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A-692-86
Algonquin Mercantile Corporation (appelante) (demanderesse)
c.
Dart Industries Canada Limited (intimée) (défen- deresse)
RÉPERTORIÉ: ALGONQUIN MERCANTILE CORP. c. DART INDUSTRIES CANADA LTD.
Cour d'appel, juges Heald, Hugessen et MacGui- gan—Toronto, 25, 26, 27, 28, 29 mai; Ottawa, 17 juin 1987.
Compétence de la Cour fédérale Division de première instance Compétence statutaire pour adjuger un intérêt relativement à des dommages résultant d'une,décision d'accor- der une injonction interlocutoire Le montant des dommages et de l'intérêt est sollicité «en vertu d'une loi du Parlement», en l'espèce la Loi sur les dessins industriels, ainsi que l'exige l'art. 20 de la Loi sur la Cour fédérale L'injonction et l'engagement de payer des dommages-intérêts sont des redres- sements d'equity qui viennent en aide à la loi Les disposi tions législatives provinciales sont applicables à l'intérêt relatif à la période antérieure et à la période subséquente au jugement.
Equity Intérêt relatif à la période précédant le jugement Le moment est venu d'uniformiser la common law et l'equity, à la lumière de la tendance législative canadienne vers l'adjudication d'un intérêt avant jugement Cette tendance reflète la politique générale actuelle Cette nouvelle inter- prétation de la common law est en harmonie avec la jurispru dence La Cour n'est pas tenue d'attendre que des disposi tions législatives fédérales soient édictées.
Pratique Intérêts Injonction interlocutoire Engage ment à payer des dommages-intérêts La compétence per- mettant l'adjudication de dommages-intérêts est conférée par l'art. 20 de la Loi sur la Cour fédérale L'indemnité et l'intérêt en question sont des redressements sollicités en vertu d'une loi du Parlement du Canada, la Loi sur les dessins industriels L'engagement à payer des dommages-intérêts et l'injonction interlocutoire sont des redressements invoquant l'equity qui s'appliquent pour venir en aide à la loi La défenderesse a droit à une indemnisation complète, ce qui implique le versement des intérêts Le moment est venu d'uniformiser la common law et l'equity, à la lumière de la tendance législative vers l'adjudication des intérêts avant juge- ment qui se dégage au Canada La loi provinciale est appliquée afin de déterminer le montant de l'intérêt préalable et de l'intérêt subséquent au jugement.
Pratique Frais et dépens La demande d'augmentation des frais adjugés entre parties fondée sur la nouvelle Règle 344 sur la taxation est rejetée Les nouvelles règles sur la taxation ne s'appliquent pas lorsque l'avis prévu à la Règle 346.1(2) est déposé.
Dessins industriels Plaque chauffante électrique Pro- cédure en contrefaçon Une injonction interlocutoire a été
accordée à la demanderesse Elle s'est engagée à payer des dommages-intérêts Elle a perdu dans l'instance Évalua- tion des dommages-intérêts de la défendresse «Auto-con currence» L'appel de la demanderesse sollicitant que l'ap- préciation de l'effet de celle-ci soit portée de 15 35 % est rejeté Éléments de preuve contradictoires Le juge de première instance a eu tort de substituer sa propre opinion à celle du protonotaire qui avait conclu à l'absence d'une «auto- concurrence» Appel incident accueilli.
Appel est interjeté d'une décision du juge Addy qui a con firmé à tous égards sauf un les conclusions tirées par le protonotaire dans le cadre d'un renvoi relatif à l'appréciation de dommages-intérêts. Ce renvoi a été ordonné par le juge Maho- ney après qu'il eut rejeté l'action de la demanderesse fondée sur la Loi sur les dessins industriels et mis fin à une injonction interlocutoire prononcée en faveur de la demanderesse qui avait empêché la défenderesse de commercialiser son petit appareil ménager appelé «Family Griddle with Warmer» en faisant concurrence au «Breakfast Nook» de la demanderesse. La demanderesse, conformément à la pratique habituelle, s'était engagée à payer des dommages-intérêts au moment l'injonc- tion interlocutoire lui serait accordée.
Dans son rapport, le protonotaire n'a pas recommandé la diminution des dommages-intérêts de la défenderesse fondés sur l'«auto-concurrence», étant d'avis que les circonstances de l'espèce n'établissaient pas l'existence d'un tel phénomène. Le juge Addy a conclu qu'aucune preuve n'indiquait l'absence d'auto-concurrence. Il a évalué l'effet de celle-ci à 15 % des ventes de plaques chauffantes plates effectivement réalisées au cours de l'année de l'injonction ainsi que de l'année suivante, et il a réduit les dommages-intérêts de la défenderesse en consé- quence. L'appelante appuie les conclusions d'auto-concurrence du juge Addy tout en sollicitant que l'appréciation de son effet soit portée de 15 à 35 %. La défenderesse, dans un appel incident, demande le rétablissement des conclusions du proto- notaire. Relativement à la question de l'intérêt, l'appelante soutient que le juge Addy s'est trompé en accordant un intérêt pour la période précédant le jugement sur le fondement de l'article 36 de la Judicature Act l'Ontario, ainsi qu'un intérêt pour la période subséquente au jugement conformément à l'article 137 de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté et l'appel incident devrait être accueilli. Le montant adjugé par l'arbitre devrait être rétabli et assorti d'intérêts adjugés par le juge de première instance relativement à la période préalable et à la période postérieure au jugement.
Il incombait à la demanderesse d'établir l'existence de l'«auto-concurrence» et il n'appartenait pas à la défenderesse d'en établir l'absence. Les éléments de preuve visant cette question étaient contradictoires. Dans ces circonstances, le juge de première instance a eu tort de substituer sa propre apprécia- tion des probabilités relatives à l'existence de l'«auto-concur rence» à celle du protonotaire. L'appel incident devrait donc être accueilli et le montant accordé par le protonotaire pour la perte des ventes subie au cours de l'année de l'injonction ainsi que de l'année subséquente devrait être rétabli.
La question de savoir si la Cour fédérale possède la compé- tence statutaire pour adjuger des intérêts devrait recevoir une réponse affirmative. L'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale
confère à la Division de première instance une compétence concurrente dans les cas un redressement est recherché en vertu d'une loi du Parlement relativement à un dessin indus- triel. La demanderesse a sollicité son injonction interlocutoire sur le fondement de la Loi sur les dessins industriels. Comme l'injonction interlocutoire a été accordée à la demanderesse à la condition qu'elle s'engage à se conformer à toute ordonnance que pourrait rendre la Cour au sujet des dommages-intérêts, l'engagement de payer des dommages-intérêts est relié à la Loi sur les dessins industriels de la même façon que l'injonction elle-même. Les dommages-intérêts, notamment l'intérêt appro- prié, constituent donc, ainsi que l'exige l'article 20, des redres- sements sollicités «en vertu» d'une loi du Parlement. L'equity, qui a été invoquée à la fois dans l'injonction et dans l'engage- ment, agit dans un contexte statutaire en venant en aide à la loi.
