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T-1634-86
Watt & Scott Inc. (demanderesse) c.
Chantry Shipping S.A., le navire Antje Schulte, son exploitante Atlantic Marine Limited et toute autre personne ayant un droit sur ledit navire, Burlington Northern Railroad Company, Atlantic and Gulf Stevedores of Alabama et Container Services International Inc. (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: WATT & SCOTT INC. C. CHANTRY SHIPPING S.A.
Division de première instance, juge Joyal—Mont- réal, 26 janvier; Ottawa, 4 juin 1987.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Cargaison transportée par bateau du Brésil aux États-Unis et de là, par chemin de fer jusqu'au Canada Les marchandises étaient avariées lors de leur arrivée à destination Compétence de la Cour pour connaître d'une action en matière de négligence intentée contre une compagnie ferro- viaire L'art. 23 de la Loi sur la Cour fédérale confère compétence à la Cour en matière d'ouvrages s'étendant au- delà des limites d'une province La Loi sur les chemins de fer constitue un ensemble de règles de droit fédérales qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence Cette compétence ne fait pas «par ailleurs l'objet d'une attri bution spéciale» à la Commission canadienne des transports La Cour n'a pas à se prononcer pour l'instant sur la question de savoir si elle a compétence en vertu de l'art. 22(2)1) de la Loi sur la Cour fédérale pour connaître de la demande intentée contre les propriétaires du navire.
Chemins de fer Cargaison transportée par chemin de fer des É.-U. au Canada après être arrivée du Brésil par bateau Marchandises avariées Compétence de la Cour pour connaître d'une action en matière de négligence intentée contre une compagnie ferroviaire La compétence sur le transport international de marchandises par rail satisfait aux critères énoncés dans l'arrêt ITO—International L'art. 262(/)c) de la Loi sur les chemins de fer impose une obligation de soin à une compagnie ferroviaire La Commission canadienne des transports n'a pas compétence en ce qui concerne cette obliga tion Droit d'action conféré par l'art. 262(7) à quiconque a été lésé.
Droit maritime Transport de marchandises Cargaison transportée par bateau et par rail Elle était avariée lors de son arrivée à destination Action intentée contre les proprié- taires du navire L'art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale habilite la Cour à connaître d'une demande relative au trans port à bord d'un navire de marchandises couvertes par un connaissement direct La question de savoir si l'expression «en transit» jusqu'à la destination finale indique qu'il s'agit d'un connaissement direct est une question de preuve qui doit être tranchée au procès.
Pratique Signification Propriétaires du navire pour- suivis par suite de dommages causés à la cargaison Argu-
ments défendables Enquête justifiée La question du forum conveniens a été tranchée Confirmation de l'ordon- nance de signification ex juris.
Une cargaison de noix a été expédiée du Brésil à bord du navire défendeur à destination des États-Unis elle a été déchargée et de là, elle a été transportée par rail jusqu'à Winnipeg (Manitoba) par la compagnie ferroviaire défende- resse. Une fois la cargaison arrivée à Winnipeg, on a constaté la présence d'aflatoxine, une toxine cancérogène. Un certificat indiquant l'absence d'aflatoxine a été délivré au moment la cargaison a quitté le Brésil. La demanderesse a intenté une action en dommages-intérêts notamment contre les propriétai- res du navire, la compagnie d'acconage qui a déchargé la cargaison aux États-Unis et la compagnie ferroviaire qui l'a transportée à Winnipeg. La compagnie ferroviaire a demandé la permission de déposer un acte de comparution conditionnelle afin de soulever une objection quant à la compétence de la Cour. Elle prétend que la Cour n'a ni la compétence ratione materiae ni la compétence ratione personae en ce qui la concerne. Les propriétaires du navire demandent l'annulation de l'ordonnance de signification ex juris pour le motif que la demanderesse ne dispose pas d'arguments défendables en ce qui les concerne, que le préjudice allégué a été commis à l'extérieur de la juridiction de la Cour et que la demanderesse n'a pas réussi à déterminer le tribunal qui convient (forum conveniens).
Jugement: la Cour a compétence pour connaître de l'action intentée par la demanderesse contre la compagnie ferroviaire. L'ordonnance de signification ex juris doit être confirmée.
L'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale accorde à la Division de première instance une compétence concurrente en première instance dans tous les cas une demande de redres- sement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada en matière «d'ouvrages et entreprises ... s'étendant au-delà des limites d'une province, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale». L'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit expressé- ment que le fédéral a compétence en matière de chemins de fer s'étendant au-delà des limites d'une province. Le transport de marchandises par un chemin de fer interprovincial ou interna tional est régi par la Loi sur les chemins de fer et réglementé par la Commission canadienne des transports. La compétence de la Cour fédérale sur le transport international de marchandi- ses par rail satisfait donc aux critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt ITO—International: (1) il y a attribution de compétence par une loi, c'est-à-dire l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale; (2) il existe un ensemble de règles de droit fédérales, soit la Loi sur les chemins de fer, qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence; (3) la loi invoquée dans l'affaire est visée par l'expression «loi du Canada» qui figure à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
L'article 262 de la Loi sur les chemins de fer revêt un intérêt particulier en ce qui concerne les deux derniers critères men- tionnés. La demanderesse prétend essentiellement que la com- pagnie ferroviaire n'a pas fait preuve du soin et de la diligence voulus. L'alinéa 262(1 )c) de la Loi sur les chemins de fer impose à une compagnie ferroviaire une obligation légale en vertu de laquelle elle doit faire preuve de soin et de diligence lorsqu'elle reçoit, transporte et livre des marchandises et effets. Le paragraphe 262(7) confère un droit d'action à quiconque a
été lésé par le refus de la compagnie de se conformer aux exigences de l'article. Même si certaines dispositions de l'article 262 exigent une décision préalable de la Commission cana- dienne des transports avant qu'une action en dommages-inté- rêts puisse être intentée, la Commission n'a pas compétence pour ce qui est de l'obligation imposée par l'alinéa 262(1)c). Il s'ensuit que les mots figurant à la fin de l'article 23, qui limitent la compétence de la Cour sur les ouvrages s'étendant au-delà des limites d'une province lorsque cette compétence «a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale», ne s'appli- quent pas.
