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A-792-86
La Reine du chef du Canada, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et Fred Walchli (négociateur fédéral intérimaire, revendi- cations foncières des Nishgas) (appelants) (défendeurs)
c.
Pacific Fishermen's Defence Alliance, Prince Rupert Fishermen's Co-operative Association, Co-op Fishermen's Guild, Pacific Trollers Asso ciation, Pacific Gillnetters Association, Pacific Coast Fishing Vessel Owners' Guild, Northern Trollers Association, Gulf Trollers Association, Fishing Vessel Owners' Association of British Columbia et Deep Sea Trawlers Association of B.C. et B.C. Wildlife Federation (intimées) (demanderesses)
et
Conseil Tribal des Nishgas (intimé) (intervenant)
RÉPERTORIÉ: PACIFIC FISHERMEN'S DEFENCE ALLIANCE C. CANADA
Cour d'appel, juges Pratte, Stone et MacGuigan— Vancouver, 30 novembre et 1" décembre; Ottawa, 18 décembre 1987.
Peuples autochtones Terres Des revendications fonciè- res présentées par des Indiens font l'objet de négociations secrètes entre ceux-ci et un représentant du Gouvernement fédéral Les Indiens réclament des droits relativement à des pêcheries de la côte de la Colombie-Britannique Des pêcheurs craignent que leurs intérêts ne soient touchés si les demandes des Indiens sont accueillies Ces pêcheurs sollici- tent un jugement déclaratoire statuant que l'allocation des droits de pêche réclamés excède la compétence du Gouverne- ment fédéral L'allégation suivant laquelle l'équité n'a pas été respectée doit être appréciée en fonction du contexte de la décision gouvernementale touchant les droits en cause La Constitution confère au Parlement le pouvoir de régler les revendications foncières des autochtones Il est possible qu'une approche fédérale-provinciale conjointe soit adoptée à l'égard du règlement des revendications Dans l'hypothèse le Gouvernement aurait le devoir de consulter les pêcheurs, la Cour ne pourrait ordonner l'exécution de cette obligation avant la fin des négociations L'action des pêcheurs est rejetée dans le cadre de l'appel formé à l'encontre du jugement qui avait refusé d'accueillir la requête en radiation.
Pêcheries Des réclamations relatives à des pêcheries de la côte de la Colombie-Britannique sont mises de l'avant par des Indiens dans le cadre de négociations secrètes tenues avec un représentant du Gouvernement fédéral pour régler leurs reven- dications foncières Les pêcheurs commerciaux et sportifs craignent que leurs intérêts ne soient touchés si les réclama-
tions des Indiens étaient accueillies Les demandeurs recher- chent un jugement déclaratoire statuant que l'allocation des droits de pêche excède les pouvoirs du Gouvernement fédéral
Il ne peut être présumé que des pouvoirs conférés par la Constitution ont été excédés avant qu'une action ne soit posée
La déclaration est radiée.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Des pêcheurs sollicitent un jugement déclaratoire sur le fondement de l'art. 7 de la Charte Ils allèguent ne pas avoir été traités avec équité relativement à des négociations visant le règlement de revendications foncières indiennes La requête en radiation en l'espèce allègue qu'aucune cause rai- sonnable d'action n'est révélée Les négociations sont tenues secrètement et les pêcheurs se sont vu refuser une audition Les allégations de violations de droits sont aussi peu suscepti- bles de preuve que celles de l'affaire Operation Dismantle La Cour n'est pas en mesure de conclure que le Parlement donnera force de loi à une position adoptée par le Gouverne- ment dans le cadre d'une négociation La question de savoir si une obligation d'équité n'a pas été respectée doit être tranchée en fonction du contexte de la décision touchant les droits en jeu Une menace imaginaire ne suffit pas à cet égard.
Droit constitutionnel Partage des pouvoirs Des pêcheurs sollicitent un jugement déclaratoire relativement à des négociations visant à régler des revendications foncières indiennes La compétence fédérale sur les pêcheries est-elle suffisamment étendue pour permettre au Parlement d'accorder l'usage exclusif d'une partie des eaux avec marées et des eaux sans marées de la Colombie-Britannique à une tribu indienne?
Le Parlement possède la compétence voulue pour régler les revendications des peuples autochtones Le Parlement ne peut être présumé excéder les pouvoirs que lui confère la Constitution avant d'avoir agi Il est possible qu'une appro- che fédérale-provinciale conjointe soit adoptée à l'égard d'un tel règlement La déclaration est radiée.
