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T-7690-82
Kruger Inc., Hesselbacher Papier—Import and Export (Gmbh and Co.) (demanderesses)
c.
Baltic Shipping Company (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: KRUGER INC. C. BALTIC SHIPPING Co.
Division de première instance, juge Pinard— Montréal, 13, 14, 15, 20, 21, 22, 23, 27, 28, 29, 30 janvier et 3, 4, 5, 6, 10, 11, 12, 13, 18, 19 février; Ottawa, 6 mai 1987.
Droit maritime Transport de marchandises Perte de la cargaison lorsqu'un navire sombre pendant une tempête vio- lente Responsabilité du propriétaire du navire S'agit-il d'une perte attribuable à des périls exclus par les Règles de la Haye? Charge de la preuve Périls de la mer Prévisi- bilité de violentes tempêtes dans l'Atlantique Nord en hiver Les manches à air se brisent permettant à l'eau d'embarquer Innavigabilité résultant de l'omission d'exercer une dili gence raisonnable dans la conception et la construction des manches à air.
Pratique Intérêts Intérêts courus avant jugement dans les affaires en matière d'amirauté Intérêts adjugés selon le taux privilégié mensuel moyen des banques à charte.
Il s'agit d'une action intentée par les propriétaires d'une cargaison de papier journal pour la perte de celle-ci en pleine mer par suite du naufrage du navire de la défenderesse pendant une tempête violente.
Dans une tentative de se disculper, le transporteur a essayé d'établir que la perte de la cargaison était attribuable à l'un des périls exclus énumérés à l'article IV des Règles de la Haye, et notamment aux «périls de la mer» (art. IV(2)c)).
Jugement: l'action est accueillie.
La tempête qui faisait rage quand le Mekhanik Tarasov a sombré était très violente avec des vents de force 12 l'échelle Beaufort et des vagues de 10 ou 11 et parfois jusqu'à 18 mètres. Malgré sa violence, la tempête n'avait rien d'anormal pour l'Atlantique Nord en hiver. En fait, il était prévisible qu'une telle tempête surviendrait probablement au cours du voyage. De plus, comme le navire avait accès à des prévisions et à des avertissements météorologiques qui renseignaient avec exacti tude et bien à l'avance sur la tempête, cela mène à la conclusion qu'elle a été effectivement prévue. Il est donc évident qu'on aurait pu et aurait prendre des mesures pour y parer.
Les manches à air ne comportaient pas de «vices cachés» au sens de l'alinéa IV(2)p) des Règles de la Haye. Il a été établi que les manches à air qui se sont brisées n'avaient pas été bien conçues en ce qu'elles n'avaient pas été spécialement renforcées par des supports ou des goussets pour leur permettre de résister aux conditions qui prévalent dans l'Atlantique Nord en hiver.
N'ayant pas établi que la perte de la cargaison avait résulté de l'un des périls exclus énumérés à l'article IV des Règles de la Haye, le transporteur, s'il ne veut pas être jugé responsable, doit démontrer qu'il a exercé une diligence raisonnable pour
mettre le navire en état de navigabilité avant et au début du voyage. Il ne suffit pas de prouver que le Mekhanik Tarasov satisfaisait aux exigences du U.S.S.R. Register of Shipping, comme en témoignent les certificats de classification délivrés par ledit Register. Le navire a subi sans encombre les différen- tes inspections quadriennales et annuelles exigées par le Regis ter. Il n'existe aucune preuve qu'une personne ou une organisa tion quelconque ait jamais vérifié les manches à air aux stades de la conception ou de la construction ou à un stade ultérieur ou a exercé une diligence raisonnable à leur égard. Il n'y a aucune preuve que Baltic a exercé une diligence raisonnable relativement à la construction ou à la conception des manches à air. Par conséquent, la défenderesse n'est pas parvenue à établir qu'elle a exercé une diligence raisonnable afin de mettre le Mekhanik Tarasov en état de navigabilité avant et au début du voyage.
En ce qui concerne les intérêts, il est bien établi que la Cour jouit en matière d'amirauté d'un pouvoir discrétionnaire d'adju- ger comme partie intégrante des dommages-intérêts les intérêts courus avant jugement. Suivant l'arrêt aCielo Bianco., les intérêts sont adjugés selon le taux privilégié mensuel moyen des banques à charte en vigueur pendant les périodes en cause.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970, chap. C-15, Ann., Art. III(1),(2), IV( 1 ),( 2 )a),c),d),p),q)•
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Goodfellow (Charles) Lumber Sales Ltd. c . Verreault et autres, [1971] R.C.S. 522; (1970), 17 D.L.R. (3d) 56; Federal Commerce and Navigation Co. Ltd. c . Eisenerz, [1974] R.C.S. 1225; [1975] 1 Lloyd's Rep. 105 (sub nom. The «Oak Hill.); Dimitrios N. Rallias (Part Cargo ex) (1922), 13 Ll. L. Rep. 363 (C.A.); Minister of Materials v. Wold Steamship Company, Ltd., [1952] 1 Lloyd's Rep. 485 (Q.B.); Grain Growers Export Co. v. Canada Steamship Lines Limited (1917-18), 43 O.L.R. 330 (Div. d'appel); Union of India v. N.V. Reederij Amsterdam, [1963] 2 Lloyd's Rep. 223 (H.L.), confir- mant [1962] 1 Lloyd's Rep. 539 (Q.B.D., Comm. Ct.); W. Angliss & Co. (Australia) Proprietary, Ld. v. Penin sular and Oriental Steam Navigation Co., [1927] K.B. 456; Riverstone Meat Company, Pty., Ltd. v. Lancashire Shipping Company, Ltd., [1961] 1 Lloyd's Rep. 57 (H.L.); Amjay Cordage Limited c. Le navire «Marga- rita» (1979), 28 N.R. 265 (C.A.F.); N.V. Bocimar, S.A. c. Century Insurance Co. of Canada (1984), 53 N.R. 383 (C.A.F.); Canadian Brine Ltd. v. The Ship «Scott Mise- ner» and Her Owners, [1962] R.C.É. 441; Cie de Télé- phone Bell c. Le «Mar-Tirenno», [1974] 1 C.F. 294 (lfe inst.); [1976] 1 C.F. 539 (C.A.); Algoma Central Rail way c. Le «Cielo Bianco., jugement en date du 22 novembre 1984, Cour fédérale, Division de première ins tance, T-5213-78, inédit; infirmé en partie à [1987] 2 C.F. 592 (C.A.); Davie Shipbuilding Limited c. La Reine, [1984] 1 C.F. 461 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Canada Rice Mills, Ld. v. Union Marine & General Insurance Co., Ld., [1941] A.C. 55 (P.C.); Wilson, Sons & Co. v. «Xantho' (Owners of Cargo of) (1887), 12 App. Cas. 503 (H.L.); Keystone Transports Limited v. Domi nion Steel & Coal Corporation, Limited, [1942] R.C.S. 495; [1942] 4 D.L.R. 513; 55 C.R.T.C. 221; The Ship .Trade Wind» v. David McNair & Co. Ltd., [1956] R.C.É. 228.
DOCTRINE
Carver's Carriage by Sea, vol. 1, 13° éd., R. Colinvaux. London: Stevens & Sons, 1982.
Tetley, William, Marine Cargo Claims, 2' éd. Toronto: Butterworths, 1978.
AVOCATS:
George R. Strathy et Kristine A. Connidis pour les demanderesses.
S. J. Harrington et P. J. Bolger pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Campbell, Godfrey & Lewtas, Toronto, pour les demanderesses.
McMaster Meighen, Montréal, pour la défen- deresse Baltic Shipping Company.
NOTE DE L'ARRÊTISTE
Les motifs du jugement qui suivent constituent une revue et un exposé utiles des périls de la mer exclus soulevés comme moyen de défense par les propriétaires de navire dans des actions pour la perte d'une cargaison ou pour avaries subies par celle-ci; le directeur général a donc décidé de les publier en omettant cependant les dix-sept premières pages, qui contiennent l'exposé des faits. Ces pages non publiées sont résumées ci-après.
L'action des demanderesses vise à obtenir des dommages-intérêts relativement à la perte en pleine mer d'une cargaison de papier journal. La défenderesse était la propriétaire d'un navire, le Mekhanik Tarasov, qui a sombré dans l'Atlantique Nord pendant une violente tempête d'hiver. Sur les trente-sept membres de l'équipage, trente- deux ont perdu la vie. Selon les demanderesses le navire était innavigable parce que: (1) la cargai- son était mal arrimée; (2) le navire n'était pas équipé pour transporter la cargaison de façon sûre; (3) la conception et la construction des
manches à air du navire étaient défectueuses, de sorte qu'elles se sont brisées au cours du voyage et (4) les systèmes de pompage et de purge étaient insuffisants.
La défenderesse prétend avoir exercé une dili gence raisonnable pour mettre son navire en état de navigabilité. Le navire a essuyé une tempête violente pendant laquelle deux manches à air ont été perdues, ce qui a permis à l'eau d'embarquer, par suite de quoi le navire a sombré en dépit des efforts héroïques faits pour boucher les parties exposées. La demanderesse invoque en consé- quence les périls exclus énumérés au paragraphe 2 de l'article IV des Règles sur les connaisse- ments jointes en annexe à la Loi sur le transport des marchandises par eau.
D'après la preuve, il y avait vingt-deux man- ches à air disposées le long des bordures du pont découvert et du pont du gaillard et les seuls dispositifs de fermeture se trouvaient sur les ponts en question. Ces champignons d'aération n'étaient pas renforcés par des goussets au-des- sus du pont découvert. Pendant la tempête deux champignons d'aération ont été perdus et, en conséquence, l'eau a pu entrer dans les cales.
Certains faits se dégagent de sept radiogram- mes d'urgence que le capitaine du navire a envoyés à la défenderesse à Leningrad et au ministère de la Marine marchande à Moscou. La Cour a considéré ces communications comme des aveux contre intérêt. Il s'agit de descriptions à la fois catégoriques et exactes des événements en question faites par la personne qui était proba- blement la mieux placée pour être bien avertie de la situation.
Un avion de recherche et de sauvetage de Greenwood (Nouvelle-Écosse) s'était rendu à l'endroit se trouvait le navire en détresse et le pilote a fait une offre d'aide. Le Mekhanik Tara- sov a répondu n'en avoir pas besoin. Des photo- graphies prises au moyen d'un appareil photogra- phique à bord de l'avion montrent la violence de la mer et le navire qui gîte fortement à tribord. Le navire a sombré le lendemain.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE PINARD:
Pour en venir maintenant au droit applicable, je
mentionne d'abord les dispositions pertinentes des articles III et IV de l'annexe de la Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970, chap. C-15, à savoir les Règles sur les connaisse- ments (Les Règles de la Haye):
Article III
Responsabilités et obligations
1. Le transporteur sera tenu avant et au début du voyage d'exercer une diligence raisonnable pour:
a) mettre le navire en état de navigabilité;
b) convenablement armer, équiper et approvisionner le navire;
e) approprier et mettre en bon état les cales, chambres froides et frigorifiques et toutes autres parties du navire des marchandises sont chargées pour leur réception, trans port et conservation.