Il est trop tôt pour déterminer si la Cour a compétence selon l'alinéa 22(2)j) de la Loi sur la Cour fédérale pour connaître de l'action intentée par la demanderesse contre les propriétaires du navire. L'alinéa 22(2)j) confère à la Division de première instance compétence sur des catégories de sujets concernant le droit maritime et notamment sur «toute demande relative au transport à bord d'un navire de marchandises couvertes par un connaissement direct». La question de savoir si l'expression «en transit à destination de Winnipeg» qui figure au connaissement prouve l'intention de conclure un connaissement direct est une question de preuve qui devrait être tranchée au procès.
La Cour n'a pas à se limiter aux éléments de preuve disponi- bles au moment l'ordonnance ex juris a été prononcée: elle peut examiner tous les éléments de preuve disponibles qui se sont accumulés dans l'intervalle. La demanderesse a soumis des arguments défendables en ce qui concerne les propriétaires du navire. Les affidavits versés en preuve relativement à l'état de la cargaison avant son chargement et à son état au moment de son déchargement à Winnipeg justifient le genre d'enquête à laquelle la demanderesse prie la Cour de procéder. La question du forum conveniens a été tranchée. En l'absence de tout élément de preuve fourni à cet égard par les défendeurs, la Cour ne peut que spéculer sur ce qui pourrait constituer un tribunal compétent.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice I1, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1), art. 92(10), 101.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 22(1),(2)f).
Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2, art. 262.
Railway Act, R.S.B.C. 1948, chap. 285, art. 203(1)c).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Anglophoto Ltd. c. Le Ikaros, [1974] I C.F. 327 (C.A.); ITO—International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752; Price & Pierce International Inc. and Sohn c. Finland Steamship Co. Ltd., Ship Antares et Chase International (Holdings) Inc. (1983), 46 N.R. 372 (C.A.F.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Cliffe v. Hull & Netherlands Steam Ship Co. (1921), 6 L1. L. Rep. 136 (C.A.); Kiist c. Canadian Pacific Rail way Co., [1982] 1 C.F. 361; (1981), 37 N.R. 91 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Patchett & Sons Ltd. v. Pacific Great Eastern Railway Co., [1959] R.C.S. 271.
DÉCISIONS CITÉES:
La Compagnie Robert Simpson Montréal Ltée c. Ham- burg-Amerika Linie Norddeutscher, [1973] C.F. 1356 (C.A.); Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575 (C.A.).
DOCTRINE
Carver's Carriage by Sea, vol. 1, 13th ed. by R. Colin- vaux. London: Stevens & Sons, 1982.
Carver's Carriage by Sea, vol. 1, 12th ed. by R. Colin- vaux. London: Stevens & Sons, 1971.
AVOCATS:
Rui M. Fernandes pour la demanderesse.
C. Turianskyj pour Burlington Northern
Railroad, défenderesse.
David Colford pour Chantry Shipping S.A.,
défenderesse.
PROCUREURS:
Beard, Winter, Gordon, Toronto, pour la demanderesse.
Kieran & Guay, Montréal, pour Burlington Northern Railroad, défenderesse.
Brisset Bishop Davidson, Montréal, pour Chantry Shipping S.A., défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE .LOYAL: La Cour est saisie de deux questions interlocutoires qui soulèvent des points intéressants.
FAITS
Les points litigieux concernent essentiellement une action intentée pour les dommages causés à une cargaison de noix du Brésil. La demanderesse Watt & Scott a commandé à la compagnie Ciex Comercio Industria E Exportacao Ltda. au Brésil quelque 1 920 lourds sacs contenant de telles noix et ayant une valeur d'environ 43 000 $ (US). Les noix devaient être livrées à Winnipeg (Manitoba). Il était toutefois nécessaire de vérifier avant l'expé-
dition de la cargaison la présence d'aflatoxine, une toxine cancérogène que l'on trouve dans les noix. Le test s'est avéré négatif et un certificat à cet effet a été délivré suivant les règles.
La cargaison a quitté le Brésil aux environs du 11 juin 1985, à bord du navire Antje Schulte qui appartient conjointement aux défenderesses Chantry Shipping S.A. et Atlantic Marine Limi ted et est exploité par celles-ci. Deux connaisse- ments portant les numéros 11 et 12 et datés du 2 juin 1985 font foi du contrat de transport.
Le navire a quitté le Brésil à destination de Mobile (Alabama) la cargaison de noix a été déchargée et expédiée par chemin de fer par l'in- termédiaire de la Burlington Northern Railroad Company.
Une fois la cargaison arrivée à Winnipeg, on a constaté la présence d'aflatoxines. La demande- resse a pris des mesures pour atténuer ses domma- ges de sorte qu'elle a vendu la cargaison au prix réduit de 14 000 $ (US) et intenté une action en recouvrement de sa perte. Elle a estimé sa perte à environ 65 000 $ (CAN), y compris les coûts de transport et les autres dépenses.
L'action a été intentée devant cette Cour le 11 juillet 1986 contre le navire Antje Schulte ainsi que ses propriétaires et exploitantes Chantry Ship ping S.A. et Atlantic Marine Limited et ce, con- jointement. Les autres défenderesses étaient Atlantic and Gulf Stevedores of Alabama qui a déchargé la cargaison à Mobile, Container Servi ces International Inc. qui a transporté la cargaison des quais jusqu'au chemin de fer et finalement, Burlington Northern qui a transporté la cargaison jusqu'à Winnipeg, sa destination.
