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T-232-86
Great Lakes Pilotage Authority Ltd. (demande- resse)
c.
Misener Shipping Limited (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: GREAT LAKES PILOTAGE AUTHORITY LTD. C. MISENER SHIPPING LTD.
Division de première instance, juge Denault— Montréal, 25 et 26 novembre 1986; Ottawa, 8 mai 1987.
Droit maritime Pilotage L'art. 4(1)c)(ii) du Règlement qui assujettit au pilotage obligatoire, à son retour dans les eaux canadiennes, tout navire qui a quitté les Grands Lacs ou les eaux intérieures du Canada est ultra vires du pouvoir de réglementation parce qu'il n'a rien à voir avec la sécurité de la navigation Règlement de pilotage des Grands Lacs, C.R.C., chap. 1266, art. 4 (mod. par DORS/83-256) Loi sur le pilotage, S.C. 1970-71-72, chap. 52, art. 12, 14, 34.
Deux des navires de la défenderesse, des laquiers qui peuvent naviguer sur les océans, ont réintégré les eaux canadiennes après avoir navigué outre-mer durant la période de fermeture de la navigation maritime du Saint-Laurent. Lorsque la deman- deresse demanda à la défenderesse d'admettre un pilote breveté à bord des navires de celle-ci à leur arrivée à l'intérieur des eaux relevant de sa juridiction, le propriétaire s'y opposa. Il s'agit d'une action en recouvrement des droits de pilotage qui seraient dus par la défenderesse parce qu'elle n'a pas utilisé les pilotes dont elle aurait retenir les services en vertu de la Loi. La défenderesse refuse de payer, prétendant que le sous-alinéa 4(1)c)(ii) du Règlement, qui assujettit au pilotage obligatoire, à son retour dans les eaux canadiennes, tout navire qui quitte les Grands Lacs ou les eaux intérieures du Canada, sauf lors d'occasionnels voyages de cabotage, est ultra vires du pouvoir de réglementation conféré par les articles 12 et 14 de la Loi. Il est admis que les navires et leurs capitaines ont par ailleurs rempli les conditions d'exemption du pilotage obligatoire impo sées par le Règlement.
Jugement: l'action devrait être rejetée. Le sous-alinéa 4(1)c)(ii) est déclaré ultra vires du pouvoir de réglementation que l'Administration tient des articles 12 et 14 de la Loi parce qu'il ne porte nullement sur la sécurité de la navigation.
La Loi vise principalement à assumer la sécurité de la navigation dans la région des Grands Lacs et de la voie maritime du Saint-Laurent. Le Règlement d'application, notamment les dispositions concernant le pilotage obligatoire et les droits de pilotage, sont tous subordonnés à cet objectif principal.
Dans son arrêt Alaska Trainship, la Cour suprême du Canada a déjà établi que les exigences qui n'ont rien à voir avec la sécurité de la navigation, telles que le pays d'immatricula- tion, sont ultra vires du pouvoir de réglementation. Compte tenu de l'arrêt Alaska Trainship rendu par la Cour d'appel fédérale, la sécurité comprend trois éléments: 1) les facteurs liés aux caractéristiques physiques du navire; 2) la compétence du capitaine ou de l'officier chargé de piloter le navire; 3) leur
connaissance respective des eaux locales. L'exigence contestée en l'espèce ne se rapporte à aucun de ces éléments. Le simple fait qu'un navire quitte les eaux canadiennes ne saurait avoir pour effet d'en faire un danger pour la sécurité de la navigation lorsqu'il réintègre celles-ci. Et le sous-aliéna 4(1)c)(ii) établit une différence fondée sur l'aire de déplacement de certains navires et non sur les caractéristiques physiques des prétendus «laquiers-océaniques» (salty lakers) par opposition aux «laquiers» (lakers).
JURISPRUDENCE:
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Alaska Trainship Corporation et autre c. Administration de pilotage du Pacifique, [1981] 1 R.C.S. 261, confir- mant [1980] 2 C.F. 54 (CA.) et [1978] 1 C.F. 411 (1" inst.); The King v. National Fish Company Ltd., [1931] R.C.E. 75; Texaco Canada Ltd. c. Corporation of City of Vanier, [1981] 1 R.C.S. 254; Prince George (Ville de) c. Payne, [1978] 1 R.C.S. 458.
AVOCATS:
Laurent Fortier pour la demanderesse. Jacques A. Laurin et Nancy G. Cleman pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Stikeman, Elliott, Montréal, pour la deman- deresse.
McMaster, Meighen, Montréal, pour la défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DENAULT: La demanderesse réclame de la défenderesse des droits de pilotage, les bateaux de celle-ci ayant navigué dans des eaux sous sa juridiction, sans avoir utilisé les pilotes dont elle devait retenir les services, en vertu de la Loi sur le pilotage (S.C. 1970-71-72, chap. 52). La défenderesse refuse de payer en soutenant que la disposition réglementaire (sous-alinéa 4(1)c)(ii) du Règlement de pilotage des Grands Lacs, C.R.C., chap. 1266, tel qu'amendé, DORS/ 83-256)) qui assujettit au pilotage obligatoire tout navire qui quitte les Grands Lacs ou les eaux intérieures du Canada, sauf lors d'occasionnels voyages de cabotage,, est ultra vires des pouvoirs de réglementation accordés par les articles 12 et 14 de cette Loi.
CADRE LÉGISLATIF:
Avant d'analyser les faits et les questions de droit, il est bon de revoir succinctement le cadre législatif ayant donné lieu à ce litige. Administra tion de pilotage des Grands Lacs, Ltée est une corporation qui a pour objets d'établir, de faire fonctionner, d'entretenir et de gérer, pour la sécu- rité de la navigation, un service de pilotage effi- cace dans la région des Grands Lacs et de la voie maritime du Saint-Laurent. Elle détient ses pou- voirs en vertu de la Loi sur le pilotage qui lui permet entre autres, non seulement d'établir les règlements généraux nécessaires pour atteindre ces objets, notamment en prescrivant les navires ou catégories de navires assujettis au pilotage obliga- toire, mais en lui permettant d'imposer un droit de pilotage à tout navire assujetti au pilotage obliga- toire qui poursuit sa route dans une zone de pilo- tage obligatoire sans être sous la conduite d'un pilote breveté. Le navire est alors responsable envers l'Administration de tous les droits de pilo- tage comme s'il avait été sous la conduite d'un pilote breveté (article 34).
