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A-994-85
Atlantic Lines & Navigation Company Inc. (demanderesse) (appelante)
c.
Le navire Didymi et Didymi Corporation (défen- deurs) (intimés)
RÉPERTORIE: ATLANTIC LINES & NAVIGATION CO. INC. c. DIDYMI (LE)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et Lacom- be—Vancouver, 9 avril; Ottawa, 20 mai 1987.
Pratique Jugements et ordonnances Appel interjeté d'une décision de la Division de première instance refusant de rendre jugement conformément à la Règle 341a) et de rejeter une demande reconventionnelle Affrètement à temps d'un navire La déclaration réclame des dommages-intérêts en alléguant la mise en cale sèche prématurée et le chargement fautif de ce navire Les intimés, alléguant compensation, présentent des réclamations relativement aux dommages causés au navire ainsi qu'aux augmentations du prix de sa location découlant de l'économie d'essence réalisée et de l'uti- lisation du navire à une vitesse excédant celle que ses capacités autorisaient Les intimés admettent avoir manqué à la charte-partie et reconnaissent l'existence d'une sentence arbi- trale provisoire prononcée en faveur de l'appelante Appel accueilli Jugement est rendu en faveur de l'appelante conformément à la sentence arbitrale Les demandes recon- ventionnelles sont distinctes de la demande de l'appelante Inapplicabilité de la compensation La sentence arbitrale est définitive selon son libellé même, et les arbitres n'ont aucune formalité supplémentaire à remplir pour lûi conférer un tel caractère Autrement, la plaidoirie des intimés ne contient aucune «admission» devant servir à un jugement selon la Règle 341a).
Droit maritime Contrats Doctrine de la compensation en equity Affrètement à temps Des dommages-intérêts sont réclamés pour la mise en cale sèche prématurée et pour le chargement fautif d'un navire Des demandes reconvention- nelles allèguent des dommages au navire ainsi que des aug mentations du prix de la location L'appel interjeté du refus du juge de première instance d'accorder un jugement et de rejeter les demandes reconventionnelles est accueilli Il n'y a point compensation puisque les demandes des intimés ne con- testent pas celles de l'appelante Évolution de la doctrine de la compensation, dont l'étude révèle que les principes relatifs au fret constituent une exception à la règle de common law visant la diminution de prix (abatement).
Equity Doctrine de la compensation Affrètement à temps d'un navire Une réclamation est présentée à l'égard de la mise en cale sèche prématurée et du chargement fautif d'un navire Les demandes visant les dommages causés au navire et les augmentations du prix de la location peuvent- elles faire l'objet d'une compensation? Historique de la compensation Seules les demandes reconventionnelles fon- dées sur la même transaction que les demandes d'un deman- deur et attaquant ces demandes directement peuvent faire
l'objet d'une compensation La demande des intimés n'atta- que pas celle de l'appelante Il semble que le juge de première instance ait refusé de rendre le jugement sollicité parce qu'il était d'avis que les intimés avaient droit à la compensation Appel accueilli.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Appel est interjeté de la décision d'un juge de première instance refusant de prononcer un jugement confor- mément à la Règle 341a) et de rejeter une demande reconven- tionnelle Affrètement à temps d'un navire Des domma- ges-intérêts sont réclamés pour la mise en cale sèche prématurée et le chargement fautif d'un navire Une demande reconventionnelle allègue des dommages causés au navire ainsi que les augmentations du prix de sa location qui résulteraient de l'économie d'essence réalisée et de l'utilisation du navire à une vitesse supérieure à celle autorisée par ses capacités La Division de première instance est compétente à l'égard des demandes reconventionnelles Une lettre d'enga- gement portant garantie exigeait des intimés qu'ils acceptent la signification de la déclaration et présentent une défense L'objet des demandes présentées est visé par l'art. 22(2)(i) de la Loi sur la Cour fédérale L'appelante, en intentant son action devant la Division de première instance, s'est assujettie à sa compétence non seulement à cette fin mais encore de façon à permettre la présentation d'une défense, ce qui comprend la présentation de demandes reconventionnelles fondées sur la charte-partie La demande reconventionnelle ne doit pas être suspendue ainsi que l'exige l'art. 1 de la Arbitration Act puisque la Cour fédérale n'est pas habilitée à agir en vertu de cette disposition.
Appel est interjeté d'une décision de la Division de première instance qui a rejeté une demande sollicitant un jugement dans l'action conformément à la Règle 341a) et qui a refusé le rejet de la demande reconventionnelle.
L'intimée a frété un navire à l'appelante. La déclaration modifiée sollicitait des dommages-intérêts relativement à: la mise en cale sèche prématurée de ce navire; la perte de revenu de fret subie en raison du défaut de charger le navire de façon à lui faire atteindre son plein tirant d'eau; le montant de la réclamation pour la perte de valeur marchande des marchandi- ses présentée par les consignataires de la cargaison en question; les dépenses additionnelles encourues lors du déchargement d'une partie de la cargaison sur des allèges qui a être effectué à une autre occasion en raison de la surcharge du navire; et des frais d'avocat. Les intimés ont admis avoir manqué à une des stipulations du contrat de charte-partie en plaçant prématurément le navire en cale sèche et ont reconnu l'existence d'une sentence arbitrale provisoire. Ils ont toutefois présenté une demande reconventionnelle alléguant des domma- ges causés au navire ainsi que des augmentations du prix de location résultant de l'économie d'essence ainsi que de l'utilisa- tion du navire à une vitesse supérieure à celle autorisée par ses capacités. Ils demandent qu'une compensation soit opérée entre leurs réclamations et celles de l'appelante. Les arbitres ont rendu une «sentence provisoire définitive» concluant que les propriétaires du navire avaient manqué à la charte-partie et déclarant qu'Atlantic avait droit à des dommages-intérêts au montant de 54 793,06 $ US.
L'appelante soutient que le juge de première instance s'est trompé puisque, compte tenu de la nature des demandes présen-
tees par les intimés, rien dans la loi ne permet qu'il y ait compensation entre ces demandes et celles de l'appelante, et puisque la Division de première instance n'a pas la compétence voulue pour juger les demandes qui doivent être soumises à un arbitrage. Les intimés soutiennent que le juge de première instance a exercé correctement le pouvoir discrétionnaire con- féré par la Règle 341a). Ils prétendent également que la sentence arbitrale ne permet pas à l'appelante d'obtenir un jugement conformément à cette Règle puisqu'elle constitue simplement une sentence «provisoire». Finalement, ils soutien- nent que c'est à bon droit que le jugement a été refusé en alléguant que la doctrine de la compensation en equity leur donne le droit d'opérer une compensation entre leurs demandes et celles de l'appelante.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
L'appelante a droit à un jugement lui accordant les domma- ges-intérêts pour inexécution de la charte-partie que la sentence arbitrale lui avait adjugés.
Le juge de première instance n'a pas fait part des motifs pour lesquels il a refusé de rendre un jugement conformément à la Règle 341a), mais l'on peut présumer que l'argument du droit à une compensation qu'ont invoqué et expressément plaidé les intimés a constitué un des facteurs déterminants de la décision portée en appel.
11 existe trois catégories de compensation: la compensation prévue par une loi, la diminution de prix (abatement) ayant lieu dans certains cas en vertu de la common law ainsi que la compensation en equity. La Règle 418 reconnaît la compensa tion en equity. Pour que la compensation en equity puisse s'appliquer, il doit exister un droit en equity, un fondement à une intervention en equity, la simple existence d'une demande reconventionnelle ne suffisant pas: Aries Tanker Corpn y Total Transport Ltd, [1977] 1 All ER 398 (H.L.). Seules peuvent faire l'objet de la compensation fondée sur requit), «les deman- des reconventionnelles fondées sur la même transaction que la demande principale ou étroitement liées à cette transaction» et «attaquant directement les prétentions du demandeur», de sorte qu'il serait «manifestement injuste de lui permettre d'obtenir le paiement demandé sans tenir compte de la demande reconven- tionnelle»: The Nanfri. Les revendications des parties qui s'op- posent en l'espèce procèdent du même contrat de charte-partie. Toutefois, les revendications dont fait état la demande recon- ventionnelle ne contestent pas directement la prétention de l'appelante qu'elle a payer des frais additionnels parce qu'elle a été privée à tort de l'usage du navire. Chacune des demandes reconventionnelles constitue une revendication dis- tincte ne touchant aucunement la demande présentée par l'ap- pelante à cet égard. Les intimés, en droit, ne peuvent invoquer la doctrine de la compensation reconnue en equity.