2. Le transporteur, sous réserve des dispositions de l'article IV, procédera de façon appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention, à l'arrimage, au transport, à la garde, aux soins et au déchargement des marchandises transportées.
Article IV
Droits et exonérations
1. Ni le transporteur ni le navire ne seront responsables des pertes ou dommages provenant ou résultant de l'état d'innavi- gabilité, à moins qu'il ne soit imputable à un manque de diligence raisonnable de la part du transporteur à mettre le navire en état de navigabilité ou à assurer au navire un armement, équipement ou approvisionnement convenables, ou à approprier et mettre en bon état les cales, chambres froides et frigorifiques et toutes autres parties du navire des marchan- dises sont chargées, de façon qu'elles soient aptes à la réception au transport et à la préservation des marchandises, le tout conformément aux prescriptions de l'article III, paragraphe premier.
Toutes les fois qu'une perte ou un dommage aura résulté de l'innavigabilité, le fardeau de la preuve en ce qui concerne l'exercice de la diligence raisonnable tombera sur le transpor- teur ou sur toute autre personne se prévalant de l'exonération prévue au présent article.
2. Ni le transporteur ni le navire ne seront responsables pour perte ou dommage résultant ou provenant:
a) des actes, négligence ou défaut du capitaine, marin, pilote ou des préposés du transporteur dans la navigation ou dans l'administration du navire;
e) des périls, dangers ou accidents de la mer ou d'autres
eaux navigables;
d) d'un «acte de Dieu»;
p) de vices cachés échappant à une diligence raisonnable;
q) de toute autre cause ne provenant pas du fait ou de la faute du transporteur ou du fait ou de la faute des agents ou préposés du transporteur, mais le fardeau de la preuve
incombera à la personne réclamant le bénéfice de cette exception et il lui appartiendra de montrer que ni la faute personnelle ni le fait du transporteur ni la faute ou le fait des agents ou préposés du transporteur n'ont contribué à la perte ou au dommage.
Il est également primordial, à ce stade, de se pencher sur la question du fardeau de la preuve. Je considère comme suit le critère approprié applica ble dans les affaires comme celle-ci le contrat de transport est assujetti à la Loi sur le transport des marchandises par eau:
1) Pour commencer, les propriétaires de la cargai- son n'ont qu'à établir leur droit dans la cargai- son, le fait qu'elle n'a pas été livrée dans le même bon état et conditionnement apparent dans lequel elle a été embarquée et la valeur de la cargaison perdue ou endommagée. Si le transporteur n'oppose aucune défense, les demanderesses auront gain de cause.
2) Le transporteur peut alors reporter le fardeau de la preuve sur les demanderesses en établis- sant que la perte ou le dommage résulte de l'un des périls exclus à l'article IV des Règles de la Haye.
3) Les propriétaires de la cargaison doivent alors établir que le transporteur a été négligent ou à la fois que le navire était dans un état d'innavi- gabilité et que la perte tient à cet état d'innavigabilité.
4) Si, compte tenu du contexte de l'innavigabilité, ces points sont établis, le transporteur ne peut se libérer qu'en établissant qu'une diligence raisonnable a été exercée pour mettre le navire en état de navigabilité.
À mon avis, ces principes s'accordent totalement avec les Règles de la Haye pertinentes précitées ainsi qu'avec l'analyse du fardeau de la preuve faite par la Cour suprême du Canada dans deux arrêts de cette nature.
Premièrement, dans l'arrêt Goodfellow (Char- les) Lumber Sales Ltd. c. Verreault et autres, [1971] R.C.S. 522; (1970), 17 D.L.R. (3d) 56, la Cour a dit aux pages 524 R.C.S.; 57 et 58 D.L.R.:
Le contrat de transport en cause était assujetti à la Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1952, c. 291, et l'intimé reconnaît comme il convient qu'en vertu de ce contrat l'appelante n'a qu'à prouver (1) le titre de propriété de la cargaison à la date de la perte; (2) la quantité et la valeur de la
cargaison embarquée; et (3) le défaut de livraison d'une partie de cette cargaison ainsi que la valeur de la cargaison perdue. Cette preuve faite, le voiturier peut se libérer s'il peut prouver que la perte résulte d'un des périls exclus à l'art. IV de l'Annexe à la Loi sur le transport des marchandises par eau. En ce cas, le propriétaire de la cargaison ne peut se faire indemniser que s'il peut être établi que la perte tient à la négligence du voiturier ou à ce qu'il n'a pas exercé une dili gence raisonnable pour que le bâtiment soit en bon état de navigabilité.
Deuxièmement, dans l'arrêt Federal Commerce and Navigation Co. Ltd. c. Eisenerz, [ 1974] R.C.S. 1225 [The «Oak Hill», [1975] 1 Lloyd's Rep. 105], la Cour suprême du Canada a dit aux pages 1230 R.C.S.; 108 Lloyd's Rep.:
Je préfère traiter d'abord de l'allégation d'innavigabilité et, à cet égard, je fais mien le critère énoncé dans Carver's Carriage by Sea, 12e éd., p. 90 (par. 103), il est dit:
[TRADUCTION] L'armateur est responsable de toute perte ou dommage subi par les marchandises, quelle qu'en soit la cause, si le navire n'était pas en bon état de navigabilité lorsqu'il a entrepris sa traversée et si la perte n'aurait pu se produire, sans cette innavigabilité. Pour engager la responsa- bilité de l'armateur, le propriétaire des marchandises doit établir l'existence de ces deux éléments, et ne peut recouvrer des dommages et intérêts pour le seul motif que le navire n'était pas en bon état de navigabilité; il doit également démontrer que la perte ou le dommage a été causé par l'innavigabilité.
Ces principes s'accordent également avec les commentaires faits sur la même question dans Carver's Carriage by Sea, vol. 1, 13" éd., page 154, il est dit:
[TRADUCTION] Fardeau de la preuve. Normalement le far- deau de prouver qu'une perte était le résultat d'un péril exclu incombe à l'armateur qui cherche à se libérer. Ainsi donc, si la question se pose de savoir si l'avarie subie par une cargaison résultait d'un mauvais arrimage ou d'un péril exclu, l'armateur qui invoque l'exclusion doit prouver que l'avarie résultait des périls de la mer. S'il apparaît que deux causes ont contribué à la perte et que seulement l'une d'entre elles est exclue, l'arma- teur doit faire la distinction entre le dommage qui en résultait et celui qui n'en résultait pas.
Mais si la perte résulte apparemment d'un péril exclu, le fardeau de prouver que l'armateur ne peut se prévaloir de l'exclusion pour cause de négligence incombe à celui qui le prétend.
Ayant énoncé les principes pertinents en ce qui concerne le fardeau de la preuve, je vais mainte- nant appliquer le critère approprié à la présente affaire.
En premier lieu, il est clair, selon ce que je comprends, que la défenderesse reconnaît que les
demanderesses ont prouvé leur droit pertinent dans la cargaison de papier journal, que la cargaison a été entièrement perdue avant la livraison pendant qu'elle était à bord du navire de la défenderesse et, en dernier lieu, que la valeur de la cargaison a été suffisamment prouvée.
En effet, le contrat de vente du papier journal conclu entre Kruger et Hesselbacher est attesté par trois factures commerciales en date du 11 février 1982. Le prix de vente total s'élevait à 2 594 300,80 deutsche Marks. Étant donné qu'il s'agissait d'une vente «c.a.f. Hambourg», Kruger avait la responsabilité de prendre les dispositions pour faire transporter la cargaison par eau et pour payer le fret qui était compris dans le prix de vente. Hesselbacher a payé le prix de vente du papier en deutsche Marks, même si le Mekhanik Tarasov a sombré en route entre Trois-Rivières et Hambourg, entraînant la perte totale de la cargai- son. L'assureur-cargaison des demanderesses a dédommagé Hesselbacher. C'est cet assureur qui intente la présente action en vertu de son droit de subrogation. En dernier lieu, comme nous l'avons vu, le contrat de transport de la cargaison est attesté par un bordereau de fret lignes régulières
fait le 28 décembre 1981 Montréal et par un connaissement fait le 4 février 1982 Montréal. Je traiterai plus loin de la question du montant de dommages-intérêts de façon plus détaillée.
Les demanderesses ayant donc réussi à déchar- ger le fardeau initial qui leur incombait, il revenait alors à la défenderesse d'établir que la perte ou le dommage résultait de l'un des périls exclus à l'arti- cle IV des Règles de la Haye.
Je vais donc étudier chacun des périls exclus invoqués par la défenderesse dans son exposé de la défense, à savoir les périls prévus aux alinéas IV (2)a),c),d),p) et q).
ARTICLE IV (2)a)
Au procès, la défenderesse n'a pas essayé de faire la preuve de ce péril exclu. On a plutôt beaucoup insisté sur la formation que reçoivent les officiers et les équipages soviétiques comme le montrent en particulier le témoignage du capitaine Yakovlev, un capitaine au service de Baltic, et le témoignage de Monsieur Sergeev, anciennement premier adjoint au chef des opérations de Baltic
chargé des réclamations relatives aux cargaisons. Rien dans la preuve ne laisse supposer que la défenderesse pouvait, compte tenu des circons- tances, invoquer ce péril exclu avec sérieux et réalisme.
ARTICLE IV (2)c)
Le savant avocat de la défenderesse s'est surtout réclamé des périls de la mer comme ayant été la vraie cause de la perte ou de l'avarie de la cargaison.
Au pays, l'arrêt qui fait autorité sur cette ques tion est l'arrêt Goodfellow (Charles) Lumber Sales Ltd. c. Verreault et autres, [19711 R.C.S. 522; (1970), 17 D.L.R. (3d) 56. Dans cet arrêt, le juge Ritchie, de la Cour suprême du Canada, a exa- miné quelques-unes des principales décisions, y compris des décisions invoquées par la défende- resse en l'espèce la question a été soulevée et on a donné à la signification de l'expression «périls de la mer» diverses nuances. Ces décisions avaient été rendues dans une affaire portant sur une police d'assurance maritime qui couvrait le risque de perte du fait de «périls de mer», savoir Canada Rice Mills, Ld. v. Union Marine & General Insu rance Co., Ld., [1941] A.C. 55 (P.C.); elles por- taient également sur la violation d'un contrat cons- taté par des connaissements, par exemple Wilson, Sons & Co. v. «Xantho» (Owners of Cargo of) (1887), 12 App. Cas. 503 (H.L.).
