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A-552-86
D. Morgan Firestone (appelant)
c.
La Reine (intimée)
RÉPERTORIÉ: FIRESTONE C. CANADA
Cour d'appel, juges Heald, Urie et MacGuigan— Toronto, 7 et 8 avril; Ottawa, 1 °r mai 1987.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu Déductions Le contribuable a acquis des entreprises se trouvant en diffi culté afin d'en faire des entreprises rentables et a créé une société de portefeuille ayant pour objet de détenir leurs actions Les dépenses engagées pour mettre sur pied un tel conglo- mérat sont-elles imputables au capital ou au revenu? Les dépenses engagées pour étudier divers investissements possi bles ne sont pas déductibles Les dépenses relatives à la supervision des sociétés acquises sont déductibles Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, chap. 148, art. 12(1)a),b); S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 18(1)a),b).
En 1968, l'appelant a entamé la mise sur pied d'une entre- prise d'investissement de capital-risque lui permettant d'acqué- rir des petites ou moyennes entreprises industrielles se trouvant en difficulté et d'en faire des entreprises rentables. De 1969 à 1972, l'appelant et ses employés ont étudié 50 débouchés commerciaux possibles. Quatre entreprises commerciales ont été acquises, et leur exploitation supervisée (l'appelant et ses employés donnaient des directives et des conseils généraux sans prendre part aux opérations courantes). En 1971, l'appelant a constitué une société de portefeuille ayant pour objet de détenir les actions de ces sociétés.
L'appelant a inscrit les dépenses d'étude et de supervision prémentionnées au poste des déductions pour les années d'impo- sition 1969 à 1972. Le ministre a rejeté ces déductions. Il s'agit d'un appel interjeté du jugement de la Division de première instance rejetant l'appel formé à l'encontre de la décision du ministre.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli uniquement en ce qui a trait aux dépenses de supervision.
La principale question posée en l'espèce (qui consiste à savoir si une dépense particulière est imputable au capital ou au revenu) est une question classique de droit (et de fait) ne pouvant être tranchée sur le seul fondement soit des principes comptables généralement reconnus soit des conclusions de fait du juge de première instance. Il n'existe aucun critère permet- tant de trancher nettement une telle question. Toutefois, l'on a généralement reconnu que les dépenses relatives à l'acquisition ou à la mise sur pied d'une entité commerciale sont imputables au compte capital. Tel est le cas en l'espèce en ce qui concerne les dépenses relatives à l'étude des débouchés possibles. Et il n'importe point que les études dont on veut déduire les coûts aient conduit à des acquisitions—l'appelant a reconnu qu'il s'agissait alors de dépenses de capital--ou ne l'aient point fait: Neonex International Ltd. c. Sa Majesté la Reine (1978), 78 DTC 6339 (C.A.F.). Ces dépenses appartenaient toutes à la même catégorie et avaient été engagées pour la même fin.
Les frais relatifs à la supervision sont, d'autre part, déducti- bles. Ces dépenses ont été engagées afin de surveiller la ligne de conduite fiscale et les opérations commerciales des sociétés et de leur donner des directives et des conseils généraux destinés à les rendre encore plus rentables. Les tribunaux ont sanctionné une distinction entre la mise sur pied d'une entreprise et l'exploitation d'une entreprise en marche ainsi qu'entre l'acqui- sition de nouveaux biens et l'amélioration de biens existants. La possibilité de déduire de telles dépenses est tributaire de la question de savoir si celles-ci ont été engagées afin de gagner un revenu, une condition dont la réalisation dépend des faits particuliers à chaque espèce.
L'entreprise de l'appelant n'était pas principalement une entreprise de gestion d'actions, auquel cas les coûts relatifs à la supervision n'auraient pas été déductibles: ses activités consis- taient plutôt à gérer de manière rentable (de façon indirecte) ses sociétés en exploitation. La cause de l'appelant n'est pas non plus affaiblie parce que l'entreprise de ce dernier ne génère aucun revenu immédiat et ne comporte aucune source de revenu immédiat: Vallambrosa Rubber Company Limited v. Farmer (1910), 5 T.C. 529 (Ct Sess., Écosse). Une interpréta- tion réaliste, pratique et fondée sur le sens commun ne sera écartée au profit de considérations étroites d'ordre technique que si celles-ci se trouvent clairement imposées par la loi.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Neonex International Ltd. c. Sa Majesté la Reine (1978), 78 DTC 6339 (C.A.F.); confirmant (1977), 77 DTC 5321 (C.F. 1`e inst.); British Insulated and Helsby Cables v. Atherton, [1926] A.C. 205 (H.L.); Sun News papers Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1938), 61 C.L.R. 337 (H.C. of Aust.); Johns -Manville Canada Inc. c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46; 85 DTC 5373; [1985] 2 CTC 111; B.P. Australia Ltd. v. Comr. of Taxation of the Commonwealth of Australia, [1966] A.C. 224 (P.C.); Hallstroms Pty. Ltd. v. Federal Com missioner of Taxation (1946), 72 C.L.R. 634 (H.C. of Aust.); Canada Starch Co. v. Minister of National Reve nue, [1969] 1 R.C.É. 96; (1968), 68 DTC 5320; Le ministre du Revenu national c. M. P. Drilling Ltd. (1976), 76 DTC 6028 (C.A.F.); Irrigation Industries Limited v. The Minister of National Revenue, [1962] R.C.S. 346; Bowater Power Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1971] C.F. 421; 71 DTC 5469 (1" inst.); Odeon Associated Theatres Ltd v Jones (Inspector of Taxes), [1972] 1 All ER 681 (C.A.); Oxford Shopping Centres Ltd. c. R., [1980] 2 C.F. 89; (1979), 79 DTC 5458 (1te inst.); Vallambrosa Rubber Company Limited v. Farmer (1910), 5 T.C. 529 (Ct Sess., Écosse).
DÉCISIONS CITÉES:
Van Den Berghs, Ld. v. Clark (Inspector of Taxes), [1935] A.C. 431 (H.L.); Stein et autres c. Le navire «Kathy et autres, [1976] 2 R.C.S. 802.
AVOCATS:
David C. Nathanson pour l'appelant.
