T-249-84
Double-E, Inc. (demanderesse)
c.
Positive Action Tool Western Limited, Douglas
H. Shearer, Samuel D. Martin, Donald E. Sable,
Donald E. Sable II, John T. Bertagnolli, Ross
Macfarland (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: DOUBLE-E, INC. C. POSITIVE ACTION TOOL
WESTERN LTD.
Division de première instance, juge Muldoon—
Calgary, 7 juin; Ottawa, 14 juin 1988.
Pratique — Communications privilégiées — Secret profes-
sionnel de l'avocat — Production d'une copie du dessin d'un
dispositif qui, prétend-on, constitue une contrefaçon de brevet
— Par inadvertance, des notations manuscrites faites par
l'avocat dont les avocats des défendeurs avaient retenu les
services pour obtenir son avis sur des questions relevant du
droit des brevets et des droits d'auteur, ont été incluses — La
Cour ne doit pas permettre que l'exemption de communication
soit perdue par inadvertance — Les notations ne sont pas des
«faits» objectifs, mais des opinions destinées aux avocats des
défendeurs pour qu'ils en tiennent compte en préparant leur
dossier Il ne s'agit pas de «faits» que les défendeurs ont
connus avant que leur défense ne soit formulée ou au moment
de sa formulation Aucune ordonnance portant exemption de
communication ne sera rendue en l'absence d'affidavits confir-
mant les allégations de l'avocat.
Pratique — Frais et dépens — Défendeurs en passe d'obte-
nir une ordonnance portant sur la question du secret profes-
sionnel de l'avocat — Les dépens ne sont pas adjugés aux
défendeurs — Si leur avocat avait, sans justification, persisté
à mettre en doute la probité professionnelle des avocats de la
demanderesse pour leur conduite à l'interrogatoire préalable,
des dépens punitifs auraient pu être adjugés.
La demanderesse a prié la Cour de se prononcer sur une
question reliée au secret professionnel. Les défendeurs ont
produit une copie d'un dessin du dispositif qui, prétend la
demanderesse, contrefait son brevet. Jointes à l'original du
dessin étaient des notations sur des feuillets jaunes autoadhésifs
faites par un avocat de Toronto dont les avocats des défendeurs
avaient retenu les services pour obtenir son avis sur des ques
tions de brevets et de droits d'auteur. Par inadvertance, on a
omis d'enlever ces feuillets quand le dessin a été photocopié.
Les défendeurs ont invoqué l'exemption de communication à
l'égard de certaines de ces notations, mais n'ont pas déposé
d'affidavit exposant les faits sur lesquels se fondait la demande
d'exemption de communication.
Jugement: les défendeurs n'étaient pas obligés de laisser les
feuillets jaunes autoadhésifs sur le dessin à photocopier. Toute-
fois, aucune ordonnance accordant l'exemption de communica
tion réclamée ne sera rendue tant que n'auront pas été produits
des affidavits confirmant les allégations faites par l'avocat à
l'audience.
Certains arrêts britanniques établissent qu'une preuve, peu
importe la manière dont elle a pu être obtenue, est admissible si
elle est pertinente, nonobstant le secret professionnel de l'avo-
cat. Cette notion a été repoussée par la Charte, même si ce
document n'a pas d'application précise en l'espèce. Ayant, au
moyen de l'interrogatoire préalable, presque éliminé les guets-
apens à l'étape du procès, les tribunaux ne doivent pas permet-
tre que l'exemption de communication soit perdue par
inadvertance.
De plus, on ne pouvait se servir des notations manuscrites
figurant sur les feuillets autoadhésifs pour poser des questions à
l'interrogatoire préalable, car ces notations ne sont pas des
«faits» objectifs que les défendeurs ont connus avant que leur
défense ne soit formulée ou au moment de sa formulation. Elles
sont des opinions exprimées par l'avocat de Toronto pour que
les avocats des défendeurs en tiennent compte en préparant leur
dossier.
Avant de présenter une demande d'ordonnance en vertu de la
Règle 324, les défendeurs doivent produire des affidavits indi-
quant la preuve qui fonde leur réclamation d'une exemption de
communication.