La sentence arbitrale n'avait pas un caractère provisoire. Les arbitres n'avaient pas d'autre formalité à remplir pour la rendre définitive. Selon son libellé même, cette sentence «tranche de façon définitive la question jugée» et statue que le paiement prescrit sera effectué «immédiatement».
Bien que l'appelante soit une société étrangère, en intentant l'action en l'espèce devant la Division de première instance, elle s'est assujettie à la compétence de cette Cour non seulement pour les fins de son action mais encore de façon à permettre aux intimés de se défendre de manière adéquate. Cette défense comprend la possibilité pour la partie défenderesse de présenter
une demande reconventionnelle lorsque ses revendications sont fondées sur la charte-partie même sur laquelle l'appelante appuie ses prétentions visant la rupture du contrat.
L'objet des demandes présentées dans la demande reconven- tionnelle relève de la compétence conférée par l'alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale. Les termes «née d'une conven tion» sont suffisamment larges pour viser l'objet des revendica- tions présentées dans la demande reconventionnelle, revendica- tions qui, en substance, sollicitaient des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi à la suite de la violation de contrat alléguée.
La Cour fédérale du Canada n'est pas le tribunal habilité à agir en vertu de l'article 1 de la Arbitration Act (R.-U.), 1975, chap. 3. En conséquence, la demande reconventionnelle n'aurait pas être suspendue sur le fondement de cet article.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Arbitration Act (R.-U.), 1975, chap. 3, art. 1.
Civil Procedure Acts Repeal Act, 1879, 42 & 43 Vict.,
chap. 59.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap.
10, art. 22(2)(i).
Loi sur la monnaie et les changes, S.R.C. 1970, chap.
C-39, art. 11.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
341a), 418.
Statute Law Revision and Civil Procedure Act, 1883, 46
& 47 Vict., chap. 49.
Statutes of Set-Off, 2 Geo. 2, chap. 22 (1728); 2 Geo. 2,
chap. 24 (1734).
Supreme Court of Judicature Act, 1873, 36 & 37 Vict.,
chap. 66.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
The Nanfri, [1978] 3 All ER 1066 (C.A.); Aries Tanker Corpn v Total Transport Ltd, [1977] 1 All ER 398 (H.L.); Rawson v. Samuel (1841), Cr. & Ph. 161; 41 E.R. 451 (Ch.); Government of Newfoundland v. New- foundland Railway Company (1888), 13 App. Cas. 199 (P.C.); Cormorant Bulk -Carriers Inc. c. Canficorp (Overseas Projects) Ltd. (1984), 54 N.R. 66 (C.A.).
DECISIONS EXAMINÉES:
Hanak v. Green, [ 1958] 2 All E.R. 141 (C.A.); Monde! v. Steel (1841), 8 M. & W. 858; 151 E.R. 1288 (Exch.); The «Brede», [1973] 2 Lloyd's Rep. 333 (C.A.); Ex parte Stephens (1805), 11 Ves. Jun. 24; 32 E.R. 996 (Ch.); The «Angelic Grace», [1980] 1 Lloyd's Rep. 288 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
IBM Canada Ltée c. Xerox of Canada Ltd., [1977] 1 C.F. 181 (C.A.); Bankes v. Jarvis, [1903] 1 K.B. 549; Meyer v. Dresser (1864), 16 C.B.(N.S.) 646; 143 E.R. 1280 (Com. Pl.); SIS Steamship Company Ltd. c. Eas-
tern Caribbean Container Line S.A., [1986] 2 C.F. 27; (1986), 66 N.R. 74 (C.A.); The «Teno», [ 1977] 2 Lloyd's Rep. 289 (Q.B. (Corn. Ct.)); Morgan and Son, Ltd. v. Martin Johnson (S.) & Co., Ltd., [1948] 2 All E.R. 196 (C.A.); The «Leon», [1985] 2 Lloyd's Rep. 470 (Q.B. (Corn. Ct.)); Kaps Transport Ltd. v. McGregor Tele phone & Power Const. Co. Ltd. (1970), 73 W.W.R. 549 (C.A. Alb.); Abacus Cities Ltd. v. Aboussafy (1981), 29 A.R. 607 (C.A.); United Chemicals Ltd. v. Prince Albert Pulp Co. Ltd. (1981), I I Sask. R. 320 (B.R.); Norbury Sudbury Ltd. v. Noront Steel (1981) Ltd. (1984), 47 O.R. (2d) 548 (H.C.); Coba Indust. Ltd. v. Millie's Hldg. (Can.) Ltd. (1985), 65 B.C.L.R. 31 (C.A.); Euro - bulk Ltd. c. Wood Preservation Industries, [1980] 2 C.F. 245 (1" inst.); The Cheapside, [1904] P. 339 (C.A.); Baumgartner v. Carsley Silk Co. Ltd. (1971), 23 D.L.R. (3d) 255 (C.A. Qué.); Batavia Times Publishing Co. v. Davis (1978), 88 D.L.R. (3d) 144 (H.C. Ont.); Am-Pac Forest Products Inc. v. Phoenix Doors Ltd. (1979), 14 B.C.L.R. 63 (C.S.).
AVOCATS:
S. Harry Lipetz et John W. Bromley pour la
demanderesse (appelante).
J. W. Perrett pour les défendeurs (intimés).
PROCUREURS:
Ray, Connell & Co., Vancouver, pour la demanderesse (appelante).
Campney & Murphy, Vancouver, pour les défendeurs (intimés).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: L'appel en l'espèce est inter- jeté d'une décision de la Division de première instance rendue par le juge Collier qui rejetait une demande en date de novembre 1985 présentée conformément à la Règle 341a)' des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] dans laquelle l'appelante sollicitait un jugement accueillant son action et le rejet ou, subsidiairement, la suspension de la demande reconventionnelle des intimés. La
'Règle 341. Une partie peut, à tout stade d'une procédure, demander un jugement sur toute question
a) après une admission faite dans les plaidoiries ou d'autres documents déposés à la Cour, ou faite au cours de l'interro- gatoire d'une autre partie, ou
b) au sujet de laquelle la seule preuve est constituée par des documents et les affidavits qui sont nécessaires pour prouver la signature ou l'authenticité de ces documents,
sans attendre le jugement de tout autre point litigieux entre les
parties.
Cour a permis le dépôt d'une comparution condi- tionnelle à l'égard de la demande reconvention- nelle. Les intimés demandent qu'une compensation soit opérée entre leurs réclamations et celles de l'appelante. L'appelante a soutenu que la Division de première instance n'est pas compétente à enten- dre et trancher ces demandes et que, quoiqu'il en soit, aucune compensation ne peut être légalement opérée entre celles-ci et les demandes figurant dans la déclaration modifiée.
Le contexte
En 1979, la société intimée, à titre de proprié- taire du navire en cause, a accepté de fréter celui-ci à l'appelante pour une période d'environ cinq ans prenant fin le 29 février 1984, selon des conditions figurant dans un affrètement à temps établi le 26 mars 1979 sur une formule du New York Produce Exchange. L'article 53 de ce contrat prévoit que les litiges seront réglés par arbitrage. Cette clause est ainsi libellée:
[TRADUCTION] Arbitrage:
À moins que les parties s'entendent sur le choix d'un arbitre unique, tout litige concernant le présent contrat sera soumis à deux arbitres exerçant leurs activités commerciales à Londres et membres du Baltic Exchange; chaque partie nommera un arbitre et ceux-ci seront à leur tour autorisés à nommer un surarbitre, membre du Baltic Exchange.
