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A-126-87
Wishing Star Fishing Co. Limited, Ocean Fishe ries Limited, John Reid, Dennis Walsh, Phillip Weber, Elvin Phillips, Sean Napier et Dave Burton (appelants) (demandeurs)
c.
Le bateau de pêche B.C. Baron, Baranof Fishing Ltd. et Raymond Krause (intimés) (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: WISHING STAR FISHING CO. c. B.C. BARON (LE)
Cour d'appel, juges Pratte, Stone et MacGuigan— Vancouver, 4 décembre; Ottawa, 21 décembre 1987.
Droit maritime Responsabilité délictuelle Limitation de la responsabilité Le juge de première instance a conclu que l'accident visé avait été causé par la seule négligence du capitaine du bateau intimé Ce capitaine est également le »principal actionnaire» de la société intimée La responsabi- lité de la société intimée n'est pas limitée par les art. 649 ou 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada L'art. 649 ne s'applique qu'aux personnes physiques L'art. 647 ne limite pas la responsabilité puisque l'accident en cause est survenu avec la faute ou complicité réelle de la société Le capitaine était l'«âme dirigeante» de la société au moment de l'accident Le capitaine et le principal actionnaire ne se distinguent pas l'un de l'autre Les actes ou les omissions de l'un deviennent ceux de l'autre.
Corporations Il a été conclu que le capitaine du bateau était le seul responsable de l'accident en cause Ce capitaine était également le principal actionnaire de la société Ce capitaine était l'âme dirigeante de la société au moment de l'accident Aucune distinction n'est faite entre les actes du capitaine et ceux du commettant L'art. 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada ne limite pas la responsabilité de la société puisque l'accident est survenu avec sa faute ou complicité réelle L'art. 649 ne s'applique qu'aux personnes physiques En raison de la fiction juridique faisant que l'individu propriétaire et la société à personne unique ont deux identités juridiques distinctes, la responsabilité de la personne individuelle qui est propriétaire est limitée tandis que celle de la société ne l'est pas Le capitaine demeurait assujetti à la direction et au contrôle de la société même s'il se donnait des ordres à lui-même La constitution en société peut parfois entraîner des conséquences inattendues et même indésirables.
Interprétation des lois L'art. 649 de la Loi sur la marine marchande du Canada vise toute personne agissant en qualité de capitaine Le mot «personne» désigne une personne physique, nonobstant l'art. 28 de la Loi d'interprétation Les clauses d'interprétation s'appliquent seulement lorsque rien dans le contexte ou dans l'objet considéré ne s'y oppose Pour vérifier l'intention du Parlement, il est nécessaire d'exa- miner d'autres articles de la Loi ainsi que l'art. 649 lui-même L'utilisation du pronom «his» dans le contexte de cet article
indique que l'intention du Parlement était contraire à celle énoncée dans la disposition invoquée de la Loi d'interprétation.
Appel est interjeté d'un jugement de la Division de première instance concluant que les intimés étaient responsables des dommages causés aux filets de pêche des appelants ainsi que des pertes de poisson qui en ont résulté. Le juge de première instance a décidé que la négligence du capitaine intimé était la seule cause des pertes subies, mais il a limité la responsabilité supportée par la société intimée en qualité de propriétaire du B.C. Baron sur le fondement de l'article 649 de la Loi sur la marine marchande du Canada. Le capitaine était le principal actionnaire de cette société et avait la direction de ses activités commerciales. Les appelants ont soutenu que l'article 649 ne devrait pas s'appliquer de façon à limiter la responsabilité d'une société et que la limitation prévue à l'article 647 devrait être refusée puisque les pertes étaient survenues avec «la faute ou complicité réelle de la société».
Arrêt: L'appel devrait être accueilli.
L'article 649 prévoit que les articles 647 et 648 s'appliquent à toute personne agissant en qualité de capitaine d'un navire. Même si le terme «personne» est défini dans la Loi d'interpréta- tion comme comprenant une corporation, le terme «personne» désigne une personne physique dans le contexte particulier dont il est question. Toute autre interprétation entraînerait des conséquences absurdes. Lorsqu'il utilise le terme «capitaine» ailleurs dans la Loi, le Parlement a à l'esprit une personne physique (voir l'article 128). L'emploi du pronom «his» à l'arti- cle 649 constitue également une forte indication que le Parle- ment avait à l'esprit une personne physique lorsqu'il a utilisé le mot «personne». Même si le paragraphe 26(6) de la Loi d'inter- prétation prévoit que les mots désignant les personnes du sexe masculin comprennent les corporations, le contexte et l'objet visés en l'espèce indiquent clairement le contraire. Une clause d'interprétation n'est pas destinée à empêcher un mot donné de recevoir son sens ordinaire; elle a pour objet de permettre que ce mot s'applique à des objets auxquels il ne serait pas ordinai- rement applicable lorsque rien dans le contexte ou dans l'objet considéré ne s'y oppose.