Bien que les défendeurs soient en passe d'obtenir gain de
cause sur la question de l'exemption de communication, les
dépens ne leur seront pas accordés. Si l'avocat des défendeurs
avait, sans justification, persisté à mettre en doute la probité
professionnelle des avocats de la demanderesse, des dépens
punitifs auraient pu être adjugés. Les avocats de la demande-
resse ont agi honorablement en demandant à la Cour des
directives concernant ce qu'il est permis de faire à l'interroga-
toire préalable.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Alberta Evidence Act, R.S.A. 1980, chap. A-21, art.
23(1).
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 1 l (R.-U.).
Evidence Act, R.S.B C. 1979, chap. 116, art. 13.
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10,
art. 10(1), 37.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
324.
JURISPRUDENCE
DECISION NON SUIVIE:
Rolka, Richard C. W. v. Minister of National Revenue,
[1963] R.C.E. 138.
DECISIONS APPLIQUÉES:
Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; Kulchar v.
Marsh and Beukert, [1950] 1 W.W.R. 272 (B.R. Sask.);
Susan Hosiery Ltd. v. Minister of National Revenue,
[1969] 2 R.C.E. 27.
DÉCISIONS ÉCARTÉES:
Pfeil v. Zink (1984), 60 B.C.L.R. 32 (C.S.C.-B.); Cal -
craft v. Guest, [1898] 1 Q.B. 759; [1895-9] All E.R. Rep.
346 (C.A.); Kuruma v. The Queen, [1955] A.C. 197
(P.C.); Cansulex Ltd. v. Vancouver Wharves Ltd. (1976),
68 D.L.R. (3d) 565 (C.S.C.-B.).
DOCTRINE
Cross, Sir Rupert and Tapper, Colin, Cross on Evidence,
6th ed. London: Butterworths, 1985.
Sopinka, John and Lederman, Sidney N. The Law of
Evidence in Civil Cases, Toronto: Butterworths, 1974.
AVOCATS:
Patrick J. McGovern pour la demanderesse.
T. Thomas Mudry et Michael B. Niven pour
les défendeurs.
PROCUREURS:
Parlee McLaws, Calgary, pour la demande-
resse.
McCaffery & Company, Calgary, pour les
défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: Dans le cadre d'une de ces
déprimantes requêtes visant à obtenir que les
défendeurs en l'espèce, qui ne faisaient pas dili
gence, soient obligés de fournir des réponses à une
multitude de questions, la demanderesse a en outre
prié la Cour de se prononcer sur la question de
savoir s'il y avait exemption de communication
dans le cas de certains écrits figurant sur une
copie, qui a été produite en preuve, du dessin du
dispositif même à l'égard duquel la demanderesse
affirme qu'il y a eu contrefaçon de brevet. Les
requêtes ont été entendues à Calgary (Alberta) le
7 juin 1988.
Comme la requête a été pour l'essentiel accueil-
lie dans ses différentes branches, l'avocat de la
demanderesse a été chargé de la rédaction du texte
d'une ordonnance portant obligation d'exécuter les
nombreuses conclusions que la Cour a exprimées,
et qui ont été débattues, à l'audience. Point n'est
donc besoin de traiter ici de ces choses-là ni des
dépens déjà adjugés. Il n'y a qu'à trancher la
question de l'exemption de communication, sur
laquelle ont porté les arguments des avocats des
parties au litige.
Les avocats des parties ont échangé des copies
de documents destinés à être produits en preuve.
En ce qui concerne la pièce D-1 consistant en det
dessins du dispositif faisant l'objet du brevet dont
la contrefaçon est à l'origine du présent litige, il
convient de faire remarquer que certaines nota
tions se trouvent sur les photocopies envoyées par
les avocats des défendeurs aux avocats de la
demanderesse. Les avocats des défendeurs désirent
maintenant invoquer l'exemption de communica
tion relativement à quelques-unes des notations
susmentionnées. Pour faciliter à la Cour la com-
préhension de l'affaire, l'avocat de la demande-
resse a joint à ses conclusions écrites les pages 15C
à 152 et les pages 156 158 de la transcription de
l'interrogatoire préalable de John Thomas Berta-
gnolli.
Quand l'avocat des défendeurs a fourni à la
Cour et à l'avocat de la demanderesse le dessin
photocopié par les défendeurs, la nature des récla-
mations d'exemption de communication est deve-
nue bien évidente. Les écrits à l'égard duquel on
invoque l'exemption figurent sur du papier jaune
muni d'une bande adhésive le long d'un bord.