D. H. Aylen, c.r. et Paul E. Plourde pour l'intimée.
PROCUREURS:
McDonald & Hayden, Toronto, pour l'appe- lant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: La présente espèce fait ressortir de nouvelles insuffisances de la loi régis- sant l'impôt sur le revenu, insuffisances qui ont trait au vieux problème de savoir si une somme d'argent doit être qualifiée de revenu ou de capital. Ce type de problème peut survenir soit au chapitre des recettes soit à celui des dépenses. Ainsi que l'a exprimé lord Macmillan dans l'arrêt Van Den Berghs, Ld. v. Clark (Inspector of Taxes), [1935] A.C. 431 (H.L.), à la page 439, [TRADUCTION] «le contribuable et la Couronne soutiendront l'un ou l'autre point de vue suivant que le poste en cause a trait aux recettes ou aux dépenses, et ils présente- ront tour à tour des arguments visant à élargir ou à restreindre le concept de revenu». En l'espèce, le litige porte sur des dépenses, que le contribuable veut mettre au rang des déductions admissibles et dont la Couronne prétend qu'elles constituent des dépenses de capital.
I
Il s'agit d'un appel interjeté d'un jugement du juge McNair [(1986), 4 F.T.R. 223; 86 DTC 6405] en date du 7 juillet 1986, jugement qui, dans sa version corrigée (par une ordonnance en date du 27 août 1986 [[1987] C.C.L. 4095]), a accueilli l'appel interjeté à l'encontre de nouvelles cotisa- tions établies par le ministre relativement aux années d'imposition 1969 à 1972 inclusivement de l'appelant en ce qui a trait à la déductibilité de certaines dépenses dont le caractère déductible a été reconnu par les parties mais qui, à tous autres égards, a maintenu les nouvelles cotisations.
Le juge de première instance a, en conséquence, rejeté la prétention de l'appelant voulant qu'il soit également ordonné au ministre du Revenu national d'examiner à nouveau sa cotisation et d'établir une
nouvelle cotisation en tenant pour acquis que les dépenses effectuées par l'appelant pour les années d'imposition 1969 à 1972 qui avaient été placées sous les rubriques [TRADUCTION] «étude de débouchés» et [TRADUCTION] «supervision de sociétés», dépenses s'élevant respectivement à 77 590 $ et 101 640 $, devraient également être admises à titre de déductions pour les années pertinentes.
Les faits sont essentiellement les suivants. En 1968, l'appelant a résigné ses fonctions de prési- dent de la Firestone Tire and Rubber Company of Canada Limited pour commencer sa propre entre- prise d'investissement de [TRADUCTION] «capi- tal—risque», qui lui permettrait d'acquérir des petites ou moyennes entreprises industrielles se trouvant en difficulté ou dans une situation finan- cière précaire mais qui pouvaient, grâce à une supervision et à une gestion appropriée, être mises sur la bonne voie. Il espérait former un groupe- ment de sociétés diversifiées oeuvrant dans le sec- teur industriel, pour en faire un [TRADUCTION] «mini-conglomérat» dont les actions seraient éven- tuellement offertes au public.
Dans la poursuite de cet objectif, l'appelant a loué des locaux commerciaux et a embauché des employés à plein temps et à temps partiel qui devaient l'aider à étudier divers débouchés com- merciaux et à superviser l'exploitation des sociétés qui seraient acquises. Au cours des années 1969 à 1972, l'appelant et ses employés ont étudié et évalué une cinquantaine de débouchés et possibili- tés commerciaux, dont le large éventail comprenait des produits, des brevets, des licences et du savoir- faire, aussi bien que des sociétés.
L'appelant n'a fait aucune acquisition en 1969, mais en 1970, il a acquis toutes les actions émises de trois sociétés. En 1971, il a constitué la Firan International Limited («Firan») et a acquis toutes ses actions; celle-ci a ensuite acquis toutes les actions du capital-actions d'une autre société. En 1972, l'appelant a transmis toutes les actions des trois sociétés qu'il avait acquises en 1970 à Firan, qui est alors devenue la société de portefeuille détenant les actions de ces quatre sociétés.
Dès les premières acquisitions en 1970, l'appe- lant et ses employés ont supervisé et contrôlé les sociétés qu'il avait acquises, conférant avec leur
direction et leur donnant des directives et des conseils généraux sans prendre part à leurs opéra- tions courantes, dans le but d'accroître leur renta- bilité. Évidemment, ils ont également continué d'étudier de nouveaux débouchés.
Après la transmission des actions des sociétés d'exploitation à Firan en 1972, les deux employés principaux de l'appelant sont devenus des employés de Firan, tout en continuant d'être employés et payés par l'appelant pour effectuer des études concernant d'autres entreprises industriel- les.
Les dispositions pertinentes de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.R.C. 1952, chap. 148 (mod. par S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 1)] sont énoncées par le juge de première instance, dont l'analyse minutieuse vaut d'être citée de façon assez com- plète [aux pages 225 230 F.T.R.; 6407 6410 DTC]:
En ce qui concerne les années d'imposition 1969, 1970 et 1971, les dispositions légales s'appliquant plus particulièrement au cas du demandeur sont les art. 3 et 4, les alinéas 12(1)a) et b) et le paragraphe 203(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.R.C. 1970, chap. I-5. Le 23 décembre 1971, des modifica tions importantes ont été apportées à la Loi de l'impôt sur le revenu à la suite de l'adoption d'une Loi modificative, S.C. 1970-71-72, chap. 63. Les anciennes dispositions légales ont été révisées et une nouvelle numérotation leur a été donnée, de sorte qu'elles sont ainsi conçues:
3. Le revenu d'un contribuable pour une année d'imposition, aux fins de la présente Partie, est son revenu pour l'année, déterminé selon les règles suivantes:
a) en calculant le total des sommes qui constituent cha- cune le revenu du contribuable pour l'année (autre qu'un gain en capital imposable résultant de la disposition d'un bien), dont la source se situe à l'intérieur ou à l'extérieur du Canada, y compris, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien; ...
9.(1) Sous réserve des dispositions de la présente Partie, le revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.
(2) Sous réserve des dispositions de l'art. 31, la perte subie par un contribuable dans une année d'imposition relative- ment à une entreprise ou à un bien est le montant de sa perte, si perte il y a, subie dans cette année d'imposition relative- ment à cette entreprise ou à ce bien, calculée en appliquant mutatis mutandis les dispositions de la présente loi afférentes au calcul du revenu tiré de cette entreprise ou de ce bien.
18.(1) Dans le calcul du revenu du contribuable, tiré d'une entreprise ou d'un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles;
a) un débours ou une dépense sauf dans la mesure elle a été faite ou engagée par le contribuable en vue de tirer un revenu des biens ou de l'entreprise ou de faire produire un revenu aux biens ou à l'entreprise;
b) une somme déboursée, une perte ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente Partie;
248.(1) Dans la présente loi,
«entreprise ou affaire» comprend une profession, un métier, un commerce, une manufacture ou une activité de quelque genre que ce soit, y compris un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, mais ne comprend pas une charge ni un emploi;
«biens» signifie des biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels et comprend, sans restreindre la portée générale de ce qui précède,
a) un droit de quelque nature qu'il soit, une action ou part,
Bref, je parlerai, à toutes fins utiles, des dispositions légales pertinentes en les désignant par le numéro qui leur a été donné lors des modifications de 1971. Elles sont à peu près identiques aux dispositions antérieures de l'ancienne Loi.
