ordinaire, la Charte doit être abordée avec une ouverture d'esprit particulière et interpré- tée aussi libéralement que possible de façon à donner à son objet son plein effet. Dans cet esprit, il est vrai que l'intention des rédacteurs ne doit pas être considérée comme déterminante relativement à son interprétation. Un champ d'application plus large que celui qui a été envisagé à l'origine peut être suggéré. Il est cependant évident qu'il ne suffit point, pour qu'une telle proposition devienne acceptable, que le libellé de la Charte se prête à l'interprétation recherchée: il doit ressortir claire- ment qu'une telle extension serait souhaitable. Il ne m'apparaît tout simplement pas que tel soit le cas en l'espèce. Je conçois les instances disciplinai- res comme étant celles qui sont instruites à l'exté- rieur d'un tribunal ordinaire conformément à un code de comportement sanctionné par l'imposition de peines, un code qui n'est pas édicté à l'avantage commun de tous les individus mais au profit des membres d'un groupe particulier dont il a pour objet de réglementer la conduite et auquel il s'ap- plique exclusivement. Si je refuse d'inclure de telles instances dans le champ d'application de l'article 11, c'est que je ne suis pas convaincu qu'une telle inclusion répondrait à un besoin réel et que je crains qu'il en résulterait des difficultés pratiques extrêmement graves, sinon tout simple- ment insurmontables.
Comme il a déjà été mentionné, la volonté d'étendre le champ d'application de l'article 11 tient au fait que les règlements disciplinaires pou- vant prévoir des peines importantes, certains droits fondamentaux relatifs à la procédure devraient être accordés aux personnes s'y trouvant assujet- ties.
Il est évidemment vrai que des conséquences sérieuses peuvent découler des instances discipli- naires, des conséquences qui peuvent, dans des cas exceptionnels, dépasser l'expulsion du groupe ou la perte de certains des privilèges normalement accordés à ses membres, et peuvent même com- prendre une amende ou l'emprisonnement—encore qu'il y ait lieu de noter que la validité constitution- nelle de mesures disciplinaires revêtant un carac- tère punitif aussi extrême (ce n'est pas le cas en
l'espèce puisque la peine imposée par le tribunal de juridiction criminelle demeure constante) n'a jamais été clairement établie. Et moi aussi je crois fermement que les instances disciplinaires doivent être soumises à des règles de procédure destinées à protéger de certains abus les personnes mises en cause. Mais il n'est pas nécessaire que ces règles de procédure soient consacrées par la Constitution. Il n'y a pas qu'un seul droit disciplinaire: il existe de nombreux codes ou ensembles de règles disciplinai- res, et il serait préférable que les droits relatifs à la procédure que chacun d'eux peut requérir soient définis de façon particulière pour chacun comme cela s'est fait, du moins jusqu'à un certain point, par le passé. Plusieurs groupes de personnes soumi- ses à des codes de conduite particuliers et suscepti- bles de subir des sanctions disciplinaires (je pense aux médecins, avocats et professeurs d'université) se sont vus accorder diverses garanties en matière de procédure, soit dans des textes législatifs parti- culiers soit selon la common law, bien avant que la Charte ne soit promulguée. La Charte a été adop- tée pour définir et garantir les droits les plus fondamentaux des citoyens, non pour servir de fondement à tous les systèmes de procédure adop tés pour protéger la personne contre les abus pou- vant être commis par certaines autorités. Je ne suis pas convaincu que l'extension de la portée prévue pour l'article 11 par le législateur répondrait à un besoin réel.
Cependant, je m'oppose surtout à une telle extension parce que l'inclusion des instances disci- plinaires dans la sphère d'application de l'article 11 entraînerait inévitablement, selon moi, des dif- ficultés pratiques extrêmement sérieuses, sinon insurmontables.
