T-182-88
Teal Cedar Products (1977) Ltd. (demanderesse)
c.
La Reine, Procureur général du Canada, Secré-
taire d'État aux Affaires extérieures, Ministre du
Commerce extérieur, Ministre du Revenu national
(défendeurs)
RÉPERTORIÉ: TEAL CEDAR PRODUCTS (1977) LTD. C. CANADA
Division de première instance, juge Muldoon—
Vancouver, 15 mars; Ottawa, 12 avril 1988.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Injonctions —
Modification de la Liste de marchandises d'exportation con-
trôlée entraînant la fermeture d'une entreprise de fabrication
de produits forestiers — Demande d'injonction interlocutoire
Gouverneur en conseil apparemment induit en erreur au
sujet des répercussions sur les emplois par les renseignements
contenus dans le résumé de l'étude d'impact de la réglementa-
tion — Effet sur l'emploi contraire à l'objectif des modifica
tions et à la législation d'habilitation — La question de savoir
si la prise du décret est ultra vires est une question sérieuse à
juger — Application des critères de l'affaire Metropolitan
Stores pour les injonctions interlocutoires dans des affaires
constitutionnelles.
Commerce extérieur — Courte planchette de cèdre — Pro-
duit auparavant exporté aux États-Unis sans licence par la
demanderesse — Gouverneur en conseil modifiant la Liste de
marchandises d'exportation contrôlée — Demanderesse a dû
fermer son établissement, perte de 150 emplois — La régle-
mentation serait ultra vires car le gouverneur en conseil a été
induit en erreur par le résumé de l'étude d'impact de la
réglementation — Injonction interlocutoire est accordée.
En février 1988, le gouverneur en conseil a apporté une
modification à la Liste de marchandises d'exportation contrôlée
en vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importa-
tion pour viser les planches de même que les blocs et billons de
cèdre rouge, obligeant de ce fait la demanderesse à obtenir une
licence d'exportation pour son produit, de courtes planchettes
de cèdre. Cette réglementation a entraîné la fermeture de
l'établissement de la demanderesse et la perte de plus de cent
cinquante emplois.
Il s'agit d'une demande d'injonction interlocutoire suspen-
dant la mise en oeuvre de la réglementation à l'égard de la
demanderesse en attendant l'issue d'une action intentée en vue
d'obtenir un jugement déclaratoire, une injonction et des
dommages-intérêts.
La demanderesse a soutenu que le résumé de l'étude d'im-
pact de la réglementation concernant l'objet et l'effet du règle-
ment proposé a induit en erreur le gouverneur en conseil au
sujet des répercussions dévastatrices de la réglementation sur
les emplois dans son entreprise, et comme l'alinéa 3a.I) de la
Loi—en vertu duquel la réglementation a été adoptée—visait à
préserver des emplois au Canada, l'adoption du règlement
excédait les pouvoirs du gouverneur en conseil.
Les défendeurs ont prétendu que, sans égard au résumé de
l'étude d'impact qui ne fait pas partie du texte officiel, le
règlement est l'expression légale d'une politique gouvernemen-
tale et il constitue un acte légitime de gouvernement. De plus,
on a soutenu que la demanderesse n'avait pas le droit de faire
appel à la Cour pour suspendre l'application de la
réglementation.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
La question de savoir si le gouverneur en conseil a respecté
les conditions préalables à l'exercice d'un pouvoir—ce corps
constitué a-t-il en l'espèce négligé de respecter les dispositions
de l'alinéa 3a.1) en tenant compte d'informations trompeuses—
est soumise à un contrôle judiciaire, et les défendeurs, à l'excep-
tion de Sa Majesté la Reine, peuvent faire l'objet d'une injonc-
tion interlocutoire, à la condition qu'il y ait une question
sérieuse à juger. Le fait que la modification reposait sur l'alinéa
3c) de la Loi appellait un commentaire. Cette disposition visait
à maintenir un approvisionnement d'articles suffisant aux
«besoins de la défense ou autres». Si le mot «autres» devait être
interprété comme un terme générique par rapport à l'expression
«besoins de la défense», pourquoi n'y avait-il aucune preuve de
besoins liés à la défense? Dans ces circonstances, la question de
savoir si le règlement était ultra vires était une question
sérieuse devant être résolue au procès. Il est toujours difficile de
décider si la base d'un règlement est une question de compé-
tence ou d'élaboration des objectifs, mais il appartient au juge
de première instance de statuer sur ce point.
Les critères pertinents pour les injonctions interlocutoires ont
été tirés de l'arrêt Manitoba ( Procureur général) c. Metropoli
tan Stores Ltd., [ 1987] 1 R.C.S. 110, qui portait sur la validité
constitutionnelle de dispositions législatives: question sérieuse à
juger, préjudice irréparable, prépondérance des inconvénients.
Il y avait une question sérieuse à juger, quoique si l'on tient
compte du pouvoir discrétionnaire pratiquement absolu conféré
au gouverneur en conseil, le résultat aurait été différent si le
critère applicable avait été d'établir une apparence de droit
suffisante. La demanderesse subirait un préjudice irréparable
en devant fermer son établissement. Il n'y aurait aucun incon-
vénient grave pour le gouvernement. Au surplus, comme l'af-
faire est un «cas d'exemption», plutôt qu'un «cas de suspension»,
elle ne vise pas l'ensemble d'une catégorie de fabriquants de
produits forestiers. 11 faut tenir compte de l'intérêt public pour
apprécier la prépondérance des inconvénients lorsqu'une injonc-
tion interlocutoire est demandée dans une affaire constitution-
nelle. D'une part, le refus d'accorder l'injonction s'annonce
catastrophique pour l'entreprise de la demanderesse et ses
employés. D'autre part, le fait de soustraire temporairement la
demanderesse à l'application du règlement causerait un tort
négligeable au gouvernement et au grand public. Et bien
qu'aucune preuve de mauvaise foi n'ait été rapportée, on peut
voir que les défendeurs ont poursuivi et piégé la demanderesse
en se servant de leur pouvoir réglementaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Liste de marchandises d'exportation contrôlée, C.R.C.,
chap. 601, art. 2003 (ajouté par DORS/86-710;
DORS/88-140).
Loi sur les licences d'exportation et d'importation,
S.R.C. 1970, chap. E-17, art. 3 (mod. par S.C. 1974,
chap. 9, art. I; 1987, chap. 15, art. 26), 6.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of
Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; 115 D.L.R.
(3d) 1; Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan
Stores Ltd., [ 1987] 1 R.C.S. 110; American Cyanamid
Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396; [1975] 1 All E.R.
504 (H.L.); Bhatnager c. Canada (Ministre de l'Emploi
et de l'immigration), [1988] 1 C.F. 171 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Thorne's Hardware Ltd. et autres c. La Reine et autre,
[1983] 1 R.C.S. 106.
