A-456-86
Victor Dayan (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: DAYAN C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET
DE L'IMMIGRATION)
Cour d'appel, juges Urie, Stone et MacGuigan—
Toronto, 13 février; Ottawa, 5 mars 1987.
Immigration — Expulsion — Le requérant fait partie d'une
catégorie de personnes non admissibles — Il a été déclaré
coupable de vol qualifié en Israël — Si l'infraction avait été
commise au Canada, elle entraînerait une condamnation en
vertu de l'art. 302 du Code criminel — Équivalence entre le
droit pénal étranger et le droit pénal canadien — Critères —
L'existence des éléments essentiels de l'infraction de vol quali-
fié au Canada a été prouvée dans le cadre des procédures
étrangères -- Il aurait fallu prouver l'existence des disposi
tions de la loi israélienne ou leur absence — Il n'y a pas lieu
de recourir à la notion de malum in se lorsque l'infraction a
été commise dans un pays de common law — Demande de
contrôle judiciaire rejetée — Loi sur l'immigration de 1976,
S.C. 1976-77, chap. 52, art. 19(1)c), 27(2)a) — Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, art. 28.
Justice criminelle et pénale — Preuve — Le requérant a été
déclaré coupable de vol qualifié en Israël — Il s'est vu refuser
l'entrée au Canada parce qu'il fait partie d'une catégorie de
personnes non admissibles — Équivalence entre le droit pénal
étranger et le droit pénal canadien — Il n'est pas possible de
comparer les dispositions législatives car on n'a pas prouvé le
droit étranger — Critère: l'existence des éléments essentiels du
vol qualifié au Canada a-t-elle été prouvée dans le cadre des
procédures étrangères? — «Voler» constitue un élément essen-
tiel du vol qualifié en common law et à l'art. 302 du Code
criminel — Il a été prouvé que le requérant a pris de l'argent
.de façon frauduleuse et sans apparence de droit» comme il
est prévu à l'art. 283 du Code — Il ne faut recourir à la notion
de malum in se pour prouver l'équivalence de deux lois que
dans le cas des pays qui ne sont pas de common law — Code
criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 2, 283(1)a), 302, 303
(mod. par S.C. 1972, chap. 13, art. 70).
Il s'agit d'une demande fondée sur l'article 28 et formée
contre une ordonnance d'expulsion. Sur le fondement des élé-
ments de preuve qui lui ont été présentés, l'arbitre a conclu que
le requérant avait été reconnu coupable de vol en Israël,
infraction qui, si elle avait été commise au Canada, aurait
entraîné une condamnation en vertu du Code criminel et une
peine maximale d'au moins dix ans d'emprisonnement. Le
requérant s'est donc vu refuser l'entrée au Canada parce qu'il
faisait partie d'une catégorie de personnes non admissibles visée
à l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration de 1976. Une
ordonnance d'expulsion a été rendue à cet effet. Le requérant
soutient qu'il faut prouver l'existence des éléments de l'infrac-
tion commise dans le ressort étranger pour être en mesure
d'établir que, si elle avait été commise au Canada, l'infraction
dont le requérant a été déclaré coupable entraînerait ou pour-
rait entraîner une condamnation au Canada ainsi qu'il est
prévu à l'alinéa 19(1)c) de la Loi.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
La prétention du requérant relativement aux éléments requis
pour établir l'équivalence entre le droit pénal étranger et le
droit pénal canadien ne pouvait pas être acceptée. Dans l'arrêt
Hill c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration),
notre Cour a indiqué trois moyens d'établir l'équivalence: (1)
en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des
lois; (2) en examinant la preuve présentée devant l'arbitre afin
d'établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments
essentiels de l'infraction au Canada avaient été établis dans le
cadre des procédures étrangères; (3) au moyen d'une combinai-
son de cette première et de cette seconde démarches. En
l'espèce, vu qu'on n'a fait la preuve d'aucune disposition législa-
tive du droit israélien, il a fallu recourir au deuxième critère.
Israël est un pays de common law, tout comme le Canada.