Un premier problème, qui ne peut manquer de venir à l'esprit lors d'une discussion sur la protec tion contre la double incrimination, serait celui de la corrélation entre les deux niveaux de procédure, criminel ou quasi-criminel d'une part, discipli- naire, d'autre part. Il serait impensable que les procédures à l'un de ces niveaux puissent, de façon automatique, exclure celles à l'autre. L'on a sug- géré que la solution de ce problème réside simple- ment dans l'adoption de l'idée, évoquée précédem- ment, selon laquelle un même acte, commis en violation de devoirs et de responsabilités définis à l'égard d'entités différentes, peut être vu comme
constituant des infractions multiples. Pour donner effet à cette thèse, a-t-on dit, il suffit que le critère d'applicabilité de l'article 11 soit fondé sur une définition du mot infraction qui soit «substantielle» (c'est-à-dire qui s'attache à la nature au contenu de l'acte) plutôt que «formelle» (c'est-à-dire par référence l'autorité appelée à sanctionner) comme celle qui a été adoptée dans l'arrêt Mingo. J'ai déjà dit que je ne pouvais m'empêcher de considérer cette idée comme étant quelque peu artificielle, mais, de toute façon, si elle était valide et pouvait servir à expliquer la possibilité d'une sanction dis- ciplinaire en sus d'une peine criminelle, il n'y aurait, semble-t-il, aucune raison qui empêcherait qu'elle soit valide dans tous les cas. Si, dans ces cas de pluralité d'instances concernant à la fois des infractions criminelles ou quasi-criminelles et des infractions disciplinaires, il devait exister des situa tions dans lesquelles l'alinéa 11h) serait applicable et des situations dans lesquelles il ne le serait pas, la distinction à établir entre ces deux types de situations poserait un problème pratique dont la solution m'échappe totalement.
Les conséquences découlant de ce problème sont cependant mineures si on les compare aux difficul- tés pratiques auxquelles il faudrait faire face si les autres alinéas de l'article 11 devaient être considé- rés comme s'appliquant tant aux questions discipli- naires qu'aux questions criminelles ou quasi-crimi- nelles. Je crois que l'on reconnaîtra volontiers que la plupart des garanties en jeu, sinon toutes ces garanties, ne peuvent raisonnablement s'appliquer de façon directe aux questions disciplinaires sans que ne soient établies des réserves importantes devant fatalement varier d'un contexte discipli- naire à un autre. Les tenants d'une extension de la portée de l'article 11 trouvent leur justification, ainsi que je l'ai dit, dans la disposition introductive de la Charte qui édicte le principe général et fondamental suivant lequel les droits dont les dis positions de la Charte assurent la protection ne sont pas absolus mais peuvent être restreints. Les restrictions prévues à l'article 1 ne peuvent cepen- dant être édictées «que par une règle de droit», dans des limites «dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique». Combien faudrait-il d'interventions législatives pour établir les limites applicables aux différents droits relatifs à la procédure visés à l'article 11 dans le cadre des divers types d'instan-
ces disciplinaires, et combien d'actions en justice seraient engagées à ce sujet? La situation pourrait prendre plusieurs années à connaître une relative stabilité, et le rôle assigné à la Charte s'en trouve- rait quelque peu contrecarré. Et je ne suis pas certain qu'il n'y ait que celà. Jusqu'à ce que la Cour suprême en décide autrement, je continuerai de douter sérieusement qu'il convient de s'appuyer sans réserve sur l'article 1 pour restreindre et aplanir les difficultés juridiques et sociales soule- vées par les interprétations exagérément larges des dispositions particulières de la Charte. Il me semble que l'article 1 ne peut jouer le même rôle en ce qui a trait à une liberté, permettant le libre exercice d'une activité particulière, une immunité, qui protège une personne contre certaines actions d'autres personnes, et un droit au sens strict, qui permet à une personne d'exiger quelque chose d'une autre personne. Je suggère qu'il ne peut non plus s'appliquer également à un droit dont la défi- nition utilise des termes restrictifs qui lui sont particuliers et à un droit qui ne se trouve pas ainsi limité dans sa propre définition. En ce qui a trait aux immunités ou aux droits auxquels sont atta- chées des obligations spécifiques, il m'apparaît que, pour des fins de sécurité et de stabilité, sinon tout simplement pour respecter les prescriptions de la raison, l'on doit définir précisément leur contenu avant de penser à des situations exceptionnelles dans lesquelles les obligations qui s'y rattachent pourraient être restreintes par le jeu de l'article 1 (Voir sur ces points, P. Bender, «Justifications for Limiting Constitutionally Guaranteed Rights and Freedoms: Some Remarks about the Proper Role of Section One of the Canadian Charter», publié dans The Canadian Charter of Rights and Free doms (Institut canadien d'administration de la justice 1984), page 235 [voir également (1983), 13 Man. L.J. 669]; voir l'opinion contraire exprimée par D. Gibson dans The Law of the Charter: General Principles (1986), pages 135 142).