DÉCISIONS CITÉES:
Morgentaler et al. v. Ackroyd et al. (1983), 42 O.R. (2d)
659 (H.C.); MacMillan Bloedel Ltd. v. Min. of Forests
of B.C. (1984), 51 B.C.L.R. 105 (C.A.); CKOY Ltd. c.
Sa Majesté La Reine sur la dénonciation de Lorne
Mahoney, [1979] I R.C.S. 2; (1978), 90 D.L.R. (3d) 1;
In re Public Utilities Act (Milk Board); In re Crowley
(Avalon Dairy Ltd.) (1954), 12 W.W.R. (N.S.) 626
(C.S.C.-B.); K. J. Preiswerck Ltd. v. Los Angeles-Seattle
Motor Express Inc. (1957), 22 W.W.R. 93 (C.S.C.-B.);
Pacific Salmon Industries Inc. c. La Reine, [1985] I C.F.
504 (1" Inst.); Baird c. La Reine du chef du Canada,
[1984] 2 C.F. 160; (1983), 148 D.L.R. (3d) 1 (C.A.);
Procureur général du Canada c. Fishing Vessel Owners'
Association of B.C., [1985] I C.F. 791 (C.A.); Procureur
général du Canada c. Gould, [1984] 1 C.F. 1133 (C.A.);
Aerlinte Eireann Teoranta c. Canada, [1987] 3 C.F. 383
(I' inst.); C.E. Jamieson & Co. (Dominion) c. Canada
(Procureur général), [1988] 1 C.F. 590; (1987), 12
F.T.R. 167 (l' inst.).
AVOCATS:
J. Gary Fitzpatrick pour la demanderesse.
W. B. Scarth, c.r. pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Davis & Company, Vancouver, pour la
demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour
les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MULDOON: La société demanderesse,
de Colombie-Britannique, a engagé des poursuites
contre les défendeurs en vue d'obtenir des juge-
ments déclaratoires, un redressement par voie d'in-
jonction provisoire, interlocutoire et définitive, des
dommages-intérêts, ainsi que la condamnation des
défendeurs aux dépens. La présente instance porte
sur l'injonction interlocutoire.
La demanderesse a intenté la présente action le
3 février 1988, mais en raison de la modification
apportée par le gouverneur en conseil le 22 février
1988 la Liste de marchandises d'exportation
contrôlée [C.R.C., chap. 601 (mod. par DORS/88-
140)], en vertu de la Loi sur les licences d'expor-
tation et d'importation, S.R.C. 1970, chap. E-17,
modifiée, la demanderesse a dû réviser sa déclara-
tion déposée le l er mars 1988.
Il s'agit d'une triste affaire. L'adoption de la
réglementation a entraîné la fermeture d'une
entreprise canadienne de produits forestiers, par
ailleurs viable, et la perte concomitante de plus de
cent cinquante emplois. Ce résultat malheureux a
amené la demanderesse à intenter la présente
action. La société fabrique un produit qu'on dési-
gne par l'expression courtes planchettes de cèdre.
Jusqu'en janvier 1988, elle en exportait, sans
licence, aux États-Unis, comme l'indique le para-
graphe 3 de sa déclaration.
En application de l'article 3 [mod. par S.C.
1974, chap. 9, art. 1; 1987, chap. 15, art. 26] de la
Loi:
3. Le gouverneur en conseil peut établir une liste de mar-
chandises, appelée «liste de marchandises d'exportation contrô-
lée'', comprenant tout article dont, à son avis, il est nécessaire
de contrôler l'exportation pour l'une quelconque des fins sui-
vantes, savoir:
a. I) s'assurer que toute mesure prise pour favoriser le traite-
ment supplémentaire au Canada d'une ressource naturelle
qui y est produite ne devienne pas inopérante du fait de
l'exportation sans restriction de cette ressource naturelle;
a.2) limiter les exportations de matières premières ou trans-
formées d'origine canadienne, ou en conserver le contrôle,
lorsqu'il y a surproduction et chute des cours et qu'il ne s'agit
pas d'un produit agricole;
b) mettre en oeuvre un arrangement ou un engagement
intergouvernemental; ou
c) s'assurer d'un approvisionnement et d'une distribution de
cet article au Canada suffisant aux besoins de la défense ou
autres.
L'article 6 dispose que le gouverneur en conseil
peut révoquer, modifier, changer ou rétablir ces
listes.
La demanderesse soutient que le 26 juin 1986, la
liste a été modifiée [DORS/86-710] par l'adjonc-
tion des «Blocs et billons de cèdre rouge» à la Liste
de marchandises d'exportation contrôlée. Des ins
tructions sur la façon d'obtenir une licence d'ex-
portation pour les «blocs et billons de cèdre rouge»
ont été diffusées. Selon la demanderesse, un
«billon»» est un tronçon ou une section biseautée, à
l'état brut, venant du fendage d'une courte grume
de cèdre, la longueur de ladite grume étant habi-
tuellement de l'ordre de 1,33 m. Le débitage des
grumes en billons se fait parfois sur les lieux
d'abattage, après quoi ces billons vont à la scierie
pour la transformation en produits marchands. Un
billon peut être tronçonné par la moitié (sinon en
trois parties pour l'obtention de sections biseautées
de 44 cm), les «blocs» dérivés de ces opérations
étant les produits bruts qui seront taillés et trans
formés en articles marchands qui feront l'objet
d'une ouvraison plus poussée.
La demanderesse fabriquait de courtes planchet-
tes de cèdre. Il ne s'agit pas ici d'un simple subter
fuge langagier, une courte planchette de cèdre
étant, comme telle, un produit fini machine, taillé
non seulement à la longueur voulue, ainsi qu'aux
deux faces et aux deux rives, mais également séché
au four. Ce produit n'a rien de commun avec une
section de tronc en biseau, débité pour faciliter sa
manutention, comme il en va des billons et des
blocs. La portée des termes et procédés susmen-
tionnés a été précisée, de façon claire et abon-
dante, par une démonstration, enregistrée sur
ruban magnétoscopique, des procédés de fabrica
tion de ces planchettes et bardeaux de cèdre pour
faire ressortir les différences entre les billons, les
blocs et les courtes planchettes. Ce ruban constitue
la pièce «C» jointe à l'affidavit de M. Thomas
Darcy Jones, président de la demanderesse. Il ne
fait pas de doute que les courtes planchettes de
cèdre n'étaient visées, ni par la forme ni par le
fond, par les modifications apportées en juin 1986
à la Liste de marchandises d'exportation contrô-
lée.