Bien qu'il puisse sembler incohérent qu'un propriétaire indi- viduel ait la possibilité de limiter sa responsabilité mais qu'une société à personne unique ne le puisse pas, l'on doit se rappeler que l'individu et la société possèdent des personnalités juridi- ques distinctes. Tout défaut de tenir compte d'une telle distinc tion peut engendrer la confusion et entraîner des conséquences juridiques imprévues. Le capitaine demeurait assujetti à la direction et au contrôle de la société même si, pratiquement, il se donnait des ordres à lui-même. Dans l'hypothèse l'entre- prise en cause aurait continué d'être exploitée sans être consti- tuée en société, le capitaine aurait pu limiter sa responsabilité conformément à l'article 649. La constitution de l'entreprise en société substituait un fondement incertain de limitation de responsabilité (l'article 647) hm fondement sûr prévu à l'article 649, ce qui démontre que la constitution d'une entreprise en société peut entraîner des conséquences inattendues et même indésirables.
Pour limiter sa responsabilité conformément à l'article 647, la société doit démontrer que les pertes se sont produites sans sa «faute ou complicité réelle». Toutefois, une société est une fiction juridique et ne peut agir que par l'intermédiaire de personnes physiques. Une action ne sera considérée comme
celle de la société que si elle a été posée par une personne dont l'action est celle de la société elle-même. Le capitaine était «l'âme dirigeante» de la société au moment de l'accident. L'in- dividu comme capitaine ne pouvait être séparé de l'individu comme commettant. La négligence du capitaine est devenue la négligence de la société elle-même et la société ne peut limiter sa responsabilité en vertu de l'article 647. La personne qui pose un acte ne parle pas ou n'agit pas pour la société mais à titre de société.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Convention internationale sur la limitation de la respon- sabilité des propriétaires de navires de mer ([Singh, International Conventions of Merchant Shipping] (British Shipping Laws, Vol. 8, 2nd ed. London: Ste- vens & Sons, 1973)).
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, art. 26(6), 28.
Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9, art. 647, 649, 651(1)a) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 38, art. 6).
Merchant Shipping Act 1979 (R.-U.), 1979, chap. 39, art. 17(1), anexe 4.
Responsibility of Shipowners Act (R.-U.), 7 Geo. II, chap. 15 (1734) (mod. par 26 Geo. III, chap. 86 (1786), 53 Geo. III, chap. 159 (1813)).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Robinson v. Local Board for Barton -Eccles (1883), 8 App. Cas. 798 (H.L.); Lee v. Lee's Air Farming Ltd., [1961] A.C. 12 (P.C.); Lennard's Carrying Company v. Asiatic Petroleum Company, [1915] A.C. 705 (H.L.); Tesco Supermarkets Ltd. v. Nattrass, [1972] A.C. 153 (H.L.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
The Bramley Moore, [1964] P. 200 (C.A.); H. L. Bolton (Engineering) Co. Ltd. v. T. J. Graham & Sons Ltd., [1957] 1 Q.B. 159 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ricard v. Lord, [1941] R.C.S. 1; Walithy Charters Ltd. v. Doig (1980), 15 B.C.L.R. 45 (C.S.); The «Annie Hay», [1968] 1 Lloyd's Rep. 141 (Adm. Div.); The «Alastor», [1981] 1 Lloyd's Rep. 581 (C.A.); Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.); Vaccher et autre c. Kaufman et autre, [1981] 1 R.C.S. 301; Paterson Steamships Ltd. v. The Canadian Co-operative Wheat Producers Ltd., [1935] R.C.S. 617; Leval & Company Incorporated v. Colonial Steamships Limited, [1961] R.C.S. 221; British Columbia Telephone Company et autres c. Marpole Towing Ltd., [1971] R.C.S. 321.
DOCTRINE
Gower, L. C. B. Gower's Principles of Modern Company Law, 4th ed. London: Stevens & Sons, 1979.
AVOCATS:
David F. McEwen pour les appelants (deman- deurs).
Timothy P. Cameron pour les intimés (défendeurs).
PROCUREURS:
McEwen & Company, Vancouver, pour les appelants (demandeurs).
McMaster, Bray, Cameron & Jasich, Van- couver, pour les intimés (défendeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Appel est interjeté d'un juge- ment prononcé le 26 février 1987 par le juge Joyal pour la Division de première instance [(1987), 9 F.T.R. 220]. Dans son jugement modifié en date du 1" avril 1987, le juge de première instance a fixé le taux de l'intérêt sur l'indemnité accordée par le jugement et a accordé un intérêt postérieur au jugement.