Le juge Ritchie a établi une nette distinction entre les affaires d'assurance et les affaires concer- nant les connaissements lorsqu'il s'est exprimé ainsi aux pages 529 et 530 R.C.S.; 61 et 62 D.L.R.:
On s'est parfois réclamé de cet énoncé et de certaines autres observations formulées par Lord Wright dans la même affaire, (Canada Rice Mills Ltd., précité), pour soutenir qu'il n'est pas nécessaire que les conditions atmosphériques soient extraordi- naires ou inattendues pour qu'il y ait péril de la mer; je ne crois pas cependant, que le jugement de Lord Wright modifie le principe que dans une affaire concernant un connaissement, pour que soit considérée comme fondée une défense excipant de «périls de la mer», il faut d'abord démontrer que le dommage causé à la cargaison résulte de quelque péril «qu'on n'aurait pu prévoir ou prévenir, comme l'un des incidents probables du voyage». [C'est moi qui souligne.]
En parlant des motifs de jugement de lord Hers- chell dans l'arrêt «Xantho» (Owners of Cargo of),
précité, le juge Ritchie a également dit aux pages 528 R.C.S.; 60 D.L.R.:
C'est sur le passage Lord Herschell dit, dans ses motifs de jugement, que pour constituer un péril de la mer: [TRADUC- TION] «Il faut que survienne un sinistre, quelque chose d'impos- sible à prévoir comme l'un des incidents nécessaires de l'aven- ture», que s'est appuyé, à mon avis, Sir Lyman Duff lorsque, appelé à rendre la décision de cette Cour dans l'affaire Cana- dian National Steamships c. Bayliss ([1937] R.C.S. 261, la page 263; [1937] 1 D.L.R. 545, aux pages 546 et 547), affaire qui concernait un connaissement, il a dit de la défense fondée sur les périls de la mer:
[TRADUCTION] La question soulevée par cette défense était évidemment une question de fait et il incombait aux appelan- tes de prouver que le mauvais temps avait été la cause du dommage et qu'il était tel qu'on n'aurait pu prévoir ou prévenir, comme l'un des incidents probables du voyage, le danger d'avaries à la cargaison que ce mauvais temps comportait.
Le juge Ritchie a ensuite commenté la décision rendue dans l'affaire Keystone Transports, qui a été également invoquée par la défenderesse en l'espèce. Il a dit aux pages 530 à 531 R.C.S.; 62 et 63 D.L.R.:
Dans l'affaire Keystone Transports Limited c. Dominion Steel & Coal Corporation, Limited ([1942] R.C.S. 495; [1942] 4 D.L.R. 513; 55 C.R.T.C. 221), qui portait sur un connaisse- ment, M. le Juge Taschereau après avoir cité un long extrait de la décision Canada Rice Mills a conclu la p. 522) «que pour constituer un péril de la mer, l'accident ne doit pas nécessaire- ment être de nature extraordinaire ni provenir d'une force irrésistible. Il suffit qu'il soit la cause de l'avarie des marchan- dises en mer, par l'action violente du vent et des vagues, pourvu que cette avarie ne puisse être imputable à la négligence de quelqu'un.»
Cependant, moins d'un an plus tard, dans l'affaire Parrish & Heimbecker Limited et al. c. Burke Towing & Salvage Com pany Limited, ([1943] R.C.S. 179; [1943] 2 D.L.R. 193; 55 C.R.T.C. 388) (qui portait aussi sur un connaissement), M. le Juge Kerwin, parlant au nom des mêmes juges qui avaient souscrit à l'avis de M. le Juge Taschereau dans l'affaire Keys tone Transports, a fondé son jugement, en partie, sur l'énoncé de Lord Herschell, soit que, pour qu'il y ait péril de la mer, «il doit se produire quelque chose d'impossible à prévoir comme l'un des incidents nécessaires de l'aventure.» Il a ensuite adopté le critère établi par Sir Lyman Duff dans l'affaire Bayliss.
Je ne crois pas qu'il faille considérer que le jugement de Lord Wright dans l'affaire Canada Rice Mills soit en conflit avec le principe de droit énoncé par Lord Herschell dans The «Xantho», à la page 509:
[TRADUCTION] Il doit s'agir d'un péril «de» la mer. D'autre part, il est bien établi que ces mots ne s'étendent pas à toutes les pertes et tous les dommages dont la mer est la cause immédiate. Par exemple, ils ne s'appliquent pas à l'action naturelle et inévitable des vents et des vagues qui cause ce qu'on peut appeler l'usure.
Le juge Ritchie a souligné l'importance du cri- tère approprié qui doit être adopté en ce qui concerne l'alinéa IV (2)c) des Règles de la Haye lorsqu'il a mentionné un autre arrêt et a dit aux pages 531 R.C.S.; 63 D.L.R.:
Le critère que Sir Lyman Duff a adopté dans l'affaire Bayliss a été repris par cette Cour dans N. M. Patterson and Sons Limited c. Mannix Limited, ([1966] R.C.S. 180, à la page 188; 55 D.L.R. (2d) 119, à la p. 126), il est dit, à propos d'un navire qui avait transporté des marchandises qui s'étaient perdues à la mer:
[TRADUCTION] À mon avis, d'après la preuve qu'on a présen- tée, les conditions atmosphériques auxquelles a fait face le Wellandoc le 9 décembre, quoique mauvaises, étaient de nature à pouvoir être prévues, par un capitaine d'expérience, comme un incident probable d'un tel voyage à cette épo- que-là de l'année. [C'est moi qui souligne.]
Pour finir, le juge Ritchie a résumé son opinion en ces termes aux pages 535 R.C.S.; 66 D.L.R.:
Comme je l'ai déjà dit, je suis d'avis qu'en invoquant l'art. 4(2)(c) de l'Annexe à la Loi sur le transport des marchandises par eau et en excipant des périls de la mer, les intimés ont assumé le fardeau de démontrer que le mauvais temps avait été la cause du dommage et qu'il était tel qu'on n'aurait pu prévoir ou prévenir, comme l'un des incidents probables du voyage, le danger d'avaries à la cargaison qu'il remportait. Je crois qu'en l'espèce, le dommage subi par la cargaison tient à ce que la coque n'était pas assez solide pour résister au mauvais temps qui sévissait à 1900 heures, le 10 juin. L'entrée de l'eau, à partir de ce moment, a augmenté à mesure que le temps empirait, mais je ne suis pas convaincu que les témoignages présentés par les intimés et, en particulier, celui du capitaine, prouvent que la perte résulte des «périls de la mer».
Selon ce que je comprends, ces derniers com- mentaires du juge Ritchie, lorsqu'ils sont lus dans le contexte de l'ensemble de la décision, veulent simplement dire qu'en ce qui concerne le dommage subi par la cargaison transportée par un navire, les périls de la mer énoncés à l'alinéa IV (2)c) des Règles de la Haye doivent être des périls qu'on n'aurait pu prévoir ou prévenir comme l'un des incidents probables du voyage projeté.
Pour en venir maintenant à la preuve présentée en l'espèce, les quatre survivants qui ont témoigné pour le compte de la défenderesse ont tous décrit ce qu'ils ont vu et ce qu'ils ont pensé de la tempête très violente que le Mekhanik Tarasov a affrontée entre le début de la soirée du 14 février 1982 et 5 h 30, temps-navire, le 16 février 1982.
Le quatrième mécanicien a rapporté que pen dant son quart qui a commencé à 20 h, temps- navire, le 14 février pour se terminer quatre heures
plus tard, il avait d'abord remarqué un très fort roulis symétrique et qui, à certains moments for- çait l'aiguille du clinomètre à dériver à chaque extrémité de l'échelle qui s'arrête à 55 degrés. Il a expliqué qu'il avait eu l'occasion de regarder à l'extérieur, peu de temps après 7 h, temps-navire, le 15 février, et qu'il avait vu une mer terrifiante dont les vagues engloutissaient presque constam- ment le navire. Il a dit avoir remarqué que le navire prenait une gîte de 30 à 40 degrés à tribord et a décrit un roulis qui était devenu asymétrique et quelque peu plus calme. Il a déclaré qu'après 12 h, temps-navire, le 15 février, le roulis était plus calme et que l'aiguille du clinomètre n'avait dérivé complètement que du côté tribord, par suite de la gîte du navire. Voici comment il a décrit le roulis: il était d'abord plus rapide, puis plus lent et à la fin, le navire ne s'est plus relevé pour se porter vers bâbord en raison de la gîte à tribord.
Le troisième mécanicien a déclaré que pendant son quart qui a duré de 0 h à 4 h, temps-navire, le 15 février, le navire roulait fortement entre 45 et 55 degrés et que le roulis était alors symétrique. Il a indiqué qu'au début, il pensait que le roulis était un peu plus prononcé vers bâbord, mais que vers la fin de son quart, il s'était développé une gîte vers tribord. Il a ensuite parlé de son quart suivant, qui a eu lieu de 12 h à 16 h, temps-navire, le 15 février, et a décrit un fort roulis vers tribord atteignant environ 45 degrés, et allant même au- delà de l'échelle du clinomètre; il a déclaré que le navire ne se relevait plus au-delà de la verticale vers bâbord. Il a ajouté que plus tard ce jour-là, à 23 h, temps-navire, la gîte était devenue encore plus prononcée, le roulis était toujours fort; le navire gîtait sur son côté droit, reprenait lentement la verticale et donnait encore de la gîte à tribord.
De son côté, le chef mécanicien a indiqué que le gros roulis a commencé subitement à un certain moment entre 20 h et 24 h, temps-navire, le 14 février. Il a ajouté que quelque temps avant 4 h, temps-navire, le 15 février, on pouvait sentir une gîte à tribord; il a confirmé que vers 7 h, temps- navire, le navire donnait sérieusement de la gîte à tribord et que le roulis était tel que le navire ne se relevait pas à la verticale vers bâbord. Quant au tangage, il a indiqué avoir eu l'impression qu'il n'était pas important. Il a remarqué, dans les derniers moments, juste avant de quitter le navire,
alors que la mer était toujours très agitée, que la gîte importante vers tribord avait commencé à se corriger alors que la proue du navire s'enfonçait graduellement dans l'eau.