En 1983, la demanderesse a modifié l'article 4 de son Règlement de pilotage des Grands Lacs qui se lit maintenant ainsi:
4. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est assujetti au pilo- tage obligatoire tout navire d'une jauge brute de plus de 300 tonneaux, sauf
a) un traversier à horaire régulier;
b) un remorqueur
(i) qui ne remorque ni ne pousse un autre navire ou objet, ou
(ii) qui remorque ou pousse un navire
(A) de moins de 79,25 m de longueur, ou
(B) dans les limites d'un port;
c) un navire
(i) qui a été inspecté et pour lequel un certificat a été délivré par le Bureau d'inspection des navires à vapeur établi en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada,
(ii) qui navigue uniquement dans les Grands Lacs ou les eaux intérieures du Canada, sauf lors d'occasionnels voya ges de cabotage, et
(iii) qui est sous le commandement d'un capitaine ou d'un officier de pont
(A) qui est un membre régulier de l'équipage du navire,
(B) qui détient un certificat de capacité de la classe et de la catégorie appropriées, délivré par le ministre des Transports ou reconnu par lui aux fins du paragraphe 130(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, et
(C) qui possède un certificat délivré par le propriétaire du navire au cours des 12 derniers mois, qui atteste que le capitaine ou l'officier de pont a effectué dans la zone de pilotage obligatoire le navire navigue, au moins 10 voyages d'aller au cours des trois années précédant la date du certiticat;
d) un navire
(i) qui navigue uniquement dans les Grands Lacs ou les eaux intérieures du Canada, sauf lors d'occasionnels voya ges de cabotage, et
(ii) qui est sous le commandement d'un capitaine ou d'un officier de pont qui détient un certificat de compétence ou un document similaire délivré en vertu des lois des États- Unis, qui l'autorise à avoir le commandement du navire dans la zone de pilotage obligatoire celui-ci navigue.
Il peut être utile de rappeler que la modification à ce règlement avait été rendue nécessaire à la suite d'un jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Alaska Trainship Corpora tion et autre c. Administration de pilotage du Pacifique, ([1981] 1 R.C.S. 261), le plus haut tribunal avait déclaré ultra vires la disposition réglementaire antérieure on faisait du pays d'immatriculation du navire un critère d'assujettis- sement au pilotage obligatoire. La Cour suprême approuvait ainsi, en substance, la décision de la Cour d'appel fédérale ([ 1980] 2 C.F. 54), et celle de la division de première instance de la Cour fédérale [[1978] 1 C.F. 411], qui avaient toutes deux, à des degrés divers, désavoué ce règlement. Les tribunaux avaient alors décidé que l'Adminis- tration avait outrepassé ses fonctions: elle devait réglementer dans l'intérêt de la sécurité de la navigation mais le pays d'immatriculation était une exigence superflue qui n'avait rien à voir avec la sécurité, celle-ci étant déjà couverte par les autres conditions prévues au Règlement. À la suite de ces décisions, la demanderesse qui avait adopté un Règlement semblable à celui de l'Administra- tion du pilotage du Pacifique, a modifié l'ancien Règlement pour faire disparaître toute référence au pays d'immatriculation du navire. Est mainte- nant assujetti au pilotage obligatoire tout navire d'une jauge brute de plus de 300 tonneaux sauf celui qui détient un certificat du Bureau d'inspec- tion des navires à vapeur, dont le capitaine ou un officier de pont est qualifié et «qui navigue unique- ment dans les Grands Lacs ou les eaux intérieures du Canada, sauf lors d'occasionnels voyages de cabotage».
LES FAITS:
Les faits dans cette affaire sont fort simples et ont d'ailleurs, pour la plupart, fait l'objet d'admis- sions par les parties.
Le Selkirk Settler et le Canada Marquis, les deux vaisseaux impliqués dans ce litige, appartien- nent à la défenderesse. Tous deux s'inscrivent dans la catégorie des «lakers», bâtiments qui naviguent, comme leur nom l'indique, sur les eaux de la voie maritime du Saint-Laurent et des Grands Lacs. Par contre, ils peuvent en raison de leur construc tion particulière, naviguer sur les océans. Ces deux navires sont en parfaite condition ayant été mis à flot tout récemment, soit en 1983.
Le 3 mai 1985, le Canada Marquis réintégrait les eaux canadiennes après avoir navigué outre- mer durant la période de fermeture de la naviga tion maritime du Saint-Laurent. Le capitaine M. Armstrong, employé de la défenderesse, prit le navire en charge lors de son arrivée â Sept-Iles. Pilote expérimenté, le capitaine Armstrong navi- guait depuis plus de 30 ans sur les Grands Lacs. À l'hiver 1985, durant la période de fermeture hiver- nale de la voie maritime, ce dernier avait cepen- dant été mis à pied temporairement. Lorsque l'Ad- ministration de pilotage des Grands Lacs requit de la défenderesse d'admettre un pilote breveté à bord du Canada Marquis, à son arrivée à l'intérieur des eaux relevant de sa juridiction, son propriétaire s'y opposa. Selon elle, le capitaine Armstrong et les autres membres de l'équipage répondaient à tous les critères de sécurité requis par la Loi.