La demanderesse a par la suite signifié sa décla- ration à Burlington Northern qui possède des éta- blissements à Winnipeg et à Montréal. Elle a également demandé à cette Cour l'autorisation d'effectuer une signification ex juris à tous les autres défendeurs, autorisation qui lui a été accor- dée le 8 septembre 1986.
Le moment venu, Burlington Northern a demandé la permission de déposer un acte de comparution conditionnelle aux fins de soulever une objection quant à la compétence de la Cour. Au même moment, Chantry Shipping et Atlantic
Marine ont présenté des requêtes visant à faire annuler l'ordonnance de signification ex juris à leur endroit pour le motif que la demanderesse ne disposait pas d'arguments défendables en ce qui les concernait, que le préjudice allégué a été commis à l'extérieur de la juridiction de la Cour et que l'obligation de déterminer le tribunal qui convient (forum conveniens) n'a pas été remplie.
Tous ces points litigieux qui ont finalement été plaidés en même temps suscitent un débat intéres- sant. Ils soulèvent des questions de droit et de fait alors même qu'une décision judiciaire sur ceux-ci risque de créer l'équivoque au lieu d'apporter une solution claire ne laissant subsister aucun doute. La contestation par Burlington Northern de la compétence de la Cour fédérale concerne d'une part le droit maritime fédéral et d'autre part, la compétence de la Cour fédérale sur les chemins de fer. Je dois tout d'abord examiner cette question avant de me prononcer ensuite sur celle de la signification ex juris.
COMPÉTENCE DE LA COUR
Avant d'analyser la jurisprudence portant sur ce sujet épineux, examinons la preuve qui m'a été soumise.
(1) La preuve
Le contrat de transport des noix du Brésil figure dans deux connaissements portant les numéros 11 et 12 respectivement. Le connaissement 11 con- cerne quelque 1 841 sacs de noix et indique Manaus (Brésil) comme lieu de chargement et Mobile (Alabama) comme lieu de destination. On trouve toutefois sur le recto de ce document la mention suivante: [TRADUCTION] «En transit à destination de Winnipeg au Manitoba (Canada)». Le connaissement 12 concerne quelque 80 sacs de noix et indique les mêmes lieux de chargement et de destination. Ce document ne mentionne tou- tefois pas que la destination finale de la cargaison est Winnipeg.
On trouve également une feuille de route du fret portant le lA et émanant de Burlington Nor thern, qui se rapporte à la même cargaison et indique que la destination de celle-ci est Winnipeg au Manitoba (Canada). Il y est noté que ladite cargaison était transportée à travers les Etats-Unis sans être dédouanée.
La preuve documentaire produite révèle que la cargaison a été inspectée les 30 et 31 mai 1985 afin de déceler la présence d'aflatoxine, que le certificat de congé a été délivré le 8 juin 1985, que les connaissements ont été délivrés le 2 juin 1985, que la cargaison a été expédiée à bord du navire Antje Schulte le 12 juin 1985 et est arrivée à Mobile le 5 juillet 1985. La cargaison a été entre- posée jusqu'au 16 juillet 1985, date à laquelle la compagnie de manutention l'a livrée à Burlington Northern, et elle est finalement arrivée à Winni- peg le 30 juillet 1985. Environ deux mois se sont écoulés entre la date de l'inspection et celle de la livraison.
(2) L'argumentation de la demanderesse
En quelques mots, la demanderesse désire savoir ce qui est arrivé à ses noix qui, même si on n'a apparemment pas découvert la présence d'afla- toxine le 30 mai 1985, étaient avariées lorsqu'elles sont arrivées à Winnipeg. Elle ignore comment et le dommage a été causé et qui en est responsa- ble. Dans son affidavit, l'avocat de la demande- resse affirme que sa preuve repose sur les principes applicables en matière de négligence et que sa cliente a le droit d'invoquer la doctrine res ipsa loquitur.
(3) L'argumentation de Burlington Northern
Dans un affidavit, l'avocat de Burlington Nor thern affirme que la Cour fédérale n'a ni la com- pétence ratione materiae ni la compétence ratione personae en ce qui concerne sa cliente. Il déclare dans un affidavit subséquent que, compte tenu des allégations figurant dans la déclaration de la demanderesse et de son analyse des connaisse- ments, le litige mettant en cause Burlington Nor thern se limite au transport des marchandises de Mobile (Alabama) à Winnipeg. Il soutient que la demanderesse n'a pas fourni d'éléments de preuve indiquant que la Cour fédérale a compétence sur cette question.
(4) Conclusions
Le pouvoir manifeste de la Cour fédérale de connaître des réclamations relatives à des cargai- sons découle de l'article 22 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10].
Le paragraphe 22(1) prévoit:
22. (1) La Division de première instance a compétence con- currente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu du droit maritime canadien ou d'une autre loi du Canada en matière de navigation ou de marine marchande, sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale.
Le paragraphe 22(2) porte que, sans restreindre la généralité du paragraphe 22(1) et pour plus de certitude, la Division de première instance de la Cour fédérale a compétence sur quelque 19 caté- gories de sujets concernant le droit maritime et notamment, à l'alinéa 22(2)f) sur:
22. (2) ...
f) toute demande née d'une convention relative au transport à bord d'un navire de marchandises couvertes par un connais- sement direct ou pour lesquelles on a l'intention d'établir un connaissement direct, pour la perte ou l'avarie de marchandi- ses survenue à quelque moment ou en quelque lieu en cours de route; [C'est moi qui souligne.]