En janvier 1988, la demanderesse a pourtant été
informée officiellement du fait que l'exportation
des courtes planchettes de cèdre aux États-Unis
serait désormais subordonnée à l'obtention d'une
licence d'exportation. Après avoir reçu significa
tion de la première déclaration de la demande-
resse, déposée le 3 février 1988 et accompagnée
d'une demande d'injonction similaire à la présente,
les défendeurs étaient toutefois revenus sur leur
décision d'exiger une licence qu'ils ont refusé de
délivrer, autorisant ainsi à nouveau l'exportation
des courtes planchettes de cèdre.
Cependant, les planchettes de cèdre n'ont pas
été exportées librement longtemps. La pièce «A»
jointe à l'affidavit déposé par Mme Joan Edith
Mulholland est une copie du décret C.P. 1988-288
[DORS/88-140] et de son annexe, pris le 22
février 1988. Le décret est conçu comme suit:
Attendu que le gouverneur en conseil est d'avis qu'il est
nécessaire de contrôler l'exportation de blocs, billons, ébauches,
planches et tout autre matériau ou produit de cèdre rouge
propres à être utilisés pour la fabrication de bardeaux ordinai-
res ou de bardeaux de fente, afin de s'assurer:
a) que toute mesure prise pour favoriser le traitement sup-
plémentaire au Canada du cèdre rouge qui y est produit ne
devienne pas inopérante du fait de son exportation sans
restriction,
b) que l'approvisionnement et la distribution de ces maté-
riaux et produits de cèdre rouge soient suffisants pour la
fabrication de bardeaux ordinaires et de bardeaux de fente
au Canada,
À ces causes, sur avis conforme du secrétaire d'État aux
Affaires extérieures et en vertu des alinéas 3a.1) et c) et de
l'article 6 de la Loi sur les licences d'exportation et d'importa-
tion, il plaît à Son Excellence le Gouverneur général en conseil
de modifier, conformément à l'annexe ci-après, la Liste de
marchandises d'exportation contrôlée, C.R.C., ch. 601.
ANNEXE
I. L'article 2003' de la Liste de marchandises d'exportation
contrôlée est abrogé et remplacé par ce qui suit:
«2003. Blocs, billons, ébauches, planches et tout autre
matériau ou produit de cèdre rouge propres à être utilisés
pour la fabrication de bardeaux ordinaires ou de bardeaux de
fente.
(Toutes destinations, y compris les États-Unis)»
Un résumé de l'étude d'impact de la réglementa-
tion est joint au décret et à son annexe. Il ne fait
pas partie du Règlement, mais il fournit au minis-
tre qui propose la mesure, si ce n'est aux membres
du Cabinet qui ont pris le décret C.P. 1988-288,
des renseignements sur l'objet et l'effet du règle-
ment proposé. La déposante, Mme Mulholland, a
communiqué par interurbain avec un fonctionnaire
(nommé) de la Direction du contrôle des exporta-
tions, ministère des Affaires extérieures, à Ottawa,
en vue d'obtenir le nom de l'auteur du résumé. Il
' DORS/86-710, Gazette du Canada Partie II, 1986, p. 2862.
lui a répondu [TRADUCTION] «que le résumé avait
été rédigé par la Direction des affaires réglemen-
taires, Bureau de Privatisation et affaires régle-
mentaires».
Voici les passages pertinents de ce résumé qui
faisait partie de l'ensemble des renseignements
communiqués au Cabinet et au grand public:
(Ce résumé ne fait pas partie du règlement.)
Description
Les biens pour lesquels un permis d'exportation est requis,
pour des raisons de sécurité nationale ou de politique intérieure,
sont inscrits dans la Liste de marchandises d'exportation con-
trôlée (LMEC). En juin 1986, les États-Unis imposaient un
droit à l'importation de 35 % sur les bardeaux de fente et les
bardeaux. Le gouvernement du Canada a réagi en plaçant sur
la liste en question les blocs et billons de cèdre rouge qui
peuvent être transformés en bardeaux et bardeaux de fente,
afin d'en empêcher l'exportation aux États-Unis. Cette mesure
était destinée à empêcher la perte d'emplois au Canada dans
l'industrie de fabrication de bardeaux de fente et de bardeaux.
Certaines entreprises canadiennes usent d'une échappatoire
dans la LMEC pour exporter des ébauches de cèdre rouge. En
effet, ce produit qui sert à fabriquer des bardeaux ou des
bardeaux de fente ne figure pas dans la liste.
La mesure modifiera la LMEC en y ajoutant les ébauches,
planches et autres matériaux ou produits de cèdre rouge pou-
vant servir à fabriquer des bardeaux de fente et des bardeaux,
conformément à l'objet initial du règlement. Le fait de contrô-
ler l'exportation de ces produits depuis le Canada va dans le
même sens que les programmes des gouvernements du Canada
et de la Colombie-Britannique destinés à promouvoir la trans
formation des matériaux de cèdre rouge en bardeaux et bar-
deaux de fente au Canada même. Cette mesure est prise en
vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation.
Autres mesures envisagées
La Loi sur les licences d'exportation et d'importation est le
seul mécanisme de contrôle des exportations de bois et de
produits de bois depuis le Canada. Le fait de ne pas modifier le
règlement actuel aurait des conséquences néfastes à long terme
pour l'industrie canadienne de fabrication de bardeaux de fente
et de bardeaux.
Conformité à la Politique de réglementation et au Code
d'équité
Puisqu'il était impossible de prévoir cette situation, aucun
avis préalable de modification n'a été donné dans le plan de
réglementation de 1988. Cette mesure est conforme à la politi-
que qui plaçait les blocs et les billons de cèdre rouge sur la Liste
de marchandises d'exportation contrôlée le 26 juin 1986.
Répercussions prévisibles
Selon le bureau du MEIR à Vancouver, les installations de
fabrication de bardeaux de fente et de bardeaux, à partir du
cèdre rouge canadien exporté, qui seraient établies aux États-
Unis en raison de l'échappatoire actuelle feraient perdre de 10
à 20 % des 12 000 emplois qui existent au Canada dans cette
industrie. Ces emplois et les installations américaines nouvelle-
ment établies pourraient être difficilement retransférables au
Canada lorsque le droit de 35 % sur les bardeaux de fente et
bardeaux sera finalement supprimé. Étant donné la modifica
tion à la Liste de marchandises d'exportation contrôlée, tous
les matériaux de cèdre rouge semi -transformés nécessiteront
une licence d'exportation, qui serait normalement refusée pour
les raisons susmentionnées.
Paperasserie et incidences sur les petites entreprises
Cette modification à la LMEC n'entraînera dans les faits
aucun changement sur les plans de la paperasserie et des
incidences sur les petites entreprises parce qu'elle respectera
l'objet initial de la loi.
