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A-69-86
Debora Bhatnager (appelante) c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et Secré- taire d'État aux Affaires extérieures (intimés)
RÉPERTORIE: BHATNAGER C. CANADA (MINISTRE DE L'EM- PLOI ET DE L'IMMIGRATION)
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et Hugessen— Toronto, 7 décembre 1987; Ottawa, 8 janvier 1988.
Pratique Signification L'ordonnance visant la produc tion d'un dossier concernant un visa n'a pas été exécutée Appel interjeté contre le jugement de première instance qui déclarait les ministres non coupables d'outrage au tribunal d'après les règles de la common law qui exigent la significa tion à personne si l'on veut par la suite invoquer cette signifi cation pour affirmer que la partie a pris connaissance de l'ordonnance Les intimés sont représentés par un avocat Copie de l'ordonnance a été signifiée à l'avocat Appel accueilli Le juge de première instance a commis une erreur en appliquant les règles de la common law Les Règles de la Cour fédérale constituent un code complet des modalités de la notification des ordonnances de la Cour Les Règles n'exi- gent pas la signification à personne des ordonnances Le prononcé de l'ordonnance en audience publique en présence de l'avocat des parties visées et la signification subséquente de l'ordonnance satisfont pleinement aux Règles La présomp- tion qu'il y a eu signification valable ne peut être réfutée car il n'existe aucune preuve que le solicitor des intimés n'était pas autorisé à agir pour eux Il faut éviter de ne pouvoir s'en remettre aux Règles en ce qui concerne la signification faite aux solicitors.
Pratique Outrage au tribunal Ordonnance enjoignant la production du dossier relatif au visa Le dossier n'a pas été produit dans les délais prescrits Le juge de première instance a statué que »les personnes qui ont agi pour le compte» des ministres n'ont exécuté ni la lettre ni l'esprit de l'ordonnance Les directives n'ont pas été données au nom des ministres comme l'exigeait l'ordonnance La Cour d'ap- pel est autorisée, en vertu de l'art. 52 de la Loi sur la Cour fédérale, à rendre le jugement que la Division de première instance aurait rendre Les actes dont les ministres sont responsables sont des actes de désobéissance L'affaire est renvoyée au juge de première instance pour qu'il impose une peine.
Il s'agit d'un appel contre le jugement qui déclarait les intimés non coupables d'outrage au tribunal. Dans le cadre des procédures visant à obtenir un bref de mandamus pour enjoin- dre au ministre de l'Emploi et de l'Immigration de donner suite à la demande de résidence permanente de son mari, l'appelante a demandé la protection du dossier relatif au visa. La demande de bref de mandamus a été ajournée sur consentement, et le juge en chef adjoint a ordonné aux intimés de produire le dossier pour permettre à l'appelante de compléter le contre-
interrogatoire d'un agent d'immigration avant l'audition de la demande le 3 septembre 1985. Le 19 août, l'avocat des intimés a reçu signification de l'ordonnance de production. La seule initiative visant à obtenir le dossier auprès du Haut-commissa riat à New Delhi (Inde), a été prise par la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada bien que le dossier ait relevé du ministère des Affaires extérieures et que celui-ci ait été nommé dans l'ordonnance du juge en chef adjoint qui lui a enjoint de produire le dossier. Le 29 août, le dossier original n'était pas encore parvenu à Toronto, aussi a-t-on procédé au contre-interrogatoire à l'aide de la photocopie du dossier. Il est cependant vite devenu évident qu'il manquait des documents. Le dossier complet est arrivé à Toronto le 30 août 1985. Une ordonnance de justification a été prononcée contre les intimés en raison de leur défaut de produire le dossier concerné confor- mément à l'ordonnance du juge en chef adjoint. Les intimés ont été déclarés non coupables d'outrage au tribunal. Il a été statué que des affidavits des préposés des ministres intimés étaient inadmissibles comme preuve par ouï-dire de la connaissance qu'avaient les intimés de l'ordonnance de la Cour. Le juge de première instance a aussi rejeté comme preuve par ouï-dire des copies de télex et le bordereau de l'expédition du dossier d'Ottawa à Toronto, statuant qu'ils ne pouvaient être admis en preuve à titre de pièces commerciales puisque les exigences de l'article 28 de la Loi sur la preuve au Canada n'avaient pas été respectées.
Les questions en litige consistent à savoir si la signification à l'avocat des intimés de l'ordonnance portant production du dossier constitue un avis suffisant aux fins de la Règle 355 pour permettre de déclarer les intimés coupables d'outrage au tribu nal, et si tel est le cas, les intimés sont-ils coupables d'outrage au tribunal.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Les deux intimés étaient représentés par un avocat tout au long des procédures, et ce dernier était habilité à agir pour leur compte. Les Règles n'exigent pas la signification à personne d'une ordonnance de production. Normalement, la signification au procureur inscrit au dossier conformément à la Règle 308 suffirait. Toutefois, le juge de première instance s'en est remis aux règles de la common law pour statuer que l'ordonnance doit être signifiée personnellement à la partie si l'on veut par la suite pouvoir invoquer cette signification pour affirmer que la partie avait pris connaissance de l'ordonnance à laquelle elle est accusée d'avoir contrevenu. Le juge de première instance a commis une erreur de s'en remettre aux règles de la common law quand les Règles de la Cour fédérale fournissent un code complet des modalités propres à la notification des ordonnances de la Cour. Il a été entièrement satisfait aux Règles concernées, de sorte que le prononcé de l'ordonnance en séance publique en présence du représentant dûment autorisé des intimés, et la signification subséquente de l'ordonnance au représentant, constituaient un avis donné aux intimés tout autant que s'ils avaient été personnellement présents et que l'ordonnance leur avait été signifiée. Pour pouvoir réfuter la présomption qu'ils ont eu notification valable de l'ordonnance vu la présence de leur solicitor inscrit au dossier et la signification qui lui a été faite de ce document, les intimés devraient absolument démon- trer que le solicitor n'était autorisé ni en fait ni en droit à agir pour leur compte. Or, les intimés ont laissé entendre et conti- nuent à laisser entendre que leur avocat est autorisé à agir en leur nom. Les règles ordinaires du mandat aussi bien que
l'autorisation que donnent les Règles au solicitor d'agir pour ses clients et de recevoir signification d'une ordonnance pour eux suffisent à constituer un avis suffisant de l'ordonnance aux intimés. Si ce n'était pas le cas, les parties ne pourraient pas se fier aux Règles pour signifier validement des jugements et des ordonnances aux solicitors inscrits aux dossiers, ce qui discrédi- terait les Règles de la Cour.
