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T-1024-85
Piller Sausages & Delicatessens Limited (requé- rante)
C.
Ministre de l'Agriculture (intimé)
et
Commissaire à l'information du Canada et Jim Romahn (parties intervenantes)
RÉPERTORIÉ: PILLER SAUSAGES & DELICATESSENS LTD. C. CANADA (MINISTRE DE L'AGRICULTURE)
Division de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Toronto, 8, 9 et 10 septembre; Ottawa,
11 décembre 1987.
Accès a l'information Demande, fondée sur l'art. 44, afin d'empêcher la communication, à un journaliste de la presse écrite, de rapports d'une équipe de vérification de l'inspection des viandes des abattoirs de la région de Kitchener- Waterloo durant l'année 1983 Rapports de vérifications annuelles effectuées en plus des inspections quotidiennes La requé- rante invoque l'art. 20(1)c) et d) pour empêcher la communica tion Demandes rejetées La preuve qu'il y a eu préjudice au sens de l'art. 20(1)c) et d) doit indiquer un lien direct entre la communication et le préjudice subi La jurisprudence américaine, qui réunit les critères exposés à l'art. 20(1)b) et c) en combinant en une seule seule exception le critère visant une «catégorie» particulière de renseignements et le critère relatif au «préjudice» causé, ne s'applique pas La preuve doit établir la vraisemblance d'un préjudice considérable La communication des rapports ne risque pas vraisemblablement de causer des pertes financières appréciables, de nuire à la compétitivité ou d'entraver des négociations menées en vue de contrats Les inspections quotidiennes représentent la princi- pale source d'information et de protection pour le public Il est peu probable que les consommateurs ne fassent pas de cas des inspections quotidiennes, ni de la cote généralement élevée accordée aux usines, ni de la lettre d'accompagnement dans laquelle le Ministère exposait les limites du rapport, ni de la date du rapport, ni du fait que des mesures ont été prises pour corriger les failles reprochées Il est peu probable qu'un importateur raisonnable se fie aux rapports en dépit des garanties fournies par le système d'inspection Rien ne prouve que les gouvernements étrangers se serviront de ces renseignements pour dresser des barrières non tarifaires contre les produits de viande canadiens Il est peu probable que des renseignements aussi périmés sur des failles mineures compro- mettent sérieusement des négociations en cours La commu nication de ces rapports ne nuira pas à la collecte des données par les inspecteurs fédéraux, car il s'agit d'un système d'ins- pection imposé par la loi L'intérêt qu'a le public dans la divulgation des renseignements l'emporte sur tout risque de préjudice causé à la requérante.
Il s'agit en l'espèce de l'une des quatorze demandes fondées sur l'article 44 de la Loi sur l'accès à l'information pour empêcher la communication de rapports d'une équipe de vérifi-
cation de l'inspection des viandes préparés par le ministère de l'Agriculture. Ces rapports découlent de vérifications faites annuellement ou semi -annuellement par les inspecteurs fédé- raux des viandes et s'ajoutent aux inspections effectuées quoti- diennement sur place. Ces rapports sont des documents de travail et ne révèlent pas de secrets industriels. Ils visent à souligner les problèmes dans un établissement et à faire en sorte que des mesures correctives soient prises. De plus, chaque abattoir est classé dans une catégorie. Un journaliste de la presse écrite a déposé une demande en vertu de la Loi pour obtenir des rapports sur les usines existant dans la région de Kitchener-Waterloo en 1983. I1 a été informé que certains renseignements seraient supprimés en raison des alinéas 20(1)6) et c). En réponse à une plainte ultérieure de sa part, fondée sur le paragraphe 30(1), le Commissaire à l'information a recommandé la communication des renseignements. La requérante a invoqué les alinéas 20(1)c) et d), qui prévoient qu'on doit refuser la communication de tout document conte- nant des renseignements dont la divulgation risquerait vraisem- blablement de causer des pertes financières appréciables à un tiers ou d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats. Elle a soutenu que les renseignements étaient défavorables et insuffisants et qu'il y aurait de forts risques que les consommateurs achètent des produits d'un concurrent ou décident d'acheter un produit de remplacement, ce qui entraî- nerait des pertes financières. La requérante s'est inquiétée également de ce que la divulgation de ces renseignements puisse avoir des effets négatifs sur certaines négociations qu'elle menait avec une compagnie étrangère en vue de contrats. Enfin, la requérante s'est opposée à la divulgation des renseignements en vertu du paragraphe 20(6) (qui permet la divulgation de renseignements si les raisons d'intérêt public justifient les pertes financières pour un tiers) pour le motif que la communication d'un rapport ne contenant pas suffisamment de renseignements ne contribuerait pas à mieux informer le public et que la communication de ces rapports au public mettrait en péril les bonnes relations entre les équipes de vérification et les abat toirs, ce qui entraînerait une diminution de l'information du public.
Jugement: la demande faite à l'encontre de la communica- tion_des rapports devrait être rejetée.
La preuve qu'il y a eu préjudice au sens des alinéas 20(1)c) et d) doit être détaillée et convaincante et elle doit indiquer un lien direct entre la communication et le préjudice subi. Elle ne doit pas simplement fournir des motifs de se livrer à des conjectures sur un préjudice possible: Bande indienne de Saw- ridge c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien). Il faut des éléments de preuve très sérieux pour justifier la non-divulgation fondée sur des conséquences fâcheu- ses d'ordre pécuniaire ou contractuel: Re Daigle.
On ne devrait pas s'appuyer sur des arrêts américains pour interpréter la Loi canadienne. L'interprétation des tribunaux américains réunit les critères exposés aux alinéas 20(1)6) et c) de la Loi canadienne en combinant en une seule exception le critère visant une «catégorie» particulière de renseignements et le critère relatif au «préjudice» causé. Si l'on examine l'alinéa 20(1)c) de notre Loi, on constate qu'il y est question d'un risque vraisemblable de pertes financières et de compétitivité compromise, peu importe que les renseignements divulgués soient ou non confidentiels en eux-mêmes. Le critère applicable à la non-divulgation doit être établi eu égard au contexte particulier de la Loi canadienne.
Les arrêts américains peuvent nous éclairer relativement à la norme de preuve applicable. Le critère américain repose sur «des éléments de preuve révélant une concurrence réelle et la vraisemblance d'une atteinte à la compétitivité d'une partie». Le tort réel causé à la compétitivité d'une partie par la divulga- tion de documents non encore communiqués est impossible à démontrer, et n'est pas exigé. Des allégations générales et théoriques concluant à un préjudice sont inadmissibles. La preuve ne doit pas faire appel à la pure spéculation, mais elle doit pour le moins établir la vraisemblance d'un préjudice considérable. Cela semble être aussi le critère compris aux alinéas 20(1)c) et d) qui emploient l'expression «risquerait vraisemblablement». Le risque doit être vraisemblable, mais la certitude n'est pas exigée.
Il ne ressort pas de la preuve que la divulgation des rensei- gnements risquerait vraisemblablement de causer des pertes financières appréciables à un tiers, de nuire à sa compétitivité ou d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins. Les inspections qui forment la base des rapports de vérification sont distinctes des inspections quo- tidiennes à l'issue desquelles est apposée l'estampille attestant que le produit a satisfait aux normes élevées relatives à la pureté et à l'hygiène exposées dans la Loi sur l'inspection des viandes et ses règlements d'application. C'est ce procédé qui renseigne et protège le public dans ses achats quotidiens de viande. Les rapports reflètent la vérification périodique de ce procédé et ils se concentrent sur les conditions matérielles de l'usine et de son fonctionnement général. Il est peu probable que le consommateur ne fasse pas de cas des inspections quotidiennes, ni de la cote globale généralement élevée accor- dée à ces usines, ni de la lettre d'accompagnement dans laquelle le Ministère exposait les limites des rapports, ni du fait que ces rapports datent de trois ans et que des mesures ont été prises pour corriger les failles reprochées.
Pour les mêmes raisons, un importateur raisonnable ne se fierait pas aux renseignements contenus dans les rapports en question en dépit des garanties fournies par les inspections quotidiennes des viandes. En l'absence de toute preuve à l'appui de l'allégation selon laquelle les gouvernements étrangers se serviront de ces renseignements pour dresser des barrières non tarifaires contre les produits de viande canadiens, il n'y a pas de risque réel pour la requérante sur le plan concurrentiel ou pécuniaire. Les éléments de preuve fournis ne justifient pas la crainte de la requérante que les rapports seront exploités par la presse à sensation. Il est inconcevable que des renseignements aussi périmés sur des failles mineures des installations de la requérante puissent compromettre sérieusement des négocia- tions en cours.