Pour qu'une dépense puisse être déduite, dans le calcul du revenu d'un contribuable, deux conditions préalables doivent être respectées. La dépense doit avoir été faite ou engagée par le contribuable afin de tirer un revenu des biens ou de l'entre- prise ou de faire produire un revenu aux biens ou à l'entreprise, au sens de l'art. 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Une fois qu'il a été conclu qu'une dépense particulière a été faite afin de tirer un revenu ou de faire produire un revenu, il faut alors déterminer si elle constitue ou non un paiement à titre de capital au sens de l'art. 18(1)b): voir B.C. Electric Railway Co. Ltd. v. M.N.R., [1958] S.C.R. 133; 58 DTC 1022. La défende- resse soutient qu'aucune de ces deux conditions préalables n'est remplie relativement aux dépenses en question.
Il est reconnu que le demandeur avait pour objectif final de réaliser des bénéfices à l'aide des entreprises qu'il avait acqui- ses. La preuve ne laisse planer presque aucun doute quant au fait que l'activité dans laquelle il s'était engagé occupait une bonne partie de son temps, de son attention et de ses énergies. L'avocat de la défenderesse a soutenu avec véhémence qu'ache- ter des actions afin de réaliser un bénéfice en les détenant à titre de placement ne constitue pas une entreprise. Il a été signalé que le demandeur n'exigeait pas de frais de gestion du conglomérat. On a mis l'accent sur le fait qu'il n'existait aucune entreprise visant à la prestation de services de gestion. Par conséquent, il n'y avait aucune source de revenu ni aucune attente raisonnable de tirer un profit d'une activité pouvant être considérée, strictement parlant, comme une entreprise. Il y avait au plus l'attente d'un avantage final en tant qu'investis- seur. L'avocat de la défenderesse a donc soutenu que les dépenses engagées lors de l'étude des débouchés et de la supervision des sociétés acquises à la suite de pareille étude ne pouvaient pas être déduites du revenu.
Le revenu provenant de la propriété d'actions de sociétés est généralement considéré comme un revenu tiré d'un bien n'exi- geant normalement pas que le détenteur lui consacre beaucoup d'effort ou d'énergie afin d'obtenir le rendement prévu: Hollin- ger c. M.R.N., 73 D.T.C. 5003 (C.F. 1' inst.).
Les sociétés acquises par le demandeur étaient des entrepri- ses en mauvaises affaires ou des entreprises stagnantes qui avaient été prises en considération par suite des possibilités non réalisées de profit qu'elles offraient. On a consacré beaucoup de temps, de soin et d'énergie aux fins de leur acquisition initiale et par la suite. La preuve montre que ces acquisitions n'au- raient probablement pas produit un revenu positif sans l'inter- vention professionnelle énergique et active du demandeur et de ses principaux employés. Le litige, me semble-t-il, porte sur la question de savoir si les dépenses en question ont été imputées au revenu à titre de dépenses courantes engagées dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise à capital de risque du deman- deur, ou s'il s'agissait de dépenses de capital qui ont été payées dans le cadre d'un projet visant à former ou à constituer la structure même de l'entreprise, soit un conglomérat.
La question a fait l'objet de nombreux arrêts, au cours des ans ... [Il a alors mentionné les décisions rendues dans les affaires Canada Starch Co. Ltd. v. M.N.R., [1969] 1 R.C.E. 96; 68 DTC 5320; Bowater Power Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1971] C.F. 421; 71 DTC 5469 (1" inst.); Ministre du Revenu national c. Algoma Central Railway, [1968] R.C.S. 447; 68 DTC 5096; Oxford Shopping Centres Ltd. c. R., [1980] 2 C.F. 89; (1979), 79 DTC 5458 (1f» inst.); Johns -Manville Canada Inc. c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 46; 85 DTC 5373; [1985] 2 CTC 111; et Neonex International Ltd. c. La Reine (1977), 77 DTC 5321 (C.F. 1" inst.); confirmé par (1978), 78 DTC 6339 (C.A.F.)].
[...] il n'existe aucun principe fondamental qui puisse s'ap- pliquer à toutes les situations. Chaque affaire doit pour ainsi dire être jugée selon son bien-fondé. En tout état de cause, il semblerait être certain que les dépenses du demandeur ont été faites ou engagées «afin de tirer un revenu ou de faire produire un revenu» et ce, qu'il s'agisse d'un revenu tiré d'un bien ou d'un revenu d'entreprise. Le demandeur soutient, bien sûr, qu'il s'agissait de dépenses courantes engagées dans le cadre des activités lucratives de son entreprise. Tel est le nœud du litige et la question qu'il reste à trancher, à mon sens, est celle de savoir s'il s'agissait de dépenses ordinaires ou de dépenses de capital au sens de l'art. 18(1)b).
Compte tenu de la preuve, je conclus que le demandeur était un entrepreneur compétent et déterminé qui n'hésitait pas à acquérir des entreprises commerciales en mauvaises affaires, mais offrant des possibilités distinctes, en vue d'en faire des entreprises rentables. Dans chaque cas, les sociétés ont été acquises au moyen de l'achat de leurs actions et uniquement après mûre réflexion et après avoir minutieusement évalué leur situation. Le contribuable a consacré tous ses efforts et a fait appel à toutes ses connaissances pour accroître la rentabilité des sociétés acquises. Un objectif concomitant, une fois que le niveau souhaité de rentabilité avait été atteint, était de créer une société de portefeuille dont les actions seraient vendues au public. L'objectif à long terme était d'en tirer profit au moyen de dividendes versés par l'entremise de la société de portefeuille.