On peut se demander en vertu de cet alinéa si l'expression «en transit à destination de Winnipeg» qui figure au connaissement 11 suffit pour prouver l'intention de conclure un connaissement direct. La règle générale est énoncée dans Carver's Carriage by Sea, vol. 1, 13 e éd. par R. Colinvaux. Londres: Stevens & Sons, 1982, l'auteur établit à la page 374 une distinction entre un contrat de transport qui se termine par un transbordement et le transporteur contractant, une fois la cargai- son déchargée du navire, n'agit qu'à titre de man- dataire du propriétaire de la cargaison lorsqu'il prend les mesures nécessaires pour l'expédition de celle-ci, et un contrat de transport il est prévu que celui-ci reste en vigueur jusqu'à la destination finale malgré les transbordements. Comme le dit l'auteur, [TRADUCTION] «Il entre dans une catégo- rie ou l'autre selon l'interprétation que l'on fait du connaissement.»
En l'espèce, il n'est pas possible à ce stade-ci de chercher à interpréter le connaissement 11 ni de connaître l'intention qui pourrait ressortir dudit document. Comme la Cour d'appel fédérale l'a décidé dans une affaire analogue, Anglophoto Ltd. c. Le Ikaros, [1974] 1 C.F. 327, il s'agit d'une question de preuve qui devrait être tranchée au procès. La Cour devait déterminer dans cette affaire si, lorsqu'elle a pris réception des marchan- dises, la compagnie de manutention agissait en tant que mandataire du propriétaire du navire ou en tant que mandataire du consignataire des mar-
chandises. La Cour d'appel a statué que les faits dont elle avait été saisie à la suite d'une requête relative à la compétence n'étaient pas suffisants pour lui permettre de se prononcer en droit.
Je fais face à une situation semblable et je devrais refuser de poursuivre mon enquête. Il n'est pas possible à ce stade des procédures de trancher de manière définitive la question de la compétence de la Cour. En d'autres termes, la preuve relative au sens du connaissement 11 n'est pas suffisam- ment claire pour que je doive statuer dans un sens ou dans l'autre et décider si elle fournit les élé- ments nécessaires qui permettraient à la Cour d'exercer la compétence qui lui est conférée par l'alinéa 22(2)f) de la Loi sur la Cour fédérale. Je devrais laisser cette tâche au juge du procès.
Je dois également citer l'arrêt récent ITO— International Terminal Operators Ltd. c. Miida Electronics Inc. et autre, [1986] 1 R.C.S. 752, la Cour suprême du Canada s'est penchée sur la compétence de la Cour fédérale en matière de droit maritime canadien. S'exprimant au nom de la majorité de la Cour, le juge McIntyre fait une analyse remarquable des événements historiques qui ont précédé la création du droit maritime au Canada et il conclut que cet ensemble de règles de droit fédérales comprend maintenant les, principes de common law applicables en matière de respon- sabilité délictuelle, de contrat et de dépôt et que ces règles sont uniformes partout au Canada. Il ne fait aucun doute qu'une telle déclaration semble empiéter sur les ensembles de règles de droit qui sont du ressort exclusif des provinces, mais si je comprends bien les propos du juge McIntyre, elle ne rend pas moins valide l'application de ces prin- cipes qui constituent des éléments essentiels per- mettant de trancher les poursuites en matière maritime; lesdits principes entrent donc dans le champ de compétence du fédéral et relèvent, évi- demment, de la compétence de la Cour fédérale.
La Cour suprême du Canada a réaffirmé que la compétence de la Cour fédérale est fonction (1) de l'attribution de compétence par le Parlement, (2) de l'existence d'un ensemble de règles de droit fédérales qui est essentiel à la solution du litige et constitue le fondement de l'attribution légale de compétence et, (3) du fait que la loi sous-jacente est visée par l'expression «une loi du Canada» employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle
de 1867 [30 & 31 Vict., chap. 3 (R.-U.) [S.R.C. 1970, Appendice II, 5] (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, 1)].
En statuant dans l'arrêt ITO—International Terminal Operators que la Cour fédérale avait compétence sur une compagnie de manutention et d'acconnage, la Cour suprême a conclu que la nature maritime de toute espèce est fonction: (1) du fait que les activités d'acconnage se déroulent à proximité de la mer, (2) du rapport entre les activités de l'acconier et le contrat de transport maritime, et (3) du fait qu'il s'agit en l'espèce d'un entreposage à court terme à l'intérieur de la zone portuaire, en attendant la livraison finale par l'ac- conier. Ces conditions étant remplies, la Cour suprême a statué que le droit maritime s'appliquait et que la Cour fédérale était habilitée à connaître de l'affaire.
Généralement parlant, la Cour d'appel fédérale a tiré la même conclusion dans l'arrêt La Compa- gnie Robert Simpson Montréal Liée c. Hamburg- Amerika Linie Norddeutscher, [1973] C.F. 1356. Elle a statué que le déchargement des marchandi- ses par les acconiers après une traversée et leur remise au consignataire constituaient des activités essentielles au transport de marchandises par voie maritime. Elle a conclu qu'elle était compétente en se fondant sur le paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867, «la navigation et les expéditions par eau (shipping)» et sur le paragra- phe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale.
À mon avis, le véritable élément nouveau dans l'arrêt ITO—International Terminal Operators est que la Cour a conclu que l'ensemble des règles de droit constituant le droit maritime canadien com- prend certains principes de common law qui ont préséance sur les dispositions législatives provincia- les en cas de conflit.
La Cour suprême a néanmoins étendu la portée du droit maritime aux obligations et responsabili- tés des compagnies d'acconnage en tenant compte de la proximité des activités d'acconnage, du lien étroit existant entre elles et le contrat de transport et de la courte durée de l'entreposage. Il faut donc se demander si ces critères peuvent être appliqués en ce qui concerne le transport des marchandises par Burlington Northern de Mobile à Winnipeg.