Consultation
Le bureau du MEIR à Vancouver est pour une modification
à la LMEC. Il estime que si aucune modification n'est appor-
tée, le nombre d'emplois dans l'industrie diminuera, les prix des
bardeaux de fente et des bardeaux s'effondreront tandis que
ceux des produits bruts canadiens augmenteront, et des petites
entreprises seront obligées de fermer. Le gouvernement de la
Colombie-Britannique appuie la modification.
Mécanismes d'observance à prévoir
Le sous-alinéa 3a. I), et l'alinéa 3c) et l'article 6 de la Loi sur
les licences d'exportation et d'importation prévoient l'inclusion
de ces produits dans la Liste de marchandises d'exportation
contrôlée. L'article 19 de la Loi prévoit des sanctions.
Pour de plus amples informations contacter:
[nom], Directeur
Direction du contrôle des exportations
Direction générale des relations commerciales spéciales
Ministère des Affaires extérieures
... Ottawa ...
Qui qu'elle soit, la personne qui a fait la recher-
che et préparé le résumé de l'étude d'impact n'a
manifestement pas consulté cette compagnie cana-
dienne privée viable qu'était alors la demande-
resse, ou elle ne se souciait guère de l'effet de la
réglementation sur l'entreprise ou sur ses
employés. Pour appuyer cette affirmation, sinon
pour en rapporter la preuve irréfutable, il suffit
d'examiner les affidavits et les pièces jointes qui
ont été produits pendant l'instance. La pièce «Cu
jointe à l'affidavit déposé par M. Jones le 12
janvier 1988, est une démonstration remarquable.
Au visionnement de la bande magnétoscopique,
on constate que la scie principale qui, en une passe
initiale, taille une première tranche à même le bloc
de cèdre pour produire une planche non ouvrée, se
prête à une remise au point rapide et facile pour
donner non pas une planche à rives parallèles, non
ouvrée, mais plutôt un bardeau à faces convergen-
tes, en forme de coin et non ouvré. S'il est vrai que
cette dernière solution, à la comparer au processus
visionné, n'écourte pas considérablement le proces-
sus de production, il semblerait qu'au lieu de s'en
tenir à une courte planche, il aurait suffi de scier
cette dernière diagonalement, du haut en bas de
son épaisseur, pour en faire deux bardeaux biseau-
tés. En superposition, le talon de l'un couvrant
l'extrémité mince de l'autre, les deux feraient une
planche, déduction faite du bois enlevé par sciage,
des deux faces complémentaires, soit l'équivalent
de l'épaisseur de la lame de scie.
Après le visionnement de la bande, la Cour a
fait remarquer qu'il semblait y avoir une contra
diction entre d'une part, la présentation et d'autre
part, les affidavits déposés par M. Jones (paragra-
phe 8) et M. Frank William White (paragraphe
11) dans lesquels il est affirmé que [TRADUCTION]
«la production de courtes planchettes de cèdre
n'exige pas moins de travail que celle des bar-
deaux». Cette observation repose sur le fait que M.
Jones, qui jouait le rôle du scieur dans la présenta-
tion vidéo, a exécuté le même ébouttage sur le
bardeau et sur la planchette. Donc, en l'absence
d'erreur et de défauts dans le bois, comme il y a
deux fois moins de planchettes que de bardeaux, il
semble que la production des planchettes nécessite-
rait en définitive deux fois moins de scieurs que la
production des bardeaux pour une quantité donnée
de blocs de cèdre.
Les deux déposants, MM. Jones et White, ont
obtenu l'autorisation, avec le consentement de
l'avocat des défendeurs, de produire chacun un
[TRADUCTION] «deuxième affidavit complémen-
taire», fait sous serment le 15 mars 1988, en vue de
dissiper cette contradiction apparente. Voici les
passages pertinents du deuxième affidavit complé-
mentaire de M. Jones:
[TRADUCTION] 4. Dans la démonstration enregistrée sur bande
magnétoscopique, pièce C, jointe à mon affidavit du 12 janvier
1988, j'ai débité de courtes planchettes et des bardeaux de
cèdre. J'ai également déclaré dans ce document que la produc
tion de courtes planchettes de cèdre n'exigeait pas moins de
travail que celle de bardeaux. On m'a fait remarquer que, dans
la présentation vidéo, je sciais un seul bardeau à la fois. Voici
ce que j'ai à dire en réponse à ces observations:
a) Je suis président de la compagnie et je n'ai pas fait
fonctionner une scie depuis quelques années.
b) Un scieur de métier coupe deux bardeaux à la fois, dans
90 % à 95 % des cas. Cette opération est possible parce
que les bardeaux sont plus minces que les planchettes.
Deux bardeaux ont à peu près la même largeur qu'une
courte planchette de cèdre. Je souligne aussi que le
chariot se déplace plus vite lorsque des bardeaux sont
sciés. Le mouvement est plus lent lorsqu'il s'agit de
débiter des planchettes parce que celles-ci sont plus
épaisses et qu'un déplacement trop rapide brûlerait la
planchette et ferait dévier la scie.
c) Le scieur a tout intérêt à scier deux bardeaux en même
temps. Il est rémunéré à un taux garanti de $127 par
jour, mais il est aussi payé à la pièce. Un bon scieur
recevra d'ordinaire un salaire moyen de $175 par jour et
il peut gagner plus de $200.
d) La cadence d'un bon scieur est également déterminée
par la scie qui coupe habituellement deux pièces de bois
pendant que le scieur rogne les deux autres ensemble.
Donc, à la lumière des explications et des faits
fournis dans les dépositions faites sous serment par
les deux personnes apparemment les plus compé-
tentes, il semble que la présentationn vidéo ne con-
tredise pas vraiment les affirmations faites sous
serment et voulant que [TRADUCTION] «la produc
tion de courtes planchettes de cèdre n'exige pas
moins de travail que celle de bardeaux». En ce qui
concerne ces affirmations dont l'exactitude peut
être démontrée, il semble que l'auteur du Résumé
de l'étude d'impact de la réglementation n'ait pas
tenu compte de l'état critique de la demanderesse,
de celui d'autres entreprises placées dans des con
ditions semblables, ni de leurs employés.