Pratique Plaidoiries Requête en radiation Des tiers cherchent à intervenir dans des négociations relatives à des droits autochtones se déroulant entre le Gouvernement et les Indiens Nishgas parce qu'ils craignent que ces négociations ne touchent leurs intérêts et leurs moyens d'existence Les allégations de la déclaration fondées sur des présomptions et des conjectures ne doivent pas obligatoirement être considérées comme vraies L'on ne peut présumer de l'inconstitutionna- lité d'actes du pouvoir législatif ou exécutif avant que celui-ci n'ait agi La doctrine de l'attente légitime a été invoquée prématurément.
La Couronne du chef du Canada et les Indiens Nishgas de la Colombie-Britannique poursuivaient des négociations relatives à des revendications foncières autochtones; les associations intimées ont appris qu'il était possible qu'une partie des pêche- ries avec marées et sans marées de la Colombie-Britannique soit allouée aux Nishgas.
Craignant que les intérêts et les moyens d'existence de leurs membres ne soient menacés, les intimées ont contesté ces négociations. Elles ont invoqué des principes de common law ainsi que l'article 7 de la Charte pour alléguer qu'elles n'avaient pas été traitées de façon équitable puisqu'aucun renseignement ne leur avait été fourni concernant les négociations et qu'elles n'avaient point bénéficié d'une audition. Elles ont également
soutenu que les appelants n'avaient pas la compétence voulue pour accorder une partie des pêcheries de la Colombie-Britan- nique aux Nishgas puisque le droit de propriété relatif à celles-ci est dévolu à la Couronne provinciale. Finalement, les intimées, se fondant sur la directive donnée par le ministre au négociateur, ont invoqué la doctrine anglaise récente de l'«at- tente légitime» pour affirmer que le Gouvernement avait l'obli- gation de tenir la consultation promise aux intimées.
Une requête a été présentée pour obtenir radiation de la déclaration au motif que celle-ci ne révélait aucune cause raisonnable d'action. Appel est interjeté de l'ordonnance qui a rejeté cette requête.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Les allégations de violations de droits fondées sur la common law ou sur la Charte qui se trouvent présentées en l'espèce sont toutes, à ce point-ci, aussi peu susceptibles de preuve que celles de l'affaire Operation Dismantle. Une cour ne serait pas en mesure de conclure que le Gouvernement transformerait une position particulière adoptée lors d'une négociation pour en faire tout d'abord une entente juridique et ensuite un projet de loi; elle ne pourrait non plus conclure que le Parlement adopte- rait une telle loi. Toute obligation d'équité du Gouvernement envers les pêcheurs doit être appréciée en fonction du contexte d'une décision réelle du Gouvernement touchant leurs droits. La seule menace imaginaire d'une violation de ces droits ne suffit pas à cet égard.
Le Parlement, en vertu du pouvoir qu'il détient sur «les Indiens et les terres réservées aux Indiens», possède à première vue la compétence voulue pour régler les revendications des peuples autochtones. Ni le Parlement ni un ministre de la Couronne ni un négociateur fédéral ne peuvent être présumés excéder les pouvoirs que leur confère la Constitution avant même d'avoir agi. La Cour ne devrait pas non plus exclure la possibilité qu'une approche fédérale-provinciale conjointe soit adoptée à l'égard d'un tel règlement.
En supposant que la doctrine de l'«attente légitime» fonde une obligation du Gouvernement de tenir la consultation pro mise, la mesure d'un tel devoir ne pourrait avoir lieu qu'une fois écoulée la période indiquée—en l'espèce, à la conclusion des négociations. L'action est donc prématurée.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 91(12),(24).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 419(1)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] I R.C.S. 441; (1985), 59 N.R. 1; Conseil cana - dien des fabricants des produits du tabac c. Conseil national de commercialisation des produits de ferme, [1986] 2 C.F. 247; (1986), 65 N.R. 392; 26 D.L.R. (4th) 677 (C.A.); Re Abel et al. and Advisory Review Board (1980), 31 O.R. (2d) 520 (C.A.); Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, [ 1985] A.C. 374 (H.L.); R v Secretary of State for the Home Dept, ex p Ruddock, [1987] 2 All ER 518 (Q.B.D.).