Tel était essentiellement le but du projet du demandeur. Je dois maintenant me demander si ce projet est différent de celui qu'avait formé la contribuable dans l'affaire Neonex. À mon avis, il ne l'est pas. Étant donné que le demandeur a peut-être envisagé un certain nombre de débouchés commerciaux avant de prendre finalement une décision, l'entreprise elle-même a réellement pris naissance lors de l'acquisition des sociétés d'ex- ploitation. C'est ce qui a donné lieu à la constitution de la structure ou de l'entité commerciale fondamentale. La création de la société de portefeuille venait en dernier. Je ne puis considérer l'organisation du conglomérat comme étant autre chose qu'un investissement. Il s'ensuit logiquement que les dépenses en litige n'étaient pas des dépenses courantes engagées dans le cadre des activités lucratives de l'entreprise. Ces dépen- ses ont plutôt été engagées dans le cadre d'un projet visant à la fusion de structures ou d'entités commerciales. Par conséquent, à mon avis, il s'agissait de dépenses de capital, au sens de l'art. 18(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
II
L'appelant a soutenu devant cette Cour que le juge de première instance avait commis quatre erreurs: (1) il aurait fait défaut d'accorder l'importance voulue au témoignage d'expert non contredit sui- vant lequel les pratiques et les principes compta- bles reconnus veulent qu'il soit préférable de ne pas considérer les dépenses en l'espèce comme des dépenses de nature capitale ou de reporter de telles dépenses d'aucune façon mais de les déduire à titre de coûts absorbés imputables à l'exercice au cours duquel ils ont été subis; (2) il aurait manqué de prendre en considération le fait que l'entreprise d'investissement de capital-risque a commencé ses activités en 1969 avant les acquisitions et les a poursuivies au cours de l'exercice pertinent; (3) il a manqué de distinguer les circonstances visées dans l'arrêt Neonex des circonstances de l'espèce; (4) il a tenu pour acquis que toute dépense effectuée par un contribuable dont l'entreprise comprend l'ac- quisition d'actifs immobilisés constitue obligatoire- ment une dépense imputable au compte de capital.
L'intimée soutient de façon générale que les conclusions de fait tirées par un juge de première instance ne devraient être modifiées par une cour d'appel que si elles sont entachées d'erreurs mani- festes et dominantes (Stein et autres c. Le navire «Kathy et autres, [ 1976] 2 R.C.S. 802), et elle affirme que ce principe s'applique à toutes les conclusions de fait comprises dans la décision en l'espèce.
Devant les arguments présentés par l'une et l'autre des parties, il importe de souligner que la
principale question posée en l'espèce est une ques tion classique de droit (et de fait) ne pouvant être tranchée sur le seul fondement soit des principes comptables généralement reconnus soit des conclu sions de fait du juge de première instance, la question consistant à savoir si une dépense particu- lière est imputable au capital ou au revenu.
Il n'existe aucun critère permettant de trancher nettement une telle question. La remarque inci- dente exprimée par le lord chancellier vicomte Cave dans l'arrêt British Insulated and Helsby Cables v. Atherton, [1926] A.C. 205 (H.L.), aux pages 213 et 214, fait partie des opinions classi- ques énoncées sur cette question:
[TRADUCTION] Mais quand on fait des dépenses non seulement une fois pour toutes, mais encore dans le but d'apporter un élément d'actif ou un avantage pour le bénéfice durable d'un commerce, je pense qu'il y a de très bonnes raisons (en l'ab- sence de circonstances particulières conduisant à une conclu sion contraire) de traiter une telle dépense comme si elle était à juste titre imputable non pas au revenu mais au capital.
Une autre remarque classique est celle qu'a expri- mée le juge Dixon (tel était alors son titre) dans l'arrêt Sun Newspapers Ltd. v. Federal Commis sioner of Taxation (1938), 61 C.L.R. 337 (H.C. of Aust.), à la page 363; elle porte sur l'examen de trois aspects essentiels de cette question:
[TRADUCTION] À mon sens, il faut examiner trois aspects: a) la nature de l'avantage recherché (son caractère permanent peut alors entrer en ligne de compte), b) son utilisation, son importance ou la façon d'en jouir (comme pour le critère précédent, la fréquence de l'emploi peut représenter un élément à considérer) et c) les moyens adoptés pour l'obtenir; par exemple, des compensations ou des débours ont-ils été effectués périodiquement en contrepartie de l'utilisation ou de la jouis- sance et pour une durée proportionnée au paiement? Ou encore, existe-t-il une clause définitive pour en garantir à l'avenir l'utilisation ou la jouissance, ou un paiement final à cet effet?
Le juge Estey, dans l'arrêt Johns -Manville, pré- cité, aux pages 59 R.C.S.; 5378 DTC; 119 CTC, a récemment dit qu'il existait «presque une infinité de nuances d'expressions qui servent à établir la différence entre des dépenses à porter au compte de revenu et des dépenses de capital». Le juge Estey déclare lui-même, aux pages 72 R.C.S.; 5384 DTC; 126 CTC, préférer nettement «l'appli- cation du bon sens à l'entreprise de la contribuable en ce qui concerne les dispositions fiscales», décla- ration qui rappelle celle qu'a faite le lord Pearce dans l'arrêt B.P. Australia Ltd. v. Comr. of Taxa tion of the Commonwealth of Australia, [1966] A.C. 224 (P.C.), à la page 264:
[TRADUCTION] C'est une appréciation saine de toutes les caractéristiques directrices qui doit apporter la réponse finale.
L'opinion du lord Pearce, quant à elle, procédait de l'approche suggérée par le juge Dixon dans l'affaire Hallstroms Pty. Ltd. v. Federal Commis sioner of Taxation (1946), 72 C.L.R. 634 (H.C. of Aust.), à la page 648, selon laquelle la solution [TRADUCTION] «dépend de l'effet envisagé de la dépense d'un point de vue pratique et commercial plutôt que de la classification juridique des droits, s'il en est, garantis, employés ou épuisés en cours de route».
Même s'il n'est pas certain quel est le critère précis à appliquer, l'on a généralement reconnu que les dépenses relatives à l'acquisition ou à la mise sur pied d'une entité commerciale sont impu- tables au compte capital. Aussi le président Jac- kett, dans le jugement rendu dans l'affaire Canada Starch Co. v. Minister of National Revenue, [ 1969] 1 R.C.E. 96, la page 102; 68 DTC 5320, aux pages 5323 et 5324, a-t-il pu énoncer au moins les principes suivants:
[TRADUCTION] Si l'on applique ce critère [celui que le juge Dixon a énoncé dans l'arrêt Sun Newspapers] à l'acquisition ou à la fabrication de biens ordinaires constituant une nouvelle structure commerciale ou un ajout à une structure existante, tout est simple. L'équipement et les machines constituent un actif immobilisé et les argents payés pour les acquérir sont imputables au compte capital, qu'ils soient
a) des argents déboursés pour mettre sur pied une nouvelle structure commerciale,
b) des argents déboursés pour ajouter à une structure commerciale déjà existante, ou
c) des argents déboursés pour acquérir une structure com- merciale existante.