La Cour ne peut souscrire à l'opinion du juge de première instance selon laquelle la question de l'intérêt préalable au jugement devait être régie par la loi plutôt que par l'equity. L'intérêt préalable au jugement devait être adjugé pour indem- niser la défenderesse de sa perte subie en raison de l'injonction. En toute logique, l'engagement vise l'indemnisation complète, ce qui implique le versement des intérêts. Il ressort du point de vue de la majorité des juridictions canadiennes de common law voulant qu'un intérêt préalable au jugement soit accordé que «le moment est venu d'uniformiser la common law et l'equity à cet égard». Cette tendance législative reflète la politique générale actuelle, et cette Cour n'a pas à attendre qu'une initiative législative semblable soit prise au niveau fédéral pour mettre fin à une limite d'origine jurisprudentielle à l'adjudication des intérêts. Cette nouvelle interprétation de la common law est en harmonie avec la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Lewis c. Todd et McClure, un intérêt a été considéré comme faisant partie du montant des domma- ges-intérêts alloués, et avec la décision prononcée récemment par cette Cour dans l'affaire Société Radio-Canada c. S.C.F.P.
Comme il n'existe aucune disposition dans la Loi sur la Cour fédérale qui fixe le taux de l'intérêt couru avant jugement, il est nécessaire d'avoir recours à la loi provinciale. Le juge de première instance a correctement considéré l'article 36 de la Judicature Act de l'Ontario lorsqu'il a accordé un intérêt préalable au jugement commençant à courir à compter du moment l'injonction provisoire a été accordée et s'étendant jusqu'à la date du jugement, au taux prévu à cet article.
Le juge de première instance a également eu raison en appliquant l'article 137 de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario pour déterminer le montant de l'intérêt postérieur au jugement. L'article 40 confère un plein pouvoir discrétion- naire relativement à l'intérêt couru après jugement. Il n'est point nécessaire d'avoir recours à l'article 3 de la Loi sur l'intérêt s'il en «est autrement ordonné par la Cour» au sens de l'article 40. De plus, l'interprétation libérale donnée par la Cour suprême du Canada à l'article 3 autorise une cour créée par le gouvernement fédéral à appliquer une loi provinciale sur l'intérêt.
La demande présentée par la défenderesse visant l'augmenta- tion des frais et dépens entre parties sur le fondement de la nouvelle Règle 344 sur la taxation a être rejetée. Les nouvelles Règles relatives à la taxation ne s'appliquent pas lorsque, dans les 90 jours de leur entrée en vigueur, une partie à
une instance engagée avant cette date dépose un avis portant que les dépens seront déterminés sans tenir compte de ces nouvelles règles : la Règle 346.1(2). La demanderesse a déposé un tel avis au cours de la période de transition ainsi prévue. La défenderesse peut toutefois avoir recours aux dispositions de la Règle 344(7) en vigueur avant le 2 avril 1987, qui permettent à une partie ayant eu gain de cause de solliciter des directives spéciales à l'égard des dépens dans les délais prescrits à la Règle 337(5).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Judicature Act, R.S.O. 1980, chap. 223, art. 36.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10, art. 20, 40, 44.
Loi sur l'intérêt, S.R.C. 1970, chap. I-18, art. 3.
Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, chap. I-8. Loi sur les tribunaux judiciaires, S.O. 1984, chap. 11, art. 137.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 337(2)b),(5), 344 (mod. par DORS/87-221, art. 2), (7), 346.1(2) (ajouté par DORS/87-221, art. 4), Tarif B (mod., idem, art. 8), art. 1(1)h), i).
JURISPRUDENCE DECISIONS APPLIQUÉES:
Lewis c. Todd et McClure, [1980] 2 R.C.S. 694; Société Radio-Canada c. S.C.F.P., [1987] 3 C.F. 515 (C.A.); Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575 (C.A.); R. c. La Commission de transport de la Communauté urbaine de Montréal, [1980] 2 C.F. 151 (C.A.); Prince Albert Pulp Co. Ltd et autre c. The Foundation Company of Canada, Ltd., [1977] 1 R.C.S. 200; British Pacific Properties Ltd. c. Minister of High ways and Public Works, [1980] 2 R.C.S. 283; (1980), 33 N.R. 98.
DECISIONS EXAMINÉES:
Hoffmann-La Roche (F) & Co AG v Secretary of State for Trade and Industry, [1974] 2 All ER 1128 (H.L.); The Pacifico v. Winslow Marine R. & Shipbuilding Co., [1925] 2 D.L.R. 162 (C. de l'E.).
DECISIONS CITÉES:
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 (H.L.); Delap v. Robinson et al. (1898), 18 P. R. 231 (Ont.); Teledyne Industries, Inc. et autre c. Lido Indus trial Products Ltd. (1982), 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1" inst.).
DOCTRINE
McGregor, H. McGregor on Damages, 13th ed. London : Sweet & Maxwell Limited, 1972.
Saxe, D. «Judicial Discretion in the Calculation of Pre judgment Interest» (1985-86), 6 Advocate's Q. 433.
AVOCATS:
Ronald E. Dimock et Gordon J. Zimmerman pour l'appelante (demanderesse).
George A. Macklin, c.r. et Anthony G. Creber pour l'intimée (défenderesse).
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Dimock, Toronto, pour l'appe- lante (demanderesse).
Gowling & Henderson, Ottawa, pour l'inti- mée (défendresse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement de la Cour
Appel est interjeté d'une décision du juge Addy ([1987] 2 C.F. 373 (publiée sous forme abrégée); (1986), 12 C.P.R. (3d) 289) qui a confirmé tous égards sauf un) les conclusions tirées par le proto- notaire Preston dans le cadre d'un renvoi relatif à l'appréciation de dommages-intérêts. Ce renvoi a été ordonné par le juge Mahoney [[1984] 1 C.F. 246] après qu'il eut rejeté l'action de la demande- resse fondée sur la Loi sur les dessins industriels' et mis fin à une injonction interlocutoire obtenue par la demanderesse un peu plus d'un an plus tôt (le 12 mars 1982). Cette injonction avait eu pour effet d'empêcher la défenderesse de commerciali- ser son nouveau produit, un appareil ménager connu sous le nom de «Family Griddle With Warmer» («FGWW»), en faisant concurrence au produit de la demanderesse, le «Breakfast Nook» («BN»). Au moment l'injonction interlocutoire était accordée, la demanderesse, conformément à la pratique habituelle, s'était engagée à payer des dommages-intérêts, et cet engagement a constitué le fondement sur lequel s'est appuyé le juge Maho- ney pour ordonner un renvoi lors de la dissolution de l'injonction.