Il n'existe aucune preuve que la communication de ces rapports nuira à la collecte des données effectuée par les inspecteurs du gouvernement. La qualité des renseignements recueillis ne dépend pas d'une bonne atmosphère de collabora tion, car les rapports sont le résultat d'un système d'inspection établi par la loi.
Tout doute dans une affaire intéressant la Loi sur l'accès à l'information doit se résoudre en faveur de la divulgation. Les inspections à la source des rapports en cause ont été effectuées par les autorités publiques, elles entraînaient la dépense de deniers publics et elles avaient pour objet la protection du public. Les rapports qui en sont résultés sont de par leur nature
même des renseignements publics. Les documents ne sont pas visés par les alinéas 20(1)c) et d), mais, de toute façon, l'intérêt qu'a le public dans leur divulgation l'emporte sur tout risque de préjudice causé à la requérante, et les rapports devraient être communiqués en application du paragraphe 20(6).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Freedom of Information Act, 5 U.S.C. § 552 (1970).
Loi sur l'accès à l'information, S.C. 1980-81-82-83,
chap. 111, annexe I, art. 20(1)b),c),d),(6), 44.
Loi sur le droit à l'information, S.N.-B. 1978, chap.
R-10.3, art. 6.
Loi sur l'inspection des viandes, S.C. 1985, chap. 17.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Bande indienne de Sawridge c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1987), 10 F.T.R. 48 (1" inst.); Re Daigle (1980), 30 N.B.R. (2d) 209 (B.R.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
National Parks and Conservation Ass'n v. Morton, 498 F.2d 765 (D.C. Cir. 1974); National Parks and Conser vation Ass'n v. Kleppe, 547 F.2d 673 (D.C. Cir. 1976); Public Citizen Health Research Group v. Food and Drug Admin., 704 F.2d 1280 (D.C. Cir. 1983).
DECISIONS CITÉES:
Maislin Industries Limited c. Ministre de l'Industrie et du Commerce, [1984] 1 C.F. 939 (1" inst.); DMR & Associates c. Ministre des Approvisionnements et Servi ces (1984), 11 C.P.R. (3d) 87 (C.F. 1"' inst.); Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 63; 11 C.P.R. (3d) 81 (1' inst).
AVOCATS:
Ronald E. Mark pour la requérante Piller Sausages & Delicatessens Limited.
P. L. Seitz pour la requérante J. M. Schneider Inc.
Colin L. Campbell, c.r. pour les requérantes Canada Packers Inc., F. W. Fearman Com pany Limited, Toronto Abattoirs Limited et Oscar Mayer Foods Corporation.
John J. Chapman pour les requérantes Gai- ners Inc. et Burns Meats Ltd.
Robert H. McKercher, c.r. pour la requérante Intercontinental Packers Limited.
Gary A. Maavara pour la requérante IBP Inc. G. N. Sparrow pour l'intimé, le ministre de l'Agriculture.
Hilde M. English pour l'intervenant (deman- deur) Jim Romahn dans les dossiers n°s T-1024-85, T-1025-85, T-1456-85, T-1471-85, T-1491-85, T-1506-85 et T-2338-86.
Michael L. Phelan pour l'intervenant, le Commissaire à l'information du Canada, dans les dossiers nO5 T-1024-85, T-1025-85 et T-1026-85.
A COMPARU:
Ken Rubin pour son propre compte à titre d'intervenant (demandeur) dans les dossiers n°5 T-1118-85, T-1119-85, T-1131-85, T-1140-85, T-1253-85, T-1291-85.
PROCUREURS:
Sutherland, Hagarty, Mark & Somerville, Kitchener (Ontario), pour la requérante Piller Sausages & Delicatessens Limited.
Mackay, Artindale, Wunder, Kitchener (Ontario), pour la requérante J. M. Schneider Inc.
McCarthy and McCarthy, Toronto, pour les requérantes Canada Packers Inc., F. W. Fear - man Company Limited, Toronto Abattoirs Limited et Oscar Mayer Foods Corporation. Miller, Thompson, Sedgewick, Ferris & Healy, Toronto, pour les requérantes Gainers Inc. et Burns Meats Ltd.
McKercher, McKercher, Stack, Korchin & Laing, Saskatoon (Saskatchewan), pour la requérante Intercontinental Packers Limited. Borden & Elliott, Toronto, pour la requérante IPB Inc.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé, le ministre de l'Agriculture.
Haney, White, Ostner, English & Linton, Waterloo (Ontario), pour l'intervenant (demandeur) Jim Romahn dans les dossiers n°5 T-1024-85, T-1025-85, T-1456-85, T-1471-85, T-1491-85, T-1506-85 et T-2338-86.
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour l'in- tervenant, le Commissaire à l'information du Canada, dans les dossiers n°s T-1024-85, T-1025-85 et T-1026-85.
INTERVENANT POUR SON PROPRE COMPTE:
Ken Rubin à titre d'intervenant (demandeur) dans les dossiers noS T-1118-85, T-1119-85, T-1131-85, T-1140-85, T-1253-85 et T-1291-85.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Il s'agit en l'espèce de l'une des quatorze demandes fondées sur l'article 44 de la Loi sur l'accès à l'information [S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, annexe I], que j'ai entendues le 8 septembre 1987 Toronto (Onta- rio). Bien que les faits particuliers de chacune d'elles varient quelque peu, les principes en jeu sont les mêmes. À quelques différences près, les présents motifs s'appliqueront donc également aux dossiers de la Cour fédérale portant les numéros T-2338-86, T-1291-85, T-1131-85, T-1140-85, T-1506-85, T-1025-85, T-1471-85, T-1026-85, T-1118-85, T-1119-85, T-1253-85, T-1456-85 et T-1491-85.
A—AVANT-PROPOS
En l'espèce, dix compagnies canadiennes d'em- ballage des viandes et d'abattage cherchent à empêcher la communication, sous le régime de la Loi sur l'accès à l'information, de rapports d'une équipe de vérification de l'inspection des viandes préparés par le ministère fédéral de l'Agriculture dans le cadre du système fédéral d'inspection des viandes, qui a fait l'objet d'une preuve par affida vit très élaborée, présentée pour le compte de toutes les parties. Une description de ce système s'impose en l'espèce et l'affidavit de David Adams, directeur général du Conseil des viandes du Canada en donne un aperçu général:
[TRADUCTION] 5. Le système fédéral d'inspection des viandes, tel qu'il fonctionne actuellement, a été mis sur pied au début de ce siècle pour s'assurer que les produits de viande canadiens soient conformes aux normes d'hygiène les plus strictes. A l'origine, l'inspection avait pour but de faciliter l'exportation des produits de viande canadiens vers les marchés étrangers.
6. Au cours des années, les produits de viande canadiens provenant des usines inspectées par le gouvernement fédéral ont pu être exportés en conformité avec les normes de santé et d'hygiène d'un plus grand nombre de pays, en comparaison avec les produits de viande de toute autre nation. Le système d'inspection canadien est reconnu pour imposer des normes très élevées et pour fournir un marché d'exportation très étendu pour les produits de viande canadiens. Ce système a permis
d'établir et de maintenir des normes d'hygiène très élevées dans l'industrie des produits de viande, ce qui est essentiel car le marché mondial est très concurrentiel à l'heure actuelle.
7. La direction du système d'inspection des viandes a reconnu qu'il existait un marché international très compétitif et une concurrence accrue sur le marché intérieur, qui provient non seulement des viandes importées mais d'autres aliments com- portant un nombre élevé de protéines. Le système fédéral d'inspection des viandes fait appel à des inspecteurs fédéraux résidant sur place, à des surveillants régionaux et à des inspec- teurs de l'Administration centrale à Ottawa.
8. Dans les usines les plus importantes, il peut y avoir trente inspecteurs fédéraux ou plus résidant sur place qui surveillent et approuvent tous les produits de viande sur une base quoti- dienne. Leur travail est contrôlé par des surveillants régionaux qui inspectent chaque mois les différentes usines se trouvant sur leur territoire pour s'assurer que les normes fédérales relatives aux produits de viande sont appliquées de façon uniforme.
9. Enfin, les inspecteurs fédéraux qui travaillent au bureau de l'Administration centrale à Ottawa contrôlent tous les trois ou six mois les usines qui exportent des produits de viande sur une base annuelle et en grande quantité, afin d'assurer l'uniformité parmi toutes les usines de transformation de la viande et d'abattage au Canada.