Il faut se souvenir que les actions engagées devant la Cour fédérale peuvent être prises dans toutes les parties du pays. Les Règles ont été promulguées pour obvier aux problèmes que pose la géographie lorsqu'il s'agit de signifier une ordonnance à un ministre très occupé dans les délais que peut impartir ce document. Prétendre le contraire, ce serait permettre aux avo- cats de protéger leurs clients contre de possibles citations pour outrage en les tenant dans l'ignorance, non seulement de l'exis- tence des jugements et ordonnances prononcés contre eux, mais encore des conséquences auxquelles ils s'exposent s'ils ne s'y conforment pas.
Le juge de première instance a, à bon droit, déclaré inadmis- sibles les affidavits des préposés des ministres intimés quant à la connaissance de l'ordonnance qu'avaient leurs ministres res- pectifs. C'est aussi à bon droit qu'il a refusé d'ajourner les procédures afin de permettre aux intimés de compléter leur preuve. Après avoir arrêté un moyen de défense à opposer à la requête de justification, les intimés ne doivent pas, après l'échec de ce moyen, être autorisés à présenter un autre moyen de défense à l'encontre de cette requête.
La Cour d'appel était autorisée à rendre jugement en vertu de l'article 52 de la Loi sur la Cour fédérale. Si l'on se fonde sur les conclusions du juge de première instance que les person- nes qui ont agi pour le compte des intimés n'ont exécuté ni la lettre ni l'esprit de l'ordonnance, les actes dont les ministres étaient responsables étaient des actes de désobéissance.
L'affaire devrait être renvoyée au juge de première instance pour qu'il impose une peine, car ce sujet n'a pas été soulevé devant la Cour.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 52.
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10, art. 28.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
2(1), 300(1),(3), 308, 311, 337(8), 355(4).
AVOCATS:
Clayton C. Ruby et Michael Code pour l'appelante.
John E. Thompson et Michael W. Duffy pour les intimés.
PROCUREURS:
Ruby & Edwardh, Toronto, pour l'appelante. Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE: Appel est interjeté du jugement par lequel le juge Strayer de la Division de pre- mière instance [[19861 2 C.F. 3] a déclaré les intimés non coupables d'outrage au tribunal relati- vement au prétendu défaut d'obtempérer à l'ordon- nance de la Division de première instance enjoi- gnant la production d'un dossier ou de la copie d'un dossier concernant l'appelante et son mari, qui se trouvait en la possession du Haut-commissa riat du Canada à New Delhi (Inde). Pour statuer sur l'appel, les faits s'imposent, et certains d'entre eux étant contestés, il est nécessaire de les exami ner d'une façon quelque peu détaillée.
LES FAITS
Le 25 juin 1980, l'appelante, une citoyenne canadienne vivant au Canada, a épousé Ajay Kant Bhatnager, citoyen de l'Inde. M. Bhatnager est retourné en Inde et, en juillet 1980, l'appelante a parrainé la demande de statut de résident perma nent présentée par son mari. Selon la preuve, la première offre de parrainage n'a pas été envoyée au Haut-commissariat du Canada à New Delhi. Par la suite, l'appelante a soumis une deuxième offre de parrainage en mars 1981.
Le 5 juin 1985 ou vers cette date, l'appelante a déposé un avis de requête devant la Division de première instance [[1985] 2 C.F. 315], sollicitant un bref de mandamus enjoignant au ministre de l'Emploi et de l'Immigration de donner suite à la demande de résidence permanente présentée par M. Bhatnager. Sur consentement, l'audition de la requête, dont la présentation était prévue pour le 10 juin 1985, a été remise au 17 juillet 1985 et, de nouveau, toujours sur consentement, au 3 septem- bre 1985, pour que le débat sur cette requête ait lieu en même temps que celui sur des affaires connexes.
En avril ou en mars 1985, l'avocate de l'appe- lante a informé les procureurs de l'intimé qu'elle avait l'intention d'intenter les procédures de man- damus. Par la suite, soit le 2 et le 30 mai 1985, le Centre d'immigration Canada de l'ouest de Toronto a envoyé des télex au bureau des visas de New Delhi pour demander que le dossier des visas soit envoyé à Toronto. En réponse au premier télex, dont une copie a été envoyée au ministère
des Affaires extérieures, le bureau des visas a répondu que, compte tenu de la demande de man- damus pendante, le dossier serait transmis à Toronto. D'après la preuve, il faut de dix à qua- torze jours pour qu'un dossier soit reçu au Canada par valise diplomatique. En l'espèce, le dossier n'est pas arrivé dans ce délai.
Le 11 juillet 1985, au contre-interrogatoire con duit par l'avocate de l'appelante sur l'affidavit de Lou Ditosto, agent d'immigration, ladite avocate a demandé la production du dossier des visas concer- nant M. Bhatnager. L'affidavit de M. Ditosto avait été déposé en réponse à la demande de mandamus formulée par l'appelante. Puisque M. Ditosto n'a pas pu répondre à plusieurs des ques tions qu'on lui avait posées sans consulter le dos sier, l'avocate de l'appelante a demandé que le contre-interrogatoire soit remis à plus tard pour qu'on ait le temps de produire le dossier et pour que M. Ditosto l'examine. Par la suite, l'audition de la demande de mandamus a été ajournée à une séance spéciale de la Cour, soit le 3 septembre 1985, sur consentement, afin que le débat sur cette requête ait lieu en même temps que celui sur d'autres affaires soulevant les mêmes questions.