Dans son rapport ((1985), 8 C.P.R. (3d) 1), le protonotaire Preston a examiné de façon exhaus tive toute la preuve qu'il avait entendue et conclu, entre autres, que la défenderesse avait perdu la vente de 30 000 FGWW pendant que l'injonction était en vigueur; il a également conclu que les effets de l'injonction se sont poursuivis environ un an après sa dissolution et il a évalué les pertes supplémentaires subies par la défenderesse au
S.R.C. 1970, chap. 1-8.
cours de cette période à 20 000 pièces. Bien que ces conclusions aient été vigoureusement contes- tées par la demanderesse dans le cadre du présent appel, nous n'avons pas considéré nécessaire de demander à la défenderesse de fournir une réponse. Les conclusions du protonotaire Preston ont été attentivement examinées par le juge Addy et celui-ci les a confirmées. Elles étaient appuyées par des éléments de preuve. Siégeant maintenant en qualité de seconde cour d'appel, nous sommes en présence de conclusions de fait concurrentes des tribunaux visés. Le demandeur a, tout au plus, pu établir l'existence de certaines anomalies ou con tradictions dans les conclusions du protonotaire Preston; elles sont presque inévitables dans les affaires où, comme en l'espèce, l'on tente de repro- duire les variables d'une situation hypothétique dans un domaine aussi complexe que celui de la commercialisation des produits de consommation. Il nous en faudrait bien plus pour nous convaincre d'intervenir, et nous refusons de le faire.
Dans une autre partie de son rapport, le proto- notaire Preston a refusé de recommander la dimi nution des dommages-intérêts dus à la défende- resse, en raison de la [TRADUCTION] «substitution» ou de [TRADUCTION] l'«auto-concurrence». Ce phénomène est celui selon lequel les ventes d'un nouveau produit sont plus ou moins effectuées au détriment de celles d'un produit existant du même fabricant. Concrètement, en l'espèce, les ventes que la défenderesse aurait effectuées de sa nou- velle FGWW au cours de l'année de l'injonction et pendant l'année suivante auraient remplacé certai- nes des ventes des modèles plus anciens de ses plaques chauffantes plates.
Dans son rapport, le protonotaire Preston a dit la page 37]:
De même, on a déclaré que, durant l'injonction, la vente par West Bend [défenderesse] d'autres plaques chauffantes était plus forte que ce qu'elle n'aurait été si le FGWW avait été sur le marché en 1982. A mon avis, la théorie de l'auto-concurrence ou du gain, n'est pas indiquée. L'acheteur, sur le marché, recherche soit une plaque chauffante plate, soit une plaque chauffante munie d'un dispositif de réchaud. La preuve révèle que, en 1982, l'acheteur dont l'intention était d'acheter une plaque chauffante avec réchaud n'était pas intéressé à la gamme des plaques chauffantes de West Bend, sans un disposi- tif de réchaud.
Dans le jugement porté en appel, le juge Addy a exprimé son désaccord avec cette assertion. Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, il a dit la page 308 C.P.R.]:
En résumé, aucune preuve factuelle directe ni aucun témoi- gnage d'opinion catégorique n'indique l'absence «d'auto-concur rence», l'expert de la défenderesse, M. Tigert, a reconnu que celle-ci aurait pu se produire à la fois au niveau des détaillants et à celui des acheteurs, et tous les autres éléments de preuve sur ce sujet indiquent qu'elle a probablement eu lieu.
Il a ensuite évalué l'effet de l'auto-concurrence à 15 % des ventes de plaques chauffantes plates effectivement réalisées par la défenderesse au cours de l'année de l'injonction ainsi que de l'année suivante, et, après avoir effectué les calculs qui s'imposaient, il a réduit les dommages-intérêts de la défenderesse en conséquence.
Dans le cadre de l'appel, la demanderesse appuie les conclusions d'auto-concurrence du juge Addy tout en sollicitant que l'appréciation de leur
effet soit portée de 15 35 %. La défenderesse, dans un appel incident, demande le rétablissement des conclusions du protonotaire Preston.
Avec déférence, nous sommes d'avis que le juge de première instance a commis une erreur de droit et que l'appel incident doit être accueilli. La pré- sence de l'auto-concurrence n'est pas évidente en soi. En fait, il semble, à première vue, au moins tout aussi probable que les pertes de ventes de la plaque chauffante plate de la défenderesse ont été occasionnées par un [TRADUCTION] «gain» réalisé par le BN de la demanderesse, qui était populaire sur le marché depuis 1979, et que la vente de la FGWW, eût-elle eu lieu comme prévu en 1982, aurait principalement touché le BN. Quoi qu'il en soit, la question de l'existence de l'auto-concur rence s'étant posée à la suite des allégations de la demanderesse, c'est celle-ci qui devait en établir l'existence, et il n'appartenait pas à la défenderesse d'établir «l'absence» d'auto-concurrence ainsi que l'a dit le juge de première instance. Les éléments de preuve visant cette question étaient contradic- toires et, dans les circonstances, nous sommes d'avis que le juge Addy a eu tort de substituer sa propre appréciation des probabilités à celle à laquelle était parvenu le protonotaire Preston. L'appel incident devrait donc être accueilli et le montant accordé par le protonotaire Preston pour la perte de ventes subie au cours de l'année de l'injonction ainsi que de l'année subséquente devrait être rétabli.
Les avocats des parties se sont entendus pour que toutes les questions relatives à l'intérêt dont
était saisi le protonotaire soient reportées pour être débattues. En conséquence, seule la décision du juge de première instance tranche ces questions. Le juge Addy a conclu qu'un intérêt, qu'il a évalué à 379 096,43 $, devait être accordé pour la période précédant le jugement. Il a calculé l'intérêt relatif à la période postérieure au jugement à partir de la date du jugement sur le total des dommages-inté- rêts adjugés plus l'intérêt antérieur au jugement et les dépens puisque tous ces montants constituaient une somme d'argent due aux termes d'une ordon- nance; le taux de l'intérêt accordé devait être fixé conformément à l'article 137 de la Loi sur les tribunaux judiciaires de 1984 de l'Ontario 2 .