Le 28 mars 1985, l'hélice propulsive du bateau de pêche intimé (le B.C. Baron), tandis que celui-ci se trouvait sous le commandement de M. Krause, s'est empêtrée dans la senne coulissante de l'Ocean Horizon, qui appartient aux sociétés appe- lantes, causant des dommages à ce filet et occa- sionnant la fuite des poissons qui s'y trouvaient retenus. Les appelants ont réclamé les pertes leur résultant de cet accident. Celui-ci a eu lieu dans l'inlet Kitkatla, de la côte de la Colombie-Britan- nique, le jour même de l'ouverture de la saison de pêche au hareng. De nombreux navires, dont le B.C. Baron, se trouvaient alors groupés à cet endroit. Deux autres navires avaient disposé leur filet de telle façon qu'il ne restait qu'un passage d'environ 50 à 75 pieds entre leurs fincelles flot- tant à la surface de l'eau. Ce passage lui-même était rétréci par l'ondoiement des filets sous la surface. L'incident en cause est survenu lorsque le B.C. Baron a tenté de manœuvrer entre ces deux filets pour installer le sien.
Le juge de première instance a conclu à la responsabilité des intimés et a évalué les domma- ges subis à 100 920,48 $. Il estimait que les pertes subies avaient été causées par la seule négligence de M. Krause. Il a dit la page 224]:
Il y a peu de doutes quant à la responsabilité des défendeurs. Malgré la sympathie que peut nous inspirer la situation du B.C. Baron, qui esssayait de se frayer un chemin rapidement pour s'approprier sa part de la prise de harengs, au cours des deux ou
trois heures dont il disposait, j'estime que le capitaine a agi de façon négligente et que les dommages subis par le filet du Ocean Horizon lui sont entièrement imputables.
Ni cette conclusion ni aucune des autres conclu sions de fait du juge de première instance n'est contestée devant cette Cour. La seule question soulevée est celle de savoir si ce juge s'est trompé en décidant que la société intimée (la «société»), à titre de propriétaire du B.C. Baron, avait le droit de limiter sa responsabilité en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9. Le juge de première instance a dit au sujet de M. Krause qu'il était le «principal action- naire» la page 226 F.T.R.) de cette société, et il semble avoir eu la gestion de ses activités commerciales.
Le droit à la limitation de responsabilité a été plaidé de la manière suivante dans une demande reconventionnelle incorporée dans la défense:
[TRADUCTION] 5. Les défendeurs (demandeurs reconvention- nels) reprennent les allégués de la défense, et dans l'hypothèse les demandeurs (défendeurs reconventionnels) ou l'un quel- conque d'entre eux auraient le droit de recevoir une indemnité des défendeurs ou de l'un quelconque d'entre eux relativement aux dommages causés à la senne coulissante mentionnée plus haut, ce que les défendeurs n'admettent pas mais nient expres- sément, ces derniers soutiennent que cette avarie est survenue sans qu'il y ait faute ou complicité réelle -de la part des propriétaires du M/V «B.C. BARON», les défenderesses Prince Rupert Fishermen's Co -Operative Association ainsi que Bara- nof Fishing Ltd., et que le défendeur Raymond Krause agissait en qualité de capitaine du M/V «B.C. BARON» à tous les moments pertinents; les défendeurs affirment également que toute responsabilité de l'un des leurs, comme l'ensemble de telles responsabilités, serait, en conséquence, limitée par les articles 647 et 649 de la Loi sur la marine marchande du Canada à l'équivalent en dollars canadiens de 300 000 francs-or, selon la définition donnée à cette unité de mesure dans cette Loi ainsi que dans le Règlement sur la conversion des francs-or (responsabilité maritime).
L'alinéa 651(1)a) [mod. par S.C. 1976-77, chap. 38, art. 6] de la Loi est également pertinent vu le fait que la jauge du B.C. Baron était inférieure à 300 tonneaux. Cet alinéa porte que pour l'applica- tion de l'article 647 «la jauge d'un navire de moins de trois cents tonneaux est réputée de trois cents tonneaux».
Le présent appel se fondait sur deux moyens. Premièrement, il a été soutenu que le juge de première instance avait commis une erreur en concluant que la société en cause pouvait limiter sa responsabilité conformément à l'article 649.
Deuxièmement, il a été dit que la présente affaire était régie par l'article 647 de la Loi et que la limitation demandée devrait être refusée parce que les pertes se sont produites sans qu'il y ait eu «faute ou complicité réelle» de la part de cette société.
Le juge de première instance, dans ses motifs de jugement justifiant sa conclusion que la société visée avait le droit de limiter sa responsabilité, a fait plusieurs observations pertinentes. Il serait utile que je cite les passages dans lesquels elles figurent. A la page 222, il a dit:
Il était également à prévoir que le capitaine et les propriétai- res du B.C. Baron s'opposeraient à ces prétentions. Ils nient évidemment toute responsabilité mais, ce qui est encore plus important, ils allèguent que, advenant gain de cause des deman- deurs, l'avarie s'est produite sans faute ou complicité réelle de la part des propriétaires du B.C. Baron et que, par application des articles 647 et 649 de la Loi sur la marine marchande du Canada, les dommages-intérêts étaient limités à 33 271,74 $.
