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A-339-87
Harjit Singh Atwal (appelant)
c.
La Reine (intimée)
RÉPERTORIÉ: ATWAL c. CANADA
Cour d'appel, juges Mahoney, Hugessen et Mac- Guigan—Ottawa, 24, 25, 26 juin et 12 août 1987.
Renseignement de sécurité Le mandat décerné conformé- ment à l'art. 21 de la Loi sur le SCRS ne doit pas obligatoire- ment énoncer les conclusions du juge relativement à chacune des conditions préalables à sa délivrance Le mandat ne doit pas obligatoirement préciser quelles sont les menaces envers la sécurité du Canada L'art. 21 de la Loi ne viole pas l'art. 8 de la Charte— Il est dans l'intérêt de la justice que l'affidavit présenté à l'appui du mandat soit divulgué avec les suppres- sions requises aux fins de la sécurité Il ne doit être porté atteinte au secret professionnel de l'avocat que dans la mesure oit cela est absolument nécessaire L'intérêt public dans l'administration de la justice est indépendant des autres inté- rêts publics Il appartient au ministre, non à un juge, d'invoquer la sécurité nationale sur le fondement de l'art. 36.1 de la Loi sur la preuve au Canada.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Fouilles, perquisitions, et saisies Un mandat d'écoute électronique et de perquisition a été décerné conformément à l'art. 21 de la Loi sur le SCRS L'art. 21 de cette Loi respecte la prescription de l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. quant aux critères minimums établis par l'art. 8 de la Charte relativement aux dispositions législa- tives autorisant les fouilles, les perquisitions et les saisies Est objectif le critère selon lequel un juge doit être convaincu, pour des motifs raisonnables et probables, que des menaces à la sécurité du Canada existent et qu'un mandat est nécessaire pour permettre la tenue d'une enquête à leur sujet.
Compétence de la Cour fédérale Division d'appel
ppel est interjeté du refus d'un juge de la Cour fédérale d'annuler un mandat d'écoute électronique et de perquisition décerné conformément à l'art. 21 de la Loi sur le SCRS La Cour est compétente puisque l'appel n'est pas interjeté de la délivrance de ce mandat mais de la décision finale de la Division de première instance de refuser son annulation.
Juges et tribunaux Qualité d'un juge de la Cour fédérale désigné pour les fins de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité Ce juge est-il membre d'une «Cour supérieure distincte» composée de juges désignés?
En juillet 1985, un juge de la Cour d'appel fédérale, agissant en qualité de juge de la Cour fédérale désigné par le juge en chef pour les fins de la Loi sur le Service canadien du rensei- gnement de sécurité (Loi sur le SCRS), a décerné un mandat d'écoute électronique et de perquisition à l'égard de l'appelant conformément à l'article 21 de la Loi pour permettre la tenue d'une enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada. L'appelant a subséquemment été accusé d'infractions criminel- les en Colombie-Britannique. Pour empêcher que certaines des
communications interceptées ne soient présentées en preuve lors de son procès, l'appelant a demandé au juge qui avait décerné le mandat d'annuler l'ordonnance accordant sa délivrance. Le présent appel est interjeté du rejet de cette demande d'annulation.
Quatre questions sont soulevées: (1) l'intimée soutient que la Cour n'est pas habilitée à entendre le présent appel puisqu'il ne s'agit ni d'un appel expressément autorisé par la Loi sur le SCRS ni d'un appel d'une décision de la Division de première instance autorisé en vertu du paragraphe 27(1) de la Loi sur la Cour fédérale; (2) l'appelant prétend que le mandat est invalide au motif qu'il ne satisfait pas aux exigences posées par l'article 21 de la Loi, ou (3) subsidiairement, que le mandat ainsi que les dispositions habilitantes de la Loi violent l'article 8 de la Charte; (4) finalement, l'appelant prétend que le juge de première instance a commis une erreur en refusant de permet- tre à l'appelant d'examiner l'affidavit sur le fondement duquel le mandat a été décerné, ou une version de cet affidavit adaptée aux fins d'un tel examen.
Arrêt (le juge Hugessen dissident en partie): l'appel ne devrait être accueilli que de façon à permettre la production de l'affidavit, adapté aux exigences de la sécurité.
Le juge Mahoney (avec l'appui du juge MacGuigan): Le présent appel n'est pas interjeté de la délivrance du mandat de perquisition mais du rejet d'une demande d'annulation fondée sur la Règle 330, et il ne fait aucun doute que la Cour est habilitée à instruire un appel ainsi formé à l'encontre d'une ordonnance de la Division de première instance.
Un juge désigné pour les fins de la Loi sur SCRS qui exerce les fonctions que celle-ci lui assigne agit à titre de juge de la Cour fédérale plutôt qu'en qualité de persona designata puis- que la délivrance d'un mandat constitue une fonction judiciaire reconnue des juges de la Cour fédérale. Ce juge n'agit pas non plus en qualité de membre d'une «Cour supérieure distincte» composée des juges désignés. Bien que le Parlement aurait pu constituer une telle Cour, rien dans la Loi n'indique une telle intention de sa part. Et, compte tenu de la compétence de première instance conférée à la Division de première instance de la Cour fédérale, le refus d'annuler le mandat constituait un jugement définitif de cette Division. Le fait que le juge qui a décerné le mandat est un membre de la Cour d'appel n'est pas pertinent puisque celui-ci est d'office membre de la Division de première instance.
Le mandat respectait entièrement les exigences de l'article 21 de la Loi sur le SCRS. Bien que ce mandat n'ait pas énoncé expressément que le juge considérait comme réalisée chacune des conditions particulières préalables à sa délivrance, ce mandat comportait une déclaration générale portant qu'il était nécessaire, et une telle déclaration était suffisante. De la même manière, le fait que le mandat ait omis de décrire les menaces envisagées envers la sécurité du Canada autrement qu'en repre- nant les termes de la Loi n'a pas eu pour conséquence de rendre ce mandat invalide à sa seule lecture. Comme la Loi sur le SCRS vise principalement à recueillir les informations permet- tant de prévoir certains événements, les autorisations d'inter- ception de communications privées fondées sur la Loi seront, en pratique, plus difficilement précises à l'avance que les autorisa- tions prévues au Code criminel.
Pourvu qu'un tel mandat satisfasse, comme celui en l'espèce, à l'exigence qu'il ne soit porté atteinte au caractère confidentiel des communications entre l'avocat et son client que dans la
mesure cela est absolument nécessaire pour atteindre les objectifs fixés par la Loi, le fait qu'une autorisation soit assez large pour comprendre l'interception des communications pro- tégées par le privilège du secret professionnel de l'avocat ne rend pas le mandat invalide à sa seule lecture.
Ni l'article 21 de la Loi sur le SCRS ni le mandat ne portait atteinte à l'article 8 de la Charte. Dire que l'article 8 s'applique à l'interception et à l'enregistrement des conversations n'est pas élargir le concept des fouilles, des perquisitions et des saisies mais reconnaître que la technologie a modifié la manière dont les fouilles, les perquisitions et les saisies peuvent être effec- tuées et qu'elle a ajouté les communications verbales aux éléments qui peuvent être saisis. Toutefois, l'alinéa 21(2)a) de la Loi sur le SCRS a respecté entièrement, compte tenu des adaptations de circonstance, la prescription de l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. quant aux critères minimums établis par l'article 8 de la Charte relativement aux dispositions légis- latives autorisant les fouilles, les perquisitions et les saisies. Le juge doit être convaincu—comme il l'était dans la présente espèce—pour des motifs raisonnables et probables fondés sur des éléments de preuve fournis sous serment, que des menaces envers la sécurité du Canada existent et qu'un mandat est nécessaire pour permettre la tenue d'une enquête à ce sujet. Il s'agit d'un critère objectif.
L'affidavit soumis à l'appui de la délivrance du mandat devrait être produit dans une version adaptée aux exigences de la sécurité. Normalement, lorsque des éléments de preuve visant la perpétration d'une infraction ont été réunis contre une personne en vertu de l'autorité conférée par un mandat de perquisition, cette personne a le droit, avant que ces éléments de preuve ne soient utilisés contre elle, de contester la validité du mandat en alléguant l'insuffisance des pièces justificatives. Ceci implique qu'elle ait accès à ce document.
La seule interdiction absolue prévue à la Loi sur le SCRS vise la communication des informations à partir desquelles peut être inférée l'identité d'un informateur ou d'un employé occupé à des activités opérationnelles cachées. Rien dans la Loi n'inter- dit expressément que la communication d'informations soit ordonnée par la Cour. Si une telle communication ne doit pas se faire, ce doit être parce qu'une des parties intéressées s'y oppose de façon régulière, et non parce que la loi l'interdit. On doit rechercher la plus grande responsabilité et la plus grande accessibilité possible du pouvoir judiciaire au sein du système de collecte des renseignements, sans que cela nuise pour autant aux enquêtes relatives à des menaces véritables envers la sécu- rité nationale.
L'intérêt du public dans l'administration de la justice doit invariablement favoriser la transparence de toutes les procédu- res judiciaires. Il s'agit d'un intérêt entièrement indépendant des autres intérêts publics qui peuvent lui être opposés et, à l'occasion, l'emporter sur lui. Il n'appartient toutefois pas au juge d'invoquer l'intérêt de la sécurité nationale. Il incombe au ministre intéressé de le faire en invoquant l'article 36.1 de la Loi sur la preuve au Canada.
Le juge Hugessen (dissident en partie): L'argument soule- vant l'absence de compétence de la Cour est mal fondé. Quelle qu'ait pu être la qualité du juge lorsqu'il a décerné le mandat initial en juillet 1985, lorsqu'il a siégé plus d'un an et demi plus tard pour entendre la demande d'annulation de ce mandat, il
n'a pu le faire qu'à titre de juge de la Cour fédérale du Canada exerçant la compétence qui lui est conférée en qualité de membre d'office de la Division de première instance.
L'article 21 de la Loi sur le SCRS, qui a été adopté juste avant que ne soit rendue la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc., porte atteinte à l'article 8 de la Charte. Comme les pouvoirs suscepti- bles d'être accordés dans un mandat décerné en vertu de l'article 21 sont vastes et portent atteinte à la vie privée au plus haut point, la question qui se pose consiste à savoir doit être tracée la démarcation entre les attentes raisonnables des indivi- dus de ne pas être importunés et la nécessité pour l'État de se défendre. La règle-clé (énoncée par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Southam) est qu'il doit exister un critère objectif servant de guide aux fonctionnaires judiciaires à qui est confiée la responsabilité d'autoriser une immixtion dans la vie privée d'un individu. L'article 21 de la Loi sur le SCRS exige que le juge soit convaincu de l'existence des motifs raisonnables de croire qu'un mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada. Cette disposition ne prévoit aucune norme raisonnable qui permettrait au juge de vérifier la nécessité d'un mandat. Rien dans le libellé de la Loi n'exige l'existence d'un lien direct entre les informations qu'on espère obtenir de la communication interceptée et les menaces alléguées envers la sécurité du Canada. Le libellé de la Loi est si large qu'il ne prévoit aucun critère objectif. N'offrant pas les garanties appropriées, l'article 21 est incompatible avec l'article 8 de la Charte.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. l l (R.-U.), art. 8, 10b).
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. I 1 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, I ), art. 101.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10, art. 3, 4, 5(1) (mod. par S.C. 1985, chap. 38, art. 11), 26(1), 27(1), 28, 52b)(iii).
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 36.1 (ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 1l1, annexe III, art. 4), 36.2 (ajouté, idem).
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21, art. 2, 13, 18, 19, 21, 27, 28.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 330 (mod. par DORS/79-58, art. 1), 1204.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Société pour l'Avancement des droits en audiovisuel (SADA) Ltée c. Collège Edouard-Montpetit, [1981] 2 C.F. 307 (C.A.); Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274 (C.A.); Herman et autres c. Sous-procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 729; Re Donnelly and Acheson and the Queen
(1976), 29 C.C.C. (2d) 58 (C.S. Alb.); United States v. U. S. District Court, 407 U.S. 297 (1972); Grabowski c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 434; Descoteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; Realty Renovations Ltd. v. A.G. Alta., [1979] 1 W.W.R. 74 (C.S. Alb.); Procureur général de la Nouvelle-Écosse et autre c. Maclntyre, [ 1982] 1 R.C.S. 175; Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594.
DÉCISION ÉCARTÉE:
R. v. Taylor et al., jugement en date du 30 décembre 1983, Cour suprême de la Colombie-Britannique, non publié.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Goldman et al. v. Hoffman-LaRoche Limited, jugement en date du 4 juin 1987, Cour d'appel de l'Ontario, encore inédit; R. v. Church of Scientology and Zaharia (1987), 18 O.A.C. 321; Re Herman et al. and Deputy Attorney - General of Canada (1979), 26 O.R. (2d) 520 (C.A.); Bergeron et autres c. Deschamps et autres, [1978] 1 R.C.S. 243; (1977), 33 C.C.C. (2d) 461; R. v. Dunbar and Logan (1982), 68 C.C.C. (2d) 13 (C.A. Ont.); Goguen c. Gibson, [1983] 2 C.F. 463 (C.A.); Gold c. R., [ 1986] 2 C.F. 129 (C.A.); International Business Machi nes Corporation of Canada Limited and Xerox Corpora tion (1977), 16 N.R. 355 (C.A.F.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Re Borden & Elliott and The Queen (1975), 30 C.C.C. (2d) 337 (C.A. Ont.); R. v. Welsh and lannuzzi (N° 6) (1977), 32 C.C.C. (2d) 363.
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Gill (1980), 56 C.C.C. (2d) 169 (C.A.C.-B.); R. v. Volpe (1981), 63 C.C.C. (2d) 506 (C.A. Ont.); R. v. Finlay and Grellette (1985), 23 C.C.C. (3d) 48 (C.A. Ont.); Solosky c. La Reine, [ 1980] 1 R.C.S. 821.