La demanderesse a prétendu que le juge de première instance s'était trompé en accordant quelqu'intérêt que ce soit pour la période précé- dant le jugement puisque: (a) l'engagement et les ordonnances subséquentes des tribunaux ne pré- voyaient que le paiement des dommages-intérêts; (b) cette Cour n'est pas habilitée à appliquer l'article 36 de la Judicature Act de l'Ontario'; (c) l'article 36 de la Judicature Act, libellé comme il l'est, ne s'applique pas à la présente espèce.
Elle a également prétendu que, en supposant qu'un intérêt avant jugement puisse être accordé, le juge de première instance s'était trompé en adjugeant un intérêt pour une période précédant la date à laquelle les dommages-intérêts et l'intérêt ont été réclamés ainsi qu'en choisissant un taux inapproprié fondé sur l'article 36 de la Judicature Act de l'Ontario.
Elle a également soutenu que le juge de pre- mière instance avait erré en accordant un intérêt postérieur au jugement conformément à la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario et, égale- ment, en calculant cet intérêt selon un taux excessif.
La première question qui se pose est celle de savoir si la Cour fédérale est compétente à exami ner l'adjudication d'intérêts dans un litige comme celui en l'espèce. L'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale 4 prévoit que la Division de première ins tance a une compétence concurrente avec celle des
2 S.O. 1984, chap. 11.
3 R.S.O. 1980, chap. 223.
4 S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10.
tribunaux provinciaux en ce qui regarde les ques tions relatives aux dessins industriels. La partie pertinente de l'article 20 est ainsi libellée:
20. La Division de première instance ...
... a compétence concurrente dans tous les autres cas l'on cherche à obtenir un redressement en vertu d'une loi du Parle- ment du Canada, ou de toute autre règle de droit relativement à ... un dessin industriel.
La demanderesse a sollicité son injonction inter- locutoire sur le fondement de la Loi sur les dessins industriels, ainsi qu'il ressort clairement du para- graphe 4 de sa déclaration (Dossier d'appel, à la page 2):
[TRADUCTION] En vertu de l'enregistrement dudit dessin industriel ainsi que des dispositions de la Loi sur les dessins industriels S.R.C. 1970, chap. I-8, pour une période de cinq (5) ans s'étendant du 11 février 1980 au 11 février 1985 et, sur renouvellement, pour une autre période de cinq ans, la deman- deresse possède, au Canada, le droit exclusif d'appliquer, à des fins de vente, ce dessin industriel à un appareil de cuisson ainsi que de publier, vendre ou offrir en vente ou utiliser un appareil de cuisson qui comporte ou sur lequel est appliqué ledit dessin industriel et d'empêcher que d'autres pefsonnes appliquent ledit dessin industriel, ou une imitation frauduleuse de celui-ci à un appareil de cuisson et vendre ou offre en vente ou utilise un tel appareil. [C'est moi qui souligne.]
L'engagement de la demanderesse de se confor- mer à toute ordonnance que pourrait rendre la Cour au sujet des dommages-intérêts n'était rien d'autre qu'une condition de la délivrance de l'in- jonction interlocutoire, ainsi qu'il ressort de l'or- donnance du juge Collier accordant l'injonction en date du 12 mars 1982:
ORDONNANCE:
1. La demanderesse s'étant engagée à se conformer à toute ordonnance pouvant être prononcée par cette Cour relative- ment à des dommages-intérêts dans l'éventualité celle-ci conclurait que la défenderesse a, à cause de la présente ordonnance, subi des dommages dont elle devrait être indem- nisée par la demanderesse:
(a) Par les présentes, il est interdit à la défenderesse, directement ou par l'intermédiaire de ses cadres, employés ou mandataires, jusqu'à l'instruction de la présente action ou jusqu'à ce que soit prononcée une autre ordonnance, de faire ce qui suit:
(i) Fabriquer, utiliser, exposer ou offrir en vente une plaque chauffante combinée à un four qui comporte ou sur laquelle est appliqué le dessin industriel enregistré sous le numéro 46557 ou une imitation de ce dessin.
(ii) Fabriquer, utiliser, exposer ou offrir en vente et vendre une plaque chauffante combinée à un réchaud, appareil qui se trouve illustré par la plaque chauffante avec réchaud figurant sur la photographie apparaissant à l'an- nexe «B» de la déclaration présentée dans cette action.
2. Les frais relatifs à la présente requête suivront l'issue du litige. [C'est moi qui souligne.]
Une telle pratique correspond en tout point à celle dont il est fait état par lord Diplock dans l'arrêt Hoffmann-La Roche (F) & Co AG y Secre tary of State for Trade and Industry, [ 1974] 2 All ER 1128 (H.L.), aux pages 1149 et 1150:
[TRADUCTION] La pratique consistant à exiger d'un deman- deur à qui une injonction provisoire est accordée un engage ment relatif à des dommages-intérêts éventuels est née au cours de la vice-chancellerie de Sir James Knight Bruce, qui s'est
étendue de 1841 1851. Tout d'abord, elle ne s'est appliquée qu'aux injonctions accordées ex parte; cependant, après 1860, cette pratique a été étendue à toutes les injonctions interlocutoi- res. Vers la fin du siècle, l'insertion d'un tel engagement allait de soi dans toutes les ordonnances d'injonctions provisoires accordées dans le cadre de litiges entre particuliers.
Les avantages découlant d'une telle pratique dans toute action visant à protéger ou à faire valoir des droits personnels ou des droits de propriété sont assez clairs. Une injonction provisoire est un redressement temporaire et exceptionnel offert avant la détermination définitive des droits des parties et, dans le cas d'une injonction ex parte, avant même que la Cour ait été informée de la nature de la cause du défendeur. Pour établir qu'un tel redressement est justifié, le demandeur doit convain- cre le tribunal, premièrement, qu'il existe une forte apparence de droit qu'il devrait se voir accorder une ordonnance interdi- sant au défendeur de faire ce qu'il menace de faire, et deuxiè- mement, qu'il subira un préjudice irréparable ne pouvant être compensé par une adjudication subséquente de dommages-inté- rêts dans le cadre de l'action si le défendeur n'est pas empêché de faire ce qu'il menace de faire entre la date de la demande d'injonction provisoire et la date de l'ordonnance définitive prononcée au terme de l'instruction de l'action. Néanmoins, au stade de la requête, la cour ne peut avoir la certitude que le demandeur réussira au procès à justifier de son droit d'empê- cher le défendeur de faire ce qu'il menace de faire. Advenant son insuccès, le défendeur pourrait avoir subi une perte, du fait de cette interdiction, tout au long de l'injonction temporaire; et toute perte est probablement un damnum absque injuria, pour laquelle il ne pourrait recouvrer de dommages-intérêts du demandeur, en common law. A moins d'un autre moyen d'in- demniser, dans ce cas, le défendeur de sa perte, il y a donc risque d'injustice.