Aux pages 226 et 227, il a ajouté:
Notons que la règle régissant la responsabilité du proprié- taire diffère de celle imposée au capitaine du bâtiment. La responsabilité de ce dernier est limitée dans les cas prévus à l'art. 647 de la Loi sur la marine marchande du Canada, peu importe qu'il y ait faute ou complicité réelle de sa part. Lorsque la même personne occupe ces deux rôles, j'estime qu'il faut lui appliquer les critères énoncés dans l'affaire célèbre Walithy Charters Ltd. v. Doig (1979), 15 B.C.L.R. 45, la cour était saisie de la question suivante la page 53): [TRADUCTION] «Au moment pertinent, M. Doig accomplissait-il des fonctions habituellement associées au capitaine d'un bâtiment ou agis- sait-il en qualité de capitaine?»
Et, finalement, il a conclu à la page 227:
Je dois conclure que la conduite de M. Krause relevait de ses fonctions de capitaine du B.C. Baron. Il exécutait les fonctions relevant de son champ de compétence. Les propriétaires ne peuvent être reconnus fautifs ou complices d'actes ou d'omis- sions du capitaine à cet égard.
J'examinerai à présent les arguments présentés à la lumière du libellé des dispositions de la Loi qui nous intéressent.
La limitation de responsabilité prévue à l'article 649
Les dispositions pertinentes de l'article 649 sont ainsi libellées:
649. (1) Les articles 647 et 648 s'étendent et s'appliquent
a) à l'affréteur d'un navire;
b) à toute personne ayant un intérêt dans un navire ou la possession d'un navire, à compter du lancement de ce navire et y compris ce lancement; et
c) au gérant ou à l'exploitant d'un navire ou tout agent d'un navire tenu responsable par la loi de dommages causés par le navire
lorsque l'un quelconque des événements mentionnés aux alinéas 647(2)a) à d) se produit sans qu'il y ait faute ou complicité réelle de leur part, ainsi qu'à toute personne agissant en qualité de capitaine ou à tout membre de l'équipage d'un navire et à tout employé du propriétaire ou de toute personne dont font mention les alinéas a) à c) lorsque l'un quelconque des événe- ments mentionnés aux alinéas 647(2)a) à d) se produit, qu'il y ait ou non faute ou complicité réelle de leur part.
M. McEwen a plaidé de la manière suivante l'inapplicabilité de l'article qui précède. Les termes «Les articles 647 et 648 s'étendent et s'appliquent ... à toute personne agissant en qualité de capi- taine ... d'un navire ... lorsque l'un quelconque des événements mentionnés aux alinéas 647(2)a) à d) se produit, qu'il y ait ou non faute ou complicité réelle de leur part» ne peuvent s'appliquer à la présente espèce, a-t-il dit, parce que le B.C. Baron appartenait à la société intimée. Ces dispositions n'auraient été applicables que si le propriétaire de ce navire avait été une personne physique, et encore, seulement si cette personne avait agi en qualité de capitaine au moment de la manoeuvre négligente.
M. Cameron a tenté de réfuter cet argument de deux manières différentes. Premièrement, il nous a invités à interpréter le terme «personne» figurant dans les dispositions citées plus haut de l'article 649 comme s'étendant à la société. Cet avocat a fondé une telle assertion sur la définition du terme «personne» donnée à l'article 28 de la Loi d'inter- prétation, S.R.C. 1970, chap. I-23:
28. Dans chaque texte législatif
«personne» ou tout mot ou expression ayant le sens du mot «personne» désigne également une corporation;
Il a soutenu que l'application de cette définition faisait de la société intimée une «personne agissant en qualité de capitaine» au moment de l'incident et que, en conséquence, cette société avait le droit de limiter sa responsabilité conformément à l'article 649.
Je suis incapable d'accepter cette prétention. Dans le contexte particulier dont il est question, le terme «personne», à mon avis, désigne une per- sonne physique. Toute autre interprétation entraî- nerait des conséquences tout simplement absurdes. Il est évident que le Parlement, lorsqu'il utilisait le
terme «capitaine» ailleurs dans la Loi, avait à l'esprit une personne physique. L'article 128 illus- tre bien cette proposition. Il autorise le ministre à accorder à tout candidat un certificat de capitaine après avoir reçu «des preuves satisfaisantes de sa sobriété, de son expérience, de son habileté et de sa bonne conduite habituelle à bord». Les qualités décrites dans ce membre de phrase ne peuvent appartenir qu'à une personne physique. Le para- graphe 649(1) lui-même fournit ensuite une indi cation supplémentaire de l'intention du Parlement. Il permet au capitaine de limiter sa responsabilité relativement à la perte subie «qu'il y ait ou non faute ou complicité réelle de [sa] part». Cette disposition a probablement été adoptée pour mettre à effet la Convention internationale de 1957'. L'examen du pronom «his» de la version anglaise en fonction du contexte global de cet article et de la Loi dans son ensemble indique très fortement que le Parlement envisageait seulement une personne physique lorsqu'il a utilisé le terme «personne» 2 .