Question encore plus importante toutefois, existe- t-il à part l'alinéa 22(2)f) de la Loi sur la Cour fédérale une disposition distincte servant de fonde- ment à la compétence de la Cour fédérale? Pour répondre à cette question il y a lieu de réexaminer les dispositions de la Loi.
L'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale accorde à la Division de première instance une compétence concurrente en première instance dans certains domaines précis. En voici le texte:
23. La Division de première instance a compétence concur- rente en première instance, tant entre sujets qu'autrement, dans tous les cas une demande de redressement est faite en vertu d'une loi du Parlement du Canada ou autrement, en matière de lettres de change et billets à ordre lorsque la Couronne est partie aux procédures, d'aéronautique ou d'ouvrages et entre- prises reliant une province à une autre ou s'étendant au-delà des limites d'une province, sauf dans la mesure cette compé- tence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale. [C'est moi qui souligne.]
Les mots soulignés dans cet article figurent éga- lement au paragraphe 22(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Alors que le paragraphe 22(1) traite expressément de la navigation et de la marine marchande, l'article 23 confère une compétence concurrente dans d'autres domaines de compétence fédérale, en particulier, pour les fins de l'espèce, en matière «d'ouvrages et entreprises ... s'étendant au-delà des limites d'une province».
La compétence législative du fédéral sur ces ouvrages et entreprises lui est attribuée par le paragraphe 92(10) de la Loi constitutionnelle de 1867. L'alinéa 92(10)a) prévoit expressément que le fédéral a compétence en matière de chemins de fer s'étendant au-delà des limites de la province. Il est évident en l'espèce que la compagnie Burling- ton Northern est une entreprise ferroviaire s'éten- dant au-delà des limites du Manitoba jusqu'au centre de l'Alabama, que le transport de marchan- dises par un chemin de fer interprovincial ou inter national est régi par la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, chap. R-2, et réglementé par la Commission canadienne des transports. C'est dire que la compétence de la Cour fédérale sur le transport international de marchandises par rail semble respecter les critères énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bensol Customs Bro kers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575, et repris par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt ITO—International Terminal Operators, c'est-à-
dire (1) une attribution de compétence par l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale, (2) un ensemble de règles de droit fédérales qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence, soit la Loi sur les chemins de fer ainsi que la masse de règlements adoptés par la Commission des transports relativement au transport, aux taxes et aux tarifs, et (3) le fait que la loi invoquée dans l'affaire dont j'ai été saisi est visée par l'expression «loi du Canada» qui figure à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867.
L'article 262 de la Loi sur les chemins de fer revêt un intérêt particulier en ce qui concerne les deux derniers critères susmentionnés. En voici le libellé intégral:
262. (1) La compagnie doit, selon ses pouvoirs,
a) fournir, au point de départ de son chemin de fer et au point de raccordement de son chemin de fer avec d'autres, et à tous les points d'arrêt établis à cette fin, des installations suffisantes et convenables pour la réception et le chargement des marchandises et effets présentés à la compagnie pour être transportés sur son chemin de fer;
b) fournir des installations suffisantes et convenables pour le transport, le déchargement et la livraison de ces marchandi- ses et effets;
c) sans retard, et avec le soin et la diligence voulus, recevoir, transporter et livrer ces marchandises et effets;
d) fournir et employer tous les appareils, toutes les installa tions et tous les moyens nécessaires à la réception, au charge- ment, au transport, au déchargement et à la livraison de ces marchandises et effets; et
e) fournir tel autre service, connexe au transport, habituel ou d'usage relativement aux affaires d'une compagnie de chemin de fer, selon que la Commission l'ordonne.
(2) Ces installations complètes et convenables comprennent des facilités raisonnables pour le raccordement de voies latéra- les privées ou d'embranchements privés avec un chemin de fer possédé ou mis en service par la compagnie, et des facilités raisonnables pour la réception, l'expédition et la livraison des marchandises et effets entrant sur ces voies latérales et sur ces embranchements privés ou en débouchant, ainsi que le place ment de wagons et leur traction dans un sens ou dans un autre sur ces voies latérales privées et sur ces embranchements privés.
(3) S'il arrive que, de l'avis de la Commission, la compagnie ne fournit pas les installations et les commodités nécessaires, la Commission peut ordonner à la compagnie de les fournir dans un délai ou durant une période qu'elle juge convenable en tenant compte de tous les intérêts légitimes; ou elle peut interdire ou restreindre l'emploi, sur tous les chemins de fer généralement, sur un chemin de fer déterminé ou sur un tronçon de ce chemin de fer, de machines, locomotives, wagons, matériel roulant, appareils, machineries ou dispositifs, ou d'une espèce ou catégorie quelconque, non équipés selon les prescrip tions de la présente loi ou des ordonnances rendues ou des règlements établis par la Commission dans les limites de ses attributions en vertu des dispositions de la présente loi.
(4) La compagnie doit recevoir ces marchandises et effets, les transporter d'une place à l'autre et les livrer aux endroits susdits moyennant le paiement des taxes de transport légale- ment exigibles.
(5) Lorsque le chemin de fer d'une compagnie traverse, touche ou approche suffisamment, de l'avis de la Commission, une autre ligne qui transporte des voyageurs ou un courrier postal, que cette dernière ligne relève ou non de l'autorité législative du Parlement du Canada, la Commission peut ordonner à la compagnie de régler le mouvement de ses trains transportant des voyageurs ou un courrier postal, et de détermi- ner les endroits et le temps des arrêts de ces trains de façon à permettre raisonnablement la correspondance des voyageurs et le transbordement du courrier postal entre son chemin de fer et cet autre chemin de fer; et elle peut, de plus, ordonner à la compagnie de fournir les installations et facilités convenables à cet objet.