DOCTRINE
Watt, David. Law of Electronic Surveillance in Canada, Toronto: Carswell, 1979.
AVOCATS:
David Gibbons et Michael Code pour l'appelant.
Michael R. Dambrot et James W. Leising pour l'intimée.
Alexander Budlovsky pour le procureur géné- ral de la Colombie-Britannique.
PROCUREURS:
Ruby & Edwardh, Toronto, pour l'appelant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ministère du Procureur général de la Colom- bie-Britannique pour le procureur général de la Colombie-Britannique.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Il s'agit d'un appel d'une décision d'un juge de la Cour fédérale du Canada [[1987] 2 C.F. 309] désigné par le juge en chef pour les fins de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21, ci-après appelée «la Loi». Ce juge, saisi d'une demande présentée ex parte conformément au paragraphe 21(1) de la Loi, a décerné un mandat autorisant le Service canadien du renseignement de sécurité, ci-après appelé «le Service», à intercep- ter des communications ainsi qu'à rechercher et à saisir des documents se rapportant à l'appelant. Ce mandat a été décerné le 26 juillet 1985. Le 10 septembre 1986, l'appelant a été accusé d'avoir participé à un complot pour commettre un meurtre contrairement à l'alinéa 423(1)a) du Code crimi- nel [S.R.C. 1970, chap. C-34]. La responsabilité de cette poursuite est confiée à un avocat de la Couronne nommé par le procureur général de la Colombie-Britannique. L'avocat de la Couronne a fourni une copie du mandat en question à l'appe- lant et l'a informé qu'il avait pour objet de recueil- lir des éléments de preuve qui seraient présentés au procès. L'appelant a alors demandé l'annulation du mandat conformément à la Règle 330 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663 (mod. par DORS/79-58, art. 1)].
Règle 330. La Cour peut annuler
a) toute ordonnance rendue ex parte, ou
b) toute ordonnance rendue en l'absence d'une partie qui a omis de comparaître par suite d'un événement fortuit ou d'une erreur ou à cause d'un avis de requête insuffisant;
mais une telle annulation n'affecte ni la validité ni la nature d'une action ou omission antérieure à l'ordonnance d'annula- tion sauf dans la mesure la Cour, à sa discrétion, le prévoit expressément dans son ordonnance d'annulation.
Le présent appel est interjeté de la décision de ce même juge rejetant cette dernière demande. Les parties ont convenu que le procureur général de la Colombie-Britannique serait entendu relativement à la demande et à l'appel. L'intimée et le procu-
reur général de la Colombie-Britannique appuient respectivement le point de vue de l'autre à l'égard de tous les points soulevés dans la présente affaire, et nous ne les mentionnerons séparément que si cela s'avère nécessaire.
LES POINTS EN LITIGE
1. L'intimée soutient que cette Cour n'est pas habilitée à entendre le présent appel, puisqu'il ne s'agit pas d'un appel expressément autorisé par la Loi ni d'un appel d'une décision de la Division de première instance autorisé en vertu du paragraphe 27(1) de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10].
2. L'appelant prétend que le juge de première instance a commis une erreur en refusant d'annu- ler le mandat au motif qu'il ne satisfaisait pas aux exigences posées par l'article 21 de la Loi et serait invalide à sa seule lecture.
3. À défaut par cette Cour d'accepter l'argument qui précède, en supposant que les dispositions de l'article 21 aient été respectées, l'appelant prétend que le juge de première instance s'est trompé en ne concluant pas que le mandat, à sa lecture, ainsi que les dispositions habilitantes de la Loi ne res- pectent pas les normes minimales visant les fouil- les, les perquisitions et les saisies non abusives et qu'en conséquence, elles violent l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui cons- titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
4. À défaut par cette Cour d'accepter l'un ou l'autre des arguments qui précèdent, l'appelant prétend que le juge de première instance a commis une erreur en refusant de permettre à l'appelant d'examiner l'affidavit sur le fondement duquel le mandat a été décerné, ou une version de cet affida vit adaptée aux fins d'un tel examen.
1. COMPÉTENCE
Les dispositions de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, et ses modifica tions, pertinentes au présent litige sont l'article 4 ainsi que les paragraphes 5(1) [mod. par S.C. 1985, chap. 38, art. 11], 26(1) et 27(1).
4. La Cour fédérale du Canada est désormais formée de deux divisions appelées Division d'appel de la Cour fédérale qui
peut être appelée Cour d'appel ou Cour d'appel fédérale et Division de première instance de la Cour fédérale.
5. (1) La Cour fédérale du Canada est composée des juges suivants:
a) un juge en chef, appelé juge en chef de la Cour fédérale du Canada, qui est président de la Cour, président et membre de la Cour d'appel et membre de droit de la Division de première instance;
b) un juge en chef adjoint, appelé juge en chef adjoint de la Cour fédérale du Canada, qui est président et membre de la Division de première instance et qui est membre de droit de la Cour d'appel; et
c) au plus vingt-trois autres juges, dont dix sont nommés à la Cour d'appel et sont membres de droit de la Division de première instance, et les autres nommés à la Division de première instance et membres de droit de la Cour d'appel.
26. (I) La Division de première instance a compétence en première instance sur toute question pour laquelle une loi du Parlement du Canada a donné compétence à la Cour fédérale, désignée sous son nouveau ou sous son ancien nom, à l'excep- tion des questions expressément réservées à la Cour d'appel.
27. (I) Il peut être interjeté appel, devant la Cour d'appel fédérale,
a) d'un jugement final,
b) d'un jugement sur une question de droit rendu avant l'instruction, ou
c) d'un jugement interlocutoire,
de la Division de première instance.
Le paragraphe 27(1) est la seule disposition de la Loi sur la Cour fédérale pouvant habiliter cette Cour à entendre le présent appel.
La Loi sur le Service canadien du renseigne- ment de sécurité dit ce qui suit:
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«juge» Juge de la Cour fédérale du Canada choisi pour l'appli- cation de la présente loi par le juge en chef de cette cour;
21. (1) Le directeur ou un employé désigné à cette fin ... peut ... demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article ...
Le mandat donnait suite à une demande fondée sur le paragraphe 21(1).
(a) La Loi sur le Service canadien du rensei- gnement de sécurité ne prévoit aucun droit d'appel.
L'intimée souligne que la Loi ne prévoit aucun droit d'appel relativement à la délivrance du mandat visé à l'article 21. Cette omission contraste avec la disposition du paragraphe 36.2(3) de la Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, et ses modifications [ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe III, art. 4].
L'intimée s'appuie particulièrement sur l'arrêt Goldman et al. v. Hoffman-LaRoche Limited, une décision de la Cour d'appel de l'Ontario prononcée le 4 juin 1987 et non publiée à ce jour. Dans cette espèce, la Cour a cassé un appel interjeté à l'en- contre de la délivrance, par un juge de la Haute Cour de l'Ontario, du mandat de perquisition prévu à l'article 13 de la Loi sur la concurrence, S.R.C. 1970, chap. C-23, et ses modifications [mod. par S.C. 1986, chap. 26, art. 24]. Ni la Loi sur la concurrence ni le Code criminel qui, selon les conclusions de cette décision, serait également applicable, ne prévoient la possibilité d'interjeter appel de la délivrance d'un mandat de perquisition. L'argument suivant lequel la délivrance d'un tel mandat constituait une ordonnance définitive et, en conséquence, pouvait faire l'objet d'un appel conformément à l'alinéa 17(1)b) de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1984, chap. 11, a été rejeté. Cette conclusion procédait de la déci- sion antérieure, également non publiée, rendue par cette même cour dans l'affaire R. v. Church of Scientology and Zaharia (1987), 18 O.A.C. 321, une décision prononcée le 30 janvier 1987, qui a statué que [TRADUCTION] «le mandat de perquisi- tion est simplement un moyen d'enquête». La Cour a souscrit à la déclaration suivante du juge d'appel Lacourcière qui parlait au nom de la majorité dans l'arrêt Re Herman et al. and Deputy Attorney - General of Canada (1979), 26 O.R. (2d) 520 (C.A.); dans sa déclaration, le juge traitait de la tentative d'une des parties d'interjeter appel d'une décision d'un juge de la Haute Cour tranchant une question relative au privilège du secret profession- nel à l'égard de documents enlevés du bureau d'un avocat au cours d'une enquête fondée sur la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1)], à la page 528:
[TRADUCTION] Dans l'hypothèse le Parlement aurait délibé- rément omis de prévoir un droit d'appel en présumant erroné- ment que la décision préliminaire du juge était révisable, j'estime nettement préférable de le laisser remédier lui-même à ce manquement. Je crois toutefois que le Parlement a délibéré-
ment adopté une politique générale excluant la possibilité d'en appeler d'une ordonnance rendue au stade de l'enquête.
À mon avis, cette prétention échoue dès le départ. La proposition sur laquelle elle se fonde, suivant laquelle le présent appel est formé à l'en- contre de la délivrance d'un mandat de perquisi- tion, est erronée. Le présent appel est interjeté du rejet d'une demande d'annulation fondée sur la Règle 330. Notre Cour a déjà statué qu'elle était habilitée à entendre un tel appel, à conclure que le juge de première instance s'était trompé en refu- sant d'annuler une ordonnance rendue ex parte et, en accueillant l'appel, à annuler effectivement cette ordonnance. (Voir, par exemple, l'arrêt Société pour l'Avancement des droits en audiovi- suel (SADA) Ltée c. Collège Edouard-Montpetit, [1981] 2 C.F. 307 (C.A.)). Il n'a été établi, en l'espèce, aucune raison grave justifiant cette Cour de s'écarter de ses jugements antérieurs: Ministre de l'Emploi et de l'Immigration c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274 (C.A.). En supposant que le présent appel soit interjeté d'une ordonnance pro- noncée par la Division de première instance, nous sommes compétents à l'instruire.
(b) Il ne s'agit pas d'un appel interjeté d'une décision de la Division de première instance.
Le juge qui a décerné le mandat est, en fait, nommé à la Cour d'appel. Toutefois, en vertu de l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale, il est membre de droit de la Division de première ins tance. En conséquence, le fait qu'il soit membre de la Cour d'appel n'est pas pertinent.
L'appelant a demandé que, dussions-nous con- clure à notre absence de compétence parce qu'il ne s'agirait pas d'un appel interjeté d'une décision de la Division de première instance, la présente procé- dure soit convertie en une demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. L'inti- mée a reconnu que le fait qu'une telle requête soit accueillie ne lui causerait aucun préjudice.
L'avocat du procureur général de la Colombie- Britannique a soutenu qu'un juge désigné pour les fins de la Loi, lorsqu'il exerce les fonctions qu'elle lui assigne, n'agit point à titre de persona desi- gnata, ce qui l'assujettirait au pouvoir de surveil lance que nous confère l'article 28, ni en qualité de juge de la Division de première instance dont les
jugements pourraient faire l'objet d'un appel con- formément à l'article 27. Il a postulé l'existence d'un troisième statut judiciaire qui, si j'ai bien compris son argument, nous amènerait à conclure que sous le régime de cette Loi, le Parlement a institué une cour supérieure distincte, composée des juges désignés. Il devrait s'agir d'une cour supérieure puisque, étant clairement un tribunal fédéral, elle ne manquerait autrement pas d'être assujettie au pouvoir de surveillance de l'une ou de l'autre division de la Cour fédérale.
Le Parlement aurait certainement pu constituer une cour supérieure distincte, composée de juges siégeant ordinairement dans une autre cour, comme il l'avait fait en créant, à l'article 201 de la Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, chap. N-4 [mod. par S.C. 1985, chap. 38, art. 13], le Tribunal d'appel des cours martiales du Canada. Toutefois, rien dans la Loi ne m'apparaît appuyer une telle conclusion. J'estime qu'un tel exercice du pouvoir législatif conféré par l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)] ne saurait avoir lieu sans que le Parlement l'exprime clairement ou, à tout le moins, ne doit pas être inféré sans que cela soit nécessaire.
Je conclus à l'inexistence d'une troisième caté- gorie: un juge désigné pour les fins de la Loi agit soit à titre de juge de la Cour fédérale soit à titre de persona designata. Dans l'arrêt Herman et autres c. Sous-procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 729, le juge Dickson —c'était alors son titre—a examiné minutieusement la jurisprudence relative au concept de persona desi- gnata; à la page 749, il a tiré la conclusion suivante:
A première vue, dès qu'une loi confère des pouvoirs à un juge, il faut considérer que l'intention du Parlement est que ce juge agisse à titre de juge. Celui qui prétend qu'un juge agit à titre de persona designata doit trouver dans la loi particulière des dispositions qui prouvent clairement une intention contraire du Parlement. Le critère applicable pour déterminer si la loi pertinente fait ressortir une intention contraire peut se formuler comme une question: le juge exerce-t-il une compétence parti- culière, distincte, exceptionnelle et indépendante de ses tâches quotidiennes de juge, et qui n'a aucun rapport avec la cour dont il est membre?
La délivrance de mandats de perquisition et l'auto- risation de la surveillance électronique constituent une fonction judiciaire reconnue. Cette attribution n'est point particulière, distincte ou exceptionnelle eu égard au contexte dans lequel s'exercent les fonctions de la plupart des juges de première ins tance des cours supérieures de juridiction crimi- nelle du Canada. Le fait qu'il ne s'agisse pas d'une activité de routine de la Division de première instance de la Cour fédérale reflète uniquement le type de compétence ordinairement exercée par cette Cour. La Cour fédérale, aux termes de l'arti- cle 3 de sa Loi habilitante, est une cour ayant compétence en matière pénale, bien qu'elle soit rarement appelée à exercer sa compétence dans ce domaine. À mon avis, ni une telle considération, ni le nombre très bas des juges désignés par le juge en chef pour les fins de la Loi, ne comptent parmi les facteurs qui, selon la Cour suprême, permettraient de conclure qu'un juge agit à titre de persona designata plutôt qu'à titre de juge. La Loi ne m'apparaît révéler aucune intention claire du Par- lement que les juges désignés agissent autrement qu'en qualité de juges de la Cour fédérale.