Le 10 mai 1985, c'était au tour du Selkirk Settler de rentrer au bercail. Ce navire était piloté par le capitaine E. Grieve, vieux loup de mer lui aussi. La défenderesse refusa à nouveau de laisser monter à bord un pilote désigné par l'Administra- tion de pilotage des Grands Lacs. Je signale que les capitaines Armstrong et Grieve satisfaisaient tous deux parfaitement aux exigences du sous-ali- néa 4(1)c)(iii) du Règlement.
S'autorisant de l'article 34 de la Loi, la deman- deresse factura Misener Shipping Limited pour obtenir paiement des droits de pilotage non hono rés par cette dernière. Le compte au montant de 17 574 $ est admis, mais la défenderesse refuse de l'acquitter.
Les parties ont également admis que la défende- resse, quant à ses deux navires, s'est conformée aux conditions prévues au sous-alinéa 4(1)c)(i) du Règlement et que ses capitaines M. Armstrong et E. Grieve rencontraient les conditions du sous-ali- néa 4(1)c)(iii) (pièces D-4 et D-5). Les voyages effectués outre-mer par chacun des deux navires ont fait l'objet d'une admission (voir D-1 et D-2). On y constate que depuis leur voyage inaugural en 1983, le Canada Marquis et le Selkirk Settler ont tous deux navigué entre les ports du Saint-Laurent et des Grands Lacs durant la période d'ouverture de la voie maritime soit, grosso modo, d'avril à novembre, et qu'ils ont navigué sur les océans de décembre à avril de chaque année. Une photo du Selkirk Settler (le Canada Marquis est identique) a été produite sous D-3.
Seul le président de son conseil d'administration, Richard Armstrong, a témoigné pour le compte de la demanderesse et nous référerons à son témoi- gnage ultérieurement.
En défense, on n'a fait entendre qu'un seul témoin, le capitaine Mark Vogt, directeur de la navigation et de la sécurité chez Misener Shipping Limited. Il a donné les principales caractéristiques de ces deux navires, chacun construit au coût approximatif de 42 000 000 $ en 1983. Ils entrent dans la catégorie des «lakers» en ce qu'ils sont construits pour la navigation sur les Grands Lacs mais sont de construction plus robuste et compor- tent les caractéristiques et tout l'équipement néces- saire pour la navigation en haute mer. Bien qu'ils puissent ainsi indistinctement naviguer dans les eaux intérieures ou en haute mer, le témoin refuse de les considérer comme des «salty lakers», cette catégorie de navire n'étant reconnue ni par la réglementation canadienne ni par le registre des Lloyds. En fait ces navires peuvent tout faire ce qu'un «laker» peut exécuter mais l'inverse n'est pas vrai. Ces navires ont obtenu leur certificat d'ins- pection et leurs pilotes ont la qualification néces- saire pour la navigation à l'intérieur des eaux contrôlées par la demanderesse. Cinq capitaines et cinq officiers de pont ont été entraînés pour ces bateaux et en ce qui concerne le Canada Marquis, le capitaine Armstrong en a pris charge à son arrivée à Sept-Îles le 3 mai 1985. Il possède l'expé- rience de la navigation sur les Grands Lacs depuis 1950. Il a été temporairement mis à pied à la
fermeture de la saison de navigation en 1984 et n'est remonté à bord que le 3 mai 1985. Quant au capitaine Grieve, il possède lui aussi une large expérience de la navigation sur les Grands Lacs. A la fin de la saison de navigation à l'automne 1984, il a pris deux mois de vacances puis est remonté à bord de son bateau qu'il a ramené au Canada, dans le port de Sept-Iles, il a pris une cargaison de fer à destination de Chicago. Il ajoutera plus tard en réinterrogatoire qu'à son avis, leurs capi- taines et officiers de pont, de par leurs connaissan- ces particulières des navires à la gouverne desquels ils ont été spécialement entraînés, et à cause de l'expérience qu'ils ont acquise à naviguer non seu- lement dans les eaux intérieures canadiennes mais ailleurs, sont tout ou moins aussi qualifiés sinon plus que les pilotes de la demanderesse.
LE DROIT:
Il n'y a pas de doute que si la disposition régle- mentaire 4(1)c)(ii) est jugée intra vires des pou- voirs de l'Administration du pilotage des Grands Lacs, Ltée, l'action devra être maintenue puisque la Loi sur le pilotage, à l'article 34, prévoit ce qui suit:
34. Sauf si l'Administration dispense du pilotage obligatoire, lorsqu'un navire assujetti au pilotage obligatoire poursuit sa route dans une zone de pilotage obligatoire sans être sous la conduite d'un pilote breveté ou du titulaire d'un certificat de pilotage, le navire est responsable envers l'Administration dont relève cette zone de tous les droits de pilotage, comme si le navire avait été sous la conduite d'un pilote breveté.
Le législateur a fixé les objets et pouvoirs affé- rents à une administration régionale. C'est l'article 12 de la Loi:
12. Une Administration a pour objets d'établir, de faire fonctionner, d'entretenir et de gérer, pour la sécurité de la navigation, un service de pilotage efficace dans la région indi- quée dans l'annexe en ce qui concerne cette Administration.
Ainsi, en plus de son pouvoir d'entretien et de gérance d'un service de pilotage, l'Administration a un pouvoir de réglementation. L'article 14 prévoit:
14. (1) Une Administration peut, avec l'approbation du gouverneur en conseil, établir les règlements généraux nécessai- res pour atteindre ses objets notamment, et sans restreindre la portée générale de ce qui précède, des règlements généraux
a) établissant des zones de pilotage obligatoire;
b) prescrivant les navires ou catégories de navires assujettis au pilotage obligatoire;
Les décisions rendues dans l'affaire Alaska Trainship, tant en Cour suprême qu'en Cour d'ap- pel fédérale, nous fournissent d'importants éclair- cissements sur la notion de sécurité de la naviga tion qu'on retrouve à l'article 12 de la Loi et sur la portée du paragraphe 14(1), plus précisément à son alinéa b).