Le 16 juillet 1985 ou vers cette date, Jean Brisson, un agent chargé du cas, au service de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada à Ottawa, a reçu de Yvonne Beaupré une note de service lui demandant d'obtenir le dossier de l'appelante, lequel se trouvait à New Delhi. Par télex, M. Brisson a exigé le dossier «immédiate- ment» et il a demandé au bureau de New Delhi de conserver une photocopie du dossier pour ses pro- pres besoins.
Le 17 juillet 1985, à la présentation de la demande de mandamus qui avait été ajournée, l'avocat du ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, intimé, a avisé le juge en chef adjoint que New Delhi avait envoyé le dossier et qu'il serait inutile d'ordonner sa production à ce moment. Le juge en chef adjoint a déclaré qu'il tenait à ce que la livraison du dossier soit accélérée.
Le 22 juillet 1985, M. Brisson a reçu du bureau de New Delhi un télex en date du 19 juillet 1985 qui est ainsi rédigé:
[TRADUCTION] Si vous consultez le dossier de l'administration centrale, vous aurez une documentation volumineuse et compli- quée plus l'état actuel des choses, que voici: l'affaire a été rouverte le 6 février 1984, par suite de la décision Robbins et du retrait des répondants de l'appel du rejet en raison du mariage de convenance.
2. La vérification des antécédents avec l'agent de liaison a commencé, et au 3 juillet 1985, il n'y a pas de casier judiciaire à cet égard. Entre-temps, nous avons trouvé que le sujet avait fourni des renseignements frauduleux dans la formule IMM8. Nous avons voulu refuser en vertu du paragraphe 9(3) de la Loi pour le défaut de fournir des renseignements dignes de con- fiance qui nous permettraient de procéder à une vérification significative des antécédents comme l'exigent les alinéas 19(l)E)F) et G) de la Loi. Étant donné que l'affaire a pris de l'ampleur, nous avons demandé à l'administration centrale de nous donner des directives les 1" avril, 16 mai et 17 juin.
3. Étant donné que, au 3 juillet 85, le sujet ne fait l'objet d'aucun casier judiciaire, le traitement de l'affaire pourrait être repris en attendant la directive de l'administration centrale, laquelle directive ne nous est pas encore parvenue. En consé- quence, l'affaire est pendante en attendant l'approbation d'un rejet.
4. Selon votre directive, notre dossier sera transmis.
Puisque le dossier n'était pas arrivé le 8 août 1985, M. Brisson a envoyé un autre télex au bureau de New Delhi. Il a demandé que le dossier soit livré dans l'espace d'une semaine; il a égale- ment demandé les raisons pour lesquelles le bureau de New Delhi avait délivré, le 25 juillet 1985, un permis du ministre à M. Bhatnager plutôt qu'un visa d'immigration. Il a rappelé aux autorités de New Delhi que la Cour était toujours saisie de l'affaire malgré la délivrance du permis.
M. Brisson a de nouveau envoyé un télex à New Delhi puisque le dossier n'était pas arrivé le 14 août 1985, faisant savoir que [TRADUCTION] «la situation exigeait une attention immédiate». Le même jour, le chef de M. Brisson, M. Labelle, a également envoyé un télex demandant que New Delhi réponde avant 8 h 30 le jour suivant.
Le 15 août 1985, l'appelante a saisi la Division de première instance d'une requête en ordonnance portant production du dossier et, également, cons- tituant le secrétaire d'État aux Affaires extérieures partie intimée parce que les agents des visas d'ou- tre-mer relèvent de ce dernier.
À la présentation de la requête le 15 août 1985, M. Thompson du ministère de la Justice a com- paru en qualité d'avocat des intimés. Selon lui, il avait l'impression que le dossier était en passe d'arriver de New Delhi, ce qui fait qu'aucune
ordonnance n'était requise. Le juge en chef adjoint a toutefois convenu avec l'avocate de l'appelante qu'une ordonnance s'imposait pour s'assurer de la production du dossier pour compléter un contre- interrogatoire de M. Ditosto à temps en vue de l'audition du 3 septembre 1985. L'avocate de l'ap- pelante a préparé un projet d'ordonnance à l'inten- tion du bureau du greffe, et M. Thompson l'a approuvé quant à la forme. L'ordonnance se lit notamment:
[TRADUCTION] ET QUE le Secrétaire d'État aux Affaires exté- rieures soit constitué partie intimée;
ET QUE les intimés ordonnent à leurs fonctionnaires de remettre à Lou Ditosto, un agent d'immigration des intimés, l'original ou une copie du dossier concernant la requérante, Debora Bhatna- ger, et son mari, Ajay Kant Bhatnager, qui se trouve en la possession du Haut-commissariat du Canada à New Delhi (Inde), afin de permettre à la requérante de compléter son contre-interrogatoire sur les affidavits déposés en l'espèce, et ce, sans délai et à temps pour l'audition de cette affaire prévue pour le 3 septembre 1985.
Le 15 août 1985, M. Brisson a reçu du conseiller juridique de la Commission de l'emploi et de l'im- migration du Canada une note de service relative à l'ordonnance du juge en chef adjoint, laquelle note de service se lit notamment:
[TRADUCTION] [La Cour a ordonné] la production du dossier immédiatement et il est recommandé de veiller à ce que cette affaire soit traitée de façon quelque peu urgente pour éviter que le ministre se trouve à être coupable d'outrage au tribunal pour n'avoir pas produit le dossier.
M. Brisson a par la suite envoyé le télex suivant à New Delhi:
[TRADUCTION] Si le dossier n'est pas produit à la prochaine audience prévue pour le 3 septembre, lui [Secrétaire d'Etat aux Affaires extérieures] et le ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion pourraient être cités à comparaître pour outrage au tribu nal. Veuillez vous assurer que ce dossier est expédié par la prochaine valise diplomatique qui doit arriver ici mardi pro- chain le 20 août.