Appelés parfois «removable self-stick notes» ou
«feuillets autoadhésifs amovibles» comme, par
exemple, dans le cas du Post -it TM/Notocollant Mc
de 3M, ces feuillets ont été décrits avec justesse
par l'avocat des défendeurs comme des [TRADUC.
T10N] «collants jaunes». C'était sur ce type de
feuillets amovibles adhésifs que se trouvaient le`
notations en question au moment où le dessin, sur
lequel étaient collés plusieurs de ces feuillets, a été
photocopié pour les avocats de la demanderesse.
Dans des observations écrites sur cette question.
l'avocat des défendeurs a donné de l'extension au
concept de notations écrites en affirmant:
[TRADUCTION] En ce qui concerne la pièce D.1, les défendeur:
soulèvent l'exemption de communication à l'égard de toutes les
notations manuscrites figurant sur la copie de ce document qui
a été envoyée aux avocats de la demanderesse. Comme l'a dit
l'avocat des défendeurs au cours des interrogatoires préalables,
la totalité des notations manuscrites sur ce document avait ét
faite par Me Sheldon Burshtein qui, à l'époque en question.
exerçait en tant qu'avocat à Toronto avec le cabinet Hayhurst
Dale and Deeth, avocats. À l'heure actuelle Me Burshtein
exerce avec le cabinet torontois Blake, Cassels and Graydon et
on a retenu ses services en tant qu'avocat-conseil spécial pour
les défendeurs afin qu'il leur fournisse des avis et des instruc
tions dans le domaine du droit des brevets et des droits d'au-
teur. Quand Me Burshtein a examiné les dessins des défendeurs.
y compris la pièce D.1, peu après le commencement du présenl
litige, il agissait en qualité d'avocat et les avis que renfermaient
ses notations manuscrites étaient destinés au cabinet McCaf-
fery & Company de Calgary, les avocats des défendeurs. Il est
impossible que Me Burshtein ait agi en d'autre qualité que celle
d'avocat parce que ce n'est que cette année (1988) qu'il est
devenu agent de brevets. Les services de M' Burshtein n'ont pas
été retenus directement par les défendeurs; c'est plutôt par
l'intermédiaire de McCaffery & Company, les avocats des
défendeurs à Calgary, que le contact a été établi avec M'
Burshtein.
Les défendeurs n'ont renoncé ni à l'exemption de communica
tion dont bénéficient les notations manuscrites figurant sur la
pièce D.1 ni à celle qui se rattache à d'autres notations manus-
crites de M' Burshtein se trouvant sur d'autres pièces.
Il est très bien de relater les faits exposés ci-des-
sus en tant qu'officier de la Cour, mais, jusqu'à
présent, l'avocat n'a produit aucun affidavit ni
aucune affirmation solennelle de Me Burshtein et
d'un membre du cabinet d'avocats représentant les
défendeurs afin d'établir les faits. Or, on peut
difficilement invoquer l'exemption de communica
tion sans au moins que les personnes qui sont au
courant des faits ne prêtent serment ou ne fassent
des affirmations solennelles.
L'avocat de la demanderesse, qui a cherché à
faire régler ce point, a commencé par citer l'arrêt
Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, de la
Cour suprême du Canada. Le juge Dickson, main-
tenant Juge en chef du Canada, a parlé au nom de
huit des neuf juges dans les motifs de jugement
qu'il a rédigés et dont l'avocat de la demanderesse
a cité les extraits suivants tirés des pages 829 et
837:
... le privilège ne se rattache pas à toute la correspondance
échangée entre un avocat et son client, car seules sont protégées
les communications en vertu desquelles le client consulte son
avocat à titre professionnel ou en vertu desquelles ce dernier lui
donne un avis.
À défaut du lien avec la preuve, actuellement exigé en droit.
l'appelant ne peut invoquer le privilège.
Comme le souligne le juge Addy, le privilège ne peut être
invoqué que pour chaque document pris individuellement, et
chacun doit répondre aux critères du privilège: (i) une commu
nication entre un avocat et son client; (ii) qui comporte une
consultation ou un avis juridiques; et (iii) que les parties
considèrent de nature confidentielle.
Ces principes sont sans doute tout à fait corrects et
s'appliquent en l'espèce à l'exemption de commu
nication réclamée par les défendeurs. Dans l'af-
faire Solosky on a ouvert pour des raisons de
sécurité des lettres échangées par un détenu dans
un pénitencier et un avocat. Les faits de cette
affaire n'ont rien d'instructif en ce qui concerne le
présent litige.