J'estime qu'un juge désigné par le juge en chef pour les fins de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité agit en qualité de juge de la Cour fédérale lorsqu'il exerce les fonctions prévues à cette Loi. Conformément au paragraphe 26(1) de la Loi sur la Cour fédérale, la compé- tence en première instance conférée par la Loi est accordée à la Division de première instance. En conséquence, je conclus que le présent litige consti- tue un appel visé au paragraphe 27(1) et nous est soumis à bon droit. La décision refusant l'annula- tion du mandat était, dans les circonstances de l'espèce, un jugement final de la Division de pre- mière instance.
Si j'avais conclu que le présent appel ne nous était pas soumis à bon droit, j'aurais accueilli la requête de l'appelant et décidé de la présente affaire en tenant pour acquis qu'il s'agissait d'une demande fondée sur l'article 28. À mon sens, l'issue de cette affaire n'en eût point été modifiée.
2. INVALIDITÉ DU MANDAT À SA SEULE LECTURE DÉFAUT DE RESPECTER LA LOI HABILITANTE
Je cite intégralement le mandat en question; j'ai fait précéder les attendus de chiffres romains pour y renvoyer plus facilement.
[TRADUCTION] [1] VU la demande ex parte présentée par écrit par Archie M. BARR conformément à l'article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1983-84, chap. 21 pour obtenir le mandat qui s'y trouve prévu;
[Il] CONSIDÉRANT que le requérant, Archie M. BARR, est un employé du Service canadien du renseignement de sécurité désigné à cette fin par le Solliciteur général du Canada confor- mément au paragraphe 21(1) de la Loi qui a consulté le Solliciteur général adjoint et qui a obtenu l'approbation du Solliciteur général du Canada à cette fin;
[Ill] CONSIDÉRANT que j'ai lu l'affidavit du requérant et examiné tous les éléments de preuve soumis à l'appui de ladite requête;
[IV] CONSIDÉRANT que je suis convaincu qu'un mandat doit être décerné en conformité avec l'article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité pour permettre au Service canadien du renseignement de sécurité de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada, à savoir:
les activités qui touchent le Canada ou s'y déroulent et visent à favoriser l'usage de la violence grave ou de mena ces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d'atteindre un objectif politique au Canada ou dans un État étranger,
activités qui ne comprennent pas les activités licites de défense d'une cause, de protestation ou de manifestation d'un désaccord qui n'ont aucun lien avec les activités prémention- nées.
EN CONSÉQUENCE, PAR LES PRÉSENTES, J'AUTORISE LE DIRECTEUR DU SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ AINSI QUE LES EMPLOYÉS AGISSANT SOUS SON AUTORITÉ OU EN SON NOM À PROCÉDER À:
A. l'interception des communications suivantes:
à l'intérieur du Canada, les communications orales et les télécommunications qui ont pour source ou destinataire Harjit Singh ATWAL, à quelque endroit qu'il soit, ou toute personne se trouvant au 12471-79A Avenue, Surrey (Colombie-Britannique), ou toute autre personne se trouvant à tout autre endroit au Canada pouvant être utilisé par Harjit Singh ATWAL comme résidence temporaire ou perma- nente, que cette résidence soit stationnaire ou mobile;
ET
à cette fin, entrer dans:
a) lesdits locaux situés au 12471-79A Avenue, Surrey (Colombie-Britannique), ou dans tout autre lieu au Canada pouvant être utilisé par Harjit Singh ATWAL comme résidence temporaire ou permanente, que cette résidence soit stationnaire ou mobile;
b) tout véhicule utilisé par Harjit Singh ATWAL;
c) tout autre lieu au Canada le Service a des motifs raisonnables de croire que Harjit Singh ATWAL se trouvera,
afin d'installer, de maintenir ou d'enlever tout objet néces- saire pour effectuer lesdites interceptions,
ET
à cette fin procéder à:
d) l'installation, l'entretien et l'enlèvement de tout objet nécessaire pour effectuer, dans les lieux décrits au paragra- phe A. qui précède, l'interception de communications orales et de télécommunications.
B. la recherche, l'enlèvement ou la remise en place des commu nications suivantes, de même qu'à leur examen, au prélèvement des informations qui s'y trouvent, ainsi qu'à leur enregistrement et à l'établissement de copies ou d'extraits par tout procédé, soit:
les communications enregistrées effectuées autrement que par la poste, au Canada, dont le destinataire du la source est:
a) Harjit Singh ATWAL;
b) 12471-79A Avenue, Surrey (Colombie-Britannique),
ET
à cette fin, entrer dans les lieux suivants:
c) le 12471-79A Avenue, Surrey (Colombie-Britanni- que), ou tout autre lieu au Canada pouvant être utilisé par Harjit Singh ATWAL comme résidence temporaire ou per- manente, que cette résidence soit stationnaire ou mobile;
d) tout véhicule utilisé par Harjit Singh ATWAL; d) [sic] tout autre lieu dans lequel s'est trouvé ledit Harjit Singh ATWAL et le Service a des motifs raisonnables de croire qu'il se trouve des communications enregistrées de Harjit Singh ATWAL.
C. Le présent mandat vaudra pour la période commençant le 26 juillet 1985 et expirant le 25 juillet 1986.
LE PRÉSENT MANDAT EST SOUMIS AUX CONDITIONS
SUIVANTES:
1" CONDITION:
Sauf s'il s'agit de déterminer si une communication a pour source ou destinataire Harjit Singh ATWAL, l'on ne prendra pas connaissance du contenu des communications orales ou des télécommunications interceptées dans tout lieu décrit au paragraphe A.c) au moyen d'un objet installé pour les fins d'une telle interception. Si la personne chargée de contrôler la communication interceptée décide que celle-ci n'a pas pour source ou destinataire Harjit Singh ATWAL, tous les enregis- trements ou les transcriptions de cette communication seront immédiatement effacés ou détruits, selon le cas, et leur contenu ne sera, à aucun moment et d'aucune manière, communiqué à quiconque. Si la personne chargée de contrô- ler la communication interceptée décide que celle-ci a pour source ou destinataire Harjit Singh ATWAL, elle sera inter- ceptée en vertu du pouvoir conféré par le présent mandat.
2` CONDITION:
Est attachée au présent mandat la condition qu'aucune com munication orale de nature privée, télécommunication ou communication enregistrée ne peut être interceptée au bureau ou à la résidence d'un procureur ou à tout autre endroit habituellement utilisé par un procureur donné ou par d'autres procureurs pour discuter avec des clients.
3e CONDITION:
Est également attachée au présent mandat la condition que les communications orales, les télécommunications ou les communications enregistrées qui auront lieu entre Harjit Singh ATWAL et un procureur ou l'employé d'un procureur ne pourront être initialement interceptées que pour permettre au directeur ou à un directeur général du bureau régional du Service canadien du renseignement de sécurité de déterminer si ces communications sont reliées aux menaces envers la sécurité du Canada déjà précisées dans le présent mandat. Les enregistrements des communications dont le directeur ou le directeur général du bureau régional détermine qu'elles ne sont pas reliées à une telle menace seront détruits, et aucune autre divulgation de cette communication n'aura lieu. Toute- fois, toute communication dont le directeur général du bureau régional détermine qu'elle se rapporte à une telle menace, sera interceptée en vertu de l'autorité conférée par le présent mandat. Le directeur ou le directeur général du bureau régional pourra permettre la traduction d'une com munication à laquelle s'applique la présente condition lorsque cela s'avère nécessaire à sa détermination. Dans un tel cas, le traducteur ne divulguera le contenu de la communication qu'au seul directeur ou directeur général du bureau régional.
Voici le libellé de l'article 21 de la Loi:
21. (I) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l'approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s'il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d'exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l'article 16.
(2) La demande visée au paragraphe (1) est présentée par écrit et accompagnée de l'affidavit du demandeur portant sur les points suivants:
a) les faits sur lesquels le demandeur s'appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire aux fins visées au paragraphe (1);
b) le fait que d'autres méthodes d'enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès, le fait que l'urgence de l'affaire est telle qu'il serait très difficile de mener l'enquête sans mandat ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations importantes concernant les menaces ou les fonctions visées au paragraphe (I) ne pourraient être acquises;
c) les catégories de communications dont l'interception, les catégories d'informations, de documents ou d'objets dont l'acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas 3a) à c) dont l'exercice, sont à autoriser;
d) l'identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;
e) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat demandé;
j) si possible, une description générale du lieu le mandat demandé est à exécuter;
g) la durée de validité applicable en vertu du paragraphe (5), de soixante jours ou d'un an au maximum, selon le cas, demandée pour le mandat;
h) la mention des demandes éventuelles touchant des person- nes visées à l'alinéa d), la date de chacune de ces demandes, le nom du juge à qui elles ont été présentées et la décision de celui-ci dans chaque cas.
(3) Par dérogation à toute autre règle de droit mais sous réserve de la Loi sur la statistique, le juge à qui est présentée la demande visée au paragraphe (1) peut décerner le mandat s'il est convaincu de l'existence des faits mentionnés aux alinéas 2a) et b) et dans l'affidavit qui accompagne la demande; le mandat autorise ses destinataires à intercepter des communica tions ou à acquérir des informations, documents ou objets. À cette fin il peut autoriser aussi, de leur part:
a) l'accès à un lieu ou un objet ou l'ouverture d'un objet;
b) la recherche, l'enlèvement ou la remise en place de tout document ou objet, leur examen, le prélèvement des informa- tions qui s'y trouvent, ainsi que leur enregistrement et l'éta- blissement de copies ou d'extraits par tout procédé;
c) l'installation, l'entretien et l'enlèvement d'objets.
(4) Le mandat décerné en vertu du paragraphe (3) porte les indications suivantes:
a) les catégories de communications dont l'interception, les catégories d'informations, de documents ou d'objets dont l'acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas 3a) à c) dont l'exercice, sont autorisés;
b) l'identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;
c) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat;
d) si possible, une description générale du lieu le mandat peut être exécuté;
e) la durée de validité du mandat;
I) les conditions que le juge estime indiquées dans l'intérêt
public.
(5) Il ne peut être décerné de mandat en vertu du paragra- phe (3) que pour une période maximale
a) de soixante jours lorsque le mandat est décerné pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la Sécurité [sic] du Canada au sens de l'alinéa d) de la définition de telles menaces contenue dans l'article 2; ou
b) d'un an dans tout autre cas.
L'expression «menaces envers la sécurité du
Canada» se trouve définie dans la Loi.
2....
«menaces envers la sécurité du Canada» Constituent des mena ces envers la sécurité du Canada les activités suivantes: a) l'espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudi- ciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favori- ser ce genre d'espionnage ou de sabotage;
b) les activités influencées par l'étranger qui touchent le Canada ou s'y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d'une nature clandestine ou trompeuse ou com- portent des menaces envers quiconque;
c) les activités qui touchent le Canada ou s'y déroulent et visent à favoriser l'usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d'atteindre un objectif politique au Canada ou dans un État étranger;
d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.
La présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d'une cause, de protestation ou de manifestation d'un désaccord qui n'ont aucun lien avec les activités mention- nées aux alinéas a) à d).
L'appelant prétend que le juge a commis une erreur en ne concluant pas que le mandat, à sa lecture, ne respectait pas les conditions énoncées à l'article 21 de la Loi puisque (a) il ne mentionne pas que le juge ayant décerné le mandat est con- vaincu du respect des deux conditions préalables à sa délivrance qui sont mentionnées au paragraphe 21(3), (b) il ne précise pas la «menace» à l'égard de laquelle il est décerné, (c) il ne restreint pas la saisie à des éléments se rapportant à cette menace, et (d) il autorise la saisie et l'interception de communications à caractère privilégié entre un avocat et son client.
(a) Les dispositions du paragraphe 21(3) n'ont pas été respectées
Le paragraphe 21(3) exige, comme condition préalable à la délivrance du mandat, que le juge soit convaincu de l'existence des faits mentionnés aux alinéas 21(2)a) et b). L'appelant, dans son exposé des faits et du droit, a exprimé ces faits de la façon suivante: (i) il doit exister des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada et (ii) d'au- tres méthodes d'enquête doivent avoir été essayées en vain ou offrir peu de chances de succès, l'ur- gence de l'affaire doit rendre leur utilisation très difficile ou il doit être probable que des informa- tions importantes concernant les menaces à la sécurité du Canada ne pourraient autrement être acquises. Le mandat ne mentionne effectivement pas que le juge est convaincu, pour des motifs raisonnables, qu'il a été satisfait à chacune de ces
conditions. D'autre part, dans l'attendu IV, il a déclaré: «je suis convaincu qu'un mandat doit être décerné en conformité avec l'article 21 de la [Loi] pour permettre au [Service] de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada, à savoir ...».
L'appelant a cité en abondance des déclarations de principes généraux inattaquables tirées de la jurisprudence. L'énoncé le plus succinct de la règle visée est peut-être celui du juge d'appel Arnup dans l'arrêt Re Borden & Elliott and The Queen (1975), 30 C.C.C. (2d) 337 (C.A. Ont.), à la page 347.
[TRADUCTION] La délivrance d'un mandat de perquisition n'est pas une question de pure forme. Le juge décernant un tel mandat doit être convaincu qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'une infraction a été commise et que les documents dont la saisie est sollicitée fourniront des éléments de preuve relatifs à la perpétration de cette infraction. La dénonciation présentée au juge doit être suffisamment détaillée pour lui permettre d'en arriver à cette conviction.