Cette approche a été suivie par le juge Urie, de cette Cour, dans l'arrêt Le ministre du Revenu national c. M. P. Drilling Ltd. (1976), 76 DTC 6028. Subséquemment, dans l'arrêt Johns -Man- ville, précité, aux pages 73 R.C.S.; 5384 DTC; 126 CTC, le juge Estey a souligné dans son résumé de la preuve que les dépenses qu'il avait conclu être imputables au compte courant «ne faisaient pas partie d'un projet visant à réunir des biens».
Les principes applicables aux projets visant à réunir des biens s'appliquent, à mon avis, à plus forte raison lorsque les biens dont il est question sont des actions d'un capital social. Ainsi que l'a dit le juge Martland dans l'arrêt Irrigation Indus-
tries Limited v. The Minister of National Reve nue, [19621 R.C.S. 346, à la page 352; 62 DTC 1131, aux pages 1133 et 1134, au nom de la majorité de la Cour suprême:
[TRADUCTION] Les actions de compagnie sont dans une situation différente [de celle des risques à caractère commer cial] parce qu'elles constituent quelque chose dont l'achat, en lui-même, est un investissement. En elles-mêmes, ce ne sont pas des articles de commerce; elles représentent plutôt un intérêt dans une corporation créée dans un but commercial. Leur acquisition est une méthode bien reconnue d'investir du capital dans une entreprise commerciale.
L'avocat de l'appelant a reconnu au cours du débat que les coûts de l'étude relative aux débou- chés visant les quatre sociétés en exploitation qui ont été acquises constituaient des dépenses de capi tal, et il a établi clairement qu'ils avaient réelle- ment été capitalisés en l'espèce (exposé conjoint des faits, annexe B, colonne 7, dossier d'appel, vol. 2, page 216). Toutefois, il a avancé que les coûts des études visant une cinquantaine d'autres débou- chés qui n'ont pas conduit à des acquisitions doi- vent plutôt être considérés comme des dépenses d'exploitation.
Il m'est impossible d'accepter cette prétention. Il me semble que toutes les dépenses visant les études de débouchés doivent être mises sur le même pied. Ces dépenses étaient du même type et avaient le même objet. En fait, elles s'inscrivaient toutes dans l'entreprise à capital-risque qui, ainsi que l'appe- lant l'a vigoureusement soutenu, se poursuit depuis 1969. Rien ne nous justifie de considérer les quel- ques études qui ont mené à des acquisitions diffé- remment des nombreuses études qui n'ont pas eu ce résultat. Toutes s'inscrivaient au même titre dans le projet de l'appelant visant à réunir des actifs d'entreprises. Il fallait s'attendre—et c'était le postulat de base de la méthode d'étude de l'appelant—à ce que certaines des possibilités explorées s'avèrent constituer de bons risques alors que d'autres se révéleraient sans intérêt. À mon avis, le point de vue sensé adopté par l'appelant milite contre la distinction qu'il a tenté d'établir.
De plus, j'estime que cette question a déjà été tranchée par cette Cour dans l'arrêt Neonex Inter national Ltd. c. Sa Majesté la Reine (1978), 78 DTC 6339. Dans cette affaire, la société contri- buable, outre son entreprise d'enseignes lumineu- ses et d'annonces publicitaires extérieures, était la société mère d'un conglomérat de filiales exerçant
divers types d'activités indépendantes les unes des autres. La déductibilité des frais juridiques relatifs à une prise de contrôle ayant finalement avorté faisait partie des questions soulevées en appel. La seule véritable différence entre les faits de l'affaire Neonex et ceux de l'espèce est que, dans cette première affaire, la prise de contrôle, bien qu'ayant finalement échoué, a réellement été entreprise, et que les dépenses pouvaient, en consé- quence, être reliées à une transaction particulière. Le juge Urie, prononçant les motifs unanimes de la formation de cette Cour qui a confirmé la décision du juge de première instance, a écrit à la page 6346:
[L]e savant juge de première instance [...] n'a pu admettre que la constitution d'un portefeuille pût se qualifier d'entre- prise. Il a conclu au contraire que l'entreprise de l'appelante consistait à fabriquer et à vendre des enseignes, ainsi qu'à fournir des services de gestion et des fonds aux compagnies dans lesquelles elle avait acquis une participation majoritaire. À ses yeux, l'achat d'actions ne constitue pas en soi une entreprise mais, dans chaque cas, un placement fait en vue de gagner un revenu ...
Je souscris entièrement à cette conclusion. Je conviens aussi avec le juge de première instance que les dépenses dont il s'agit (dépenses subies dans la tentative de mainmise et dans la demande d'indemnité en remplacement des actions) étaient des dépenses de placement, donc imputables sur le compte capital. Le juge de première instance a donc jugé à bon droit que ces dépenses n'étaient pas déductibles-
J'estime non fondée la distinction que l'appelant a tenté d'établir entre ces deux affaires. Dans l'affaire Neonex, la Cour a considéré essentiel le fait que les frais judiciaires aient été engagés dans le cadre de la réunion d'actifs. C'est ce qu'a dit clairement le juge Marceau (dont le point de vue a été entériné par cette Cour) en Division de pre- mière instance, (1977), 77 DTC 5321, la page 5325:
La conclusion à tirer s'impose: les frais judiciaires considérés ici,—ceux engagés dans la tentative de conclure l'acquisition aussi bien que ceux engagés pour obtenir compensation en remplacement des actions,—étaient des dépenses relatives à une «opération d'investissement», elles ont été engagées en vue d'une acquisition d'un bien capital. Ce sont donc des dépenses de capital. [C'est moi qui souligne.]
L'appelant s'est également appuyé sur ce qu'a dit le juge Estey dans l'arrêt Johns -Manville, aux pages 67 R.C.S.; 5382 DTC; 123 CTC, relative- ment à des situations dans lesquelles le contribua- ble serait privé de tout allégement fiscal:
[S]i l'interprétation d'une loi fiscale n'est pas claire et qu'une interprétation raisonnable entraîne une déduction au profit du
contribuable alors qu'une autre interprétation laisse le contri- buable sans allégement pour les dépenses réelles faites dans le cours de ses opérations commerciales, selon les règles générales d'interprétation des lois fiscales, le tribunal devrait choisir la première interprétation.
Il est vrai que la Loi antérieure à la Loi de 1972 [S.R.C. 1952, chap. 148] laisse l'appelant dans une telle situation en l'espèce, mais je ne crois pas que l'interprétation de la loi est absurde en ce qui le concerne. J'estime que cette situation est claire- ment visée par la décision rendue dans l'affaire Neonex.