Pour faire rejeter la demande d'injonction pré-
sentée par la demanderesse, les défendeurs ont
produit l'affidavit de M. Eugene W. Smith, fonc-
tionnaire fédéral occupant depuis 1983 le poste
d'agent principal de développement industriel au
ministère de l'Expansion industrielle régionale
(MEIR) à Vancouver (l'organisme qui est men-
tionné dans le Résumé de l'étude d'impact de la
réglementation). Le déposant déclare que depuis
1951, date à laquelle il a obtenu un diplôme en
foresterie de l'U.B.C., [TRADUCTION] «il a tra-
vaillé continuellement [...] dans l'industrie fores-
tière en Colombie-Britannique et dans l'État de
Washington, [...] États-Unis [...], dans la com
mercialisation et la fabrication de produits fores-
tiers, et notamment des bardeaux de fente et des
bardeaux [...1». L'une de ses tâches consiste à
[TRADUCTION] «promouvoir le commerce [...] et
le développement de l'industrie forestière en
Colombie-Britannique», en sa qualité de [TRADUC-
TION] «"principal agent de liaison" entre le minis-
tère et les représentants de l'industrie forestière
[...] pour ce qui concerne la promotion des activi-
tés industrielles de cette industrie». Le déposant a
lu l'affidavit de M. Jones, daté du 12 janvier 1988,
et il a visionné le ruban magnétoscopique, qui
constitue la pièce C jointe à cet affidavit.
Plus on lit l'affidavit de M. Smith, plus on se
demande si c'est l'expression d'un message clair et
simple qui est fautive ou si c'est le discours, pré-
senté de façon habile, qui est confus et contradic-
toire. Il affirme, par exemple, que l'imposition par
les États-Unis d'un droit à l'importation de 35 %
sur les bardeaux de fente et les bardeaux fabriqués
au Canada visait à faire en sorte que les produits
bruts nécessaires à leur fabrication valent plus
cher aux États-Unis qu'au Canada. Cette affirma
tion semble embrouiller le débat, tout comme le
reste du paragraphe 4 de son affidavit. Le fait est
que, dans ce cas-ci, la demanderesse n'exporte pas
le produit brut, les billons et les blocs, aux États-
Unis, elle les utilise au Canada pour fabriquer des
produits manufacturés, de courtes planchettes de
cèdre, qu'elle exportait librement aux États-Unis
avant l'intervention des défendeurs.
M. Smith déclare en outre que, par suite de
discussions avec les représentants de l'industrie
forestière au sujet de la suffisance de l'approvision-
nement de cèdre propre à la fabrication des bar-
deaux de fente et des bardeaux, il croit sincère-
ment que [TRADUCTION] «l'approvisionnement en
cèdre à l'heure actuelle est insuffisant pour satis-
faire à la demande de l'industrie pour ce produit».
Il ne dévoile pas la source de ses renseignements,
et de ce fait, aucun poids ne peut être accordé à
son affirmation. Celle-ci est carrément contredite,
de manière générale, par l'affidavit complémen-
taire fait sous serment le 29 février 1988 et déposé
par M. Jones le 29 février 1988 et par celui de M.
White, fait sous serment le 10 mars 1988. Elle est
contredite, de manière particulière, en ce qui con-
cerne la demanderesse dans l'affidavit versé au
dossier et fait sous serment le 10 mars 1988 par
Michael Neil Dorais. Toujours au sujet de [TRA-
DUCTION] «l'exportation libre de produits bruts»,
M. Smith fait une autre sombre prédiction au
paragraphe 6 de son affidavit à propos de l'impos-
sibilité de satisfaire à la demande au Canada. M.
Smith déclare sous serment que, devant l'insuffi-
sance de l'approvisionnement en cèdre pour satis-
faire à la demande de l'industrie, évoquée ci-des-
sus, le gouvernement du Canada va de l'avant avec
un programme de développement quinquennal
visant à faire augmenter la demande pour les
produits de cèdre rouge, aux Etats-Unis, c'est-à-
dire pour les bardeaux de fente et les bardeaux.
Selon la déposition de M. Smith, [TRADUC-
TION] «l'un des objectifs précis dudit programme
est de favoriser une transformation accrue des
produits de cèdre rouge en bardeaux de fente et en
bardeaux»—pas en courtes planchettes, à l'éviden-
ce—«fabriqués au Canada, ce qui aurait pour effet
de créer ou de récupérer environ 1 400 emplois
directs dans l'industrie de la fabrication en
Colombie-Britannique».
Les deux derniers paragraphes de l'affidavit de
M. Smith, déposé au nom des défendeurs, méritent
d'être cités intégralement, même si ceux-ci ne sont
pas fondés sur des faits mais sur son opinion:
[TRADUCTION] 8. Selon moi, l'effet du programme de dévelop-
pement du marché sera neutralisé si l'exportation des planchet-
tes de cèdre rouge n'est pas restreinte parce qu'on n'aura plus
besoin d'empaqueteurs de bardeaux qualifiés en Colombie-Bri-
tannique et que la production de planchettes de cèdre pour
l'exportation nécessitera moins de travail que la production de
bardeaux. Cette diminution du nombre de travailleurs est attri-
buable à la réduction, par mesure de sécurité, de la vitesse de
fonctionnement des scies mécaniques à bardeaux. Deux bar-
deaux destinés à être exportés aux États-Unis peuvent être
fabriqués sous la forme d'une courte planchette pour la somme
de travail nécessaire à la fabrication d'un seul bardeau. La
productivité des scies mécaniques à bardeaux double presque
lorsque de courtes planchettes sont exportées. À mon avis,
jusqu'à 20 % des emplois dans l'industrie seraient perdus en
Colombie-Britannique en raison du transfert aux Etats-Unis
des opérations de second sciage et d'empaquetage si l'exporta-
tion libre de courtes planchettes de cèdre était autorisée.
9. Selon moi, l'exportation libre de courtes planchettes de cèdre
aux États-Unis forcera bon nombre de petits entrepreneurs
dans l'industrie des bardeaux de fente et des bardeaux à fermer,
ce qui pourrait entraîner un transfert permanent des opérations
de second sciage et d'empaquetage aux Etats-Unis.
Les paragraphes précités, qui entrent enfin dans
le vif du débat, sont en contradiction directe avec
les preuves produites par la demanderesse, et
notamment avec l'enregistrement magnétoscopi-
que. Il convient de souligner qu'aucune des déposi-
tions des deux parties n'a été vérifiée par le contre-
interrogatoire des déposants respectifs avant l'au-
dition de la requête de la demanderesse. La contra
diction flagrante susmentionnée fait justement
partie de la question à résoudre au procès. Le juge
devra s'acquitter de la difficile mission de trancher
des pronostics incompatibles sur l'emploi et l'éco-
nomie et d'en tirer des conclusions de fait, si les
parties n'améliorent pas la qualité de leurs élé-
ments de preuve respectifs (sans nécessairement en
augmenter le nombre).
Une autre question appelle un commentaire.