Je reconnais volontiers que la délivrance du mandat prévu à l'article 21 n'est pas une question de pure forme. Je conviens également que le para- graphe 21(3), en faisant référence à l'alinéa 21(2)a), exige du juge qu'il soit convaincu, pour des motifs raisonnables, que le mandat est néces- saire pour une fin donnée, ce qui implique l'appli- cation, par celui-ci, de critères objectifs plutôt que subjectifs. Il ne s'ensuit toutefois pas que le juge doive, à la lecture du mandat, énoncer qu'il est convaincu, pour des motifs raisonnables, du res pect de chacune des conditions préalables à sa délivrance.
Dans l'arrêt R. v. Welsh and lannuzzi (No 6) (1977), 32 C.C.C. (2d) 363, la Cour d'appel de l'Ontario a traité d'un argument similaire fondé sur l'omission, dans les attendus, de mentionner qu'une autorisation d'écoute avait été accordée conformément au Code criminel; à la page 372 de cette décision, le juge d'appel Zuber se prononce à cet égard dans les termes suivants:
[TRADUCTION] En l'espèce, il est soutenu que l'autorisation est invalide à sa seule lecture. On dit qu'il ressort clairement des attendus que le juge était seulement convaincu que l'autori- sation visée servirait au mieux l'administration de la justice et que d'autres méthodes d'enquête avaient peu de chances de succès. On soutient également que ces attendus impliquent que le juge a conclu à l'absence des circonstances énumérées aux alinéas 178.13(1)a) et c). En supposant qu'une telle inférence (qui ne serait pas la mienne) puisse être tirée des attendus et que, effectivement, les attendus soient autre chose qu'une pure
formalité, il est évident que cet argument procède de la proposi tion suivant laquelle les exigences du paragraphe 178.13(1) doivent être considérées comme cumulatives.
Bien que les exigences particulières du Code cri- minel ne soient pas directement pertinentes à l'es- pèce, il en est autrement de l'observation visant le rôle juridique des attendus et de l'inférence pou- vant être tirée de leur défaut de traiter de chacun des points en jeu. Parlant de ces mêmes disposi tions du Code criminel, le juge McDonald, de la Cour suprême de l'Alberta, dans le jugement qu'il a rendu en première instance dans l'affaire Re Donnelly and Acheson and The Queen (1976), 29 C.C.C. (2d) 58, aux pages 72 et 73, a expressé- ment tranché un tel point.
[TRADUCTION] Toutefois, selon la pratique des tribunaux de ce ressort, les faits probatoires auxquels a conclu la Cour n'ont pas à être mentionnés dans le préambule ou dans la suite des attendus des ordonnances ou des jugements. Lorsqu'un ou des faits probatoires sont mentionnés dans les attendus, ils ne déterminent point le droit des parties et ne doivent pas être considérés comme un exposé exhaustif des éléments de preuve soumis à la Cour.
Dans ses motifs par lesquels, le 30 avril 1987, il refusait d'accepter cette prétention comme motif d'annulation, le juge de première instance a dit aux pages 321 et 322:
Les alinéas 21(2)a) et b) formant partie intégrante de l'article 21 de la Loi, il serait sûrement inutile et superflu d'exiger une référence expresse à ces dispositions. Un juge doit être con- vaincu de la réalisation de nombreuses conditions avant de pouvoir décerner un mandat en vertu de la Loi sur le SCRS... . Le juge décernant un mandat ne devrait pas être obligé, pour que celui-ci soit valide à sa seule lecture, de déclarer expressé- ment, avec détails à l'appui, qu'il considère comme réalisées une ou des conditions particulières prévues à la Loi. Selon moi, on peut certainement présumer que le juge qui décerne le mandat, lorsqu'il déclare le décerner conformément à l'article de la loi qui l'y autorise, est convaincu que les dispositions applicables de cette loi ont été en tout point observées.
Je souscris entièrement au raisonnement énoncé par le juge dans ses motifs et je considère suffisant de les faire miens dans le cadre de la présente instance.
Le paragraphe 21(4) énumère les éléments devant ressortir à la lecture d'un mandat pour qu'il soit valide. Je conviens qu'il puisse ressortir des attendus qu'un mandat n'aurait pas être décerné; je n'estime toutefois pas que l'absence d'attendus, non expressément exigés par la loi habilitante, permet de conclure que le mandat visé est invalide à sa seule lecture.
(b) Le défaut de préciser les «menaces» dont il est question
L'appelant soutient en premier lieu, parallèle- ment à l'argument dont nous venons de traiter, que le mandat doit, à sa simple lecture, préciser que le juge qui le décerne est convaincu de l'existence de menaces envers la sécurité du Canada sur le fonde- ment de motifs raisonnables et, en second lieu, que la simple répétition des termes de la Loi ne suffit pas à décrire les menaces visées. En plus de rejeter le premier de ces arguments pour le motif qui vient d'être énoncé, je suis d'avis que le juge a effective- ment déclaré, dans l'attendu IV, avoir la convic tion requise. C'est faire considérablement violence au sens courant des mots anglais que de voir dans cet attendu, comme le fait l'appelant, la simple conviction du juge qu'un mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête, et non sa conviction que des menaces à la sécurité du Canada rendent l'enquête nécessaire.
Le second argument est fondé sur des décisions rendues dans des affaires analogues il était question du mandat de perquisition prévu au Code criminel. Par exemple, l'appelant s'appuie sur l'ar- rêt Bergeron et autres c. Deschamps et autres, [1978] 1 R.C.S. 243; (1977), 33 C.C.C. (2d) 461, une affaire qui traitait effectivement de la déten- tion, pour les fins de la preuve, de documents saisis en vertu d'un mandat reconnu comme illégal; le juge en chef Laskin a décrit ce mandat de la manière suivante [aux pages 244 R.C.S.; 461 C.C.C.]:
Le mandat, lancé par un juge de paix, autorisait la saisie, dans des locaux désignés, de divers documents décrits uniquement par catégorie (p. ex.: factures, correspondance, livres de comp- tabilité, chèques, notes manuscrites et une liste de noms) et ayant trait aux opérations financières de l'Association des sourds du Québec. Bien que l'on ait allégué une fraude, ni l'auteur ni la victime ni l'objet de la fraude n'étaient identifiés. Rien n'indiquait si les locaux à perquisitionner étaient ceux de l'Association ou ceux de l'auteur ou de la victime de la fraude alléguée qui, d'ailleurs, n'était aucunement précisée.
Le juge Rothman a annulé le mandat de perquisition, et le bien-fondé de cette décision n'a pas été contesté en appel ni devant cette Cour.
La Cour suprême a conclu, au sujet d'un tel mandat [aux pages 245 R.C.S.; 462 C.C.C.]: «on ne peut prétendre qu'il existe une infraction à laquelle les documents saisis pourraient se rattacher».
À l'encontre des décisions citées par l'appelant, qui concernaient des fouilles, perquisitions et sai- sies fondées sur des mandats postérieurs à la per- pétration de certaines infractions criminelles allé- guées, l'intimée a fait référence à de nombreuses décisions qui citent le texte d'autorisations d'écoute électronique: R. v. Welsh and Iannuzzi (N° 6), précitée, à la page 366; R. v. Gill (1980), 56 C.C.C. (2d) 169 (C.A.C.-B.), à la page 174; R. v. Volpe (1981), 63 C.C.C. (2d) 506 (C.A. Ont.), à la page 507 et R. v. Finlay and Grellette (1985), 23 C.C.C. (3d) 48 (C.A. Ont.), aux pages 52 et suivantes. Il est clair que les autorisations d'écoute électronique fondées sur le Code criminel n'ont pas été annulées pour avoir omis les détails requis lorsque, considérant la nature de l'enquête relati- vement à laquelle ces mandats avaient été décer- nés, on ne pouvait raisonnablement s'attendre à ce que les détails manquants soient divulgés à l'avance.
J'estime que, de façon générale, les autorisations d'interception de communications privées fondées sur la Loi seront, en pratique, plus difficilement précises à l'avance que les autorisations prévues au Code criminel. Le Code considère l'interception comme un instrument d'enquête devant être utilisé pendant qu'un acte se déroule ou après coup, tandis que la Loi vise principalement à recueillir des informations permettant de prévoir certains événements. Cette distinction a été reconnue par la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt United States v. U. S. District Court, 407 U.S. 297 (1972), à la page 322.
[TRADUCTION] Qui plus est, nous n'affirmons pas que le genre de critères et de procédures prescrits au Titre III s'appli- quent nécessairement à la présente espèce. Nous reconnaissons que la surveillance interne visant la sécurité peut mettre en jeu des considérations de politique ainsi que des considérations pratiques différentes de celles qui régissent la surveillance relative au «crime ordinaire». La collecte des renseignements de sécurité s'inscrit souvent dans un processus à long terme et met en jeu les rapports réciproques entre diverses sources et divers types d'informations. Les cibles exactes d'une telle surveillance peuvent être plus difficiles à identifier qu'elles ne le sont dans le cadre des opérations de surveillance visant bon nombre des types d'infractions criminelles mentionnées au Titre III. De plus, la collecte de renseignements internes vise souvent à prévenir les activités illégales ou à accroître l'aptitude du Gouvernement à faire face à quelque crise ou urgence éven- tuelle. Ainsi, la surveillance interne peut avoir un objet moins bien défini que celle qui se rapporte à des types de crimes plus courants.
Selon mon opinion, le fait que le mandat ait omis de décrire les menaces envisagées envers la sécu- rité du Canada autrement qu'en reprenant les termes de la Loi n'a pas pour conséquence de le rendre invalide à sa seule lecture.
(c) Le défaut d'assortir les saisies de restric tions
Il est avéré qu'aucune fouille, perquisition ou saisie n'a été effectuée en vertu de la partie B du mandat. L'appelant ne conteste pas que la partie B est intégralement séparable et respecte le critère énoncé dans l'arrêt Grabowski c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 434, à la page 453.
Quand il y a une ligne de démarcation claire entre les bonne et mauvaise parties d'une autorisation, qu'elles ne sont pas entrelacées au point de ne pouvoir être séparées mais consti tuent en somme des autorisations distinctes réunies dans une même ordonnance, le tribunal peut à mon avis diviser l'ordon- nance et sauvegarder la partie valide qui, dès lors, forme l'autorisation. En pareil cas les interceptions faites en vertu de l'autorisation valide sont recevables.
Je n'ai pas considéré ce qui serait advenu le Ser vice eût-il agi en s'autorisant de la partie B. Je n'ai pas l'intention de le faire dans les présents motifs.
(d) Le privilège du secret professionnel de l'avocat
La question qui se pose en l'espèce n'est pas celle de l'admissibilité en preuve des communica tions interceptées en vertu du mandat. Nous avons à décider si une autorisation assez large pour permettre l'interception de communications faisant l'objet du privilège du secret professionnel de l'avo- cat rend le mandat invalide à seule lecture.
En l'absence d'une décision judiciaire traitant directement de la question, l'appelant s'est appuyé fortement sur l'ouvrage intitulé Law of Electronic Surveillance in Canada, Toronto: Carswell, 1979, de David Watt, qui est à présent membre de la Haute Cour de l'Ontario. Il a particulièrement fait référence à un long passage figurant aux pages 175 et suivantes dans lequel l'auteur énonce le genre de restrictions dont une autorisation d'écoute électro- nique décernée en vertu du Code criminel devrait être assortie pour qu'il y ait une protection raison- nable contre l'interception des communications privilégiées. L'examen de ce passage montre clai- rement qu'il porte de façon immédiate sur les conditions qu'il pourrait être indiqué de respecter
une fois la personne surveillée accusée d'une infraction; cette situation n'est nullement analogue à celle qui se présente dans le cadre de la surveil lance effectuée en vertu de la Loi, et on ne peut même pas soutenir qu'elle s'applique à la situation de l'appelant, celui-ci n'ayant pas été accusé tandis que le mandat était en vigueur. Concernant ces dernières circonstances, je n'ai pas l'intention de traiter des arguments fondés sur l'alinéa 106) de la Charte.
L'appelant soutient également que le privilège attaché à une communication se trouvant perdu une fois le message intercepté, nonobstant le res pect des exigences de la condition 3 prévoyant que toutes les communications privilégiées seront détruites après avoir été ainsi identifiées et ne feront l'objet d'aucune autre divulgation, quicon- que a connaissance d'une telle communication, par exemple le directeur ou un traducteur, pourrait, néanmoins, être tenu de témoigner au sujet de son contenu. L'appelant appuie cette proposition sur la décision rendue dans l'affaire R. v. Dunbar and Logan (1982), 68 C.C.C. (2d) 13, dans laquelle un co-accusé était, sans autorisation, entré en posses sion de la communication privilégiée de l'accusé. Le juge d'appel Martin, prononçant les motifs de la Cour d'appel de l'Ontario, a dit à la page 42:
[TRADUCTION] À mon avis, le privilège a été annulé si Dunbar, même subrepticement, a retiré les notes visées de la cellule de Bray. L'auteur de Wigmore on Evidence (McNaughton Rev.), vol. 8, déclare à la page 633:
En particulier, aucune des divulgations involontaires dues à la perte ou au vol de documents se trouvant en la possession d'un avocat ne sont visées par ce privilège, le principe applicable voulant que la loi, ayant accordé la protection du secret relativement à sa propre procédure, laisse au client et à son avocat le soin de prendre des mesures suffisantes pour ne pas être entendus par des tiers. Le risque découlant de l'insuffisance des précautions prises repose sur le client. Ce principe s'applique également aux documents.
En soutenant ce qui précède, l'appelant nie toute force aux termes impératifs de la condition 3 qui interdisent une telle divulgation, et il oublie que les tribunaux sont disposés à exclure les éléments de preuve dont l'admission aurait tendance à discrédi- ter l'administration de la justice. Je ne puis conce- voir que la situation qu'il appréhende puisse réelle- ment se produire.
