A-470-86
Robert Thomson (requérant)
c.
La Reine (intimée)
RÉPERTORIÉ: THOMSON C. CANADA
Cour d'appel, juges Hugessen, Stone et Desjar-
dins—Ottawa, 2, 3, 4 février et 7 mars 1988.
Renseignement de sécurité — Un candidat reçu à un poste
de la Fonction publique s'est vu refuser l'habilitation de
sécurité de niveau «secret» par le sous-ministre — Une plainte
a été portée au comité de surveillance des activités de rensei-
gnement de sécurité — Le comité a recommandé que l'habili-
tation de sécurité soit accordée au requérant — Le sous-
ministre a maintenu son refus — Nature des «recommanda-
tions» prévues à l'art. 52(2) de la Loi sur le Service canadien
du renseignement de sécurité — Analyse du régime de la Loi
— Les «recommandations» en question n'ont pas un caractère
simplement consultatif — Une fois la plainte déposée, la
question du bien-fondé du refus cesse de relever de l'adminis-
trateur général pour tomber sous la juridiction du comité —
L'administrateur général est obligé de suivre la recommanda-
tion du comité — La demande est rejetée puisque la décision
du sous-ministre de maintenir le refus n'est pas assujettie au
contrôle judiciaire prévu à l'art. 28 de la Loi sur la Cour
fédérale.
Fonction publique — Procédure de sélection — Offre d'em-
ploi conditionnelle à l'obtention d'une habilitation de sécurité
— Le sous-ministre a refusé l'habilitation de sécurité de
niveau «secret» sur le fondement d'une appréciation du Service
canadien du renseignement de sécurité — L'enquête a révélé
que le requérant avait divulgué des renseignements classifiés
— Une plainte a été portée auprès du comité de surveillance
des activités de renseignement de sécurité — Ce dernier a
recommandé que l'habilitation de sécurité demandée soit
accordée — Le sous-ministre a maintenu le refus — Le
sous-ministre a le devoir d'agir conformément à la recomman-
dation du comité — Le dépôt de la plainte sous le régime de la
Loi annule tout pouvoir discrétionnaire pouvant encore être
détenu par le sous-ministre en vertu de la directive du Cabinet
n° 35 relativement à l'appréciation de la fiabilité d'un fonc-
tionnaire — La décision du sous-ministre de maintenir le refus
n'est toutefois pas assujettie au contrôle judiciaire prévu à
l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Compétence de la Cour fédérale — Division d'appel —
Renseignement de sécurité — Le sous-ministre a refusé une
habilitation de sécurité dans le cadre d'une offre d'un emploi
de la Fonction publique — Une plainte a été portée auprès du
comité de surveillance des activités de renseignement de sécu-
rité — Le comité a recommandé que l'habilitation de sécurité
soit accordée — La décision du sous-ministre de maintenir ce
refus n'est pas assujettie au contrôle judiciaire prévu à l'art.
28 de la Loi sur la Cour fédérale — Il suffit d'un acte de
nature administrative, non une décision soumise à un proces-
sus judiciaire ou quasi judiciaire, pour mettre en oeuvre la
recommandation du comité — Le redressement approprié est
le bref de mandamus — Le devoir du sous-ministre découle de
la recommandation obligatoire formulée en conformité avec la
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.
Interprétation des lois — Loi sur le Service canadien du
renseignement de sécurité — L'administrateur général a refusé
de suivre la recommandation du comité de surveillance des
activités de renseignement de sécurité voulant que l'habilita-
tion de sécurité relative à un emploi de la Fonction publique
soit accordée — Nature des «recommandations» du comité
prévues à l'art. 52(2) de la Loi — Ce mot doit être interprété
en tenant compte de l'ensemble du régime auquel est soumise
une enquête relative à une «plainte» visée à l'art. 42 de la Loi
— Admissibilité de l'histoire législative aux fins de déterminer
l'intention du Parlement — Le caractère détaillé du régime
adopté indique que l'intention du Parlement n'était pas de
conférer au mot «recommandations» son sens littéral voulant
qu'il ait un caractère consultatif — Incidence des modifica
tions consécutives et corrélatives — L'administrateur général a
le devoir d'agir conformément à la recommandation du comité.
En 1984, le requérant s'est vu offrir le poste d'agent de
planification des projets au sein de la Direction des affaires
internationales d'Agriculture Canada à la condition qu'il
obtienne une habilitation de sécurité de niveau «secret». Le
requérant a informé l'agent chargé de la sécurité à ce ministère
qu'il avait démissionné de l'ACDI en 1974 alors qu'il était
soupçonné d'être à l'origine de la fuite d'un document classifié.
L'agent de sécurité a demandé à la GRC de procéder à une
enquête sur place. Avec l'entrée en vigueur de la Loi sur le
Service canadien du renseignement de sécurité, la responsabi-
lité de l'enquête a été transmise au Service canadien du rensei-
gnement de sécurité (SCRS). Le SCRS a recommandé que le
requérant n'occupe pas de poste où il aurait accès à des biens
classifiés dans l'intérêt national. Cette appréciation était fondée
sur des renseignements selon lesquels le requérant avait notam-
ment révélé le contenu d'un message télex classifié à un député
et offert de fournir des renseignements classifiés à des agents de
gouvernements étrangers. Sur le fondement de la recommanda-
tion du SCRS, le sous-ministre a refusé l'habilitation de sécu-
rité demandée. Le requérant a déposé une plainte auprès du
comité de surveillance des activités de renseignement de sécu-
rité sous le régime de l'article 42 de la Loi. Après avoir fait
enquête au sujet de cette plainte, le comité de surveillance a
recommandé que le sous-ministre accorde au requérant l'habili-
tation de sécurité de niveau «secret». Le sous-ministre a main-
tenu son refus malgré la recommandation du comité. Le requé-
rant sollicite l'annulation de cette décision du sous-ministre aux
termes de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Le requérant soutient que, considérant l'objet de la Loi et le
régime qu'elle a établi, le sous-ministre était obligé de suivre la
recommandation du comité : il aurait commis une erreur de
droit en refusant l'habilitation de sécurité demandée. L'intimée
soutient que cette Cour n'a pas compétence en vertu de l'article
28 au motif que la décision de refuser l'habilitation de sécurité
relève de la prérogative royale, dont émane la directive du
Cabinet n° 35 de 1963, qui traitait de «La sécurité dans la
Fonction publique du Canada», et que la Loi ne touche aucune-
ment le pouvoir du sous-ministre de trancher la question en jeu
conformément à la directive.
La première question qui se pose est celle de savoir si le
sous-ministre est obligé d'agir conformément à la «recomman-
dation» du comité de surveillance. Cette question implique la
détermination du caractère de cette «recommandation». Dans
l'affirmative, il doit être décidé si la décision du sous-ministre
est assujettie à l'examen prévu à l'article 28.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Le mot «recommandations» contenu au paragraphe 52(2) de
la Loi doit être interprété en tenant compte de l'ensemble du
régime auquel est soumise l'enquête relative à une «plainte»
présentée par celui qui fait l'objet d'une opposition à engage
ment au sein de la Fonction publique par suite du refus d'une
habilitation de sécurité. La nature de ce régime indique que le
Parlement a eu l'intention d'accorder au plaignant un recours
plutôt que la simple possibilité d'exposer sa cause et d'appren-
dre les motifs du refus. Cette intention se trouve exprimée dans
des déclarations faites devant la Chambre des communes et le
comité parlementaire selon lesquelles la Loi projetée accorde-
rait «un recours» au plaignant et substituerait à «l'actuel
mandat établi par une directive du Cabinet ... un mandat
législatif». Certaines des dispositions de la Loi, comme l'obliga-
tion d'envoyer à toutes les parties concernées un résumé des
informations dont le comité dispose (article 46), la nécessité
d'un avis préalable (article 47), la possibilité pour toutes les
parties concernées de présenter des éléments de preuve et d'être
entendues en personne par l'intermédiaire d'un avocat (para-
graphe 48(2)), l'assignation de témoins et la production de
pièces (article 50), ainsi que l'étendue de l'accès à des informa-
tions de nature délicate accordé au comité de surveillance
(article 39), indiquent qu'on a voulu donner au comité toute
latitude pour examiner les raisons ayant pu motiver le refus et
accorder, le cas échéant, le redressement approprié. Le carac-
tère détaillé du régime adopté, y compris l'obligation de rédiger
un rapport formel contenant les «conclusions» et les «recomman-
dations», indique que le Parlement n'avait pas l'intention que
les «recommandations» ne soient que consultatives ou soient
faites à titre de simple suggestion. Les tribunaux se sont
montrés réticents à interpréter strictement le mot «recomman-
dations» lorsqu'une telle interprétation ne concorde pas avec
l'économie générale du texte législatif en cause. De plus, les
modifications consécutives et corrélatives à la Loi canadienne
sur les droits de la personne, à la Loi sur la citoyenneté et à la
Loi sur l'immigration de 1976 indiquent que le Parlement n'a
pas employé le mot «recommandations» dans son sens littéral;
dans tous ces cas, le Parlement a autorisé le comité de surveil
lance à prendre des «conclusions» que celui auquel incombe la
décision finale est autorisé à «étudier».
La procédure prescrite ne concerne pas la façon dont doit
être prise la décision de refuser une habilitation. Elle n'entre en
jeu qu'après le dépôt d'une «plainte». C'est à ce stade que la
question du bien-fondé d'un refus cesse de relever de l'adminis-
trateur général pour tomber sous la juridiction du comité de
surveillance, lequel doit agir en conformité avec la procédure
établie par la Loi. La Loi donne à l'administrateur général la
faculté de défendre sa décision et donne au SCRS la possibilité
de défendre l'avis qu'il a donné à l'administrateur général.
L'enquête peut ainsi porter sur tous les motifs du refus, y
compris toute appréciation subjective de la fiabilité du
plaignant.
Il s'ensuit que le refus du sous-ministre était fondé sur une
mauvaise interprétation du paragraphe 52(2). Il a eu tort
d'exercer un pouvoir discrétionnaire dont il se prétendait encore
investi en vertu de la directive du Cabinet n° 35. L'administra-
teur général n'est pas habilité à «re-prendre» une décision déjà
prise, une fois que l'affaire a fait l'objet d'une «plainte» puis
d'une «recommandation».
Toutefois, la décision du sous-ministre de refuser l'habilita-
tion de sécurité ne relève pas de la compétence conférée à cette
Cour par l'article 28. Il suffit d'un acte de nature purement
administrative, non une décision soumise à un processus judi-
ciaire ou quasi judiciaire, pour mettre en œuvre la recomman-
dation du comité. Le redressement qui conviendrait à cet égard
serait la délivrance, sous le régime de l'article 18 de la Loi sur
la Cour fédérale, d'un bref de mandamus obligeant à l'exécu-
tion d'un devoir imposé par la Loi. Un devoir de cette nature
découle en l'espèce de la recommandation obligatoire que le
comité de surveillance, à titre d'intermédiaire du Parlement, a
dûment formulée en conformité avec la Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U),
art. 2b),d).