En common law, l'infraction de vol qualifié est essentiellement
un «vol,, qui est également un élément essentiel de l'infraction
de vol qualifié définie à l'article 302 du Code criminel cana-
dien. Selon l'article 2 du Code, «voler» désigne le fait de
commettre un vol. En vertu de l'article 283, la chose doit être
prise frauduleusement et sans apparence de droit. Il est ressorti
clairement de la preuve versée au dossier que le requérant a
participé au vol d'une somme d'argent à l'égard de laquelle
aucun des participants n'avait une apparence de droit et dont le
vol était contraire à la loi ainsi que l'indique la liste des
condamnations au criminel. Ayant constaté que le requérant
avait été déclaré coupable de vol qualifié en Israël et qu'une
arme avait été utilisée dans la perpétration de l'infraction,
l'arbitre était en droit de conclure que le requérant avait été
déclaré coupable d'une infraction punissable en vertu de l'arti-
cle 302 du Code et pour laquelle une peine d'emprisonnement
de plus de dix ans aurait pu être infligée en vertu de l'article
303 du Code.
En l'espèce, il aurait fallu faire la preuve des dispositions de
la loi israélienne ou bien établir que de telles dispositions
n'existent pas. Dans sa décision, l'arbitre a appliqué la notion
de malum in se et a conclu que, étant donné que le crime de vol
qualifié constitue un malum in se dans chacun des deux pays, il
y avait lieu de croire que la loi israélienne coïncidait avec la loi
canadienne. Le recours à la notion de malum in se afin de
prouver l'équivalence d'une infraction avec les dispositions du
Code criminel canadien est un moyen auquel les autorités de
l'immigration ne devraient avoir recours que lorsque pour une
très bonne raison, dont l'arbitre doit être convaincu, il a été
difficile de faire la preuve du droit étranger et qu'il ne s'agit
pas du droit d'un pays de common law.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Hill c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion), Cour fédérale, Division d'appel, A-514-86, juge-
ment en date du 29 janvier 1987, non encore publié.
DÉCISIONS CITÉES:
Button c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immi-
gration, [1975] C.F. 277 (C.A.); Clarke c. Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration, Cour fédérale, Division
d'appel, A-588-84, jugement en date du 31 octobre 1984,
non publié.
AVOCATS:
J. S. Guberman pour le requérant.
A. Burey pour l'intimé.
PROCUREURS:
Green & Spiegel, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Le requérant, qui est citoyen
israélien, est entré au Canada en mai 1982 titre
de visiteur. Le 2 octobre 1985, une enquête a été
entamée en vue de déterminer, entre autres, si le
requérant était une personne visée à l'alinéa
27(2)a) de la Loi sur l'immigration de 1976 («la
Loi») [S.C. 1976-77, chap. 52] c'est-à-dire si, dans
l'éventualité où il demanderait une autorisation de
séjour au Canada, il pourrait se voir refuser [cette]
autorisation ... du fait qu' [il] fait partie d'une
catégorie non admissible» visée à l'alinéa 19(1)c)
de la Loi, qui est libellé comme suit:
19. (1) Ne sont pas admissibles
c) les personnes qui ont été déclarées coupables d'une infrac
tion qui constitue, qu'elle ait été commise au Canada ou à
l'étranger, une infraction qui peut être punissable, en vertu
d'une loi du Parlement, d'une peine maximale d'au moins dix
ans d'emprisonnement, à l'exception de celles qui établissent
à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'elles se sont
réhabilitées et que cinq ans au moins se sont écoulés depuis
l'expiration de leur peine;
Le 10 juillet 1986, on a jugé qu'il faisait partie
de cette catégorie et on a ordonné son expulsion.
C'est contre cette ordonnance qu'est formée la
présente demande fondée sur l'article 28.
La seule question soulevée par la présente
demande est de savoir si le requérant avait été ou
non déclaré coupable en Israël d'une infraction
qui, si elle avait été commise au Canada, aurait
constitué une infraction qui aurait pu être punissa-
ble, en vertu d'une loi du Parlement du Canada (le
Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34]), d'une
peine maximale d'au moins dix ans.
Pour rendre sa décision sur cette question, l'ar-
bitre avait pris connaissance des éléments de
preuve suivants:
[TRADUCTION] (1) Le témoignage du requérant selon lequel il
avait été déclaré coupable en 1977 à Tel Aviv, en Israël, d'une
infraction pour laquelle il avait été, apparemment à la suite
d'un appel, condamné à une peine d'emprisonnement (dont la
durée n'est pas claire) et avait purgé une peine d'au moins trois
ans. Bien que, d'après son témoignage, il crût avoir été déclaré
coupable de vol, il ressort du dossier qu'il s'agissait d'une
condamnation pour vol qualifié ou vol à main armée.