DÉCISION CITÉE:
Burnaby Machine & Mill Equipment Ltd. c. Berglund Industrial Supply Co. Ltd. et al. (1982), 64 C.P.R. (2d) 206 (C.F. inst.).
AVOCATS:
Gunnar O. Eggertson, c.r., pour les appelants (défendeurs).
Christopher Harvey pour les intimées (demanderesses).
James R. Aldridge pour l'intimé (interve- nant).
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour les appelants (défendeurs).
Russell & DuMoulin, Vancouver, pour les intimées (demandereses).
Rosenbloom & Aldridge, Vancouver, pour l'intimé (intervenant).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Le présent appel inter- jeté d'une ordonnance du juge Collier en date du 18 décembre 1986 touche la pointe d'un iceberg et doit faire l'objet d'un exposé mesuré.
Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien («le ministre») appelant a, de temps à autre, nommé un négociateur fédéral en lui don- nant le mandat de négocier le règlement d'une revendication foncière présentée par les Indiens Nishgas de Colombie-Britannique pour le compte desquels agit l'intervenant. L'appelant Walchli est le négociateur en titre. Dans le cadre de ces négo- ciations, les Indiens Nishgas revendiquent la pro- priété, la gestion et le contrôle de la totalité ou d'une partie des ressources halieutiques marines des eaux de la passe Portland, de l'inlet Observa tory, de la baie de Nass ainsi que des autres eaux
adjacentes à celles-ci de la côte de la Colombie- Britannique, et revendiquent la propriété, la ges- tion et le contrôle de la totalité ou d'une partie des ressources de la pêche pratiquée dans les eaux sans marée de la rivière Nass, de ses affluents et d'au- tres rivières et lacs situés au nord-ouest de la Colombie-Britannique.
Toutes les intimées sauf la B.C. Wildlife Fede ration agissent pour le compte de membres pêcheurs commerciaux de la côte du Pacifique du Canada détenant un permis de pêche de catégorie «A» et, pour certains, ayant l'habitude de pêcher dans les eaux visées par la revendication de con- trôle des Nishgas. Elles craignent que les intérêts et moyens d'existence de leurs membres ne soient touchés si les Nishgas obtenaient la propriété, la gestion et le contrôle des ressources de la pêche qu'ils ont demandées. L'intimée B.C. Wildlife Federation représente entre autres des membres qui détiennent des permis valides de pêche sportive relatifs aux eaux avec marées et aux eaux sans marées et qui ont un intérêt dans les ressources de la pêche revendiquées par les Nishgas.
Bien que les négociations visées soient menées à huis clos, les intimées soutiennent, en se fondant sur une note d'information non datée transmise par les représentants d'une bande indienne voisine, que le négociateur fédéral propose l'allocation de 35 % de la pêche visée aux Nishgas.
La requête en radiation de la déclaration en l'espèce, qui a été présentée par les appelants sur le fondement de l'alinéa 419(1)a) des Règles [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663], allègue que la déclaration «ne divulgue aucune cause rai- sonnable d'action». Le juge des requêtes a rejeté leur requête dans les termes suivants (Dossier d'appel, aux pages 5 à 7):
Les demanderesses prétendent que les intérêts et les moyens d'existence de leurs membres seront touchés si les Nishga obtiennent la propriété, la gestion ou le contrôle des ressources en cause.
Les demanderesses soutiennent qu'il est possible que Walchli attribue aux Nishga un certain pourcentage des ressources revendiquées.
Comme question de droit, les demanderesses soutiennent en outre que toute attribution de droits de propriété ou autres droits de pêche, ou toute attribution ou transfert de ces droits excède la compétence fédérale; les négociations elles-même ne sont pas autorisées.
Subsidiairement, les demanderesses ont demandé au négocia- teur et au ministre de leur fournir des renseignements sur la revendication des Nishga et de permettre aux demandeurs d'obtenir la tenue d'une audition à l'égard de ces revendications et des négociateurs et d'y participer. Cette demande a été rejetée.
Les demanderesses affirment que le ministre et son négocia- teur ont le devoir d'agir avec équité, ce qui exige dans les circonstances la tenue d'une audition.
Par leur action, les demanderesses tentent d'obtenir des déclarations portant sur la validité et la constitutionnalité des négociations et de tout transfert ou attribution de droits. Elles se fondent également sur l'article 7 de la Charte des droits et libertés.