Il faut souligner que les inspecteurs journaliers qui travaillent sur place et dont M. Adams a fait mention possèdent des pouvoirs étendus en vertu de la Loi sur l'inspection des viandes, S.C. 1985, chap. 17. Ils contrôlent l'utilisation de l'estampille qui indique que les aliments sont approuvés pour consommation humaine et sans laquelle le produit ne peut être commercialisé ou exporté. De même, si un inspecteur découvre que les opérations d'une usine ne sont pas conformes aux normes nationa- les, il peut saisir et détenir tout produit de viande à sa discrétion. Le travail des inspecteurs et la condi tion générale des usines sont assujettis à une vérifi- cation annuelle ou semestrielle effectuée par la division de l'hygiène des viandes de l'Administra- tion centrale du Ministère à Ottawa. Mme Kristine Stolarik, chef par intérim du service de l'accès à l'information et de la protection des renseigne- ments personnels d'Agriculture Canada, a décrit le processus de vérification de façon détaillée dans son affidavit:
[TRADUCTION] 2. Les vérificateurs vétérinaires nationaux au service de la division de l'hygiène des viandes, direction géné- rale de la production et de l'inspection des aliments du minis- tère de l'Agriculture du Canada (Agriculture Canada) contrô- lent les usines d'abattage et de transformation au moins une fois l'an. Le contrôle se termine par une visite de l'établissement.
3. Le contrôle d'un établissement d'abattage commence habi- tuellement à l'aire des produits finis et se poursuit en passant
par la plate-forme d'expédition et les aires d'emballage, de transformation, de désossement, de débitage, de réfrigération, d'abattage et des animaux vivants.
4. À la fin du contrôle physique de l'installation, on y tient une réunion avec la direction de l'usine pour discuter des failles notées au cours du contrôle, des mesures à prendre et des engagements de la part de la direction de l'usine concernant ces mesures correctives.
5. Après le contrôle et la discussion, le vérificateur vétérinaire national rédige un rapport de vérification intitulé «Rapport d'inspection», portant sur l'établissement en cause et des copies dudit rapport sont remises à la direction de l'usine, au bureau régional d'Agriculture Canada et au vérificateur-chef de la division de l'hygiène des viandes, direction générale de la production et de l'inspection des aliments d'Agriculture Canada.
6. Lesdits rapports d'inspection ne révèlent aucun procédé inédit ni aucun secret industriel. Il s'agit d'un document de travail à l'usage d'Agriculture Canada et c'est un outil néces- saire pour les fins du système national d'inspection des viandes. Parce qu'il vise à souligner les problèmes dans un établissement et à faire en sorte que des mesures correctives soient prises, le rapport d'inspection n'énumère habituellement aucune informa tion favorable au sujet des installations et des opérations de cet établissement. Ce document de travail tente plutôt de détermi- ner les conditions «acceptables ou «inacceptables».
L'équipe de vérification comprend habituelle- ment [TRADUCTION] «un agent de contrôle-étran- ger» qui, dans le cas des usines qui exportent leurs produits aux États-Unis, est un membre du dépar- tement de l'Agriculture des États-Unis. L'agent en question accompagne les vérificateurs vétérinaires nationaux, pose des questions et observe l'inspec- tion. Après la vérification, il prépare, pour chaque établissement, un rapport qui est envoyé à Wash- ington. Son rapport contient à peu près les mêmes renseignements que ceux qui figurent dans les apports canadiens et il cote l'usine «satisfaisante» ou «non satisfaisante» suivant les normes canadien- nes. (Manuel de l'hygiène des viandes, Agriculture Canada, avril 1982, pages 1 à 10.)
En plus d'attribuer la cote «acceptable» ou «inac- ceptable» à chacune des aires inspectées, les rap ports de vérification canadiens classent chaque établissement dans l'une ou l'autre des catégories suivantes:
A Excellent
B Bon
C Satisfaisant (répond aux normes minimales)
D Cas problème
F Insatisfaisant
(Manuel de l'hygiène des viandes, ibid, pages 1 à
12)
Il est important de noter que les rapports de vérification examinent l'usine elle-même, les opé- rations d'abattage et d'emballage et le processus d'inspection. La vérification peut comporter une inspection minutieuse d'un petit échantillon de produits de viande à différentes étapes mais elle n'a rien à voir avec le processus d'approbation relié aux produits eux-mêmes. Cette opération relève uniquement du personnel travaillant sur place à tous les jours.
B—FAITS À L'ORIGINE DE LA PRÉSENTE DEMANDE
Le 20 juin 1983, Jim Romahn, un journaliste du Kitchener- Waterloo Record a déposé une demande en vertu de la Loi sur l'accès à l'infor- mation pour obtenir [TRADUCTION] «des rapports d'une équipe de vérificaiton de l'inspection des viandes sur les usines existant dans cette région en 1983». Il a énuméré un grande nombre d'entrepri- ses, y compris Piller Sausages and Delicatessens Ltd. de Waterloo et deux autres requérantes en l'espèce. Le ministère de l'Agriculture a avisé les requérantes de cette demande le 26 juillet 1983, conformément à l'article 28 de la Loi. Piller Sau sages et les deux autres requérantes nommées ont déposé des objections à la communication des rap ports. Au mois de novembre 1983, le Ministère a informé le demandeur que les documents seraient communiqués mais que les renseignements décrits aux alinéas 20(1)b), c) et d) de la Loi seraient supprimés. (L'exemption prévue à l'alinéa 20(1)d) a été subséquemment retirée.) En janvier 1984, le demandeur a déposé une plainte auprès du Com- missaire à l'information en vertu du paragraphe 30(1). Une enquête a ensuite eu lieu et, le 25 mars 1985, le Commissaire a envoyé au ministre de l'Agriculture le rapport suivant:
[TRADUCTION] L'enquête effectuée par notre bureau au sujet de la plainte de M. Romahn n'a révélé aucune raison suffisante justifiant le refus de communiquer intégralement les rapports d'inspection. Les objections à la communication de renseigne- ments exemptés par l'alinéa 20(1)c) de la Loi doivent, à mon avis, montrer qu'une telle communication est susceptible de causer un certain préjudice aux tiers. Conformément à la Loi, toutes les entreprises qui ont présenté des observations à votre Ministère en 1983 ont été invitées à nous soumettre leurs observations à la fin du mois de juin 1984.
Les observations faites par quelques-unes des entreprises d'em- ballage de viande ont mis l'accent sur le fait que les failles notées par les inspecteurs étaient mineures, mais si ces remar- ques étaient faites sans explication, le public pourrait avoir la fausse impression que les conditions d'une usine ou ses activités de transformation ne satisfaisaient généralement pas aux normes, ce qui entraînerait une diminution de la demande de ses produits. J'ai pris note de cette préoccupation et de bien d'autres découlant des observations faites par des tiers et par votre Ministère, et je ne suis pas convaincu que la divulgation des renseignements refusée en vertu de l'alinéa 20(1)c) de la Loi risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou pro fits financiers appréciables à des tiers ou de nuire à leur compétitivité. Ces observations n'ont pas donné d'exemples convaincants des préjudices envisagés par l'alinéa en question.
Je note qu'avant 1981, votre Ministère fournissait des copies non publiées de rapports sur l'inspection des viandes aux per- sonnes qui en faisaient la demande, mais on ne m'a fourni aucune preuve du préjudice dont il est fait mention aux alinéas b), c) et d). Et même si les rapports préparés par les inspecteurs de viande canadiens et américains et déposés à Washington sont publiés depuis 1972 par le département de l'Agriculture des États-Unis en vertu de la Freedom of Information Act de ce pays, les fonctionnaires dudit département ne connaissent aucune entreprise nord-américaine oeuvrant dans ce secteur qui a subi des pertes commerciales à la suite de ces divulgations. J'aimerais également attirer votre attention sur le paragraphe 20(6) de la Loi en vertu duquel le responsable d'une institution fédérale peut communiquer tout document contenant les rensei- gnements visés aux alinéas 20(1)b), c) et d) pour des raisons d'intérêt public concernant la santé; les raisons d'intérêt public doivent de plus justifier nettement les conséquences éventuelles de la communication pour un tiers: pertes ou profits financiers et atteintes à sa compétitivité. Puisque le mandat de votre personnel chargé de l'inspection des viandes consiste notam- ment «à offrir aux consommateurs des produits de viande sains, sûrs, simples, bien étiquetés ...», le but des inspections semble être une question touchant la santé publique. Les commentaires faits librement par les inspecteurs des viandes portent sur le non-respect des normes d'hygiène ou de transformation dans les usines et la divulgation des renseignements, qui indiquent le non-respect des exigences gouvernementales, permettrait au public, au nom duquel agit le ministère, de savoir que ces usines d'emballage ne se conforment pas aux normes voulues. En outre, les fonctionnaires peuvent vouloir faire des remarques explicatives lorsqu'ils publient les documents.