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C.
1976-77, chap. 33, art. 36.1(7) (ajouté par S.C. 1984,
chap. 21, art. 73).
Loi sur la citoyenneté, S.C. 1974-75-76, chap. 108, art.
17.1(5) (ajouté par S.C. 1984, chap. 21, art. 75).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2» Supp.), chap.
10, art. 2, 18.
Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap.
F-10, art. 5(1)e), 7(7).
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10,
art. 36.3(1) (ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111,
art. 4).
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970,
chap. P-32, art. 5a), 6(1), 8.
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité,
S.C. 1984, chap. 21, art. 2, 13(1), 29, 30(2)a), 34, 37,
38c)(i), 39(1),(2),(3), 42, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 52, 73,
74, 75, 79, 80, 81, 82, 83, 84, 85.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52,
art. 39(8)a) (ajouté par S.C. 1984, chap. 21, art. 80),
82.1(6)a) (ajouté, idem, art. 84).
Règlement sur les enquêtes sécuritaires dans la Fonction
publique, DORS/75-196.
Règles de procédure du comité de surveillance des acti-
vités de renseignement de sécurité à l'égard des fonc-
tions exercées en vertu de l'alinéa 38c) de la Loi sur le
Service canadien du renseignement de sécurité, 9 mars
1985, Règles 1, 17 29.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES :
Reg. v. Barnet London Borough Council, Ex parte Nilish
Shah, [1983] 2 W.L.R. 16 (H.L.); Carrington v.
Therm-A-Stor Ltd., [1983] 1 W.L.R. 138 (C.A.); Lor-
Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346
(C.A.); Christ's Hospital Governors, Rex v. Ex parte
Dunn, [ 1917] 1 K.B. 19; Myer Queenstown Garden Plaza
Pty. Ltd. and Myer Shopping Centres Pty. Ltd. v. Corpo
ration of the City of Port Adelaide and the Attorney -
General (1975), 11 S.A.S.R. 504 (S.C.).
DÉCISION CITÉE:
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c.
Canada (Commission canadienne des droits de la per-
sonne), [1987] 1 R.C.S. 1114.
DOCTRINE
Canada, Commission d'enquête sur certaines activités de
la Gendarmerie royale du Canada, Deuxième rapport:
La liberté et la sécurité devant la loi, vol. 2, août 1981,
Ottawa: ministre des Approvisionnements et Services,
1981.
Canada, Chambre des communes, Comité permanent de
la Justice et des questions juridiques, Témoignages,
fascicule n° 15 (17 avril 1984), la p. 6 et fascicule
n° 28, la p. 58.
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 23,
P' session, 32' Parl. 32 Eliz. II, 1983, la p. 26073.
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. II, 2'
session, 32' Parl. 33 Eliz. II, 1984, aux p. 1272, 1273,
1275.
Driedger, E. A. Construction of Statutes, 2nd ed.
Toronto: Butterworths, 1983.
AVOCATS:
David J. Jewitt et Sean McGee pour le
requérant.
L. P. Chambers, c.r. et Yves Joly pour
l'intimée.
Simon Noël pour le comité de surveillance des
activités de renseignement de sécurité.
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Noel, Décary, Aubry & Associés, Hull
(Québec), pour le Comité de surveillance des
activités de renseignement de sécurité.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Le requérant a présenté cette
demande en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10]
afin d'obtenir l'examen et l'annulation d'une déci-
sion du sous-ministre de l'Agriculture, en date du
4 juin 1986, lui refusant l'habilitation de sécurité
aux fins de son engagement à titre d'agent de
planification des projets au sein de la Direction des
affaires internationales d'Agriculture Canada. La
présente Cour a reconnu au comité de surveillance
des activités de renseignement de sécurité, consti-
tué en vertu de la Loi sur le Service canadien du
renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21
(ci-après la Loi), la qualité pour participer au
débat sur les points touchant sa compétence et sa
procédure. Je le désignerai ci-après sous le nom
d'«intervenant».
HISTORIQUE
Perspective d'emploi
Voyons d'abord quelles sont les circonstances à
l'origine de la décision que nous devons examiner
en l'espèce. Après avoir été reçu comme candidat,
au mois de juin 1984, au poste susmentionné, le
requérant recevait d'Agriculture Canada, par
lettre datée du 25 juin, une offre d'emploi assortie
de certaines conditions, dont la suivante:
[TRADUCTION] En raison du caractère confidentiel des fonc-
tions que vous aurez à remplir dans ce poste, une habilitation
de sécurité de niveau SECRET est exigée. Votre date d'entrée en
fonction, fixée au 1°' octobre 1984, ne vous sera donc confirmée
qu'après réception de cette habilitation de sécurité. [Dossier,
page 6.]
Enquête de sécurité
Pour se conformer à cette exigence, Agriculture
Canada a donc ouvert une enquête de sécurité. Le
requérant a prêté son concours en remplissant une
«Fiche d'antécédents personnels», en date du 25
juin 1984, sur laquelle sont consignés des rensei-
gnements personnels, y compris le détail de ses
emplois au cours des dix années précédentes. À la
question 12 de la fiche, il est demandé:
[TRADUCTION] 12. Avez-vous déjà été renvoyé ou vous a t-on
déjà demandé de démissionner d'un poste?
Il fallait répondre à cette question par «oui» ou par
«non», en fournissant les explications nécessaires
dans le premier cas. Le requérant a répondu par
l'affirmative, en ajoutant les mots: [TRADUCTION]
«ACDI, janvier 1974». Le même jour, M. D. H.
O'Grady, agent chargé de la sécurité à Agriculture
Canada, a renvoyé l'affaire à la Gendarmerie
royale pour qu'il soit procédé à une «vérification de
dossier» au niveau «SECRET» (Dossier, page 163).
Le même jour ou le lendemain, le requérant est
allé voir M. O'Grady pour lui demander s'il pou-
vait modifier sa réponse à la question 12. Ainsi que
ce dernier l'a déclaré lors de son témoignage
devant l'intervenant, [TRADUCTION] «M. Thomson
est entré et il m'a expliqué qu'il voulait ajouter
quelque chose à cette question particulière, ou en
d'autres termes y apporter un changement; il m'a
raconté qu'en 1974, il avait eu, faute d'une meil-
leure expression, un problème avec l'ACDI et qu'on
lui avait alors demandé sa démission» (Dossier,
page 49). M. O'Grady a poursuivi en affirmant:
[TRADUCTION] «[le requérant] m'a expliqué avec
beaucoup de franchise ce qui s'était passé exacte-
ment avec l'ACDI à cette époque; je ne veux pas lui
mettre les mots dans la bouche, mais il me semble
qu'il m'a dit qu'il avait été soupçonné d'être à
l'origine de la fuite d'un document alors qu'il était
au service de cette agence, accusation qu'il a niée
mais à la suite de laquelle il a sans plus tarder
présenté sa démission pour éviter tout problème à
sa famille» (Dossier, pages 49-50). Le requérant a
alors étoffé sa réponse à la question 12 en ajoutant
les mots: [TRADUCTION] «Pour plus de détails,
prière de me contacter à», suivis de deux numéros
de téléphone. A la suite de quoi, M. O'Grady a
communiqué à nouveau avec la Gendarmerie
royale du Canada, afin qu'elle procède à une
enquête sur place au niveau «TRÈS SECRET», plutôt
qu'à une simple vérification de dossier. M.
O'Grady a reconnu, dans son témoignage devant
l'intervenant, avoir fait erreur quant au niveau
exigé mais il a fait valoir que cela n'avait en rien
changé [TRADUCTION] «la portée de l'enquête»
(Dossier, page 52) puisque, a-t-il expliqué, c'est en
fonction de [TRADUCTION] «d'importance du docu
ment à protéger» qu'on décide de faire une vérifi-
cation au niveau «SECRET» ou «TRÈS SECRET»
(Dossier, page 55).
À la demande d'Agriculture Canada, le requé-
rant s'est présenté au travail le 1" octobre 1984,
nonobstant le fait que l'enquête de sécurité n'était
pas encore terminée. Il a toutefois été renvoyé chez
lui le 16 octobre suivant, avec instruction de ne pas
revenir avant que la question de la sécurité ne soit
réglée.
Avec l'entrée en vigueur de la Loi, c'est le
Service canadien du renseignement de sécurité (le
«SCRS»), constitué en vertu de la Partie I de cette
Loi, ci-après désigné le «Service», qui a pris la
responsabilité de l'enquête sur place. A cette fin,
deux représentants du SCRS ont convoqué le
requérant à une entrevue de filtrage de sécurité le
11 janvier 1985, en présence de M. O'Grady.
Refus de l'habilitation de sécurité
Le 26 mars 1985, Agriculture Canada a reçu du
SCRS un rapport recommandant que le requérant
n'occupe pas de poste où il aurait accès à des biens
classifiés dans l'intérêt national (Dossier, page 16).
Au cours de cette même journée, trois fonctionnai-
res d'Agriculture Canada, dont M. O'Grady, se
sont réunis afin de [TRADUCTION] «discuter des
options dont disposait le ministère pour résoudre
cette affaire» et ils en sont venus à la conclusion
que le seul choix possible était de refuser l'habilita-
tion de sécurité (Dossier, page 16). Toutefois,
avant de prendre formellement la décision, le sous-
ministre a transmis le rapport du SCRS au Secré-
taire adjoint du Cabinet (sécurité et renseigne-
ment) conformément au paragraphe 14 de la
directive du Cabinet n° 35, afin d'obtenir ses com-
mentaires (Dossier, page 16). Peu de temps après,
il reçut du Bureau du Conseil privé un télex à
l'appui de la décision de refuser l'habilitation. Le
sous-ministre en avisa donc le requérant, par lettre
datée du 23 avril 1985, en ces termes:
[TRADUCTION] À la suite d'une enquête menée par le Service
canadien du renseignement de sécurité, je vous avise par la
présente que l'habilitation de sécurité exigée par notre minis-
tère vous a été refusée. En conséquence, notre offre d'emploi du
25 juin 1984, conditionnelle à l'obtention de cette habilitation,
est maintenant révoquée.
En vertu de l'article 42 de la Loi sur Service canadien du
renseignement de sécurité, Statuts du Canada 1984, chapitre
21, vous avez toutefois le droit de porter plainte dans les trente
(30) jours de la réception de cette lettre en vous adressant au
comité de surveillance des activités de renseignement de sécu-
rité, Bureau du Conseil privé. [Dossier, page 21.]
Plainte
À la suite de ce refus, le requérant s'est prévalu
des dispositions de l'article 42 de la Loi et a déposé
une «plainte» auprès de l'intervenant qui en a avisé
le sous-ministre. Pour bien saisir la portée de cette
procédure, il nous faut examiner la Loi de plus
près.