Ce sont les règles de fond, non les règles de preuve, qui doivent être considérées lors de l'appré- ciation de la validité d'un mandat. Dans l'arrêt Descoteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1
R.C.S. 860, après avoir fait référence à la décision antérieure rendue par la Cour dans l'affaire Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, le juge Lamer, à la page 875, a dit:
De toute évidence la Cour, dans cette cause, appliquait une norme qui n'a rien à voir avec la règle de preuve, le privilège, puisqu'en rien n'y était-il question de témoignages devant un tribunal quelconque. En fait la Cour, à mon avis, appliquait, sans par ailleurs la formuler, une règle de fond et, par voie de conséquence, reconnaissait implicitement que le droit à la confidentialité, qui avait depuis déjà longtemps donné naissance à une règle de preuve, avait aussi depuis donné naissance à une règle de fond.
Il est, je crois, opportun que nous formulions cette règle de fond, tout comme l'ont fait autrefois les juges pour la règle de preuve; elle pourrait, à mon avis, être énoncée comme suit:
I. La confidentialité des communications entre client et avocat peut être soulevée en toutes circonstances ces communica tions seraient susceptibles d'être dévoilées sans le consente- ment du client;
2. A moins que la loi n'en dispose autrement, lorsque et dans la mesure l'exercice légitime d'un droit porterait atteinte au droit d'un autre à la confidentialité de ses communications avec son avocat, le conflit qui en résulte doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité;
3. Lorsque la loi confère à quelqu'un le pouvoir de faire quelque chose qui, eu égard aux circonstances propres à l'espèce, pourrait avoir pour effet de porter atteinte à cette confiden- tialité, la décision de le faire et le choix des modalités d'exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d'un souci de n'y porter atteinte que dans la mesure absolu- ment nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante;
4. La loi qui en disposerait autrement dans les cas du deuxième paragraphe ainsi que la loi habilitante du paragraphe trois doivent être interprétées restrictivement.
Voilà la norme en fonction de laquelle le mandat doit être apprécié; ses paragraphes 3 et 4 sont particulièrement pertinents à la présente espèce.
Le paragraphe 21(3) autorise le juge à décerner un mandat autorisant ses destinataires «à intercep- ter des communications». Comme le caractère con- fidentiel des communications ne peut, lorsque l'in- terception se fait à l'aide de moyens électroniques, être établi de façon certaine avant que celles-ci ne soient captées, on ne peut tout simplement pas interpréter les dispositions du paragraphe 21(3) comme excluant leur interception initiale. À mon sens, les conditions 2 et 3 énoncées dans le mandat satisfont à l'exigence selon laquelle il ne doit être porté atteinte au caractère confidentiel des com munications entre un avocat et son client que si cela est absolument nécessaire pour atteindre les objectifs fixés par la Loi. Les objectifs pertinents se trouvent énoncés à l'article 12.
12. Le Service recueille, au moyen d'enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu'elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.
La divulgation des informations ainsi obtenues aux autorités chargées de faire respecter la loi est autorisée en vertu de l'alinéa 19(2)a) mais ne constitue pas un objectif de leur collecte.
3. LE MANDAT EST INVALIDE À SA SEULE LECTURE
NON RESPECT DE LA CHARTE
L'appelant prétend que l'article 21 de la Loi s'oppose à l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
L'avocat du procureur général de la Colombie-Bri- tannique a soutenu que l'interception et l'enregis- trement de conversations ne constituait aucune- ment une saisie. Il s'est appuyé sur une décision non publiée de la Cour suprême de la Colombie- Britannique, l'arrêt R. v. Taylor et al., X011079, prononcé le 30 décembre 1983, dans lequel il est dit:
[TRADUCTION] Je rejette sommairement la suggestion voulant qu'il y ait eu une saisie de mots. Le mieux que l'on puisse dire d'un tel argument est que les mots, une fois prononcés, dispa- raissent à moins d'être rappelés. L'enregistrement de ces mots et la préparation de transcriptions des communications visées ont seulement, avec exactitude, préservé les propos tenus et fait connaître l'identité de leurs auteurs.
Cette proposition ne semble pas avoir été soumise à la Cour d'appel de l'Ontario ni lui être venue à l'esprit lorsqu'elle a traité de cette même question posée par la Charte au regard des mêmes disposi tions du Code criminel dans l'arrêt R. v. Finlay and Grellette (1985), 23 C.C.C. (3d) 48, aux pages 61 et suivantes. Elle ne me serait pas venue à l'esprit non plus.
Je ne crois pas que ce soit élargir implicitement le champ d'application de l'article 8 de façon à lui faire envisager un droit à la vie privée s'étendant au-delà des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives, que de conclure qu'il s'applique effective- ment à l'interception autorisée par l'Etat de com munications verbales à caractère privé dans le but
de recueillir des éléments de preuve conformément au Code criminel ou des renseignements conformé- ment à la Loi. Cette manière d'aborder la question n'élargit aucunement le concept des fouilles, per- quisitions et saisies; elle reconnaît simplement que la technologie a modifié la manière dont les fouil- les, perquisitions et saisies peuvent être effectuées et, par effet de coïncidence, a ajouté les communi cations verbales aux éléments qui, en pratique, peuvent être saisis.
La décision qui fait autorité au sujet de l'article 8 est l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145. Selon l'appelant, cette décision établit que, pour être conformes à l'article 8, les dispositions législatives autorisant les fouil- les, perquisitions et saisies doit respecter les quatre conditions minimales suivantes:
(i) il doit y avoir autorisation préalable de la fouille, de la perquisition ou de la saisie, lorsque c'est possible;
(ii) c'est un juge ou au moins une personne en mesure d'agir de façon judiciaire qui doit décider si l'autorisation préalable doit être accordée;
(iii) la décision doit être fondée sur des éléments de preuve fournis sous serment; et
(iv) le critère objectif sur lequel cette décision doit être fondée doit comprendre des motifs raisonnables et pro bables de croire qu'un élément de preuve de l'infraction se trouve à l'endroit de la perquisition.
L'appelant reconnaît que l'article 21 de la Loi satisfait aux trois premières conditions, mais il prétend qu'il ne respecte pas la quatrième.
Il est utile que nous citions assez longuement les propos tenus par le juge Dickson —c'était alors son titre—aux pages 167 et suivantes.
L'établissement d'un critère objectif applicable à l'autorisation préalable de procéder à une fouille, à une perquisition ou à une saisie a pour but de fournir un critère uniforme permettant de déterminer à quel moment les droits de l'État de commettre ces intrusions l'emportent sur ceux du particulier de s'y opposer. Relier ce critère à la conviction raisonnable d'un requérant que la perquisition peut permettre de découvrir des éléments de preuve pertinents équivaudrait à définir le critère approprié comme la possibilité de découvrir des éléments de preuve. Il s'agit d'un critère très faible qui permettrait de valider une intrusion commise par suite de soupçons et autoriserait des recherches à l'aveuglette très étendues. Ce critère favoriserait considérablement l'État et ne permettrait au particulier de s'opposer qu'aux intrusions les plus flagrantes. Je ne crois pas que ce soit un critère approprié pour garantir le droit d'être protégé contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.
Le droit de l'État de déceler et de prévenir le crime commence à l'emporter sur le droit du particulier de ne pas être importuné lorsque les soupçons font place à la probabilité fondée sur la crédibilité. L'histoire confirme la justesse de cette exigence comme point à partir duquel les attentes en matière de la vie privée doivent céder le pas à la nécessité d'appliquer la loi. Si le droit de l'État ne consistait pas simplement à appliquer la loi comme, par exemple, lorsque la sécurité de l'État est en cause, ou si le droit du particulier ne correspondait pas simplement à ses attentes en matière de vie privée comme, par exemple, lorsque la fouille ou la perquisition menace son intégrité physi que, le critère pertinent pourrait fort bien être différent. Ce n'est pas le cas en l'espèce. Dans des cas comme la présente affaire, l'existence de motifs raisonnables et probables, établie sous serment, de croire qu'une infraction a été commise et que des éléments de preuve se trouvent à "endroit de la perquisition, constitue le critère minimal, compatible avec l'art. 8 de la Charte, qui s'applique à l'autorisation d'une fouille, d'une perquisition ou d'une saisie.
L'appelant soutient que l'article 21 ne respecte pas le quatrième critère parce qu'il n'exige pas que le juge croie, pour des motifs raisonnables et proba bles, (a) qu'une infraction a été commise et (b) que des éléments de preuve de l'infraction se trou- vent à l'endroit de la fouille ou perquisition.
Le mandat en cause a été décerné relativement à des menaces à la sécurité nationale, et non à l'égard de la commission d'une infraction au sens ordinaire. Ce n'est pas nécessairement appliquer un critère plus faible mais tenir compte de la réalité que de conclure, ainsi que l'a fait l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., qu'un critère différent devrait s'appliquer lorsque la sécurité nationale est en cause.
Comme la Loi n'autorise pas la délivrance de mandats pour faire enquête sur des infractions au sens ordinaire du droit criminel ou pour obtenir des éléments de preuve relativement à la perpétra- tion de telles infractions, il est parfaitement normal que l'article 21 n'exige pas du juge qui décerne le mandat qu'il soit convaincu qu'une infraction a été commise et que des éléments de preuve la concernant seront trouvés lors de l'exécu- tion du mandat. Ce que la Loi autorise, c'est la tenue d'enquêtes sur des menaces à la sécurité du Canada et, entre autres, la collecte de renseigne- ments concernant des activités qui peuvent, pour des motifs raisonnables, être considérées comme susceptibles de constituer de telles menaces. Étant donné la définition donnée au terme «juge», l'alinéa 21(2)a) de la Loi respecte entièrement, compte tenu des adaptations de circonstances, la prescrip-
tion de l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc. visant les critères minimums établis par l'article 8 relativement aux dispositions législatives autori- sant les fouilles, perquisitions et saisies. Le juge doit être convaincu, pour des motifs raisonnables et probables fondés sur des éléments de preuve fournis sous serment, que des menaces à la sécurité du Canada existent et qu'un mandat est nécessaire pour permettre la tenue d'une enquête à ce sujet. A mon sens, il s'agit d'un critère objectif.
Toutes les prétentions visant l'invalidité du mandat lui-même en raison de son incompatibilité avec l'article 8 de la Charte me sont apparues soit dépendre de l'invalidité de l'article 21 de la Loi, soit répéter essentiellement les arguments voulant que le mandat, à sa seule lecture, ne fût pas conforme à cette disposition. Il ne me semble pas utile de me répéter en traitant de ces prétentions. Je considère non fondé l'argument voulant que le mandat soit invalide à sa seule lecture parce qu'il ne respecterait pas les conditions minimales éta- blies par la Charte à l'égard des fouilles, perquisi- tions et saisies non abusives.
4. NON-DIVULGATION DE L'AFFIDAVIT
Selon la procédure normale, lorsque des élé- ments de preuve visant la perpétration d'une infraction ont été réunis contre une personne en vertu de l'autorité conférée par un mandat de perquisition ou une autorisation de surveillance électronique, cette personne a le droit, avant que ces éléments de preuve ne soient utilisés contre elle, de contester la validité du mandat au motif que le juge qui l'a décerné n'aurait pas le faire en raison de l'insuffisance des pièces justificatives. Le fondement d'un tel droit a été énoncé par le juge H. J. MacDonald, de la Cour suprême de l'Alberta, dans l'arrêt Realty Renovations Ltd. v. A.G. Alta., [1979] 1 W.W.R. 74, à la page 80, dans un passage cité avec approbation par le juge Dickson —c'était alors son titre—dans l'arrêt Pro- cureur général de la Nouvelle-Écosse et autre c. Maclntyre, [ 1982] 1 R.C.S. 175, à la page 181.
[TRADUCTION] Puisque la délivrance d'un mandat de perqui- sition est un acte judiciaire et non un acte administratif, il me paraît fondamental que, pour pouvoir exercer le droit de contes- ter la validité d'un mandat de perquisition, la partie concernée ou son avocat puisse examiner le mandat de perquisition et la dénonciation sur laquelle il se fonde. Bien qu'il n'existe pas d'appel de la délivrance d'un mandat de perquisition, une cour supérieure a le droit, par bref de prérogative, de réviser l'acte
du juge de paix qui délivre le mandat. Pour bien présenter sa requête, le requérant doit en connaître les raisons ou motifs qui tiennent fort probablement à la formulation de la dénonciation ou du mandat.
Cette justification s'applique aussi bien à une autorisation d'écoute électronique qu'à un mandat de perquisition et aussi bien à la surveillance effec- tuée en vertu de la Loi qu'à la surveillance qui a lieu dans le cadre d'une enquête traditionnelle en matière criminelle. L'appelant, qui a le droit et l'intention d'entreprendre la contestation susmen- tionnée, ne peut le faire que si on lui donne pleinement accès à l'affidavit d'Archie Barr men- tionné à l'attendu III. À ce point-ci, la Cour doit trancher si le juge s'est trompé en refusant d'or- donner sa production.
La Loi n'interdit pas expressément la production de cet affidavit. Ses dispositions pertinentes sont les articles 18, 19, 27 et 28, dont voici les parties applicables à l'espèce:
18. (1) Sous réserve du paragraphe (2), nul ne peut commu- niquer des informations qu'il a acquises ou auxquelles il avait accès dans l'exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ou lors de sa participation à l'exécution ou au contrôle d'application de cette loi et qui permettraient de découvrir l'identité:
a) d'une autre personne qui fournit ou a fourni au Service des informations ou une aide à titre confidentiel;
b) d'une personne qui est ou était un employé occupé à des activités opérationnelles cachées du Service.
(2) La communication visée au paragraphe (1) peut se faire dans l'exercice de fonctions conférées en vertu de la présente loi ou de toute autre loi fédérale ou pour l'exécution ou le contrôle d'application de la présente loi, si une autre règle de droit l'exige ou dans les circonstances visées aux alinéas 19(2)a) à d).