Le procureur de la demanderesse ne met pas en doute le pouvoir détenu par toute cour de justice d'annuler un règlement qui ne s'accorde pas avec les objectifs prévus par la loi habilitante: The King v. National Fish Company Ltd., [1931] R.C.É. 75, à la page 81; Texaco Canada Ltd. c. Corporation of City of Vanier, [1981] 1 R.C.S. 254. Au même effet, lorsqu'elle pose un geste dans l'exercice de ses fonctions, l'autorité administrative ne doit pas se fonder sur des considérations étrangères au texte de loi. Sa seule inspiration doit émaner de l'esprit de la législation qui l'autorise et des objec- tifs visés par cette dernière: Prince George (Ville de) c. Payne, [1978] 1 R.C.S. 458, la page 463.
La Loi, par le biais de son article 14, accorde aux Administrations le pouvoir d'édicter des règle- ments «nécessaires pour atteindre ses objets» et notamment en «prescrivant les navires ou catégo- ries de navires assujettis au pilotage obligatoire».
Cette disposition suscite une double interroga tion: 1) qu'en est-il des règlements généraux néces- saires à l'atteinte des objectifs? S'agit-il de ce qui peut être commode à la réalisation des fins ou entend-on ainsi restreindre davantage le pouvoir discrétionnaire de l'Administration? 2) Jusqu'où doit-on étendre la notion de sécurité de la naviga tion, premier objet de la Loi?
Quant à la première question, il m'apparait qu'en utilisant le mot «nécessaire» plutôt que «utile», «convenable», termes qu'on rencontre à l'occasion dans les textes le législateur accorde un pouvoir réglementaire, le Parlement a voulu limiter davantage non pas l'exercice de ce pouvoir puisqu'on a pris la précaution d'ajouter dans le texte habilitant «sans restreindre la portée générale de ce qui précède», mais le restreindre à son vérita- ble objectif, la sécurité de la navigation. Dussault & Borgeat, dans leur Traité de droit administratif (Tome 1, page 955) émettent le commentaire sui- vant à propos d'une disposition législative qui
permet à une autorité réglementante d'«adopter tous les règlements nécessaires à la mise en appli cation d'une loi»:
Dans un pareil cas, il est évident que le Parlement ne désire pas s'en remettre à la seule appréciation de l'autorité réglemen- tante, mais préfère plutôt imposer un test objectif du caractère «nécessaire» des règlements adoptés. Une telle disposition, loin d'augmenter la discrétion de l'organisme habile à réglementer, vient plutôt restreindre son champ éventuel d'activité en lui imposant une condition ou une exigence supplémentaire qui donne encore plus de prise à une contestation judiciaire. Voir The Municipality of Metropolitan Toronto v. The Corporation of the Village of Forest Hill, [1957] R.C.S. 569.
Quant aux objets visés par la Loi sur le pilotage et dont les Administrations devaient s'inspirer dans l'exercice de leurs pouvoirs de réglementation, la Cour suprême, dans l'affaire Alaska Trainship (op. cit., aux pages 268 et 269), s'est attardée à les préciser:
Il ressort des premiers mots du par. 14(1) que le pouvoir de réglementation d'une administration est limité par l'exigence que les règlements doivent être établis dans la poursuite de ses objets ou en conformité avec eux. Ces objets sont énumérés à l'art. 12 de la Loi dans les termes suivants:
12. Une Administration a pour objets d'établir, de faire fonctionner, d'entretenir et de gérer, pour la sécurité de la navigation, un service de pilotage efficace dans la région indiquée dans l'annexe en ce qui concerne cette Administra tion.
Je désire souligner que le par. 14(1) parle de «règlements généraux nécessaires pour atteindre ses objets». Que ces mots soient suivis des mots «notamment, et sans restreindre la portée générale de ce qui précède», n'a pas pour effet, à mon avis, d'accorder des pouvoirs de réglementation plus larges, quoique cela puisse commander une interprétation libérale du facteur dominant, «la sécurité de la navigation», énoncé à l'art. 12. Le pouvoir de réglementation attribué à l'art. 14 porte presque exclusivement sur l'établissement de zones de pilotage et sur les brevets et certificats de pilotage et il est donc intimement relié à la sécurité d'un service de pilotage. [C'est moi qui souligne.]
Dans cette affaire, comme nous l'avons écrit au début, il s'agissait de déterminer la validité d'un règlement faisant du lieu d'immatriculation d'un navire une condition d'exemption du pilotage obli- gatoire. Le juge en chef Dickson déclara qu'il n'existait aucun lien entre le pavillon d'un vaisseau et la sécurité de la navigation. Conséquemment, la disposition en litige fut déclarée ultra vires des pouvoirs de réglementation alloués aux Adminis trations.
Le procureur de la demanderesse ne conteste aucunement la sagesse du jugement rendu dans l'affaire Alaska Trainship, précitée. Au contraire, en s'appuyant sur l'affirmation précitée du juge en
chef, il prétend «[qu'] une interprétation libérale du facteur dominant, "la sécurité de la naviga tion", énoncé à l'article 12», devrait amener cette Cour à conclure que le sous-alinéa 4(1)c)(ii) du Règlement est intra vires des pouvoirs de régle- mentation accordés par la loi aux Administrations. Il allègue que les trois critères apparaissant à l'alinéa 4(1)c) du Règlement sont indissociables et que chacun d'eux se rapporte à la sécurité de la navigation. Selon lui, le but visé par le Règlement est de favoriser les utilisateurs courants du sys- tème, soit ceux qui sont familiers avec la naviga tion sur les eaux intérieures canadiennes.
