Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-114-87
Ashok Kumar (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: KUMAR C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et MacGui- gan—Toronto, 3 et 5 novembre 1987.
Contrôle judiciaire Demandes d'examen La Commis sion d'appel de l'immigration a statué que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention Le requérant n'a pas obtenu une audition impartiale Les questions du prési- dent étaient gênantes et intimidantes et ont nui à la présenta- tion ordonnée de la cause Refus d'accorder la possibilité de répondre à la preuve additionnelle qui devait être produite par l'intimé et sur laquelle sa cause était, en partie, fondée Violation de la justice naturelle Demande accueillie Affaire renvoyée pour nouvelle audition L'intimé devra citer le requérant expulsé comme témoin et payer ses frais s'il choisit de comparaître.
Immigration Statut de réfugié Hindou du Pendjab Le ministre et la Commission d'appel de l'immigration n'ont pas accordé le statut de réfugié Demande d'examen Expulsé parce que le Ministère a considéré que la demande n'était pas fondée Demande accueillie Dénis de justice naturelle Le requérant n'a pas obtenu une audition impar- tiale Questions gênantes et intimidantes posées par le président de la Commission Refus d'accorder la possibilité de répondre à la preuve additionnelle L'intimé devra citer le requérant comme témoin à la nouvelle audition et payer ses frais.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 28.
Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigra- tion (réfugié au sens de la Convention), DORS/81-420, règle 24.
AVOCAT:
Personne n'a comparu pour le compte du requérant.
Beverly J. Wilton pour l'intimé.
PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY: Le requérant est un Hindou du Pendjab. Il est entré au Canada en tant que visiteur, et il a réclamé le statut de réfugié au sens de la Convention. Le ministre a décidé qu'il ne l'était pas. Il a demandé à la Commission d'appel de l'immigration de procéder à un réexa- men. Celle-ci a décidé qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le requérant s'est fondé sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] pour faire annuler cette décision. Il n'a pas comparu à l'audi- tion de sa requête parce qu'il avait été expulsé. L'avocat de l'intimé a informé la Cour que l'or- donnance d'expulsion avait été exécutée parce que, de l'avis du ministère de l'Emploi et de l'Immigra- tion, la demande fondée sur l'article 28 était fri- vole et sans fondement. Le Ministère a eu tort. Il ressort du dossier que la Commission n'avait pas accordé au requérant une audition impartiale. Il a fait l'objet d'un déni de justice naturelle.
Il est nécessaire de citer des passages de la transcription. Les personnages sont Me J. A. Taylor, avocat du requérant, Me J. D. Taylor, avocat du ministre et M. J. Weisdorf, le membre qui a présidé la Commission, ainsi que les témoins. On a retenu les services d'un interprète.
L'interrogatoire principal du requérant a com- mencé à la page 2 de la transcription. On a presque immédiatement donné le ton à l'audition.
[TRADUCTION] Q. De plus, vous avez fait savoir que vous êtes là—
LE PRÉSIDENT: Ce qu'il a fait savoir m'est égal; je veux entendre aujourd'hui ce qu'il fait savoir.
M E J.A. TAYLOR: D'accord, Monsieur le président.
Q. Quelle est votre opinion politique; pouvez-vous me mettre au courant de votre opinion politique à l'égard du Pendjab de l'Inde?
LE PRÉSIDENT: Il n'a jamais revendiqué un statut politique— crainte inspirée par des motifs politiques.
M E J.A. TAYLOR: Je crois qu'il l'a fait, Monsieur le président, dans—
LE PRÉSIDENT: Il l'a fait? D'accord, continuez. Je suis désolé, je reconnais mon erreur; c'est ce qu'il a dit.
M E J.A. TAYLOR: Il se peut que j'aie tort, mais il fait état de son désir de voir une Inde unifiée, et il ne croyait pas au concept de Kalistan.
LE PRÉSIDENT: Qu'est-ce que cela peut bien faire? (Transcrip- tion, p. 2, I. 24à la p. 3, 1. 15.)
Le requérant a alors décrit un incident qu'on a récemment signalé: vingt-quatre Hindous ont été retirés d'un autobus dans le Pendjab et assassinés par des terroristes sikhs. Le président est intervenu encore une fois.