En avril 1980, l'appelante a sous-frété le navire au voyage pour qu'il transporte une pleine cargai- son d'acier de Foss -sur-Mer aux États-Unis/ Canada; le moment prévu pour l'embarquement de cette cargaison était [TRADUCTION] «juin 1980». Le 9 juin 1980, elle a avisé le sous-affréteur que le navire arriverait au port d'embarquement le 17 ou le 18 juin. Plus tard ce jour-là, la société intimée a avisé l'appelante qu'elle avait l'intention de mettre le navire en cale sèche dans le sud de l'Italie pour une période d'une semaine à dix jours. Cette mise en cale sèche ne pouvait être retardée. Ce navire ayant été impliqué dans quatre échouages distincts et dans un abordage, sa société de classification insistait pour qu'il soit mis en cale sèche avant de transporter une autre cargaison. Il a été mis en cale sèche le 16 juin et n'a été disponible pour l'embarquement d'une cargaison qu'au début de juillet. Le sous-affréteur a demandé à l'appelante de remplacer ce navire, ce qu'elle a fait. Après cette mise en cale sèche, le navire a pu être réutilisé conformément à la charte-partie. L'appe-
lante a réclamé à la société intimée le montant de ses pertes. D'autres litiges se sont ensuivis, et l'appelante a présenté des demandes additionnel- les. Toutes ces demandes ont été renvoyées à l'ar- bitrage à Londres conformément à l'article 53 du contrat d'affrètement.
En mars 1984, le navire est arrivé au port de Vancouver pour recevoir une cargaison devant être livrée en Finlande. Le 15 mars, l'appelante a entamé la présente action in rem, ce qui a eu pour conséquence la saisie du navire et l'adjonction de sa propriétaire comme défenderesse. Au paragra- phe 4 de sa déclaration modifiée, l'appelante fait les allégations suivantes:
[TRADUCTION] 4. Contrairement aux exigences de la charte- partie, qui se trouve jointe aux présentes sous la cote annexe «1», les défendeurs, leurs employés ou leurs mandataires ont contre- venu aux conditions du contrat ou, subsidiairement, ont agi avec négligence:
(a) en plaçant prématurément le navire «DIDYMI» en cale sèche sans aviser la demanderesse, ce qui lui a fait perdre un sous-affrètement et l'a obligée à affréter un autre navire à un coût additionnel totalisant 81 760,72 $ américains;
(b) en manquant d'effectuer le chargement du navire «DIDYMI» de façon à lui faire atteindre son plein tirant d'eau ainsi que l'avaient ordonné les sous-affréteurs, ce qui a causé une perte de revenu de fret concernant la cargaison exclue de l'embarquement et été à l'origine de la réclamation pour perte de la valeur marchande des marchandises présentée par les consignataires de la cargaison qui n'a pas pu être chargée à bord du «DIDYMI», réclamation relativement à laquelle la demanderesse sollicite une somme de 301 123,59 $ améri- cains;
(c) en surchargeant le navire «DIDYMI», contrairement aux instructions reçues, de sorte que, à son arrivée à Port Saïd, son tirant d'eau était de 32' 7" plutôt que de 31' 10" ainsi qu'il avait été prescrit; on a donc alléger ce navire en débarquant une partie de la cargaison sur des allèges plutôt qu'au quai, entraînant de la sorte des dépenses additionnelles qui, y compris les frais du déchargement sur les allèges et les dépenses supplémentaires au fret, s'élevaient à 60 000 $ américains;
(d) en causant à la demanderesse, par suite de l'inexécution du contrat ou encore de la négligence, invoquée subsidiaire- ment, des frais d'avocat ainsi que des dépenses accessoires s'élevant à 55 000 $ américains, montant que la demande- resse réclame également.
Au paragraphe 5 de cet acte de procédure, il est allégué qu' [TRADUCTION] «un arbitrage a été entamé à Londres conformément à la charte-partie pour obtenir les dommages-intérêts ci-mentionnés» sur le fondement de l'inexécution du contrat [TRA- DUCTION] «et/ou» de la négligence. Suit la demande de redressement, qui est ainsi libellée:
[TRADUCTION] (a) des dommages-intérêts pour l'inexécution de la charte-partie en date du 26 mars 1979;
(b) un jugement déclaratoire portant que les défendeurs verseront à la demanderesse, Atlantic Lines & Navigation Company Inc., une indemnité égale à tout montant dont elle aura été déclarée débitrice par un tribunal ou dans le cadre d'un arbitrage;
(c) des intérêts; et
(d) des dépens.
Le 16 mars 1984, les intimés ont présenté une requête visant la radiation de la déclaration modi- fiée ou la suspension de l'action et, dans les deux cas, la main-levée de la saisie du navire. Cette demande a été entendue en Division de première instance par le juge Reed (Atlantic Lines & Navi gation Company Inc. c. Navire «Didymi», [ 1985] 1 C.F. 240). Le juge Reed a refusé la radiation de la déclaration modifiée ainsi que la suspension de l'action et a ordonné, au lieu de cela, la main-levée de la saisie du navire à la condition que les intimés fournissent une garantie appropriée. Elle estimait, dans un passage rapporté à la page 245 du recueil, que la compétence de la Division de première instance avait été «principalement invoquée pour obtenir une garantie pour les demandes présentées» par l'appelante. Cette garantie a été fournie par la délivrance d'une lettre d'engagement de la mutuelle de protection et d'indemnisation du navire. Aucun appel n'a été interjeté à l'encontre du jugement du juge Reed.
Les intimés ont déposé une défense et demande reconventionnelle le 30 octobre 1985. Le paragra- phe 2 de cet acte de procédure est ainsi libellé:
[TRADUCTION] 2. Les défendeurs nient les allégations de faits figurant au paragraphe 4 de la déclaration de la demanderesse, à l'exception de l'allégation figurant à l'alinéa 4a) selon laquelle les défendeurs ont contrevenu à une condition de l'entente mentionnée au paragraphe 3 de la déclaration en plaçant prématurément en cale sèche le navire défendeur. Quant aux allégations de faits figurant à l'alinéa 4a) de la déclaration de la demanderesse, les défendeurs déclarent que la réclamation dont elles font état a été jugée par des arbitres nommés par la demanderesse ainsi que par les défendeurs, qui ont accordé, sur une base provisoire, à la demanderesse un montant de 54 793,06 $ américains ainsi que les intérêts et les dépens. Sauf en ce qui a trait à l'admission qui précède, les défendeurs nient chacune des allégations de faits figurant au paragraphe 4 de la déclaration de la demanderesse et, sans restreindre le caractère général du présent énoncé, ils nient particulièrement ce qui suit: premièrement, avoir contrevenu aux conditions du contrat (ci-après appelé «charte-partie») en ne chargeant pas le navire jusqu'au tirant d'eau indiqué par les sous-affréteurs ainsi qu'il est allégué à l'alinéa 4b) de la déclaration de la demanderesse; deuxièmement, avoir contre-
venu à la charte-partie en surchargeant le navire défendeur de telle manière que, à son arrivée à Port Said, le tirant d'eau du navire défendeur était tel que celui-ci a être allégé ainsi qu'il est allégué à l'alinéa 4c); troisièmement, le droit de la- deman- deresse à des frais d'avocat ou au montant de toute autre dépense accessoire alléguée à l'alinéa 4d) ou ailleurs. [Les soulignements sont ajoutés.]
De plus, dans le même acte de procédure, les intimés formulent trois demandes différentes qui seraient nées de la charte-partie. Selon ces deman- des, l'appelante serait responsable en vertu du contrat des dommages causés au navire pendant sa durée, elle aurait manqué de payer, contrairement aux stipulations du contrat, le prix de location supplémentaire découlant de l'utilisation du navire à une vitesse excédant celle que sa capacité autori- sait, et, finalement, l'appelante, encore en contra vention du contrat, aurait fait défaut de payer un montant supplémentaire en supplément du fret parce que le navire a consommé une quantité proportionnelle d'essence et de diesel -oil moindre que la quantité autorisée. Ces demandes ont égale- ment été soumises à l'arbitrage à Londres confor- mément à l'article 53 du contrat. Les intimés soutiennent néanmoins que, dans le cadre de l'ac- tion, ils ont droit à ce qu'il y ait compensation entre la somme des demandes prémentionnées et toute somme déclarée être due à l'appelante. La demande de redressement figurant dans la demande reconventionnelle est ainsi libellée:
[TRADUCTION] (a) des dommages-intérêts pour manque- ment à la charte-partie;
(b) un jugement déclaratoire portant que la demanderesse Atlantic Lines & Navigation Company Inc. paiera à la défenderesse Didymi Corporation une somme égale, en mon- naie canadienne, à tout montant dont la demanderesse aura été déclarée débitrice par un tribunal ou dans le cadre d'un arbitrage;
(c) les intérêts;
(d) les dépens;
(e) tout redressement supplémentaire que cette Cour jugera approprié.