(6) Pour les fins du présent article, la Commission peut ordonner la construction ou l'exécution d'ouvrages déterminés ou l'acquisition d'immeubles, ou que des wagons, de la force motrice ou d'autres matériels soient attribués, distribués, employés ou déplacés selon que le spécifie la Commission, ou que des mesures, systèmes ou méthodes spécifiés soient adoptés ou suivis par certaines compagnies en particulier ou par les compagnies de chemin de fer en général, et la Commission peut, dans une telle ordonnance, spécifier les frais maximums qui peuvent être imposés par la compagnie ou les compagnies en ce qui concerne toute chose ainsi ordonnée par la Commission.
(7) Quiconque a été lésé par la négligence ou le refus de la compagnie de se conformer aux exigences du présent article, a, sous réserve de la présente loi, le droit d'intenter une poursuite contre la compagnie; et la compagnie ne peut se mettre à l'abri de cette poursuite en invoquant un avis, une condition ou une déclaration, si le tort résulte d'une négligence ou d'une omission de la compagnie ou de ses employés.
(8) La Commission peut édicter des règlements d'une appli cation générale ou particulière à un chemin de fer ou à une partie de ce chemin de fer, ou rendre une ordonnance dans tous les cas elle le juge à propos, imposant des frais à une compagnie qui omet ou tarde de fournir des installations, des appareils ou des facilités, comme il est susdit, ou de recevoir, charger, transporter, décharger ou livrer des marchandises ou effets, et elle peut forcer les compagnies à payer lesdits frais à une personne lésée par cette omission ou ce retard; et toute somme ainsi reçue par une personne est déduite des dommages- intérêts recouvrables ou recouvrés par cette personne pour cette omission ou ce retard; et la Commission peut, par ordonnance ou règlement, déterminer quelles circonstances doivent exemp- ter une compagnie du paiement de ces frais. (C'est moi qui souligne.)
La disposition cruciale de l'article 262 se trouve à l'alinéa 1 c) qui impose à une compagnie ferro- viaire une obligation légale en vertu de laquelle elle doit «sans retard, et avec le soin et la diligence voulus, recevoir, transporter et livrer ces marchan- dises et effets». Il est juste de dire, à mon avis, que cette obligation légale n'est en fait que la codifica-
tion de la responsabilité imposée à tout transpor- teur par la common law. La demanderesse prétend essentiellement, en ce qui concerne Burlington Northern, que cette compagnie ferroviaire n'a pas fait preuve du soin et de la diligence voulus. Bien que ledit article 262 n'ait pas été expressément plaidé, il peut quand même, à ce stade des procé- dures, s'appliquer à la question de la compétence.
Il faut également reconnaître l'importance du paragraphe 262(7) qui confère un droit d'action à quiconque a été lésé par la négligence ou le refus de la compagnie de se conformer aux exigences de l'article 262 et qui prévoit que la compagnie ne peut se mettre à l'abri de cette action en invoquant un avis, une condition ou une déclaration si le dommage résulte d'une négligence ou d'une omis sion de la compagnie ou de ses employés. Je ne peux imaginer un droit d'action conféré par la loi qui soit énoncé d'une façon aussi claire.
On pourrait aussi accorder beaucoup d'impor- tance aux autres dispositions de l'article 262 sui- vant lesquelles il peut être nécessaire d'obtenir une décision préalable de la Commission canadienne des transports avant d'intenter une action en dom- mages-intérêts. Je renvoie expressément au pou- voir conféré à la Commission par les paragraphes 262(3), (5), (6) et (8) en ce qui a trait aux installations et aux commodités et qui lui permet d'ordonner l'exécution de travaux précis ou le paie- ment de surestaries. Aucune de ces dispositions ne limite à mon avis le droit d'action conféré par l'alinéa 262(1)c) par suite du manque de soin au cours de la réception, du transport et de la livrai- son des marchandises et effets.
La Cour d'appel fédérale a examiné en 1981 les mêmes dispositions de la Loi sur les chemins de fer dans l'arrêt Kiist c. Canadian Pacifie Railway Co., [1982] 1 C.F. 361; (1981), 37 N.R. 91. Dans cet arrêt, la Cour d'appel n'y est pas allée de main morte en ce qui concerne la compétence conférée à la Cour fédérale par l'article 23 de sa loi constitu- tive et confirmée par la Loi sur les chemins de fer et la Loi sur la Commission canadienne du blé. L'un des points litigieux concernait l'application des derniers mots de l'article 23, «sauf dans la mesure cette compétence a par ailleurs fait l'objet d'une attribution spéciale». Certaines dispo sitions de l'article 262 confèrent compétence à la Commission canadienne des transports. J'y ai déjà
fait allusion et je conclus que la Commission n'a pas compétence pour ce qui est de «l'obligation de soin» imposée à une compagnie ferroviaire, con- trairement à d'autres obligations.
Le juge Le Dain a dit aux pages 373 C.F.; 105 N.R. de l'arrêt:
Le paragraphe 262(7) de la Loi sur les chemins de fer accorde à la personne lésée «le droit d'intenter une poursuite» en dommages-intérêts pour négligence ou refus de se conformer aux exigences de l'article. L'expression «le droit d'intenter une poursuite» laisse entendre qu'il s'agit d'une procédure judi- ciaire. Cela fait contraste avec l'emploi des termes «demande» et «plainte» pour ce qui est des procédures devant la Commis sion sous le régime de la Loi sur les chemins de fer (voir l'article 48 de la Loi nationale sur les transports).