Ce télex a donné lieu à la réponse suivante également par télex, le 16 août 1985:
[TRADUCTION] Par suite de la conversation téléphonique entre Davis et Numan le 16 août, j'ai examiné le dossier et j'ai été supris qu'Emploi et Immigration Ottawa semble ne pas savoir qu'un permis du ministre visant à faciliter une admission rapide en attendant des examens médicaux avait été délivré au sujet le 27 juillet 1985 et envoyé par la poste le même jour ... Le dossier devait avoir été transmis à Ottawa par valise diplomati- que la semaine dernière mais son envoi a été retardé en raison de la réception de nouveaux documents. Le dossier doit être renvoyé par la vase diplomatique d'aujourd'hui. Il est intéres- sant de noter qu'on a donné d'autres détails sur les derniers documents, et nous croyons entièrement aux lettres dignes de foi de notre informatrice inconnue. Elle nous informe que le
sujet a reçu un permis et que le frère du sujet au Canada lui a conseillé de ne pas l'utiliser mais de rester pour compléter les examens médicaux ici afin qu'un visa puisse être obtenu. Ils craignent que s'il entre au Canada muni d'un permis, sa «femme», qui tient manifestement à en finir avec ce mariage de convenance parce qu'elle vit actuellement avec un ami qu'elle désire épouser, ne divorce avec le sujet avant qu'il n'obtienne un droit d'établissement. S'il fait des démarches auprès de nous pour subir des examens médicaux, nous vous en informerons et nous vous demanderons ainsi qu'aux personnes mentionnées sous la rubrique «information» de noter qu'un autre retard serait son propre fait.
Nous reconnaissons que la décision de la cour pèse sur vous et nous nous y conformons donc, mais nous ne saurions insister trop énergiquement sur notre sentiment qu'il s'agit d'un mariage de convenance. Nous espérons que si le sujet demande à parrainer sa femme et ses enfants indiens dans un an ou deux, la CEIC serait disposée à prendre la mesure d'application appropriée.
Le 19 août 1985, des représentants de l'avocate de l'appelante ont en personne signifié à l'avocat des intimés, M. Duffy du ministère de la Justice, une copie de l'ordonnance du juge en chef adjoint. M. Duffy a informé le représentant qu'il était déjà au courant de l'ordonnance et qu'il en avait reçu une copie du greffe. Il a accepté la signification au nom des intimés.
N'ayant pas reçu le dossier le 20 août, M. Brisson en a informé M. Labelle, son chef, et il a envoyé un autre télex à New Delhi dont voici le libellé:
[TRADUCTION] Notre première demande du 17 juillet visant à obtenir le dossier Bhatnager et nos télex subséquents n'ont pas accéléré sa livraison bien qu'il soit clair que nous en avions besoin de façon urgente en vue d'une défense à une action judiciaire. On nous a maintenant informé que le dossier n'était pas arrivé à Ottawa mais pourrait l'être le 27 août. L'audition tenue par la Cour fédérale est prévue pour le 3 septembre à Toronto, ce qui donne à la Justice pas plus de deux (2) jours francs pour préparer des arguments à l'appui de votre action. De plus, la requérante désire peut-être procéder à un contre- interrogatoire au sujet de l'affidavit qui avait été déposé pour la Commission. Le 15 août, la Cour n'a pas semblé impressionnée par notre façon de traiter de la présente affaire, ce qui fait qu'il est difficile pour nous de demander d'autres délais en raison de notre production tardive du dossier. Nous ne connaissons pas la procédure que vous suivez pour envoyer des dossiers ici, mais, jusqu'à maintenant, sauf le présent cas, ils nous sont prompte- ment parvenus après notre demande. Puisque votre télex du 16 août nous a amené à croire que le dossier arriverait cette semaine, nous nous demandons pourquoi cela ne s'est pas produit. Veuillez donner des explications. Nous voudrions que vous confirmiez que le rapport demandé par OPAS relative- ment à la délivrance d'un permis plutôt que d'un visa figure dans le dossier. Si aucun n'a été envoyé, veuillez en envoyer un par télex immédiatement.
Le 21 août, M. Brisson a envoyé un autre télex à New Delhi pour demander qu'une copie du dossier soit envoyée par messagerie internationale com- merciale avec un service de livraison de `48 heures. Le bureau de New Delhi a répondu par télex qu'il enverrait sa seule copie du dossier par courrier le soir du 22 août 1985.
En résumé, il est juste de dire que pendant cette période, bien que le dossier ait relevé du ministère des Affaires extérieures, M. Brisson n'a fait que s'enquérir auprès de la salle du courrier. Le minis- tère des Affaires extérieures n'a pas pris l'initiative d'obtenir le dossier à temps pour les contre-interro- gatoires, laissant l'initiative entièrement à l'Immi- gration et ce, en dépit du fait qu'il a reçu des copies des télex et qu'il a été nommé dans l'ordon- nance du juge en chef adjoint qui lui a enjoint de produire le dossier.
Le 25 août, l'avocat des intimés a téléphoné à l'avocate de l'appelante et il l'a informée que son dossier n'était pas arrivé mais qu'il était attendu au plus tard le 29 août, la date fixée pour la poursuite du contre-interrogatoire de M. Ditosto. Une copie du dossier de New Delhi est arrivée le 27 août 1985 au bureau régional du ministère de la Justice, à Toronto. Le dossier original est arrivé à Ottawa le 28 août 1985. M. Brisson a, le même jour, expédié le dossier par autobus à l'avocat des intimés à Toronto.
Le 29 août 1985, le dossier original n'était pas encore parvenu à Toronto pour le contre-interroga- toire de Mme A. Zografos, que les intimés avaient substituée à M. Ditosto. On a procédé au contre- interrogatoire à l'aide de la photocopie du dossier, mais il est vite devenu évident qu'il ne s'agissait pas d'une copie complète et certaines questions posées par l'avocate de l'appelante ont rester sans réponse. L'avocate de l'appelante n'a pas demandé un ajournement.
M. Duffy a reçu le dossier original et complet à Toronto le 30 août 1985. Il a alors appelé l'avocate de l'appelante pour discuter avec elle du contenu du dossier. Celle-ci n'a pas cherché à reprendre son contre-interrogatoire de Mme Zografos faute de temps pour le recommencer, et pour obtenir des
transcriptions et se préparer pour l'audition tenue le mardi, 3 septembre 1985.