[TRADUCTION] LE PRÉSIDENT: Avez-vous une idée de ce qui vous arriverait si vous retourniez au Pendjab?
R. J'y serai assassiné.
LE PRÉSIDENT: Vraiment? Vous serez du nombre des vingt- quatre personnes qui se sont fait tuer. (Transcription, p. 4, 1. 25 I. 29.)
Le requérant a décrit ensuite des événements qui s'étaient déroulés dans son quartier natal. Il a parlé d'un ami qui avait, deux mois avant l'audi- tion tenue par la Commission, été retiré d'un cinéma et assassiné par deux motocyclistes. À propos de ce témoignage, le président est intervenu en concluant:
[TRADUCTION] LE PRÉSIDENT: Est-ce qu'ils ont dit qui ils
étaient?
LE TÉMOIN: La police n'a pris aucune mesure contre eux.
LE PRÉSIDENT: Écoutez ma question. Est-ce que les deux
individus en motocyclette ont dit qui ils étaient?
LE TÉMOIN: Ces personnes se sont enfuies.
LE PRÉSIDENT: Ainsi donc, la réponse est qu'ils n'ont pas dit
qui ils étaient; est-ce exact?
LE TÉMOIN: Ils étaient des terroristes sikhs, et ils se sont enfuis.
LE PRÉSIDENT: Comment le savez-vous?
LE TÉMOIN: Tous mes amis de là-bas qui y étaient présents le
disent.
LE PRÉSIDENT: Et cela règle la question. Continuez. (Trans-
cription, p. 6, I. 20 la p. 7, I. 7.)
L'interrogatoire principal a pris fin en haut de la page 12 et le contre-interrogatoire a commencé sur le ton suivant:
LE PRÉSIDENT: Merci.
Désirez-vous poser des questions?
M E J.D. TAYLOR: Pas aussi nombreuses que celles auxquelles j'ai répondu [sic] en général, mais j'ai bien des questions à poser.
LE PRÉSIDENT: En êtes-vous certain?
M E J.D. TAYLOR: Simplement pour obtenir quelques précisions, et cela va prendre environ dix minutes au maximum.
LE PRÉSIDENT: Je ne sais pas pourquoi vous voulez poser des questions. C'est l'une des affaires les plus ridicules que j'ai jamais entendues de ma vie. (Transcription, p. 12, 1. 12 Al. 23.)
À la suite de son propre contre-interrogatoire, le requérant a cité un autre témoin, un Hindou égale- ment du Pendjab, qui est maintenant citoyen cana- dien. L'interrogatoire principal a commencé à la dernière ligne de la page 24. À la page 26, ligne
27, le président est intervenu encore une fois. Voici le dialogue qui s'est déroulé après que le témoin eut déposé qu'il ne retournerait pas au Pendjab parce que c'était dangereux et que ses amis ne pourraient garantir sa sécurité.
[TRADUCTION] LE PRÉSIDENT: Peuvent-ils garantir votre sécu- rité dans la ville de New York?
LE TÉMOIN: Si vous faites la comparaison avec la situation du Pendjab, oui.
LE PRÉSIDENT: Ou à Détroit il y a eu 600 meurtres l'année dernière?
LE TÉMOIN: J'y suis allé quelquefois; je n'ai jamais eu de problèmes.
LE PRÉSIDENT: Avez-vous eu des problèmes lorsque vous avez été au Pendjab la dernière fois?
LE TÉMOIN: Mais oui.
LE PRÉSIDENT: Quels sont les problèmes que vous avez eus?
LE TÉMOIN: Eh bien, je n'ai pas eu de problèmes en particulier, mais il y avait le risque que tout peut vous arriver pendant que vous y êtes, parce qu'ils ne donnent pas de motifs—deux ou trois types pourraient venir en motocyclette ou en jeep et—
LE PRÉSIDENT: Laissez-moi, Me Taylor, faire remarquer que selon les articles qui ont été déposés—les articles de jour- naux,—il y a eu 600 meurtres au Pendjab l'année dernière. Il y a eu 600 meurtres à Détroit l'année dernière. Pourquoi seriez- vous plus en sécurité en Amérique du Nord qu'au Pendjab? (Transcription, p. 28, L 9 à la p. 29, I. 5.)