Le dernier membre de l'équipage à témoigner était le deuxième lieutenant. Il a déclaré que lors- qu'il avait commencé son troisième quart le 15 février à 0 h, temps-navire, le temps était mauvais. Il a indiqué que le cap du navire était dans la même direction que le vent et les vagues qui venaient de l'arrière. Il a décrit un gros roulis symétrique de quarante-cinq degrés et a expliqué que le navire avait délibérément pris une direction qui permettait aux vagues et au vent de venir directement de l'arrière. Il a ensuite dit que pen dant la première moitié de son quart, le roulis était un peu plus prononcé vers bâbord d'environ cinq degrés, que vers la fin de son quart, à 4 h, temps- navire, le 15 février, le roulis avait augmenté; il était d'environ cinquante degrés vers bâbord, alors que l'aiguille du clinomètre dérivait au-delà de l'échelle vers tribord. Il a déclaré que le navire avait commencé à rouler beaucoup plus vers tri- bord au milieu de son quart aux environs de 2 h. Lorsqu'il a commencé son quatrième quart à 12 h, temps-navire, le 15 février, il a décrit un vent et des vagues venant par tribord devant, à quelque trente degrés. Il a dit qu'il y avait des vagues très hautes d'environ quinze mètres et des vents de
force 11 12, l'échelle Beaufort. Il a dit que le navire se dirigeait alors vers le sud-ouest. Il a dit enfin que dans l'après-midi du 15 février, le navire était couché sur le côté droit, la gîte étant fixe à environ vingt-cinq degrés. Il a décrit un roulis dont l'amplitude dépassait l'échelle vers tribord et a indiqué que le navire ne se relevait plus au-delà de la verticale vers bâbord.
Le commandant Maurice R. Morgan, expert- conseil en météorologie, a témoigné en qualité d'expert en météorologie marine et en océanogra- phie appliquée. Ses titres dans ce domaine sont très impressionnants. Il a été appelé par la défen- deresse et son témoignage constitue le seul témoi- gnage d'expert qui a été donné sur les conditions atmosphériques.
Ayant généralement fait les suppositions appro- priées concernant les mouvements du navire entre son départ du port de Trois-Rivières et le moment du naufrage le 16 février 1982, et se fondant
également sur les données météorologiques et océanographiques appropriées et sur les produits informatiques se rapportant à la même période, le commandant Morgan est arrivé à la conclusion suivante: la tempête extrêmement violente qui est alors passée dans les parages du Mekhanik Tara- sov a provoqué par moments des vents de 50 à 70 noeuds (force 12, à l'échelle Beaufort) avec des houles caractéristiques produisant des vagues importantes de 10 ou 11 mètres, qui atteignaient parfois une hauteur maximum de 18 mètres. Ce témoignage semble s'accorder avec les diverses descriptions données par les membres de l'équi- page qui ont survécu et, de fait, avec les radio- grammes du capitaine.
En ce qui concerne maintenant la fréquence de tempêtes semblables dans la région, le comman dant Morgan a exprimé l'opinion que de telles tempêtes se produisent environ trois fois tous les dix ans. Il se fondait sur l'étude intitulée «Concord Scientific Corporation Study» déposée en preuve sous la cote D-34. Cette étude s'était penchée sur 125 tempêtes violentes, définies comme des tempê- tes de force 10 ou plus, à l'échelle Beaufort, qui se sont produites au large de la côte est du Canada de 1957 à 1983. J'ai pris connaissance de ce docu ment et j'ai remarqué qu'en fait, selon son annexe A, pendant les 37 années entre 1946 et 1983, il y avait eu au-delà de 1000 périodes de tempêtes de cette nature. L'auteur a fait une distinction entre «périodes de tempêtes» et tempêtes individuelles en expliquant qu'une période de tempête peut résulter de plus d'une tempête individuelle, si une tempête «talonne» une autre, et qu'il est possible que plu- sieurs périodes de tempêtes consécutives soient causées par une seule tempête. Il a également expliqué que pour un grand nombre des 125 tem- pêtes individuelles décrites dans son étude, la vitesse maximum du vent signalée a été obtenue du Journal du temps à l'intention des marins, alors que les périodes de tempêtes ont été obtenues des données d'excédante du vent du MAST. Compte tenu de tout cela, j'ai conclu que même si des vents de force 12 environ, à l'échelle Beaufort (64-71 noeuds), étaient moins fréquents que les vents de force 11 (56-63 noeuds) et 10 (48-55 noeuds), ils n'étaient pas du tout inusités et, de fait, des tempê- tes plus violentes se produisaient un peu fréquem- ment dans cette région pendant la période visée par l'étude.
J'ai également étudié l'une des sources de don- nées utilisées par le commandant Morgan, soit une étude réalisée par William G. Richards pour la Commission Royale sur le désastre marin de l'Ocean Ranger et intitulée «Weather Conditions Experienced by the Ocean Ranger, November 1980 -February 15, 1982». Il est intéressant de remarquer que cette étude déposée en preuve sous la cote P-72 a conclu à la page 12 comme suit:
La tempête des 14 et 15 février 1982 sur les Grands bancs a été dure. Mais si l'on juge d'après les données sur les trajectoires des tempêtes (Figure 10), sur les vents extrêmes (Tableaux 4 et 5) et la discussion dans la section 1.2, cette tempête était un exemple typique des dures tempêtes hivernales que connaissent les Grands bancs. Tout porte à croire que des tempêtes sembla- bles se sont déjà produites dans le passé et se produiront sans doute dans l'avenir. [C'est moi qui souligne.]
Au cours de son contre-interrogatoire, le com mandant Morgan a confirmé que l'Atlantique nord est très bien connu pour ses tempêtes sauvages, surtout pendant l'hiver, et que leur fréquence dans cette région était très bien connue des marins. Il a indiqué que le Mekhanik Tarasov aurait pu, s'il avait été équipé comme les navires affectés à la navigation maritime aujourd'hui, être renseigné sur la tempête trente-six heures avant qu'elle ne se déclare.
D'autres témoins qui connaissent bien les condi tions atmosphériques qui se produisent générale- ment dans l'Atlantique nord en hiver ont été égale- ment entendus sur cette question.
Le deuxième lieutenant a témoigné que lors de son avant-dernière traversée en direction ouest, soit d'Europe jusqu'en Amérique du Nord, le Mekhanik Tarasov avait également affronté une violente tempête dont les vents atteignaient la force 12, l'échelle Beaufort, et les houles de plus de neuf mètres. De fait, le capitaine Bylkin a déposé un rapport de mer daté du 27 janvier 1982 dans lequel il a écrit:
[TRADUCTION] Au cours de la traversée de l'océan Atlantique, du 18 au 26 janvier, le navire a affronté des vents forts, un temps orageux et une grosse mer, même une violente tempête dont la force atteignait 12, à l'échelle Beaufort le 23 janvier, faisant bourlinguer, fatiguer, tanguer et rouler violemment le navire.
Le capitaine Walker, capitaine d'expérience qui a travaillé pour C.P. Ships avant de devenir gar- dien de port à Montréal, a témoigné que la route de l'Atlantique nord est bien connue pour ses très mauvaises conditions atmosphériques, surtout pen-
dant les mois d'hiver, de septembre à avril, janvier et février étant les pires mois. Il a par conséquent reconnu que les navires doivent s'attendre à affron- ter de très mauvaises conditions atmosphériques à ce moment de l'année et qu'un capitaine compé- tent doit s'assurer que la cargaison est bien assu- jettie pour éprouver ces «extrêmes».
Le capitaine Yakovlev a dit qu'il connaissait la route de l'Atlantique nord et a reconnu qu'on doit s'attendre à du très gros temps en hiver.
Monsieur Doust, architecte naval qui a donné un témoignage d'expert pour le compte des deman- deresses, a dit qu'il avait lui-même affronté un temps de force 12, l'échelle Beaufort, dans l'At- lantique nord, qu'il a décrit comme une traversée notoirement difficile.
En dernier lieu, Monsieur Henshaw, capitaine au long cours et expert maritime qui a également donné un témoignage d'expert pour le compte des demanderesses, a mentionné sa propre expérience dans l'Atlantique nord, acquise pendant qu'il était dans la marine. Il a témoigné que le temps affronté par le Mekhanik Tarasov n'était pas anormal pour l'Atlantique nord en hiver et que les conditions atmosphériques extrêmes qu'on peut s'attendre à rencontrer dans cette région comporteraient des
vents de force 12, l'échelle Beaufort, et des houles de 60 pieds.
Il ressort de tous ces témoignages, études et documents que le temps affronté par le Mekhanik Tarasov n'était pas anormal pour l'Atlantique nord en hiver. En fait, je suis convaincu que la preuve montre clairement que la tempête était prévisible comme un incident probable du voyage. Par ailleurs, comme la trajectoire et l'intensité de cette tempête avaient été prévues avec beaucoup d'exactitude et bien à l'avance, et étant donné que le Mekhanik Tarasov avait également accès à cette information, je conclus que la tempête avait été effectivement prévue.
De fait, dans sa déclaration, le capitaine Morgan a confirmé que les navires en transit entre le golfe du Saint-Laurent et l'Europe, passant par les eaux côtières de Terre-Neuve, ont générale- ment accès à deux services d'information météoro- logique. Il a indiqué qu'il s'agit du service d'infor- mation U.S. National Weather Service fourni par Washington (KWBC), qui diffuse le Western
Atlantic Gale and Storm Warning Service et du Service des prévisions météorologiques maritimes diffusé par le Service de l'environnement atmos- phérique du Canada, Centre météorologique de Terre-Neuve, à Gander, pour les eaux côtières de Terre-Neuve.
En ce qui concerne cette tempête en particulier, le commandant Morgan a alors procédé à l'exa- men de sa trajectoire, de sa vitesse et de son intensité. Il semble qu'on a d'abord déterminé que la tempête présentait un danger possible pour la navigation au large de la côte est du Canada vers 2200Z (3 heures plus tard que le temps-navire) le 12 février 1982, et que par la suite, et notamment à partir de 1200Z le 13 février, on avait prévu avec beaucoup d'exactitude la trajectoire, la vitesse et l'intensité de la tempête, y compris des vents de 50 à 70 nœuds (ce qui s'est en fait produit). Il semble également que ces prévisions météorologiques avaient été diffusées à l'intention de la marine marchande avant que le Mekhanik Tarasov ne dépasse les parages de Cape Race, sur la côte sud-est de Terre-Neuve, le capitaine Bylkin aurait pu s'abriter s'il l'avait jugé nécessaire.
Le capitaine Yakovlev a confirmé que le Mek- hanik Tarasov était muni de systèmes modernes d'information météorologique qui lui permettaient de recevoir les prévisions météorologiques d'U.R.S.S., des Etats-Unis d'Amérique et du Canada. Il a ajouté que le capitaine avait accès à toute cette information. Au procès, le deuxième lieutenant a également confirmé que le capitaine Bylkin était au courant de la tempête qu'affronte- rait le navire dans la soirée du 14 février 1982.