En conclusion, je ne crois pas que les raisons qui ont été fournies pour faire échec à la demande de M. Romahn visant à obtenir l'accès aux documents soient valables et conformes au paragraphe 37(1) de la Loi sur l'accès à l'information; je recommande par conséquent que les renseignements portant sur les commentaires relatifs à l'inspection soient divulgués confor- mément à la Loi au plus tard le 15 avril 1985 ou que vous m'avisiez de toute mesure prise ou que vous entendez prendre pour appliquer cette recommandation ou que vous m'expliquiez pourquoi une telle mesure n'a pas été prise ou n'est pas censée l'être.
Conformément à cette recommandation et à l'article 28 de la Loi, le Ministère a informé les
requérantes en date du 22 avril 1985 que les rapports de vérification seraient divulgués intégra- lement, à l'exception des suppressions fondées sur l'alinéa 20(1)b). Les requérantes ont répondu en produisant des avis des demandes de révision de cette décision en vertu de l'article 44. Tous les rapports demandés ont été communiqués au demandeur le 27 mai 1985, avec les suppressions qui restaient, à l'exception de ceux concernant les trois compagnies qui avaient déposé des demandes de révision. Le Ministère a inclus une lettre qui expliquait la nature des rapports de vérification et l'inquiétude exprimée par les compagnies d'embal- lage de viande. Il disait notamment:
[TRADUCTION] Plusieurs tierces parties craignent que les rap ports d'inspection puissent être mal interprétés par quiconque ne connaît pas le système d'inspection. Les rapports ont pour but de souligner les lacunes existant dans les installations et les opérations pour que la direction de l'usine prenne des mesures correctives. Les rapports contiennent des commentaires objec- tifs sur les conditions de l'usine qui existaient au moment de l'inspection mais qui ne reflètent pas nécessairement la situa tion présente. Étant donné l'usure graduelle de l'équipement et des bâtiments, l'entretien et les réparations constituent des activités permanentes et il est presque impossible de ne trouver aucune faille à quelque moment que ce soit. Le rapport ne présente pas une juste évaluation de l'ensemble des opérations d'une usine car il n'y a aucun commentaire sur les conditions satisfaisantes.
La présente demande se fonde sur le paragraphe 20(1) de la Loi:
20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refu- ser la communication de documents contenant:
a) des secrets industriels de tiers;
b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;
c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisem- blablement de causer des pertes ou profits financiers appré- ciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;
d) des renseignements dont la divulgation risquerait vrai- semblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.
C—ARGUMENTS DE LA REQUÉRANTE
La requérante fait porter son argumentation tout particulièrement sur les alinéas 20(1)c) et d). Elle qualifie les renseignements de défavorables et d'insuffisants et soutient que leur divulgation pour- rait causer un préjudice financier appréciable.
Les éléments de preuve présentés par toutes les requérantes à l'appui de leur thèse sont de deux
sortes: premièrement, l'avis de certains experts sur la nature du marché de l'industrie des viandes et les répercussions probables des renseignements défavorables et, deuxièmement, des faits concer- nant les expériences que chacune des requérantes a connues à cause de renseignements défavorables. Le présent litige est devenu plus complexe en raison de l'inquiétude exprimée par les requérantes au sujet du caractère confidentiel de leurs élé- ments de preuve. À leur demande, tous les docu ments ont été déposés dans des enveloppes scellées, et le contre-interrogatoire des déposants s'est déroulé de façon à limiter l'accès aux transcrip tions.
En ce qui concerne d'abord les témoignages d'experts qui ont été déposés, deux experts ont présenté des affidavits sur lesquels devaient s'ap- puyer toutes les requérantes. Ce furent M. David Adams, directeur général du Conseil des viandes du Canada, dont une partie du témoignage a déjà été mentionnée, et le professeur Donald M. Thompson, qui enseigne l'administration à l'uni- versité York. L'avis du professeur Thompson se fonde sur l'examen d'échantillons des rapports de vérification de différents établissements des requé- rantes et sur des copies d'articles de journaux portant sur l'industrie des produits de la viande, dont certains ont été rédigés par le demandeur en l'espèce, Jim Romahn. Son témoignage est résumé ainsi aux paragraphes 13 à 16 de l'exposé des faits et du droit de la présente requérante:
[TRADUCTION] 13. La divulgation des renseignements défavo- rables qui figurent dans les rapports d'inspection des viandes auront des répercussions défavorables sur les usines d'embal- lage des viandes en incitant le consommateur à acheter des produits de viande d'un concurrent. Ce qui représente un risque plus important encore pour l'industrie canadienne des viandes dans son ensemble, c'est le fait que le consommateur qui est exposé à ce genre de reportages défavorables pourrait décider d'acheter un produit de remplacement, faisant ainsi baisser la demande de produits de viande au Canada.
14. L'industrie des viandes est alors placée dans la situation extrêmement difficile de faire «revenir» l'acheteur aux produits de viande. Vu que la viande est considérée comme un produit suscitant peu d'intérêt, il est difficile, et peut-être même impos sible, d'annuler les effets de renseignements défavorables par la publicité. Cela est au fait que la publicité destinée à un produit suscitant peu d'intérêt vise à sensibiliser et à familiari- ser le consommateur par la répétition du message. Il est difficile ou impossible de livrer des messages compliqués et
variés traitant des avantages procurés par le produit désiré dans le cas d'un produit suscitant peu d'intérêt, et d'essayer ainsi d'annuler les effets de renseignements défavorables. Les con- sommateurs ne s'en soucient tout simplement pas assez pour y prêter attention.
15. Il est peut-être possible d'annuler les effets de renseigne- ments défavorables dans le cas d'un produit suscitant peu d'intérêt en réduisant le prix. En général, il faut maintenir assez longtemps le prix d'une promotion pour inciter le consom- mateur à acheter à plusieurs reprises le produit de la marque en question. Le succès de cette stratégie dépend de la possibilité pour le promoteur de maintenir les réductions de prix pendant un certain temps, et du fait que les concurrents ne recourront pas simplement à des réductions de prix équivalentes (pour en annuler ainsi les effets). Cela entraînera évidemment des pertes financières importantes pour le producteur pendant la période au cours de laquelle il lui faudra reprendre la part du marché perdue antérieurement.
16. Si, sur les marchés d'exportation, des gouvernements étran- gers devaient disposer de renseignements défavorables sur des produits ou des producteurs canadiens, dans une industrie il ne serait pas possible d'obtenir des renseignements similaires au sujet de fournisseurs concurrents dans d'autres pays, il pourrait en résulter un préjudice permanent en ce qui concerne les ventes à l'exportation. Ce qui est peut-être plus important encore, c'est que des pays importateurs à la recherche de barrières non tarifaires afin d'écarter les produits de viande venant du Canada pourraient bien se servir de renseignements de ce genre pour parvenir à une telle fin.
Au dire de M. Adams, l'industrie des viandes jouirait d'une marge étroite de profits, et même la perte d'une petite partie des profits à la suite d'une baisse des ventes au pays ou à l'étranger pourrait avoir des répercussions très graves sur la rentabi- lité des requérantes.
La compagnie Piller Sausages décrit sa propre position à cet égard en prenant comme base les négociations qu'elle a entamées récemment avec une société étrangère et qui, en cas de succès, entraîneraient une augmentation marquée de ses ventes annuelles. Le succès de ces négociations reposerait principalement sur la bonne réputation de la requérante dans la production de viandes de haute qualité. Tout accroc à cette réputation en raison de renseignements défavorables pourrait avoir un effet direct sur l'issue de ces négociations.
En se reportant précisément au paragraphe 20(1) de la Loi, elle allègue que la communication des rapports de vérification de l'inspection des viandes risquerait vraisemblablement de lui causer des pertes financières appréciables et de nuire à sa compétitivité dans l'industrie canadienne des vian- des et sur le marché international. La communica tion des rapports risquerait vraisemblablement
également d'entraver des négociations menées par elle en vue de contrats avec la compagnie étran- gère mentionnée ci-dessus. La requérante recon- naît que les dérogations aux normes indiquées dans les rapports sont, en général, plutôt mineures. Elle craint que des incidents particulièrement frappants soient tirés des rapports et servent à réaliser des reportages à sensation, exposant ainsi aux attaques la réputation et l'intégrité de ses usines et occa- sionnant ultimement des pertes financières graves. Il faudrait donc interdire à l'intimé de communi- quer ces documents en application des alinéas 20(1)c) et 20(1)d).