Dans sa demande fondée sur la Règle 341a), l'appelante sollicite un jugement [TRADUCTION] «accordant un montant de 94 216,29 $ américains plus des dépens de 6 144,78 £ conformément à une sentence arbitrale» en date du 27 juillet 1985, [TRADUCTION] «ces montants se trouvant admis par les défendeurs dans la défense et demande reconventionnelle». À la date à laquelle la demande a été entendue par le juge Collier, seule la réclamation figurant à l'alinéa 4(a) de la décla-
ration modifiée avait fait l'objet d'une sentence arbitrale. Le 27 juillet 1985, les arbitres ont pro- noncé une [TRADUCTION] «sentence provisoire définitive» donnant raison à l'appelante relative- ment à cette réclamation. Les paragraphes 6 à 10 de cette sentence sont, en partie, ainsi libellés:
[TRADUCTION] 6. NOUS, lesdits arbitres ... ayant accepté de tenir cet arbitrage et ayant attentivement et consciencieuse- ment lu les documents et entendu les plaidoiries des parties, apprécié les éléments de preuve, conféré et en être venus à une entente (donc, sans avoir eu à recourir à un surarbitre),
PAR LES PRÉSENTES, RENDONS, PRONONÇONS ET PUBLIONS notre SENTENCE PROVISOIRE conjointe, qui tranche DE FAÇON DÉFINITIVE la question jugée ainsi qu'il suit:
7. NOUS STATUONS que, pour les motifs énoncés à l'annexe «A» qui est jointe à la présente sentence et en fait partie, les propriétaires contrevenaient à la charte-partie et Atlantic a droit à des dommages-intérêts au montant de 54 793,06 $ américains.
8. NOUS STATUONS que les propriétaires paieront immédiate- ment à Atlantic la somme de 54 793,06 $ américains (cin- quante-quatre mille sept cent quatre-vingt treize dollars améri- cains et six sous) PLUS un intérêt sur ladite somme au taux de 13 % l'an, courant du I" août 1980 à la date de la présente sentence.
9. NOUS STATUONS ÉGALEMENT que les propriétaires paieront les frais qu'eux-mêmes ainsi qu'Atlantic auront subis à ce jour dans le cadre du présent renvoi (les frais de cette dernière devant être taxés si les parties ne s'entendent pas à leur égard) et
NOUS STATUONS ÉGALEMENT que les propriétaires paieront les frais relatifs à la présente sentence, frais que nous taxons et établissons à 2 394,78 £, y compris nos honoraires et nos frais (ainsi que les honoraires du surarbitre).
10. IL EST ENTENDU que si Atlantic a, au départ, payé les frais relatifs à la présente sentence, celle-ci aura droit d'être rem- boursée immédiatement, par les propriétaires, de la somme ainsi payée.
On s'est appuyé, au cours de la plaidoirie, sur le paragraphe 4 des attendus précédant les paragra- phes qui viennent d'être cités. Il est ainsi libellé:
[TRADUCTION] 4. La question qui nous était soumise avait trait à une demande de dommages-intérêts visant la mise en cale sèche inattendue du navire par les propriétaires, mesure qui, selon les prétentions d'Atlantic, contrevenait aux condi tions de la charte-partie. Atlantic réclamait la somme de 54 793,06 $ américains. Les propriétaires ont nié toute responsabilité.
Nous avons été avisés que les propriétaires présentaient une demande reconventionnelle, mais les parties se sont entendues pour que cette question soit tranchée à une date ultérieure.
Lors de l'audience, la Cour a reçu un compte- rendu de l'état des instances arbitrales londonien- nes visant les demandes présentées dans la déclara- tion modifiée et dans la demande reconvention-
nelle. Les frais adjugés à l'appelante dans le cadre de la sentence du 27 juillet 1985 n'ont pas encore été calculés et payés. Les demandes présentées aux alinéas 4(b) et (c) de la déclaration modifiée demeurent également indécises. D'autre part, la demande des intimés visant les dommages subis par le navire a fait l'objet d'un règlement qui prévoyait que les parties devraient s'entendre sur les frais relatifs à cette affaire et dont le montant n'a pas encore été payé. Même si les parties se sont entendues sur certains aspects de la demande qui visait l'augmentation du prix de la location décou- lant de l'économie d'essence, cette réclamation demeure pendante. En fait, une question relative à l'interprétation de la charte-partie en regard de cette demande est parvenue devant la Commercial Court d'Angleterre, où, portée en appel, elle attend d'être entendue. Apparemment, la demande des intimés visant l'augmentation du prix de la loca tion à la suite de l'utilisation du navire à une vitesse excédant la vitesse autorisée par sa capacité demeure également indécise. Il ressort à présent que les intimés présentent une demande addition- nelle en se fondant sur la charte-partie. Dans les documents, on l'appelle [TRADUCTION] «une demande de balancement des comptes de la charte-partie». Cette demande a également été renvoyée à l'arbitrage à Londres et a été entendue en février de la présente année. Quoi qu'il en soit, elle ne fait pas partie des demandes présentées dans la demande reconventionnelle. Il semble que les parties se soient entendues pour dire que le paiement des dommages-intérêts dont elles ont convenu pourra attendre l'issue de la décision arbi- trale dans cette instance.
Entre temps, afin d'obtenir une garantie relati- vement aux demandes présentées dans la demande reconventionnelle, les intimés ont saisi un navire appartenant à l'appelante ou géré par l'appelante. Cette garantie a pris la forme d'une lettre bancaire de garantie au montant de 900 000 $ américains. La demande de dommages-intérêts ayant fait l'ob- jet d'un règlement et les parties s'étant entendues pour diminuer le montant de la réclamation rela tive au carburant, le montant de cette garantie a été réduit à un peu plus de 600 000 $ en monnaie américaine.
Les questions en litige
L'appelante prétend que le juge de première instance s'est trompé en refusant de rendre le jugement qu'elle sollicitait et, également, en refu- sant de rejeter ou de suspendre la demande recon- ventionnelle. Elle fonde son opposition sur deux arguments principaux. En premier lieu, l'appelante prétend que, compte tenu de la nature des deman- des présentées par les intimés, rien dans la loi ne permet qu'il y ait compensation entre ces deman- des et celles de l'appelante, à présent reliées par la sentence arbitrale du 27 juillet 1985. En second lieu, elle soutient que la Division de première instance n'a pas la compétence voulue pour enten- dre et juger les demandes qui, en vertu de l'article 53, doivent être soumises à un arbitrage à Londres. Les intimés prétendent que nous ne devrions pas intervenir puisque la décision portée en appel a été rendue dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire conféré par la Règle 341a). Ils soutiennent égale- ment que la sentence du 27 juillet 1985 ne permet pas à l'appelante d'obtenir un jugement conformé- ment à cette règle puisqu'elle constitue simplement une sentence [TRADUCTION] «provisoire». Quoi- qu'il en soit, ils soutiennent que c'est à bon droit que le jugement a été refusé puisque la doctrine de la compensation en equity leur donnerait le droit d'opérer une compensation entre leurs demandes et celles de l'appelante une fois rendue la décision définitive.