Les principales autres déclarations recherchées ont trait au devoir d'agir avec équité et au droit à une audition.
Comme question de droit, les défendeurs prétendent que la validité constitutionnelle et l'autorité légale ont été tranchées dans des précédents. Cette prétention est manifestement con- traire à la position des demanderesses.
Je ne suis pas d'accord.
À mon avis, les prétentions législatives et constitutionnelles avancées par les demanderesses sont raisonnablement soutena- bles, du moins dans le contexte de certaines décisions sur lesquelles se fondent les défendeurs. Ces questions de droit ne sont pas sans difficulté.
Il ne m'appartient pas, à ce stade, de statuer sur ces ques tions de droit, ni même de peser les arguments pour et contre. Je suis incapable d'affirmer pour l'instant que les demanderes- ses n'ont manifestement aucune cause d'action.
Pour ce qui est de l'examen judiciaire et du devoir d'agir avec équité, il n'est pas évident, à mon avis, que les demanderesses seront assurément déboutées. Je n'ai pas l'intention de discuter de toutes les prétentions avancées à cet égard par les défen- deurs. Mais ils ont prétendu énergiquement que le négociateur Walchli n'est pas un tribunal ni un décideur, puisqu'il ne peut que faire des recommandations; en conséquence et pour d'au- tres motifs également, l'examen judiciaire selon le redressement demandé ne peut être accordé au procès. Néanmoins, j'estime que les demanderesses peuvent soutenir la prétention contraire. Voir, par exemple, Conseil canadien des fabricants des pro- duits du tabac c. Conseil national de commercialisation des produits de ferme, [1986] 2 C.F. 247; (1986), 65 N.R. 392 (C.A.).
J'ajouterai quelques commentaires.
La présente requête a duré presque toute la journée. Les exposés des défendeurs ont duré près de deux heures et demie. On a présenté de longs exposés et produit et cité une foule de précédents. L'exposé des demanderesses a duré environ une heure.
Le juge des requêtes a alors cité (Dossier d'appel, à la page 9) avec approbation les observations suivantes du juge Dubé dans l'affaire Burnaby Machine & Mill Equipment Ltd. c. Berglund Industrial Supply Co. Ltd. et al. (1982), 64 C.P.R. (2d) 206 (C.F. inst.), à la page 214:
En conclusion, il n'est pas interdit de suggérer une méthode empirique pratique pour déterminer s'il y a lieu de radier des procédures, c'est-à-dire que lorsque de nombreuses heures de débats complexes et laborieux sont jugées nécessaires afin de déterminer si quelque chose est «clair et évident,, c'est peut-être que, après tout, ce quelque chose n'est pas aussi clair et évident que cela.
Le juge des requêtes a alors conclu (Dossier d'ap- pel, à la page 9):
En résumé.
Il n'est pas évident et manifeste que les demanderesses seront déboutées.
La requête est rejetée.
Le jour même de la décision du juge des requê- tes, le ministre a donné au négociateur fédéral la directive d'orientation suivante (Dossier d'appel, Appendice I, à la page 22):
[TRADUCTION]
INTÉRÊTS DES AUTOCHTONES ET DES NON AUTOCHTONES
Évidemment, nous reconnaissons qu'il arrive souvent que de telles ressources soient utilisées par d'autres. Par le passé, à certains moments, des tiers ont craint qu'il ne soit transigé à huis clos sur leurs droits et intérêts: le défaut de rendre certains renseignements disponibles a peut-être suscité chez certaines personnes une fausse impression au sujet des questions à l'étude. Je veux donc qu'il soit clair que le mandat de tout négociateur fédéral comprendra l'exigence expresse que les tiers soient consultés, que leurs droits et intérêts légitimes soient respectés et que l'intérêt public soit sauvegardé.
Le juge Muldoon, dans une ordonnance en date du 9 mars 1987 visant à éviter [TRADUCTION] «qu'une multitude de procédures soient prises con- cernant la présente question», a accueilli une demande de modification sollicitant l'insertion de cette directive d'orientation dans la déclaration des intimées et l'adjonction à ladite déclaration des
paragraphes 32 34 suivants (Dossier d'appel, Appendice I, à la page 23):
[TRADUCTION] 32. Sur le fondement de la directive d'orienta- tion ci-haut mentionnée, les demanderesses ont une attente raisonnable et ont le droit de se voir accorder une audition équitable par le négociateur fédéral.