L'avocat de la demanderesse a cité en outre une
décision de la Cour suprême de la Colombie-Bri-
tannique, à savoir Pfeil v. Zink (1984), 60
B.C.L.R. 32, dont le sommaire est ainsi conçu [à
la page 32]:
[TRADUCTION] Par inadvertance l'ancien avocat du deman-
deur a fourni à l'avocat de la défenderesse des copies de notes
prises par lui au cours d'une entrevue avec le demandeur.
L'avocat de la défenderesse a cherché en vertu de l'art. 13 ou de
l'art. 14 de l'Evidence Act à contre-interroger le demandeur
relativement aux communications contenues dans les docu
ments en question. Invoquant le secret professionnel de l'avocat,
le demandeur s'est opposé à ce contre-interrogatoire.
Arrêt—Une ordonnance est rendue en conséquence.
Si une tierce personne entre, soit ouvertement, soit secrète-
ment, en possession de documents qui sans cela auraient fait
l'objet d'une exemption de communication, ils ne bénéficient
plus de cette exemption. On attache à la politique voulant que
tous les faits soient révélés au procès plus d'importance qu'on
n'en accorde à une mesure visant à assurer une franchise totale
dans les communications entre un avocat et son client, si
souhaitable que cela puisse être.
L'avocat des défendeurs rejette la décision Pfeil en
disant qu'elle [TRADUCTION] «provient d'un tribu
nal d'instance inférieure d'une autre province qui
n'a été suivie dans aucune affaire subséquente».
Or, on ne saurait guère qualifier de «tribunal
d'instance inférieure» la Cour supérieure de la
Colombie-Britannique. Elle constitue un degré de
juridiction qui n'est certainement pas inférieur (ni
«supérieur») à la Division de première instance de
la Cour fédérale. L'avocat se montre en fait par
trop cavalier dans sa tentative de faire écarter la
décision Pfeil.
Cette Cour doit d'abord et avant tout tenir
compte des lois du Canada, dont la Loi sur la
preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10 et
modifications, n'est pas la moindre en l'espèce.
Cette Loi prévoit ce qui suit:
37. Dans toutes les procédures qui relèvent de l'autorité
législative du Parlement du Canada, les lois sur la preuve qui
sont en vigueur dans la province où ces procédures sont exer-
cées, y compris les lois relatives à la preuve de la signification
d'un mandat, d'une sommation, d'une assignation ou d'une
autre pièce s'appliquent à ces procédures, sauf la présente loi et
les autres lois du Parlement du Canada.
Il faut donc essayer de déterminer s'il existe un
lien quelconque entre la présente affaire, la loi
précitée, l'Alberta Evidence Act, R.S.A. 1980,
chap. A-21, et peut-être même la décision Pfeil.
Dans l'affaire Pfeil, le juge s'est référé à l'Evi-
dence Act, R.S.B.C. 1979, chap. 116, et en parti-
culier à son article 13. Or, la disposition liminaire
de cet article est exactement la même que celle du
paragraphe 23(1) de l'Alberta Evidence Act et le
sens de son texte presque identique à celui du
paragraphe 10(1) de la Loi sur la preuve au
Canada. Le paragraphe 23(1) de la loi albertaine
porte:
[TRADUCTION] 23(1) Un témoin peut être contre-interrogé au
sujet de déclarations antérieures qu'il a faites par écrit ou qui
ont été consignées par écrit relativement à l'affaire en litige,
sans que l'écrit lui soit exhibé.
L'article analogue de la loi fédérale contient à titre
de précision l'expression alors de tout procès».
Maintenant, les dispositions susmentionnées ser-
vent à régler un aspect de la présente affaire. En
effet, l'interrogatoire préalable se fait en vue du
procès, mais il ne constitue pas ce procès et, point
plus important peut-être, l'interrogatoire préalable
n'est pas du tout un contre-interrogatoire. De plus,
la demanderesse en l'espèce ne peut soumettre à
un interrogatoire préalable l'auteur des notations
figurant sur la copie de la pièce D-1 puisqu'il s'agit
apparemment d'un avocat de Toronto.
Il appert que l'arrêt rendu par la Cour d'appel
d'Angleterre dans l'affaire Calcraft v. Guest,
[1898] 1 Q.B. 759; [1895-9] All E.R. Rep. 346,
est considéré comme un précédent faisant autorité.