RÉGIME DE LA LOI
La Partie I de la Loi sanctionnée le 28 juin 1984
prévoit la constitution du SCRS, la nomination de
son directeur, de même que sa gestion et ses
fonctions. L'article 2 définit ainsi l'«évaluation de
sécurité»:
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«évaluation de sécurité» Évaluation de la loyauté d'un individu
envers le Canada et, à cet égard, de sa fiabilité.
Parmi les fonctions qui lui sont assignées, le SCRS
fournit des évaluations de sécurité conformément
au paragraphe 13(1):
13. (1) Le Service peut fournir des évaluations aux ministè-
res du gouvernement du Canada.
La Partie III de la Loi traite de la SURVEIL
LANCE, apparemment dans deux sens différents.
En premier lieu, en vertu de l'alinéa 30(2)a), un
fonctionnaire appelé «inspecteur général» est habi-
lité à s'assurer de l'observation par le SCRS de ses
règles générales en matière opérationnelle, surveil-
ler ses activités opérationnelles et présenter les
certificats requis. En second lieu, d'autres disposi
tions traitent des fonctions de l'intervenant dont la
constitution et la composition sont prévues à l'arti-
cle 34:
34. (1) Est constitué le comité de surveillance des activités
de renseignement de sécurité, composé du président et de deux
à quatre autres membres, tous nommés par le gouverneur en
conseil parmi les membres du Conseil privé de la Reine pour le
Canada qui ne font partie ni du Sénat ni de la Chambre des
communes. Cette nomination est précédée de consultations
entre le premier ministre du Canada, le chef de l'opposition à la
Chambre des communes et le chef de chacun des partis qui y
disposent d'au moins douze députés.
(2) Les membres du comité de surveillance sont nommés à
titre inamovible pour une durée maximale de cinq ans.
(3) Le mandat des membres du comité de surveillance est
renouvelable pour une durée maximale identique.
(4) Les membres du comité de surveillance ont le droit de
recevoir, pour chaque jour qu'ils exercent les fonctions qui leur
sont conférées en vertu de la présente loi, la rémunération que
fixe le gouverneur en conseil et sont indemnisés des frais de
déplacement et de séjour entraînés par l'exercice de ces
fonctions.
En vertu de l'article 37, les membres de l'interve-
nant doivent prêter «le serment de secret» selon la
formule figurant à l'annexe'.
Au sous-alinéa 38c)(i), l'intervenant se voit con-
fier la responsabilité de faire enquête sur les plain-
tes comme celle qu'a portée le requérant:
38. Le comité de surveillance a les fonctions suivantes:
c) faire enquête sur:
(i) les plaintes qu'il reçoit en vertu des articles 41 et 42 de
la présente loi,
En vertu du paragraphe 39(1), l'intervenant dis
pose d'un large pouvoir de déterminer sa propre
procédure et, en vertu du paragraphe 39(2), il peut
avoir accès à des renseignements névralgiques:
39....
(2) Par dérogation à toute autre loi fédérale ou toute immu-
nité reconnue par le droit de la preuve, mais sous réserve du
paragraphe (3), le comité de surveillance:
a) est autorisé à avoir accès aux informations qui se ratta-
chent à l'exercice de ses fonctions et qui relèvent du Service
ou de l'inspecteur général et à recevoir de l'inspecteur géné-
ral, du directeur et des employés les informations, rapports et
explications dont il juge avoir besoin dans cet exercice;
b) au cours des enquêtes visées à l'alinéa 38c), est autorisé à
avoir accès aux informations qui se rapportent à ces enquêtes
et qui relèvent de l'administrateur général concerné.
(3) À l'exception des renseignements confidentiels du Con-
seil privé de la Reine pour le Canada visés par le paragraphe
36.3(1) de la Loi sur la preuve au Canada, aucune des infor-
mations visées au paragraphe (2) ne peut, pour quelque motifs
que ce soit, être refusée au comité.
Les articles 41 46 de la Loi portent sur les
«Plaintes». Les articles 42, 45 et 46 sont particuliè-
rement pertinents:
42. (1) Les individus qui font l'objet d'une décision de
renvoi, de rétrogradation, de mutation ou d'opposition à enga
gement, avancement ou mutation prise par un administrateur
général pour la seule raison du refus d'une habilitation de
sécurité que le gouvernement du Canada exige doivent être
avisés du refus par l'administrateur général; celui-ci envoie
l'avis dans les dix jours suivant la prise de la décision.
(2) Dans le cas où, pour la seule raison du refus d'une
habilitation de sécurité que le gouvernement du Canada exige à
l'égard d'un individu, celui-ci ou une autre personne fait l'objet
d'une décision d'opposition à un contrat de fourniture de biens
ou de services à ce gouvernement, l'administrateur général
' Je, , jure que, sauf autorisation régulièrement
donnée, je ne révélerai rien de ce qui sera parvenu à ma
connaissance dans l'exercice de mes fonctions pour le compte
ou sous la direction du Service canadien du renseignement de
sécurité ou en raison des charges ou de l'emploi que je détiens
sous le régime de la Loi sur le Service canadien du renseigne-
ment de sécurité. Ainsi Dieu me soit en aide.
concerné envoie dans les dix jours suivant la prise de la décision
un avis informant l'individu, et s'il y a lieu l'autre personne, du
refus.
(3) Le comité de surveillance reçoit les plaintes et fait
enquête sur les plaintes présentées par:
a) les individus visés au paragraphe (1) à qui une habilita-
tion de sécurité est refusée;
b) les personnes qui ont fait l'objet d'une décision d'opposi-
tion à un contrat de fourniture de biens ou de services a été
refusé pour la seule raison du refus d'une habilitation de
sécurité à ces personnes ou à quiconque.
(4) Les plaintes visées au paragraphe (3) sont à présenter
dans les trente jours suivant la réception de l'avis mentionné
aux paragraphes (1) ou (2) ou dans le délai supérieur accordé
par le comité de surveillance.
45. Les plaintes visées à la présente partie sont à présenter
par écrit au comité de surveillance, sauf autorisation contraire
de celui-ci.
46. Afin de permettre au plaignant d'être informé de la
façon la plus complète possible des circonstances qui ont donné
lieu au refus d'une habilitation de sécurité, le comité de surveil
lance lui envoie, dans les plus brefs délais possible après
réception d'une plainte présentée en vertu de l'article 42, un
résumé des informations dont il dispose à ce sujet; il envoie un
exemplaire du résumé au directeur et à l'administrateur général
concerné.
La définition d'eadministrateur général» qui se
trouve à l'article 29 de la Loi comprend manifeste-
ment le sous-ministre.
Les articles 47 50 établissent la procédure à
suivre dans les enquêtes sur les plaintes, ainsi que
les attributions de l'intervenant à cet égard:
47. Le comité de surveillance, avant de procéder aux enquê-
tes visées à l'alinéa 38c), autres que celles faites en vertu de
l'article 41, avise le directeur et, s'il y a lieu, l'administrateur
général concerné de son intention d'enquêter et leur fait connaî-
tre l'objet de la plainte.
48. (1) Les enquêtes sur les plaintes présentées en vertu de
la présente partie sont tenues en secret.
(2) Au cours d'une enquête relative à une plainte présentée
en vertu de la présente partie, le plaignant, le directeur et
l'administrateur général concerné doivent avoir la possibilité de
présenter des observations et des éléments de preuve au comité
de surveillance ainsi que d'être entendu en personne ou par
l'intermédiaire d'un avocat; toutefois nul n'a le droit absolu
d'être présent lorsqu'une autre personne présente des observa
tions au comité, ni d'en recevoir communication ou de faire des
commentaires à leur sujet.
49. Au cours d'une enquête relative à une plainte présentée
en vertu de la présente partie, le comité de surveillance
demande, si cela est opportun, à la Commission canadienne des
droits de la personne de lui donner son avis ou ses commentai-
res sur la plainte.
50. Le comité de surveillance a, dans ses enquêtes sur le:
plaintes présentées en vertu de la présente partie, le pouvoir:
a) d'assigner et de contraindre des témoins à comparaître
devant lui, à déposer verbalement ou par écrit sous serment
et à produire les pièces qu'il juge indispensables pour ins•
truire et examiner à fond les plaintes, de la même façon et
dans la même mesure qu'une cour supérieure d'archives;
b) de faire prêter serment;
c) de recevoir des éléments de preuve ou des informations
par déclaration verbale ou écrite sous serment ou par tout
autre moyen qu'il estime indiqué, indépendamment de leur
recevabilité devant les tribunaux.
Enfin, conformément à l'article 52 de la Loi,
l'intervenant doit établir un rapport à l'issue de son
enquête:
52. (1) Le comité de surveillance:
a) à l'issue d'une enquête sur une plainte présentée en vertu
de l'article 41, envoie au ministre et au directeur un rapport
contenant ses conclusions et les recommandations qu'il juge
indiquées;
b) en même temps ou plus tard, fait parvenir au plaignant
les conclusions de son enquête; s'il le juge à propos, il peut y
joindre tout ou partie des recommandations mentionnées à
l'alinéa a).
(2) À l'issue d'une enquête sur une plainte présentée en
vertu de l'article 42, le comité de surveillance envoie au minis-
tre, au directeur, à l'administrateur général concerné et au
plaignant un rapport des recommandations qu'il juge indiquées
et des conclusions qu'il juge à propos de communiquer au
plaignant.
La Partie V de la Loi renferme des dispositions
transitoires ainsi que des modificationp consécuti-
ves et corrélatives à certaines autres lois, dont la
Loi canadienne sur les droits de la personne [S.C.
1976-77, chap. 33], la Loi sur la citoyenneté [S.C.
1974-75-76, chap. 108] et la Loi sur l'immigration
de 1976 [S.C. 1976-77, chap. 52], par application
respectivement des articles 73-74, 75 et 79 85.
ENQUÊTE MENÉE PAR L'INTERVENANT
Peu après réception de la «plainte», l'intervenant
a pris les dispositions nécessaires à la tenue d'une
enquête. À cette fin, il a appelé l'attention du
sous-ministre sur ses Règles de procédure 2 , l'avi-
sant de son [TRADUCTION] «droit de présenter des
observations ... soit par écrit soit oralement à
l'audience» (Dossier, page 39). Il lui a également
demandé des informations en vue du résumé
devant être envoyé au requérant, conformément à
l'article 46. Voici le texte intégral de ce résumé
intitulé [TRADUCTION] «Résumé des circonstances
qui ont donné lieu au refus d'une habilitation de
sécurité à Robert Thomson par l'administrateur
général d'Agriculture Canada»:
[TRADUCTION] Vérification faite, le comité de surveillance a
pu établir qu'à l'issue de son enquête, y compris une entrevue
avec vous, le SORS a fourni à Agriculture Canada une évalua-
tion de sécurité recommandant que l'habilitation de sécurité
vous soit refusée, en raison notamment des informations
suivantes:
— il est possible que vous ayez dévoilé le contenu classifié d'un
message de l'ambassadeur du Canada à Santiago au ministère
des Affaires extérieures à Ottawa, en 1973;
— vous avez dévoilé le contenu d'un télex classifié à un député
du Parlement, en 1973, en niant d'abord connaître ledit député;
— vous avez refusé de nommer la personne avec laquelle vous
avez déclaré avoir discuté du contenu dudit télex classifiée
(dont la fausseté a par la suite été établie);
— de votre propre aveu, vous avez transmis clandestinement des
lettres à un destinataire en Guyane;
— vous avez, clandestinement, maintenu des contacts avec des
fonctionnaires et agents de gouvernements étrangers à qui vous
avez proposé, au moins à une occasion, de fournir des rensei-
gnements classifiés.