33. Nonobstant cette directive d'orientation, le négociateur fédéral a continué de refuser de mettre fin au «huis clos» ou de donner aux demanderesses les «renseignements disponibles» ou d'accorder aux demanderesses le droit à une consultation effec tive dans le processus de négociation relatif à la revendication en cause.
34. Ce refus du négociateur fédéral excède le pouvoir discré- tionnaire défini dans ladite directive d'orientation et viole les règles de la justice naturelle.
* * *
Les intimées, outre les dispositions déclaratoires qu'elles recherchent sur le fondement de principes de common law, sollicitent une disposition déclara- toire fondée sur l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] qui, comme le feraient les précédentes, statuerait qu'el- les n'ont pas été traitées avec équité parce qu'au- cun renseignement ne leur a été fourni relative- ment aux négociations et parce qu'aucune audition ne leur a été accordée. Les principes pertinents à la radiation des déclarations ont été énoncés de façon on ne peut plus convaincante par le juge en chef Dickson dans l'arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, aux pages 449 et 450, ainsi qu'aux pages 454 et 455; (1985), 59 N.R. 1, aux pages 7 et 8 ainsi qu'aux pages 13 et 14, dans le contexte particulier de l'article 7:
On trouve l'énoncé le plus récent faisant autorité du principe applicable pour déterminer si une déclaration peut être radiée dans les motifs du juge Estey dans l'arrêt Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 R.C.S. 735, à la p. 740:
Comme je l'ai dit, il faut tenir tous les faits allégués dans la déclaration pour avérés. Sur une requête comme celle-ci, un tribunal doit rejeter l'action ou radier une déclaration du demandeur seulement dans les cas évidents et lorsqu'il est convaincu qu'il s'agit d'un cas «au-delà de tout doute»: Ross v. Scottish Union and National Insurance Co. (1920), 47 O.L.R. 308 (Div. App.)
Dans les motifs qu'elle a rédigés en l'espèce, madame le juge Wilson résume ainsi les principes pertinents la p. 486]:
Le droit donc paraît clair. Les faits articulés doivent être considérés comme démontrés. Alors, la question est de savoir s'ils révèlent une cause raisonnable d'action, c.-à-d. une cause d'action «qui a quelques chances de succès» (Drummond - Jackson v. British Medical Association, [1970] 1 All E.R. 1094) ou, comme dit le juge Le Dain dans l'arrêt Dowson c. Gouvernement du Canada (1981), 37 N.R. 127 (C.A.F.), à la p. 138, est-il «évident et manifeste que l'action ne saurait aboutir»?
Je conviens avec le juge Wilson qu'indépendamment du fondement qu'invoquent les appelants pour faire valoir leur demande de jugement déclaratoire—que ce soit le par. 24(1) de la Charte, l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 ou la common law—ils doivent à tout le moins être à même de démontrer qu'il y a menace de violation, sinon violation réelle, de leurs droits garantis par la Charte.
En bref donc, pour que les appelants aient gain de cause dans ce pourvoi, ils doivent montrer qu'ils ont quelques chances de prouver que l'action du gouvernement canadien a porté atteinte à leurs droits en vertu de la Charte ou menacé de le faire.
On peut conclure de cette analyse de la déclaration que toutes ces allégations, y compris l'assertion ultime d'un accrois- sement du risque de guerre nucléaire, ont pour prémisses des suppositions et des hypothèses sur la manière dont des nations indépendantes et souveraines, agissant dans une arène interna- tionale radicalement incertaine, les circonstances changent continuellement, réagiront à la décision du gouvernement cana- dien d'autoriser les essais du missile de croisière.
Cet examen n'a pas pour but de chercher querelle aux appelants quant à leurs allégations concernant les résultats des essais du missile de croisière. Ils ont, bien entendu, droit à leur opinion et à leur conviction. Je désire souligner plutôt qu'ils soulèvent des questions qui, à mon avis, tiennent de la conjec ture plutôt que des faits. En bref, il n'est tout simplement pas possible pour une cour de justice, même avec les meilleures preuves disponibles, de faire autre chose que de spéculer sur la possibilité que la décision du cabinet fédéral de procéder aux essais du missile de croisière accroisse le danger de guerre nucléaire.