Ce caractère semble lui être prêté sans réserve par
Sopinka et Lederman, The Law of Evidence in
Civil Cases (Toronto: Butterworths, 1974), la
page 175, dans un passage cité dans la décision
Pfeil. Ce dont il est question est la proposition
tristement notoire selon laquelle une preuve, peu
importe la manière dont elle a pu être obtenue
(sauf par voie d'outrage au tribunal), est admissi
ble si elle est pertinente, nonobstant toute exemp
tion de communication pouvant résulter du secret
professionnel de l'avocat. (Bien entendu, les com
munications destinées à faciliter la fraude ou un
autre crime ne bénéficient d'aucune exemption.)
L'arrêt Calcraft forme l'une des bases philosophi-
ques principales de ce qui paraît être l'injustice
monstrueuse permise par le Comité judiciaire du
Conseil privé dans l'arrêt Kuruma v. The Queen,
[1955] A.C. 197. Ce lien entre les deux arrêts est
constaté sans la moindre désapprobation dans
Cross on Evidence, 6e éd. (London: Butterworths,
1985), la page 432, note 20.
La décision Cansulex Ltd. v. Vancouver Whar
ves Ltd. (1976), 68 D.L.R. (3d) 565, de la Cour
suprême de la Colombie-Britannique, quoiqu'elle
paraisse du point de vue des faits présenter une
analogie avec la présente affaire, repose presque
exclusivement sur une jurisprudence en matière de
droit criminel qui date d'avant la Charte et qui
comprend l'arrêt Kuruma, lequel peut maintenant
être considéré comme périmé au Canada. La déci-
sion Cansulex a apparemment pour fondement la
croyance de l'avocat de la défenderesse qu'on avait
produit volontairement le document en cause, ce
qui ne semble guère pertinent relativement à l'ad-
missibilité ou à l'exemption de communication.
Cette Cour n'est pas disposée à accepter comme
fondement jurisprudentiel valable d'une décision
de contourner le secret professionnel de l'avocat la
proposition incroyablement injuste qui admet
n'importe quelle méthode, même illégale, d'obtenir
des preuves. Pour cette raison, l'aveuglement judi-
ciaire volontaire proposé dans la décision Rolka,
Richard C. W. v. Minister of National Revenue,
[1963] R.C.É. 138, doit également être considéré
comme une notion périmée. Celle-ci a d'ailleurs
été repoussée par la Charte [Charte canadienne
des droits et libertés qui constitue la Partie I de la
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de
1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)],
même si ce document n'a pas d'application précise
dans les circonstances actuelles. La notion en ques
tion ne saurait donc plus être retenue dans la
jurisprudence canadienne.
Il ressort toutefois de Cross, à la page 401 et
suiv., et de Sopinka et Lederman, à la page 175 et
suiv., que le client peut disposer d'un recours en
equity ou d'un recours fondé sur le principe de la
bonne administration de la justice, recours qui
consistent à faire enjoindre à des tiers (c.-à-d. à
d'autres que l'avocat ou le client) soit de ne pas se
servir des documents exemptés de communication,
soit de ne pas violer la confidence qui a été faite. Il
existe donc un thème parallèle en common law qui
cadre mieux que la notion se dégageant de la
jurisprudence anglaise avec ce qui est acceptable
en jurisprudence canadienne.
Mieux vaut s'en tenir aux décisions canadiennes
relativement bien établies qui traduisent non pas
une justice qui s'est rendue aveugle mais plutôt un
esprit éveillé et raisonnable. La décision rendue
par la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan
dans l'affaire Kulchar v. Marsh and Beukert,
[1950] 1 W.W.R. 272, et par la Cour de l'Échi-
quier du Canada dans l'affaire Susan Hosiery Ltd.
v. Minister of National Revenue, [1969] 2 R.C.É.
27, témoignent d'une attitude plus éclairée à
l'égard du secret professionnel de l'avocat.