De plus, je ne crois pas que la disposition de l'article 28 de la Loi d'interprétation traitant du terme «personne» soit destinée à être appliquée
' Cette convention est la Convention internationale sur la limitation de la responsabilité des propriétaires de navires de mer, signée à Bruxelles le 10 octobre 1957 ([Singh, Interna tional Conventions of Merchant Shipping] (British Shipping Laws, Vol. 8, 2nd ed. London: Stevens & Sons, 1973) à la page 1348 et suivantes) et portant en partie à l'article 6(3):
Article 6
Lorsqu'une action est dirigée contre le capitaine ou les membres de l'équipage, ceux-ci peuvent limiter leur respon- sabilité même si l'événement qui est à l'origine de la créance, a pour cause leur faute personnelle. Toutefois, si le capitaine ... est en même temps seul propriétaire ... la disposition du présent paragraphe ne s'applique que lorsqu'il s'agit d'une faute commise en sa qualité de capitaine ... (Les souligne- ments sont ajoutés.)
2 Je dis ceci malgré la présence du paragraphe 26(6) de la Loi d'interprétation:
26.. ..
(6) Les mots désignant les personnes du sexe masculin comprennent les personnes du sexe féminin et les corporations.
Suivant un raisonnement analogue, le terme «his» de la version anglaise de la partie de l'article 649 dont il est question en l'espèce ne doit pas s'interpréter comme désignant la société intimée lorsque le contexte et l'objet considérés s'y opposent clairement.
aveuglément et sans tenir compte du contexte dans lequel ce terme figure ou de l'objet auquel il se rapporte dans une loi particulière. La jurispru dence confirme une telle assertion. Ainsi, dans l'arrêt Robinson v. Local Board for Barton -Eccles (1883), 8 App. Cas. 798 (H.L.), le lord chancelier Earl of Selborne, traitant de l'application d'une définition contenue dans une loi qui, comme la définition en l'espèce, avait un caractère inclusif, a dit à la page 801:
[TRADUCTION] Une clause d'interprétation de ce type n'est pas destinée à empêcher le mot visé de recevoir son sens ordinaire, courant et naturel lorsque celui-ci est approprié; elle a pour but de permettre que ce mot, lorsque rien dans le contexte ou dans l'objet considéré ne s'y oppose, s'applique avec le sens que lui confère la loi en jeu à des objets auxquels il ne serait ordinaire- ment pas applicable. [Les soulignements sont ajoutés.]
Je fais également référence aux propos tenus par le juge Rinfret dans l'arrêt Ricard v. Lord, [1941] R.C.S. 1, aux pages 10 et 11.
M. Cameron a alors présenté une argumentation différente de celle qui précède. Il a dit qu'il serait illogique que cette société à personne unique ne puisse pas limiter sa responsabilité alors qu'une personne physique propriétaire agissant en qualité de capitaine pourrait le faire (voir Walithy Char ters Ltd. v. Doig (1980), 15 B.C.L.R. 45 (C.S.); The «Annie Hay», [1968] 1 Lloyd's Rep. 141 (Adm. Div.); The «Alastor», [1981] 1 Lloyd's Rep. 518 (C.A.)). Il est de pratique courante au Canada, a-t-il affirmé, que les individus exerçant des activités de pêche dans un but commercial constituent leur entreprise en société. La société propriétaire devrait être considérée de la même manière que la personne physique propriétaire puisque, comme l'a dit le juge de première instance au sujet de la fonction de capitaine et de celle exercée par la société, «la même personne occupe ces deux rôles» la page 227 F.T.R.). Ceci est particulièrement vrai lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le propriétaire antérieur exploite l'en- treprise visée en grande partie comme il le faisait avant la constitution de celle-ci en société.
La présente affaire illustre une situation assez répandue dans laquelle, dans le cadre d'une société, le même individu agit tour à tour à des titres distincts, par exemple en qualité d'action- naire, de directeur, d'administrateur, etc. Il pour- rait être tentant, dans de telles circonstances, de faire abstraction de l'existence indépendante de la
société pour considérer uniquement l'individu. Cette manière de procéder peut ne soulever aucune difficulté dans l'exercice courant des activités de la société; la situation est cependant tout autre en droit strict. L'individu et la société ont des person- nalités juridiques distinctes (Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.)), et tout défaut de tenir compte d'une telle distinction ne peut qu'en- gendrer la confusion et entraîner des conséquences juridiques imprévues.