Après avoir pris connaissance des informations ci-dessus, l'ad-
ministrateur général a jugé que votre fiabilité n'était pas suffi-
sante pour vous confier des renseignements classifiés. En consé-
quence, l'habilitation de sécurité vous a été refusée. [Dossier,
page 40.]
AUDIENCE TENUE PAR L'INTERVENANT
Commencée le 13 août 1985, l'audience qu'a
tenue l'intervenant s'est poursuivie le 9 octobre
pour se terminer le 7 novembre de la même année.
2 Les Règles de procédure du comité de surveillance des
activités de renseignement de sécurité à l'égard des fonctions
exercées en vertu de l'alinéa 38c) de la Loi sur le Service
canadien du renseignement de sécurité ont été adoptées par
l'intervenant le 9 mars 1985. Selon l'article 1 de ces Règles, le
terme «partie» désigne, entre autres, le plaignant aux termes de
l'article 42 de la Loi, de même que le directeur et l'administra-
teur général concerné. Les articles 17 29 des Règles établis-
sent une procédure détaillée quant au traitement des plaintes
présentées en vertu de l'article 42. Il semble que ces dispositions
visent à offrir toutes les garanties procédurales mentionnées
dans la Loi à chacune des parties concernées par une telle
enquête et à s'assurer que le rapport exigé au paragraphe 52(2)
soit correctement établi.
À part une transcription partielle du témoignage
de M. O'Grady (mentionnée ci-dessus), la seule
source d'information sur ce qui a été révélé à
l'audience se trouve dans le rapport daté du 9 avril
1986 que l'intervenant a soumis au sous-ministre
par lettre datée du même jour (Dossier, pages
81-97), conformément au paragraphe 52(2) de la
Loi.
D'après ce rapport, l'intervenant se composait
de deux membres, le requérant était présent avec
son avocat tandis qu'Agriculture Canada et l'inter-
venant étaient chacun représentés par leur avocat.
Voici l'«Introduction» du rapport:
[TRADUCTION] L'intimé, sous-ministre d'Agriculture Canada,
était représenté par M. Patrick O'Grady, agent du ministère
chargé de la sécurité. Celui-ci a témoigné que le sous-ministre
avait pris la décision de refuser au plaignant l'habilitation de
sécurité, en se fondant uniquement sur le rapport et les recom-
mandations du SCRS qui a enquêté sur M. Thomson.
C'est pourquoi, lors de la partie orale de l'enquête du comité,
l'intimé était représenté par l'avocat du SCRS, le témoignage à
l'appui de la décision de refuser à M. Thomson l'habilitation de
sécurité provenant exclusivement du SCRS. [Dossier, page 83.)
L'intervenant poursuit en précisant l'étendue de
son enquête:
[TRADUCTION] Au cours de l'enquête, qui a nécessité trois
jours d'audience, nous avons examiné les faits et les allégations
énoncés ci-après, tant à la lumière des «menaces envers la
sécurité du Canada» définies à l'article 2 de la Loi, qu'en regard
des notions de «loyauté» et de «fiabilité» également mentionnées
dans la Loi. [Dossier, page 85.]
Les reproches adressés au requérant et dont la
liste figure au résumé préparé conformément à
l'article 46 sont classés plus loin sous différentes
rubriques: «divulgations de télex», «malhonnêteté»,
«renseignements relatifs à l'ACDI», «communica-
tions clandestines», «Grenade», «rencontre clandes
tine» et finalement «contacts clandestins». À la fin
de chacune de ces rubriques, le comité formule ses
commentaires sur le bien-fondé des allégations,
compte tenu de la preuve soumise. Ses seules
observations défavorables envers le requérant figu-
rent sous les rubriques «divulgations de télex» et
«malhonnêteté». Dans le premier cas, il ressort de
la preuve que deux télex, un vrai et un faux,
émanant de l'ambassadeur du Canada à Santiago,
au Chili, ont été dévoilés à un député. L'interve-
nant en tire la conclusion suivante (Dossier, page
86):
[TRADUCTION] Nous estimons que M. Thomson a mal agi en
1973. Cependant, ces faits étant survenus il y a douze ans, ils ne
permettent pas à eux seuls de justifier qu'une habilitation de
sécurité lui soit refusée aujourd'hui.
En ce qui concerne l'allégation de «malhonnêteté»,
l'intervenant souligne que, lors de l'entrevue de
filtrage de sécurité du 11 janvier 1985, le requé-
rant a nié avoir dévoilé le vrai télex, tout en
reconnaissant qu'il avait dévoilé le «faux» (lequel
avait permis son identification comme auteur de la
première fuite). Ce n'est qu'après que les enquê-
teurs du SCRS l'eurent confronté à cette preuve
qu'il a admis sa participation. L'intervenant
affirme à cet égard (Dossier, page 88):
[TRADUCTION] Cet aspect de l'enquête soulève des difficultés
particulières. Il est normal, évidemment, qu'on s'attende à ce
que les employés demandant une habilitation de sécurité répon-
dent avec honnêteté aux questions des fonctionnaires chargés de
l'enquête. Toutefois, il ne faut peut-être pas se surprendre que
les individus qui ont commis certains actes et craignent d'être
l'objet de poursuites criminelles hésitent à faire de tels aveux.
Quoi qu'il en soit, tout en reconnaissant que M. Thomson a
manqué de franchise lors de l'entrevue, nous concluons que,
dans les circonstances, ce seul fait ne permet pas de le considé-
rer comme un menteur incorrigible.
Vers la fin de son rapport, l'intervenant expose
les positions respectives d'Agriculture Canada et
du requérant. Selon lui, l'extrait suivant du témoi-
gnage de l'un des enquêteurs du SCRS illustre
bien le point de vue de l'intimée:
[TRADUCTION] ... Tout ce qui m'intéresse, c'est de savoir si la
sympathie qu'il démontre pour certaines causes ou personnes
est telle que les intérêts du gouvernement du Canada pourraient
être en jeu, advenant le cas où ces intérêts iraient à l'encontre
de ses convictions profondes. C'est cela qui me préoccupe, non
pas ses convictions en soi ... Compte tenu de l'ensemble des
circonstances, je ne suis pas convaincu qu'il n'adopterait pas la
même conduite si une situation similaire se présentait de nou-
veau. S'il considérait que la cause qu'il avait épousée à ce
moment précis était plus importante que l'intérêt du gouverne-
ment du Canada dans la protection de certains renseignements,
je me demande s'il ne referait pas la même chose aujourd'hui.
... j'estime, à propos de toute cette affaire de renseignements,
qu'il importe au fond de savoir si les causes qu'il épouse
l'emportent, dans son esprit, sur sa loyauté envers le gouverne-
ment canadien. [Dossier, page 95.]
Quant à la réponse du requérant, l'intervenant
l'expose ainsi:
[TRADUCTION] Je suis plus âgé maintenant, j'ai davantage
confiance en moi. Je me sentirais plus en mesure d'affronter ce
genre de situation au sein de l'Agence aujourd'hui. A cette
époque, je souffrais d'insécurité. J'occupais un poste subalterne.
Je croyais que je ne pouvais rien faire. Aujourd'hui, j'exprime-
rais mon indignation auprès des niveaux supérieurs du minis-
tère, ou même du gouvernement. (Dossier, page 96.)
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATION DE
L'INTERVENANT
L'intervenant expose ses conclusions et sa
recommandation aux pages 15 et 16 de son
rapport:
[TRADUCTION] Conclusions
À l'exception d'une seule, les allégations relatives aux activités
de M. Thomson depuis 1973 ne sont pas, à notre avis, appuyées
par la preuve. L'exception relevée concerne le fait que M.
Thomson a manqué de franchise lorsqu'il a été interrogé par
l'enquêteur du SCRS en 1985 au sujet de la divulgation de télex
sans autorisation en 1973.
Il ne fait aucun doute que, de 1973 aujourd'hui, M. Thomson
a rencontré des fonctionnaires et agents de gouvernements des
Antilles et d'Amérique latine. Nous croyons toutefois qu'en
raison des postes qu'il a occupés pendant cette période, ces
rencontres étaient inévitables et qu'elles ne constituaient en
rien, selon la preuve, un geste inamical à l'endroit des intérêts
du Canada en matière de sécurité. Il n'y a également aucune
preuve que M. Thomson ait dévoilé ou cherché à dévoiler des
documents classifiés à des personnes non autorisées. En fait,
pendant la plus grande partie de la période en cause, il n'aurait
pu agir ainsi puisqu'il n'avait pas accès à de tels renseigne-
ments. Enfin, nous estimons sans fondement la thèse selon
laquelle il aurait «rencontré» des agents de renseignements au
terminus d'autobus d'Ottawa.
Il reste que M. Thomson a admis avoir dévoilé sans autorisa-
tion, en 1973, des renseignements classifiés, à deux occasions
différentes (apparemment). On notera cependant que le desti-
nataire n'était pas une puissance étrangère, mais un député
canadien. Il s'agissait malgré tout d'un grave abus de confiance
et la question qui se pose est la suivante: M. Thomson agirait-il
de la même façon à l'avenir si les circonstances l'amenaient
encore une fois à s'engager émotivement?
La réponse à cette question est nécessairement tout à fait
subjective. Pour notre part, nous croyons que ces incidents
survenus il y a environ douze ans, à une époque où M. Thomson
possédait moins d'expérience et de maturité, ne peuvent à eux
seuls justifier la conclusion qu'en pareilles circonstances il
agirait, aujourd'hui ou demain, de la même façon: A défaut
d'autres preuves, nous ne pouvons partager cet avis.
Nous concluons, par conséquent, qu'il serait improbable que M.
Thomson dévoile des renseignements classifiés s'il obtenait une
fois de plus un poste lui donnant accès à des renseignements de
cette nature.
Recommandation
Nous recommandons que le sous-ministre d'Agriculture
Canada accorde à M. Thomson l'habilitation de sécurité au
niveau «Secret» de façon à ce qu'il puisse poursuivre sa carrière
dans le poste qui lui a été offert en 1984. (Dossier, p. 96-97.)
Cependant, malgré cette recommandation, le
sous-ministre a informé le requérant, par lettre
datée du 4 juin 1986, [TRADUCTION] «que la
décision de refuser l'habilitation de sécurité était
maintenue» (Dossier, page 102). Tout indique que,
ce faisant, il considérait ne pas être légalement lié
par la recommandation (Dossier, page 98).