(3) Quiconque contrevient au paragraphe (1) est coupable:
a) soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans;
b) soit d'une infraction punissable par procédure sommaire.
19. (1) Les informations qu'acquiert le Service dans l'exer- cice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ne peuvent être communiquées qu'en conformité avec le présent article.
(2) Le Service peut, en vue de l'exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ou pour l'exécution ou le contrôle d'application de celle-ci, ou en conformité avec les exigences d'une autre règle de droit, communiquer les informa- tions visées au paragraphe (1). Il peut aussi les communiquer aux autorités ou personnes suivantes:
a) lorsqu'elles peuvent servir dans le cadre d'une enquête ou de poursuites relatives à une infraction présumée à une loi
fédérale ou provinciale, aux agents de la paix compétents pour mener l'enquête, au procureur général du Canada et au procureur général de la province des poursuites peuvent être intentées à l'égard de cette infraction;
L'alinéa 19(2)a) suffit à illustrer le genre de com munication d'informations par le Service qu'envi- sage la Loi. C'est la communication d'informations au Procureur général de la Colombie-Britannique, autorisée par cette disposition, qui a été à l'origine de la présente instance. Sans cette communication, l'appelant n'aurait, présumément, jamais connu l'existence du mandat. Les alinéas b),c) et d) autorisent, dans des circonstances précises, la com munication d'informations aux ministres de la Couronne du chef du Canada ou à des fonctionnai- res fédéraux. Aucune de ces dispositions n'envisage la communication sollicitée en l'espèce.
27. Une demande de mandat ou de renouvellement de mandat faite à un juge en vertu de l'article 21, 22 ou 23 est entendue à huis clos en conformité avec les règlements d'appli- cation de l'article 28.
28. Le gouverneur en conseil peut, par règlement:
a) déterminer la forme des mandats décernés en vertu de l'article 21 ou 23;
b) prévoir les règles de pratique et de procédure, ainsi que les conditions de sécurité, applicables à l'audition d'une demande de mandat ou de renouvellement de mandat;
c) par dérogation à la Loi sur la Cour fédérale et aux règles prises sous son régime, préciser les lieux peuvent se tenir les auditions et doivent être conservés les archives et documents qui s'y rattachent, de même que leur mode de conservation.
Aucun règlement n'a été édicté en vertu de l'article 28. Aucune règle de la Cour directement applicable à de telles circonstances n'a été édictée en vertu de la Loi sur la Cour fédérale. Bien qu'il puisse ne pas être approprié de soulever un tel point, l'appelant ne l'ayant pas fait, je peux très bien concevoir que, en l'absence de tels règles et règlements, le défaut d'inclure un affidavit comme celui-là dans le dossier conjoint de la cause en appel, comme semble l'exiger la Règle 1204, puisse être soulevé dans le cadre d'un appel éventuel. Peut-être devons-nous inférer de son absence que le juge, statuant sur la demande d'annulation quel- ques vingt mois après avoir décerné le mandat, n'a pas réexaminé l'affidavit. Quoi qu'il en soit, dans la mesure les règles générales de la Cour sont pertinentes, elles militent en faveur de la communication.
La seule restriction à la communication imposée par la Loi est l'interdiction absolue de la communi cation par quiconque des informations à partir desquelles peut être inférée l'identité d'un informa- teur ou d'un employé occupé à des activités opéra- tionnelles cachées. La Cour devrait respecter cette prohibition. À mon sens, l'exigence que la demande de mandat soit entendue de façon privée n'implique pas que l'affidavit présenté à l'appui d'une telle demande ne peut être communiqué dans aucune circonstance. A ma connaissance, il est de pratique courante que toutes les demandes initiales de mandat de perquisition ou d'autorisa- tion d'écoute électronique soient présentées de façon privée. Ce n'est qu'une fois ce mandat exé- cuté que prend naissance le droit d'une partie intéressée d'examiner les informations présentées à l'appui de la demande de mandat.
L'avocat du procureur général de la Colombie- Britannique a soutenu que les communications visées à l'article 19 sont les seules permises à l'égard des informations contenues dans l'affidavit et que la communication de telles informations à l'appelant est, en conséquence, interdite par la Loi. J'en déduis que les informations figurant dans l'affidavit sont, selon toute probabilité, des «infor- mations qu'acquiert le Service dans l'exercice des fonctions qui lui sont conférées» et, en consé- quence, sont visées par l'article 19. Cet argument échoue parce que cet article traite de la communi cation d'informations par le Service. Or, nous nous trouvons ici en présence d'une demande de com munication d'informations présentée à la Cour. Rien dans la Loi n'interdit expressément une telle communication. Si elle ne doit pas se faire, ce doit être parce qu'une des parties intéressées s'y oppose de façon régulière, et non parce que la loi l'interdit.
L'intimée cite deux décisions de cette Cour à l'appui de la proposition que, légalement, pour des considérations ayant trait à la sécurité nationale, l'affidavit ne doit pas être communiqué. Ces déci- sions, les arrêts Goguen c. Gibson, [1983] 2 C.F. 463 (C.A.) et Gold c. R., [1986] 2 C.F. 129 (C.A.), ont toutes deux maintenu le refus d'un juge désigné en vertu du paragraphe 36.2(1) de la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10 (ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4)] de même examiner des documents à la
production desquels on s'était opposé, afin de déterminer s'ils pouvaient être divulgués. Dans l'affaire Goguen, c'est la défenderesse qui sollici- tait la divulgation, dans le cadre d'une poursuite criminelle, alors que l'affaire Gold, elle était recherchée par la demanderesse dans le cadre d'une action civile. À la lecture de ces deux déci- sions, il ressort clairement que la Cour n'a même pas procédé à l'examen des documents en question parce qu'elle était parvenue à une conclusion quant à leur valeur probante. Dans l'affaire Goguen, la Cour était convaincue que les documents ne pou- vaient que confirmer une preuve directe autrement disponible tandis que, dans l'affaire Gold, elle était convaincue que les documents ne pouvaient être pertinents à aucune des questions en litige, eu égard aux aveux figurant dans la défense. La pertinence de l'affidavit relativement à la contesta- tion du mandat projetée par l'appelant ne fait aucun doute.
L'intimée soutient également que, dans le cadre d'une demande d'annulation d'une ordonnance ex parte fondée sur la Règle 330, le refus d'ordonner la production de l'affidavit est une question discré- tionnaire; elle prétend que
[TRADUCTION] Une Cour d'appel ne doit intervenir relative- ment à l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge de première instance à l'égard d'une question interlocutoire comme celle en l'espèce que s'il est clair que le juge en question s'est fondé sur un principe erroné ou une appréciation erronée des faits dans l'exercice de ce pouvoir ou que l'ordonnance n'est pas juste et raisonnable.
Référence est faite à la décision rendue dans l'af- faire International Business Machines Corpora tion of Canada Limited and Xerox Corporation (1977), 16 N.R. 355 (C.A.F.) ainsi qu'aux déci-• sions mentionnées dans la note de bas de page 1 de ce jugement. Alors que les questions devant être tranchées dans le cadre d'une demande présentée à un juge de première instance en vertu de la Règle 330 seront, selon toute probabilité, habituellement interlocutoires par nature, l'ordonnance prononcée en l'espèce a clairement un caractère final. Notre devoir consiste à déterminer si le juge de première instance a commis une erreur de droit en refusant d'ordonner cette production.
Le juge de première instance a analysé assez longuement la question de savoir si le processus prévu aux articles 36.1 [ajouté par S.C. 1980-81- 82-83, chap. 111, annexe III, art. 4] et 36.2 de la
Loi sur la preuve au Canada avait été déclenché dans le cadre de la demande fondée sur l'article 330. Sa conclusion négative n'est pas contestée dans le cadre de la présente instance.
Je considère qu'il est juste de qualifier de terro- risme les menaces envers la sécurité du Canada à l'égard desquelles le mandat a été décerné. Toute personne sensée reconnaîtra que, à notre époque, le terrorisme présente une menace envers la sécurité d'un grand nombre de pays, que le Canada et les Canadiens ne sont pas à l'abri du terrorisme, susceptible d'être pratiqué sur leur territoire ou de les prendre pour cible, et qu'il y va clairement de notre intérêt national que les informations relatives à de telles menaces soient recueillies par le Service. Les événements qui ont conduit à la tenue de l'enquête et à la rédaction du rapport de la Com mission McDonald ainsi qu'à la décision finale du Parlement de faire jouer un rôle au pouvoir judi- ciaire au sein du processus de collecte des rensei- gnements sont suffisamment frais à notre esprit pour permettre au tribunal d'avoir une connais- sance d'office de certaines questions générales. Le système antérieur était devenu inacceptable aux yeux du gouvernement et du Parlement parce qu'il avait perdu sa crédibilité auprès du public. Un grand nombre de personnes ne croyaient tout sim- plement pas que les mesures prises au nom de la sécurité nationale avaient été justifiées, bien que la plupart d'entre elles aient considéré la sécurité nationale comme très importante. Le scepticisme de la population était suscité autant, sinon plus, par l'identité des cibles de ce système, au fur et à mesure que celle-ci devenait publique, que par les méthodes des personnes engagées dans ces activi- tés. L'une des mesures choisies pour asseoir la crédibilité du nouveau Service civil auprès du public est l'instauration d'un contrôle judiciaire les activités cachées du Service peuvent faire intrusion dans la vie privée de citoyens et résidents canadiens. L'intervention judiciaire ne s'imposait pas pour permettre au Service d'effectuer une surveillance efficace; il eût été plus facile de pour- suivre une telle activité en vertu de l'autorisation de l'exécutif. Cette intervention était nécessaire pour protéger les cibles éventuelles contre la possi- bilité d'une surveillance injustifiée et pour assurer le public qu'une telle protection était effectivement accordée. Les bienfaits de l'intervention judiciaire pour le Service et, par voie de conséquence, pour le Canada, seront menacés si cette intervention est
présentée au public et perçue par celui-ci principa- lement comme un rouage du système de collecte des renseignements plutôt que comme une fonction du système judiciaire.
Dans ses motifs, le juge de première instance a cité le passage suivant de l'arrêt Maclntyre, aux pages 183 et 184, dans lequel le juge Dickson, parlant des mandats de perquisition, après avoir observé l'existence d'un principe cardinal d'intérêt public favorisant la «transparence» des procédures judiciaires, a poursuivi en disant:
Bentham a énoncé de façon éloquente la justification de ce dernier principe dans les termes suivants:
[TRADUCTION] «Dans l'ombre du secret, de sombres visées et des maux de toutes formes ont libre cours. Les freins à l'injustice judiciaire sont intimement liés à la publicité. il n'y a pas de publicité, il n'y a pas de justice.» «La publicité est le souffle même de la justice. Elle est l'aiguillon acéré de l'effort et la meilleure sauvegarde contre la malhonnêteté. Elle fait en sorte que celui qui juge est lui-même un jugement.»
Le fait que les mandats de perquisition peuvent être délivrés par un juge de paix à huis clos n'entame pas cette préoccupa- tion de responsabilité. Au contraire, il donne du poids à la thèse en faveur de la politique d'accessibilité. Le secret qui préside d'abord à la délivrance de mandats peut occasionner des abus et la publicité a une grande influence préventive contre toute inconduite possible.
En bref, ce qu'il faut viser, c'est le maximum de responsabi- lité et d'accessibilité, sans aller jusqu'à causer un tort à un innocent ou à réduire l'efficacité du mandat de perquisition comme arme dans la lutte continue de la société contre le crime.
Très légèrement adaptée, cette dernière déclara- tion se révèle particulièrement pertinente. En l'es- pèce, on doit rechercher la plus grande responsabi- lité et la plus grande accessibilité possibles du pouvoir judiciaire au sein du système de collecte des renseignements, sans que cela nuise pour autant aux enquêtes relatives à des menaces vérita- bles envers la sécurité nationale. Au risque de me répéter, la crédibilité du Service dépend de façon directe et indiscutable, mais aucunement de façon exclusive, de la crédibilité de la présence judiciaire au sein du système; la crédibilité judiciaire étant très fortement tributaire de la transparence, cel- le-ci est donc également à l'avantage du Service.
À la page 346 de ses motifs, le juge a défini de la manière suivante la question en jeu:
Il s'agit de déterminer en l'espèce s'il existe ou non des circons- tances spéciales qui permettraient à la Cour de déroger à la règle générale selon laquelle tous les documents déposés à la Cour doivent être divulgués à toutes les parties, en l'absence
d'une attestation faite en vertu de l'article 36.1. Je formule cette question ainsi en raison de la jurisprudence qui, à mon avis, permet à la Cour de déroger à la règle générale lorsque, selon elle, cette divulgation serait contraire aux meilleurs inté- rêts de l'administration de la justice.
Il a alors cité le passage suivant de la page 189 de l'arrêt Maclntyre en y ajoutant des soulignements.
Il n'y a pas de doute qu'une cour possède le pouvoir de surveiller et de préserver ses propres dossiers. L'accès peut en être interdit lorsque leur divulgation nuirait aux fins de la justice ou si ces dossiers devaient servir à une fin irrégulière. Il y a présomption en faveur de l'accès du public à ces dossiers et il incombe à celui qui veut empêcher l'exercice de ce droit de faire la preuve du contraire.
Il a conclu:
Cet extrait montre clairement qu'un juge a le pouvoir discré- tionnaire d'interdire l'accès à des documents de la Cour «lors- que leur divulgation nuirait aux fins de la justice.»
Le juge de première instance s'est fondé sur deux circonstances particulières pour refuser la commu nication de l'affidavit. L'extrait suivant figure à la page 351 de ses motifs.