Le dossier suggère que M. Krause, parce qu'il exerçait une influence prépondérante sur la société en cause, avait la direction de ses activités. Il s'était présumément lui-même choisi comme capi- taine du B.C. Baron, mais aux yeux de la loi, cette décision était celle de la société. Il demeurait assujetti à la direction et au contrôle de cette dernière même si, pratiquement, il se donnait des ordres à lui-même. Cette importante distinction trouve une bonne illustration dans l'arrêt Lee v. Lee's Air Farming Ltd., [1961] A.C. 12 (P.C.). L'actionnaire majoritaire d'une société, qui pilotait l'avion de celle-ci, avait perdu la vie dans l'exercice de ses fonctions en tant que pilote en effectuant le surfaçage du champ d'un client. Le défunt et la société avaient conclu ensemble un contrat de louage de services. La question à trancher était celle de savoir si, dans les circonstances, le défunt pouvait être considéré comme un «worker» («tra- vailleur») pour les fins d'une loi relative à l'indem- nisation des accidents de travail. En rendant juge- ment, lord Morris of Borth -y-Gest a insisté sur l'importance de l'existence juridique distincte de l'individu et de la société, affirmant aux pages 26 et 27:
[TRADUCTION] Il est dit que réside la difficulté en l'espèce: le défunt n'aurait pas pu avoir à la fois le devoir de donner des ordres et l'obligation d'y obéir. Cette façon de voir ne tient cependant point compte du fait que les ordres seraient donnés par la société et non par le défunt. Le contrôle continuerait d'appartenir à la société peu importe l'identité du mandataire chargé de l'exercer. Le fait que le défunt aurait la responsabi- lité de donner les ordres en question comme mandataire de la société tant qu'il continuerait d'être son administrateur en titre et de détenir des pouvoirs très étendus ne rend pas moins distinctes leurs personnalités juridiques respectives. La conclu sion d'un contrat de louage de services entre le défunt et la société impliquait que celle-ci détenait un droit de contrôle. La manière dont ce contrôle serait exercé ne toucherait ni ne diminuerait le droit à son exercice. L'existence d'un droit de contrôle ne peut cependant être niée une fois reconnue la réalité de l'existence juridique de la société. Ce caractère d'entité juridique distincte de la société permettait l'établissement de
relations contractuelles entre celle-ci et le défunt comme il autorisait la société à lui donner des ordres.
Dans l'hypothèse l'entreprise en cause aurait continué d'être exploitée sans être constituée en société, il ne semble faire aucun doute que M. Krause aurait pu limiter sa responsabilité confor- mément à l'article 649 même en ayant agi avec négligence comme capitaine du B.C. Baron. La constitution de l'entreprise en société substitue un fondement incertain de limitation de responsabilité (l'article 647) au fondement sûr prévu à l'article 649. Comme je l'ai déjà dit, la présente espèce démontre une fois de plus que la constitution d'une entreprise en société peut entraîner des conséquen- ces inattendues et même commercialement indési- rables: ainsi qu'il a été pertinemment observé, [TRADUCTION] «la constitution en société fait par- fois boomerang pour faucher celui qui tentait de se prévaloir de ses avantages» 3 . L'argument voulant que la limitation soit permise dans une situation comme celle en l'espèce parce que les activités de M. Krause se sont poursuivies à peu près de la même manière après la constitution de l'entreprise en société qu'avant celle-ci ne pourrait être accepté que si la Loi autorisait la limitation dans de telles conditions. Je suis obligé de répéter qu'une telle limitation est impossible suivant le présent libellé de la Loi. Je puis dire, avec déférence, qu'il serait peut-être plus approprié de soumettre cet argu ment au législateur qu'à une cour de justice.
La limitation fondée sur l'article 647
Pour invoquer avec succès la disposition en titre, la société doit démontrer que les pertes se sont produites sans sa «faute ou complicité réelle», et le fardeau d'une telle preuve est certainement très lourd (voir l'arrêt Vaccher et autre c. Kaufman et autre, [1981] 1 R.C.S. 301). Les dispositions perti- nentes de l'article 647 sont les suivantes:
647... .
(2) Le propriétaire d'un navire, immatriculé ou non au Canada, n'est pas, lorsque l'un quelconque des événements suivants se produit sans qu'il y ait faute ou complicité réelle de sa part, savoir:
d) avarie ou perte de biens, autres que ceux qui sont men- tionnés à l'alinéa b), ou violation de tout droit
3 Gower, L. C. B. Gower's Principles of Modern Company Law, 4th ed., London, Stevens & Sons, 1979, la p. 100.
(i) par l'acte ou l'omission de toute personne, qu'elle soit ou non à bord du navire, dans la navigation ou la conduite du navire, le chargement, le transport ou le déchargement de sa cargaison, ou l'embarquement, le transport ou le débarquement de ses passagers ...
responsable des dommages-intérêts au-delà des montants sui- vants, savoir:
j à l'égard de toute avarie ou perte de biens ou de toute violation des droits dont fait mention l'alinéa d), un montant global équivalent à 1,000 francs-or pour chaque tonneau de jauge du navire.
Le critère ainsi édicté se retrouve dans le droit écrit du Royaume-Uni—un critère radicalement différent' fondé sur la Convention de 1976 y a récemment été adopté sans proclamation immé- diate.