QUESTIONS EN LITIGE
Dans son exposé des points d'argument, le
requérant allègue que le sous-ministre a commis
quatre erreurs de droit. Il n'est pas nécessaire d'en
faire ici l'énumération, bien qu'il nous faille en
examiner le fondement dans l'analyse des ques
tions qui requièrent, à mon avis, l'attention de la
présente Cour. En bref, le requérant soutient que
d'après le régime établi par la Loi et son objet
global, le sous-ministre était tenu d'agir conformé-
ment aux conclusions et à la recommandation de
l'intervenant, et qu'il a donc erré en droit en
refusant l'habilitation de sécurité. Le requérant a
fait valoir une cinquième prétention, fondée sur
l'atteinte présumée aux libertés d'expression et
d'association garanties respectivement aux alinéas
2b) et 2d) de la Charte canadienne des droits et
libertés [qui constitue la partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.U.)], mais il l'a ensuite
retirée. Pour sa part, l'intimée a soutenu essen-
tiellement que la présente Cour n'avait pas compé-
tence en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10, au
motif que la décision de refuser l'habilitation de
sécurité relève de la prérogative royale, dont
émane la directive du Cabinet n° 35, et que la
recommandation en litige n'a, en tout état de
cause, aucune force obligatoire.
Voici quels sont, à mon avis, les principaux
points en litige dans le présent appel:
a) Si la décision de refuser l'habilitation de
sécurité relève de l'exercice de la prérogative
royale dont émane la directive du Cabinet n° 35,
la présente Cour est-elle compétente, en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale, pour
examiner cette décision et l'annuler le cas
échéant?
b) Le sous-ministre de l'Agriculture est-il tenu
de suivre la «recommandation» qu'a formulée
l'intervenant dans son rapport et d'accorder l'ha-
bilitation de sécurité?
c) Si le sous-ministre est tenu d'accorder l'habi-
litation conformément à ladite «recommanda-
tion», la présente Cour est-elle compétente, en
vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, pour examiner et annuler son refus
d'entériner cette recommandation, de manière à
l'obliger à y donner suite?
EXAMEN DES QUESTIONS EN LITIGE
Compétence
Le paragraphe 28(1) de la Loi sur la Cour
fédérale dispose:
28. (1) Nonobstant l'article 18 ou les dispositions de toute
autre loi, la Cour d'appel a compétence pour entendre et juger
une demande d'examen et d'annulation d'une décision ou
ordonnance, autre qu'une décision ou ordonnance de nature
administrative qui n'est pas légalement soumise à un processus
judiciaire ou quasi judiciaire, rendue par un office, une com
mission ou un autre tribunal fédéral ou à l'occasion de procédu-
res devant un office, une commission ou un autre tribunal
fédéral, au motif que l'office, la commission ou le tribunal
a) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou autre-
ment excédé ou refusé d'exercer sa compétence;
b) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une
erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du
dossier; ou
c) a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion
de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans
tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
Les termes «office, commission ou autre tribunal
fédéral» sont définis à l'article 2:
2....
«office, commission ou autre tribunal fédéral» désigne un orga-
nisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou
prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés
par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d'une
telle loi, à l'exclusion des organismes de ce genre constitués
ou établis par une loi d'une province ou sous le régime d'une
telle loi ainsi que des personnes nommées en vertu ou en
conformité du droit d'une province ou en vertu de l'article 96
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867;
L'avocat de l'intimée soutient que c'est la préro-
gative royale' qui régit le pouvoir de procéder à
une nomination au sein du ministère de l'Agricul-
ture et d'en stipuler les conditions. Je conviens que
ces pouvoirs incluent celui de faire de l'obtention
d'une habilitation de sécurité une condition préala-
3 En vertu de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique,
S.R.C. 1970, chap. P-32, la Commission de la Fonction publi-
que peut déléguer aux sous-chefs d'un ministère son pouvoir
exclusif de faire des nominations au sein de la Fonction publi-
que (voir l'alinéa 5a), le paragraphe 6(1) et l'article 8). Il
semble qu'une délégation de cette nature ait été faite au
ministère de l'Agriculture. Voir Manuel de dotation en person
nel, Vol. 11, Délégation des pouvoirs, etc. (Dossier, p. 140).
Voir également l'alinéa 5(1)e) de la Loi sur l'administration
financière, S.R.C. 1970, chap. F-10.
ble à l'embauche et que, traditionnellement, la
faculté d'accorder ou non l'habilitation demandée
relevait de la prérogative royale. L'intimée allègue
en outre que cette tradition n'a été d'aucune façon
modifiée par la Loi et qu'en particulier, les pou-
voirs conférés à l'intervenant à cet égard ne l'ont
en rien altérée. Examinons donc de plus près la
directive du Cabinet n° 35 que l'intimée invoque à
l'appui de son argumentation.
Cette directive a été adoptée en 1963, mais ses
origines remontent bien auparavant'. Intitulée «La
sécurité dans la Fonction publique du Canada»,
elle se divise en trois grandes rubriques, à savoir
«POSITION DE PRINCIPE», «FAÇON DE PROCEDER»
et «METHODES». Elle est demeurée confidentielle
jusqu'en 1978, date à laquelle elle a été déclassi-
fiée et déposée comme pièce au cours des audien
ces publiques de la Commission d'enquête sur
certaines activités de la Gendarmerie royale du
Canada (voir le Deuxième rapport, vol. 2, La
liberté et la sécurité devant la loi, août 1981, la
page 823. L'avocat de l'intimée soutient que les
paragraphes suivants sont particulièrement perti-
nents à l'espèce:
4 Voici les directives du Cabinet en matière de sécurité
relativement aux nominations dans la fonction publique: direc
tive du Cabinet n° 4, 5 mars 1948, directive du Cabinet n° 4A,
6 avril 1948, directive du Cabinet n° 24, 16 octobre 1952,
directive du Cabinet n° 29, 21 décembre 1955 et directive du
Cabinet n° 35, 27 décembre 1963. Semblent également perti-
nents une brochure du Bureau du Conseil privé, publiée en
novembre 1956, et le Règlement sur les enquêtes sécuritaires
dans la Fonction publique, pris le 27 mars 1975 [DORS/75-
196] en vertu du paragraphe 7(7) de la Loi sur l'administra-
tion financière, S.R.C. 1970, chap. F-10.
Le 18 juin 1986, le Conseil du Trésor faisait connaître une
nouvelle «Politique du gouvernement du Canada sur la sécu-
rité», qui remplace la politique énoncée dans la brochure de
novembre 1956 et la directive du Cabinet n° 35 concernant le
contrôle sécuritaire. Bien que l'intervenant et l'intimée aient
tous deux invoqué certains aspects de ce nouveau document à
l'appui de leurs prétentions respectives, je ne crois pas qu'il soit
très utile, compte tenu du fait que la nouvelle politique a été
mise en vigueur subséquemment à l'adoption de la Loi, et
certainement aussi de l'interprétation que ses auteurs ont pu
donner aux dispositions que la présente Cour doit elle-même
interpréter en l'espèce.
POSITION DE PRINCIPE
1. La sécurité dans la Fonction publique du Canada constitue
un élément essentiel de la saine administration du personnel, et
relève par conséquent de la responsabilité de chaque ministère
et organisme. La sécurité des informations classifiées conser
vées par un ministère ou un organisme peut être compromise
par des personnes qui peuvent être déloyales envers le Canada
et son régime de gouvernement, ou par des personnes auxquel-
les on ne peut se fier en raison de certains défauts de leur
caractère.
5. Si la loyauté est importante, il est également essentiel que
l'on puisse avoir confiance en toute personne qui doit avoir
accès à des informations classifiées. On peut ne pas avoir
confiance en une personne pour un certain nombre d'autres
raisons qui n'ont rien à voir avec la loyauté. Pour protéger dans
toute la mesure du possible la sécurité de l'État, on ne devrait
pas permettre aux personnes décrites au paragraphe 6 ci-après
d'avoir accès à des informations classifiées, à moins que, après
un examen approfondi des circonstances, y compris la valeur de
leurs services, on juge que le risque de les employer serait
justifié.
6. Les personnes dont il est question au paragraphe 5 ci-dessus
sont les suivantes:
a) toute personne en qui on ne peut avoir confiance, non
par suite de sa déloyauté, mais par suite de certaines
caractéristiques de sa personnalité qui pourraient l'ame-
ner à être indiscrète ou malhonnête, ou la rendre vulné-
rable au chantage ou à la contrainte. Ces caractéristi-
ques comprennent la cupidité, l'endettement, les
aberrations sexuelles, l'alcoolisme, la toxicomanie, le
déséquilibre mental ou tout autre trait de caractère qui
risque d'ébranler son honnêteté;.
b) toute personne qui, par suite de sa famille ou de rela
tions fréquentes avec des personnes tombant dans les
catégories décrites aux paragraphes 3a) à e) ci-dessus,
serait disposée, sciemment ou inconsciemment, à agir de
façon préjudiciable aux intérêts et à la sécurité du
Canada. Ce n'est pas à la nature de la relation (fami-
liale, matrimoniale ou amicale) qu'il faut attacher le
plus d'importance, mais à son intensité et aux circons-
tances qui l'entourent; en particulier, il faut porter un
jugement sur la confiance qu'on peut lui accorder en
fonction du degré de l'influence qu'on pourrait exercer
sur une telle personne, mais ce jugement doit être porté
avec le plus grand soin; et
c) toute personne qui, tout en étant loyale et digne de
confiance, est étroitement attachée par des liens fami-
liaux ou des sentiments d'affection à des personnes
vivant à l'intérieur des frontières de certains pays étran-
gers qui pourraient exercer sur elle des pressions intolé-
rables. [C'est moi qui souligne.]
7. En outre, il faut reconnaître la sérieuse menace à la sécurité
que comporte le fait d'employer ou de permettre que soient
employées des personnes tombant dans les catégories décrites
aux paragraphes 3 à 6 ci-dessus:
a) à certains postes, dans des sociétés industrielles et entre-
prises associées, qui prennent part à la production ou à
l'étude d'un matériel de défense classifié qui doit être
protégé pour des raisons de sécurité; ou
b) à des postes, au sein d'organismes gouvernementaux
exécutant des travaux dont la nature est essentielle à la
sécurité nationale, postes qui, bien qu'ils ne comportent
pas normalement l'accès à des informations classifiées,
peuvent fournir à leurs titulaires des occasions d'accéder
sans autorisation à de telles informations.
8. Pour s'acquitter de leurs responsabilités concernant la
protection des secrets du gouvernement du Canada et de ses
alliés, les ministères et organismes doivent, en tout premier lieu,
obtenir des renseignements suffisants à propos de toute per-
sonne qui doit avoir accès à ces secrets, afin de porter un
jugement raisonnable sur la question de savoir si cette personne
est loyale et digne de confiance. En portant ce jugement d'ordre
administratif, il faut toujours se rappeler que, si les intérêts
afférents à la sécurité nationale doivent prévaloir lorsqu'il
existe un doute raisonnable, la sauvegarde des intérêts de
l'individu est aussi essentielle à la préservation de la société que
nous visons à protéger. Les renseignements concernant le statut
sécuritaire d'un employé seront traités de façon confidentielle.