En conséquence, je suis d'avis que l'alinéa 11h) de la Charte, qui a pour objet de protéger contre la double incrimination, ne s'applique pas directe- ment aux matières disciplinaires, et c'est pourquoi, comme le juge Hugessen et le juge de première instance, je puis juger non fondée la prétention du requérant selon laquelle la décision du Comité des réductions méritées de peines était invalide dans son cas parce qu'elle avait été prise en contraven-
tion de l'alinéa 11h) de la Charte. Je confirmerais donc le jugement de la Division de première ins tance. Il n'y a pas lieu d'adjuger des dépens en l'espèce; de toute façon, ils n'ont point été réclamés.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: Appel est interjeté d'une décision de la Division de première instance rendue par le juge Reed. A mon point de vue, que semble partager le juge de première instance, la présente affaire soulève une question très précise se rappor- tant à l'alinéa 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui consiste à savoir si le refus d'accorder une réduction de peine doit être qualifié de «punition» pour les fins de cet alinéa. J'estime que le juge Reed a eu raison de conclure que ce refus ne pouvait être qualifié de la sorte.
La question se présente de la façon suivante. L'appelant est un détenu de l'établissement de Stony Mountain, un pénitencier. Le 17 octobre 1984, il a été trouvé en possession d'une substance prohibée que l'on allègue être de la marijuana. Il a été accusé devant le tribunal disciplinaire d'avoir eu en sa possession un objet interdit et, le 1" novembre, il a été déclaré coupable et condamné à être déchu du droit qu'il avait alors acquis à trente jours de réduction de peine méritée. Cette déchéance a été prononcée conformément aux dis positions du paragraphe 24.1(1) de la Loi sur les pénitenciers (S.R.C. 1970, chap. P-6, modifiée par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41):
24.1 (1) Les détenus bénéficiaires d'une réduction de peine méritée qui sont déclarés coupables par un tribunal discipli- naire d'avoir contrevenu à la discipline sont déchus, en tout ou en partie, de leur droit, acquis après l'entrée en vigueur du présent article, aux réductions de peine méritées inscrites à leur actif; mais une telle déchéance, lorsque supérieure à trente jours de réduction de peine, n'est valide que si elle rencontre l'assentiment du commissaire ou du fonctionnaire du Service qu'il a désigné à cette fin ou, lorsque supérieure à quatre-vingt- dix jours, du Ministre.
Après que l'appelant a été déclaré coupable et s'est vu imposer cette peine, lors d'une réunion du Comité des réductions méritées de peines du péni- tencier, il a été décidé que l'appelant, en raison de son inconduite au cours du mois d'octobre 1984, ne bénéficierait d'aucune réduction méritée de peine
pour ce mois-là. Cette décision a été prise en vertu du paragraphe 24(1) de la Loi sur les pénitenciers, qui est ainsi libellé:
24. (1) Sous réserve de l'article 24.2, chaque prisonnier bénéficie de quinze jours de réduction de peine pour chaque mois, et d'un nombre de jours calculés au prorata pour chaque partie de mois, passés à s'adonner assidûment, comme le pré- voient les règles établies à cet effet par le commissaire, au programme du pénitencier il est emprisonné.