Qu'une interprétation libérale soit de rigueur, cela m'apparaît indubitable. Néanmoins, cette interprétation ne doit pas quitter le sillon tracé par les articles 12 et 14 de la Loi. Le but ultime de la réglementation doit résider dans l'implantation d'un service de pilotage destiné à garantir la sécurité de la navigation. Il s'ensuit qu'un règle- ment ne pourrait être valide si, par exemple, un souci de financement avait été à la source de son adoption. En l'espèce, le procureur de Misener Shipping Limited, sans prétendre que la demande- resse a agi de mauvaise foi, laisse entendre que le conseil d'administration, composé en partie de pilotes, avait un intérêt certain à adopter cette disposition. En effet, l'application méthodique de ce règlement réduit considérablement le nombre de navires pouvant jouir d'une exemption du pilotage obligatoire. La Cour d'appel fédérale ainsi que la Cour suprême, dans l'affaire Alaska, précitée, ont refusé de nier à l'Administration, en l'absence d'allégations probantes de mauvaise foi, le pouvoir d'exercer son autorité réglementaire lors même qu'il puisse en résulter un avantage pécuniaire (pages 273 et 274 R.C.S.). Néanmoins, il ressort de ces deux arrêts qu'il peut être tenu compte de cet «intérêt» lorsque se pose la question de savoir si le critère d'assujettissement au pilotage obligatoire est bel et bien lié à la sécurité de la navigation et non à de strictes considérations de nature économi- ques ou financières. Dans cette dernière éventua- lit& un tel critère d'assujettissement ne répondrait pas aux objectifs visés par la loi habilitante.
La Cour suprême, dans l'affaire Alaska Trains - hip, précitée, a fait siens les motifs de la Cour d'appel fédérale en ce qui a trait à la caractérisa-
tion de ce qu'embrasse le concept de «sécurité de la navigation»: le juge Le Dain (alors à la Cour d'appel fédérale) s'exprimait ainsi (op. cit. pages 78 et 79 C.F.):
Bien que la meilleure façon d'assurer la sécurité soit de vérifier et de certifier la compétence d'un officier pour la conduite d'un navire dans une zone de pilotage déterminée, je suis d'avis que le pays d'immatriculation ou le pavillon d'un navire ne peut être, en principe, complètement dissocié de la question de la sécurité de la navigation puisque le pilotage des navires influe sur cette sécurité. A part des facteurs tels que la dimension, la maniabilité et les aides à la navigation—facteurs liés aux caractéristiques physiques d'un navire et à son équipe- ment—les facteurs essentiels qui influent sur la sécurité de la navigation, pour autant que le pilotage des navires soit con cerné, sont la compétence du capitaine ou de l'officier chargé de piloter le navire et sa connaissance des eaux locales. Le pays d'immatriculation peut engendrer une présomption de compé- tence et de connaissance des eaux locales. Cela n'est peut-être pas un critère suffisant en soi, mais ça ne peut toutefois être complètement dissocié de la question de sécurité.
Par contre, je suis d'avis que dans le contexte de l'article 9(2)a)(iii) du Règlement, le pays d'immatriculation n'est pas lié à la question de sécurité. En effet, puisque la sécurité est assurée par les autres conditions qui s'y trouvent spécifiées, notamment celles touchant la compétence du capitaine ou de l'officier de quart à la passerelle et sa connaissance des eaux locales, le pays d'immatriculation devient alors une exigence superflue et qui ne peut figurer que pour servir d'autres buts non autorisés par la Loi. Il est notoire qu'à part la condition du pays d'immatriculation, le S.S. Alaska se qualifie nettement pour bénéficier de cette exception au pilotage obligatoire. J'ap- prouve l'argument des propriétaires et exploitants du navire suivant lequel cette disposition discrimine contre eux dans un sens qui, dans ce contexte particulier, n'est pas autorisé par la Loi. On peut en dire de même, je pense, de l'article 10(1)a) du Règlement qui traite des dispenses. Là, la référence à l'imma- triculation aux États-Unis peut servir à révéler la nature du certificat de compétence requis, mais je pense que le même principe doit s'appliquer. les conditions de dispense s'expriment par la compétence spécifique et la connaissance des eaux locales, le pays d'immatriculation est sans importance. [C'est moi qui souligne.]
Pour employer les termes de M. le juge en chef Dickson, le litige, en l'espèce, peut s'exprimer de la façon suivante: «En un mot, il faut déterminer si faire reposer la demande d'exemption sur ... [le fait pour un navire de n'avoir pas quitté les eaux intérieures canadiennes] peut à bon droit être con- sidéré comme une question de sécurité ou une question y reliée, dans la réalisation des objets de l'Administration en vertu de l'article 12» (page 275 R.C.S.).
Pour jouir de l'exemption prévue à l'alinéa 4(1)c) du Règlement, le défendeur doit satisfaire aux trois critères qui y sont stipulés. Pour plus de
clarté, nous reproduisons à nouveau, partie de cet article:
4. (1) Sous réserve du paragraphe (2), est assujetti au pilo- tage obligatoire tout navire d'une jauge brute de plus de 300 tonneaux, sauf
c) un navire
(i) qui a été inspecté et pour lequel un certificat a été délivré par le Bureau d'inspection des navires à vapeur établi en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada,
(ii) qui navigue uniquement dans les Grands Lacs ou les eaux intérieures du Canada, sauf lors d'occasionnels voya ges de cabotage, et
(iii) qui est sous le commandement d'un capitaine ou d'un officier de pont
(A) qui est un membre régulier de l'équipage du navire,
(B) qui détient un certificat de capacité de la classe et de la catégorie appropriées, délivré par le ministre des Transports ou reconnu par lui aux fins du paragraphe 130(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, et
(C) qui possède un certificat délivré par le propriétaire du navire au cours des 12 derniers mois, qui atteste que le capitaine ou l'officer de pont a effectué dans la zone de pilotage obligatoire le navire navigue, au moins 10 voyages d'aller au cours des trois années précédant la date du certificat; [C'est moi qui souligne.]