À mon avis, il est bien établi par la preuve que même si les conditions atmosphériques affrontées par le Mekhanik Tarasov étaient sans doute diffi- ciles, ce que les demanderesses reconnaissent bien, ces conditions étaient en fait prévisibles comme un incident probable du voyage et auraient pu même être prévenues. À tout le moins, il est abondam- ment évident que les conditions atmosphériques auraient pu et auraient être prévues et qu'elles auraient pu être prévenues.
Par conséquent, ce qui doit être pris en considé- ration ici, ce n'est pas tant l'intensité de la tempête que le fait qu'elle aurait pu être prévue ou préve- nue comme un incident probable de la traversée
projetée de l'Atlantique nord, à cette période de l'année. De plus, il se peut fort bien que la perte de la cargaison tient à ce que les manches à air n'étaient pas assez solides pour résister au mauvais temps qui sévissait entre le début de la soirée le 14 février et 8 h 20, temps-navire, le 15 février 1982. Pour savoir si, en fait, les manches à air étaient assez solides pour résister au mauvais temps qui sévissait à ce moment, il m'est maintenant possible d'aller plus loin et d'analyser minutieusement la preuve en ce qui concerne la question litigieuse de la conception et de la construction des manches à air. Mais je ne crois pas que cela soit nécessaire à ce stade. Il suffit que je ne sois pas convaincu, et je ne le suis pas, que la preuve présentée par la défenderesse, dans ce cas particulier, l'acquitte du fardeau de prouver que la perte de la cargaison résulte des conditions atmosphériques et que, dans les circonstances, ces conditions atmosphériques n'auraient pas pu être prévues ou prévenues comme un incident probable du voyage.
ARTICLE IV (2)d)
Dans Carver's Carriage by Sea, vol. 1, 13e éd., il est dit à propos de l'expression «acte de Dieu», à la page 11:
[TRADUCTION] ... il doit s'agir d'un événement que l'armateur n'aurait pas pu éviter ou prévenir par n'importe quel moyen qu'il serait raisonnable de s'attendre qu'il utilise.
Dans le même volume de Carver's Carriage by Sea, il est également dit à la page 163:
[TRADUCTION] L'exception relative aux périls de la mer couvre en partie le même terrain que celle relative aux actes de Dieu. D'une part, cependant, elle ne s'applique qu'à une catégo- rie limitée de causes naturelles et, d'autre part, ainsi que nous le verrons, elle comprend parfois des pertes résultant en partie du fait ou de la négligence de l'homme. Dans cette dernière perspective, donc, elle est plus générale que l'exception relative aux actes de Dieu.
Ici encore, rien dans la preuve ne laisse supposer que la défenderesse pourrait sérieusement et avec réalisme invoquer ce péril exclu, sauf en l'assimi- lant aux «périls de la mer». Au procès, la défende- resse n'a pas tenté de prouver une force irrésistible autre que la force qu'elle attribue à la tempête affrontée par le Mekhanik Tarasov. Comme je viens de conclure que la preuve établit que la tempête était non seulement prévisible, ce qui aurait été suffisant, mais qu'elle a été effective- ment prévue et aurait pu être prévenue, il est clair
par conséquent qu'elle ne pouvait constituer une force irrésistible ou un acte de Dieu.
ARTICLE IV (2)p)
Lorsqu'elle a invoqué «de(s) vices cachés échap- pant à une diligence raisonnable», la défenderesse, par l'intermédiaire de son avocat, a insisté sur la distinction qu'il y a lieu de faire entre vices de conception et vices de construction même des man- ches à air du navire. La défenderesse a alors insisté de nouveau sur le fait que les manches à air avaient été très bien conçues et que s'il y avait des vices, ceux-ci devaient se rapporter à leur cons truction même.
En effet, comme on le dit dans Carver's Car riage by Sea, vol. 1, 13e éd., à la page 540, l'expression «vice caché» ne comprend pas les vices de conception.
Dans Marine Cargo Claims de William Tetley, 2e éd., à la page 239, on dit que l'une des célèbres définitions de vice caché est la suivante:
[TRADUCTION] ... »un défaut que ne pourrait découvrir une personne experte utilisant des précautions normales».
Cette définition a été également énoncée dans Carver's Carriage by Sea, vol. 1, 13' éd., à la page 382, et a été citée dans Dimitrios N. Rallias (Part Cargo ex) (1922), 13 LI. L. Rep. 363 (C.A.), à la page 366, et dans Minister of Materials v. Wold Steamship Company, Ltd., [ 1952] 1 Lloyd's Rep. 485 (Q.B.), à la page 501.
Marine Cargo Claims de Tetley (précité), à la page 239, définit également l'expression, «vice caché» comme suit:
[TRADUCTION] ... un vice dont on ne peut vraiment s'attendre à ce qu'il soit découvert par suite d'un examen compétent, effectué selon les normes contemporaines du métier.
En ce qui a trait au fardeau de la preuve, je suis d'avis qu'en invoquant ce péril exclu, le transpor- teur doit prouver a) que le vice existait, b) qu'il a causé la perte et c) qu'il échappait à une diligence raisonnable qui a été effectivement exercée.
Pour en venir à la preuve en l'espèce, le Mekha- nik Tarasov a été conçu et construit par Hollming Oy, en Finlande, parmi un groupe de cinq navires- jumeaux, y compris le Mekhanik Yevgrafov appartenant également à Baltic. La construction
du Mekhanik Tarasov s'est terminée en 1976 et celle du Mekhanik Yevgrafov, en 1977.
Ainsi que l'a expliqué Monsieur Sergeev, le contrat d'achat du Mekhanik Tarasov a été conclu entre Sudoimport, société d'État soviétique consti- tuée pour acheter des navires à l'étranger, et Hollming Oy. Sudoimport n'a jamais vraiment exploité le navire, qui a été affecté à Baltic par le ministère soviétique de la Marine marchande, qui avait décidé de le faire construire. À l'achèvement de la construction en 1976, le navire a été immé- diatement remis à Baltic.
La défenderesse a produit un certain nombre de dessins du navire montrant la conception et la construction du système de ventilation des cales à marchandises et, en particulier, des manches à air numéros 2 et 4, qui ont été perdues.
La preuve d'expert sur la question de la concep tion et de la construction des manches à air a été présentée par Monsieur David Doust, qui a été appelé par les demanderesses et par Monsieur Raymond Daoust, qui a été appelé par la défenderesse.
Monsieur David Doust, architecte naval d'expé- rience et hautement qualifié, a exprimé l'opinion que les manches à air qui se sont brisées au cours du voyage n'avaient pas été bien conçues et cons- truites, en ce qu'elles n'avaient pas été spéciale- ment renforcées par des supports ou des goussets pour leur permettre de résister au vent et aux poussées des vagues qu'on peut s'attendre à affron- ter au cours de ces voyages dans les conditions hivernales qui prévalent dans l'Atlantique nord. Selon lui, la conception des manches à air souffrait d'un vice inhérent aux alentours de 230 millimè- tres au-dessus du pont découvert, la bague de remplissage de 10 millimètres d'épaisseur avait été soudée au corps du puits de ventilation. Il a ajouté qu'à cette hauteur, il y avait une réduction mar- quée dans l'épaisseur du mur, entraînant une dis- continuité dans la contrainte. À son avis, «cette structure était une cause certaine de désastre».
Ainsi que l'ont si bien résumé les demanderesses dans leur mémoire, Monsieur Doust a témoigné que des goussets, ou d'autres moyens de support semblables au-dessus du pont, tels qu'un bourrelet ou des entretoises, étaient nécessaires pour soute- nir convenablement les surbaux des manches à air
au-dessus du pont et résister aux forces qui s'exer- ceraient sur les manches à air au cours de voyages semblables à la dernière traversée de l'Atlantique nord à la mi-hiver. Selon ses calculs, la manche à air numéro 2 risquait de se briser lorsque la force
atteignait 10, l'échelle Beaufort, alors que la manche à air numéro 4 risquait de se briser lors- que la force était légèrement inférieure à 11, à l'échelle Beaufort. Monsieur Doust a souligné le fait que la «bague de renfort» et des goussets ou des attaches en dessous du pont, constitueraient de très bonnes garnitures ou attaches de la manche à air au pont, mais ne feraient rien pour soutenir le surbau de la manche à air au-dessus du pont et, en particulier, au niveau de la ligne de soudure et au-dessus de celui-ci. Il a témoigné qu'à son avis, la perte des manches à air a été causée par l'ab- sence de ces renforts. Il a également témoigné qu'à son avis, alors que les manches à air risquaient de se briser au delà de la force 10, l'échelle Beau- fort, pendant que le navire était en position verti- cale, elles étaient vingt fois plus susceptibles de se briser si le navire gîtait à tribord. Leur faiblesse fondamentale serait aggravée par une telle gîte et, à son avis, c'était la suite probable des événe- ments. Il a finalement souligné que les surbaux des manches à air étaient plus vulnérables parce qu'ils étaient situés à l'extrémité avant du pont décou- vert, endroit reconnu comme foyer de grande contrainte.
De son côté, Monsieur Raymond Daoust, archi- tecte naval lui aussi, a exprimé son avis sur la question de l'efficacité de la conception et de la construction des manches à air et a déclaré que «les bases des manches à air étaient bien fixées au pont comme elles étaient comprises dans la bague de renfort du pont, tel que l'exige le règlement». Au procès, il a expliqué que la bague de renfort augmentait la résistance du pont à l'endroit on avait pratiqué une ouverture pour placer le surbau de la manche à air et qu'en association avec les renforts en dessous du pont, elle devenait partie intégrante de la structure même du pont et, par conséquent, retenait convenablement les manches à air.
Par ailleurs, Monsieur Daoust a reconnu que cette pratique «n'était pas toujours courante au Canada le renfort prend souvent la forme de goussets soudés au pont». Il est allé plus loin et a
même reconnu que la pratique qui consiste à ren- forcer ces manches à air avec des goussets est une pratique généralement acceptée. Il a indiqué que la hauteur des goussets qu'il avait vus se situait géné- ralement entre quinze pour cent et vingt-cinq pour cent de la hauteur du surbau de la manche à air. Ces goussets sont beaucoup plus bas que ceux qui ont été suggérés au procès par Monsieur Doust, l'expert des demanderesses, et qui, selon Monsieur Daoust, en raison de leur taille et de leur forme, exposaient les surbaux des manches à air à une contrainte encore plus élevée exercée par les pous- sées des vents et de la mer. Néanmoins, il est remarquable que les goussets plus courts mention- nés par Monsieur Daoust auraient tout au moins dépassé le point de soudure des manches à air du Mekhanik Tarasov. Cela devient encore plus important lorsqu'on tient compte de la déclaration de Monsieur Daoust selon laquelle, si les manches à air étaient affectées d'un vice, il se rapporterait plus probablement à la construction même des manches à air et se situerait au point de soudure ou au point il y avait des attaches telles que les collerettes et les boulons d'assemblage situés juste au-dessus du point de soudure. Pour finir, Mon sieur Daoust a convenu que les manches à air seraient plus susceptibles de se briser si le navire gîtait à tribord que s'il roulait en position verticale.