La compensation reconnue en equity
J'examinerai tout d'abord la question de la com pensation en equity. Le juge de première instance n'a pas fait part des motifs pour lesquels il refusait de rendre un jugement conformément à la Règle 341a) ou refusait de rejeter ou de suspendre la demande reconventionnelle. D'autre part, on nous dit que les intimés ont appuyé le refus qu'ils ont opposé à cette demande sur la doctrine de la compensation en equity. Comme le droit à une compensation se trouve expressément plaidé dans la défense et demande reconventionnelle, l'on peut à juste titre présumer que cet argument a constitué un des facteurs déterminants de la décision portée en appel. Le juge de première instance n'aurait donc pas exercé son pouvoir discrétionnaire correc- tement s'il était démontré que la doctrine de la compensation en equity est inapplicable (voir, par exemple, IBM Canada Ltée c. Xerox of Canada Ltd., [1977] 1 C.F. 181 (C.A.)).
L'appelante prétend que l'espèce ne donne pas lieu à l'application de cette doctrine. Selon elle, le fait que les réclamations présentées dans la demande reconventionnelle tout comme celles qui figurent dans la déclaration modifiée soient fon- dées sur le même affrètement à temps ne suffit pas à permettre l'application de cette doctrine. Elle soutient qu'il doit être établi que le droit en equity invoqué mette en doute le titre juridique de l'appe- lante à l'égard de l'objet de la demande figurant à l'alinéa 4(a) de la déclaration modifiée. Les inti- més opposent à cet argument la réponse suivante. Il est suffisant, disent-ils, que leurs demandes soient si intimement liées à celles de l'appelante qu'elles fassent naître en faveur des intimés un droit en equity rendant injuste qu'un jugement soit prononcé contre eux relativement à une des ques tions soulevées dans la déclaration modifiée sans qu'il soit statué sur les demandes figurant dans la demande reconventionnelle.
Plusieurs décisions récentes d'Angleterre ont retracé l'évolution de la compensation en equity. Peut-être l'examen le plus complet de cette ques tion est-il celui qu'a fait la Cour d'appel dans l'arrêt Hanak v. Green, [1958] 2 All E.R. 141, le lord juge Morris décrit l'évolution des trois catégories de compensation: la compensation prévue par une loi, la diminution de prix (abate- ment) ayant lieu dans certains cas en vertu de la common law ainsi que la compensation en equity. Je les décrirai brièvement en respectant cet ordre.
Le droit à la compensation, avant qu'il ne soit établi par une loi, était inconnu des cours de common law. Les lois sur la compensation (Statu- tes of Set-Off), 2 Geo. 2, chap. 22 de 1728 et 2 Geo. 2, chap. 24 de 1734 prévoyaient que les demandes reconventionnelles nées de transactions distinctes pouvaient faire l'objet de la compensa tion lorsqu'elles visaient des dettes déterminées ou constituaient des demandes d'argent pouvant être appréciées de façon certaine au moment de la plaidoirie. Toutefois, ce n'est qu'en 1873 que la Supreme Court of Judicature Act, 1873 [36 & 37 Vict., chap. 66] a habilité les tribunaux à entendre les demandes reconventionnelles; jusqu'alors, cel- les-ci devaient être présentées dans le cadre d'une action distincte. Bien que les lois sur la compensa tion aient été abrogées par la Civil Procedure Acts
Repeal Act, 1879 [42 & 43 Vict., chap. 59] ainsi que par la Statute Law Revision and Civil Proce dure Act, 1883 [46 & 47 Vict., chap. 49], la première loi a maintenu les règles de droit établies ou confirmées, de sorte que le droit à la compensa tion légale a été préservé (voir Hanak v. Green, aux pages 145 et 149).
La seconde catégorie est connue sous le nom d'abatement (diminution de prix). Énoncée dans l'arrêt Mondel v. Steel (1841), 8 M. & W. 858; 151 E.R. 1288 (Exch.), elle est parfois désignée comme la règle établie dans cette affaire. Elle ne constitue pas véritablement une compensation. Préalablement à la Loi de 1873, elle permettait à un défendeur poursuivi en paiement de marchandi- ses vendues ou dont une entente prévoyait la four- niture ou en paiement d'un travail effectué, d'op- poser à cette demande, sans intenter d'action séparée, la piètre qualité de ces marchandises ou de ce travail. La diminution de prix (abatement) fait figure de réel moyen de défense plutôt que de compensation pour diminuer ou éteindre le prix visé. S'apparentant à un moyen de défense, elle n'est pas assujettie à la prescription. (Voir The «Brede», [1973] 2 Lloyd's Rep. 333 (C.A.), aux pages 336 et 337.)
La troisième catégorie visée découle de la prati- que des tribunaux d'equity de rendre une injonc- tion provisoire pour empêcher qu'il ne soit statué sur une action en justice ou qu'un jugement soit exécuté avant que ne soit jugée une demande présentée par un défendeur. La compensation en equity, tout comme la diminution de prix (abate- ment), agit comme un moyen de défense. La Règle 418 2 des Règles de la Cour fédérale la reconnaît. Cependant, en ce qui regarde la compensation en equity, l'acte fautif du demandeur n'amoindrit pas la valeur des marchandises vendues ou du travail effectué mais est à l'origine d'autres dommages. Dans l'arrêt The «Brede», aux pages 337 et 338, lord Denning illustre l'effet de ce type de compen sation de la manière suivante:
2 Règle 418. Lorsqu'une demande d'une somme d'argent (d'un montant précisé ou non) faite par un défendeur sert à fonder une défense contre tout ou partie d'une demande faite par le demandeur, elle peut être incluse dans la défense sous forme de demande de compensation ou de set-off avec la demande du demandeur, qu'elle soit ou ne soit pas également faite à titre de demande reconventionnelle.
[TRADUCTION] Lorsque la partie contractante réclame en jus tice le prix prévu au contrat, l'employeur peut lui répliquer: «Vous n'avez pas droit à cette somme puisque vous avez vous- même violé le contrat même sur lequel se fonde votre demande, et vous ne pouvez, en toute justice, réclamer cette somme sans tenir compte de la perte que vous m'avez causée» ... Il en va ainsi de toute inexécution par le demandeur de ce même contrat, le défendeur pouvant, en equity, compenser sa perte par la diminution ou l'extinction du prix prévu au contrat. Ce moyen s'apparente à un moyen de défense. A ce titre, il n'est point assujetti à la prescription.
Cette forme de compensation existait bien avant que la compensation légale ne soit établie par voie législative au 18e siècle. Dans l'arrêt Ex parte Stephens (1805), 11 Ves. Jun. 24, la page 27; 32 E.R. 996 (Ch.), à la page 997, le lord chancelier Eldon a indiqué que cette doctrine était d'origine ancienne. Il a dit:
[TRADUCTION] Point n'est besoin d'élaborer longuement au sujet de la doctrine de la compensation. Cette Cour, bien avant que le législateur n'intervienne, appliquait cette doctrine fondée sur les principes de l'equity (19 Ves. 467). Il est vrai que lorsque la Cour ne constate pas l'existence d'un droit d'equity fondé sur le droit naturel, la loi qu'elle découvre au-delà de l'interprétation de la loi écrite est la même en equity et en droit écrit (Stat. 2 Geo. II. chap. 22; 8 Geo. II. chap. 24 ...). Cela ne change cependant rien à la doctrine générale en ce qui a trait à l'equity fondée sur le droit naturel.