Dans l'affaire Kulchar, précitée, le passage sui-
vant, tiré des motifs du juge Thomson, contient un
exposé suffisant des faits et du principe applicable
(aux pages 275 et 276):
[TRADUCTION] On prétend cependant que le demandeur
éventuel, en exposant dans son affidavit les instructions qu'il dit
avoir données à son ancien avocat, a étalé ces choses au grand
jour et a renoncé par là à l'exemption de communication qui se
serait autrement rattachée à l'avis qu'il avait reçu et aux
communications échangées par lui et ledit avocat. Je ne suis pas
appelé en l'espèce à décider ce qui se serait produit si le
demandeur éventuel avait révélé l'avis qu'il avait reçu de son
ancien avocat car il n'a pas fait de telle divulgation. Son
affidavit ne dit absolument rien à ce sujet. De plus, il n'a
divulgué aucune des communications qui avaient eu lieu entre
lui et ledit avocat avant qu'il ne charge celui-ci de prendre toute
mesure pouvant être nécessaire pour obtenir des dommages-
intérêts. La règle de droit applicable dans une affaire de ce
genre est énoncée de façon concise par le juge Lamont de la
Cour d'appel dans l'arrêt Western Canada Inv't. Co. v.
McDiarmid [1922] 1 WWR 257, la page 261:
«Renonciation implique l'abandon d'un droit pouvant être
exercé ou le fait de refuser un bénéfice ou un avantage dont
le renonciateur aurait joui s'il n'y avait pas eu de renoncia-
tion. 40 Cyc. 258; Crump v. McNeill, 14 Alta LR 206,
[1919] 1 WWR 52.»
«Pour qu'il y ait renonciation, deux conditions essentielles
doivent en règle générale avoir été remplies. Il faut d'abord
savoir que le droit ou privilège qu'on abandonne existe et
qu'on y a droit. Il doit en outre y avoir une intention
manifeste de renoncer à l'exercice de ce droit.»
En l'espèce, rien n'indique que le demandeur éventuel a
jamais entendu parler de l'exemption de communication en
question ou qu'il en a été au courant et il n'y a certainement
aucune preuve établissant qu'il a jamais eu l'intention d'aban-
donner un bénéfice ou un avantage lui revenant en raison de
cette exemption ou de s'en priver. ❑ s'ensuit donc que le
demandeur éventuel n'a pas renoncé à l'exemption de commu
nication. L'exemption qui s'applique aux communications entre
un avocat et son client résulte d'une décision de politique
générale prise dans l'intérêt de la justice et il incombe à la Cour
de voir à ce que cette exemption ne reste pas lettre morte: Re
United States of America v. Mammoth Oil Co. (1925) 56 OLR
635, le juge Hodgins de la Cour d'appel, à la page 646.
À mon avis, l'ancien avocat du demandeur éventuel n'aurait
jamais dû faire les divulgations exposées dans son affidavit.
D'un autre côté, les avocats des défendeurs éventuels n'auraient
jamais dû essayer de se procurer ledit affidavit ou, l'ayant
obtenu, de s'en servir à quelque fin que ce soit. Je conclus en
conséquence qu'on ne saurait utiliser cet affidavit dans le cadre
de la présente demande.
Ayant, grâce aux principes régissant la tenue d'in-
terrogatoires préalables complets, presque éliminé
les guets-apens à l'étape du procès, les tribunaux
ne doivent pas permettre, comme on ne l'a pas
permis dans l'affaire Kulchar, que l'exemption de
communication soit perdue par inadvertance.
Le président Jackett a rendu la décision Susan
Hosiery après avoir passé en revue la jurispru
dence, y compris les décisions Calcraft et Rolka.
Dans l'affaire Susan Hosiery l'avocat du ministre
avait obtenu une copie de certaines notes faisant
l'objet d'une exemption de communication, copie
qu'un vérificateur du ministère avait faite sans
l'autorisation du contribuable et même à son insu.
L'avocat du ministre a tenté de soumettre un
membre de la direction de la demanderesse à un
interrogatoire préalable, mais l'avocat de la
demanderesse lui a conseillé de ne pas répondre.
Laissant au juge qui présiderait le procès le soin de
statuer sur la question de l'utilisation des rensei-
gnements volés à ce stade-là, ce qui est exactement
ce qu'il convient de faire en l'espèce, le président
Jackett a conclu, à la page 42:
[TRADUCTION] À supposer que l'intimé puisse (et il ne faut
pas croire que j'exprime des doutes sur ce point) produire des
preuves quant aux communications échangées par l'appelante
et ses avocats, s'il dispose de telles preuves au moment du
procès et que celles-ci se rapportent aux faits essentiels, l'appe-
lante n'en a pas moins le droit de se prévaloir de l'exemption de
communication et de refuser de divulguer, que ce soit à l'inter-
rogatoire préalable, au procès ou à n'importe quel autre stade
des procédures, ces communications faites par elle-même ou
par ses avocats. Étant donné ma conclusion que, selon la
prépondérance des probabilités, la réunion de M. Pal, de M.