À mon avis, la preuve présentée par la défende- resse est loin d'être concluante quant à l'existence d'un vice spécifique propre dans les manches à air et, en fait, quant à savoir si un tel vice aurait causé leur perte ainsi que la perte de la cargaison. En réalité, la défenderesse a plutôt tenté d'établir que le Mekhanik Tarasov était «en état de navigabilité à tous égards», ainsi qu'elle le prétend dans son exposé de la défense, et que les manches à air étaient libres de tout vice. Je ne vois aucune raison impérative de préférer la preuve de la défenderesse à celle de la demanderesse, surtout lorsque le témoin expert de la défenderesse, bien que qualifié, était en fait, et semblait être beaucoup moins expérimenté que le témoin expert de la demande- resse. En outre, à mon avis, l'opinion de Monsieur Doust concernant le renfort nécessaire au-dessus du pont, dans les circonstances, s'accorde mieux avec les règles et les règlements pertinents les mieux connus en matière de construction et de classification des navires de mer et des navires en acier, y compris les navires relevant de la société de classification soviétique:
1) Le Lloyd's Register of Shipping (édition de 1984 des Règles, partie 3) impose une règle pertinente d'application générale ainsi que des exigences précises (chapitre 12, section 2):
[TRADUCTION] 2.1 Généralités
2.1.1 Une attention particulière doit être prêtée à la conception et à l'emplacement des ouvertures et des surbaux des manches à air, particulièrement dans la partie de l'extrémité avant des superstructures et dans les autres foyers de forte contrainte. Le bordé du pont à la hauteur des surbaux doit être efficacement raidi.
Les dispositions précises figurent au tableau 12.2.1. L'une d'elles exige que les surbaux des manches à air ayant une hauteur supérieure à 900 millimètres soient soutenus d'une «façon spéciale».
Dans son édition de 1967 des Règles (chapitre D), la même société de classification exigeait à l'article 2405 que le bordé du pont à la hauteur des surbaux des manches à air fut efficacement raidi entre les barrots ou les éléments longitu- dinaux. En outre, l'article 2402 exigeait que les surbaux des manches à air ayant une hauteur supérieure à trente-six pouces fussent «soutenus et fixés en place d'une façon spéciale».
2) L'American Bureau of Shipping (édition de 1972 des Règles, section D) impose la règle suivante:
[TRADUCTION] 20.9.1 Construction des surbaux
Les surbaux doivent être efficacement et convenablement fixés en place à un bordé de pont ayant une épaisseur suffisante; le bordé du pont doit être convenablement raidi. Les surbaux qui ont une hauteur supérieure à 900 mm (35,5 pouces) et qui ne sont pas soutenus par des éléments adjacents de la structure doivent être munis de renforts et d'attaches additionnels. Les manches à air traversant les superstructures autres que les superstructures fermées doivent avoir des surbaux en acier solidement construits au pont de franc-bord.
3) Le Bureau Veritas (édition de 1975 des Règles) impose à l'article 24 (page 328) l'exigence qui suit:
[TRADUCTION] 24—Les surbaux des manches à air doivent être solidement fixés au pont. Les surbaux ayant une hauteur supérieure à 900 millimètres doivent être soutenus par des goussets ou être convenablement raidis.
4) Le Det Norske Veritas (édition de 1977 des Règles) prévoyait à la section G, article 203, que le bordé du pont à la hauteur des ouvertu- res pratiquées dans le pont et destinées aux surbaux des manches à air eût une épaisseur suffisante et fût efficacement raidi entre les
barrots ordinaires ou les éléments longitudi- naux. En outre, l'article 202 exigeait que les surbaux ayant une hauteur supérieure à 900 millimètres fussent munis de «renforts addition- nels».
5) L'U.S.S.R. Register of Shipping (édition de 1974 des Règles, vol. 1, partie II) impose les règles suivantes:
[TRADUCTION] 2.7.10.2 Lorsque l'épaisseur du bordé du pont est inférieure à 10 mm, il doit être soudé à la hauteur du surbau, une plaque dont l'épaisseur est au moins égale à 10 mm et la longueur et la largeur au moins égale à deux fois le diamètre ou deux fois la longueur du côté le plus long du surbau; sinon une plaque de doublage de 10 mm ayant la même grandeur linéaire susmentionnée doit être fixée.
2.7.10.3 Lorsque la hauteur du surbau de la manche à air est supérieure à 0,9 m et que le surbau n'est pas soutenu par les éléments adjacents de la structure de la coque, le surbau doit être fixé au pont par des goussets.
En fait, j'estime que la prépondérance de la preuve établit plutôt qu'un vice de conception, qui n'avait pas prévu de goussets ou de renfort spécial pour les surbaux des manches à air au-dessus du pont découvert du navire, rendait les manches à air particulièrement vulnérables au genre de condi tions atmosphériques affrontées par le Mekhanik Tarasov.
Du reste, la seule preuve présentée par la défen- deresse et qui peut être rattachée aux vices cachés a été présentée par Monsieur Daoust lorsqu'il a plus ou moins présumer leur existence. De fait, c'était lorsque, ainsi qu'il a été indiqué, il a men- tionné la construction même des manches à air et le point de soudure ou le point étaient fixées les attaches juste au-dessus du point de soudure sur les surbaux des manches à air.
Je ne crois pas que la défenderesse ait vraiment jamais tenté de faire la preuve de l'existence d'un vice caché donné. J'avais l'impression que la défen- deresse voulait plutôt compter simplement sur la possibilité d'inférer l'existence d'un vice caché de la preuve si l'innavigabilité était établie.
De toute façon, il est évident que la défenderesse n'a pas réussi à prouver l'existence d'un vice qui aurait pu constituer un vice caché au sens de l'alinéa IV (2)p) des Règles de la Haye. Par conséquent, il ne sera pas nécessaire, à cette étape, d'examiner tout autre aspect relié à ce péril exclu
afin de conclure que la défenderesse n'a pas réussi à le prouver.
ARTICLE IV ( 2 )q)
Selon la preuve établie, il est évident à mon avis que la défenderesse n'a pas réussi à décharger le fardeau de la preuve que cette disposition lui impose. Qu'il me suffise de mentionner mon ana lyse des faits dans les présents motifs pour con- clure que la défenderesse n'a manifestement pas réussi à établir l'existence de «toute autre cause ne provenant pas du fait ou de la faute du transpor- teur ou du fait ou de la faute des agents ou préposés du transporteur». Elle ne peut donc invo- quer avec succès cette exception.
La défenderesse n'ayant pas pu établir que la perte de la cargaison résulte de l'un des périls exclus à l'article IV des Règles de la Haye, je vais maintenant aborder la question de savoir si la défenderesse a exercé une diligence raisonnable pour mettre le Mekhanik Tarasov en état de navigabilité «avant et au début du voyage».
L'un des trois témoins qui ont témoigné sur cette question est Monsieur Pankrantiev, vice-inspecteur en chef du U.S.S.R. Register of Shipping pour la région maritime désservie par Baltic, en poste à Leningrad. Il a témoigné que le Mekhanik Tara- sov possédait les certificats de classification perti- nents délivrés par l'U.S.S.R. Register of Shipping. Il les a déposés en preuve. Il a également témoigné que le navire avait été construit conformément aux règles de l'U.S.S.R. Register of Shipping et sous la surveillance de celui-ci. Il a exprimé l'opinion selon laquelle les manches à air remplissaient les exigen- ces du U.S.S.R. Register of Shipping car, même si elles n'étaient pas fixées au moyen de goussets, elles étaient «soutenues par les éléments adjacents de la structure de la coque» savoir le bordé en-des- sous du pont du navire. En grande partie, il fondait cette opinion sur l'inspection de la manche à air numéro 4 du navire-jumeau le Mekhanik Yevgra- fov qu'il a faite avant de venir au Canada pour le procès. En fait, il n'a jamais inspecté la construc tion de la partie des manches à air du Mekhanik Tarasov qui se trouvait en-dessous du pont. La preuve indique également qu'après le naufrage du Mekhanik Tarasov les manches à air du Mekha- nik Yevgrafov ont été renforcées en ajoutant aux collerettes des goussets métalliques en forme de C ou de D «pour une plus grande sécurité».
Monsieur Pankrantiev a expliqué que pour se conformer aux règles de l'U.S.S.R. Register of Shipping, un navire doit être minutieusement ins pecté une fois tous les quatre ans. Il a ajouté qu'un navire devait aussi subir une inspection externe une fois par an et des «inspections spéciales» selon les circonstances. Pour ce qui est du Mekhanik Tarasov, Monsieur Pankrantiev a déposé les certi- ficats d'inspection pertinents et a confirmé que le navire avait subi l'inspection quadriennale en jan- vier 1980 ainsi que les inspections annuelles, la dernière ayant eu lieu en février 1981. Celle-ci était la seule inspection à laquelle le témoin a personnellement pris part. La seule inspection des manches à air dont le témoin pouvait parler en connaissance de cause était l'inspection visuelle externe qui a eu lieu au cours de l'inspection annuelle de février 1981. À cette occasion, on n'avait remarqué aucun dommage.
En ce qui concerne ce témoignage, j'accepte les prétentions des demanderesses selon lesquelles 1) Monsieur Pankrantiev avait peu d'éléments de preuve à présenter sur la question relative à la diligence raisonnable sauf pour dire que le navire s'était toujours conformé aux règles de l'U.S.S.R. Register of Shipping et donner son interprétation personnelle de ces règles; 2) il n'a pas présenté de preuve (et il ne pouvait pas le faire) concernant la nature et l'étendue des examens, essais ou inspec tions du navire effectués par les responsables de l'U.S.S.R. Register of Shipping au cours de la construction et à la fin de celle-ci.
Les deux autres témoins qui ont témoigné relati- vement à la question de savoir si Baltic avait exercé une diligence raisonnable pour mettre le Mekhanik Tarasov en état de navigabilité, étaient le capitaine Iakovlev et Monsieur Sergeev, dont le témoignage, comme je l'ai indiqué plus tôt, traitait en grande partie de la formation et de la surveil lance des officiers et de l'équipage. Monsieur Ser- geev a également témoigné qu'il n'y avait aucun architecte naval à l'emploi de Baltic et que Baltic n'avait conclu aucun contrat avec des architectes navals en vue d'inspecter le navire au cours de la construction ou après celle-ci.