La Loi de 1873 a permis que soient soulevés tous moyens de défense fondés sur l'equity dans toutes les circonstances dans lesquelles ils auraient aupa- ravant pu être soulevés soit en equity soit à l'en- contre d'une action intentée selon la common law. (Voir Bankes v. Jarvis, [1903] 1 K.B. 549 (C.A.), à la page 552.) Toutefois, dans l'arrêt The Nanfri, [1978] 3 All ER 1066 (C.A.), à la page 1078, le lord Denning souligne que les fondements de la compensation fondée sur l'equity:
[TRADUCTION] ... n'ont jamais été formulés de façon précise avant la Supreme Court of Judicature Act 1873. 11 est mainte- nant beaucoup trop tard pour les rechercher dans les livres anciens. Plus de 100 années se sont écoulées depuis l'adoption de la Supreme Court of Judicature Act 1873. Au cours de cette période, la common law et l'equity se sont fusionnées, de sorte qu'il est à présent impossible de les distinguer l'une de l'autre. Nous n'avons plus à nous demander: qu'auraient fait les tribu- naux de common law ou les tribunaux jugeant en equity avant l'adoption de la Supreme Court of Judicature Act 1873? Nous devons nous demander: que devons-nous faire maintenant pour être justes envers les parties? (Voir United Scientific Holdings Ltd y Burnley Borough Council ([1977] 2 All ER 62, à la page 68, [1977] 2 WLR 806, aux pages 811 et 812) par lord Diplock.) La Cour doit se poser cette question dans chaque espèce au moment de rendre sa décision; ainsi, de décision en décision, nous établirons une série de précédents qui guideront nos successeurs. Mais une chose est certaine: toutes les deman-
des reconventionnelles ne peuvent pas faire l'objet de la com pensation. Seules peuvent le faire les demandes fondées sur la même transaction que la demande principale ou étroitement liées à cette transaction, et seules aussi les demandes attaquant directement les prétentions du demandeur, c'est-à-dire celles qui leur sont si étroitement liées qu'il serait manifestement injuste de lui permettre d'obtenir le paiement demandé sans
tenir compte de la demande reconventionnelle. Tel était le cas en ce qui concernait le véhicule perdu dans l'affaire Morgan &
Son Ltd y Martin Johnson & Co Ltd ([1948] 2 All ER 196, [1949] 1 KB 107) et l'inconduite de la veuve dans l'affaire Hanak v. Green ([1958] 2 All ER 141, [1958] 2 QB 9). [Les soulignements sont ajoutés.]
J'analyserai plus loin de façon plus détaillée les critères relatifs à la compensation fondée sur l'equity.
Les principes relatifs au fret constituent une exception importante et bien établie à la règle de common law visant la diminution de prix (abate- ment). Ces principes, élaborés pour les fins de la commodité commerciale, se résument à ceci. La demande relative au fret fondée sur un connaisse- ment ou un affrètement au voyage ne peut être réduite ou éteinte au moyen de la diminution de prix (abatement) dans l'éventualité l'expéditeur ou l'affréteur présente une demande reconvention- nelle faisant état d'une mauvaise prestation des services prévus. (Voir, par exemple, Meyer v. Dresser (1864), 16 C.B.(N.S.) 646; 143 E.R. 1280 (Corn. Pl.); The «Brede» et Aries Tanker Corpn y Total Transport Ltd, [ 1977] 1 All ER 398 (H.L.).) Cette Cour a appliqué ce principe dans l'arrêt SIS Steamship Company Ltd. c. Eastern Caribbean Container Line S.A., [1986] 2 C.F. 27; (1986), 66 N.R. 74. Ces règles relatives au fret correspondent à celles qui prévalaient originale- ment en common law et, ainsi que le dit lord Simon of Glaisdale à la page 406 de l'arrêt Aries Tanker, [TRADUCTION] «demeurent intactes, comme une tranche de pré-cambrien parmi les détritus sédimentaires». Elles ne peuvent même pas être écartées par la compensation fondée sur l'equity. Dans l'arrêt Aries Tanker, lord Wilber- force a rejeté un argument voulant que la doctrine de la compensation fondée sur l'equity permette à un affréteur d'opérer compensation entre une demande fondée sur la livraison incomplète d'une cargaison et une demande de fret intentée par un propriétaire de navire. Il a dit aux pages 404 et 405:
[TRADUCTION] Vos Seigneuries, on a aussi soutenu que la demande des affréteurs fondée sur la livraison incomplète
pourrait faire l'objet de la compensation fondée sur l'equity— cet argument, comme je l'ai compris, tenait pour acquise la non reconnaissance du droit à la déduction prévue à la loi. Cette Chambre a peut-être accordé plus d'importance à cette préten- tion que ne l'a fait la Cour d'appel dans les arrêts The Brede ([1973] 3 All ER 589, [1974] QB 233), bien qu'elle semble de fait avoir été prise en considération de façon adéquate dans cette affaire. Cet argument ne me semble pas aider la cause des affréteurs. Une chose est certaine en ce qui regarde la doctrine de la compensation en equity—quelque compliquée qu'elle ait pu devenir de par son rapprochement avec les questions procé- durales: pour que celle-ci soit applicable, il doit exister un droit en equity, un fondement à une intervention en equity, la simple existence d'une demande reconventionnelle ne suffisant pas: voir Rawson y Samuel ((1841) Cr & Ph 161, la page 178), les motifs du lord chancelier Cottenham, Best y Hill ((1872)
LR 8 CP 10, la page 15), ainsi que l'arrêt contemporain Hanak y Green ([1958] 2 All ER 141, la page 147, [1958] 2 QB 9, à la page 19), les motifs du lord juge Morris. Cependant, en l'espèce, l'avocat ayant soulevé cet argument n'a pu suggé- rer, et je n'ai pu moi-même déceler, aucun droit fondé sur l'equity qui permettrait de faire jouer le mécanisme de façon, en fait, à justifier la dérogation à une règle claire issue de la common law sur le fondement de laquelle les parties ont contracté. Il est significatif que, des décisions rendues depuis l'adoption de la Supreme Court of Judicature Act 1873 ou à une époque antérieure à l'adoption de cette Loi, lorsque les tribunaux étaient habilités à juger une telle demande selon l'equity, aucune n'a maintenu une telle compensation fondée sur l'equity ou défense fondée sur l'equity ni même, jusqu'à l'arrêt The Brede ([1973] 3 All ER 589, [1974] QB 233), n'a suggéré un tel recours. En fait, s'il existe un droit fondé sur l'equity dans la situation actuelle, il semblerait appartenir aux propriétaires et obliger les affréteurs à respecter l'entente qu'ils ont conclue en adoptant la règle 6 de l'article Ill des Règles de La Haye. Je rejetterais le présent appel. [Les soulignements sont ajoutés.]
Dans l'arrêt The Nanfri, une majorité de la Cour d'appel d'Angleterre a décidé que l'exception relative au fret ne s'applique qu'au [TRADUCTION] «fret» payable en vertu d'un connaissement ou d'un affrètement au voyage, et ne vise pas un droit exigé pour l'utilisation ou la location d'un navire dans le cadre d'un affrètement à temps, droit que l'on appelle en anglais «hire» ([TRADUCTION] «fret»). Cette distinction a permis à la Cour de rendre applicable la compensation fondée sur l'equity pour accorder une dérogation partielle à l'exception relative au fret. Selon lord Denning, dont les propos se trouvent rapportés à la page 1079 de l'arrêt The Nanfri, cette doctrine peut être plaidée dans des circonstances
[TRADUCTION] ... le propriétaire du navire a fautivement privé l'affréteur de l'utilisation du navire ou lui a causé un préjudice en ce qui regarde cette utilisation. Je ne l'étendrais pas à d'autres violations ou manquements du propriétaire, tels l'endommagement du cargo résultant de la négligence de l'équipage.
L'application de cette doctrine doit toutefois être restreinte à de telles circonstances. (Voir égale- ment The «Teno», [1977] 2 Lloyd's Rep. 289 (Q.B. (Com. Ct.)), aux pages 296 et 297.)
Il ressort des arrêts que nous avons déjà men- tionnés que l'existence d'un droit à une compensa tion selon l'equity requiert beaucoup plus que la simple présence d'une demande reconventionnelle. Ainsi que l'a énoncé lord Denning dans un passage déjà cité de l'arrêt The Nanfri, seules peuvent faire l'objet de la compensation fondée sur l'equity «les demandes reconventionnelles fondées sur la même transaction que la demande principale ou étroitement liées à cette transaction» et «attaquant directement les prétentions du demandeur», de sorte qu'il serait «manifestement injuste de lui permettre d'obtenir le paiement demandé sans tenir compte de la demande reconventionnelle». Cette affaire nous permet d'illustrer de façon pra- tique les circonstances dans lesquelles cette doc trine peut être invoquée. Le propriétaire d'un bateau recherchait le recouvrement du fret prévu dans un affrètement à temps. L'affréteur sollicitait la compensation des dommages qu'il avait subis parce que le propriétaire du navire l'avait à tort privé de l'usage de ce navire pendant que la charte-partie était en vigueur. La Cour d'appel a permis qu'il y ait compensation entre la demande reconventionnelle en dommages-intérêts et la réclamation de fret. La demande reconventionnelle non seulement était fondée sur l'entente invoquée par le propriétaire mais elle était directement reliée à la réclamation de fret, de sorte qu'elle pouvait être intentée pour réduire ou éteindre la revendication du propriétaire du navire. Il serait manifestement injuste de forcer l'affréteur à payer le fret sans lui avoir permis au préalable de faire valoir sa demande reconventionnelle pour le préju- dice qu'il a subi lorsque le propriétaire du navire l'a privé à tort de l'usage de ce navire au cours de la période visée par la réclamation du fret.