[C'est moi qui souligne.]
FAÇON DE PROCEDER
9. Les méthodes suivantes, au moyen desquelles la présente
politique doit être mise en oeuvre, visent à assurer le filtrage le
plus minutieux possible, surtout en ce qui concerne les person-
nes appelées à avoir accès à des informations classifiées à un
niveau élevé. Il continue d'incomber à chaque ministère et
organisme du gouvernement de faire en sorte que sa sécurité
demeure intacte.
10. Les renseignements concernant les personnes susceptibles
d'avoir accès à des informations classifiées doivent, à tout le
moins, être obtenus de ces personnes elles-mêmes, des person-
nes dont celles-ci se sont recommandées, ainsi qu'au moyen
d'enquêtes menées par des organismes d'enquête autorisés. Les
ministères et organismes informeront les personnes susceptibles
d'avoir accès à des informations classifiées des motifs justifiant
l'enquête relative à leurs antécédents, et leur expliqueront les
dangers qu'elles encourraient elles-mêmes tout en exposant la
sécurité de l'Etat si elles tentaient de dissimuler tout renseigne-
ment de nature à influer sur l'ampleur de la confiance pouvant
leur être accordée.
11. Les fonctions d'un organisme d'enquête consistent à mener
de façon prompte et efficace les enquêtes réclamées par les
ministères ou organismes afin de les aider à déterminer si la
personne qui fait l'objet de l'enquête est loyale et digne de
confiance; et à informer les ministères et organismes des résul-
tats de leurs enquêtes au moyen de rapports concrets compor-
tant une appréciation minutieuse quant à la sûreté des sources
auprès desquelles ils ont obtenu des renseignements.
12. En se fondant sur ces rapports et sur tout autre renseigne-
ment pertinent obtenu de la personne intéressée, des personnes
dont elle s'est recommandée et de toute autre source de rensei-
gnement qui pourra avoir été utilisée, le ministère ou organisme
employeur portera un jugement éclairé sur la question de savoir
si la personne en cause est loyale et digne de confiance, ainsi
que sur l'ampleur de la confiance pouvant lui être accordée en
vue de l'exécution sûre et efficace des fonctions à remplir.
13. Si un jugement favorable est porté, le ministère ou l'orga-
nisme peut accorder l'habilitation au secret au niveau requis
pour l'exécution efficace des fonctions du poste en cause. Si, au
contraire, il existe, de l'avis du sous-ministre du ministère ou du
directeur de l'organisme intéressé, un doute raisonnable quant à
l'ampleur de la confiance pouvant être accordée au candidat,
l'octroi de l'habilitation sera différé jusqu'à ce que le doute soit
dissipé à la satisfaction du sous-ministre ou du directeur de
l'organisme.
14. Lorsqu'un candidat à un emploi dans la Fonction publique,
et non une personne qui est déjà employée, est susceptible d'être
nommé à un poste l'obligeant à avoir accès à des informations
classifiées, et qu'un doute a surgi quant à l'habilité de cette
personne au secret, les mesures suivantes peuvent être prises
dans le but de dissiper ce doute:
a) on peut demander à un organisme d'enquête autorisé
d'effectuer une nouvelle enquête précise; ou
b) le ministère ou l'organisme peut, en tout temps, deman-
der l'avis du Conseil de sécurité interministériel.
METHODES
21. Le filtrage de sécurité des candidats à des postes au sein de
la Fonction publique sera effectué par la Commission du
service civil, ou par les ministères ou organismes dans le cas des
personnes non employées en vertu de la Loi sur le service civil.
Lorsque des personnes déjà employées dans un ministère ou
organisme devront se voir confier l'accès à des informations
classifiées, le filtrage de sécurité sera effectué parle ministère
ou organisme en cause.
25. Dans le cadre des politiques et pratiques exposées ci-dessus,
l'évaluation et l'habilitation sécuritaires seront établies au
moyen des procédés exposés ci-après. Ceux-ci constituent des
critères et méthodes de sécurité compatibles avec les services
d'enquête actuellement disponibles entre les ministères; ce sont
des normes minimales qui ne restreignent aucunement le droit
des Forces armées d'effectuer des enquêtes sur les lieux, en
utilisant leurs propres moyens, concernant des personnes
employées au ministère de la Défense nationale ou pour le
compte de ce dernier.
(iv) De qui relève l'octroi des diverses
habilitations au secret Il incombera au sous-chef de
tout ministère ou organisme d'accorder ou de refuser
une habilitation au secret, et c'est de lui que relèvera
en tout temps la responsabilité inhérente à l'accès
qu'une personne pourra avoir à des informations clas
sifiées Très secret, Secret ou Confidentiel.
Les arguments qu'a formulés l'intimée à l'en-
contre de la compétence de la présente Cour en
vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale
peuvent se résumer de la façon suivante:
a) le sous-ministre ne saurait être considéré
comme un «office, commission ou autre tribu
nal fédéral» exerçant une compétence ou des
pouvoirs conférés par une loi du Parlement ou
sous le régime d'une telle loi, aux termes de
l'article 2, puisqu'en décidant de refuser l'habi-
litation de sécurité, il exerçait en fait des pou-
voirs découlant de la prérogative royale dont
émane la directive du Cabinet n° 35;
b) même si l'on convenait que le sous-ministre
peut être considéré comme relevant de la caté-
gorie «office, commission ou autre tribunal
fédéral», sa décision était de nature administra
tive et non judiciaire, en ce qu'elle n'était ni
soumise à «un processus judiciaire ou quasi
judiciaire» ni «légalement» soumise à un tel
processus, cette décision devant plutôt être
prise, et l'ayant été du reste, dans l'exercice de
la prérogative royale dont émane la directive
du Cabinet n° 35.
En dernier lieu, l'intimée soutient, si l'on en
venait à la conclusion que la décision du sous-
ministre peut faire l'objet d'un examen sous le
régime de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale, que le sous-ministre n'a pas a) manqué à
un principe de justice naturelle ou autrement
excédé ou refusé d'exercer sa compétence, b)
rendu une décision entachée d'une erreur de droit
ni c) fondé sa décision sur une conclusion de fait
erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou
sans tenir compte des éléments portés à sa connais-
sance. À l'égard de chacun de ces moyens, l'avocat
de l'intimée a une fois de plus invoqué la directive
du Cabinet n° 35, insistant particulièrement sur le
fait que c'est le facteur «fiabilité» qui a paru décisif
au sous-ministre, comme en témoignent les para-
graphes 18 et 19 de son affidavit du 5 septembre
1986:
[TRADUCTION] 18. Dans l'exercice de la responsabilité qui
m'est conférée, en vertu du paragraphe 25(iv) de ladite direc
tive du Cabinet n° 35, d'accorder ou de refuser une habilitation
au secret dans mon ministère, il m'incombait de prendre une
telle décision dans le cas de M. Thomson. Aux termes des
paragraphes 5 et 6 de cette directive, il était essentiel que je
porte une grande attention, non seulement aux facteurs de
loyauté, mais également à la fiabilité de M. Thomson, de même
qu'aux aspects de sa personnalité susceptibles d'affaiblir grave-
ment la confiance qu'on pouvait lui accorder. Aux termes du
paragraphe 12, il m'incombait enfin, en me fondant sur les
renseignements obtenus de toutes les sources disponibles, de
porter un jugement éclairé sur la question de savoir si M.
Thomson était loyal et digne de confiance, ainsi que sur l'am-
pleur de la confiance pouvant lui être accordée en vue de
l'exécution sûre et efficace des fonctions à remplir.
19. En me fondant sur le rapport du Service canadien du
renseignement de sécurité, et même sur les commentaires que
formule à son égard ou les explications que fournit le comité de
surveillance des activités de renseignement de sécurité dans son
propre rapport, il m'est apparu que, par certains traits de sa
personnalité, M. Thomson n'attachait de valeur à l'honnêteté et
à la franchise que dans la mesure où cela pouvait servir ou
confirmer ses propres intérêts, causes ou convictions; en d'au-
tres termes, il m'est apparu qu'il plaçait ceux-ci au-dessus de sa
loyauté envers son employeur et envers le Canada; il a ainsi
soulevé dans mon esprit un doute raisonnable quant à savoir si
l'on pouvait lui confier des renseignements confidentiels et s'il
pouvait, en toute confiance, exécuter ses fonctions de façon
loyale et efficace au service des intérêts de son employeur et du
Canada. [Dossier, pages 122-123.]
Je crois qu'avant de décider si la présente Cour
est compétente au sens de la première et de la
dernière des questions en litige définies plus haut,
nous devrions commencer par répondre à la
deuxième question. Si la réponse à cette question
est négative, il sera alors nécessaire de statuer sur
la compétence de cette Cour pour examiner la
décision. Si la réponse est affirmative, il faudra
établir si la décision du sous-ministre peut faire
l'objet d'un jugement de cette Cour sous, le régime
de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale.
Nature de la recommandation de l'intervenant
Le requérant prétend que le sous-ministre était
lié par la recommandation et qu'il devait la mettre
en oeuvre. Cette interprétation de l'intention du
législateur est également celle de l'intervenant
dont les arguments se présentent de façon schéma-
tique. Depuis l'entrée en vigueur de la Loi, sou-
tient-il, toute décision concernant l'habilitation de
sécurité préalable à l'embauche au sein du gouver-
nement du Canada relève dorénavant d'un système
à trois niveaux. Au premier niveau, il incombe au
sous-ministre de décider, seul, de l'octroi ou du
refus d'une habilitation, conformément à la direc
tive du Cabinet n° 35. A cette fin, il' peut deman-
der au SCRS, en vertu du paragraphe 13(1) de la
Loi, de lui fournir une «évaluation de sécurité». La
personne à qui on a refusé l'habilitation de sécurité
peut porter l'affaire à un deuxième niveau et, par
le dépôt d'une «plainte» en vertu de l'article 42,
déclencher l'enquête de l'intervenant. Au troisième
niveau, l'administrateur général n'a plus qu'à
donner effet à la recommandation qu'a formulée
l'intervenant à l'issue de son enquête, quelle que
soit cette recommandation. On soutient qu'à ce
dernier stade, le sous-ministre ne peut plus se
fonder sur le motif qu'il avait d'abord invoqué,
pour refuser une deuxième fois l'habilitation
demandée.
L'avocat de l'intimée donne de la Loi et de son
objet une interprétation diamétralement opposée.
Selon lui, les nouvelles dispositions ne font qu'ac-
corder à toute personne, qu'on refuse d'embaucher
faute d'une habilitation de sécurité, la faculté d'ex-
poser sa cause devant un comité indépendant et de
connaître les motifs du refus de l'habilitation. Aux
termes du paragraphe 52(2) de la Loi, soutient-il,
il est seulement exigé que l'intervenant «envoie au
ministre, au directeur, à l'administrateur général
concerné et au plaignant un rapport des recom-
mandations qu'il juge indiquées» (le ministre ici
désigné est le solliciteur général du Canada). Cette
exigence n'empièterait d'aucune façon sur le pou-
voir conféré au sous-ministre par la directive du
Cabinet n° 35. En fait, poursuit la partie intimée, il
doit en être ainsi particulièrement en matière de
«fiabilité» puisque l'appréciation de ce facteur
relève précisément du responsable de l'embauche.