C'est pour atténuer ce risque que le tribunal refuse d'accor- der une injonction temporaire, à moins que le demandeur ne consente à produire un engagement, en son nom ou au nom de toute autre personne consentante responsable,
"de se conformer à toute ordonnance que le tribunal pourrait émettre quant aux dommages, au cas il en arrivait ulté- rieurement à la conclusion que le défendeur aura subi un dommage quelconque, du fait de cette ordonnance [soit l'injonction temporaire], que le demandeur devra rembour- ser".
La cour n'est pas habilitée à contraindre la personne qui demande une injonction provisoire à s'engager à verser des dommages-intérêts. Tout ce qu'elle peut faire c'est de refuser l'injonction si le requérant ne consent pas à fournir l'engage-
ment. Ce dernier est pris non pas envers le défendeur mais envers la cour elle-même. Son inexécution constitue un outrage au tribunal et non pas une inexécution de contrat, et elle donne ouverture aux recours prévus en cas d'outrage; mais la cour exige que l'engagement soit fourni pour le bénéfice du défendeur.
(Depuis la décision rendue par la Chambre des lords dans l'affaire American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396, aux pages 407 et 408, il a été généralement considéré que le deman- deur qui sollicite une injonction provisoire n'avait pas à faire preuve d'une très forte apparence de droit, ce qui ne fait cependant qu'accroître l'im- portance de l'engagement relatif aux dommages- intérêts.)
La demanderesse a soutenu que l'engagement visé n'avait pas été donné conformément à une loi puisqu'il avait été fourni à la Cour plutôt qu'à la défenderesse et puisque la non-exécution de cet engagement aurait constitué un outrage au tribu nal plutôt qu'un bris de contrat; en conséquence, a-t-elle soutenu, le fondement statutaire exigé par l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale se trouve absent.
S'il est vrai que l'engagement visé ne constitue pas un contrat, il constitue néanmoins, ainsi que l'a déclaré le chancellier Boyd dans l'affaire. Delap v. Robinson et al. (1898), 18 P. R. 231 (Ont), [TRA- DUCTION] «le prix d'une injonction interlocutoire ... une condition fixée pour la délivrance d'une injonction>. Cet engagement est donc relié à la Loi sur les dessins industriels de la même façon que l'injonction elle-même, qui a été sollicitée par la demanderesse, selon les termes de sa déclaration, [TRADUCTION] «en vertu ... des dispositions de la Loi sur les dessins industriels». Les dommages- intérêts, notamment l'intérêt approprié, consti tuent donc, ainsi que l'exige l'article 20, des redressements sollicités «en vertu» d'une loi du Parlement du Canada. On peut dire que l'equity, qui a été invoquée à la fois dans l'injonction et dans l'engagement, agit dans un contexte statu- taire en venant en aide à la loi. Il peut être nécessaire à une cour, pour le maintien de la suprématie du droit, de faire appel à ses pouvoirs inhérents pour faire exécuter un engagement non respecté; il ne s'ensuit cependant pas que l'inter- prétation normale des engagements relatifs aux dommages-intérêts doit avoir lieu sans faire réfé- rence aux lois visées.
La compétence préliminaire de la Cour se trou- vant établie par l'article 20 de la Loi sur la Cour fédérale, la question qui se pose à présent est celle de savoir si un intérêt sur les dommages-intérêts peut être adjugé à compter de la délivrance de l'injonction provisoire.
Le juge de première instance était d'avis que cette question devait être régie par la loi plutôt que par l'equity (supra, aux pages 397 C.F.; 316 C.P.R.):
Il semble toutefois évident en l'espèce que les principes d'equity ne sont pas en cause. Le paiement ou le non-paiement d'un intérêt demeure une question de droit, les dommages-inté- rêts ayant découlé d'un engagement. Le simple fait que l'enga- gement n'était pas un véritable contrat au sens de la loi ou qu'il se rapportait à la décision d'accorder une injonction interlocu- toire qui constitue un recours en equity ne change pas, à mon avis, l'aspect essentiel de l'affaire, c'est-à-dire que les domma- ges-intérêts découlent directement d'une promesse formelle et non d'un principe d'equity et qu'ils doivent être calculés comme s'ils étaient accordés en vertu d'un contrat d'indemnisation (voir l'arrêt Hoffman-LaRoche (F) & Co AG v. Secretary of State for Trade and Industry ([1974] 2 All E.R. 1128 (H.L.)))•
Pour nous, toutefois, une telle conclusion ne ressort pas à l'évidence. L'injonction elle-même n'est pas prévue à la Loi sur les dessins industriels, mais seulement à l'article 44 de la Loi sur la Cour fédérale. La demanderesse a cependant dit, à notre avis avec raison, qu'elle en demandait la délivrance «en vertu ... des dispositions de la Loi sur les dessins industriels» parce que ce recours, à titre de redressement fondé sur l'equity, pouvait venir en aide à la Loi. Il semblerait que l'on puisse dire la même chose de l'engagement.
Il ne fait aucun doute qu'un intérêt visant la période préalable au jugement puisse être accordé selon l'equity. En fait, le droit maritime a directe- ment tiré de l'equity le principe fondant l'adjudica- tion d'un intérêt pour la période antérieure au jugement_. Comme l'a dit le juge McLean dans l'affaire The Pacifico v. Winslow Marine R. & Shipbuilding Co., [1925] 2 D.L.R. 162 (C. de l'E.), à la page 167:
[TRADUCTION] Le principe adopté par la Cour d'amirauté, statuant en equity, énoncé par Sir Robert Phillimore dans The Northumbria (1869) 3 A. & E. 5, et tiré du droit civil, est que le créancier a toujours droit aux intérêts lorsque le débiteur a différé le paiement, que l'obligation résulte d'un contrat ou d'un délit. Il semble que le point de vue adopté par la Cour d'amirauté a été que la personne responsable d'une dette ou de dommages, ayant retenu la somme à payer au demandeur, devrait être considérée comme l'ayant reçue pour le compte de
celui à qui le principal est payable. Les dommages et les intérêts, en vertu du droit civil, sont la perte qu'une personne a subie ou le gain qu'elle a manqué de réaliser.