(2) La transcription d'une audience de justification tenue le 17
février 1984 devant le juge C.H. Paris en Cour provinciale à
Toronto, au cours de laquelle le requérant a confirmé ce que le
procureur de la Couronne avait signalé au juge au début de
l'audience, savoir qu'il avait été déclaré coupable de vol qualifié
en Israël.
(3) Une copie d'une fiche d'identité au nom de Victor Dayan
dont le père se nommait Dani (tout comme le père du requé-
rant), dont la date de naissance était celle du requérant et qui
résidait à une adresse civique de Tel Aviv que le requérant a
confirmé être la sienne bien que, selon son témoignage, il n'ait
pas résidé à ce numéro civique précis depuis un certain nombre
d'années, sa résidence se trouvant à un autre numéro de la
même rue. Quoique la fiche contînt des empreintes digitales, il
n'a été présenté aucune preuve qui les relie au requérant.
(4) Une liste en date du 4 mai 1984 des condamnations au
criminel de Victor Dayan compilées à partir des dossiers de
police de la direction du renseignement en matière criminelle
du quartier général d'Interpol en Israël, à Jérusalem, qui
mentionnait, entre autres, des condamnations pour vol à main
armée et vol qualifié en date du 24 juillet 1977.
(5) Un extrait de la transcription du procès-verbal d'une
enquête tenue à Toronto le Zef août 1984 dans laquelle le
requérant a admis qu'il avait été déclaré coupable en 1977
d'une infraction pour laquelle il avait purgé une peine d'empri-
sonnement, et qu'une arme avait été utilisée dans la perpétra-
tion de l'infraction, laquelle arme ne lui appartenait pas mais
était celle de l'une des deux autres personnes qui avaient été
accusées et déclarées coupables en même temps que lui.
(6) Une photocopie d'un certificat de la police israélienne,
certifiée conforme par le vice-consul du Consulat général d'Is-
raël, en poste à Toronto, dans lequel il était certifié que la
police israélienne ne possède aucun casier judiciaire à l'égard
de «Victor Dayav». Une photo était annexée au certificat et a
été reconnue comme celle du requérant.
Sur le fondement des éléments de preuve préci-
tés, l'arbitre en est arrivé aux conclusions de fait
suivantes.
(1) Victor Dayan, le requérant en l'espèce, a été
déclaré coupable d'une infraction en Israël en
1977.
(2) Le certificat de la police israélienne se rap-
porte au requérant et indique que la police
israélienne ne possède aucun dossier de condam-
nations au criminel imputées au requérant mais
n'établit rien d'autre.
Il a également conclu:
[TRADUCTION] Ce document prouve seulement que la police
israélienne ne possède aucun casier judiciaire à l'égard de
Victor Dayan et il n'établit rien d'autre. La police israélienne
ne tient peut-être pas de casiers judiciaires. Elle n'en tient
peut-être que pendant un certain temps. Les casiers judiciaires
sont peut-être tenus par d'autres organismes, ou alors la police
israélienne ne les conserve-t-elle qu'un certain temps. Il se peut
aussi qu'on accorde automatiquement le pardon après un cer
tain temps. Je n'ai aucun moyen de vérifier si l'une ou la
totalité de ces situations sont vraies. Ce que je sais effective-
ment, c'est que la police israélienne ne possède aucun casier
judiciaire à l'égard de Victor Dayan. Cela étant, M. Dayan
n'échappe pas pour autant automatiquement aux catégories de
personnes non admissibles visées à l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur
l'immigration.
L'alinéa 19(1)c) se rapporte aux personnes qui ont été déclarées
coupables d'infractions. A mon avis, peu importe qu'il existe ou
non un dossier contenant ces condamnations, et peu importe
que le pardon ait été accordé ou non relativement à certaines
condamnations sanctionnant des infractions qui peuvent avoir
été commises. M. Dayan reste une personne qui a été déclarée
coupable d'une infraction à moins que, et ce n'est pas le cas en
l'espèce, il ait été innocenté en appel.
(3) Bien qu'aucun témoin n'ait été assigné pour
vérifier la valeur de la fiche d'identité et de la
liste de condamnations d'Interpol, l'arbitre les a
admises comme émanant d'un corps policier
reconnu et indiquant clairement les condamna-
tions y mentionnées, dont le vol qualifié et le vol
à main armée.