Il a ajouté [aux pages 374-375 C.F.; 105-106 N.R.]:
Compte tenu de ce principe bien établi quant au pouvoir d'accorder des dommages-intérêts pour violation d'une obliga tion légale équivalente à celle prévue à l'article 262, j'estime que, pour que ce pouvoir soit transmis à la Commission, il faudrait une disposition expresse de la part du législateur. Une telle disposition expresse se retrouve, par exemple, en Angle- terre, l'article 12 de la Railway and Canal Traffic Act, 1888 (51 & 52 Vict., c. 25), dispose que lorsque les Railway Com missioners ont compétence pour entendre et juger toute ques tion, [TRADUCTION] «ils peuvent, en sus ou au lieu de tout autre redressement, accorder à une partie lésée demanderesse des dommages-intérêts pour le préjudice qu'ils estiment que celle-ci a subi». Je ne crois pas qu'on puisse dire, comme le juge de première instance, que l'article 58 de la Loi nationale sur les transports soit suffisamment explicite ou clair à ce sujet pour avoir l'important effet de conférer à la Commission le pouvoir, normalement dévolu aux tribunaux, d'accorder des dommages- intérêts pour violation de l'obligation prescrite par l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer. Tandis que l'article 262 confère expressément à la Commission diverses sortes de com- pétence dans ses paragraphes (3),(6) et (8), il est muet quant à la juridiction devant laquelle doit être exercé «le droit d'intenter une poursuite» en dommages-intérêts prévu au paragraphe (7). De plus, au paragraphe (8), il est fait une distinction entre les «frais», que peut "imposer la Commission, et les «dommages- intérêts», dont l'adjudication n'est pas clairement attribuée à la Commission. A mon avis, il ne ressort pas clairement de l'article 58 de la Loi nationale sur les transports, qui traite en termes généraux des redressements non sollicités que peut accorder la Commission, que le législateur ait voulu modifier l'attribution du pouvoir d'accorder des dommages-intérêts qui résulte implicitement des dispositions de l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer. J'estime donc que la Cour fédérale a compétence pour accorder des dommages-intérêts pour viola tion de l'obligation prévue à l'article 262. [C'est moi qui souligne.]
Il s'agit toutefois d'une déclaration générale qui semble établir la compétence de la Cour fédérale sur toute inexécution d'une obligation prévue à l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer sans
restreindre le pouvoir de la Commission de déter- miner au préalable, par voie d'ordonnances ou autrement, les normes de certaines des obligations imposées par les diverses rubriques de l'article 262.
L'affaire soumise au juge Le Dain reposait sur l'alinéa 262(1)a) qui prévoit qu'une compagnie ferroviaire est tenue de fournir des installations suffisantes et convenables «pour la réception et le chargement des marchandises et effets présentés à la compagnie pour être transportés sur son chemin de fer». Après avoir analysé de nombreux précé- dents relatifs aux considérations de politique qu'un organisme administratif doit appliquer quant aux normes des obligations, considérations qu'une cour hésiterait grandement à examiner, il a conclu aux pages 381 C.F.; 112 N.R.:
Par ces motifs, j'estime que la Commission s'est vue spéciale- ment attribuer la compétence pour déterminer si les compa- gnies ferroviaires intimées ont fourni des installations suffisan- tes et convenables en vue du transport du grain pour la Commission canadienne du blé pendant les campagnes agrico- les de 1977-1978 et de 1978-1979, et qu'en l'absence d'une décision sur ce point de la part de la Commission, la Cour fédérale est incompétente pour connaître de l'action en domma- ges-intérêts des appelants.
Toutefois, la réclamation dont je suis saisi repose manifestement sur l'inexécution de l'obliga- tion de soin imposée à une compagnie ferroviaire par l'alinéa 262(1)c), et après avoir analysé ou interprété l'ensemble de l'article 262, je conclus qu'il ne s'agit pas du genre d'obligation dont avait été saisie la Cour d'appel fédérale ni d'un cas la compétence conférée à la Cour fédérale par l'arti- cle 23 de sa loi constitutive serait suspendue sinon écartée.
Un arrêt antérieur de la Cour suprême du Canada, Patchett & Sons Ltd. v. Pacifie Great Eastern Railway Co., [1959] R.C.S. 271, m'incite, quoique indirectement, à conclure à la compétence de la Cour fédérale pour le motif que l'inexécution d'une obligation de soin peut donner naissance à un droit d'action sans que la Commission ait à déterminer au préalable quelle devrait être la norme de soin.
Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a eu l'occasion de se pencher sur l'alinéa 203(1)c) de la Railway Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1948, chap. 285, dont le libellé est identi- que à celui de l'alinéa 262(1)c) de la loi fédérale sur les chemins de fer. Cet article prévoit le même
processus de révision ou de réglementation en ce qui concerne certaines des obligations imposées à une compagnie ferroviaire, le seul élément le dis- tinguant de l'article de la loi fédérale étant que l'autorité compétente suivant la loi est le ministre des chemins de fer de la C.-B. plutôt que la Commission canadienne des transports.
L'action intentée par la demanderesse dans cet arrêt portait que la compagnie ferroviaire avait manqué à son obligation de transporter les mar- chandises et effets avec la diligence voulue. La Cour suprême devait plus précisément déterminer s'il s'agissait d'une obligation absolue ou si celle-ci était assujettie à la règle du caractère raisonnable. Il n'a pas été allégué que la compétence reconnue à un tribunal de la Colombie-Britannique pour statuer sur ce genre d'inexécution était par ailleurs attribuée au ministre. Il semble que tout au long des procédures, de la première instance aux appels subséquents, il était entendu qu'un tribunal pou- vait se prononcer sur cette question.
Je ne prétends pas que mes observations sur cet arrêt fournissent une réponse concluante en ce qui concerne la restriction figurant à la fin de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale. À mon avis, toutefois, la cause étaye la déclaration générale du juge Le Dain dans l'arrêt Kiist et accrédite l'ana- lyse que j'ai faite plus haut de l'ensemble de l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer.