J'estime que l'issue de la présente demande
repose, en grande partie, sur l'interprétation du
terme «recommandation» utilisé au paragraphe
52(2) de la Loi. À mon sens, il ne s'agit pas de
simplement retirer ce terme de son contexte légis-
latif et de lui donner une signification littérale, à
savoir le fait de conseiller ou suggérer à autrui de
suivre une ligne de conduite ou de l'y engager.
Dans son ouvrage Construction of Statutes, 2e éd.
Toronto: Butterworths, 1983, feu le professeur E.
A. Driedger a énoncé en ces termes le [TRADUC-
TION] «principe moderne» de l'interprétation légis-
lative (page 87):
[TRADUCTION] De nos jours, un seul principe ou méthode
prévaut pour l'interprétation d'une loi: les mots doivent être
interprétés selon le contexte, dans leur acception logique cou-
rante en conformité avec l'esprit et l'objet de la loi et l'intention
du législateur.
La Cour suprême du Canada a récemment
approuvé cet énoncé dans l'arrêt Compagnie des
chemins de fer nationaux du Canada c. Canada
(Commission canadienne des droits de la per-
sonne), [1987] 1 R.C.S. 1114, le juge en chef
Dickson, à la page 1134.
Il ne s'ensuit pas que les juges sont libres d'in-
terpréter une loi selon leurs propres conceptions
politiques, mais comme l'a fait remarquer lord
Scarman, dans l'arrêt Reg. v. Barnet London
Borough Council, Ex parte Nilish Shah, [1983] 2
W.L.R. 16 (H.L.), à la page 30:
[TRADUCTION] Ils peuvent, évidemment, adopter la méthode
de l'interprétation téléologique s'ils parviennent à découvrir,
dans l'ensemble de la loi ou dans les éléments extrinsèques
auxquels le droit leur permet de recourir, l'expression du but ou
de l'intention politique du législateur.
Ce faisant, je prends note de la mise en garde qu'a
formulée Sir John Donaldson, M.R., dans l'arrêt
Carrington v. Therm-A-Stor Ltd., [1983] 1
W.L.R. 138 (C.A.) à la page 142:
[TRADUCTION] Cependant, l'idée que le législateur «doit avoir
voulu» un certain résultat n'est pas sans risque. S'il n'est tenu
compte que de la situation apparente à corriger, le juge
n'éprouvera sans doute pas trop de difficulté à se convaincre
que le remède que le législateur a voulu apporter est celui-là
même qu'il aurait imposé, en eût-il eu la compétence. A vrai
dire, il est possible que le législateur n'ait pas eu la même
perception de la situation à réformer, qu'il ait choisi un autre
remède que celui de la loi ou qu'il n'ait tout simplement pas
envisagé cette éventualité. Cela ne signifie pas qu'on doit avoir
des oeillères et se confiner à une interprétation littérale, étroite-
ment légaliste, mais qu'il faut plutôt s'efforcer de donner effet à
l'intention du législateur telle qu'elle ressort des termes de la
loi, en appliquant les canons habituels d'interprétation en cas
d'ambiguïté ou d'obscurité.
Les avocats du requérant et de l'intervenant
soutiennent que, pour découvrir le «désordre» ou le
«malaise» que la Loi est censée corriger, il nous
faut recourir aux débats de la Chambre des com
munes de même qu'à certains témoignages présen-
tés en comité parlementaire. Il est vrai que la
présente Cour a déjà consulté les débats parlemen-
taires dans l'arrêt Lor-Wes Contracting Ltd. c. La
Reine, [1986] 1 C.F. 346 (C.A.), où le juge Mac-
Guigan, à la page 355, s'exprimait ainsi:
Bien que la règle n'ait pas changé et qu'il soit toujours impossi
ble d'avoir recours à l'histoire législative pour établir directe-
ment l'intention du législateur, la Cour suprême du Canada s'y
réfère néanmoins de plus en plus pour des fins connexes, non
seulement dans les arrêts constitutionnels (Renvoi: Loi anti-
inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, Re: Opposition du Québec à
une résolution pour modifier la Constitution, [1982] 2 R.C.S.
793), mais également de façon générale en matière d'interpré-
tation des lois. Ainsi, dans R. c. Vasil, [1981] 1 R.C.S. 469, la
Cour a consulté le Journal des débats et déterminé que le
Canada avait adopté non seulement le texte du projet de code
criminel de 1879 de la Commission royale britannique mais
aussi ses motifs. Actuellement, la règle serait donc que l'on peut
se servir du Journal des débats, tout comme du rapport d'une
commission d'enquête, pour exposer et étudier le désordre, le
malaise ou l'état des choses que visait le législateur: Morguard
Properties Ltd., précité, aux pages 498 et 499 R.C.S.; 269 et
270 N.R.
Le projet de loi C-9, à l'origine de la Loi en
cause en l'espèce, a été présenté en première lec
ture à la Chambre des communes le 18 janvier
1984 par le ministre responsable, le solliciteur
général de l'époque, M. Robert Kaplan. Ce projet
remplaçait une version antérieure, le projet de loi
C-157, soumise au Parlement le 18 mai 1983. Bien
que de structure différente, la nouvelle version
reprenait, sans changement important, les mêmes
dispositions relativement aux «plaintes» et aux
attributions de l'intervenant à leur égard. Ces dis
positions furent finalement adoptées. Il y a toute-
fois un élément majeur de la Loi actuelle qui ne
figurait dans aucune des deux versions: le droit du
plaignant, du directeur et de l'administrateur
général concerné, conformément au paragraphe
48(2), de «présenter ... des éléments de preuve» au
comité de surveillance «ainsi que d'être entendu en
personne ou par l'intermédiaire d'un avocat».
J'estime que les déclarations faites au cours des
débats à la Chambre des communes et en comité
parlementaire peuvent nous éclairer dans une cer-
taine mesure sur le désordre ou le malaise auquel
l'adoption de la Loi devait remédier. Le solliciteur
général affirme ainsi que «le projet de loi a ...
pour but, dans une large mesure, de présenter une
nouvelle gamme de garanties et de contrôles ...
pour protéger les droits des Canadiens contre des
ingérences indues. 5 » Il ajoute qu'«En passant de
l'actuel mandat établi par une directive du Cabinet
... à un mandat législatif qui ne peut être changé
qu'ici, nous faisons un grand pas en avant dans la
protection des droits des Canadiens. 6 » Le sollici-
teur général qualifie également de «grand progrès
sur le plan des libertés civiles» la tenue, «pour la
première fois'», d'enquêtes sur les plaintes présen-
tées à la suite de refus d'habilitation de sécurité.
Parlant de la procédure prévue dans le premier
projet C-157, il insiste sur le fait qu'elle permettra
à ceux à qui on a refusé l'habilitation et l'embau-
che de «faire rectifier leur dossier et (d')obtenir
que justice soit faite. $» Dans son intervention en
comité parlementaire, il indique qu'en vertu de la
5 Débats de la Chambre des communes, vol. II, 2e sess., 32'
Parl. 33 Eliz. II, 10 février 1984, la p. 1272.
6 lbid., p. 1273.
7 Ibid., p. 1275.
8 Débats de la Chambre des communes, vol. 23, P' sess., 32'
Parl. 32 Eliz. II, 6 juin 1983, la p. 26073.
loi proposée, le plaignant bénéficierait dans ce cas
d'«un recours» 9 .
En raison de la présence du mot «recommanda-
tions» au paragraphe 52(2) de la Loi, l'avocat de
l'intimée allègue que le sous-ministre n'est pas lié
en l'espèce par la recommandation qu'a formulée
l'intervenant. Il soutient qu'il faut adopter la
méthode d'interprétation littérale. Pourtant, les
tribunaux se sont montrés réticents à interpréter
strictement le mot «recommandation» dans la
mesure où il n'y a pas concordance avec l'économie
générale du texte législatif en cause. C'est la posi
tion du juge Darling dans l'arrêt Christ's Hospital
Governors, Rex v. Ex parte Dunn, [1917] 1 K.B.
19, la page 23:
[TRADUCTION] Le mot «recommandation» n'y est pas utilisé
dans son acception ordinaire, comme lorsqu'on dit: «Je vous
recommande de faire ceci et cela» ou quand le médecin
s'adresse à son patient en lui disant: «Je vous recommande un
changement d'air.» Bien qu'elle adopte la formule de la recom-
mandation, cette clause confère en réalité aux organismes en
cause le pouvoir de dire: «Nous désignons telle personne et vous
devez la nommer assistante sociale; nous ne pouvons pas mettre
nous-mêmes cette recommandation en œuvre mais c'est à vous,
à titre d'administrateurs de l'établissement, qu'il appartient
d'inscrire le nom de cette personne sur la liste.» À mon avis, les
rédacteurs de cette clause avaient à l'esprit un mécanisme
semblable au congé d'élire qui, sous la forme d'une permission
ou d'une invitation, équivaut en fait à un commandement. Ainsi
en l'espèce, une «nomination» s'appelle une «recommandation».
Le langage utilisé ne pêche pas par excès de précision, mais, je
le répète, le mot «recommandation» n'est pas à mon avis
employé ici au sens faible, mais au sens d'une véritable
nomination.
L'affaire australienne Myer Queenstown Garden
Plaza Pty. Ltd. and Myer Shopping Centres Pty.
Ltd. v. Corporation of the City of Port Adelaide
and the Attorney -General (1975), 11 S.A.S.R.
504 (S.C.) en est une autre illustration. La Cour
devait en l'espèce interpréter le mot «recommanda-
tion» dans le contexte d'une loi conférant au gou-
verneur le pouvoir d'édicter des règlements «sur la
recommandation» d'une administration ou d'un
conseil municipal. Il était allégué que le gouver-
neur pouvait ainsi s'écarter substantiellement de la
recommandation reçue. La Cour n'a pas accepté
cet argument. Elle a pris en compte le cadre prévu
9 Canada, Chambre des communes, Comité permanent de la
Justice et des questions juridiques, Témoignages, Fascicule
n° 15 (17 avril 1984), à la p. 6 et fascicule n° 28 (24 mai 1984),
à la p. 58.
dans la loi pour l'adoption d'une recommandation,
notamment (à l'article 38) le mécanisme permet-
tant au public de faire valoir des objections et
[TRADUCTION] «d'être entendu en personne ou par
l'intermédiaire d'un avocat, d'un solicitor ou d'un
mandataire devant l'administration ou le conseil et
d'y soulever ces objections». Le juge Wells souligne
à cet égard à la page 547:
[TRADUCTION] En faisant ressortir le mécanisme prescrit à
l'art. 38, M. Johnston a posé la question suivante: pourquoi le
législateur serait-il aller aussi loin pour s'assurer que l'opinion
du public sur les règlements proposés soit largement sollicitée et
que les règlements soient conformes aux dispositions et objets
du plan de développement autorisé, s'il n'était pas exigé davan-
tage du gouverneur que l'obligation de ne pas agir sans consul
tation du conseil, de ne pas aller directement à l'encontre de ses
avis et de n'agir qu'à son instigation? À quoi servirait-il d'invi-
ter le public concerné, de prendre en considération ses objec
tions et de tenter de s'assurer à l'avance de la conformité des
propositions avec le plan de développement autorisé, si une
vigilance aussi assidue devait être mise en échec par une
interprétation de l'art. 36 qui permettrait au gouverneur de
s'écarter substantiellement du projet recommandé? Les règle-
ments ne devraient-ils, pas au contraire, être rédigés de façon
étroitement conforme à ce projet?