Je maintiendrai donc, en ce qui a trait aux dépenses engagées à l'occasion de l'étude de débouchés, la conclusion du juge de première ins tance voulant qu'elles ne doivent pas être admises à titre de déductions dans le calcul du revenu gagné ou de la perte subie par l'appelant relative- ment à une entreprise ou à des biens en ce qui concerne les années d'imposition au cours desquel- les elles ont été engagées.
III
Le juge de première instance n'a, dans sa décision, établi aucune distinction entre les dépenses enga gées par l'appelant pour l'étude de débouchés et ses dépenses visant la supervision de ses sociétés après leur acquisition. Il a néanmoins décidé (aux pages 230 F.T.R.; 6410 DTC) que «l'entreprise elle-même a réellement pris naissance lors de l'ac- quisition des sociétés d'exploitation. C'est ce qui a donné lieu à la constitution de la structure ou de l'entité commerciale fondamentale». Il a évidem- ment poursuivi en inférant que ces dépenses mêmes avaient «été engagées dans le cadre d'un projet visant à la fusion de structures ou d'entités commerciales».
L'appelant a soutenu que l'inférence tirée par le juge de première instance se fondait sur une erreur de droit puisqu'elle ne respectait pas la distinction existant entre les frais d'acquisition des biens et les frais relatifs à leur amélioration courante, et que les frais de supervision en l'espèce étaient analo gues à ceux qu'avait acceptés la Couronne dans l'affaire Neonex.
L'intimée a répondu que la Couronne avait admis les frais de supervision visés dans l'affaire Neonex parce que le contribuable recevait des honoraires de gestion de ses subsidiaires, tandis
que, en l'espèce, l'appelant ne participait à aucun contrat prévoyant des services de gestion, aucun honoraire n'a été payé et il n'existait aucune expectative, raisonnable ou autre, de profit. Il n'existait même pas de source de profit. Ainsi les dépenses relatives à la supervision, qui avaient trait à la gestion du portefeuille ou des biens, doivent- elles être considérées comme ayant été engagées dans la mise sur pied de la structure de son entreprise.
Les faits révèlent que l'appelant n'a engagé aucune dépense relative à la supervision en 1969 puisqu'il ne possédait alors aucune société en exploitation, mais qu'il a réclamé des déductions s'élevant à 46 886 $ pour l'année 1970, 44 575 $ pour l'année 1971 et à 10 179 $ pour l'année 1972 sous les chefs suivants: (1) frais de représentation; (2) avion à réaction Lear; (3) dépenses de bureau; (4) salaires et avantages sociaux; (5) frais télépho- niques et postaux ainsi que fournitures de bureau; (6) dépenses d'automobiles; (7) divers. L'intimée a souligné avec raison que la question ne consiste pas à savoir quel est l'objet d'une dépense, mais plutôt quel est son objectif. En conséquence, il ne s'ensuit pas du caractère ordinaire des dépenses engagées que celles-ci constituent des frais d'exploitation. Néanmoins, ainsi que l'a conclu le juge de pre- mière instance (aux pages 225 F.T.R.; 6406 DTC), il ressort clairement que ces montants ont été dépensés afin «de surveiller la ligne de conduite fiscale et les opérations commerciales des sociétés et de leur donner des directives et des conseils généraux destinés à les rendre encore plus renta- bles». [Non souligné dans le texte original.] A cet égard, il convient de noter que la société de porte- feuille a, au cours des années 1979 1984, payé à l'appelant des dividendes annuels totalisant 860 000 $. Le juge de première instance considère que cette rentabilité doit être attribuée aux efforts de l'appelant (aux pages 227 F.T.R.; 6408 DTC):
On a consacré beaucoup de temps, de soin et d'énergie aux fins de leur acquisition initiale et par la suite. La preuve montre que ces acquisitions n'auraient probablement pas produit un revenu positif sans l'intervention professionnelle énergique et active [de l'appelant] et de ses principaux employés.
La distinction que le jugement rendu dans l'af- faire Bowater Power Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national, [1971] C.F. 421; 71 DTC 5469 (1 re inst.) semble avoir sanctionnée est une distinc tion entre les dépenses engagées dans le cadre de
l'acquisition de nouveaux biens et les dépenses relatives à l'amélioration des biens existants. Dans cette affaire, la société contribuable, dont les acti- vités consistaient à produire et à vendre de l'éner- gie électrique, a engagé des dépenses en faisant effectuer des études techniques pour savoir s'il lui était possible d'accroître la capacité de ses centra- les de façon à faire une utilisation maximale du bassin hydrographique dont elle disposait déjà. Le juge en chef adjoint Noël a dit aux pages 441 à 443 C.F.; 5480 et 5481 DTC:
En l'espèce, les dépenses consacrées aux études techniques menées pour étudier le potentiel de la région d'écoulement de l'appelante ou pour déterminer la possibilité de réalisation de construction de nouveaux ouvrages d'énergie à certains endroits de Terre-Neuve ont également, je pense, été effectuées ou engagées pendant que l'entreprise de l'appelante était en acti- vité, faisant ainsi partie des frais de cette entreprise. Si elles avaient conduit à la construction d'usines, il en aurait résulté des bénéfices pour l'entreprise. Aurait-on porter ces dépen- ses ailleurs que dans les dépenses courantes parce que, au lieu d'être engagées pour inciter le consommateur à acheter les marchandises ou en vue de lancer un produit déterminé sur le marché, elles avaient été effectuées dans le but d'établir si l'on devait procéder à la construction d'un bien susceptible de dépréciation duquel on pourrait tirer des bénéfices, bien qui aurait alors été ajouté à la valeur de cette immobilisation et aurait bénéficié d'allocations à l'égard du coût en capital? Je ne le pense pas.
Ces dépenses, il est vrai, n'ont produit aucun bien matériel pour lequel on aurait pu obtenir des allocations de capital, mais elles ont été faites dans le but d'obtenir une augmentation du volume et de l'efficacité de son entreprise et partant, dans le but de gagner un revenu ...
Je ne pense pas, certes, que du simple fait que la dépense a été effectuée dans le but de déterminer si on devait créer une immobilisation, elle doive toujours être considérée comme une dépense de capital et, partant, non déductible. En faisant une distinction entre un paiement de capital et un paiement au compte courant, il faut toujours tenir compte des réalités industrielles et commerciales en cause.