c) La règle selon laquelle les faits d'une déclaration doivent être considérés comme prouvés
À mon avis, nous ne sommes pas tenus par le principe énoncé dans l'arrêt Inuit Tapirisat, précité, de considérer comme vraies les allégations des appelants concernant les conséquences éventuelles des essais du missile de croisière. La règle selon laquelle les faits matériels d'une déclaration doivent être consi- dérés comme vrais, lorsqu'il s'agit de déterminer si elle révèle une cause raisonnable d'action, n'oblige pas à considérer comme vraies les allégations fondées sur des suppositions et des conjectures. La nature même d'une telle allégation, c'est qu'on ne peut en démontrer la véracité par la présentation de preuves. Il serait donc inapproprié d'accepter une telle allégation comme vraie. On ne fait pas violence à la règle lorsque des allégations, non susceptibles de preuve, ne sont pas considérées comme prouvées. [Les soulignements sont ajoutés].
À mon avis, les allégations de violation de droit fondées sur la common law et les allégations de violation de droit s'appuyant sur la Charte qui se trouvent présentées en l'espèce sont toutes aussi peu susceptibles de preuve que celles de l'affaire Operation Dismantle. De telles allégations ne sont peut-être pas impossibles à prouver par nature, mais elles sont incapables d'être établies à ce point-ci parce que, même si une preuve ferme était présentée pour décrire précisément l'état actuel des négociations, une cour ne serait pas en mesure de conclure que le Gouvernement déciderait ulti- mement de transformer une position particulière adoptée à un point donné d'une négociation en une entente juridique et, à plus forte raison, de prévoir que le Gouvernement déposerait une loi à cet effet devant le Parlement ou que ce dernier adopterait une telle loi. Toute obligation d'équité du Gouver- nement envers les pêcheurs doit être appréciée en fonction du contexte d'une décision réelle du Gou- vernement touchant leurs droits, quels qu'ils puis-
sent être. Comme le suggère l'arrêt Operation Dismantle, si la seule menace d'une violation de droits peut être suffisante, cette menace doit cer- tainement toujours être réelle et non simplement hypothétique, conjecturale ou imaginaire. Si la seule possibilité qu'une personne soit touchée par une politique gouvernementale envisagée pouvait conférer à cette personne le droit à une audition équitable préalable à la décision visée, la lourdeur de la consultation universelle ainsi exigée entrave- rait probablement entièrement le processus déci- sionnel gouvernemental. Pour que la question de l'équité soit soulevée, les conséquences défavora- bles doivent constituer plus qu'une simple possibi- lité: Conseil canadien des fabricants des produits du tabac c. Conseil national de commercialisation des produits de ferme, [1986] 2 C.F. 247, aux pages 264 et 265; (1986), 65 N.R. 392, la page 402; 26 D.L.R. (4th) 677 (C.A.), à la page 691. De façon plus importante, les éléments d'une [TRADUCTION] «décision» doivent être présents: Re Abel et al. and Advisory Review Board (1980), 31 O.R. (2d) 520 (C.A.), à la page 532.
Les intimées présentent dans leur déclaration un argument plus fondamental selon lequel la compé- tence fédérale sur «les pêcheries des côtes de la mer et de l'intérieur» prévue au paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitution- nelle de 1982, 1)] n'est pas suffisamment éten- due pour permettre au Parlement d'accorder l'usage exclusif de la totalité ou d'une partie des pêcheries des eaux avec marées et des eaux sans marées de la Colombie-Britannique aux membres de la tribu des Nishgas puisque le droit de pro- priété relatif aux pêcheries des eaux avec marées et des eaux sans marées visées par la présente action est dévolu à la Couronne provinciale.
Il sera toujours temps, toutefois, de trancher de telles questions si elles sont effectivement soule- vées. Le Parlement, en vertu du pouvoir qu'il détient sur «les Indiens et les terres réservées aux Indiens» (le paragraphe 91(24) de la Loi constitu- tionnelle de 1867), possède à première vue la compétence voulue pour régler les revendications des peuples autochtones. Ni le Parlement ni un ministre de la Couronne ni un négociateur fédéral
ne peuvent être présumés excéder les pouvoirs que leur confère la Constitution avant d'avoir agi. Une cour, sauf peut-être dans le cadre d'un renvoi, n'a pas le droit de faire de telles conjectures. De plus, dans l'éventualité il apparaîtrait au Gouverne- ment fédéral que l'entente à laquelle il devrait vraisemblablement en arriver avec les Nishgas a un caractère tel que sa conclusion lui ferait excé- der ou pourrait lui faire excéder les seuls pouvoirs fédéraux, celui-ci pourrait bien tenter d'élaborer une approche conjointe avec la province concernée. Une cour n'est pas autorisée à exclure une telle possibilité à l'avance.