La requérante se reporte également au paragra- phe 20(6), sur lequel le Commissaire à l'informa- tion se fonde en partie dans sa recommandation. Ce paragraphe est ainsi libellé:
20....
(6) Le responsable d'une institution fédérale peut communi- quer, en tout ou en partie, tout document contenant les rensei- gnements visés aux alinéas (1)b), c) et d) pour des raisons d'intérêt public concernant la santé et la sécurité publiques ainsi que la protection de l'environnement; les raisons d'intérêt public doivent de plus justifier nettement les conséquences éventuelles de la communication pour un tiers: pertes ou profits financiers, atteintes à sa compétitivité ou entraves aux négocia- tions qu'il mène en vue de contrats ou à d'autres fins.
Les allégations de la requérante sur ce point figu- rent aux paragraphes 11 et 12 de son exposé des faits et du droit:
[TRADUCTION] 11. La divulgation des renseignements figurant dans les rapports de vérification de l'inspection des viandes ne contribuerait d'aucune façon appréciable à mieux informer le public sur la question de la santé publique relativement à l'emballage des viandes à l'usine de la requérante. Le rapport ne contient pas suffisamment de renseignements pour permettre à une personne qui n'est pas intervenue dans le processus de se prononcer sur la conclusion du rapport. Si les renseignements non divulgués étaient expliqués de façon juste et claire à chacun des citoyens, cela n'influerait pas sur sa décision d'acheter ou non le produit fabriqué par la requérante. En ce qui a trait à la santé publique, l'intérêt public a donc été protégé de façon adéquate par le processus même de l'inspection. La communi cation du rapport ne contribuerait pas de façon importante à mieux informer le public et risque même de très mal le renseigner.
12. Il est allégué que la divulgation des renseignements figu- rant dans les rapports de vérification de l'inspection des viandes renseignerait mal le public sur la question de la santé publique, au lieu de l'informer à ce sujet. Le public a obtenu l'assurance que les produits de viande étaient sans danger, grâce aux inspections effectuées et à la surveillance exercée quotidienne- ment par les inspecteurs canadiens des viandes et grâce égale- ment aux rapports annuels et semi -annuels. Le respect de ces
normes est attesté par le cachet canadien d'inspection des viandes apposé sur tous les produits de viande préparés dans les différentes usines d'emballage des viandes au Canada. Le public est pleinement protégé et informé par ces moyens. Les pertes financières éventuelles et les atteintes possibles à la compétitivité, ainsi que les entraves aux négociations que la requérante mène avec la compagnie américaine en vue de contrats, l'emportent nettement sur le droit du public à la divulgation des renseignements.
À cet égard, la requérante soutient que la commu nication de ces rapports au public mettrait en péril les bonnes relations entre les équipes de vérifica- tion et les compagnies inspectées, ce qui entraîne- rait une diminution, et non pas une amélioration, de l'information et de la protection du public.
D—ARGUMENTS DE L'INTIMÉ ET DES INTERVE- NANTS
L'intimé me demande de rejeter toute allégation selon laquelle la requérante subirait un préjudice à la suite de la divulgation des renseignements en question. Il fait remarquer que la principale source de préoccupation de la requérante, ainsi que l'a indiqué le contre-interrogatoire de son président, n'est pas le contenu des rapports eux-mêmes mais le traitement que les journaux leur accorderont. Un article impartial qui refléterait les limites des rapports de vérification n'engendrerait pas la même cause d'inquiétude. Toutefois, on ne con- teste pas que la requérante elle-même n'a jamais subi de pertes financières à la suite d'une mauvaise publicité concernant sa propre compagnie ou l'in- dustrie des viandes en général, de sorte qu'il s'agit seulement d'une possibilité qu'une couverture de presse négative entraînerait des pertes financières.
Le contre-interrogatoire des témoins experts de la requérante a donné lieu aux aveux suivants:
[TRADUCTION] 1) Le professeur Thompson a admis que «ce qui est important dans la perte des ventes, ce n'est pas que (les rapports d'inspection) puissent être obtenus du gouvernement mais qu'ils soient communiqués aux consommateurs d'une façon essentiellement défavorable». Il a également convenu qu'un grand nombre de variables influeraient sur les répercus- sions d'un article.
Contre-interrogatoire de Donald Thompson, page 38, ques tion 94.
2) Agriculture Canada a communiqué les rapports de vérifica- tion à ceux qui en faisaient la demande entre 1981 et 1983. Contre-interrogatoire de Kristine Stolarik, réponse à des engagements.
3) Le département de l'Agriculture des États-Unis communi que la version américaine de ces rapports à ceux qui en font la
demande sous le régime de la Freedom of Information Act de ce pays.
Contre-interrogatoire de Donald Thompson, page 38, question 94.
Contre-interrogatoire de David Adams, page 71, ques tion 197.
4) M. Adams n'avait pas entendu parler d'articles de journaux ayant pu causer un préjudice à la suite de l'un des deux modes de divulgation susmentionnés.
Contre-interrogatoire de David Adams, page 71, question 198—page 72, questions 201 203.
5) Les produits de viande sans nom seraient moins touchés par la publicité que les produits de marque.
Contre-interrogatoire de Donald Thompson, page 71, ques tion 175.
6) 70 % de toutes les viandes vendues au Canada ne portent
pas de marque.
Contre-interrogatoire de David Adams, page 52, question 129.
7) Le Conseil des viandes du Canada a approuvé, pour fins de divulgation, une nouvelle formule de rapport d'inspection des viandes qui présenterait un résumé trimestriel des renseigne- ments transmis par les derniers rapports, sans qu'il soit fait mention des failles mineures et temporaires.
Contre-interrogatoire de David Adams, pages 66 70; page 88; annexe 3.
L'intimé allègue que la requérante n'a pas satis- fait à l'obligation de prouver que les présents renseignements sont visés par les alinéas 20(1)c) et d). Ladite requérante n'a pas contesté sérieuse- ment que, en qualité de partie qui s'oppose à la divulgation des renseignements, il lui incombe de me persuader qu'il existe des motifs évidents pour lesquels ces documents ne devraient pas être com- muniqués. (Voir Maislin Industries Limited c. Ministre de l'Industrie et du Commerce, [1984] 1 C.F. 939 (i re inst.).) En ce qui concerne l'alinéa 20(1)c), l'intimé soutient que la requérante n'a présenté aucun cas concret de pertes financières occasionnées par une publicité défavorable. De plus, le préjudice allégué est trop éloigné. Cet alinéa exige la preuve de l'existence d'un lien direct de cause à effet: la preuve que c'est la divulgation elle-même des renseignements, et non pas leur couverture éventuelle par les médias, qui causera un préjudice. L'intimé fait également valoir que l'exemption n'est pas permise par l'ali- néa 20(1)d) car les seules négociations menées en vue de contrats et qui seraient en danger sont les négociations de la requérante avec la société amé- ricaine qui, de l'aveu général, procède à sa propre inspection des établissements. Tous les autres con- sommateurs obtiennent des renseignements sur les établissements et les produits de la requérante d'un certain nombre de sources, et ces rapports ne
constitueraient que l'une d'entre elles. Et, de toute façon, la communication de rapports qui datent de plus de trois ans pourrait difficilement entraver des négociations menées actuellement en vue de contrats.
À titre d'intervenant, le Commissaire à l'infor- mation ajoute ce qui suit à ces observations sur les alinéas 20(1)c) et d): à la lecture des rapports, toute personne raisonnable reconnaîtra leurs limi- tes et relèvera le caractère satisfaisant et la cote de chaque usine, qui donnent une vue d'ensemble plus équilibrée. Le caractère déplaisant des renseigne- ments ne constitue pas en soi un motif de refuser leur divulgation. La lettre jointe aux rapports qui ont déjà été communiqués expose les préoccupa- tions de la requérante à cet égard et réduirait tout effet défavorable dans l'esprit du lecteur raisonna- ble. Il n'y a pas de différence entre la communica tion des rapports accompagnés de la lettre et la communication des résumés trimestriels déjà approuvés par le Conseil des viandes. La requé- rante possède des recours en common law adve- nant la publication de tout renseignement trom- peur ou inexact à la suite de la communication des rapports.