Dans l'arrêt M.P. Drilling, précité, on a aussi attaché beaucoup d'importance à la distinction entre la mise sur pied d'une entreprise et une entreprise en marche. Le juge Urie, aux pages 6031 et 6032, a écrit au nom de cette Cour:
[L]'appelant n'a fait aucune distinction, ni en première ins tance, semble-t-il, ni dans sa plaidoirie en appel, entre les diverses sortes de dépenses dont la déduction était demandée. A mon sens, si certaines de ces dépenses ont été nettement engagées au cours de la recherche d'un revenu—celles, par exemple, qui l'ont été au cours de la négociation des divers contrats relatifs à la fourniture et à la vente du gaz—d'autres ne tombaient pas aussi clairement dans cette catégorie. L'avo- cat est parti du principe qu'en substance toutes les dépenses
avaient la même fin, à savoir vérifier la faisabilité d'une entreprise ayant pour objet l'achat et la revente de gaz liquéfié à certains pays de la région du Pacifique, et qu'il était indiffé- rent que le travail consacré à ces études prospectives ait été exécuté par le personnel de l'intimée ou par des experts étran- gers à l'entreprise. Il a soutenu qu'aucune de ces dépenses ne se rattachaient à la recherche d'un profit par une entreprise existante, que celles-ci se rattachaient au contraire à la forma tion de la structure nécessaire à cette recherche.
À mon avis cette argumentation ne trouve aucun point d'appui dans les preuves apportées; en fait certaines de celles-ci tendent à prouver le contraire. Il n'est pas de la moindre importance, entre autres, que les négociations entreprises par les dirigeants de l'intimée aient abouti à certaines déclarations d'intention d'acheteurs éventuels disposés à acheter le gaz comme de fournisseurs éventuels, prêts à vendre le gaz à l'intimée pour la revente. Il est tout à fait évident, dès lors, que l'intimée avait une entreprise en marche et non seulement en gestation. Notre attention n'a été attirée sur aucune dépense dont nous pourrions dire qu'il s'agissait d'une dépense de capital tandis que d'autres seraient tombées dans la seule catégorie des dépenses imputables au revenu. Je n'ai donc aucune raison de revenir sur l'opinion que j'ai déjà exprimée, à savoir que toutes les dépenses de l'intimée avaient pour but la recherche d'un revenu et, par conséquent, étaient déductibles au titre des années elles avaient été engagées.
L'appelant a également soutenu qu'on ne pouvait, en l'ab- sence de revenu, opérer une déduction pour des dépenses qui seraient déductibles en d'autres circonstances en tant que dépenses faites en vue de gagner un revenu. Je ne puis suivre ce raisonnement qui voudrait que, faute d'avoir pu produire un revenu (et encore moins un profit), l'intimée ne se serait pas trouvée «dans le cadre de l'exploitation d'une entité commer- ciale». Et je ne puis souscrire aux vues selon lesquelles l'absence de revenu transformerait les dépenses engagées par l'entreprise afin de produire un revenu en dépenses effectuées pour la création ou l'acquisition d'une entité commerciale ou, pour reprendre la phraséologie de jugements antérieurs, pour appor- ter un élément d'actif ou un avantage pour le bénéfice durable d'un commerce (British Insulated and Helsby Cables v. Ather- ton, (1926) A.C. 205, aux pages 213 et 214).
À mon avis l'argument précédent mérite une réponse simple et concise: si les dépenses considérées ont été effectuées afin de produire un revenu et n'étaient pas des dépenses de capital et, par conséquent, des dépenses non déductibles en vertu de l'article 12(1)b) ou de quelque autre disposition de la Loi, il s'agissait de dépenses déductibles du revenu, qu'elles aient ou non produit un revenu dans la pratique. [Les soulignements sont ajoutés].
L'arrêt Odeon Associated Theatres Ltd y Jones (Inspector of Taxes), [1972] 1 A11 ER 681 (C.A.), dans lequel une société contribuable réclamait la déduction de sommes d'argent importantes ayant servi à la réparation et à la rénovation d'un cinéma nouvellement acquis, jette sur la question un éclai- rage supplémentaire. Le lord juge Buckley, à la page 693, analyse cette question de la manière suivante:
[TRADUCTION] Le coût relatif à l'acquisition ou à la fabrica tion d'un bien matériel qui sera utilisé dans l'exploitation d'un commerce ou d'une entreprise est clairement une dépense de capital. Les dépenses engagées pour améliorer un tel bien soit en lui adjoignant quelque chose soit en le modifiant peuvent bien constituer des dépenses de capital. D'autre part, le coût des travaux périodiques de réparation et d'entretien d'un tel bien, effectués pour garder celui-ci en bon état malgré l'usage qui en est fait dans l'exploitation du commerce ou de l'entre- prise de la personne qui effectue ces travaux, constitue une dépense de revenu et, en conséquence, est un article figurant à bon droit au débit du compte des profits et pertes de l'entreprise visée. La question de savoir si, dans l'éventualité d'un change- ment de mains du commerce ou l'entreprise, le coût des travaux de réparation ou d'entretien visant à corriger l'usure survenue avant ce changement de mains doit être considéré comme une dépense de revenu ou de capital est une question dont la réponse, à mon avis, doit dépendre des faits particuliers de chaque espèce.
Évidemment, il n'existe pas seulement deux, mais trois situations différentes. A un extrême se trouve le coût de l'acquisition ou de la fabrication d'un actif immobilisé, une dépense qui est toujours une dépense de capital. A l'autre extrême se situent les frais de réparation ou d'entretien courant, qui constituent toujours une dépense d'exploitation. Entre ces deux pôles, se trouve la dépense engagée pour améliorer un actif immobilisé en lui ajoutant quelque chose ou en le modifiant, laquelle dépense peut très bien constituer une dépense de capital mais qui doit être qualifiée de dépense de capital ou d'exploitation en fonction des faits particuliers à chaque espèce, spécialement—mais, selon moi, non exclusivement—lorsqu'il y a eu (comme en l'espèce) un changement de propriétaire. Dans l'arrêt Odeon, la Cour a conclu que la dépense engagée était, par nature, une dépense d'exploita- tion.
De la même façon, dans l'affaire Oxford Shop ping Centres Ltd. c. R., [1980] 2 C.F. 89; (1979), 79 DTC 5458 (1`e inst.), une société contribua- ble réclamait la déduction d'une somme d'argent payée à une municipalité en vertu d'une entente visant à améliorer certaines rues pour empêcher les embouteillages et faciliter l'accès à la propriété du contribuable, le juge Thurlow (tel était alors son titre) était disposé à maintenir cette déduction même s'il semblait que le paiement effectué fût un paiement définitif. Il a écrit aux pages 101 C.F.; 5463 DTC:
Car si, comme je le pense, la dépense peut et doit être considérée comme ayant été faite en vue de maintenir et peut-être de rehausser la popularité du centre commercial
parmi les clients des locataires et de permettre à ce centre de rivaliser avec ses concurrents, tout en évitant de payer une taxe d'amélioration suite aux travaux de voirie, elle doit alors être considérée comme une dépense de revenu en dépit de la nature définitive du paiement ou du caractère plus ou moins perma nent de l'avantage qu'elle entraîne.