On a généralement cru qu'il n'existait, en common law, qu'un droit très limité à l'adjudica- tion d'un intérêt au chapitre des dommages-inté- rêts, principalement des dommages-intérets con- ventionnels. L'auteur de McGregor on Damages,
13e éd., 1972, la page 318, paragraphe 435, énonce ce point de vue de la manière suivante:
[TRADUCTION] L'état actuel du droit, de façon générale, est donc le suivant. Indépendamment du droit statutaire, la common law prévoit un droit à un intérêt au chapitre des dommages-intérêts pour un éventail très limité de demandes fondées sur les contrats, principalement celles qui' sont reliées au défaut de payer une somme d'argent, et également, de façon générale, dans les actions relevant du droit maritime; de plus, le droit statutaire oblige maintenant les tribunaux à assortir d'un intérêt les dommages-intérêts accordés dans des actions visant des blessures corporelles ou une mort résultant d'un acte délic- tuel. Dans tous les autres cas, on doit avoir recours au pouvoir discrétionnaire général conféré aux tribunaux par le droit statu- taire, un pouvoir dont l'exercice pourrait devenir un peu plus fréquent maintenant que l'adjudication d'un intérêt, en deve- nant obligatoire pour une importante catégorie de litiges, a acquis une importance accrue dans la vie des tribunaux.
Il nous semble que, même si la question était examinée selon la common law plutôt que selon l'equity, l'espèce présente une situation intermé- diaire dans laquelle un intérêt doit être adjugé pour une période préalable au jugement afin d'in- demniser la défenderesse ou de compenser la perte que celle-ci a subie en raison de l'injonction. En toute logique, l'engagement vise l'indemnisation complète, qui implique le versement des intérêts.
De plus, nous sommes d'avis que le moment est venu d'uniformiser la common law et l'equity à cet égard, particulièrement à la lumière de la tendance inexorable vers l'adjudication d'un intérêt avant jugement qui se dégage dans les ressorts cana- diens. Comme l'a écrit récemment Dianne Saxe dans l'article intitulé «Judicial Discretion in the Calculation of Prejudgment Interest» (1985-86), 6 Advocate's Q. 433, la page 443:
[TRADUCTION] Dans la majorité des ressorts canadiens de common law, les intérêts relatifs à la période précédant le jugement ne constituent plus un privilège mais un droit. Les tribunaux doivent à présent exercer le pouvoir discrétionnaire qui leur est conféré relativement à l'adjudication de tels intérêts pour ajuster les intérêts accordés à la perte réellement subie par le demandeur ...
Nous considérons que cette vague législative reflète fidèlement la politique générale actuelle, et nous ne voyons pas pourquoi cette Cour devrait attendre qu'une initiative législative semblable soit prise au niveau fédéral pour mettre fin à une limite d'origine jurisprudentielle à l'adjudication d'un intérêt qui, de façon évidente, n'est plus considérée comme une politique générale valable. Nous sommes d'opinion que cette nouvelle interprétation de la common law s'accorde avec le concept reconnu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Lewis c. Todd et McClure, [1980] 2 R.C.S. 694, à la page 717, selon lequel l'intérêt fait partie du montant des dommages-intérêts alloués. Elle est également conforme à la décision récente rendue par notre Cour dans l'affaire Société Radio-Canada c. S.C.F.P., [1987] 3 C.F. 515 (C.A.).
Il n'existe, évidemment, aucune disposition dans la Loi sur la Cour fédérale qui fixe le taux de l'intérêt couru avant jugement; aussi est-il néces- saire d'avoir recours à la loi provinciale. Notre Cour a expressément approuvé cette manière de procéder dans les arrêts suivants: Bensol Customs Brokers Ltd. c. Air Canada, [1979] 2 C.F. 575 (C.A.); R. c. La Commission de transport de la Communauté urbaine de Montréal, [1980] 2 C.F. 151 (C.A.). Le juge Addy a donc eu raison de se référer à l'article 36 de la Judicature Act de l'Ontario.
La défenderesse ferait peut-être mieux de récla- mer l'intérêt applicable selon l'equity, qui, de l'avis du juge Addy dans l'affaire Teledyne Industries, Inc. et autre c. Lido Industrial Products Ltd. (1982), 68 C.P.R. (2d) 204 (C.F. 1" inst.), à la page 223, serait fixé au taux courant établi semes- triellement ou annuellement. Cependant, n'ayant interjeté aucun appel incident relativement à cette question, elle ne peut à présent solliciter le recou- vrement des intérêts sur un tel fondement.
Selon nous, en l'espèce, le juge Addy a correcte- ment interprété l'article 36 de la Judicature Act en ce qui a trait au moment à compter duquel des intérêts sont dus, à l'étendue de cette période et au taux lui-même, supra, aux pages 397 à 400 C.F.; 316 318 C.P.R.:
L'action en contrefaçon de dessin industriel a été intentée par la demanderesse le 9 février 1982. Le droit de la défenderesse à des dommages-intérêts n'a toutefois pas pris naissance à cette
date. En fait, ce droit n'a existé qu'à partir du moment la demanderesse a pris l'engagement d'indemniser la défenderesse et les dommages-intérêts n'ont commencé à courir qu'à compter de l'injonction interlocutoire. Il semble en outre que ce droit ne repose aucunement sur l'action mais simplement sur l'engage- ment qui a été pris au cours de ladite action. Lorsqu'on applique l'alinéa 36(3)a) aux faits de l'espèce, il importe peu de savoir si le taux préférentiel devrait être celui du mois qui a immédiatement précédé le début de l'action, soit le mois de janvier 1982, ou celui du mois qui a immédiatement précédé la date de l'engagement, soit le mois de février 1982, parce que dans chaque cas le taux préférentiel était de 16,5 %. On devrait donc considérer que c'est ce taux qui s'applique.
Pour ce qui est de la période du calcul de l'intérêt, étant donné qu'il s'agit manifestement de dommages-intérêts non déterminés, on doit considérer que la date à laquelle l'engage- ment a été demandé par la défenderesse et imposé par la Cour, soit le 12 mars 1982, constitue la date à laquelle l'intérêt doit commencer à courir conformément au sous-alinéa 36(3)b)(ii). Il est vrai qu'à ce moment-là la réclamation n'avait pas été notifiée par écrit à la demanderesse, mais il faut nécessairement considérer que l'engagement formel fourni par cette partie à la Cour et qui devait être accepté par cette dernière comme condition préalable pour que l'injonction soit accordée était un avis beaucoup plus formel et valable qu'un simple avis écrit.