Or, si l'on garde en mémoire la définition de «sécurité» telle qu'énoncée par la Cour d'appel, il ne fait pas de doute que les sous-alinéas (i) et (iii) établissent des critères d'assujettissement au pilo- tage obligatoire qui répondent parfaitement aux objectifs visés par les articles 12 et 14 de la Loi. Le premier de ces sous-alinéas se rapporte aux carac- téristiques physiques du navire et à son équipe- ment. La sécurité maritime exige évidemment que seuls les vaisseaux en bonne condition puissent appareiller. Le troisième sous-alinéa se rattache à la compétence de l'officier en charge du navire. Il va sans dire que sur lui repose le fardeau imposant de la sécurité de son propre vaisseau ainsi que de ceux qu'il sera appelé à croiser sur son chemin. Il a d'ailleurs été admis par la demanderesse que Mise- ner Shipping Limited s'était conformée aux exi- gences prévues aux sous-alinéas 4(1)c)(1) et 4(1)c)(iii) du Règlement (pièces D-4 et D-5). Appelé à témoigner au sujet des raisons qui ont amené le conseil d'administration à adopter les sous-alinéas 4(1)c)(i),(ii) et (iii) du Règlement, M. Richard Armstrong, président du conseil, n'a eu aucune peine à justifier l'existence de la pre- mière et de la dernière de ces sous-dispositions. Par
contre, son assurance et sa faculté de persuasion se sont grandement attiédies lorsque vint le moment de défendre la cause du deuxième sous-alinéa. Il a alors réénoncé l'argument majeur de la demande- resse, à savoir que la sécurité de la navigation requiert une connaissance approfondie des eaux intérieures et le sous-alinéa en litige, dans la pour- sûite de cet objectif, vise à garantir que seuls des pilotes compétents seront admis à sillonner la voie maritime. M. Armstrong a fortement hésité lors- que demande lui fut faite de préciser la logique d'un règlement obligeant un navire transocéanique quit ferait un seul voyage outre-mer à devoir utili- ser 'les services d'un pilote de la demanderesse à son retour.
R. Eh bien, lorsqu'un navire part, nous ne savons pas s'il va faire un (1) seul voyage ou des voyages, ni s'il va à Rotterdam, à Leningrad, au Moyen-Orient, en Amérique du Sud ou en Afrique. Nous ne connaissons ni sa destina tion ni sa date de retour. En conséquence, le Règlement est rédigé en termes généraux.
Q. Et le Règlement vise à faire en sorte que les navires qui bénéficient d'une exemption naviguent en toute sécurité?
R. C'est ce qu'il vise essentiellement, oui.
Q. Alors pourquoi un navire comme le Settler ou le Marquis qui gagne l'Europe en hiver devient-il dangereux?
R. Eh bien, je n'en connais pas exactement la raison, mais je suis certain que l'équipage qui se trouve à bord pratique probablement la navigation, et, en fait, la navigation en haute mer. Si je comprends bien, lorsqu'il se rend dans un port étranger, c'est un pilote étranger et donc pas néces- sairement l'équipage qui dirige le navire,—celui-ci est manoeuvré par d'autres personnes—et lorsque l'équipage dirige le navire, il s'agit probablement d'un cas de naviga tion en haute mer qui est différent de la navigation dans les eaux intérieures en raison des conditions météorologi- ques et d'autres facteurs semblables qui sont particuliers aux Grands Lacs.
Aussi le témoin a-t-il rappelé à plusieurs reprises que cette exigence du Règlement visait à «refami- liariser» avec les eaux intérieures du Canada un équipage qui s'en était éloigné temporairement.
L'extrait suivant de son témoignage nous permet de comprendre la raison d'être de cette condition:
PAR M e JACQUES LAURIN: (reprenant le contre-interroga- toire)
Q. Maintenant, cette mention des routes commerciales du navire ne pourrait-elle pas être supprimée sans que le Règlement change véritablement alors que tout se rap- porte aux facteurs importants: connaissances du capitaine ou de l'officier de quart?
R. Eh bien, je ne pense pas que supprimer cette mention améliorerait nécessairement la situation. Comme je l'ai dit, elle visait à reconnaître une exigence selon laquelle chaque type de navire qui naviguait ou faisait des voyages sur les Grands Lacs, devait s'assurer de la compétence de son équipage et de la composition de son personnel. Et c'était le—tels étaient les critères et les raisons pour lesquels une exemption a été accordée, et la délivrance du certificat, je suppose, n'a pas été imposée immédiatement.
Q. Mais—ne conviendrez-vous pas avec moi que c'est redon- dant, que cela ne se rapporte pas réellement aux facteurs importants qui sont les connaissances du capitaine ou de l'officier de quart?
R. Non, je ne pense pas que ce soit redondant. Je pense que cette mention vise une fin utile si on tient compte égale- ment des autres éléments. Parce que, comme je dis, on ne sait pas quand un navire part et qu'il va à l'extérieur, s'il va être affrété à l'extérieur pour un an, si l'équipage va rester à bord; on ne sait pas, au moment du départ du navire, ce qui va se passer, ce qui nous oblige à rédiger un règlement qui prévoit que si vous partez pour dix (10) jours, vous pouvez faire quelque chose; si vous partez pour onze (11) jours, vous ne le pouvez.
Q. D'après vous, c'est le seul but utile ...
R. Eh bien, nous avons ...
Q. (intervenant) ... le fait que le navire puisse être à l'extérieur et affecté pour un an?
R. Ce critère vise une fin utile, qui est d'essayer d'assurer une certaine sécurité dans la région des Grands Lacs.
Q. Mais en quoi cela concerne-t-il ceux qui pilotent les navires sur les Grands Lacs?
R. Je ne crois pas avoir compris votre question.
Q. Vous dites que cela a une fin utile, parce que le navire peut être affrété ou peut être à l'extérieur du système, et vous avez à plusieurs reprises soutenu que le fait pour le capitaine ou l'officier de quart de connaître les conditions locales de navigation constituait l'élément le plus important.
Voici ma question: lorsque le navire revient,—après être parti pour l'extérieur pendant un an—quel est le rapport entre l'élément «routes commerciales du navire» et cette question de sécurité fondée sur la connaissance des conditions locales?