Si le seul profit pouvant résulter des dépenses de supervision engagées par l'appelant avait été l'aug- mentation de la valeur marchande de ses actions du capital social des sociétés en exploitation, le défaut de l'appelant de charger des honoraires de gestion à ces sociétés aurait pu être fatal à sa demande de déduction de ces dépenses de supervi sion comme dépenses courantes. L'appelant a cependant toujours eu l'intention de réaliser des profits d'exploitation, et ultimement (c'est-à-dire, à partir de 1979), c'est ce qui s'est produit. L'en- treprise de l'appelant n'était d'aucune façon exclu- sivement ou même principalement une entreprise de gestion d'actions. Ses activités consistaient plutôt à gérer de manière rentable ses sociétés en exploitation, même si une telle gestion était prati- quée à une certaine distance de ces sociétés et sans participation directe à leurs opérations courantes. En fait, l'appelant a pratiqué avec compétence une gestion d'entreprise à la fois indirecte et de haut niveau. Le fait que l'appelant n'ait pas tenu une comptabilité appropriée ou publié ses propres états financiers n'y change rien.
La cause de l'appelant n'est pas non plus affai- blie parce que l'entreprise de ce dernier ne génère aucun revenu immédiat et ne comporte aucune source de revenu immédiat. Une des premières décisions rendues sur la question, l'arrêt Vallam- brosa Rubber Company Limited v. Farmer (1910), 5 T.C. 529 (Ct Sess., Écosse) a retiré toute force à un tel argument, ainsi qu'il ressort des propos tenus par le lord président Dunedin aux pages 534 et 535:
[TRADUCTION] L'avocat adjoint représentant la Couronne, s'aidant de certaines opinions puisées dans des décisions ren- dues en matière d'impôt, a soutenu devant vos Seigneuries qu'un montant déboursé ne peut être déduit comme dépense que s'il est purement et uniquement relié à un profit réalisé au cours de l'année ...
Je crois que l'absurdité d'une telle proposition ressort à son seul énoncé. En effet, que revient-elle à dire? Il s'ensuivrait qu'une entreprise dont le fruit ne pourrait pas toujours être récolté au cours de l'année même de l'imposition visée, ne pourrait jamais déduire les dépenses nécessaires à sa produc tion. La présente espèce, qui concerne une catégorie de produit qui n'atteint sa maturité et ne peut être cueilli qu'après six ans,
constitue une très bonne illustration d'une telle situation, mais il existe une infinité de tels exemples. Prenons le cas de l'exploitant d'une laiterie. Il serait absurde de supposer qu'il n'aurait pas le droit de déduire les dépenses relatives à l'entre- tien d'une de ses vaches parce que celle-ci, à un moment particulier de l'année coïncidant avec la fin de l'année d'imposi- tion, ne pouvait donner de lait, et que, en conséquence, cette vache ne lui rapporterait un profit qu'une fois l'année d'imposi- tion terminée. Comme je l'ai déjà dit, il est facile de multiplier de tels exemples; de fait, l'erreur en cause résulte essentielle- ment d'une interprétation trop littérale des termes des règles et des décisions figurant dans la Loi de 1842. Celles-ci ne sont après tout que des lignes directrices, la véritable question étant la suivante: Quels sont les profits et les gains réalisés par l'entreprise? Il est vrai que, dans le calcul des profits ou des gains d'une entreprise, il n'est pas permis de comptabiliser un profit autrement qu'à ce titre simplement parce que—vraisem- blablement pour de sages raisons—l'on décide soit de consolider l'entreprise en ne distribuant pas ses profits, soit de conclure d'autres affaires ou encore d'accroître l'équipement de l'entre- prise, etc. L'exemple le plus frappant de cette proposition nous est fourni par l'inscription d'une somme à un fond de pré- voyance. Si une telle opération est parfaitement prudente, la somme ainsi affectée, dans l'hypothèse elle est puisée à même les gains de l'entreprise, n'en reste pas moins un gain et est imposable. Cependant, si vous songez aux dépenses enga gées en l'espèce, par exemple en vue du désherbage nécessaire pour permettre à un certain arbre de donner du caoutchouc, comment pouvez-vous dire que de telles dépenses ne sont pas nécessaires à la culture de l'arbre en question constituant la seule source des profits réalisés par la suite? La Couronne ne sera d'ailleurs pas perdante, puisqu'une fois le caoutchouc récolté, toute la production sera portée à la colonne crédit du compte des profits et pertes. Le seul montant qui pourra être déduit pour l'année au cours de laquelle l'arbre visé aura donné du caoutchouc sera celui des dépenses engagées cette année-là relativement à ce même arbre; les montants déjà déduits ne pourront l'être à nouveau.
La même règle me semble encore s'appliquer: une interprétation réaliste, pratique et fondée sur le sens commun ne sera écartée au profit de considé- rations étroites d'ordre technique que si celles-ci se trouvent clairement imposées par la loi. À mon avis, aucune règle rigide de ce type n'est imposée par la loi en l'espèce, et l'appelant doit avoir droit à une déduction pour ses frais de supervision.
Il ressortira à l'évidence des propos que j'ai tenus que je suis d'opinion que l'appelant satisfait à la fois au critère de l'alinéa 18(1)a) et au critère de l'alinéa 18(1)b) de la Loi postérieure à 1971 (ou aux critères prévus aux alinéas 12(1)a) et 12(1)b) de la Loi antérieure à 1972).
IV
En conséquence, j'accueillerais en partie l'appel interjeté par l'appelant et je modifierais l'ordon-
nance du juge de première instance en date du 27 août 1986 en ajoutant, immédiatement après le paragraphe 1 de cette ordonnance, le nouveau paragraphe suivant:
2. les dépenses engagées par l'appelant au cours des années d'imposition 1970 1972 qui ont été énumérées au paragraphe 10 de l'exposé conjoint des faits ainsi qu'aux annexes qui s'y trouvent jointes sous le titre Supervision de sociétés devraient être admises comme déductions dans le calcul du revenu de l'appelant pour les années d'imposition en question.
Je changerais également la numérotation des autres paragraphes de cette ordonnance.
L'appelant, ayant eu gain de cause en grande partie, a droit à ses dépens à la fois devant cette Cour et devant la Division de première instance.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs. LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
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