L'injonction a été en vigueur du 12 mars 1982 au 28 mars 1983. Aucuns dommages-intérêts n'étaient évidemment dus au début de cette période; ils se sont accumulés pendant celle-ci jusqu'à ce qu'ils totalisent 365 438 $ le dernier jour. Compte tenu des dispositions du paragraphe 36(6), j'estime qu'il serait juste dans les circonstances d'établir une moyenne et d'appli- quer la moitié du taux applicable, soit 8,25 %, au montant total de 365 438 $ pour la période se terminant le 28 mars 1983. Par la suite, il faudrait appliquer à cette perte le taux intégral de 16,5 % jusqu'à ce que j'aie rendu mon jugement en l'espèce et que les taux d'intérêt postérieurs au jugement soient appliqués. Quant à la somme de 256 468,75 $ qui représente les domma- ges-intérêts alloués après l'injonction pendant la période qui a été limitée à un an par l'arbitre, soit du 28 mars 1983 au 28 mars 1984, il faudrait faire la moyenne de ces dommages-inté- rêts en appliquant la moitié du taux pour l'ensemble de cette période. Par la suite, le taux de 16,5 % s'appliquera à cette somme jusqu'au jugement.
Les frais de transport et de publicité s'élevant à 1 097 $ et qui étaient dus à compter du 31 mars 1982, porteront intérêt au taux de 8,25 % à compter de cette date jusqu'au jugement. J'ai délibérément traité cette dernière somme, qui en fait représente des dommages-intérêts spéciaux, sans appliquer le taux d'inté- rêt intégral ni la méthode de calcul prévue aux paragraphes (3) et (4) de l'article 36 de la Judicature Act de l'Ontario [R.S.O. 1980, chap. 223], précitée, parce que cette somme a été accep- tée par les parties et qu'elle est minime compte tenu du montant total des dommages-intérêts en cause.
La question qui se pose à présent a trait à l'intérêt postérieur au jugement. L'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale dit à ce sujet:
40. A moins qu'il n'en soit autrement ordonné par la Cour, un jugement, notamment un jugement contre la Couronne, porte intérêt à compter du moment le jugement est rendu au taux prescrit par l'article 3 de la Loi sur l'intérêt.
L'article 3 de la Loi sur l'intérêt 5 dispose pour sa part:
3. Sauf à l'égard des obligations qui existaient immédiate- ment avant le 7 juillet 1900, chaque fois que de l'intérêt est exigible par convention entre les parties ou en vertu de la loi, et qu'il n'est pas fixé de taux en vertu de cette convention ni par la loi, le taux de l'intérêt est de cinq pour cent par an.
Les tribunaux ont donné une interprétation libé- rale à l'article 3. Dans l'arrêt Prince Albert Pulp Co. Ltd. et autre c. The Foundation Company of Canada, Ltd., [1977] 1 R.C.S. 200, la page 211, le juge Martland a dit au nom de la Cour:
L'article 3 me paraît s'appliquer lorsque les parties à une convention ont convenu du versement d'un intérêt sans en fixer le taux, ou lorsque la loi porte qu'un intérêt sera versé sans préciser le taux. Dans l'arrêt Toronto Railway [[1906] A.C. 117], on a statué qu'une cour peut accorder un intérêt lorsque le paiement d'une juste dette a été indûment retenu et qu'il est juste et équitable que le débiteur dédommage le créancier en lui versant un intérêt [TRADUCTION] «à un taux qu'elle (la Cour) juge convenable». Lorsque par jugement, une cour accorde un intérêt conformément à ce principe, le taux qu'elle impose se trouve fixé par la loi et c'est celle-ci qui le fixe. Dans ce cas, l'article en question ne s'applique pas.
Le juge en chef Laskin, parlant au nom de la Cour dans l'arrêt British Pacific Properties Ltd. c. Minister of Highways and Public Works, [1980] 2 R.C.S. 283, aux pages 289-290; (1980), 33 N.R. 98, la page 104, a exprimé une opinion semblable à celle-là:
A mon avis, rien ne justifie une distinction entre un intérêt accordé à un taux spécifié par un juge de première instance en vertu d'un pouvoir prévu par la loi et un intérêt accordé à un taux spécifié par des arbitres qui fixent une indemnité d'expro- priation conformément à un pouvoir prévu par la loi. Dans les deux cas, l'intérêt est exigible en vertu de la loi et le taux est fixé par la loi, ce qui permet d'échapper au taux limité prescrit par l'art. 3 de la Loi sur l'intérêt. Qu'un intérêt soit versé (comme par exemple à l'égard d'une indemnité ou d'une dette) en vertu d'une loi qui prévoit elle-même le taux ou qui renvoie la détermination de l'indemnité et du taux à un juge, à un arbitre ou à un conseil d'arbitrage ou qui fournit une méthode de calcul du taux, il reste que le taux découle de la loi et est par conséquent fixé par la loi. J'estime qu'il faut donner une interprétation large à l'expression «fixé par la loi» de manière à englober la fixation d'un taux d'intérêt en vertu de la loi ou conforme à ses dispositions lorsque le taux qui en découle lie
5 S.R.C. 1970, chap. 1-18.
toutes les parties en cause. A mon avis, l'art. 3 de la Loi sur l'intérêt ne s'applique qu'en l'absence de dispositions dans une loi applicable ou dans une convention et qu'aucun mécanisme n'est prévu pour fixer le taux.
Il découle de ces arrêts que l'article 3 de la Loi sur l'intérêt ne restreint pas les pouvoirs discré- tionnaires conférés par les lois aux tribunaux rela- tivement à l'intérêt couru après jugement. Consi- dérant l'interprétation libérale donnée par la Cour suprême à cette disposition, le fait qu'une Cour créée par le gouvernement fédéral applique une loi provinciale sur l'intérêt ne devrait rien y changer. La conclusion qui précède décide de tout argument fondé sur l'aspect constitutionnel de cette question.
On constate, en interprétant l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale, que le libellé de cette disposition même confère à la Cour un plein pou- voir discrétionnaire relativement à l'intérêt couru après jugement; il n'est point nécessaire d'avoir recours à l'article 3 de la Loi sur l'intérêt s'il en est «autrement ordonné par la Cour». Nous sommes d'avis que le juge Addy a eu raison de dire, supra, aux pages 401-402 C.F.; 319 C.P.R.:
À mon avis, l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale ne s'applique que lorsque la Cour a choisi de ne pas fixer l'intérêt postérieur au jugement. Lorsqu'elle a cependant décidé de le faire, la cour peut alors appliquer le taux d'intérêt ordinaire postérieur au jugement qui est en vigueur dans la province dont les dispositions législatives déterminent l'assujettissement et elle devrait normalement appliquer ce taux dans de tels cas à moins qu'il n'existe des circonstances particulières qui permettraient d'y déroger. Ce principe s'applique a fortiori lorsqu'il s'agit d'un cas la Cour fédérale et la cour appropriée d'une province ont compétence concurrente pour connaître d'une affaire, afin d'éviter, comme je l'ai déjà dit, que les règles de fond applicables soient choisies en fonction du tribunal.