À mon avis, le mot «recommandations» contenu
au paragraphe 52(2) de la Loi doit être interprété
en tenant compte de l'ensemble du régime de la
Loi auquel est soumise l'enquête relative à une
«plainte» présentée par celui qui fait l'objet d'une
opposition à engagement par suite du refus d'une
habilitation de sécurité. J'ai été frappé, en la dis-
cernant dans certaines caractéristiques de ce
régime, par la volonté du législateur d'accorder au
plaignant un recours plutôt que la simple possibi-
lité d'exposer sa cause et d'apprendre les motifs du
refus. Parmi ces caractéristiques, je relève en par-
ticulier l'attention apportée aux critères de sélec-
tion et de nomination des membres de l'interve-
nant, de même qu'à la durée de leur mandat
(article 34); leur obligation de prêter le serment de
secret (article 37); la nécessité d'une décision défa-
vorable comme préalable à l'ouverture d'une
enquête (paragraphe 42(1)); l'obligation d'envoyer
à toutes les parties concernées «un résumé des
informations dont [le comité] dispose ... [a]fin de
permettre au plaignant d'être informé de la façon
la plus complète possible des circonstances qui ont
donné lieu au refus d'une habilitation de sécurité»
(article 46); celle d'informer à la fois le directeur
et l'administrateur général de la plainte avant de
procéder à une enquête (article 47); la possibilité
offerte à toutes les parties concernées de «présenter
des observations ... au comité de surveillance ainsi
que d'être entendu en personne ou par l'intermé-
diaire d'un avocat» (paragraphe 48(2)); les vastes
pouvoirs de l'intervenant d'assigner et de contrain-
dre les témoins à comparaître devant lui, à déposer
sous serment et à produire «les pièces qu'il juge
indispensables pour instruire et examiner à fond
les plaintes, de la même façon et dans la même
mesure qu'une cour supérieure d'archives», son
pouvoir de faire prêter serment et de recevoir des
éléments de preuve ou des informations par décla-
ration verbale ou écrite sous serment ou par tout
autre moyen (article 50); l'étendue de son accès
aux informations «par dérogation à toute autre loi
fédérale ou toute immunité reconnue par le droit
de la preuve», et l'interdiction de lui refuser ces
informations «pour quelque motifs que ce soit», à
l'exception des renseignements confidentiels du
Conseil privé de la Reine pour le Canada visés par
le paragraphe 36.3(1) de la Loi sur la preuve au
Canada [S.R.C. 1970, chap. E-10 (ajouté par S.C.
1980-81-82-83, chap. 111, art. 4)] (paragraphes
39(2) et (3)).
À mon avis, la nature de ce régime témoigne du
désir du législateur de mettre à la disposition du
plaignant un mécanisme complet de redressement.
Il me semble en effet que le législateur aurait pu se
contenter d'un régime beaucoup moins complexe
s'il ne s'était agi que de permettre au plaignant
d'exposer sa cause devant une tierce partie et
d'être informé des raisons du refus de l'habilita-
tion. Au contraire, le caractère détaillé du régime
adopté, y compris l'obligation de rédiger un rap
port formel contenant des «conclusions» et des
«recommandations», semblent indiquer que ce der-
nier mot n'est pas employé dans son sens littéral.
De plus, il ressort des modalités de ce régime,
notamment de l'importance accordée à l'avis préa-
lable, à l'accès aux renseignements névralgiques, à
la possibilité d'être entendu, d'assigner des témoins
et de produire des pièces, etc., qu'on a voulu
donner à l'intervenant toute latitude pour exami
ner les raisons ayant pu motiver le refus et accor-
der, le cas échéant, le redressement approprié. Je
ne puis trouver, à des pouvoirs aussi étendus,
aucune autre explication acceptable. Vu l'impor-
tance que le législateur a attachée à cette question
et le soin qu'il y a apporté, j'ai du mal à croire que
toute «recommandation» puisse n'être que consul-
tative ou faite à titre de simple suggestion. Con-
clure autrement reviendrait à dire que le législa-
teur a, comme la montagne, accouché d'une souris.
Enfin, d'autres dispositions de la Loi semblent
indiquer que le mot «recommandations» n'a pas un
sens littéral. Par exemple, au chapitre des «modifi-
cations consécutives et corrélatives», le paragraphe
36.1(7) de la Loi canadienne sur les droits de la
personne [ajouté par S.C. 1984, chap. 21, art. 73],
le paragraphe 17.1(5) de la Loi sur la citoyenneté
[ajouté, idem, art. 75] ou encore les alinéas
39(8)a) [mod., idem, art. 80] et 82.1(6)a) [ajouté,
idem, art. 84] de la Loi sur l'immigration de 1976
renferment des dispositions visant le renvoi devant
l'intervenant, pour enquête et rapport conformé-
ment à la procédure examinée plus haut, de toute
question où la sécurité est en cause. Il est significa-
tif, à mon sens, que dans aucun de ces cas, il ne
soit question de «recommandations» mais seule-
ment de «conclusions» que celui auquel incombe la
décision finale est autorisé à étudier.
Évidemment, le but de la Loi va bien au-delà de
la protection de l'intérêt individuel dans le proces-
sus d'obtention d'une habilitation de sécurité. Son
but premier est, en effet, de protéger l'intérêt
national sur le plan général de la sécurité. Témoi-
gne d'ailleurs de cet objectif la procédure de
«plaintes» de la Partie III, particulièrement les
dispositions concernant la composition et les pou-
voirs de l'intervenant, de même que l'exigence du
secret, qui vise à ce que l'intérêt national ne soit
pas sacrifié. En fait, le texte se veut le reflet d'un
juste équilibre entre ces deux intérêts. La procé-
dure prescrite ne concerne pas la façon dont doit
être prise la décision initiale de refuser une habili-
tation; elle n'entre en jeu qu'une fois cette décision
rendue et encore seulement après le dépôt d'une
«plainte». C'est à ce stade, à mon avis, que la
question de juger du bien-fondé d'un refus cesse de
relever de l'administrateur général pour tomber
sous la juridiction de l'intervenant, lequel doit
notamment, en conformité avec la procédure éta-
blie par la Loi, donner à l'administrateur général
la pleine faculté de défendre sa décision et au
SCRS, celle de défendre l'avis qu'il lui a donné. Je
suis convaincu que l'enquête peut ainsi porter sur
tous les motifs du refus, y compris toute apprécia-
tion subjective de la fiabilité du plaignant. D'après
moi, l'administrateur général n'est, par consé-
quent, pas habilité à «re-prendre», pour ainsi dire,
une décision déjà prise, une fois que l'affaire a fait
l'objet d'une «plainte» puis d'une «recommanda-
tion».
Parallèlement, il faut convenir que l'existence
d'une nouvelle circonstance, inconnue de l'admi-
nistrateur général au moment d'un refus qui fait
l'objet d'une «plainte», ou encore découverte après
enquête, pourrait peut-être lui permettre d'opposer
un second refus malgré une recommandation posi
tive. Bien que le requérant y ait fait allusion au
cours du débat, il ne nous appartient pas de tran-
cher cette question. Mais il se pourrait très bien
que l'administrateur général puisse refuser une
habilitation en se fondant sur le fait nouveau, et
que la personne concernée ait alors le droit de
présenter une nouvelle «plainte» et de se prévaloir
de la protection de la Loi. Si cette conclusion est
bien fondée, il s'ensuit qu'une «recommandation»
n'a force obligatoire que dans la mesure où elle
résulte d'une enquête ayant porté sur les motifs de
la décision contestée, et non d'un fondement entiè-
rement différent que l'administrateur général
n'avait pas au départ pris en considération.
Retour à la question de la compétence
Si j'ai raison de croire que le sous-ministre est
lié par la recommandation en cause, il faut mainte-
nant répondre à la troisième des questions en litige
définies plus haut: la présente Cour possède-t-elle
en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale la compétence pour examiner et annuler
la décision allant à l'encontre de cette recomman-
dation? Il est clair que cette décision était fondée
sur une mauvaise interprétation du paragraphe
52(2), le sous-ministre se croyant libre d'exercer
conformément à la directive du Cabinet n° 35 un
pouvoir discrétionnaire dont il se prétend du reste
toujours investi. À mon avis cependant, la décision
contestée ne relève pas de la compétence conférée
à la présente Cour par l'article 28, parce que cette
disposition ne nous autorise pas à accorder le
redressement demandé, à savoir l'annulation de la
seconde décision et une déclaration portant que le
sous-ministre est tenu de suivre la recommanda-
tion. Si mon interprétation est exacte, il suffit d'un
acte de nature purement administrative, non
soumis à un processus judiciaire ou quasi judi-
ciaire, pour mettre en oeuvre la recommandation.
Or, c'est la Division de première instance qui a,
aux termes de l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale, compétence exclusive en première ins
tance pour accorder certains redressements, y com-
pris l'émission d'un bref de certioriari ou de man-
damus. Il est bien établi que le recours en
certiorari permet de faire annuler la décision d'un
fonctionnaire qui a excédé sa compétence et que le
mandamus vise à obtenir l'exécution d'un devoir
imposé par la loi. D'après mon analyse, un devoir
de cette nature découle en l'espèce de la recom-
mandation obligatoire que l'intervenant, à titre
d'intermédiaire du Parlement, a dûment formulée
en conformité avec la Loi. En conséquence, je suis
d'avis que la présente Cour ne peut pas invoquer
les pouvoirs de rendre jugement qui lui sont dévo-
lus par l'article 28 pour examiner tout refus ou
toute négligence de suivre une telle recommanda-
tion.
JUGEMENT
En résumé,
a) le sous-ministre est tenu d'accorder l'habilita-
tion de sécurité, suivant la recommandation de
l'intervenant;
b) la présente Cour n'a aucune compétence en
vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour
fédérale pour examiner et annuler la décision
qu'a prise le sous-ministre, le 4 juin 1986, de
refuser cette habilitation.
Je rejetterais la demande.
LE JUGE HUGESSEN: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE DESJARDINS: J'y souscris également.
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