D'après le texte même du décret C.P. 1988-288,
celui-ci repose en partie sur l'alinéa 3c) de la Loi
sur les licences d'exportation et d'importation. Il
convient plus particulièrement d'examiner la dis
position qui vise à maintenir au Canada- un appro-
visionnement d'articles suffisant aux besoins de la
défense ou autres. Si le mot «autres» doit être
interprété comme un terme générique par rapport
à l'expression «besoins de la défense», si on doit
comprendre qu'il s'agit d'autres besoins liés à l'ap-
provisionnement du type de matériel et d'autres
articles dont l'exportation est susceptible d'être
interdite en vertu de l'alinéa 3a), ou liés à un état
de guerre ou à une autre situation d'urgence natio-
nale, on se demande pourquoi l'exportation de
courtes planchettes de cèdre est interdite à l'heure
actuelle. Ni le Résumé de l'étude d'impact de la
réglementation, ni l'affidavit de M. Smith ne font
état de prétendus besoins liés à la défense natio-
nale. S'agissant du premier document, on se
demande alors si le gouverneur en conseil a été
induit en erreur en formulant le décret ou si
l'alinéa 3c) a été mentionné à dessein, pour faire
bonne mesure.
Il convient aussi de remarquer que les affirma
tions faites sous serment le 11 mars 1988, dans
l'affidavit de l'avocat de la demanderesse, M.
Robert Edward Marriott, visent à mettre quelque
peu en doute la déclaration faite dans le Résumé
de l'étude d'impact de la réglementation selon
laquelle «Le gouvernement de la Colombie-Britan-
nique appuie la modification.» D'après l'affidavit,
M. Marriott a fait des vérifications auprès du
British Columbia Timber Export Advisory Com
mittee qu'on penserait au fait de la position du
gouvernement, sans avoir pu obtenir de réponse
positive. Il a également écrit à Ottawa au fonction-
naire désigné dans le Résumé de l'étude d'impact
de la réglementation, sans succès. On se demande
pourquoi il n'a pas communiqué directement avec
a) le bureau du premier ministre, b) le ministre
concerné du gouvernement de la Colombie-Britan-
nique, c) le greffier du Conseil ou d) avec toutes
les personnes précitées. Si la question s'avérait
pertinente, des renseignements précis à ce sujet
seraient peut-être rapportés en preuve au procès. Il
est loin d'être certain que le gouverneur en conseil
ait été induit en erreur à propos de cette revendica-
tion d'appui pour la modification.
La déclaration relative au pronostic d'emploi
peut avoir été trompeuse, elle aussi, mais cette
question doit être tranchée au procès, encore que
cette tâche puisse s'avérer difficile selon la qualité
de la preuve.
La présente instance met nettement en juxtapo
sition d'une part, les droits et les obligations du
gouverneur en conseil en matière de formulation
des politiques, qui ne doivent être fondées ni sur le
caprice ni sur la malveillance, pour ce qu'il estime
être le plus grand bien commun, même si la mise
en oeuvre de la politique devait nuire à des intérêts
particuliers comme la demanderesse, et d'autre
part, l'intérêt de la demanderesse qui consiste à
gérer une entreprise commerciale, par ailleurs légi-
time, dont l'un des aspects, et non le moindre, est
l'emploi rémunérateur d'environ cent cinquante
travailleurs.
En résumé, la demanderesse soutient que le
gouverneur en conseil a été induit en erreur au
sujet des répercussions dévastatrices de la régle-
mentation sur les emplois de son entreprise, et
comme l'alinéa 3a.1) de la Loi vise à préserver des
emplois au Canada, la prise du décret C.P. 1988-
288 excédait les pouvoirs du gouverneur en conseil.
Elle revendique le droit de faire appel à la cour
pour interdire au gouvernement de mettre en
application l'article 2003 contesté de la Liste de
marchandises d'exportation contrôlée jusqu'à la
résolution du présent litige.
En bref, l'avocat des défendeurs soutient que,
sans égard au résumé de l'étude d'impact qui ne
fait pas partie du texte officiel, le décret C.P.
1988-288 est l'expression légale d'une politique
gouvernementale et il constitue un acte légitime de
gouvernement, tout à fait compatible avec les pou-
voirs législatifs conférés au gouverneur en conseil.
La demanderesse n'a pas le droit de faire appel à
la Cour pour suspendre la mise en oeuvre de la
réglementation à son égard, en attendant l'issue du
présent litige.
Une volumineuse jurisprudence a été citée par
les deux parties.
À tout le moins depuis la décision de la Cour
suprême dans l'affaire Procureur général du
Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre,
[1980] 2 R.C.S. 735; 115 D.L.R. (3d) 1, si ce n'est
bien avant, il n'est pas impensable qu'une décision
du gouverneur en conseil puisse être et soit sou-
mise à un contrôle judiciaire. Le juge Estey, qui a
rendu le jugement de la Cour suprême, déclare aux
pages 748 R.C.S.; 11 D.L.R.:
Il faut dire tout de suite que la simple attribution par la loi
d'un pouvoir au gouverneur en conseil ne signifie pas que son
exercice échappe à toute révision. Si ce corps constitué n'a pas
respecté une condition préalable à l'exercice de ce pouvoir, la
cour peut déclarer ce prétendu exercice nul.
Le fait est qu'en l'espèce, les défendeurs, à l'excep-
tion de Sa Majesté la Reine, peuvent faire l'objet
d'une injonction interlocutoire s'il semble que l'on
n'ait pas respecté les dispositions de l'alinéa 3a.1)
de la Loi en tenant compte d'informations trom-
peuses. C'est une question sérieuse qui doit être
résolue au procès. Si la prise du décret est ultra
vires des pouvoirs du gouverneur en conseil, dans
les circonstances, est-ce aussi une question sérieuse
devant être résolue au procès? C'est le cas, en
effet.
En revanche, les défendeurs s'appuient sur la
décision de la Cour suprême du Canada exprimée
par le juge Dickson, maintenant juge en chef du
Canada, dans l'affaire Thorne's Hardware Ltd. et
autres c. La Reine et autre, [1983] 1 R.C.S. 106.
Voici un passage tiré de la page 115:
Je mentionne ces différents éléments de preuve non pas pour
examiner les considérations qui ont pu motiver le gouverneur en
conseil à prendre le décret, mais pour démontrer que l'extension
du port a été une question économique et politique plutôt
qu'une question de compétence ou de droit pur. Le gouverneur
en conseil a manifestement cru avoir des motifs raisonnables de
prendre le décret C.P. 1977-2115 qui étendait les limites du
port de Saint-Jean et nous ne pouvons nous enquérir de la
validité de ces motifs afin de déterminer la validité du décret.
[Texte non souligné dans l'original.]