Les arguments présentés de part et d'autre à l'audience au sujet de l'applicabilité de l'article 647 sont les suivants. D'une part, il a été soutenu que la limitation de la responsabilité doit être refusée parce que l'action négligente a été posée par la société elle-même. D'autre part, il a été prétendu que l'on devait chercher à savoir en quelle qualité M. Krause agissait au moment de l'incident. S'il était conclu qu'il agissait en qualité de capitaine du B.C. Baron, l'action posée avec négligence (c.-à-d. la manoeuvre fautive) constitue- rait son fait personnel. Bien que la règle respon- deat superior rendrait la société responsable d'une telle faute, cette responsabilité pourrait être limi- tée. Dans l'hypothèse où, au contraire, il aurait agi comme propriétaire en personnifiant la société elle-même, son acte devrait être considéré comme celui de cette société, et la responsabilité de cette dernière ne pourrait être limitée.
Heureusement, les circonstances dans lesquelles une société peut limiter sa responsabilité font l'ob- jet d'une jurisprudence abondante. Le critère à
4 Voir la Merchant Shipping Act 1979 (R.-U.), 1979, chap. 39, art. 17(1) et annexe 4. L'article 4 de la Convention de 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes porte:
Article 4
Une personne responsable n'est pas en droit de limiter sa responsabilité s'il est prouvé que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l'intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu'un tel domage en résulterait probable- ment.
appliquer dans une telle situation a été élaboré par les tribunaux anglais avant que ne soient adoptées en 1979 les modifications de la législation du Royaume-Uni à la suite de la Convention de 1976. Je commence en citant les propos tenus par le Maître des rôles lord Denning dans l'arrêt The Bramley Moore, [1964] P. 200 (C.A.), à la page 220:
[TRADUCTION] ... la limitation de la responsabilité n'est pas fondée sur le principe de justice. Il s'agit d'une règle d'intérêt public qui trouve son origine dans l'histoire et sa justification dans son utilités.
La difficulté que les tribunaux voient à l'applica- tion du concept de la «faute ou complicité réelle» à une société tient au fait qu'une telle entité, bien que jouissant d'une personnalité distincte en vertu de la loi, n'est qu'une fiction juridique. Laissée à elle-même, elle ne peut rien faire. Elle n'agit que par l'intermédiaire de personnes physiques. Ainsi, dans l'arrêt H. L. Bolton (Engineering) Co. Ltd. v. T. J. Graham & Sons Ltd., [1957] 1 Q.B. 159 (C.A.), le lord juge Denning a observé à la page 172:
5 La doctrine de la limitation de la responsabilité du proprié- taire de navire se trouve profondément enchâssée dans le droit écrit du Royaume-Uni, remontant à aussi loin que la Responsi bility of Shipowners Act (R.-U.), 7 Geo. II, chap. 15 (1734), qui a été suivie des lois 26 Geo. III, chap. 86 (1786) et 53 Geo. III, chap. 159 (1813). Les attendus de la loi de 1734 décrivent [TRADUCTION] l'«intérêt public» que lord Denning avait sans doute à l'esprit:
[TRADUCTION] ATTENDU qu'il est de la plus grande impor tance pour le Royaume de promouvoir l'accroissement de sa flotte et d'entraver tout désintérêt des commerçants et autres personnes concernées à l'égard des bateaux et des navires: et attendu qu'il a été statué à de nombreuses reprises que les propriétaires de bateaux et de navires sont responsables des biens et marchandises expédiés ou chargés à bord de leurs bâtiments même lorsque la cargaison est volée après son chargement à bord par le fait des capitaines ou de l'équipage desdits bateaux et navires, sans que le ou les propriétaires de ces bâtiments aient connaissance ou soient complices d'une telle action, et que de tels précédents dissuadent fortement les commerçants et les autres personnes concernées d'acqué- rir la propriété de bateaux ou de navires pour devenir arma- teurs, ce qui tend à porter préjudice au commerce et à la navigation de ce Royaume.
Cette politique a été énoncée à nouveau dans le préambule de la loi de 1813:
[TRADUCTION] ATTENDU qu'il est de la plus grande impor tance pour ce Royaume de promouvoir l'accroissement de sa flotte de bateaux et navires enregistrés conformément à la loi et d'entraver tout désintérêt des commerçants et autres per- sonnes concernées à l'égard de tels bâtiments.
[TRADUCTION] Une compagnie peut être comparée à un corps humain de plusieurs façons. Elle possède un cerveau et un centre nerveux qui contrôlent ce qu'elle fait. Elle a également des mains qui tiennent les outils et agissent conformément aux directives venant de ce centre. Certaines personnes au sein de la compagnie sont de simples préposés et mandataires qui ne sont rien de plus que des mains qui accomplissent le travail et dont on ne peut pas dire qu'elles en représentent l'âme ou l'esprit. D'autres sont des administrateurs et des gérants qui représen- tent l'âme dirigeante de la compagnie et qui ont la haute main sur son activité. L'état d'esprit de ces gérants est celui de la compagnie et est considéré juridiquement comme tel.