Le juge de première instance a donc, selon nous, eu raison de se guider sur la loi provinciale perti- nente, en l'espèce l'article 137 de la Loi sur les tribunaux judiciaires, 1984, de l'Ontario, et a correctement interprété cette Loi.
Bref, nous ne modifierions point le montant adjugé par le juge de première instance en ce qui regarde l'intérêt couru soit avant soit après le jugement.
À la fin de l'audition du présent appel, l'avocat de la défenderesse a présenté une demande visant l'augmentation des frais et dépens entre parties. Il a prétendu que, en vertu des dispositions de la
nouvelle Règle 344 6 (entrée en vigueur le 2 avril 1987 [DORS/87-221, art. 2]) relative à la taxa tion, la Cour serait justifiée, dans les circonstances de l'espèce, d'exercer la discrétion qui lui est con- férée en ordonnant à l'officier taxateur d'accroître de façon importante les montants précisés au tarif B [DORS/87-221 art. 8] à l'égard de la prépara- tion de l'audition devant la Cour d'appel (nouveau tarif B—poste 1(1)h)) et à l'égard de l'audition elle-même devant la Cour d'appel (nouveau tarif B—poste 1(1)i)).
6 Règle 344. (1) La Cour a entière discrétion pour adjuger les frais et dépens aux parties à une instance, pour en déterminer la somme, pour les répartir et pour désigner les personnes qui doivent les supporter.
(2) Les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.
(3) En exerçant sa discrétion conformément au paragraphe (1), la Cour peut tenir compte:
a) du résultat de l'instance;
b) des sommes réclamées et des sommes recouvrées;
c) de l'importance des questions en litige;
d) du partage de la responsabilité;
e) de toute confession de jugement faite en vertu de la règle 405 et de la somme y afférente;
J) de toute consignation d'argent à la Cour en vertu des règles 441 et suivantes et du montant de cette consignation;
g) de toute offre de règlement présentée par écrit;
h) de toute offre de contribution, faite en vertu de la règle 1732, qui est portée à l'attention de la Cour par une partie exerçant un droit réservé à cette fin;
i) de la charge de travail;
j) de la complexité des questions en litige;
k) de la conduite d'une partie qui aurait abrégé ou prolongé inutilement la durée de l'instance;
1) de la dénégation d'un fait par une partie ou de sa négligence ou son refus de l'admettre, lorsque ce fait aurait être admis;
m) de la question de savoir si une procédure:
(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile, ou
(ii) a été accomplie de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;
n) de la question de savoir si on devrait accorder plus d'un mémoire de frais lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant repré- sentées par le même avocat, elles ont séparé leur défense sans raison valable;
o) de la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé des instances distinctes sans raison valable; et
p) de toute autre question pouvant influer sur la détermina- tion des dépens.
À l'appui de sa demande, cet avocat a prétendu que les alinéas a),b),c),e),i) et j) de la Règle 344(3) étaient pertinents au présent appel et que la Cour trouvera justifiée, si elle examine les circons- tances dont ils font état, une augmentation impor- tante des montants alloués sous les postes 1(1)h) et 1(1)0 du nouveau tarif B mentionnés ci-haut.
L'avocat de la demanderesse, toutefois, a fait référence aux dispositions de la Règle 346.1(2) (également entrée en vigueur le 2 avril 1987 [DORS/87-221, art. 4]), qui est ainsi libellée:
Règle 346.1 .. .
(2) Les nouvelles règles sur la taxation ne s'appliquent pas lorsque, dans les 90 jours suivant la date de leur entrée en vigueur, une partie à une instance engagée avant cette date dépose devant la Cour un avis portant que les dépens seront déterminés sans tenir compte des nouvelles règles sur la taxation.
Ainsi qu'il a déjà été noté, les nouvelles règles sur la taxation sont entrées en vigueur le 2 avril 1987. Le greffe de la Cour nous informe que l'avocat de la demanderesse a déposé l'avis prévu à la Règle 346.1(2) précitée le 2 juin 1987. Cet avis ayant clairement été déposé au cours de la période de transition établie à la Règle 346.1(2) précitée, les dépens en l'espèce doivent être déterminés sans tenir compte des nouvelles Règles sur la taxation.
L'avocat de la défenderesse a toutefois égale- ment prétendu que même les anciennes Règles sur les dépens lui donnaient droit à des dépens accrus. Selon nous, dans de telles circonstances, il y aurait lieu de suivre les dispositions du paragraphe (7) de la Règle 344 en vigueur avant le 2 avril 1987:
Règle 344. .. .
(7) Une partie peut
a) après le prononcé du jugement, dans le délai accordé par la Règle 337(5) pour requérir la Cour d'examiner de nou- veau le prononcé du jugement, ou
b) après que la Cour aura décidé du jugement à prononcer, au moment la requête pour l'obtention d'un jugement est présentée,
que le jugement ait ou non réglé la question des dépens, requérir la Cour de donner, au sujet des dépens, des directives spéciales aux termes de la présente Règle, y compris une directive visée au tarif B, et de statuer sur tout point relatif à l'application de tout ou partie des dispositions de la Règle 346. Une demande faite à la Cour d'appel en vertu du présent alinéa doit être faite devant le juge en chef ou un juge désigné par lui, mais l'une ou l'autre partie peut demander à un tribunal composé d'au moins trois juges de la Cour d'examiner une décision ainsi obtenue.
Considérant les dispositions de ce paragraphe, nous ne voyons pas pourquoi la pratique normale ne serait pas suivie dans le cadre du présent appel. Selon cette pratique, la partie ayant eu gain de cause, et avisée en ce sens, peut, dans les délais prescrits à la Règle 337(5), solliciter des directives spéciales à l'égard des dépens conformément aux Règles 344(7) et 337(5).
Pour tous les motifs qui précèdent, l'appel de la demanderesse devrait être rejeté avec dépens tandis que l'appel incident interjeté par la défende- resse devrait être accueilli avec dépens et le mon- tant adjugé par l'arbitre devrait être rétabli et assorti de l'intérêt adjugé par le juge de première instance relativement à la période préalable et à la période postérieure au jugement. En vertu de la Règle 337(2)b), l'avocat de la défenderesse peut préparer un projet de jugement approprié pour donner effet aux conclusions tirées par la Cour en l'espèce et demander que ce jugement soit prononcé.
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