Je conclus par conséquent que la Cour fédérale a compétence pour connaître d'une action intentée contre Burlington Northern sur le fondement de l'article 262 de la Loi sur les chemins de fer et que la clause restrictive figurant à la fin de l'article 23 de la Loi sur la Cour fédérale n'empêche pas la Cour de statuer sur ladite action.
ORDONNANCE DE SIGNIFICATION EX JURIS
Je dois maintenant examiner ce point qui a été soulevé par les défenderesses Chantry Shipping S.A. et Atlantic Marine Limited. L'ordonnance originale de signification ex juris a été prononcée par le protonotaire-chef le 8 septembre 1986. Par la suite, dans une ordonnance datée du 1" décem- bre 1986, le juge Pinard a autorisé lesdites défen- deresses à déposer des actes de comparution condi- tionnelle afin d'interjeter appel de l'ordonnance de signification ex juris.
La preuve de la demanderesse est exposée dans un affidavit daté du 4 août 1986 qui fournit des renseignements pertinents sur les deux défenderes- ses et indique qu'elles sont résidentes de Hamilton (Bermudes) et qu'elles n'ont aucun établissement d'affaires officiel au Canada, sauf pour ce qui est de leur mandataire à Montréal, March Shipping Limited. Les faits sont exposés plus en détail dans un deuxième et un troisième affidavits en date du 24 novembre 1986 et du 21 janvier 1987 respectivement.
Les motifs de l'appel formé par les défenderesses contre l'ordonnance de signification ex juris qui leur était adressée figurent dans un affidavit daté du 27 octobre 1986 et sont les suivants: l'inexécu- tion du contrat ou le préjudice allégués ont eu lieu hors du ressort de la Cour et la demanderesse n'a pas fourni la preuve que ses arguments étaient défendables ni qu'il n'existait pas d'autre tribunal plus compétent ou approprié pour y intenter son action.
On a déposé pour le compte des défenderesses un autre affidavit daté du 28 janvier 1987, auquel était joint un rapport des experts en sinistres en date du 13 février 1986 relativement à la perte réclamée par la demanderesse.
Il est fort possible que les faits exposés devant le protonotaire-chef relativement au lien contractuel existant entre la demanderesse et les défenderes- ses, à la divulgation par la preuve de l'existence d'un droit d'action raisonnable ou à la question du forum conveniens n'aient pas eu l'effet voulu. Cela ne serait pas surprenant, car une ordonnance de cette nature est d'abord accordée ex parte et le moment crucial son caractère approprié peut être réellement vérifié est celui le défendeur étranger reçoit signification de l'avis de la demande et décide d'y répondre, comme l'ont fait les défenderesses en l'espèce.
Dans une telle situation, la Cour n'a pas à se limiter aux éléments de preuve disponibles au moment l'ordonnance a été prononcée. L'affaire Price & Pierce International Inc. and Sohn c. Finland Steamship Co. Ltd., Ship Antares et Chase International (Holdings) Inc. (1983), 46 N.R. 372 (C.A.F.), à la page 376, a établi le principe suivant lequel la Cour peut examiner tous les éléments de preuve disponibles qui se sont accumulés dans l'intervalle.
Pour ce qui est de la question de la compétence qui se pose en raison du fait que le contrat de transport ne satisfait pas aux exigences de l'alinéa 22(2)f) de la Loi sur la Cour fédérale, j'ai déjà affirmé que je n'avais pas à me prononcer sur ce point à ce stade des procédures. Le connaissement 11 n'est pas clair. Rien dans la preuve ne permet de déterminer quelle était l'intention des parties en utilisant l'expression «En transit à destination de Winnipeg au Manitoba (Canada)». Dans l'affaire Cliffe v. Hull & Netherlands Steam Ship Co. (1921), 6 Ll. L. Rep. 136 (C.A.), citée à la page 172 de l'ouvrage intitulé Carver's Carriage by Sea, vol. 1, 12e éd. par R. Colinvaux. Londres: Stevens & Sons, 1971, la cour a statué que l'expression [TRADUCTION] «Pour expédition de Hull ... à Manchester» figurant dans le connaissement ne faisait pas de celui-ci un connaissement direct et qu'en expédiant les marchandises à partir de Hull, les propriétaires du navire n'ont agi qu'à titre de transitaires. Il ne s'agit toutefois pas de cette expression en l'espèce et on ne m'a soumis aucun élément de preuve permettant de déterminer son sens exact.
Je dois également conclure que les arguments de la demanderesse sont défendables. Les affidavits versés en preuve relativement à l'état des noix du Brésil avant leur chargement sur le Antje Schulte et à leur état au moment de leur déchargement à Winnipeg justifient le genre d'enquête à laquelle la demanderesse prie la Cour de procéder. Il est possible que la demanderesse rencontre beaucoup d'embûches tout au long des procédures, mais il ne faut pas l'empêcher de mettre en cause les défen- deresses sur le navire desquelles ses noix du Brésil ont été transportées en vertu d'un contrat de trans port de Manaus (Brésil) à Mobile (Alabama) et de là, par chemin de fer jusqu'à Winnipeg.
Je conclus en outre que la question du forum conveniens a été tranchée. Les affidavits versés en preuve par la demanderesse indiquent que onze témoins, dont deux provenant du Brésil, ont été cités. En l'absence de tout élément de preuve fourni à cet égard par les défenderesses, il ne me reste plus qu'à spéculer sur ce qui pourrait consti- tuer un tribunal compétent.
L'ordonnance prononcée le 8 septembre 1986 par le protonotaire-chef est confirmée; toutefois, le délai accordé aux défenderesses pour déposer leur
défense commencera à courir à compter de la date de l'ordonnance formelle prononcée en même temps que les présents motifs.
Les dépens suivront l'issue de l'action.
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