Le 3 septembre 1985, le juge Strayer a entendu la demande de bref de mandamus. A l'audition, l'avocate de l'appelante a demandé qu'une ordon- nance de justification soit prononcée contre les intimés en raison de leur défaut de produire le dossier concerné conformément à l'ordonnance rendue par le juge en chef adjoint le 15 août 1985. Le juge Strayer s'est montré d'accord et il a rendu l'ordonnance de justification le 4 septembre 1985. Le 15 octobre 1985, le juge a accueilli avec dépens la demande de bref de mandamus et il a motivé son ordonnance.
Les 5 et 6 décembre 1985, l'audition de justifi cation a eu lieu devant le juge Strayer, au terme de laquelle il y a eu remise du prononcé du jugement.
Par ordonnance en date du 22 janvier 1986, le juge Strayer a statué que les intimés n'étaient pas coupables d'outrage au tribunal. Dans ses motifs, il a statué que deux affidavits déposés par les intimés étaient inadmissibles comme preuve par ouï-dire de la connaissance qu'avaient ces derniers de l'or- donnance du juge en chef adjoint. Il a également rejeté comme preuve par ouï-dire inadmissible des copies des télex en provenance de New Delhi ainsi que le bordereau de l'expédition alléguée du dos sier par autobus d'Ottawa à Toronto. Il a statué que ces documents ne pouvaient être admis en preuve à titre de «pièces commerciales» puisque les exigences procédurales de l'article 28 de la Loi sur la preuve au Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10] n'avaient pas été respectées et que ni l'une ni l'autre des parties n'avait renoncé à ces exigences.
LES QUESTIONS EN LITIGE
L'appelante ne soulève que deux questions liti- gieuses relativement au jugement contesté.
Tout d'abord, on a avancé que le juge de pre- mière instance avait commis une erreur de droit en concluant que les intimés ne pouvaient être tenus responsables de l'outrage commis par leurs fonc- tionnaires et leurs délégués lorsqu'ils n'ont pas produit le dossier réclamé, désobéissant de la sorte à l'ordonnance rendue par le juge en chef adjoint en date du 15 août 1985.
Deuxièmement, on a soutenu que le juge de première instance a commis une erreur de droit en
statuant que dans les circonstances en cause, la signification de l'ordonnance du juge en chef adjoint à l'avocat des intimés ne constituait pas un avis suffisant aux fins de la Règle 355 des Règles et ordonnances générales de la Cour fédérale [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] pour permettre de déclarer les intimés coupables d'outrage au tribunal.
L'avocat des intimés s'est opposé à la décision du juge de ne pas admettre en preuve une copie des télex de New Delhi ainsi que le bordereau attestant l'expédition du dossier d'Ottawa à Toronto.
Je préférerais traiter du second point en premier.
L'avis aux intimés
Comme fondement de mon raisonnement sur ce point, je dois souligner tout d'abord qu'après avoir étudié la preuve en détail, le juge de première instance a tiré la conclusion suivante':
Par conséquent, je suis tenu de conclure, compte tenu de la façon dont s'est soldée la production de ce dossier, de la preuve concernant les directives inadéquates données par M. Brisson et de l'absence de quelque élément de preuve établissant que des directives auraient été données au nom du ministère qui exer- çait le contrôle sur le dossier, qu'-aucune directive n'a été donnée au nom des intimés de la manière requise par l'ordon- nance du 15 août. Il n'y a pas eu non plus de suivi efficace afin de s'assurer que le but visé par l'ordonnance était atteint. [Soulignements ajoutés.]
Le juge s'est alors montré d'avis que «pour qu'une personne soit tenue personnellement res- ponsable de ses propres actes de désobéissance, elle doit avoir eu l'occasion d'obéir à l'ordonnance en question de la cour ou de voir à ce qu'elle soit respectée» 2 , c'est-à-dire qu'elle doit avoir eu notifi cation de l'ordonnance à laquelle elle aurait désobéi.
Finalement, le juge de première instance s'est exprimé comme suit 3 :
. je crois que d'après les principes de common law il faut en déduire que, dans de tels cas, l'ordonnance doit être signifiée personnellement à la partie si l'on veut par la suite pouvoir invoquer cette signification pour affirmer que la partie avait pris connaissance de l'ordonnance à laquelle elle est accusée d'avoir contrevenu. Il n'est évidemment pas nécessaire de prou- ver la signification de l'ordonnance si l'on peut par ailleurs
'Àlap.18.
2 À la p. 19.
3 À la p. 20.
établir que la personne visée en avait été informée. Cependant, je refuse d'accepter que du seul fait que le solicitor ait connais- sance de l'ordonnance, on puisse imputer à son client une connaissance telle de l'ordonnance que ce dernier puisse être trouvé coupable de l'infraction quasi criminelle d'outrage au tribunal. J'estime qu'il serait injuste de déclarer une partie coupable d'outrage au tribunal parce qu'elle n'a pas été infor- mée par son solicitor qu'une conduite donnée, par ailleurs légale, avait été interdite par le tribunal.
Il est à souligner qu'au cours des plaidoiries qui se sont déroulées devant nous, l'avocat des intimés a reconnu, semble-t-il pour la première fois, qu'il n'avait informé aucun des intimés de la teneur de l'ordonnance, qu'il ne leur en avait remis aucune copie, pas plus qu'il ne les avait avertis, évidem- ment, de la nécessité de s'y conformer. Il semble extraordinaire que l'avocat ait pu, dans ces cir- constances, continuer de représenter les intimés à moins, naturellement, qu'il n'ait obéi à la directive de ne pas les informer de toute ordonnance qui serait rendue contre eux.
La Règle 311 des Règles et ordonnances généra- les de la Cour est libellée comme suit:
Règle 311. (1) La signification d'un document, autre qu'un document pour lequel la signification à personne est requise, peut se faire
a) en laissant une copie du document à l'adresse aux fins de signification de la personne à laquelle il doit être signifié;
b) en expédiant par courrier recommandé une copie du document dans une enveloppe adressée à la personne ou à son procureur ou solicitor, selon le cas, à son adresse aux fins de signification (pour décider si la signification doit être faite comme le prévoit le présent alinéa, on doit tenir compte de la Règle 313(2)); ou
c) de telle autre façon que la Cour pourra prescrire.