Wolfe et de Me Goodman, qui a eu lieu le 10 décembre 1964,
s'inscrivait dans le cadre du processus par lequel MM. Pal et
Wolfe, en tant que représentants de l'appelante, ont obtenu de
Me Goodman un avis juridique destiné à l'appelante et compte
tenu de ma conclusion que celle-ci est en conséquence exemptée
d'avoir à communiquer les notes portant sur ce qui s'est passé à
cette réunion, il me semble évident que la même exemption joue
lorsqu'il s'agit de répondre à des questions concernant la teneur
de ces notes.
Finalement, en ce qui concerne les questions 175 et 176, de
ma conclusion que M. Pal était l'un des représentants de
l'appelante chargés d'obtenir un avis juridique il découle que
l'appelante jouit d'une exemption de communication, de sorte
qu'elle n'a pas à produire une lettre écrite par M. Pal dans le
cadre du processus de l'obtention de l'avis susmentionné et n'a
pas non plus à témoigner concernant le contenu de cette lettre.
Évidemment, en regard du raisonnement puissant
du juge Thomson et du président Jackett et de la
sensibilité dont témoigne ce raisonnement, la théo-
rie voulant qu'on puisse faire abstraction du secret
professionnel de l'avocat en admettant d'une façon
aveugle et insouciante tout élément de preuve, peu
importe la façon dont il a pu être obtenu, traduit
une norme plutôt relâchée.
Il est encore une autre raison pour laquelle les
notes écrites sur les feuillets jaunes autocollants
qui ont été photocopiés ne devraient pas en prin-
cipe être admises à l'étape de l'interrogatoire préa-
lable pour qu'on puisse poser aux personnes soumi-
ses à l'interrogatoire des questions basées sur ces
notes. En donnant passivement leur adhésion à la
notion énoncée dans l'arrêt Calcraft, notion qui est
repoussée dans les présents motifs, Sopinka et
Lederman, dans l'ouvrage précité, affirment aux
pages 175 et 176:
[TRADUCTION] Les tribunaux ont néanmoins attaché une plus
grande importance à l'intérêt opposé, c'est-à-dire à l'intérêt à ce
que tous les faits pertinents soient révélés à la cour, et ils n'ont
pas étendu l'exemption de manière à protéger les communica
tions qui étaient censées être échangées par un avocat et son
client mais qui se sont égarées et qui sont parvenues dans les
mains d'un tiers. [Le client peut toutefois bénéficier d'un
recours en equity qui consiste à obtenir une injonction empê-
chant la tierce personne de divulguer les renseignements confi-
dentiels: voir Lord Ashburton v. Pape, [1913] 2 Ch. 469; Butler
v. Board of Trade, [1971] Ch. 680.]
Il convient de faire remarquer que la doctrine et la
jurisprudence soulignent, à juste titre d'ailleurs,
qu'une partie à un litige ne peut pas à l'interroga-
toire préalable cacher à la partie adverse des faits
dont elle est au courant et qui sont pertinents. Cela
est vrai. En effet, la partie adverse a parfaitement
droit à ce que lui soient révélés les faits se rappor-
tant à la demande ou à la défense, selon le cas, de
l'autre partie. Les notes rédigées en l'espèce par
l'avocat de Toronto ne sont pas des faits objectifs;
il s'agit plutôt des opinions qu'il a exprimées pour
que les avocats des défendeurs en tiennent compte
en préparant leur dossier. Les notes en question ne
sont pas non plus des faits objectifs que les défen-
deurs ont même connus avant que leur défense
n'ait été formulée ou au moment de sa formula
tion. Ils n'avaient évidemment pas le droit de
supprimer une partie quelconque du dessin lors-
qu'ils l'ont photocopié en vue de sa communica
tion. Les défendeurs étaient tenus de révéler et de
produire le dessin au complet. Ils n'étaient pour-
tant pas obligés d'y laisser ce qu'on appelle les
«collants jaunes» pour que ceux-ci figurent sur la
photocopie du dessin qui a été envoyée aux avocats
de la demanderesse. Sans aucun doute le dessin
lui-même et la photocopie ainsi communiquée sont
des faits pertinents. Les notes de l'avocat torontois
qui, par inadvertance, n'ont pas été enlevées avant
qu'on ne fasse la photocopie sont des observations
de cet avocat à l'intention des avocats des défen-
deurs; elles ne possèdent cependant pas le carac-
tère de faits objectifs. Par conséquent, elles ne
constituent pas des faits pertinents et, en réalité,
ne sont pas des «faits» du tout. Cela étant, elles
bénéficient de l'exemption de communicaiton dont
parle le président Jackett dans la décision Susan
Hosiery et telle est la décision de cette Cour en
l'espèce.