... premièrement, l'affidavit porte sur le terrorisme politique qui faisait l'objet d'une enquête dans l'intérêt de la sécurité nationale. La divulgation de l'affidavit pourrait fort bien provo- quer la révélation de méthodes d'enquête en matière de sécurité qui serait susceptible de nuire considérablement à l'efficacité de la présente enquête de sécurité et d'autres enquêtes éventuelles. On ne saurait nier ni méconnaître combien il est important pour le public que le Service de sécurité conserve et voit protégée sa capacité de remplir l'important et difficile mandat que lui a confié la Loi sur le SCRS dans l'intérêt de la sécurité nationale. Deuxièmement, en tout état de cause, et pour les motifs exposés plus haut, j'estime qu'en ce qui concerne l'accu- sation criminelle portée contre lui en Colombie-Britannique, le requérant peut fort bien disposer d'autres voies de recours relativement à la divulgation de l'affidavit Barr.
À ce point-ci, je cesse d'être d'accord avec le juge de première instance. À mon sens, si la divulgation de l'affidavit doit être refusée, elle ne peut l'être pour le motif que la communication de celui-ci entraverait les fins de la justice. Les fins de la sécurité nationale ne sont pas équivalentes à celles de la justice.
La seconde considération, avec déférence, ne me semble pas pertinente. Le requérant a le droit de contester la validité du mandat, et il doit le faire devant cette Cour. L'arrêt Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594, concernait la décision d'un juge d'une cour provinciale statuant que les élé- ments de preuve recueillis en vertu d'une autorisa-
tion d'écoute électronique décernée conformément au Code criminel par un juge de la Cour du Banc de la Reine était inadmissible parce qu'elle avait été obtenue de façon illégale. La Cour a conclu qu'il avait commis une erreur en excluant la preuve en question et elle a ordonné la tenue d'un nouveau procès. Le juge McIntyre, prononçant les motifs de la majorité, a conclu à la page 607:
Puisqu'il n'y a aucun droit d'appel contre l'octroi d'une autorisation et puisqu'il ne paraît pas y avoir lieu à certiorari (en l'absence d'une question de compétence), toute demande de révision d'une autorisation doit, selon moi, être adressée à la cour qui l'a accordée. Cette procédure est appuyée par la jurisprudence. Une autorisation est accordée par suite d'une demande ex parte. Il existe en matière civile un corps de jurisprudence qui porte sur la révision d'ordonnances rendues ex parte. Suivant une règle généralement acceptée, une ordon- nance ex parte peut faire l'objet d'une révision par le juge qui l'a rendue.
La Règle 330 prévoit la procédure suivant laquelle une telle révision aura lieu devant cette Cour.
En ce qui a trait à la première considération mentionnée, je n'arrive pas à percevoir si le juge a assimilé l'intérêt de la sécurité nationale, dont je ne conteste pas l'existence ou l'importance, à l'in- térêt qu'il y a à éviter la défaite des fins de la justice, ou s'il a, de son propre chef, considéré approprié de faire appel aux articles 36.1 et sui- vants de la Loi sur la preuve au Canada puisque l'intimée ne l'avait pas fait. Dans un cas comme dans l'autre, à mon sens, il s'est trompé.
L'intérêt du public dans l'administration de la justice doit, il me semble, invariablement favoriser la transparence de toutes les procédures judiciai- res. Il s'agit d'un intérêt que les juges doivent considérer comme entièrement indépendant des autres intérêts publics qui peuvent lui être opposés et, à l'occasion, l'emporter sur lui. Tous ces inté- rêts doivent être traités comme des intérêts concur- rents, non comme des éléments constitutifs de quelque intérêt public global dont l'influence sur la transparence du processus judiciaire devrait être appréciée par les juges cas par cas. En adoptant cette dernière manière d'aborder la question, on risque de voir l'administration de la justice écartée au profit d'autres considérations qui pourraient être seulement momentanément plus pressantes. En supposant que la communication d'un affidavit n'aurait pas un effet catastrophique sur l'ensemble de notre ordre social, les fins de la justice ne sont pas des intérêts auxquels une telle communication puisse porter atteinte.
Rien de ce qui précède ne signifie que le juge qui prévoit une divulgation d'informations contraire à l'intérêt de la sécurité nationale au cours d'une instance une telle divulgation n'était pas forcé- ment attendue ou dans laquelle la Couronne du chef du Canada n'est pas représentée, ne devrait pas accorder aux autorités responsables la possibi- lité de faire valoir cet intérêt. Le devoir du juge ne consiste pas davantage à permettre passivement la mise en péril de l'intérêt du public dans la sécurité nationale qu'à le faire valoir activement en l'oppo- sant à la norme de la transparence du' processus judiciaire. Ce n'est pas le cas en l'espèce.
La Loi sur la preuve au Canada porte:
36.1 (1) Un ministre de la Couronne du chef du Canada ou toute autre personne intéressée peut s'opposer à la divulgation de renseignements devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, en attestant verbalement ou par écrit devant eux que ces renseignements ne devraient pas être divulgués pour des raisons d'intérêt public déterminées.
(2) Sous réserve des articles 36.2 et 36.3, dans les cas l'opposition visée au paragraphe (1) est portée devant une cour supérieure, celle-ci peut prendre connaissance des renseigne- ments et ordonner leur divulgation, sous réserve des restrictions ou conditions qu'elle estime indiquées, si elle conclut qu'en l'espèce, les raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation l'emportent sur les raisons d'intérêt public invoquées lors de l'attestation.
36.2 (1) Dans les cas l'opposition visée au paragraphe 36.1(1) se fonde sur le motif que la divulgation porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales, la question peut être décidée conformément au paragraphe 36.1(2), sur demande, mais uniquement par le juge en chef de la Cour fédérale ou tout autre juge de cette cour qu'il charge de l'audition de ce genre de demande.
(5) Les demandes visées au paragraphe (1) font, en premier ressort ou en appel, l'objet d'une audition à huis clos; celle-ci a lieu dans la région de la Capitale nationale définie à l'annexe de la Loi sur la Capitale nationale si la personne qui s'oppose à la divulgation le demande.
(6) La personne qui a porté l'opposition qui fait l'objet d'une demande ou d'un appel a, au cours des auditions, en première instance ou en appel et sur demande, le droit de présenter des arguments en l'absence d'une autre partie.
J'ai cité les dispositions qui précèdent afin d'établir que le législateur a prévu des recours évidents qui permettent au ministre de la Couronne intéressé, s'il le choisit, de faire valoir que la sécurité natio- nale s'oppose à la divulgation de l'affidavit, et d'obtenir une décision judiciaire à cet égard.
Je souligne à nouveau que le juge de première instance a vu l'affidavit en question et sans doute, d'autres affidavits semblables, tandis que je ne les ai pas vus. Il peut avoir une bonne raison de conclure que la sécurité nationale, si elle était invoquée, s'opposerait à la divulgation de toute partie importante de l'affidavit. Toutefois, ce n'est pas à lui d'invoquer cette raison d'intérêt public. Le ministre intéressé est parfaitement capable de s'acquitter des responsabilités que le Parlement lui a assignées et, dans l'intérêt de l'administration de la justice, c'est lui, et non un juge, qui devrait les assumer. L'exercice régulier du pouvoir discrétion- naire des juges d'éviter la défaite des fins de la justice ne demande nullement à ceux-ci de prévoir une telle objection, et encore moins de prévoir qu'elle visera l'ensemble de l'affidavit.
CONCLUSION
Avec déférence, je suis d'avis que le mandat est valide à sa lecture mais que, en l'absence d'une opposition fondée sur l'article 36.1 de la Loi sur la preuve au Canada, il incombait au juge d'ordonner la production de l'affidavit après y avoir supprimé tout renseignement qui aurait permis de découvrir l'identité d'une personne visée aux alinéas 18(1)a) et/ou b) de la Loi. Il s'est trompé en ne le faisant pas, et je statuerais dans ce sens. J'accueillerais l'appel avec dépens et, conformément au sous-ali- néa 52b)(iii) de la Loi sur la Cour fédérale, je renverrais la question devant le juge pour qu'il poursuive l'instruction de la demande conformé- ment à la déclaration qui précède.
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris à ces motifs.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN (dissident en partie): Le 26 juillet 1985, le juge Heald, agissant en qualité de juge de la Cour fédérale du Canada désigné par le juge en chef pour les fins de la Loi sur le Service
canadien du renseignement de sécurité (S.C. 1984, chap. 21) (SCRS), a décerné, conformément à l'article 21 de cette loi, un mandat autorisant l'interception et la recherche des communications privées, effectuées oralement et par écrit, de l'ap- pelant Harjit Singh Atwal. M. Atwal, ayant été subséquemment acccusé d'infractions criminelles en Colombie-Britannique et ayant été avisé de l'intention de la Couronne de présenter en preuve lors du procès un certain nombre des communica tions interceptées, a demandé au juge Heald d'an- nuler l'ordonnance ex parte par laquelle il avait décerné le mandat. Cette requête était censément présentée conformément à la Règle 330 de cette Cour':
Règle 330. La Cour peut annuler
a) toute ordonnance rendue ex parte, ou
b) toute ordonnance rendue en l'absence d'une partie qui a omis de comparaître par suite d'un événement fortuit ou d'une erreur ou à cause d'un avis de requête insuffisant;
mais une telle annulation n'affecte ni la validité ni la nature d'une action ou omission antérieure à l'ordonnance d'annula- tion sauf dans la mesure la Cour, à sa discrétion, le prévoit expressément dans son ordonnance d'annulation.
Dans une décision longue et rédigée avec soin en date du 3 avril 1987, le juge Heald a rejeté cette demande d'annulation. Le présent appel est inter- jeté à l'encontre de cette décision.
Au commencement de l'audience, l'avocat de l'intimée a mis en doute notre compétence à enten- dre l'appel. Il doit être souligné qu'aucune objec tion à la compétence du juge Heald d'instruire la demande d'annulation du mandat initial n'a été soulevée soit devant nous soit devant ce juge; une telle demande semble être du type de celles qui ont été approuvées expressément par la majorité de la Cour suprême dans l'arrêt Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594. L'objection contestait plutôt la compétence de la Division d'appel de cette Cour à instruire un appel interjeté de la décision du juge Heald. L'argument avancé, en bref, veut que le juge Heald n'ait pas siégé en qualité de juge de la Division de première instance lorsqu'il a décerné le mandat et que, en conséquence, l'article 27 de la Loi sur la Cour fédérale 2 (la seule disposition dont l'applicabilité puisse être soutenue) ne crée pas en l'espèce un droit d'appel.
' C.R.C., chap. 663.
2 S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10.
À mon avis, cet argument est mal fondé puisque, quelle qu'ait pu être la qualité du juge Heald au moment il a décerné le mandat initial le 26 juillet 1985, lorsqu'il a siégé plus d'un an et demi plus tard pour entendre la demande d'annulation de ce mandat, il n'a pu le faire qu'à titre de juge de la Cour fédérale du Canada. Je répète que sa compétence à instruire cette demande n'a jamais été mise en doute. Dans ces circonstances, il me semble évident que le paragraphe 26(1) de la Loi sur la Cour fédérale s'applique et que le juge Heald, lorsqu'il a rendu le jugement porté en appel, devait exercer la compétence qui lui est conférée à titre de membre d'office de la Division de première instance.
Quoi qu'il en soit, la question est sans intérêt pratique. L'avocat de l'intimée a reconnu que cel- le-ci ne subirait aucun préjudice si le présent appel était converti en demande d'examen et d'annula- tion fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Il a été suggéré, sans grande conviction, que le juge Heald ne siégeait aucunement en qua- lité de juge mais à titre de persona designata, de sorte qu'il ne se trouvait pas assujetti aux disposi tions de l'article 28. À mon sens, non seulement une telle proposition est-elle incompatible avec la reconnaissance de la compétence du juge Heald à instruire la demande d'annulation, mais encore contredit-elle de façon flagrante la décision rendue par la Cour suprême du canada dans l'affaire Herman et autres c. Sous-procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 729. Si donc je me trompais en considérant que la décision visée peut être portée en appel en vertu de l'article 27 de la Loi sur la Cour fédérale, je rendrais une ordon- nance permettant la conversion du présent appel en une demande fondée sur l'article 28.
Ceci m'amène à traiter du fond de la question en litige. Un grand nombre de points ont été plaidés devant nous; il ne m'apparaît cependant nécessaire de traiter que d'un seul d'entre eux, que je consi- dère comme concluant. Cet argument, énoncé sim- plement, veut que l'article 21 de la Loi sur le SCRS, qui a été adoptée quelque trois mois avant l'arrêt de base rendue par la Cour suprême dans l'affaire Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145, soit incompatible avec la garantie contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives prévue à l'article 8 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés, selon l'interprétation de cette disposition dans l'arrêt Hunter.
La Loi sur le SCRS a été adoptée en 1984 face à l'insatisfaction considérable que soulevait la manière dont les opérations relatives à la sécurité nationale avaient jusque-là été menées. La Loi crée un organisme civil chargé de faire enquête sur les menaces à la sécurité nationale, et elle assujet- tit ses opérations à des inspections et à une révision s'inscrivant dans un mécanisme soigneusement conçu et visant à faire en sorte qu'en dépit du caractère nécessairement secret de telles opéra- tions, le public ait confiance que les vastes pouvoirs du Service ne sont pas exercés de façon abusive. Le mécanisme susmentionné exige notamment une autorisation judiciaire préalable à toute intrusion dans la vie privée des canadiens par la surveillance électronique ou par d'autres moyens. C'est le seul contrôle non politique qui précède l'acte con cerné; nous ne voulons pas minimiser l'importance des autres mécanismes créés par la Loi pour con- trôler les activités du Service après coup, mais il est nécessaire de tenir compte de ce point pour bien comprendre le rôle joué par les tribunaux dans l'ensemble du contexte de la Loi sur le SCRS.