Le lord chancelier Cottenham a expliqué dans l'arrêt Rawson v. Samuel (1841), Cr. & Ph. 161; 41 E.R. 451 (Ch.) la raison pour laquelle le demandeur reconventionnel doit établir que sa demande conteste directement celle du demandeur. À l'époque, l'equity intervenait en faveur d'une personne prétendant posséder un droit à une com pensation selon l'equity en lui accordant la possibi-
lité d'une injonction empêchant la poursuite de l'action du demandeur. Je ferai référence à un passage figurant aux pages 179 et 180 Cr. & Ph.; 458 et 459 E.R. du jugement du lord chancelier:
[TRADUCTION] Plusieurs décisions ont été citées à l'appui de la demande d'injonction; cependant, l'on constatera que dans chacune de celles-ci, à l'exception de l'arrêt Williams v. Davies, le droit en equity dont il est question dans la demande attaquait le droit dont il était fait état dans l'action. Dans l'affaire Beasley v. D'Arcy (2 Sch. & Lef. 403, n.), le locataire a été autorisé à résilier son bail en payant le loyer qui était dû; et, dans l'appréciation du montant de ce loyer, une somme due au locataire par le locateur en raison des dommages causés lors d'une coupe de bois d'oeuvre avait été déduite. Les deux montants en jeu étaient des montants précis, et, selon le droit en equity opposé au locateur, celui-ci ne pouvait point recouvrer la possession de la ferme pour défaut de paiement du loyer alors qu'il devait un montant au locataire en raison des dommages qu'il avait causés à cette même ferme. Dans l'affaire O'Connor v. Spaight (1 Sch. & Lef. 305), le loyer payé constituait un élément d'un compte complexe; et il était impossible, sans examiner ce compte, de déterminer le montant que le locataire devait payer pour résilier son bail. Dans l'affaire Ex parte Stephens (11 Ves. 24), l'expression equitable set-off (compen- sation en equity) est utilisée; cependant, le billet ayant été consenti sur la foi d'une fausse déclaration, alors que se trouvait cachée la dette importante du bénéficiaire de ce billet envers son souscripteur, il a été ordonné que le billet en question soit remis au souscripteur comme ayant été payé. Dans l'affaire Piggott v. Williams (6 Mad. 95), la plainte faisant état de la négligence de l'avocat attaquait directement la demande que celui-ci tentait de faire accueillir. Dans l'arrêt Lord Cawdor v. Lewis (1 Y. & Coll. 427), la note marginale énonce de façon trop large la proposition dont il est question; en effet, dans cette affaire, l'action pour bénéfices illégitimes était intentée contre le demandeur, à qui la Cour, en equity, a reconnu, à l'encontre du défendeur, le droit au terrain visé.
Les arrêts statuant subséquemment sur ce point ont régulièrement suivi ce principe. Je fais réfé- rence, à titre d'exemple, à la décision rendue par le Conseil privé dans l'arrêt Government of New- foundland v. Newfoundland Railway Company (1888), 13 App. Cas. 199. Dans cette affaire, ainsi que l'a souligné lord Hobhouse à la page 212, les [TRADUCTION] «deux demandes soumises à notre appréciation ont leur origine dans la même partie d'un unique contrat, les obligations dont elles sont nées se trouvent des plus étroitement liées». Les décisions rendues au cours du présent siècle dans les affaires Bankes v. Jarvis, Morgan and Son, Ltd. v. Martin Johnson (S.) & Co., Ltd., [1948] 2 All E.R. 196 (C.A.), Hanak v. Green, Aries Tanker et The Nanfri peuvent servir d'illus- trations contemporaines de la nécessité pour un demandeur reconventionnel invoquant la doctrine de l'equity d'établir que sa revendication attaque
directement la demande du demandeur. (Voir éga- lement The «Leon», [1985] 2 Lloyd's Rep. 470 (Q.B. (Com. Ct.)), aux pages 474 et 475.) Ici au Canada, de la même façon, la jurisprudence semble être en harmonie complète avec les déci- sions anglaises rendues à ce sujet (voir, par exem- ple, Kaps Transport Ltd. v. McGregor Telephone & Power Const. Co. Ltd. (1970), 73 W.W.R. 549 (C.A. Alb.); Abacus Cities Ltd. v. Aboussafy (1981), 29 A.R. 607 (C.A.); United Chemicals Ltd. v. Prince Albert Pulp Co. Ltd. (1981), 11 Sask. R. 320 (B.R.); Norbury Sudbury Ltd. v. Noront Steel (1981) Ltd. (1984), 47 O.R. (2d) 548 (H.C.); Coba Indust. Ltd. v. Millie's Hldg. (Can.) Ltd. (1985), 65 B.C.L.R. 31 (C.A.)).
Il est vrai que les revendications des parties qui s'opposent en l'espèce procèdent du même contrat de charte-partie. À cet égard, elles sont étroite- ment liées. D'autre part, je ne puis voir comment il peut être dit que l'une ou l'autre des revendications dont fait état la demande reconventionnelle des intimés conteste directement la demande de l'appe- lante présentée à l'alinéa 4(a) de la déclaration modifiée. L'appelante a payer des frais addi- tionnels à titre d'affréteur parce qu'elle a été privée à tort de l'usage du navire. Les demandes reconventionnelles relatives aux dommages causés au navire, et sollicitant des augmentations du fret relativement à l'économie de carburant et à l'utili- sation du navire à une vitesse dépassant celle qu'autorisait sa capacité, n'attaquent pas, selon moi, cette demande. Chacune constitue une reven- dication distincte ne touchant aucunement cette demande. Je ne vois pas comment nous pourrions empêcher l'appelante de faire valoir son droit d'ob- tenir un jugement relativement à cette demande conformément à la Règle 341a) si, évidemment, l'appelante remplit par ailleurs les conditions pres- crites à cet égard.
La conclusion que j'ai prise ne manque pas de tenir compte de certaines vues exprimées par lord Denning dans l'arrêt The «Angelic Grace», [1980] 1 Lloyd's Rep. 288 (C.A.). Dans cette affaire, l'affréteur réclamait la valeur de certains réser- voirs demeurés à bord au moment les chartes- parties ont pris fin. Dans une demande reconven- tionnelle, le propriétaire du navire a demandé à être indemnisé à l'égard des dommages causés au navire pendant que les contrats étaient en vigueur.
La demande et les demandes reconventionnelles ont été renvoyées à l'arbitrage. La seule question soumise à la Cour d'appel était celle de savoir si les arbitres avaient excédé leur compétence en déci- dant que l'affréteur ne pourrait recouvrer un mon- tant de façon provisoire que s'il fournissait une garantie assurant la remise de ce montant dans l'éventualité les demandes reconventionnelles du propriétaire seraient accueillies. En décidant que les arbitres avaient commis une erreur, lord Denning a fait certaines observations qui, à pre- mière vue, pourraient être interprétées comme appuyant le point de vue des intimés. À la page 293, il a dit:
[TRADUCTION] Il me semble que, en rendant une sentence provisoire, les arbitres peuvent et devraient examiner toutes les circonstances de l'affaire. Ils peuvent considérer les deux autres arbitrages tout autant que le présent arbitrage. Ils peuvent appliquer le principe de la compensation tirée de l'equity suivant la manière dont il a été conçu dans l'arrêt The Nanfri (Federal Commerce v. Molena), [1978] 2 Lloyd's Rep. 132; [1978] Q.B. 927.