(4) En raison de la transcription de l'audience
de justification, de l'extrait du procès-verbal de
l'enquête tenue précédemment et des aveux
selon lesquels le requérant avait été déclaré cou-
pable de vol qualifié en Israël en 1977, il a
conclu:
[TRADUCTION] Je conviens avec votre avocat que je ne peux
pas m'appuyer sur la situation de fait pour déterminer de quoi
vous pouvez avoir été reconnu coupable. Cependant, si l'on
analyse la situation de fait, le vol d'argent et l'utilisation
d'armes ne sont pas incompatibles avec la condamnation pour
vol qualifié qui figure dans les pièces C-8 et P-3. Vu cet
élément de preuve, je crois plus que probable que vous avez été
déclaré coupable de vol qualifié en Israël en 1977.
On n'a fait aucune preuve des lois pénales israé-
liennes de sorte qu'il n'est pas possible d'établir
une comparaison entre une quelconque disposition
des lois pénales israéliennes, s'il en est, et les
dispositions pertinentes du Code criminel du
Canada (le «Code»). Voilà sur quoi se fonde l'avo-
cat du requérant pour contester l'ordonnance d'ex-
pulsion. Il fait valoir qu'il faut prouver l'existence
des éléments d'une infraction dans le ressort étran-
ger où l'infraction est survenue pour être en
mesure d'établir, selon l'alinéa 27(2)a) de la Loi,
que l'infraction dont le requérant a été déclaré
coupable entraînerait ou pourrait entraîner une
condamnation au Canada si elle y avait été
commise.
Je ne suis pas d'accord avec cette opinion tran-
chée des éléments qui seraient nécessaires pour
établir ce qu'on appelle désormais «l'équivalence»
entre le droit pénal étranger et le droit pénal
canadien. J'ai eu l'occasion récemment, dans des
motifs concourants exprimés dans l'arrêt Hill c.
Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion) (non encore publié, 29 janvier 1987, n° du
greffe A-514-86), de faire des observations dans le
passage suivant sur la façon dont on peut établir
l'équivalence [aux pages 2 et 3]:
Cette Cour, dans l'arrêt Brannson [[1981] 2 C.F. 241], n'a
pas restreint l'appréciation de la soi-disant [TRADUCTION]
«équivalence» du paragraphe de notre Code, contestée dans
cette espèce, aux éléments essentiels de quelque infraction
expressément définie dans la loi qui lui était comparée. Une
telle démarche n'est pas non plus nécessaire en l'espèce. Il me
semble que, étant donné la présence des termes «qui constitue
... une infraction ... au Canada», l'équivalence peut être
établie de trois manières: tout d'abord, en comparant le libellé
précis des dispositions de chacune des lois par un examen
documentaire et, s'il s'en trouve de disponible, par le témoi-
gnage d'un expert ou d'experts du droit étranger pour dégager,
à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions
respectives; en second lieu, par l'examen de la preuve présentée
devant l'arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d'éta-
blir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments
essentiels de l'infraction au Canada avaient été établis dans le
cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient
ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes intro-
ductifs d'instance ou dans les dispositions légales; en troisième
lieu, au moyen d'une combinaison de cette première et de cette
seconde démarches.
Il ne nous est pas possible de comparer les
dispositions de notre Code criminel avec celles
d'une loi israélienne, s'il en existe. La question qui
se pose alors est la suivante: les conclusions de fait
exposées ci-dessus établissent-elles que l'existence
des éléments essentiels d'une infraction au Canada
doit avoir été prouvée pour qu'il y ait condamna-
tion du requérant par un tribunal d'Israël?
Pour répondre à cette question, l'arbitre a
d'abord jugé, en s'appuyant sur des remarques
incidentes de deux arrêts de cette Cour', que le
meurtre et le vol sont deux exemples d'actes crimi-
nels qui sont malum in se. Le vol qualifié, a-t-il
conclu, est essentiellement un vol avec violence de
sorte que, à son avis, il entre dans l'exception dite
malum in se. Selon sa compréhension de la preuve,
les deux pays punissent le crime de vol qualifié de
sorte qu'il y a lieu de croire que la loi du pays
étranger, dont on n'a pas fait la preuve, coïncide
avec celle du Canada parce que, selon chacune de
ces lois, le crime de vol qualifié constitue un
malum in se.
Le passage de l'arrêt Button, ci-après cité, sur
lequel il s'est appuyé est le passage suivant des
motifs du juge en chef Jackett, à la page 284:
... selon nous, il n'y a pas lieu de croire que la loi d'un pays
étranger puisse coïncider avec une loi canadienne définissant
une infraction, sauf lorsque cette infraction fait partie des
infractions traditionnelles communément appelées malum in
se 4 .