(2) Aux fins de l'alinéa (1), si, au moment la signification est faite, la personne à laquelle le document doit être signifié n'a pas d'«adresse aux fins de signification», au sens de la définition que donne à cette expression la Règle 2(1), son adresse aux fins de signification est censée être l'une des suivantes:
a) dans n'importe quel cas, l'adresse professionnelle du pro- cureur ou solicitor qui, le cas échéant, agit pour le compte de cette personne dans la procédure au sujet de laquelle la signification du document en question doit être faite;
b) dans le cas d'un particulier, son adresse habituelle ou sa dernière adresse connue;
c) dans le cas de particuliers qui poursuivent ou sont pour- suivis au nom d'une maison commerciale, le principal ou le dernier connu des lieux d'affaires de la maison qui sont situés dans le ressort de la Cour; ou
d) dans le cas d'une corporation, le bureau enregistré ou le bureau principal de la corporation.
L'adresse aux fins de signification est définie à la Règle 2(1), dont la partie pertinente est l'alinéa c), rédigé comme suit:
Règle 2. (1) Dans les présentes Règles, à moins qu'une accep- tion différente ne ressorte du contexte,
«adresse aux fins de signification», en ce qui concerne une procédure, désigne
c) dans le cas d'une partie qui a un procureur ou solicitor inscrit au dossier
(i) l'adresse professionnelle du procureur ou solicitor ins- crit au dossier telle que l'indique le dernier document déposé par lui pour le compte de la partie et qui porte son adresse professionnelle, à moins que, aux termes d'un document spécial (qui peut porter le titre «Changement d'adresse aux fins de signification») déposé et signifié aux parties intéressées, quelque autre adresse dans le ressort n'ait été désignée comme étant l'adresse aux fins de signifi cation à la partie, ou
(ii) si un tel document a été déposé, l'adresse y désignée;
La disposition prévoyant la signification d'une ordonnance qui n'a pas été rendue en séance publi- que, ce qui est le cas en l'espèce, est la Règle 337(8), dont voici le texte:
Règle 337. ...
(8) Lorsqu'un jugement ou une ordonnance est rendu autre- ment qu'en séance publique, ou qu'une déclaration des conclu sions de la Cour est faite comme l'autorise l'alinéa (2)b), le fonctionnaire compétent du greffe doit, sans délai, en faire parvenir une copie certifiée à toutes les parties par courrier recommandé.
Comme nous l'avons souligné plus haut, l'ordon- nance que le juge en chef adjoint a rendue orale- ment le 15 août 1985 n'a pas été traitée par le greffe de la Cour sous forme de décision écrite avant le 19 août 1985. Le même jour, l'avocat des intimés a reçu signification d'une copie de l'ordon- nance. Il était naturellement présent lors du pro- noncé oral de l'ordonnance, il avait souscrit par écrit, le 15 août, au projet d'ordonnance quant à sa forme, et il avait, de fait, reçu du greffe une copie de l'ordonnance à la suite de son enregistrement.
Les seules autres Règles qu'il y a lieu de citer sont les Règles 300(1), 300(3) et 308:
Règle 300. (1) Sous réserve de l'alinéa (2), toute personne qui n'est pas un incapable, qu'elle poursuive en qualité de fidu- ciaire, comprenant (trustee ou personal representative) ou de fiduciaire à tout autre titre, peut engager et continuer une procédure devant la Cour soit par procureur ou solicitor, soit personnellement.
(3) Sous réserve des autres dispositions du présent alinéa, lorsqu'une partie a fait une démarche dans une procédure au moyen d'un document signé par un procureur ou un solicitor, celui-ci est censé être le procureur ou solicitor de cette partie inscrit au dossier jusqu'à ce qu'un changement soit effectué d'une façon prévue par la présente Règle.
Règle 308. Lorsque les présentes Règles exigent de signifier un document à une personne, il n'est nécessaire de le faire par voie de signification à personne que si une disposition des présentes Règles ou une ordonnance de la Cour exige expressément ce mode de signification pour ce genre de document.
Il n'est pas contesté que les deux intimés étaient représentés par un avocat tout au long des procé- dures et que ce dernier était habilité à agir pour leur compte. Il est constant qu'aucune disposition des Règles n'exige qu'une ordonnance comme celle qu'a rendue le juge en chef adjoint, laquelle a donné lieu à l'ordonnance de justification du juge Strayer, soit signifiée personnellement aux intimés, de sorte que normalement on s'attendrait à ce que la signification au solicitor inscrit au dossier, con- formément à la Règle 308, soit suffisante. Par contre, il existe, il est vrai, des règles comme la Règle 355(4) qui portent que la signification à personne d'un document est nécessaire".
Nonobstant ces Règles, le juge Strayer était d'avis que:
... d'après les principes de common law ... l'ordonnance doit être signifiée personnellement à la partie si l'on veut par la suite pouvoir invoquer cette signification pour affirmer que la partie avait pris connaissance de l'ordonnance à laquelle elle est accusée d'avoir contrevenus.
Étant donné cette opinion, il est intéressant de noter que le juge Strayer, dans l'ordonnance de justification qu'il a prononcée le 4 octobre 1985, a déclaré entre autres choses qu'«il est ordonné par les présentes que les intimés qui y sont nommés se
Règle 355. .. .
(4) Une personne ne peut être condamnée pour outrage au tribunal commis hors de la présence du juge que s'il lui a été signifié une ordonnance de justification lui enjoignant de com- paraître devant la Cour, au jour et à l'heure fixés pour entendre la preuve des actes dont il est accusé et pour présenter, le cas échéant, sa défense en exposant les raisons de sa conduite. Cette ordonnance, rendue par le juge soit de sa propre initia tive, soit sur demande, doit obligatoirement être signifiée à personne, à moins qu'un autre mode de signification ne soit autorisé pour des raisons valables. La demande d'ordonnance de justification enjoignant d'exposer les raisons peut être pré- sentée sans qu'il soit nécessaire de la faire signifier.
SÀlap.20.
présentent devant cette Cour en personne ou par l'intermédiaire de leur mandataire», le juge étant apparemment d'avis que la représentation des inti- més par avocat constituait une raison valable, au sens donné à cette expression par la Règle 355(4), pour qu'ils n'aient pas à recevoir la signification à personne, comme l'exige cette disposition.