En dernier lieu, il a été bien établi à cet égard que Hollming Oy est un chantier naval finlandais dont la réputation est connue.
Conformément aux dispositions du paragraphe IV (1) des Règles de la Haye, il incombe au transporteur Baltic de prouver l'exercice de la diligence raisonnable. L'expression «diligence rai- sonnable» a été bien définie dans plusieurs arrêts.
Dans l'arrêt Grain Growers Export Co. v. Canada Steamship Lines Limited (1917-18), 43 O.L.R. 330 (Div. d'appel), l'expression «diligence raisonnable» a été expliquée comme suit:
[TRADUCTION] À mon avis, les mots «exerce une diligence raisonnable» doivent être compris dans un sens raisonnable et vouloir dire quelque chose de significatif. Le propriétaire du navire garantit que le navire est en bon état de navigabilité, et la navigabilité est une condition nécessaire du transport. L'in- navigabilité, ainsi qu'il a été déjà souligné, augmente le risque des périls mentionnés à l'art. 6 et selon la lecture que je fais des mots «exerce une diligence raisonnable pour mettre le navire en état de navigabilité à tous égards» ils veulent dire non seule- ment un effort louable ou sincère quoique sans succès, mais également une tentative intelligente et efficace pour le rendre ainsi, autant que la diligence le permette.
Dans l'arrêt Union of India v. N.V. Reederij Amsterdam («The Amstelslot»), [1963] 2 Lloyd's Rep. 223 la page 226], la Chambre des lords a confirmé la décision rendue par le juge McNair de la Division du Banc de la Reine (Cour commer- ciale) [ [ 1962] 1 Lloyd's Rep. 539] selon laquelle [TRADUCTION] «(1) l'avarie a été causée par une fissure due à la fatigue; la cause de la fissure due à la fatigue était inconnue; la fissure n'était pas visible lors de l'inspection visuelle en 1956; (2) lorsque les défenderesses ont pris possession du navire, ses antécédents ne permettaient pas de penser qu'une inspection spéciale de son engrenage réducteur était nécessaire; (3) l'inspection en 1956 avait été effectuée minutieusement et avec compé- tence; (4) les défenderesses avaient exercé une diligence raisonnable pour mettre l'Amstelslot en état de navigabilité parcequ'ils avaient engagé des personnes qualifiées et compétentes pour effectuer les inspections nécessaires et que ces personnes avaient effectué ces inspections de façon minu- tieuse et compétente; et que par conséquent les défenderesses avaient le droit d'invoquer la Loi». [C'est moi qui souligne.] Dans la décision rendue par la Chambre des lords, lord Reid a dit aux pages 230 et 231:
[TRADUCTION] Il ne suffit pas de dire que si ces mesures avaient été prises, il y aurait eu une meilleure chance de découvrir la fissure. Dans un très grand nombre d'accidents, il est évident après coup, que si le défendeur avait pris certaines précautions supplémentaires, l'accident aurait été ou aurait pu
être évité. Dans tous les cas, la question est de savoir si une personne raisonnable ayant l'habileté et la connaissance qu'a- vait ou qu'aurait avoir le défendeur, aurait pris ces mesures supplémentaires, si elle était à la place du défendeur
On doit faire un certain compromis ou établir un certain équilibre lorsqu'on décide des mesures à prendre dans chaque cas particulier, sans oublier à la fois les conséquences sérieuses qui peuvent résulter du défaut de déceler un vice et le caractère éloigné de la possibilité qu'un tel vice existe, car il serait manifestement impossible d'effectuer des tests scientifiques minutieux pour chaque vice qui pourrait possiblement affecter une partie de la machine examinée. A mon avis, les appelantes ont prouvé qu'en faisant l'examen comme il l'a fait, Monsieur Van Lare a exercé une diligence raisonnable. Je souscris entiè- rement au jugement rendu par le juge McNair; en conséquence, je suis d'avis d'accueillir l'appel.
Plus récemment, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Charles Goodfellow (précité) a abordé la question de la «diligence raisonnable», celle de l'insuffisance de la valeur probante de certificats de navigabilité ainsi que celle de la non-exonéra- tion du propriétaire d'un navire de son obligation d'exercer une diligence raisonnable par le simple fait d'engager des employés et des agents pour le faire. Aux pages 540 et 541 R.C.S.; 69 et 70 D.L.R., le juge Ritchie a écrit:
Si l'on conclut que le navire n'était pas en bon état de navigabilité, il incombe au propriétaire du navire de prouver qu'il a exercé une diligence raisonnable à cet égard s'il veut se libérer. Quand cette Cour a entendu l'affaire Maxime Foot wear ([1957] R.C.S. 801; 10 D.L.R. (2d) 513; 76 C.R.T.C. 120), M. le Juge Cartwright (alors juge puîné) a prononcé un jugement dissident. Dans ses motifs, que le Conseil privé a confirmés, M. le Juge Cartwright a adopté [aux pages 808 R.C.S.; 519-520 D.L.R.] la définition suivante [Carver's Car riage of Goods by Sea, 10' éd., pp. 181 et 182] de la diligence raisonnable requise par la règle 1 de l'art. III:
[TRADUCTION] La "diligence raisonnable" semble être l'équivalent d'une diligence normale compte tenu des circons- tances connues ou raisonnablement prévisibles, de la nature du voyage et de la cargaison. Il suffit que cette diligence ait été exercée jusqu'au départ du port de chargement. Toute- fois, l'état du navire à ce moment-là doit être considéré en fonction de la cargaison et de l'itinéraire du voyage projeté et il incombe au propriétaire du navire de montrer qu'il a exercé une diligence raisonnable pour mettre son bâtiment en bon état.
Il ne suffit pas que le propriétaire du navire ait été personnel- lement diligent, par exemple en engageant des hommes com- pétents pour faire le travail. Il faut que la diligence pour mettre le navire en bon état ait été exercée, en fait, par le propriétaire du navire lui-même ou par ceux qu'il a engagés à cette fin. Le propriétaire du navire est "responsable de tout manquement de la part de ses agents ou subalternes dans la mise en état de navigabilité du navire au commencement du voyage pour le transport de la cargaison particulière" ...
"L'obligation de mettre le navire en bon état de navigabilité revient personnellement aux propriétaires, qu'ils en confient ou non l'exécution à des experts, des employés ou des agents." ... Si ces experts, employés ou agents n'exercent pas une diligence raisonnable pour mettre le navire en bon état de navigabilité, les propriétaires sont responsables aux termes de la règle 1 de l'Article III des Règles.
Le voiturier à qui incombe le fardeau de prouver l'exercice d'une diligence raisonnable, en vertu des dispositions de l'art. IV (1), ne peut s'acquitter de cette obligation qu'en prouvant affirmativement qu'une diligence raisonnable a été exercée pour mettre le navire en bon état de navigabilité. Dans la présente affaire, la seule preuve présentée par les intimés pour s'acquitter de tel fardeau, est un certificat de navigabilité signé par un inspecteur de navires du ministère des Transports. A mon avis, ce document ne suffit pas à faire la preuve ainsi que l'exige la loi, sa valeur probante étant par ailleurs amoindrie du fait que l'inspecteur qui a délivré le certificat paraît avoir su que le navire comportait une faiblesse inhérente. La prépondé- rance de la preuve c'est que c'est cette faiblesse qui a causé la perte.
Et plus précisément, en ce qui concerne la dili gence raisonnable et la conception, les deux arrêts qui suivent appuient la proposition selon laquelle le propriétaire d'un navire ne peut se libérer de son obligation d'exercer une diligence raisonnable par le simple fait d'engager des constructeurs navals réputés et expérimentés.
De fait, dans l'arrêt W. Angliss & Co. (Austra- lia) Proprietary, Ld. v. Peninsular and Oriental Steam Navigation Co., [1927] K.B. 456, le juge Wright a dit aux pages 461 et 462:
[TRADUCTION] S'il fait construire un nouveau navire, il sera responsable s'il omet d'engager des constructeurs réputés et de prendre toutes les précautions raisonnables ... par exemple, le fait d'exiger que les constructeurs remplissent les exigences de l'une des sociétés bien connues de classification, tel Lloyd's Register, et d'engager des architectes navals qualifiés pour le conseiller et des inspecteurs qualifiés pour surveiller les tra- vaux. De la même façon, s'il achète un navire, il peut être nécessaire pour lui de démontrer qu'il a pris les mesures qui s'imposent pour s'assurer par des visites et des inspections appropriées que le navire est en mesure de faire la navigation à laquelle il l'affecte. Je ne suis cependant pas d'avis que le transporteur peut être tenu coupable, dans tous les cas, de l'omission d'exercer une diligence raisonnable du simple fait que les employés des constructeurs ont mal exécuté certains travaux qui, quoique cachés, rendent le navire effectivement inapte. En l'espèce, les défenderesses ont engagé un inspecteur pour surveiller les travaux. J'ai conclu que ce dernier a exercé une diligence raisonnable. Il se peut bien que s'il avait fait preuve de négligence en approuvant des mauvais travaux qu'il a vus, ou même qu'il aurait peut-être voir, le transporteur serait responsable du manque de diligence raisonnable de la part de celui à qui il avait délégué la tâche d'inspecter les travaux. De la même façon, il pourrait être tenu responsable, si l'architecte naval qu'il a engagé pour surveiller la conception a
omis de déceler une erreur manifeste de conception, bien que je ne pense pas qu'il serait ainsi responsable d'une erreur de la part de l'une des sociétés de classification telle que Lloyd's Register qui exercent une fonction publique et quasi-judiciaire. Il pourrait également être responsable s'il choisit personnelle- ment ou par l'intermédiaire de ses conseillers une technique de construction qui comportait un risque ... [C'est moi qui souligne.]