4 Voir la déclaration du juge Devlin dans l'affaire Martin
(précitée) à la page 92: [TRADUCTION] «Toutefois, les crimes
envisagés par la common law et qui constituent, pour la
plupart, des infractions à la morale, comme le meurtre et le
vol, ne sont pas censés avoir de limites territoriales. Ce sont
des infractions universelles. Qu'il soit commis en France ou
en Angleterre, un meurtre reste un crime; mais, s'il est
commis en France, les tribunaux anglais, en vertu de la
common law, ne seraient pas compétents pour infliger la
peine car cela constituerait une violation de la souveraineté
française ... Par conséquent, en règle générale, on peut
opérer une distinction entre les infractions qui sont des
crimes contre la morale et doivent être considérées comme un
manquement grave quel que soit l'endroit où elles ont été
commises et les infractions qui sont simplement une violation
des règlements édictés pour favoriser la meilleure administra
tion ou gouvernement ... d'un pays déterminé comme
l'Angleterre.
En ce qui concerne maintenant l'infraction incriminée en
l'espèce [à savoir la possession illégale de stupéfiants en
violation de la Dangerous Drugs Act, 1951 du Royaume-
Uni]—quelle que puisse être la situation en regard des autres
infractions définies par la loi—il appert clairement que cette
infraction n'est un crime que si elle a été commise en
Angleterre.»
'Button c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra-
tion, [1975] C.F. 277 (C.A.) et Clarke c. Ministre de l'Emploi
et de l'Immigration, 31 octobre 1984, non publié, n° du greffe
A-588-84.
L'arbitre a également fondé sa conclusion sur le
passage suivant de la décision rendue par le juge
Hugessen dans l'affaire Clarke, susmentionnée
[aux pages 1 et 2]:
L'arbitre disposait d'éléments de preuve établissant que le
requérant avait été déclaré coupable, en Jamaïque, de l'infrac-
tion de [TRADUCTION] «voies de fait avec intention de commet-
tre un vol qualifié», mais aucune preuve ne se rapportait aux
faits et aux circonstances de l'infraction. Tant les voies de fait
que le vol qualifié, sont des crimes prévus par la common law
qui sont malum in se et dont la signification et les éléments
constitutifs sont bien connus. L'arbitre a conclu que la déclara-
tion de culpabilité avait été prononcée relativement à une
infraction équivalant à celle qui est décrite à l'almée 302c) du
Code criminel'.
En l'espèce, il existait des éléments de preuve
que j'ai déjà mentionnés et que l'arbitre avait le
droit d'admettre, selon lesquels le requérant avait
été déclaré coupable en Israël des deux ou de l'une
des deux infractions de vol à main armée et de vol
qualifié. Ces infractions constituent des actes cri-
minels, tout au moins dans les ressorts de common
law, indépendamment des dispositions législatives
qui en interdisent la perpétration. Nous avons
appris qu'Israël est un pays dont le régime juridi-
que est fondé sur la common law exactement
comme au Canada. En common law, l'infraction
de vol qualifié est essentiellement un vol, que
celui-ci soit ou non accompagné de violence, de
menaces de violence ou de l'utilisation d'une arme
dans sa perpétration. C'est un crime parce qu'il
s'agit d'une infraction qui va à l'encontre des
normes de la société qui se reflètent dans la
common law. Une loi peut le codifier simplement
comme tel ou elle peut, dans la codification, pré-
voir d'autres éléments constitutifs dont la preuve
doit être faite pour qu'il puisse y avoir condamna-
tion. La définition du vol à l'alinéa 283(1)a) du
Code fournit l'exemple d'une infraction codifiée
dont l'un des éléments essentiels réside dans la
preuve que l'objet pris l'a été «frauduleusement et
2 302. Commet un vol qualifié, quiconque
a) vole et, pour extorquer la chose volée ou empêcher ou
maîtriser toute résistance au vol, emploie la violence ou des
menaces de violence contre une personne ou des biens;
b) vole quelqu'un et, au moment où il vole, ou immédiate-
ment avant ou après, blesse, bat ou frappe cette personne ou
se porte à des actes de violence contre elle;
c) se livre à des voies de fait sur une personne avec l'inten-
tion de la voler; ou
d) vole une personne alors qu'il est muni d'une arme offen
sive ou d'une imitation d'une telle arme.
sans apparence de droit». Dans l'affaire Hill, pré-
citée, il ressortait du dossier que l'infraction dont
le requérant avait été déclaré coupable relevait du
code pénal du Texas, mais aucune preuve n'avait
porté sur la signification du mot «theft» («vol»)
dans la loi du Texas. La distinction a été apportée
de la façon suivante par le juge Hugessen, à la
page 4 de ses motifs:
À mon avis, l'erreur commise procède de l'absence totale de
preuve au sujet de la signification, dans la loi texane, du mot
«theft» («vol»). Il ressort clairement du libellé de l'acte d'accu-
sation ainsi que de l'article 30.02 du Texas Penal Code, précité,
que l'intention de commettre un vol constituait un élément dont
la présence était essentielle à une condamnation pour burglary.