Cela étant dit, je crois avec déférence que le juge a commis une erreur en statuant qu'il faut recourir aux règles de la common law pour décider si la conclusion qu'il y a eu acte de désobéissance doit reposer sur la signification à personne de l'ordonnance à laquelle il aurait été contrevenu. À mon sens, les Règles de la Cour fédérale citées plus haut fournissent un code complet des modalités propres à la notification des ordonnances de la Cour. Selon la preuve, il ne fait aucun doute qu'il a été entièrement satisfait en l'espèce aux Règles concernées, de sorte que le prononcé de l'ordon- nance en séance publique en présence du représen- tant dûment autorisé des intimés, et sa significa tion postérieure à ce dernier, constituaient un avis donné aux intimés tout autant que s'ils avaient été personnellement présents et que l'ordonnance leur avait été signifiée. Pour pouvoir réfuter la pré- somption qu'ils ont eu notification valable de l'or- donnance vu la présence de leur solicitor inscrit au dossier et la signification qui lui a été faite de ce document, les intimés devraient absolument four- nir des éléments de preuve démontrant qu'en dépit des prétentions contraires du solicitor inscrit au dossier, celui-ci n'était autorisé ni en fait ni en droit à agir pour leur compte. Or, les intimés n'ont présenté aucune preuve admissible leur permettant d'affirmer ce qui précède, et ils n'ont pas davan- tage soumis la preuve admissible qu'ils n'avaient aucune connaissance de l'ordonnance en question. Qui plus est, ils ont laissé entendre et ils conti- nuent à laisser entendre que leur avocat est auto- risé à agir en leur nom. Ce fait, selon les règles ordinaires du mandat, aussi bien que l'autorisation que donnent les Règles au solicitor d'agir pour ses clients et de recevoir signification d'une ordon- nance pour eux, suffisent, à mon sens, à constituer un avis suffisant de l'ordonnance aux intimés, et par conséquent à fournir à la Cour le fondement nécessaire pour déterminer, selon une preuve régu- lière, si les intimés ont désobéi à l'ordonnance prononcée par le juge en chef adjoint le 15 août 1985.
Prétendre le contraire rendrait pour le moins difficile le règlement rapide des litiges soumis à cette Cour. Ainsi, dans quelles circonstances une partie est-elle fondée à considérer comme valide la signification des jugements et des ordonnances effectuée, conformément aux Règles, au solicitor inscrit au dossier de l'autre partie, et quand doit- elle prévoir un acte de désobéissance ou une autre éventualité qui rend préférable la signification per- sonnelle à l'autre partie? J'imagine que si le juge Strayer a raison, il serait prudent que les parties ne se fient jamais aux Règles et qu'elles effectuent toujours la signification aux parties. Une telle optique, semble-t-il, discréditerait les Règles au point elles en deviendraient pratiquement risi- bles en ce qui concerne la signification effectuée aux solicitors.
Les conséquences d'un tel point de vue, particu- lièrement en ce qui regarde les procédures qui se déroulent devant cette Cour, ont une large portée si l'on se rappelle que ces procédures peuvent être prises et être menées par les parties et les avocats dans toutes les parties du pays. Comment, en pratique, un avocat en Colombie-Britannique ou à Terre-Neuve peut-il espérer effectuer auprès d'un ministre à Ottawa, la signification à personne d'une ordonnance rendue dans une partie quelcon- que de ces provinces, alors que tous savent com- bien il est difficile, même pour ceux qui connais- sent bien le milieu gouvernemental, d'avoir accès auprès d'un ministre, et à plus forte raison auprès d'un ministre souvent absent du pays, dans les délais que peuvent imposer une telle ordonnance? La réponse, évidemment, est que cela est impossi ble. Sans aucun doute les Règles ont-elles été promulguées, au moins en partie, en tenant compte d'une telle difficulté. Prétendre le contraire, ce serait permettre aux avocats de protéger leurs clients contre de possibles citations pour outrage au tribunal en les tenant dans l'ignorance, non seulement de l'existence des jugements ou ordon- nances prononcés contre eux, mais encore des con- séquences auxquelles ils s'exposent s'ils ne s'y con- forment pas. S'il est certes préférable de ne pas surcharger les ministres de renseignements inuti- les, il va sans dire qu'il n'est pas souhaitable que les fonctionnaires ministériels empêchent les plai- deurs de mettre à exécution de valides directives judiciaires en ne les portant pas à la connaissance de leurs ministres.
Il est également peu réaliste, me semble-t-il, de laisser entendre qu'une partie à un litige contre un ministre a le fardeau d'effectuer la jonction, à titre de parties, des personnes à qui le ministre a confié l'exécution de ses obligations.
Soit dit en passant, il est significatif que bien que l'avocat des intimés n'ait apparemment pas partagé son point de vue, M. Deschenes, l'avocat de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, était d'avis qu'il était possible, si le dossier ministériel de New Delhi n'était pas pro- duit sur-le-champ, que «le ministre se trouve à être coupable d'outrage au tribunal pour n'avoir pas produit le dossier» 6 .
En concluant comme je l'ai fait que les intimés avaient été avisés de l'ordonnance concernée en raison de sa signification à leur solicitor, je n'ai pas oublié la jurisprudence et les ouvrages nom- breux auxquels m'a référé l'avocat des intimés et dont j'ai lu les passages pertinents, qui exposent les règles de la common law dont parle le juge Strayer. Certains d'entre eux affirment catégori- quement que nul ne peut être valablement cité pour outrage au tribunal s'il n'a reçu personnelle- ment signification de l'ordonnance à laquelle il aurait désobéi. Comme j'estime que les Règles de cette Cour constituent un code complet qui régit la signification des jugements et des ordonnances aux solicitors à l'intention de leurs clients, ces derniers recevant de la sorte notification de la teneur de ces documents, la jurisprudence et les ouvrages cités ne s'appliquent pas tous à la situation en l'espèce, ce qui rend superflu d'en faire l'étude aux fins des présents motifs.