En outre, les intervenants soutiennent que, même s'il peut être démontré que les rapports sont visés par les alinéas 20(1)c) ou d), ils devraient être communiqués en application du paragraphe 20(6).
20....
(6) Le responsable d'une institution fédérale peut communi- quer, en tout ou en partie, tout document contenant les rensei- gnements visés aux alinéas (1)b), c) et d) pour des raisons d'intérêt public concernant la santé et la sécurité publiques ainsi que la protection de l'environnement; les raisons d'intérêt public doivent de plus justifier nettement les conséquences éventuelles de la communication pour un tiers: pertes ou profits financiers, atteintes à sa compétitivité ou entraves aux négocia- tions qu'il mène en vue de contrats ou à d'autres fins.
Les intervenants allèguent que la communica tion desdits renseignements servirait grandement l'intérêt public. Le système d'inspection qui a donné lieu à ces rapports vise à protéger le public et à permettre qu'il continue de jouir des normes les plus élevées d'hygiène pour ce qui concerne les viandes. Par conséquent, la communication des rapports protégerait l'intérêt public en permettant d'obtenir des renseignements concernant le carac- tère sain et la sécurité des aliments. Les préoccu-
pations de la requérante selon lesquelles le public ne sera que mal renseigné par les rapports devraient, selon ces parties, être apaisées par la lettre explicative qui les accompagnera. La com munication des rapports servira également l'intérêt public en incitant toutes les usines à atteindre des normes élevées d'hygiène en raison de la concurrence.
E—LE DROIT
La Loi sur l'accès à l'information est assez récente. Bien que la jurisprudence qui interprète cette Loi se soit développée assez rapidement au cours des dernières années, il y a eu très peu de décisions qui se sont prononcées sur des demandes présentées par un tiers en vertu de l'article 44, et elles n'ont pas toutes traité en détail des conditions pour qu'il y ait exemption en vertu des alinéas 20(1)c) et d). Elles ont surtout cherché à établir, premièrement, que la charge de la preuve incombe à la partie qui s'oppose à la communication des documents (ainsi que la requérante le reconnaît en l'espèce) et, deuxièmement, que, eu égard à l'objet de la Loi, qui est exposé à l'article 2, les exceptions à la communication des documents doivent être limitées et occasionnelles et se restreindre à celles qui sont mentionnées précisément dans la Loi. (Voir Maislin Industries Limited, précité; DMR & Associates c. Ministre des Approvisionnements et Services (1984), 11 C.P.R. (3d) 87 (C.F. lie inst.); et Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1986] 3 C.F. 63; 11 C.P.R. (3d) 81 (i' inst.) (demande fondée sur l'article 42).)
Dans une décision plus récente Bande indienne de Sawridge c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) (1987), 10 F.T.R. 48 (C.F. 1fe inst.), mon collègue le juge Martin a étudié précisément les alinéas qui nous intéressent en l'espèce. Dans cette affaire, une bande indienne tentait d'empêcher la communication de ses règles d'appartenance, alléguant qu'elle entendait rentrer dans les dépenses afférentes à leur élaboration en demandant des droits aux autres bandes désireuses d'en obtenir une copie à titre de modèle. Les questions visant les alinéas 20(1)c) et d) ont été soulevées dans le cadre de la révision de la décision du ministre de ne pas donner l'avis prévu à l'article 28 de la Loi parce qu'il estimait que la tierce partie n'était touchée d'aucune des façons décrites
au paragraphe 20(1). Dans son examen, la Cour se limitait à rechercher si la décision avait été rendue régulièrement. Le juge Martin a ajouté à la page 56 qu'il aurait rendu la même décision que le ministre, compte tenu des faits portés à la connais- sance de ce dernier. Ses motifs reflètent l'impor- tance de la preuve requise pour satisfaire à l'obli- gation qui incombe au requérant qui invoque l'application des dispositions en cause [aux pages 56 et 57]:
Si le requérant a réussi à obtenir quelque avantage pour sa bande en autorisant d'autres bandes à s'inspirer du code pour établir le leur, il doit en fait s'en féliciter. A cet égard, la preuve n'est ni détaillée ni convaincante. Il paraît qu'on a donné un certain nombre d'exemplaires du code à d'autres bandes. Aucun paiement qui puisse être directement imputé à la com munication du Code n'a été reçu en retour. La preuve révèle cependant que la bande a reçu certains avantages sous forme d'appui pour des actions qu'elle a intentées contre le gouverne- ment fédéral.
Étant donné les renseignements dont disposait l'intimé au moment il a décidé de ne pas agir sous le régime de l'article 28 de la Loi, en particulier le code lui-même, et étant donné les observations qui ont été ultérieurement faites, notamment les éléments d'information à l'appui de la présente requête, on ne pouvait à l'époque, pas plus qu'on ne peut maintenant, s'atten- dre à ce que l'intimé conclue que la divulgation du code donnerait lieu ou pourrait donner lieu aux conséquences pré- vues aux alinéas 20(1)c) ou d). S'attendre à ce que l'intimé conclue que la divulgation du code donnerait lieu ou pourrait donner lieu à ces conséquences reviendrait à s'attendre à ce qu'il se livre à la plus pure spéculation.
Je souscris à ces remarques, c'est-à-dire que la preuve qu'il y a eu préjudice au sens des alinéas 20(1)c) et d) doit être détaillée et convaincante, et elle doit indiquer la présence d'un lien direct entre la communication et le préjudice subi. Elle ne doit pas simplement fournir des motifs de se livrer à des conjectures sur un préjudice possible.
Peut-être en raison du nombre très peu impor tant des litiges visant la loi fédérale, tous les dossiers des avocats renvoient à des décisions de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick qui traitent d'une loi semblable de cette province, la Loi sur le droit à l'information, S.N.-B. de 1978, chap. R-10.3. L'une de ces décisions, Re Daigle (1980), 30 N.B.R. (2d) 209 portait sur une demande par laquelle le chef provincial de l'Oppo- sition réclamait à la Commission d'énergie électri- que du Nouveau-Brunswick la communication d'une [TRADUCTION] «étude d'indice d'attente» qu'un expert-conseil avait faite relativement à la construction d'une centrale nucléaire. La Commis-
sion avait refusé de divulguer cette étude, en se fondant en partie sur l'alinéa 6c) de la Loi du Nouveau-Brunswick, qui dit notamment:
6. Le droit à l'information conféré par la présente loi est suspendu lorsque la communication d'informations
c) pourrait occasionner des gains ou des pertes financières pour une personne ou un ministère, ou pourrait compromet- tre des négociations en vue d'aboutir à la conclusion d'un accord ou d'un contrat;
Le juge Stevenson a dit ce qui suit sur les arguments ayant trait à l'alinéa 6c) [aux pages 215 et 216]:
[TRADUCTION] J'estime toutefois que l'application de l'ali- néa 6c) de la Loi, en ce qui concerne les pertes ou les gains financiers, doit se décider selon un contexte plus étroit. A mon avis, pour invoquer avec bonheur cette exclusion, il faut établir que la perte ou le gain découlerait directement de la divulgation des renseignements. En l'espèce, le ministre s'appuie sur ce que l'on ne peut appeler que le gain ou la perte escompté(e) des entrepreneurs.
Pour ce qui est de la proposition selon laquelle la divulgation infligerait à la Commission d'énergie électrique une perte en nuisant à ses efforts en- vue d'améliorer la prestation d'un entrepreneur particulier ou de négocier le règlement de revendi- cations contractuelles, ou encore en affaiblissant sa position dans d'éventuelles procédures visant à régler des revendications contractuelles, il me suffit de dire ce qui suit: je ne puis admettre qu'un entrepreneur sérieux sera moins enclin à tenter d'améliorer sa prestation lorsque son travail passé aura fait publiquement l'objet de critiques constructives; la logique veut que le contraire se produise. La mention générale dans l'affida- vit de M. Ganong relative au «règlement de revendications contractuelles et à d'éventuelles procédures visant à régler des revendications contractuelles» a peu de valeur probante. Il n'existe aucune preuve distincte qu'il existe bel et bien des revendications non réglées qui seraient compromises. Des élé- ments de preuve plus précis doivent être apportés pour justifier la non-divulgation fondée sur ce motif.