Tout le dialogue précédent a eu lieu au cours de l'interrogatoire principal. Je me vois dans l'obliga- tion de conclure que le caractère gênant et intimi- dant des interventions du président a, dans une grande mesure, empêché le requérant de présenter adéquatement sa cause.
Au cours de l'argumentation de l'intimé, il s'est posé la question relative à l'exactitude des données statistiques invoquées par l'intimé quant aux pro portions de la population des Sikhs et des Hindous du Pendjab. Il appert que les observations n'étaient pas étayées par les éléments de preuve versés au dossier. L'intimé a offert de produire une autre preuve documentaire qui n'était pas immédiate- ment disponible.
[TRADUCTION] LE PRÉSIDENT: Je vous donnerai une chance de la déposer quand vous aurez envoyé une copie de cette docu mentation à votre collègue. Jusque-là, nous ne rendrons aucune décision pour qu'il ait la chance d'y répondre, soit en personne, soit par écrit comme bon lui semble. Cela semble-t-il équitable?
ME J.D. TAYLOR: Oui.
LE PRÉSIDENT: Nous nous réserverons de rendre la décision. (Transcription, p. 33, I. 17 L 27.)
L'intimé a obtenu par la suite l'autorisation d'ex- poser le point qui, selon lui, était étayé par la
preuve manquante. L'audition a pris fin avec la note suivante:
LE PRÉSIDENT: Nous remettons à plus tard notre décision jusqu'à ce qu'il ait reçu ces renseignements et vos observa- tions—les observations des deux avocats—à l'égard de ces renseignements. (Transcription, p. 35, 1. 16 1. 18.)
L'audition a eu lieu à Toronto le 9 février 1987. La décision de la Commission, datée sept jours plus tard, soit le 16 février, a été signée le 23 février. La documentation additionnelle ne figure pas au dossier. Tant le requérant que son avocat habitaient London (Ontario).
Je me vois dans l'obligation de conclure que la preuve additionnelle, sur laquelle l'intimé a été autorisé en partie à fonder sa cause, n'a jamais été soumise, ou que, à tout le moins, étant donné les dates et les distances pertinentes, le requérant n'a pas eu la possibilité raisonnable de faire des obser vations à cet égard. On ne saurait dire que cette preuve était manifestement hors de propos. L'in- timé a considéré qu'elle l'était.
J'estime que tant l'omission de l'intimé que l'in- tervention flagrante du président dans la présenta- tion ordonnée de la cause du requérant consti- tuaient des dénis de justice naturelle, en raison desquels la demande fondée sur l'article 28 doit être accueillie, la décision de la Commission annu- lée et l'affaire renvoyée pour nouvelle audition. Je juge inutile de poursuivre la question de la partia- lité dans le sens juridique du terme, mais je suis d'avis d'ordonner que l'affaire soit entendue par une formation différente.
La présente décision n'a d'effet que si le requé- rant a véritablement la possibilité de présenter sa cause à la nouvelle audition. En conséquence, j'or- donnerais en outre que l'intimé cite le requérant comme témoin à la nouvelle audition en signifiant une citation émise en vertu de la règle 24 des Règles de 1981 de la Commission d'appel de l'immigration (réfugié au sens de la Convention), [DORS/81-420]. Puisque, actuellement, le requé- rant ne se trouve pas au Canada, il n'a pas à répondre à cette citation, mais s'il choisit de le faire, l'intimé tient de l'article 24 tant l'obligation que l'autorisation de payer ses frais. J'ordonne en outre au sous-procureur général du Canada, en tant qu'officier de la Cour, de signaler au plus tard le 29 février 1988 au greffe de la Cour la mesure prise par l'intimé et la Commission pour donner
effet au jugement rendu en l'espèce, et la Cour se réserve le pouvoir, par suite de la présente demande, de rendre toute autre ordonnance qu'elle juge souhaitable pour s'assurer de l'efficacité du jugement.
LE JUGE STONE: Je souscris aux motifs ci-dessus.
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris aux motifs ci-dessus.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.