Bien entendu, la déclaration précitée a été faite
dans le cadre d'un appel attaquant la décision
rendue à l'issue d'un procès portant sur la question
même de savoir si la prise du décret C.P. 1977-
2115 [DORS/77-621] excédait ou non les pouvoirs
du gouverneur en conseil. À l'étape actuelle de la
requête préliminaire, la Cour ne saurait prétendre
statuer de façon définitive sur cette question
ultime. En fait, il faudrait être voyant pour prédire
à ce stade-ci quelle sera l'issue du litige. Le point
litigieux n'est pas résolu dans le cadre des présen-
tes procédures.
D'ordinaire, la Cour refuse de prétendre imposer
une politique aux décideurs. Voir à ce propos
l'affaire MacMillan Bloedel Ltd. v. Min. of
Forests of B.C. (1984), 51 B.C.L.R. 105 (C.A.).
L'autorisation d'en appeler de ce jugement a été
refusée [ 1984] 1 R.C.S. x. Il arrive parfois, comme
en l'instance, qu'il soit difficile d'établir une dis
tinction entre le pouvoir d'adopter une réglementa-
tion et le pouvoir de décider des objectifs de la
réglementation. Il appartiendra au juge de pre-
mière instance de statuer sur ce point.
L'avocat de la demanderesse invoque la juris
prudence suivante: CKOY Ltd. c. Sa Majesté La
Reine sur la dénonciation de Lorne Mahoney,
[1979] 1 R.C.S. 2; (1978), 90 D.L.R. (3d) 1; In re
Public Utilities Act (Milk Board); In re Crowley
(Avalon Dairy Ltd.) (1954), 12 W.W.R. (N.S.)
626 (C.S.C.-B.); American Cyanamid Co. v. Ethi-
con Ltd., [1975] A.C. 396; [1975] 1 All E.R. 504
(H.L.); K. J. Preiswerck Ltd. v. Los Angeles-
Seattle Motor Express Inc. (1957), 22 W.W.R. 93
(C.S.C.-B.); Pacific Salmon Industries Inc. c. La
Reine, [1985] 1 C.F. 504 (1" inst.); et Baird c. La
Reine du chef du Canada, [1984] 2 C.F. 160;
(1983), 148 D.L.R. (3d) 1 (C.A.). Les défendeurs
se sont appuyés sur les affaires suivantes: Thorne's
Hardware Ltd. et autres c. La Reine (précitée);
Procureur général du Canada c. Fishing Vessel
Owners' Association of B.C., [1985] 1 C.F. 791
(C.A.); Procureur général du Canada c. Gould,
[1984] 1 C.F. 1133 (C.A.); et Manitoba (Procu-
reur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987]
1 R.C.S. 110.
Dans les circonstances, la plus récente affaire,
celle qui fait autorité et qui ressemble le plus au
cas qui nous occupe est le jugement unanime
Metropolitan Stores rédigé par le juge Beetz pour
les autres membres de la Cour supreme du
Canada. Il s'agissait de savoir s'il fallait suspendre
les procédures engagées devant la Manitoba
Labour Relations Board en vue d'obtenir l'imposi-
tion d'une première convention collective, en atten
dant l'issue d'une action visant à déterminer la
validité constitutionnelle des dispositions législati-
ves permettant l'imposition d'une première conven
tion collective. Le juge de la Cour du Banc de la
Reine a refusé de suspendre les procédures enga
gées devant la Commission, mais la Cour d'appel,
jugeant que le litige pouvait être plus long que ne
l'avait prévu le juge de la Cour du Banc de la
Reine, a décidé à l'unanimité d'exercer son pouvoir
discrétionnaire de prononcer la suspension des pro-
cédures engagées devant la Commission.
Les points en litige ayant été formulés, voici
comment le juge Beetz présente à la page 121 les
raisons qui ont motivé la résolution de deux des
quatre questions énoncées:
Les deuxième et quatrième questions se ramènent essentielle-
ment au même point: lorsque la constitutionnalité d'une dispo
sition législative est contestée, quels sont les principes que doit
suivre un juge de la cour supérieure dans l'exercice de son
pouvoir discrétionnaire d'ordonner la suspension d'instance en
attendant une décision sur la constitutionalité de la disposition
attaquée? Cette question se pose non seulement dans les affai-
res relevant de la Charte mais aussi dans d'autres affaires
constitutionnelles et je me propose d'examiner certaines déci-
sions portant sur le partage des pouvoirs entre le Parlement et
les législatures ainsi que quelques décisions de droit administra-
tif concernant la validité de la législation déléguée. Selon mon
interprétation de cette jurisprudence, il n'existe, du point de vue
des principes applicables au redressement sous forme d'injonc-
tion interlocutoire, aucune différence fondamentale entre ce
type d'affaires et celles relevant de la Charte.
Les considérations précitées sont sans nul doute
pertinentes en l'espèce. Le juge Beetz les aborde à
la page 126 dans le cadre d'un historique bref et
fouillé sous la rubrique «Les conditions normales
de la suspension d'instance». Il souligne (à la page
127) que «La suspension d'instance et l'injonction
interlocutoire sont des redressements de même
nature. 'À moins qu'un texte législatif ne prescrive
un critère différent, elles ont suffisamment de
traits en commun pour qu'elles soient assujetties
aux mêmes règles et c'est avec raison que les
tribunaux ont eu tendance à appliquer à la suspen
sion interlocutoire d'instance les principes qu'ils
suivent dans le cas d'injonctions interlocutoires:
[affaires citées].» Les caractéristiques de la pré-
sente affaire sont telles qu'elle peut facilement, en
toute logique, être rangée parmi les affaires consti-
tutionnelles, même si cette affaire ne soulève pas
de question relative au partage des compétences
entre le gouvernement fédéral et le gouvernement
provincial ni, à première vue, de question relevant
de la Charte [Charte canadienne des droits et
libertés, qui constitue la Partie I de la Loi consti-
tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le
Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Dans la mesure où la Cour suprême du Canada
dans l'affaire Metropolitan Stores a approuvé le
critère (à la page 128) de l'existence «d'une ques
tion sérieuse à juger, par opposition à une réclama-
tion futile ou vexatoire» dans «une affaire constitu-
tionnelle où [.. .] l'intérêt public est pris en
considération dans la détermination de la prépon-
dérance des inconvénients», il est évident, d'après
les éléments examinés jusqu'ici, que la présente
affaire satisfait à ce critère.
Il faut reconnaître que le résultat serait différent
si le critère consistait à établir une apparence de
droit suffisante. La demanderesse ne conteste pas
le pouvoir du Parlement d'adopter l'article 3 de la
Loi, mais il convient quand même de se demander
si l'inscription du nouvel article 2003 sur la Liste
de marchandises d'exportation contrôlée constitue
un exercice légal ou par ailleurs légitime des pou-
voirs conférés au gouverneur en conseil. Ce pou-
voir discrétionnaire semble général, étendu et pra-
tiquement absolu. La modification portant
inscription du nouvel article 2003 paraît valide à
première vue. C'est la conclusion à laquelle la
Cour est arrivée dans des causes récentes similai-
res relatives à la contestation de divers règlements:
Aerlinte Eireann Teoranta c. Canada, [1987] 3
C.F. 383 (lie inst.); et C.E. Jamieson & Co.