L'instruction numéro 600-2-06.1 du commis- saire, en date de 1984-06-29, énonce les règles établies par le commissaire sous le régime de la Loi sur les pénitenciers relativement à la réduction méritée de peine. Les paragraphes pertinents de ces instructions sont les suivants:
OBJET
4. Énoncer des politiques visant à récompenser le détenu, en lui accordant une réduction méritée de peine pour sa bonne con- duite et son rendement satisfaisant au regard du programme qui lui était assigné.
DÉFINITIONS
5. «Rendement» désigne la mesure dans laquelle un détenu se plie aux règles de l'établissement et témoigne d'efforts à l'égard du programme qui lui était assigné.
6. «Rendement satisfaisant» désigne la mesure dans laquelle un détenu se conforme aux règles de l'établissement et s'applique à fournir des efforts réguliers à la limite maximale de ses capacités.
MODALITÉS DE RÉDUCTION DE PEINE
13. Les détenus dont le rendement est satisfaisant doivent bénéficier de quinze (15) jours de réduction de peine pour chaque mois purgé en détention.
L'appelant ne conteste pas que l'instruction du commissaire respecte les exigences du paragraphe 24(1) de la Loi. Il fait simplement valoir que le refus de le faire bénéficier d'une réduction méritée de peine pour le mois d'octobre 1984, en raison de la perpétration au cours de ce mois-là d'une infrac tion disciplinaire dont il a déjà été déclaré coupa- ble et pour laquelle une peine a déjà été imposée, constitue une double punition au sens du paragra- phe 11h) de la Charte:
11. Tout inculpé a le droit:
h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;
Pour les fins de l'espèce, comme le juge Reed, je suis prêt à présumer, sans le décider, qu'une infraction disciplinaire commise par un détenu de pénitencier constitue une infraction au sens de la Charte et qu'un détenu qui a été déclaré coupable par un tribunal disciplinaire et qui a été déchu de son droit à une réduction de peine a été «déclaré coupable et puni» en ce qui a trait à cette infrac tion. Cette question n'est nullement facile à tran- cher ou sans équivoque et l'arrêt qui fait le plus autorité sur une question similaire, à ma connais- sance, la décision rendue par la Cour d'appel de la Saskatchewan dans l'affaire R. v. Wigglesworth (1984), 7 D.L.R. (4th) 361; 38 C.R. (3d) 388, est présentement portée en appel devant la Cour suprême du Canada.
Si je reconnais volontiers que certaines questions relevant d'une catégorie que l'on pourrait appeler la discipline [TRADUCTION] «professionnelle» ne sont pas visées par l'article 11, j'éprouve beaucoup de difficulté à y ranger l'affaire qui concerne l'appelant. L'article 24.1 de la Loi, précité, parle de détenus qui comme l'appelant sont «déclarés coupables» par un «tribunal» d'avoir «contrevenu» à la discipline. Cette déclaration de culpabilité a eu pour résultat de prolonger son incarcération en lui faisant perdre le bénéfice d'une réduction de peine qu'il avait déjà méritée; il s'agit, en bref, d'une privation de sa liberté. La poursuite contre l'appe- lant a été entreprise non pas par un organisme privé ou non financé par le gouvernement, mais par l'autorité publique. Tous ces éléments, me semble-t-il, sont l'apanage d'une affaire criminelle ou pénale. Je ne vois aucun indice contraire.
À mon avis, la Cour d'appel devrait trancher ce litige, comme l'a fait la Division de première ins tance, sur le fondement du motif très précis que la décision administrative de refuser d'accorder une réduction méritée de peine à un détenu en raison de sa mauvaise conduite ne constitue pas une punition pour cette mauvaise conduite. Bien qu'il soit évident que la démarcation entre la récom- pense et la punition puisse parfois s'estomper, il me semble que le régime législatif visant la réduction méritée de peine exposé au paragraphe 24(1) de la Loi sur les pénitenciers, qui se trouve précisé et développé par l'instruction du commissaire, prévoit clairement l'appréciation mensuelle du rendement de chaque détenu considéré individuellement et la
prise en considération, dans cette évaluation, du respect des règles de l'établissement ainsi que des autres règles applicables au cours du mois visé. Si la violation des règles peut entraîner la punition, leur observation, jointe à la participation soutenue au programme assigné, peut être récompensée; ces deux notions, qui peuvent constituer des aspects opposés de la même question, sont néanmoins très distinctes.