Responsabilité du fait d'autrui à l'égard de l'ou- trage au tribunal
Il n'est ni nécessaire ni souhaitable que je traite de ce point, la seconde question soulevée en appel, puisque je suis d'avis que la responsabilité des intimés à l'égard de l'inobservance de l'ordonnance de la Cour découle de la connaissance qu'en a leur représentant dûment autorisé, de sorte que la ques tion de savoir si se trouve engagée la responsabilité des intimés à l'égard du fait d'autrui ne constitue pas un point sur lequel nous devons nous prononcer en l'espèce.
6 Voir plus haut, p. 177.
CONCLUSION
Comme il a été conclu, selon les faits de la présente espèce, que les intimés se trouvaient régu- lièrement devant la Cour dans l'instance de justifi cation, il reste à présent à déterminer si, d'après la preuve présentée, ils se sont rendus coupables d'ou- trage au tribunal et, dans l'affirmative, quelles dispositions il convient d'adopter à cet égard. L'avocat de l'appelante a évidemment soutenu que la preuve de leur culpabilité était accablante et que la question devrait être renvoyée devant le juge de première instance pour qu'il fixe une sentence.
L'avocat des intimés, d'autre part, a soutenu que, dans l'hypothèse nous conclurions que ses clients se trouvaient régulièrement devant la Cour, la question devrait être renvoyée devant le juge de première instance pour être entendue à nouveau sur le fondement, si j'ai bien compris, que l'exclu- sion des témoignages établissant l'absence de cul- pabilité des ministres en cause avait empêché les intimés de bénéficier d'une audition équitable. Cet avocat prétend que les intimés, pour établir qu'ils ne sont pas personnellement coupables des actes de désobéissance reprochés, devraient se voir accorder la possibilité de présenter de nouveaux éléments de preuve à cet effet lors d'une nouvelle audience. Je traiterai tout d'abord de cette prétention, pour enchaîner avec les questions qui s'ensuivront.
(a) Lors de l'audience de justification, le juge Strayer a déclaré inadmissibles les affidavits du chef de cabinet du ministre de l'Emploi et de l'Immigration intimé et de l'adjoint ministériel principal du secrétaire d'État aux Affaires exté- rieures dans lesquels l'un et l'autre faisaient état de la connaissance de l'ordonnance qu'avaient leurs ministres respectifs. J'estime que le juge a eu raison de prendre la décision qu'il a prise. Il a également conclu qu'il serait
... injuste envers la requérante d'ajourner encore les procédu- res afin de permettre aux avocats des intimés de compléter leur preuve après que les affidavits constitués de ouï-dire produits pour le compte des intimés eurent été rejetés'.
J'estime également bien fondée la conclusion qu'il a prise à l'égard de cet argument. On nous demande néanmoins à présent de renvoyer la ques tion devant le juge de première instance pour la même fin, c'est-à-dire pour permettre aux intimés
'Àlap.14.
de présenter des éléments de preuve établissant pourquoi ils ne s'étaient pas rendus coupables d'outrage au tribunal. A mon point de vue, les intimés, qui ont arrêté le moyen de défense opposé à la requête en justification, ne doivent pas, après l'échec de celui-ci, être autorisés à présenter un autre moyen de défense à l'encontre de cette requête.
(b) Cette Cour est-elle habilitée à rendre juge- ment sur cette question ou cette dernière doit-elle être renvoyée devant la Division de première ins tance pour être tranchée? À mon point de vue, dans l'hypothèse des actes de désobéissance imputables aux intimés auraient été commis en l'espèce, nous serions autorisés en vertu de l'article 52 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] à rendre la décision que la Division de première instance aurait rendre et nous devrions exercer un tel pouvoir.
(c) A-t-il été désobéi à l'ordonnance en cause? M. le juge Strayer a eu ceci à dire à ce sujet 8 :
Il n'y a évidemment aucune preuve que les intimés ont person- nellement posé quelque geste pour se conformer à l'ordonnance. Toutefois, j'en suis venu à la conclusion que les personnes qui ont agi pour le compte des intimés n'ont exécuté ni la lettre ni l'esprit de l'ordonnance. Je reconnais que dans le cadre de procédures d'outrage au tribunal il faut interpréter strictement l'ordonnance qui a présumément été enfreinte, puisqu'une ques tion de culpabilité ou d'innocence est en jeu.
Finalement, pour des fins de commodité, je reproduis à nouveau l'extrait suivant de la décision du juge Strayer 9 :
Par conséquent, je suis tenu de conclure, compte tenu de la façon dont s'est soldée la production de ce dossier, de la preuve concernant les directives inadéquates données par M. Brisson et de l'absence de quelque élément de preuve établissant que des directives auraient été données au nom du ministère qui exer- çait le contrôle sur le dossier, qu'aucune directive n'a été donnée au nom des intimés de la manière requise par l'ordon- nance du 15 août. Il n'y a pas eu non plus de suivi efficace afin de s'assurer que le but visé par l'ordonnance était atteint.
Il ressort clairement de ces conclusions que les actes dont j'ai trouvé les ministres responsables tenaient de la désobéissance, car l'on ne s'est pas conformé aux exigences des directives données dans l'ordonnance du juge en chef adjoint, rendue le 15 août 1985.
8Àlap.16. 9 À la p. 18.
(d) Quelle peine devrait donc être imposée? Comme aucun des avocats agissant pour l'une et l'autre des parties en l'espèce n'a présenté d'argu- ment relativement à la nature de la peine qui doit être déterminée, cette question devrait être ren- voyée devant le juge Strayer pour que, après avoir pris connaissance des observations pertinentes des parties, il impose, le cas échéant, une telle peine.
En résumé, j'accueillerais l'appel et je conclurais que les intimés ont commis un outrage au tribunal en ne se conformant pas à l'ordonnance du juge en chef adjoint prononcée le 15 août 1985. La ques tion devrait être renvoyée devant le juge Strayer pour qu'il détermine la peine appropriée. Considé- rant les circonstances de la présente affaire, l'appe- lante a droit à ses dépens tant aux procédures de justification devant la Division de première ins tance que dans son appel devant cette Cour et ce, sur la base procureur-client.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs. LE JUGE HUGESSEN: Je souscris à ces motifs.
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