R. Eh bien, cela se rapporte à—de nouveau, si les membres de l'équipage font partie de ce navire qui a été à l'étran- ger pendant un an, ils n'ont certainement pas fait de navigation au cours de ladite année; ils n'ont pas eu l'expérience des Grands Lacs—ils ne sont probablement pas au courant des conditions récentes—avec les condi tions changeantes et la marée haute et tout ce qui aurait pu survenir; les aides à la navigation ont été changées, déplacées, enlevées ou ajoutées—peu importe.
Q. Si j'accepte ce que vous dites, un capitaine qui bénéficie d'une exemption et qui ne navigue pas pendant trois (3)
ans, sera toujours exempté à son retour à bord du navire. Mais s'il fait un (1) seul voyage à l'extérieur, il ne sera plus exempté à son retour dans les Grands Lacs l'année suivante?
R. Eh bien, c'est ce qui se passe, c'est l'effet que produit le Règlement. Comme je l'ai dit, il s'agissait en premier lieu d'une mesure transitoire destinée à disparaître un jour ou l'autre, car partout ailleurs, un capitaine est tenu de faire cinq (5) voyages par an pour avoir droit à l'exemption. Il s'agissait donc d'une mesure provisoire qui précédait quelque chose d'autre, vu la résistance et les pressions exercées par différentes personnes à cet égard.
Lors de son interrogatoire au préalable, M. Armstrong avait déjà fait montre de difficultés à justifier la raison d'être du sous-alinéa en litige:
De nouveau, dans ce cas, est-ce que le fait que le navire avait navigué en Europe et au-delà des limites fixées par le Règle- ment était la seule raison pour laquelle vous exigiez qu'il y avait un pilote à son bord?
Réponse: Oui, il a navigué au-delà des limites du Règlement.
Question: Selon vous, est-ce que, du point de vue, disons, de la navigation, les endroits se trouve un navire influent sur sa sécurité? Ce n'est pas clair. Je vais essayer de poser à nouveau ma question.
Pensez-vous que, du point de vue de la sécurité, les endroits le navire a navigué ont de l'importance?
Réponse: Il y a probablement un élément important de sécurité qui intervient parce que les navires dont nous parlons sont appelés «laquiers-océaniques». Ils ne sont ni conçus ni construits comme un Jaquier. Ils sont construits et conçus d'une façon différente et, par conséquent, ils ont des murailles évasées et des avants-dévers et une voilure beaucoup plus importante qui sont sensibles aux vagues—à l'effet du vent et des vagues, il y a aussi le fait que, lorsqu'ils sont à l'extérieur du système, les capitaines de ces navires font probablement et dans une grande mesure de la navigation en haute mer.
Quand ils se trouvent dans ces ports européens et autres, ils sont manoeuvrés par des pilotes ayant la nationalité du pays ils vont et, je pense donc qu'un élément de sécurité intervient.
Pour ce qui est de la conception et du pilotage des navires, lorsqu'ils reviennent dans le système des Grands Lacs, qui est un système intérieur composé de chenaux et d'écluses étroits qui exige de très nombreuses manoeuvres et qui est soumis à des conditions météorologiques variées, cela peut affecter la conduite.
Question: Dans les cas qui nous concernent, c'est-à-dire le Canada Marquis et le Selkirk Settler—étaient-ils, n'étaient-ils pas manoeuvrés par des capitaines qui eux-mêmes n'étaient pas assujettis au pilotage parce qu'ils avaient fait le nombre de voyages requis?
Réponse: Des capitaines les pilotaient. À cet égard, faites-moi connaître la condition exacte, mais ce que j'ai voulu dire se rapportait au fait que lorsqu'un navire va à l'extérieur, il y a une période durant laquelle les capitaines en question n'utili-
scient pas leur connaissances des Grands Lacs, et ce ne sont même pas eux qui dirigent le navire dans les zones intérieures des ports étrangers. Ce sont les pilotes.
Bref, selon la demanderesse, puisque la sécurité de la navigation exige une connaissance fouillée des eaux intérieures, la disposition en litige satis- fait à cette exigence puisqu'elle prévoit que les navires évoluant sur la voie maritime seront pilotés par des officiers compétents.
Selon moi, le simple fait pour un navire de quitter les eaux intérieures canadiennes ne peut avoir pour effet de transformer ce dernier en un danger pour la sécurité de la navigation (au sens l'a définie la Cour d'appel fédérale) lorsqu'é- ventuellement il réintégrera le territoire canadien. Tout comme le disait M. le juge Le Dain dans l'affaire Alaska Trainship, précitée, la sécurité de la navigation, en l'espèce, est assurée par les autres conditions énoncées à l'alinéa 4(1)c) du Règle- ment, notamment les exigences quant au bon entretien du vaisseau [4(1)c)(1)] et quant à la compétence de l'officier qui le pilote [4(1)c)(iii)]. Somme toute, le critère énoncé au sous-alinéa 4(1)c)(ii) constitue "une exigence superflue et qui ne peut figurer que pour servir d'autres buts non autorisés par la Loi «(M. le juge Le Dain, page 78). En effet, tel qu'exprimé par la Cour d'appel fédérale, la sécurité ne comprend que trois (3) éléments: 1) les facteurs liés aux caractéristiques physiques du navire; 2) la compétence du capitaine ou de l'officier chargé de piloter le navire et; 3) leur connaissance respective des eaux locales. Or, un navire est-il en moins bon état, le capitaine est-il moins compétent parce que le vaisseau réin- tègre les eaux intérieures canadiennes? En l'occur- rence, il a été mis en preuve que lors de son retour au sein de la voie maritime, le Canada Marquis a été pris en charge par le capitaine M. Armstrong. Or, il n'est pas en doute que ce dernier était hautement qualifié pour ce faire puisqu'il navigue depuis plus de trente (30) ans sur ladite voie maritime. Qui plus est, il n'a pas pu «souiller» ses connaissances en navigation fluviale puisqu'il n'est pas allé sillonner d'autres océans durant la période hivernale. Rappelons-le, M. Armstrong avait été mis à pied temporairement durant cette période. En outre, il ressort du témoignage du capitaine Vogt, témoin pour la partie défenderesse, qu'un capitaine qui navigue outre-mer pendant l'hiver est tout au moins aussi compétent que celui qui attend patiemment chez lui le retour de la saison douce.