La disposition pertinente aux fins de notre ana lyse est l'article 21. II figure dans la Partie II de la Loi, intitulée «Contrôle judiciaire», et il est libellé de la façon suivante:
21. (I) Le directeur ou un employé désigné à cette fin par le ministre peut, après avoir obtenu l'approbation du ministre, demander à un juge de décerner un mandat en conformité avec le présent article s'il a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada ou d'exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l'article 16.
(2) La demande visée au paragraphe (1) est présentée par écrit et accompagnée de l'affidavit du demandeur portant sur les points suivants:
a) les faits sur lesquels le demandeur s'appuie pour avoir des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire aux fins visées au paragraphe (1);
b) le fait que d'autres méthodes d'enquête ont été essayées en vain, ou la raison pour laquelle elles semblent avoir peu de chances de succès, le fait que l'urgence de l'affaire est telle qu'il serait très difficile de mener l'enquête sans mandat ou le fait que, sans mandat, il est probable que des informations
importantes concernant les menaces ou les fonctions visées au paragraphe (1) ne pourraient être acquises;
c) les catégories de communications dont l'interception, les catégories d'informations, de documents ou d'objets dont l'acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas 3a) à c) dont l'exercice, sont à autoriser;
d) l'identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;
e) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat demandé;
J) si possible, une description générale du lieu le mandat demandé est à exécuter;
g) la durée de validité applicable en vertu du paragraphe (5), de soixante jours ou d'un an au maximum, selon le cas, demandée pour le mandat;
h) la mention des demandes éventuelles touchant des person- nes visés à l'alinéa d), la date de chacune de ces demandes, le nom du juge à qui elles ont été présentées et la décision de celui-ci dans chaque cas.
(3) Par dérogation à toute autre règle de droit mais sous réserve de la Loi sur la statistique, le juge à qui est présentée la demande visée au paragraphe (1) peut décerner le mandat s'il est convaincu de l'existence des faits mentionnés aux alinéas 2a) et b) et dans l'affidavit qui accompagne la demande; le mandat autorise ses destinataires à intercepter des communica tions ou à acquérir des informations, documents ou objets. À cette fin il peut autoriser aussi, de leur part:
a) l'accès à un lieu ou un objet ou l'ouverture d'un objet;
b) la recherche, l'enlèvement ou la remise en place de tout document ou objet, leur examen, le prélèvement des informa- tions qui s'y trouvent, ainsi que leur enregistrement et l'éta- blissement de copies ou d'extraits par tout procédé;
c) l'installation, l'entretien et l'enlèvement d'objets.
(4) Le mandat décerné en vertu du paragraphe (3) porte les indications suivantes:
a) les catégories de communications dont l'interception, les catégories d'informations, de documents ou d'objets dont l'acquisition, ou les pouvoirs visés aux alinéas 3a) à c) dont l'exercice, sont autorisés;
b) l'identité de la personne, si elle est connue, dont les communications sont à intercepter ou qui est en possession des informations, documents ou objets à acquérir;
c) les personnes ou catégories de personnes destinataires du mandat;
d) si possible, une description générale du lieu le mandat peut être exécuté;
e) la durée de validité du mandat;
J) les conditions que le juge estime indiquées dans l'intérêt
public.
(5) II ne peut être décerné de mandat en vertu du paragra- phe (3) que pour une période maximale
a) de soixante jours lorsque le mandat est décerné pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers
la Sécurité du Canada au sens de l'alinéa d) de la définition de telles menaces contenue dans l'article 2; ou
b) d'un an dans tout autre cas.
L'article 12 est, lui aussi, important dans le contexte de la présente affaire:
12. Le Service recueille, au moyen d'enquêtes ou autrement, dans la mesure strictement nécessaire, et analyse et conserve les informations et renseignements sur les activités dont il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu'elles constituent des menaces envers la sécurité du Canada; il en fait rapport au gouvernement du Canada et le conseille à cet égard.
Je ne doute point qu'à la fois le mandat et les dispositions de l'article 21 lui-même soient soumis au contrôle établi par l'article 8 de la Charte. Il me semble évident en soi que le champ d'applica- tion de ce dernier article n'est pas restreint aux formes traditionnelles de perquisitions et de saisies matérielles de documents et d'objets mais s'étend à d'autres formes d'immixtion dans la vie privée, par des moyens électroniques ou autres.
Il me semble approprié de faire deux observa tions.
Premièrement, les pouvoirs susceptibles d'être accordés dans un mandat décerné en vertu de l'article 21 sont vastes et portent atteinte à la vie privée au plus haut point. Dans l'arrêt Hunter, le juge Dickson —c'était alors son titre—a dit au sujet de l'autorisation prévue aux paragraphes 10(1) et 10(3) de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions' qu'elle avait une «portée renver- sante». La portée du mandat décerné contre Atwal en vertu de l'article 21 de la Loi sur le SCRS en l'espèce dépasse de loin tout ce qui a pu être imaginé dans l'arrêt Hunter. Ce mandat autorise l'interception clandestine, par des moyens électro- niques ou autres, de toutes les communications privées d'Atwal, partout au Canada, et des com munications de toute autre personne se trouvant à tout endroit au Canada utilisé par Atwal comme résidence temporaire ou permanente. Il autorise également la recherche et l'examen clandestins de toutes ses communications enregistrées effectuées autrement que par la poste. Sa portée est véritable- ment stupéfiante.
Deuxièmement, en matière de sécurité natio- nale, les intérêts de l'État doivent fréquemment se voir accorder la priorité sur les intérêts des indivi-
3 S.R.C. 1970, chap. C-23.
dus. Les droits et libertés dont nous sommes si fiers au Canada et auxquels la Charte donne une expression nouvelle et plus vibrante, le régime de gouvernement libre et démocratique que nous tenons pour acquis à tous les niveaux et, en fait, la tranquilité et la sécurité mêmes de chacun sont tributaires du maintien de l'État. Les menaces à leur existence, qu'elles proviennent d'activités sub versives, du terrorisme ou de la force des armes, doivent être vigoureusement combattues.
La question qui se pose consiste donc à savoir doit être tracée la démarcation entre les attentes légitimes et raisonnables des individus de ne pas être importunés et la nécessité pour l'État de se défendre.
Je reviens à l'arrêt Hunter. Cette affaire ne concernait pas des questions ayant trait à la sécu- rité nationale mais une perquisition ordinaire visant à faire enquête sur un crime. Toutefois, au cours de son jugement, le juge Dickson a non seulement indiqué clairement quels étaient les cri- tères minimums établis par l'article 8 de la Charte concernant les enquêtes en matière criminelle, mais encore a-t-il énoncé des lignes directrices précieuses concernant le critère qui devrait être appliqué dans une affaire comme celle dont nous sommes saisis. La règle-clé est que, pour qu'une fouille, une perquisition ou une saisie soit raisonna- ble, il doit exister un critère objectif servant de guide au fonctionnaire judiciaire à qui est confiée la responsabilité d'autoriser une immixtion dans la vie privée d'un individu la page 166]:
L'équilibre constitutionnel entre des attentes justifiables en matière de vie privée et les besoins légitimes de l'État ne peut pas dépendre de l'appréciation subjective d'un arbitre. Il faut établir un critère objectif quelconque.
Voici comment, pour les fins de cette affaire, a été décrit le test approprié [aux pages 167 et 168]:
Le droit de l'État de déceler et de prévenir le crime commence à l'emporter sur le droit du particulier de ne pas être importuné lorsque les soupçons font place à la probabilité fondée sur la crédibilité. L'histoire confirme la justesse de cette exigence comme point à partir duquel les attentes en matière de la vie privée doivent céder le pas à la nécessité d'appliquer la loi. Si le droit de l'État ne consistait pas simplement à appliquer la loi comme, par exemple, lorsque la sécurité de l'État est en cause, ou si le droit du particulier ne correspondait pas simplement à ses attentes en matière de vie privée comme, par exemple, lorsque ta fouille ou la perquisition menace son intégrité physi que, le critère pertinent pourrait fort bien être différent. Ce n'est pas le cas en l'espèce. Dans des cas comme la présente affaire, l'existence de motifs raisonnables et probables, établie
sous serment, de croire qu'une infraction a été commise et que des éléments de preuve se trouvent à l'endroit de la perquisition, constitue le critère minimal, compatible avec l'art. 8 de la Charte, qui s'applique à l'autorisation d'une fouille, d'une perquisition ou d'une saisie. [Les soulignements sont ajoutés.]
Trois critères me semblent ressortir de ce pas sage. Premièrement, il doit exister une norme de preuve établie par la loi («l'existence de motifs raisonnables et probables ... de croire ... »); deuxièmement, l'intérêt approprié de l'État doit être établi («une infraction a été commise»); et troisièmement, de façon encore plus importante, un rapport raisonnable et un équilibre doivent être établis entre cet intérêt et l'intrusion projetée («des éléments de preuve se trouvent»).
J'en reviens à l'article 21 de la Loi sur le SCRS. La disposition pertinente à la présente affaire est l'alinéa 21(2)a), qui par son renvoie au paragraphe 21(1) fait état de ce dont un juge doit être con- vaincu, conformément au paragraphe 21(3), pour décerner un mandat. Combinées, ces dispositions exigent que le juge soit convaincu de l'existence de motifs raisonnables de croire qu'un mandat
est nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada.
À mon sens, cette disposition ne satisfait pas au troisième critère car elle ne prévoit aucune norme raisonnable qui permettrait au juge de vérifier la nécessité d'un mandat. Il n'est pas exigé que l'on démontre que l'immixtion dans la vie privée d'un citoyen fournira des éléments de preuve au sujet des menaces alléguées ou contribuera à confirmer ou à infirmer leur existence. Rien dans le libellé de la Loi n'exige l'existence d'un rapport direct entre les informations qu'on espère obtenir au moyen de la communication interceptée et les menaces allé- guées envers la sécurité du Canada. Au contraire, il semble que ce soit entre l'interception et l'en- quête relative aux menaces qu'un rapport doive être établi sur le fondement de motifs raisonnables. En pratique, ceci signifie que les termes de la Loi sont suffisamment larges pour autoriser l'intercep- tion des communications privées d'une personne choisie comme cible d'une attaque terroriste sans que celle-ci en ait connaissance ou sans son con- sentement et d'une façon qui implique le plus grand degré possible d'immixtion dans sa vie privée. Plus alarmant encore, les termes utilisés permettraient également une interception dont
l'objet direct ne serait aucunement d'obtenir des informations au sujet des menaces sur lesquelles portent l'enquête, mais plutôt de faire progresser cette enquête par l'obtention d'autres informations qui pourraient alors être utilisées comme moyen de marchandage dans la poursuite de l'enquête.
Un exemple fictif servira à illustrer ce dernier point. Il n'est pas totalement fantaisiste d'imaginer des menaces envers la sécurité nationale qu'on soupçonnerait d'être présentées par un mouvement radical dont tous les adhérents seraient issus d'une minorité des membres d'un groupe identifiable facile à distinguer par sa race, sa religion, sa culture, son origine géographique, et ainsi de suite. Un tel groupe pourrait être assez petit en soi et ne comprendre que quelques centaines de membres au Canada, tandis que le sous-groupe marginal qui en constitue l'élément radical et présente une menace à la sécurité nationale serait, par définition, beau- coup plus restreint encore. Dans de telles circons- tances, on pourrait facilement avoir des motifs raisonnables de croire que la seule manière effi- cace de faire enquête sur cette menace serait de s'immiscer, de l'intérieur, au sein de ce mouvement marginal. Une telle immixtion ne pourrait toute- fois être réalisée que par un membre du groupe minoritaire en cause puisqu'aucun étranger ne par- viendrait à devenir membre du mouvement. Pour diverses raisons, il pourrait s'avérer impossible ou non pratique pour le Service de recruter un volon- taire parmi les membres de ce groupe, de sorte que le Service pourrait n'avoir d'autre ressource que de forcer une personne à agir comme délateur en obtenant à son sujet des informations confidentiel- les pouvant être utilisées contre elle si elle refusait d'obtempérer.
Loin de moi la pensée qu'un juge autoriserait jamais la délivrance d'un mandat en vertu de l'article 21 pour permettre au Service de pratiquer officiellement un tel chantage. J'ose également espérer qu'aucun juge ne permettrait la surveil lance d'une victime éventuelle à l'insu de celle-ci. n'est pas la question. Ce qui est important, c'est que l'article 21 lui-même n'exclut pas de telles possibilités,
À cause de l'utilisation des termes nécessaire pour permettre au Service de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada,
son libellé est si large qu'il ne prévoit aucun critère objectif. Même en accordant à l'intérêt étatique en cause toute l'importance qui lui revient, l'étendue de l'intrusion possible dans la vie privée du citoyen est entièrement disproportionnée. Une fouille, une perquisition et une saisie qui auraient lieu pour les fins qui précèdent ne seraient pas raisonnables. Comme l'article 21 les permettrait, cet article ne peut, lui-même, être maintenu. Comme il a été souligné avec justesse dans l'arrêt Hunter, à la page 169:
... il incombe à la législature d'adopter des lois qui contiennent les garanties appropriées permettant de satisfaire aux exigences de la Constitution. Il n'appartient pas aux tribunaux d'ajouter les détails qui rendent constitutionnelles les lacunes législatives. Si elles n'offrent pas les garanties appropriées, les lois qui autorisent des fouilles, des perquisitions et des saisies sont incompatibles avec l'art. 8 de la Charte.
Pour les motifs qui précèdent, j'accueillerais l'appel, j'annulerais le jugement porté en appel et je lui substituerais un jugement annulant l'ordon- nance ex parte du 26 juillet 1985 qui a autorisé la délivrance d'un mandat en vertu de l'article 21 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité au motif que cet article reste sans effet parce qu'il est incompatible avec l'article 8 de la Charte. L'appelant devrait avoir droit à ses dépens.
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