Dans l'arrêt Riverstone Meat Company, Pty., Ltd. v. Lancashire Shipping Company, Ltd. (the «Muncaster Castle»), [1961] 1 Lloyd's Rep. 57, une décision rendue par la Chambre des lords, l'arrêt Angliss (précité) a été approuvé par le vicomte Simonds en ces termes à la page 70:
[TRADUCTION] Il importe de noter la question tranchée. Il s'agissait de savoir si le transporteur qui a conclu un contrat pour la construction d'un navire est responsable du manque de diligence de la part des constructeurs navals ou de leurs employés, s'il a engagé des constructeurs réputés et s'il a pris toutes les précautions raisonnables, comme le fait d'exiger que les constructeurs remplissent les exigences de l'une des sociétés reconnues de classification, et a engagé des architectes navals qualifiés qui le conseillent et des inspecteurs qualifiés qui surveillent les travaux avec une diligence raisonnable. Le savant juge Wright (tel était alors son titre) a statué que dans les circonstances, le transporteur n'était pas responsable. Je n'ai aucune raison de mettre en doute le bien-fondé de cette déci- sion, et je n'ai pas besoin d'en dire plus, celle-ci n'étant pas ouverte à la révision dans le présent appel. [C'est moi qui souligne.]
et par lord Keith aux pages 86 et 87:
[TRADUCTION] On ne peut de façon générale établir de distinc tion entre la présente affaire et le cas d'un navire acheté d'un ancien propriétaire. Comme dans les autres cas, le propriétaire sera responsable du manque de découvrir les vices qui causent l'innavigabilité qu'il aurait découvrir en exerçant une dili gence raisonnable au moment du transfert de la possession ou après ce moment.
Dans un tel cas, j'ajouterais cependant une restriction ou plutôt une réserve. Le propriétaire éventuel a pu prendre une certaine part dans le projet de construction du navire, notamment dans la conception, ou dans la surveillance au cours de la construc tion; dans un tel cas, il se peut bien qu'il soit responsable de l'innavigabilité qui résulte de son fait, ou qu'il aurait découvrir au cours de la construction. [C'est moi qui souligne.]
En conséquence, en l'espèce, dans le contexte du vice de conception qui a causé l'innavigabilité, j'accepte entièrement les prétentions des demande- resses:
a) il n'existe aucune preuve selon laquelle une personne ou une organisation, y compris Baltic s'est jamais penchée sur la question de la cons truction ou de la conception des deux manches à air situées dans la partie avant du pont
découvert, ni qu'elle les ait inspectées, soumises à des tests ou qu'elle ait tenu compte de leur résistance ou de leur stabilité ou exercé une «diligence raisonnable» à leur égard;
b) il n'existe aucune preuve selon laquelle Baltic a exercé une diligence raisonnable relativement à la construction et à la conception des manches à air, sauf, apparemment en présumant que l'U.S.S.R. Register of Shipping découvrirait les défaillances;
c) dans les présentes circonstances, en raison de la façon par laquelle le ministère soviétique de la Marine marchande, Sudoimport et Baltic ont tous participé à l'achat du Mekhanik Tarasov à Hollming Oy, il revenait à Baltic de montrer, le cas échéant, ce qui a été fait par les parties pertinentes et d'établir qu'elles ont exercé une diligence raisonnable.
En outre, si le Mekhanik Tarasov était destiné à de nombreuses traversées de l'Atlantique nord, surtout pendant l'hiver, ainsi qu'il semble mainte- nant qu'il l'ait été, j'estime que la défenderesse aurait montrer qu'elle avait pris beaucoup plus de précautions en ce qui concerne la conception et la construction appropriées de tout élément de structure s'élevant au-dessus du pont découvert du navire, y compris les manches à air, et surtout dans la partie avant de ce pont, qui est reconnu comme un foyer de grande contrainte.
En conséquence, à la lumière du droit applicable et de la preuve, je ne suis pas convaincu que la défenderesse a fait la preuve qu'elle a exercé la diligence raisonnable nécessaire pour mettre le Mekhanik Tarasov en bon état de navigabilité «avant le voyage et au début de celui-ci».
MONTANT DES DOMMAGES-INTÉRÊTS 1. LE PRINCIPAL
Ainsi que l'indiquent les factures numéros 5008, 5009 et 5010, datées du 11 février 1982 et comme l'a expliqué M. Egon Rulfs, le directeur des exportations de Kruger, le prix c.a.f. (coût, assurance et fret) de la cargaison de papier journal était de DM 2 594 300,86 et était paya ble en deutsche Marks. Je souscris à la proposi tion de la défenderesse qu'en l'absence de la preuve d'une juste valeur marchande, comme en l'espèce, la valeur c.a.f. devrait s'appliquer.
Dans l'arrêt Amjay Cordage Limited c. Le navire «Margarita» (1979), 28 N.R. 265 (C.A.F.), le juge Ryan a dit aux pages 270 et 271:
Je suis d'avis que la valeur réelle des dommages, dans les circonstances, est la valeur marchande de la ficelle en bon état au port de livraison, moins le montant recouvré ou qui aurait raisonnablement pu l'être lors de la revente de la cargaison avariée. Aucune preuve de cette valeur n'existait à Duluth, aussi n'est-il pas nécessaire d'envisager ce qu'aurait été la situation s'il y avait eu cette preuve. J'appliquerai la clause 17 du connaissement qui stipule que dans les circonstances présen- tes, la valeur marchande correspond à la valeur indiquée sur la facture plus le fret.
(Voir également l'arrêt The Ship (fTrade Wind» v. David McNair & Co. Ltd., [1956] R.C.E. 228.)
2. MONNAIE ÉTRANGÈRE ET DOLLARS CANA- DIENS
Dans l'état actuel du droit canadien, la somme réclamée doit être convertie en dollars canadiens «à la date de la rupture». (Voir l'arrêt N.V. Bocimar, S.A. c. Century Insurance Co. of Canada (1984), 53 N.R. 383 (C.A.F.), en appel à la Cour suprême du Canada.) En l'espèce, les demanderesses ont déposé un affidavit indiquant le taux de change du deutsche Mark au 11 février 1982, qui est la date approximative à laquelle les marchandises auraient être livrées à Hesselbacher. Un deutsche Mark valait alors 0,5112 dollars canadiens, ce qui fait que la réclamation des demanderesses s'élève à 1 326 206,50 dollars canadiens.
Compte tenu de cette valeur et du nombre de rouleaux de papier journal qui s'élève à 3 523, la limitation de responsabilité à 500 $ par colis ne s'appliquera pas.
3. INTÉRÊTS
En ce qui concerne les intérêts, dans le passé, j'ai tenu compte, dans d'autres affaires, qu'il est bien établi en matière d'amirauté, que la demande soit fondée sur un contrat ou sur un délit, que la Cour jouit d'un pouvoir discrétion- naire pour adjuger des intérêts comme partie intégrante du dommage à compter de la date à laquelle a été engagée la dépense qui donne lieu aux dommages-intérêts. (Voir les arrêts Cana- dian Brine Ltd. v. The Ship «Scott Misener» and Her Owners, [ 1962] R.C.É. 441; Cie de Téléphone Bell c. Le «Mar-Tirenno», [1974]
1 C.F. 294 (1" inst.) et [1976] 1 C.F. 539 (C.A.); Algoma Central Railway c. Le «Cielo Bianco», Cour fédérale, Division de première instance, T-5213-78 (22 novembre 1984); Davie Shipbuilding Limited c. La Reine, [1984] 1 C.F. 461 (C.A.)).
La Cour fédérale d'Appel a récemment ([ 1987]
2 C.F. 592) accueilli en partie l'appel interjeté contre l'arrêt «Cielo Bianco» précité. Elle a néanmoins confirmé la conclusion du juge de première instance au sujet des intérêts courus avant jugement. La Cour d'Appel a dit à la page 623:
Les appelants ont prétendu que le juge de première instance, au lieu de fonder sa conclusion sur le taux privilégié moyen, aurait fixer un taux équivalent à celui de l'intérêt payé mensuellement sur les argents consignés à la Cour. L'avocat des appelants appuie cette prétention sur la décision rendue par cette Cour dans l'affaire Davie Shipbuilding Limited c. La Reine, dans laquelle, en l'absence d'autres éléments sur lesquels appuyer sa conclusion, la Cour a adopté un taux d'intérêt fondé sur le taux payé sur l'argent consigné à la Cour.
Le juge de première instance, après avoir examiné le principe selon lequel, dans les litiges de droit maritime, il est considéré que l'intérêt couru avant jugement fait partie des dommages- intérêts adjugés, a établi quatre distinctions entre le litige qui lui était soumis et l'affaire Davie Shipbuilding, pour conclure que, selon la preuve et les circonstances de l'espèce, le taux d'intérêt le plus équitable serait la moyenne des taux d'intérêts privilégiés.
Il est bien établi que la question du taux des intérêts devant faire partie de la somme adjugée doit être tranchée par le juge de première instance dans l'exercice de son pouvoir discrétion- naire, et rien ne m'incite à penser que le juge de première instance se soit trompé de quelque manière en fixant à 14 % le taux des intérêts relatifs à la période s'étendant du moment convenu par les parties au 22 novembre 1984, date de son jugement. En conséquence, je confirmerais cette conclusion.
Considérant que le taux privilégié mensuel moyen des banques à charte, déterminé et publié dans la Revue de la Banque du Canada était de 12 % environ, pour la période allant de mars 1982 à décembre 1986; considérant en outre que le taux privilégié se situe actuellement à 9 % environ, je suis d'avis d'adjuger des intérêts courus avant jugement, pour la période allant du 11 mars 1982 au taux de 12 % l'an et des intérêts courus après jugement au taux de 9 % l'an.
Dans les circonstances de la présente affaire, les demanderesses auront droit aux dépens auxquels seront ajoutés les coûts raisonnables entrainés par les services qu'ont rendus les témoins experts F. G. Henshaw et Monsieur D. J. Doust pour se prépa-
rer à témoigner et pour conseiller les avocats des demanderesses au cours du procès.
Par ailleurs je partage la proposition unanime que des honoraires supplémentaires pour le procès soient accordés à l'avocat de la partie gagnante. À la lumière de mes conclusions sur la question de la responsabilité et considérant que les demanderes- ses étaient représentées par deux avocats qui ont tous les deux comparu et participé activement au procès; considérant par ailleurs la nature et la durée du procès (22 jours) qui exigeaient divers genres de preuve d'expert et la traduction d'une grande partie du témoignage et des documents russes; en conséquence les avocats des demanderes- ses auront droit à des honoraires supplémentaires de 4 000 $ pour le procès.
Par conséquent, jugement sera rendu en faveur des demanderesses conjointement et solidairement contre la défenderesse pour la somme de 1 326 206,50 $, majorée d'intérêts au taux de 12 % l'an à compter du 11 mars 1982 jusqu'à la date du jugement et au taux de 9 % à compter de la date du jugement.
La défenderesse paiera comme suit aux deman- deresses les dépens, qui seront taxés, qu'elles ont engagés à l'occasion de la présente action:
a) Les coûts raisonnables entrainés par les services qu'ont rendus les témoins experts F. G. Hens- haw et Monsieur D. J. Doust pour se préparer à témoigner et pour conseiller les avocats des demanderesses au cours du procès seront ajou- tés aux dépens et inclus dans ceux-ci;
b) Les avocats des demanderesses auront droit à des honoraires supplémentaires de 4 000 $ pour le procès.
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