Des analogies se présentent facilement à l'esprit bien qu'aucune d'elles, de toute évidence, ne cor- responde précisément à la situation en cause. Un professeur aux prises avec une classe indisciplinée peut décider de garder ses élèves en retenue, ou d'annuler un voyage qu'il devait effectuer avec eux ou d'imposer ces deux sanctions à la fois. L'em- ployé qui a été pris en flagrant délit de vol peut s'attendre à perdre son emploi et peut difficilement se plaindre de n'avoir pas reçu sa prime annuelle de rendement. Le travailleur qui participe à une grève illégale d'une journée pourra être suspendu pour une journée et, à bon droit, ne recevra aucun salaire pour l'une et l'autre de ces deux journées.
La question peut également être soumise à un autre critère. Dans les circonstances de l'espèce, le Comité des réductions méritées de peines ne s'est réuni pour décider du droit de l'appelant à une réduction de peine pour octobre 1984 qu'après que le tribunal disciplinaire ait statué. Si ces événe- ments s'étaient déroulés dans l'ordre inverse, il est impensable que l'appelant eût pu invoquer le refus du Comité des réductions méritées de peine de lui accorder une réduction pour le mois d'octobre comme fin de non-recevoir à l'encontre de l'accu- sation relative à l'infraction à la discipline. En effet, si le refus d'accorder une réduction méritée de peine était, en fait, une punition pour une infraction plutôt que le simple octroi ou refus administratif d'une récompense, les autres disposi tions de l'article 11 entreraient aussi en jeu, pers pective que je puis difficilement envisager.
Finalement, si le refus de faire bénéficier un détenu d'une réduction de peine doit être considéré comme une punition, ce doit être également le cas du refus d'une libération conditionnelle. Peut-on soutenir sérieusement qu'il est interdit à la Com mission des libérations conditionnelles de refuser la mise en liberté à un détenu parce que son dossier fait état de condamnations pour des infractions disciplinaires? Je ne le crois pas.
Bien qu'aucune de ces considérations ne soit nécessairement décisive, elles tendent toutes à appuyer la conclusion du juge Reed.
Un dernier point: certaines parties du contre- interrogatoire de l'appelant laissent entendre qu'en réalité la totalité de la réduction de peine est portée au crédit du détenu lorsqu'il a fait son entrée dans l'établissement, et que cette réduction n'est jamais réellement «méritée' au sens elle lui serait accordée mensuellement en vertu d'une décision portant qu'elle a été gagnée au cours du mois visé. En fait, l'appelant laisse même entendre à une occasion que les seules décisions prises par la Commission des réductions méritées de peines sont celles de retirer la réduction de peine dans des cas semblables au sien, à la suite de la mauvaise conduite du détenu. Cet argument n'a été plaidé ni devant cette Cour ni devant la Division de pre- mière instance et n'est appuyé dans la preuve que par le seul témoignage de l'appelant, qui est confus et contradictoire. En conséquence, je n'exprime aucune opinion sur la possibilité que la Cour prenne une autre conclusion s'il était effectivement démontré que, nonobstant le texte clair du para- graphe 24(1), le détenu ne bénéficiait pas d'une réduction de peine par rapport à chaque mois et comme conséquence d'une décision qu'il s'est donné assidûment au programme du pénitencier durant le mois en question.
Je rejetterais l'appel. La Couronne ne demande aucun dépens dans son exposé et je n'en adjugerais point.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LACOMBE: Je souscris à l'opinion du juge Hugessen et je jugerais l'appel ainsi qu'il le suggère.
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