L'assertion de l'avocat des défendeurs que le
désir des avocats de la demanderesse de procéder à
un interrogatoire préalable relativement aux obser
vations de l'avocat torontois constitue en quelque
sorte une faute contre la déontologie est tout à fait
fausse. Les avocats de la demanderesse sont bien
en droit de mener un interrogatoire préalable dans
les limites permises. C'est d'ailleurs précisément
pour cela qu'ils ont honorablement soulevé la ques
tion afin d'obtenir des directives de la Cour. L'avo-
cat des défendeurs a judicieusement cessé de faire
de telles allégations avant que la Cour n'adjuge
des dépens punitifs pour avoir, sans justification,
mis en doute la probité professionnelle des avocats
de la demanderesse. Bien que les défendeurs soient
en passe d'obtenir gain de cause sur la question de
l'exemption de communication, la Cour, dans
l'exercice du pouvoir discrétionnaire qu'elle détient
à cet égard, ne leur accordera pas de dépens.
Les avocats des défendeurs ont omis par inad-
vertance d'enlever les feuillets jaunes adhésifs
amovibles, mais cette omission peut être réparée
aux fins de l'interrogatoire préalable, comme on a
demandé à le faire. Hélas pour les défendeurs,
leurs avocats n'ont pas apporté la preuve requise
pour fonder leur réclamation d'une exemption de
communication, omission dont il a déjà été ques
tion dans les présents motifs. Les défendeurs doi-
vent donc produire des affidavits appuyant ce que
leur avocat à allégué à l'audience en l'espèce, à
supposer qu'il y ait des déposants consciencieux, y
compris l'avocat torontois, qui pourront faire ces
affidavits. Il s'agit d'un oubli grave de la part des
défendeurs, par suite duquel il est encore possible
que les avocats de la demanderesse trouvent insuf-
fisante la preuve des défendeurs.
Aucune ordonnance accordant aux défendeurs
l'exemption de communication réclamée en leur
nom par leurs avocats ne sera prononcée tant que
des affidavits suffisants n'auront pas été produits
et signifiés aux avocats de la demanderesse. À ce
moment-là, les avocats des défendeurs pourront
présenter en vertu de la Règle 324 [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] une requête
visant à obtenir l'ordonnance demandée. Là encore
il faudra qu'il y ait signification aux avocats de la
demanderesse. Ces derniers ne seront pas tenus de
donner une réponse dans l'hypothèse où les affida
vits des défendeurs se révéleraient suffisants.
Les dépens et autres frais des présentes procédu-
res ont déjà été adjugés à la demanderesse quelle
que soit l'issue de la cause. Cela sera consigné dans
l'ordonnance qui devra être rédigée pour assurer
l'exécution des conclusions exprimées à l'audience.
Il ne sert à rien de mettre d'autres dépens en
cause, car les dépens peuvent être adjugés ou
refusés selon le cas. Ce sont là des points dont les
avocats de la demanderesse auront à tenir compte
en déterminant le caractère suffisant des affidavits
que les avocats des défendeurs sont par les présen-
tes autorisés à produire après coup et qu'ils doivent
d'ailleurs produire s'ils veulent conserver l'exemp-
tion de communication qu'ils invoquent pour les
défendeurs.
Les affidavits doivent être établis (en conformité
avec les faits véritables, mais soigneusement, sans
diluer les renseignements faisant l'objet de
l'exemption de communication) et déposés dès que
possible afin d'appuyer la requête devant être pré-
sentée en vertu de la Règle 324. Il va sans dire que
la totalité des dépens des défendeurs dans cette
procédure non terminée seront supportés, sinon par
les défendeurs, alors, ce qui convient encore mieux,
par leurs avocats.
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