Il est donc évident que seules les actions de certains employés ou mandataires seront considé- rées comme celles de la société elle-même, et pour cela, ces actions doivent satisfaire au critère énoncé par le vicomte Haldane, lord Chancelier, dans l'arrêt Lennard's Carrying Company v. Asia- tic Petroleum Company, [1915] A.C. 705 (H.L.), il a dit aux pages 713 et 714:
[TRADUCTION] Car, si M. Lennard était l'âme dirigeante de la compagnie, sauf à conclure à l'irresponsabilité totale d'une compagnie, son acte a être celui de la compagnie elle-même au sens de l'art. 502. Il doit s'agir, selon une interprétation juste de cet article dans un cas comme celui qui se présente ici, de la faute ou de la complicité, non seulement d'un préposé ou d'un mandataire dont la compagnie est responsable en vertu de la règle respondeat superior, mais d'une personne qui engage la responsabilité de la compagnie parce que son acte est l'acte de la compagnie elle-même.
Cette façon de voir a subi l'épreuve du temps et a été appliquée constamment dans notre pays (voir, par exemple, les arrêts Paterson Steamships Ltd. v. The Canadian Co-operative Wheat Producers Ltd., [1935] R.C.S. 617, la page 625; Leval & Company Incorporated v. Colonial Steamships
Limited, [1961] R.C.S. 221, la page 230; et British Columbia Telephone Company et autres c. Marpole Towing Ltd., [1971] R.C.S. 321, aux pages 326 et 327).
À la lumière de cette jurisprudence, je crois que M. Krause était [TRADUCTION] «l'âme dirigeante» de la société au moment de l'incident au sens son acte était [TRADUCTION] «l'acte de la compa- gnie elle-même». Toute autre conclusion me semble impliquer l'établissement d'une distinction que n'autorisent pas ces arrêts. Le capitaine Krause ne peut être séparé du commettant Krause. À l'époque visée, il était clairement [TRADUC- TION] «l'âme et la volonté dirigeantes» de la société. Bien que l'incident soit à sa négligence personnelle, l'acte posé était celui de la société elle-même. Dans l'arrêt Tesco Supermarkets Ltd.
v. Nattrass, [1972] A.C. 153 (Hl.), lord Reid a, une fois de plus, tiré la ligne de démarcation entre les actes posés pour une société et les actes posés à titre de société lorsqu'il a dit à la page 170:
[TRADUCTION] Il me faut tout d'abord examiner la nature de la personnalité attribuée aux sociétés par le jeu d'une fiction juridique. Une personne physique possède un esprit capable de connaissance, d'intention et de négligence; elle possède égale- ment des mains lui permettant de réaliser les intentions qu'elle a formées. Une société n'est dotée d'aucun de ces attributs: elle ne peut agir que par l'intermédiaire de personnes physiques, sans toutefois que ses actes doivent toujours être posées par une seule personne ou par la même personne. La personne qui pose alors un acte ne parle pas ou n'agit pas pour la société. Elle agit à titre de société, et l'esprit qui régit ses actes est celui de la société. Il n'est point question pour la société d'une responsabi- lité du fait d'autrui. La personne en question n'agit point en qualité d'employée, de représentante, de mandataire ou de déléguée. Elle incarne la société ou, pourrait-on dire, entend et parle par la personne de la société dans le cadre des attributions qui lui sont propres, et son esprit est l'esprit de la société. Si cet esprit est coupable, la société est coupable. Doit constituer un point de droit la question de savoir si, une fois les faits établis, une personne doit être considérée comme ayant posé certains actes particuliers à titre de société ou simplement en qualité d'employée ou de mandataire de la société. Dans ce dernier cas, toute responsabilité de la société ne peut être qu'une responsa- bilité prévue dans une loi ou une responsablité du fait d'autrui. [Les soulignements sont ajoutés.]
À mon point de vue, la distinction établie pour les fins de l'article 649 entre un acte posé par un individu particulier en sa qualité de capitaine et un acte posé par cet individu en sa qualité de proprié- taire ne s'applique pas lorsqu'il s'agit de détermi- ner si l'acte visé a été accompli «sans qu'il y ait faute ou complicité réelle» de la part de la société pour les fins de l'article 647. Dans ce dernier cas, comme l'affirme la jurisprudence, la question importante est celle de savoir si la personne qui a posé l'acte en cause occupait à ce moment-là au sein de la société un poste tel que son acte puisse être considéré comme l'acte de la société elle- même. J'ai conclu que les actes et les omissions de M. Krause appartenaient à cette catégorie et, en conséquence, la société ne peut limiter sa responsa- bilité. Les pertes ne se sont pas produites sans qu'il y ait «faute ou complicité réelle» de sa part.
En conséquence, l'appel devrait être accueilli avec dépens. Je modifierais le jugement porté en appel en substituant à son second paragraphe les dispositions suivantes:
Les demandeurs ont gain de cause contre les autres défendeurs pour la somme de 100 920,48 $ plus les dépens.
LE JUGE PRATTE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris à ces motifs.
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