En l'espèce, il existait trois chartes-parties mettant en jeu le même navire et les mêmes affréteurs au cours d'un seul espace de temps. Les demandes et demandes reconventionnelles fon- dées sur les différentes chartes-parties sont si étroitement reliées qu'elles pourraient faire l'objet de la compensation selon l'equity s'il s'agissait d'une demande présentée devant une cour de justice.
Ces observations de lord Denning constituaient une remarque incidente, n'étant pas nécessaires pour trancher la question en litige. Je doute fort qu'il ait eu l'intention de rejeter le principe fonda- mental sur lequel la doctrine de la compensation en equity est fondée, suivant lequel la demande reconventionnelle doit contester la demande du demandeur. Il a reconnu ce principe ainsi que les restrictions qui en découlaient aussi récemment qu'en 1978, dans l'arrêt The Nanfri.
Je conclus que les intimés, en droit, ne peuvent invoquer la doctrine de la compensation reconnue en equity à l'encontre de la demande de l'appe- lante figurant à l'alinéa 4(a) de la déclaration modifiée.
Les intimés prétendent que, quoi qu'il en soit, l'appelante n'a pas droit au jugement prévu à la Règle 341a). Ils disent que la sentence du 27 juillet 1985 n'est qu'une sentence provisoire et a été reconnue comme telle dans la plaidoirie. Si c'était le cas, je ne considérerais pas que le para- graphe 2 de la défense et demande reconvention-
nelle contient l'«admission» devant servir de fonde- ment à un jugement prononcé en vertu de cette règle. Je ne puis toutefois considérer que la sen tence prononcée est provisoire. Il ne semble pas que les arbitres aient d'autres formalités à remplir pour lui conférer un caractère définitif. Selon son libellé même, cette sentence [TRADUCTION] «tran- che DE FAÇON DÉFINITIVE la question jugée» (paragraphe 6) et statue que le paiement prescrit sera exécuté [TRADUCTION] «immédiatement» (paragraphe 8). Les revendications restantes, y compris la demande reconventionnelle des intimés à laquelle il est fait allusion au paragraphe 4 de la sentence, ne se trouvaient pas soumises à l'appré- ciation des arbitres. Elles mettent en jeu des litiges additionnels ainsi que des arbitrages distincts.
Compétence
Je dois encore traiter de deux autres points. Le premier procède d'une prétention voulant que la Division de première instance ne possède pas la compétence requise pour entendre et juger les réclamations présentées dans la demande recon- ventionnelle. Je ne puis accepter cette prétention. L'appelante a invoqué la compétence de la Divi sion de première instance en intentant une action contre le navire et son propriétaire dans le but de faire exécuter des sentences tranchant des litiges renvoyés devant les arbitres conformément à l'arti- cle 53. La lettre d'engagement portant garantie exigeait des intimés qu'ils acceptent la significa tion de la déclaration modifiée et présentent une défense. Ils l'ont fait.
Il me semble que l'objet des demandes présen- tées dans la demande reconventionnelle ressortit à un chef de compétence mentionné à l'alinéa 22(2)i) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10:
22....
(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), il est déclaré pour plus de certitude que la Division de première instance a compétence relativement à toute demande ou à tout litige de la nature de ceux qui sont ci-après mentionnés:
i) toute demande née d'une convention relative au transport de marchandises à bord d'un navire, à l'utilisation ou au louage d'un navire soit par charte-partie, soit autrement;
Dans l'arrêt Cormorant Bulk -Carriers Inc. c. Canficorp (Overseas Projects) Ltd. (1984), 54 N.R. 66, à la page 78, cette Cour a donné aux
termes «née d'une convention» une interprétation large. À mon sens, ils sont suffisamment larges pour viser l'objet des revendications présentées dans la demande reconventionnelle. Ces revendica- tions, en substance, visaient des dommages-intérêts pour violation du contrat. L'arbitrage est simple- ment la voie de recours sur laquelle les parties se sont entendues. (Voir Eurobulk Ltd. c. Wood Pre servation Industries, [1980] 2 C.F. 245 (i re inst.).)
Il est vrai, évidemment, que l'appelante est une société étrangère ne possédant ni résidence cana- dienne ni lien commercial avec le Canada. L'on doit, toutefois, considérer que l'appelante, en intentant cette action devant la Division de pre- mière instance et en s'assujettissant à sa compé- tence, a reconnu celle-ci non seulement à cette fin mais encore de façon à permettre aux intimés de se défendre de manière adéquate. Cette défense, il me semble, comprend la possibilité pour la partie défenderesse de présenter une demande reconven- tionnelle lorsque ses revendications sont fondées sur la charte-partie même sur laquelle l'appelante appuie ses prétentions visant la rupture de contrat. Le principe directeur relatif à cette question a été énoncé en Angleterre, il a été appliqué dans le cadre de procédures en amirauté (voir, par exem- ple, The Cheapside, [1904] P. 339 (C.A.)). Je suis d'avis que ce principe est applicable en l'espèce puisque l'appelante s'est adressée à la Cour pour régler ses revendications contre les intimés et que les revendications de la demande reconventionnelle sont fondées sur le même contrat que la demande principale.
Finalement, on a soutenu que la demande recon- ventionnelle aurait être suspendue ainsi que l'exige l'article 1 de la Arbitration Act (R.-U.), 1975, chap. 3:
[TRADUCTION] 1.—(1) Si une partie à une entente pré- voyant un arbitrage à laquelle s'applique le présent article, ou ses ayants droit, intente des procédures devant un tribunal quelconque contre une autre des parties à l'entente, ou ses ayants droit, relativement à toute question qu'on avait convenu d'envoyer à l'arbitrage, l'une quelconque des parties à ces procédures peut, en tout temps après la comparution, et avant de produire des plaidoiries écrites, ou de passer à toutes autres étapes de la procédure, demander au tribunal en question une suspension d'instance; ce dernier, à moins d'être convaincu que l'entente prévoyant l'arbitrage est nulle et non avenue, inopé- rante ou non susceptible d'exécution, ou qu'il n'existe effective- ment aucun litige entre les parties concernant la question qu'elles ont convenu de renvoyer à l'arbitrage, doit prononcer une ordonnance de suspension d'instance.
Cette loi, comme le déclare son titre intégral, rendait [TRADUCTION] «effective la Convention de New York pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères». Avec défé- rence, je ne vois pas de quelle manière la Cour fédérale du Canada pourrait être considérée comme [TRADUCTION] «le tribunal» habilité à agir en vertu de cette disposition.
Dispositif
Pour les motifs qui précèdent, j'accueillerais le présent appel avec dépens. J'estime que l'appelante a droit à un jugement lui accordant les dommages- intérêts pour inexécution de la charte-partie que la sentence arbitrale du 27 juillet 1985 lui avait adjugés. Toutefois, considérant les dispositions de l'article 11 de la Loi sur la monnaie et les changes, S.R.C. 1970, chap. C-39:
11. Tous les comptes publics à travers le Canada doivent être tenus en monnaie canadienne; et toute déclaration, quant à une somme d'argent ou une valeur en argent, dans une accusation ou quelque procédure judiciaire, doit être énoncée en monnaie canadienne.
nous ne pouvons exprimer les montants dus dans les monnaies étrangères utilisées dans la sentence. (Voir, par exemple, Baumgartner v. Carsley Silk Co. Ltd. (1971), 23 D.L.R. (3d) 255 (C.A. Qué.); Batavia Times Publishing Co. v. Davis (1978), 88 D.L.R. (3d) 144 (H.C. Ont.), confirmé dans une décision non motivée, C-.A. Ont., janvier 1979; Am-Pac Forest Products Inc. v. Phoenix Doors Ltd. (1979), 14 B.C.L.R. 63 (C.S.).) Les montants énoncés en monnaie étrangère devront être conver- tis en monnaie canadienne. Peut-être les parties peuvent-elles s'entendre à cet égard. Dans les cir- constances, je crois que, conformément à la Règle 337(2)b), l'appelante devrait préparer un projet de jugement approprié pour donner effet à la décision qui précède et demander que ce jugement soit prononcé.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs. LE JUGE LACOMBE: Je souscris à ces motifs.
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