* * *
Le nouvel argument soulevé par les intimées dans le cadre du présent appel était fondé sur l' [TRA- DUCTION] «attente légitime» d'une consultation effective qui découlerait de la directive en date du 18 décembre 1986 du ministre au négociateur.
Les intimées ont soutenu que l'état des négocia- tions entre le Gouvernement et les Nishgas devait leur être révélé pour que l'objet de la consultation envisagée puisse être établi, et des débats très importants ont eu lieu au sujet des questions de savoir si cette consultation devait être effective, ou pouvait être effective, ou pouvait même être vérita- blement qualifiée de consultation en l'absence d'une telle connaissance des intimées.
En supposant, sans le décider, que les arguments des intimées visant la consultation offerte soient fondés, j'examinerai les principes de droit élaborés récemment en Angleterre au sujet de l'attente légitime, qui [TRADUCTION] «peut découler soit d'une promesse expresse faite pour le compte d'une autorité publique soit de l'existence d'une pratique habituelle dont le réclamant peut raisonnablement escompter le maintien»: lord Fraser of Tullybelton dans l'arrêt Council of Civil Service Unions v. Minister for the Civil Service, [1985] A.C. 374 (H.L.), à la page 401. Le juge Taylor a examiné les principes de droit relatifs à l'attente légitime dans l'affaire R v Secretary of State for the Home Dept, ex p Ruddock, [1987] 2 All ER 518 (Q.B.D.), à la page 531:
[TRADUCTION] Sur le fondement de ces précédents, je con- clus que la doctrine de l'attente légitime a essentiellement pour objet l'imposition d'un devoir d'agir équitablement. Bien que, ainsi que l'a dit lord Roskill, la plupart des affaires concernées mettent en jeu un droit d'être entendu, je ne crois pas que cette
doctrine soit restreinte à une telle question. En fait, dans une affaire où, par hypothèse, il n'existerait aucun droit d'être entendu, le respect d'une promesse ou d'un engagement du ministre visant la procédure pourrait être considéré comme revêtant une importance encore plus grande. Évidemment, une telle promesse ou un tel engagement ne doit pas entrer en conflit avec le devoir que lui assigne une loi ou, comme c'est le cas en l'espèce, le devoir qui lui est imposé dans l'exercice d'une prérogative. J'accepte la prétention de l'avocat du Secretary of State selon laquelle l'intimé ne peut restreindre son propre pouvoir discrétionnaire. En faisant une déclaration énonçant une politique, il n'exclut pas d'avance la possibilité qu'il doive la modifier. Cependant, dans le cas une pratique de publica tion de la politique en vigueur aurait été suivie, il lui incombe- rait de publier la nouvelle politique pour respecter l'équité, à moins encore qu'une telle publication ne soit contraire aux devoirs qui lui sont imposés.
En supposant, sans le décider, que la doctrine de l'attente légitime fonde une obligation du Gouver- nement de tenir la consultation promise aux inti- mées, la mesure d'un tel devoir ne pourrait avoir lieu qu'une fois écoulée la période indiquée. En l'espèce, le fait que la directive a été donnée au négociateur fédéral permet d'inférer que la période visée par cette directive était celle des négocia- tions. Le bilan ne peut donc être dressé à cet égard qu'au moment approprié, à la conclusion des négo- ciations. Une cour qui avancerait la date fixée pour la consultation s'arrogerait une compétence qu'elle ne possède pas puisque la directive elle- même confie implicitement de façon claire au négociateur la détermination du moment de la consultation tout en exigeant que celle-ci soit tenue avant la fin des négociations. La déclaration des intimées est donc prématurée à cet égard.
Pour tous les motifs qui précèdent, j'accueille- rais l'appel, j'annulerais l'ordonnance du juge des requêtes, je radierais la déclaration des intimées et je rejetterais leur action, le tout avec dépens à la fois devant cette Cour et devant la Division de première instance.
LE JUGE PRATTE: Je souscris à ces motifs. LE JUGE STONE: Je souscris à ces motifs.
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