On a objecté que la divulgation des renseignements pourrait causer à l'avenir des pertes financières à The Emerson Consul tants Inc. L'objet de l'étude est présenté de façon claire, franche et objective. On ne saurait s'attendre à moins de la part d'une société de conseillers en gestion. Une telle présentation rehausse plutôt qu'elle ne ternit les aptitudes et la réputation d'un expert-conseil. Si ce dernier devait révéler volontairement le contenu d'un rapport confidentiel, ses clients éventuels seraient fondés à s'inquiéter. Mais les tiers ne peuvent repro- cher à un expert-conseil d'avoir divulgué des renseignements non pas de son propre chef, mais parce qu'il y était tenu par la loi. De plus, la perte possible à laquelle il est fait allusion relève entièrement du domaine de la spéculation, et elle ne résulterait pas directement de la divulgation. Je souligne d'ailleurs que M. Creaghan n'a pas insisté sur cet argument.
On a de plus avancé que la divulgation compromettrait les négociations en vue d'une convention collective entre les syndi- cats professionnels et la Lorneville Bargaining Authority. La réponse évidente à cet argument est que l'appréciation de
certains travaux faite quelque trois années plus tôt est si lointaine aujourd'hui qu'il me semble inconcevable que sa divulgation puisse compromettre des négociations actuelles ou leur nuire.
Ici encore, on constate le caractère très sérieux des éléments de preuve requis pour justifier la non- divulgation fondée sur des conséquences fâcheuses d'ordre pécuniaire ou contractuel.
Finalement, toutes les parties invoquent aussi des décisions rendues aux Etats-Unis qui portent sur la Freedom of Information Act beaucoup plus ancienne de ce pays (5 U.S.C. § 552 (1970)). Toutefois, comme l'a souligné le Commissaire à l'information dans ses observations, il peut être dangereux de s'appuyer sur des arrêts américains pour interpréter la loi canadienne. Les dispositions pertinentes de la Freedom of Information Act sont libellées comme suit:
[TRADUCTION] 552. ...
(3) ... chaque institution gouvernementale à qui l'on demande des dossiers identifiables de façon conforme aux règles établies qui mentionnent le délai, le lieu et les droits prévus par la Loi ainsi que les formalités applicables, doit promptement transmettre ces dossiers à qui les demande. Dans l'éventualité d'une plainte, la Cour de district des États-Unis du district dans lequel le plaignant réside ou a son principal établissement, ou dans lequel sont conservés les dossiers requis, est habilitée à interdire à l'institution gouvernementale visée de retenir ces derniers et à ordonner la production de tout dossier de l'institution gouvernementale indûment refusé au plaignant. Dans de telles circonstances, la cour juge l'affaire de novo et il appartient à l'institution gouvernementale de justifier son refus.
b) Ne sont pas visés par le présent article:
(4) les secrets industriels et les renseignements d'ordre com mercial ou financier obtenus d'un individu et qui sont privilé- giés ou confidentiels;
La U.S. Court of Appeals a statué que cette exemption supposait l'application d'un critère à deux volets:
[TRADUCTION] [4] En résumé, un renseignement commer cial ou financier est «confidentiel» aux fins de l'exemption si la communication du renseignement peut avoir l'un ou l'autre des effets suivants: (1) compromettre la capacité du gouvernement d'obtenir à l'avenir des renseignements nécessaires; ou (2) nuire sérieusement à la compétitivité de la personne qui a fourni le renseignement. [National Parks and Conservation Ass'n v. Morton, 498 F.2d 765 (D.C. Cir. 1974), à la page 770.]
Le Commissaire à l'information soutient que cette interprétation réunit les critères exposés aux ali- néas 20(1)b) et c) de la Loi canadienne en combi-
nant en une seule exception le critère visant une «catégorie» particulière de renseignements et le critère relatif au «préjudice» causé. Toutefois, si l'on examine l'alinéa 20(1)c) de notre Loi, on constate qu'il y est question d'un risque vraisem- blable de pertes financières et de compétitivité compromise, peu importe que les renseignements divulgués soient ou non confidentiels en eux- mêmes. Par conséquent, bien que la jurisprudence américaine nous aide à comprendre la terminologie semblable à la nôtre, le critère applicable à la non-divulgation doit être établi eu égard au con- texte particulier de la Loi canadienne.
Les arrêts américains peuvent toutefois nous éclairer relativement à la norme de preuve applica ble aux demandes de communication de renseigne- ments. Deux exemples suffiront à indiquer l'orien- tation de la jurisprudence à cet égard. Dans l'arrêt National Parks and Conservation Ass'n v. Kleppe, 547 F.2d 673 (D.C. Cir. 1976), la page 683, la Court of Appeals a décidé que la District Court n'avait pas commis d'erreur en concluant que la divulgation de renseignements nuirait considéra- blement à la compétitivité des intimés:
[TRADUCTION] [8] A l'exception de ces deux concessionnai- res, les intimés se sont aussi déchargés de l'obligation qui leur incombait de prouver que la divulgation serait susceptible de nuire considérablement à leur compétitivité. La District Court a conclu que tel serait le cas, J.A. 289, 292, 295-96, et le dossier appuie abondamment les inférences nécessaires condui- sant à cette conclusion. Il n'était pas besoin de démontrer aucune incidence défavorable sur la compétitivité des intimés, ce qui eut d'ailleurs été impossible, les documents demandés n'ayant pas encore été communiqués. Le tribunal n'a à exercer son jugement qu'eu égard à la nature des documents recherchés et aux circonstances concurrentielles dans lesquelles les conces- sionnaires font affaire, en s'appuyant au moins en partie sur des témoignages pertinents et crédibles.
L'arrêt Public Citizen Health Research Group v. Food and Drug Admin., 704 F.2d 1280 (D.C. Cir. 1983), aux pages 1290 et 1291 fournit un résumé encore plus utile du droit applicable, tiré de diver- ses décisions faisant jurisprudence:
[TRADUCTION] [6,7] La question pertinente consiste donc à savoir si les renseignements commerciaux fournis au FDA par les fabricants IOL sont «confidentiels» au sens de l'exemption 4. Les renseignements commerciaux sont confidentiels aux fins de l'exemption si leur communication peut avoir l'un ou l'autre des effets suivants «(1) ... compromettre la capacité du gouvernement d'obtenir à l'avenir des renseignements nécessai- res; ou (2) ... nuire sérieusement à la compétitivité de la personne qui a fourni le renseignement.» National Parks I, 498 F.2d à la page 770 (omission de la note en bas de page). Selon
le second volet de ce critère—le seul qui soit contesté en l'espèce—le tribunal n'a pas à se livrer à une analyse économi- que compliquée des effets vraisemblables de la communication. National Parks II, 547 F.2d à la page 681. Des allégations générales et théoriques concluant à une atteinte importante à la compétitivité d'une personne sont évidemment inadmissibles et elles ne sauraient justifier la décision d'une institution gouver- nementale de retenir les documents requis. Voir la décision précitée, à la page 680; Pacifie Architects & Engineers, Inc. v. Renegotiation Board, 505 F.2d 383, 384-85 (D.C. Cir. 1974). Cependant, les parties qui s'opposent à la communication ne sont pas tenues de «démontrer qu'il est effectivement porté atteinte à leur compétitivité»; des éléments de preuve révélant «une concurrence réelle et la vraisemblance d'une atteinte à la compétitivité» d'une partie suffisent à donner aux renseigne- ments commerciaux un caractère confidentiel. Gulf & Western Industries v. United States, 615 F.2d à la page 530.
Le critère américain repose donc sur «des élé- ments de preuve révélant une concurrence réelle et la vraisemblance d'une atteinte à la compétitivité d'une partie». Le tort réel causé à la compétitivité d'une partie par la divulgation de documents non encore communiqués est naturellement impossible à démontrer, et n'est pas exigé. Des allégations générales et théoriques concluant à un préjudice sont cependant inadmissibles. Bien que le libellé de l'exemption prévue par la loi américaine puisse différer du nôtre, la norme de preuve qui s'en dégage semble correspondre aux critères exposés dans les arrêts canadiens cités plus haut. La preuve ne doit pas faire appel à la pure spéculation, mais elle doit pour le moins établir la vraisemblance d'un préjudice considérable. Cela semble être aussi le critère compris aux alinéas 20(1)c) et d) de la Loi canadienne qui emploie l'expression «risquerait vraisemblablement» d'avoir des conséquences défa- vorables. Le risque doit être vraisemblable, mais la certitude n'est pas exigée.