Le vol est toutefois une infraction dont les éléments essentiels,
que ce soit dans la loi du Texas ou ailleurs, ne sont pas évidents
en soi. En langage populaire, le terme «vol» est employé libre-
ment pour désigner les infractions prévues par la common law
appelées larceny, conversion et embezzlement. Au Canada,
comme dans certains autres pays, le vol constitue également
une infraction prévue expressément par une loi qui en énonce
les composants d'une façon précise. L'alinéa 283(1)a) du Code
criminel énumère les éléments essentiels du vol dans sa forme la
plus courante:
Par contraste, le dossier en l'espèce ne compte
aucune preuve d'une disposition d'une quelconque
loi pénale israélienne. Nous savons toutefois que le
«vol> («stealing») constitue un élément essentiel
tant du crime de vol qualifié en common law que
de l'acte criminel prévu à l'article 302 de notre
Code. Par définition (article 2 du Code), «voler»
désigne le fait de commettre un vol. Donc, en vertu
de l'article 283, la chose doit être prise frauduleu-
sement et sans apparence de droit. La transcrip
tion de la preuve versée au dossier en l'espèce me
semble établir hors de tout doute que le requérant
a participé au vol d'une somme d'argent à l'égard
de laquelle aucun des participants n'avait une
apparence de droit et dont le vol était contraire à
la loi ainsi que l'indique la liste des condamnations
au criminel. Dans toutes ces circonstances, étant
donné notamment qu'une arme a été utilisée, il est
difficile de concevoir qu'on puisse invoquer avec
succès l'apparence de droit. Comme l'arbitre avait
admis tous les éléments de preuve, y compris le fait
que le requérant avait été déclaré coupable de vol
qualifié en Israël et qu'une arme avait été utilisée
dans la perpétration de l'infraction, il était donc en
droit de conclure que le requérant avait été déclaré
coupable d'une infraction punissable en vertu de
l'article 302 du Code. S'il avait été ainsi déclaré
coupable, une peine d'emprisonnement de plus de
dix ans aurait pu lui être infligée en vertu de
l'article 303 3 du Code [mod. par S.C. 1972, chap.
13, art. 70]. Par conséquent, l'arbitre disposait
d'éléments de preuve le justifiant de conclure que
le requérant faisait partie d'une catégorie de per-
sonnes non admissibles prévue à l'alinéa 19(1)c) de
la Loi.
Vu cette conclusion, les trois autres objections
que l'avocat du requérant a formulées au sujet de
la décision frappée d'appel doivent être repoussées.
En conséquence, je rejetterais la demande fondée
sur l'article 28.
Avant de clore la présente affaire, j'ajouterai
que je suis d'accord avec l'arbitre et l'avocat du
requérant qu'en l'espèce, il aurait fallu faire la
preuve de dispositions de la loi israélienne si de
telles dispositions existent. Ou bien il aurait fallu
établir que de telles dispositions n'existent pas
dans la loi de ce pays, si tel est le cas. Le recours à
la notion d'infraction considérée comme malum in
se afin de prouver l'équivalence d'une infraction
avec les dispositions de notre Code criminel est un
moyen auquel les autorités de l'immigration ne
devraient avoir recours que lorsque pour une très
bonne raison, dont l'arbitre doit être convaincu, il
a été difficile de faire la preuve du droit étranger
et qu'il ne s'agit pas du droit d'un pays de common
law. C'est une notion à laquelle il n'est pas néces-
saire d'avoir recours dans le cas des pays de
common law. Si ce n'avait été de la preuve acca-
blante de la condamnation du requérant en l'es-
pèce pour une infraction connue de notre droit, je
n'aurais pas hésité à accueillir la demande.
LE JUGE STONE: Je souscris aux présents
motifs.
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris aux présents
motifs.
3 303. Quiconque commet un vol qualifié est coupable d'un
acte criminel et passible de l'emprisonnement à perpétuité.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.