Compétence et bon entretien sont les deux seuls critères étayant cette notion de sécurité. Tel que le disait la Cour d'appel, il est peut-être permis de penser que le fait pour un bateau de ne jamais quitter la région des Grands Lacs puisse constituer une présomption de compétence et de connaissance des eaux locales (page 78), néanmoins, il reste que ce n'est pas un critère déterminant au sens l'entendent les articles 12 et 14 de la Loi.
En outre, la demanderesse soutient que l'adop- tion du sous-alinéa 4(1)c)(ii) du Règlement est autorisée par l'alinéa 14(1)b) de la Loi qui auto- rise, dans l'intérêt de la sécurité, la promulgation de règlements prescrivant les navires ou catégories de navires pouvant être assujettis au pilotage obli- gatoire. La demanderesse s'appuie plus particuliè- rement sur le passage suivant des motifs de M. le juge Le Dain (page 84):
L'Administration pourrait certes choisir, comme méthode visant à assurer un contrôle efficace dans l'intérêt de la sécu- rité, d'astreindre tous les navires d'un certain type et de certai- nes dimensions au pilotage obligatoire, la seule exception à cela étant la disposition relative au certificat de pilotage. Je ne vois pas comment l'on pourrait qualifier d'ultra vires pareil exercice du pouvoir réglementaire.
Selon la demanderesse, le sous-alinéa 4(1)c)(ii) établit en pratique une distinction entre les vais- seaux naviguant sur les Grands Lacs: les ; ,«lakers» proprement dits et les «salty lakers», qui eux ne naviguent pas uniquement dans les Grands Lacs ou les eaux intérieures du Canada mais sont aussi construits et équipés pour la navigation transocéa- nique. En effet, selon elle, il existe une différence entre ces deux (2) catégories de navires, en ce que les «salty lakers» possèdent toutes les qualités des «lakers» mais que l'inverse n'est pas vrai. En somme, le sous-alinéa aurait l'effet pratique «d'as- treindre tous les navires d'un certain type et de certaines dimensions (soit ceux qui quittent les eaux intérieures canadiennes) au pilotage obliga- toire» ce qui, selon la demanderesse, ne le rend pas ultra vires pour autant.
Je désire rappeler qu'avant d'émettre l'opinion précitée (car il ne s'agit, en effet, que d'une opi nion sur un éventuel règlement amendé), M. le juge Le Dain avait réaffirmé que l'Administration «n'avait pas le droit d'essayer de limiter une caté- gorie proposée d'exemptions ou de dispenses d'après un critère sans rapport avec la sécurité» (page 84). Il est vrai que des règlements portant
sur le type et les dimensions d'un vaisseau peuvent être justifiés étant donné leur impact possible sur la sécurité de la navigation. Tout dépendant de son tonnage et de ses dimensions, un navire peut, en effet, constituer une source de danger importante ou, au contraire, n'en représenter aucune pour les autres bateaux. Néanmoins, le sens ordinaire des mots employés à l'alinéa 14(1)b) de la Loi nous amène à conclure que les catégories de navires dont on parle à cet article se distinguent les unes des autres selon certaines normes fondées sur les caractéristiques physiques des navires. C'est d'ail- leurs ce que M. le juge Le Dain laisse entendre lorsqu'il parle de «tous les navires d'un certain type et de certaines dimensions» (c'est moi qui souli- gne). En l'espèce, le sous-alinéa 4(1)c)(ii) établit une différence qui trouve sa source, non pas dans de telles distinctions de nature physique, mais bien en fonction de l'aire de déplacement de certains navires. Je suis d'avis que ce n'est pas ce genre de distinction qui est autorisé par l'alinéa 14(1)b) de la Loi. De toute façon en admettant que cette distinction soit légitime, elle doit répondre à un critère additionnel. Elle doit pouvoir se justifier en regard de l'objectif de sécurité prévu par la Loi. Or, tel qu'explicité plus haut, il n'existe aucun lien entre le fait pour un bateau de quitter les eaux canadiennes et la notion de sécurité telle que défi- nie par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Alaska Trainship, précitée. Il est faux de dire que le sous-alinéa 4(1)c) (ii) du Règlement établit une distinction entre les sortes de vaisseaux naviguant sur les Grands Lacs. Il vise plutôt à établir une distinction qui n'a pas sa raison d'être parce que non justifiée par la Loi.
De plus, il appert de la preuve que cette nuance qu'établit la demanderesse entre les «lakers» et les «salty lakers», en plus de n'être pas reconnue au sous-alinéa 4(1)c)(ii), n'existe pas dans les faits. Nulle part n'est-il fait mention de différences entre ces deux types de vaisseaux. Le Lloyds Registry, dans lequel sont répertoriés tous les navires évo- luant sur les mers et les océans, ne signale l'exis- tence d'aucune catégorie de navires cataloguée sous l'appellation de «salty lakers». J'en viens à la conclusion que le sous-alinéa 4(1)c) (ii) du Règle- ment engendre, contre la défenderesse, une discri mination qui n'est pas autorisée par la Loi.
CONCLUSION:
Conséquemment, je suis d'avis que le sous-alinéa 4(1)c)(ii) est ultra vires des pouvoirs de réglemen- tation accordés à l'Administration par le biais des articles 12 et 14 de la Loi en ce qu'il n'a aucun rapport avec la sécurité de la navigation telle que la définissait M. le juge Le Dain dans l'affaire Alaska Trainship, précitée.
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