F—CONCLUSION
L'esprit de la Loi sur l'accès à l'information veut que la partie qui s'oppose à la communication établisse que les renseignements contestés sont visés par l'une des exemptions particulières expo sées dans la Loi. En l'espèce, les exemptions invo- quées sont les alinéas 20(1)c) et d). Pour justifier la non-divulgation pour ces motifs, les requérants doivent démontrer qu'il s'agit de renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement:
1) de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers,
2) de nuire à sa compétitivité,
3) d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.
Les éléments de preuve en l'espèce satisfont-ils aux critères précités? Je ne le crois pas, pour plusieurs raisons. La première considération, et la plus importante, vise la nature des rapports de vérification de l'inspection des viandes. Les inspec tions qui font l'objet des rapports sont distinctes des inspections quotidiennes et continues faites par les fonctionnaires sur place d'Agriculture Canada, et elles s'y ajoutent. C'est à l'issue de ces inspec tions quotidiennes qu'est apposée l'estampille sans laquelle aucun produit de viande ne peut être introduit sur le marché canadien ni être exporté à partir du Canada. L'estampille atteste que le pro- duit concerné a satisfait aux normes élevées relati ves à la pureté et à l'hygiène exposées dans la Loi sur l'inspection des viandes et ses règlements d'ap- plication. Comme l'a reconnu la présente requé- rante au cours des débats, c'est ce procédé qui renseigne et protège principalement le public dans ses achats quotidiens de viande destinée à la con- sommation. Tout produit non conforme aux normes établies est retenu par les inspecteurs et n'est jamais offert en vente.
Les rapports litigieux en l'espèce reflètent la vérification périodique de ce procédé, et ils se concentrent principalement sur les conditions matérielles de l'usine et son fonctionnement géné- ral. Les requérantes soutiennent que le public ne fera pas de distinction entre les installations de l'usine, dont les rapports mentionnent les failles, et les viandes produites dans ces établissements. À l'appui de cette prétention, les requérantes préten- dent nécessairement que ces commentaires défavo- rables amèneront les consommateurs à ne pas faire de cas des garanties fournies par l'inspection quoti- dienne et continue des produits et des installations. Elles s'attendent aussi à ce que le consommateur ne fasse aucun cas de la cote globale généralement élevée accordée à ces usines dans les rapports, ni de la lettre d'accompagnement dans laquelle Agri culture Canada exposait les limites du rapport, pas plus que du fait que ces rapports datent de plus de trois ans et que les usines concernées ont pris des mesures pour corriger les failles reprochées. Malgré tous ces renseignements favorables, le con-
sommateur, concluent les requérantes, va se détourner des produits des fabricants visés et, en fin de compte, de tous les produits de viande rouge pour leur substituer la volaille et le poisson. C'est un argument que je ne puis admettre, d'autant plus que la requérante a concédé que ces rapports, bien compris, ne devraient pas modifier la décision du public d'acheter ses produits.
Les mêmes problèmes se posent à l'égard des inquiétudes de la requérante relativement au marché d'exportation. Toutes les requérantes ont souligné, avec une légitime fierté, que les normes canadiennes d'hygiène applicables à la viande sont les plus élevées au monde et que nos produits de viande sont bien cotés à l'étranger. Mais ils sou- tiennent néanmoins que tout renseignement défa- vorable sur leurs opérations nuirait à leur compéti- tivité face aux fournisseurs d'autres pays des renseignements de ce genre ne sont pas disponi- bles. J'ai peine à croire qu'un importateur raison- nable se fierait aux renseignements contenus dans les rapports en question en dépit des garanties fournies par notre système d'inspection des viandes fort estimé, et dont fait foi l'estampille qui figure sur tous les produits exportés. La requérante avance aussi que les gouvernements étrangers se serviront de ces renseignements pour dresser des barrières non tarifaires contre les produits de viande canadiens. Aucun exemple n'a pu être trouvé d'un tel emploi des rapports d'inspection canadiens ou américains, et en l'absence de toute preuve à l'appui de cette allégation, je ne suis pas disposé à conclure qu'il représente un risque réel pour les requérants, sur le plan concurrentiel ou pécuniaire.
Ce manque de crédibilité n'est pas racheté par la crainte des requérants que les rapports seront exploités par la presse à sensation. Les éléments de preuve ne justifient tout simplement pas cette crainte. Plusieurs articles sur l'industrie de l'em- ballage des viandes figurent dans les affidavits produits à l'appui de cette demande. Un seul men- tionne des rapports semblables aux rapports liti- gieux, lesquels, on s'en souviendra, pouvaient être obtenus des autorités canadiennes entre 1981 et 1983 et de Washington à compter de 1972. Une lecture attentive de ce dernier article illustre le peu de gravité des plaintes formulées dans ces rapports. Je souligne également que l'article en question,
rédigé par le demandeur en l'espèce, Jim Romahn, mentionne spécifiquement le caractère bénin des plaintes et il retrace les mesures que les entreprises critiquées ont prises pour rectifier toute violation des normes établies. Je ne trouve pas qu'il s'agis- se-là d'un compte rendu partial ou tendancieux, et certainement pas d'un article susceptible d'inquié- ter indûment les consommateurs.
Pour ce qui est des obstacles aux négociations menées en vue de contrats, les motifs exposés plus haut servent à démontrer que l'on ne peut raison- nablement s'attendre à ce que d'éventuels parte- naires commerciaux mettent fin à des négociations en raison desdits rapports. Comme l'a dit le juge Stevenson dans l'arrêt Re Daigle, cité plus haut, le consommateur raisonnable ne manquerait sûre- ment pas de tenir compte du fait que les rapports en litige datent de plus de trois ans. Il est inconce- vable que des renseignements aussi périmés sur des failles mineures des installations de la requérante puissent compromettre sérieusement des négocia- tions en cours.
Il n'existe non plus aucune preuve que la com munication de ces rapports nuira de quelque façon à la collecte des données effectuée par les inspec- teurs du gouvernement, comme le prétend la requérante. Il ne s'agit pas ici de renseignements qui sont volontairement fournis au gouvernement par l'industrie des viandes. En d'autres termes, la qualité des renseignements recueillis ne dépend pas de la collaboration de ceux qui les fournissent. Dans les affaires américaines citées par les requé- rantes, on exprimait la crainte que d'utiles rensei- gnements soient cachés aux institutions gouverne- mentales de peur qu'ils ne soient publiés. Or, en l'espèce, les rapports litigieux sont le résultat d'un système d'inspection établi par la loi. Pour conser- ver leur agrément en qualité d'usines agréées d'emballage des viandes, les entreprises concernées doivent se soumettre non seulement à une vérifica- tion périodique mais aussi à des inspections sur place effectuées de façon continue. Rien ne peut empêcher les inspecteurs ou les vérificateurs de constater et de consigner par écrit les conditions matérielles qui existent dans une usine. Contraire- ment à ce qui est le cas pour les services de collecte de renseignements volontaires, la qualité des ren- seignements recueillis au cours des inspections en
cause ne dépend pas de la collaboration de l'indus- trie des viandes. Je ne suis d'ailleurs pas convaincu que cette collaboration serait compromise. La publication des rapports visés pourrait inciter davantage ces entreprises, aiguillonnées par la con currence, à respecter ou même à dépasser les normes nationales. La meilleure façon d'atteindre ce but serait encore la communication des rensei- gnements aux autorités fédérales et la collabora tion avec ces dernières.
J'ai dit dans l'arrêt Maislin Industries, précité, que tout doute dans une affaire intéressant la Loi sur l'accès â l'information doit se résoudre en faveur de la divulgation. Les renseignements liti- gieux en l'espèce constituent un exemple classique d'informations qui devraient être mis à la disposi tion de ceux qui en font la demande. Les inspec tions à la source des rapports en cause ont été effectuées par les autorités publiques, elles entraî- naient la dépense des deniers publics et elles avaient pour objet la protection du public. Les rapports qui en sont résultés sont de par leur nature même des renseignements publics. Les requérantes ne se sont pas acquittées de l'obliga- tion qui leur incombait de me persuader qu'ils ne devraient pas être divulgués. Je ne trouve pas que les documents sont visés par les alinéas 20(1)c) ou d) de la Loi. Même si cette conclusion était erro- née, l'intérêt qu'a le public dans leur divulgation l'emporte carrément sur tout risque de préjudice causé à la requérante, et les rapports devraient être communiqués en application du paragraphe 20(6) de la Loi.
Pour ces motifs, j'ai conclu que les rapports d'inspection des viandes peuvent être communi- qués dans la forme proposée par le ministère de l'Agriculture. La demande faite à l'encontre de la communication est donc rejetée avec dépens.
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