(Dominion) c. Canada (Procureur général), [ 1988]
1 C.F. 590; (1987), 12 F.T.R. 167 (lfe inst.). En
l'espèce, la demanderesse affirme posséder des élé-
ments de preuve et des arguments de droit pour
établir que les renseignements erronés qui ont
apparemment induit en erreur le gouverneur en
conseil et dont on peut démontrer qu'ils sont mal
fondés constituent le seul fondement législatif per-
mettant l'inscription de l'article 2003 sur la liste,
avec les résultats dévastateurs que l'on sait sur
l'entreprise de la demanderesse. Les défendeurs
ont produit des affidavits pour réfuter cette thèse.
Les causes susmentionnées sont des procès. En
l'espèce, il s'agit d'une requête tendant à obtenir
une injonction interlocutoire qui soulève bel et bien
une question sérieuse, mais limitée, devant être
tranchée au procès, bien que ne constituant pas
une forte apparence de droit. On a donc satisfait
au critère, sans plus.
Le deuxième critère consiste à décider si la
partie qui cherche à obtenir l'injonction subira, si
ce redressement n'est pas accordé, un préjudice
irréparable. En matière commerciale, par exemple
dans les litiges relatifs à la propriété intellectuelle
où les parties peuvent se trouver dans des condi
tions à peu près similaires sur le plan de la viabi-
lité, de la stabilité et des ressources, sans toutefois
qu'aucune ne dispose de ressources illimitées, ce
critère du «préjudice irréparable» peut jouer en
faveur des deux parties et il peut même être exa-
miné sous la rubrique «prépondérance des inconvé-
nients». Ce n'est pas le cas en l'espèce. Il est
certain qu'en l'espèce, le critère du «préjudice irré-
parable» ne fait pas référence à la chute du gouver-
nement actuel ni jusqu'ici à une restriction des
pouvoirs ou de la continuité du gouvernement
fédéral. Comme la présente affaire constitue ce
que le juge Beetz a appelé un «cas d'exemption»,
elle ne vise pas l'ensemble des fabricants de pro-
duits forestiers. Dans les circonstances, seule la
demanderesse subit carrément un préjudice irrépa-
rable, en l'occurence la fermeture de son établisse-
ment et la perte concomitante et désastreuse de
plus de cent cinquante emplois, en raison de la
mise en application du décret portant inscription
de l'article contesté sur la Liste de marchandises
d'exportation contrôlée et de l'absence de la
licence d'exportation nécessaire. Point n'est besoin
d'établir de subtiles distinctions en l'espèce. Sans
l'ombre d'un doute, la demanderesse a démontré,
compte tenu de sa situation critique, qu'elle satis-
faisait largement au critère du préjudice irrépara-
ble.
Il convient ensuite d'examiner le troisième cri-
tère, celui de la prépondérance des inconvénients, à
l'instar du juge Beetz dans l'affaire Metropolitan
Stores à la page 129. Lorsque, comme dans cette
cause et la présente instance, une injonction inter-
locutoire est demandée dans une affaire constitu-
tionnelle, l'intérêt public est un élément particulier
dont il faut tenir compte. A ce propos, le juge
Beetz écrit (à la page 129) que «les tribunaux
estiment qu'ils ne doivent pas se limiter à l'applica-
tion des critères traditionnels régissant l'octroi ou
le refus d'une injonction interlocutoire dans les
affaires civiles ordinaires». Reprenant l'opinion de
lord Diplock dans l'affaire American Cyanamid,
précitée, aux pages 407 A.C.; 510 All E.R., selon
laquelle les épineuses questions de droit doivent
être tranchées par le juge du procès, le juge Beetz
déclare ce qui suit, à la page 130:
American Cyanamid était une affaire civile complexe, mais
l'opinion de lord Diplock que je viens de citer doit, pour
plusieurs raisons, être suivie à fortiori dans une affaire relevant
de la Charte comme dans les autres affaires constitutionnelles
où il y a contestation de la validité d'une loi.
Premièrement, l'étendue et le sens exact des droits garantis
par la Charte sont souvent loins d'être clairs et la procédure
interlocutoire permet rarement à un juge saisi d'une requête de
trancher ces questions capitales. Les litiges constitutionnels se
prêtent particulièrement mal à la procédure expéditive et infor-
melle d'une cour des sessions hebdomadaires où les actes de
procédure et les arguments écrits sont peu nombreux ou même
inexistants et où le procureur général du Canada ou de la
province peut ne pas avoir encore reçu l'avis qu'exige générale-
ment la loi: voir Home Oil Distributors Ltd. v. Attorney -Gene
ra! for British Columbia, [1939] 1 D.L.R. 573, la p. 577;
Weisfeld c. R. (1985), 16 C.R.R. 24, et, pour un exemple
extrême, Turmel c. Conseil de la radiodiffusion et des télé-
communications canadiennes (1985), 16 C.R.R. 9.
Sous la rubrique «Les conséquences de la sus
pension d'instance dans les affaires constitution-
nelles» (à la page 133), le juge Beetz écrit encore
aux pages 134 et 135:
... la suspension d'instance accordée à la demande des plai-
deurs privés ou de l'un d'eux vise normalement un organisme
public, un organisme d'application de la loi, une commission
administrative, un fonctionnaire public ou un ministre chargé
de l'application ou de l'administration de la loi attaquée. La
suspension d'instance peut en général avoir deux effets. Elle
peut prendre la forme d'une interdiction totale d'appliquer les
dispositions attaquées en attendant une décision définitive sur
la question de leur validité ou elle peut empêcher l'application
des dispositions attaquées dans la mesure où elle ne vise que la
partie ou les parties qui ont précisément demandé la suspension
d'instance. Dans le premier volet de l'alternative, l'application
des dispositions attaquées est en pratique temporairement sus-
pendue. On peut peut-être appeler les cas qui tombent dans
cette catégorie les «cas de suspension». Dans le second volet de
l'alternative, le plaideur qui se voit accorder une suspension
d'instance bénéficie en réalité d'une exemption de l'application
de la loi attaquée, laquelle demeure toutefois opérante à l'égard
des tiers. J'appellerai ces cas des «cas d'exemption».
Qu'elles soient ou non finalement jugées constitutionnelles,
les lois dont les plaideurs cherchent à obtenir la suspension, ou
de l'application desquelles ils demandent d'être exemptés par
voie d'injonction interlocutoire, ont été adoptées par des législa-
tures démocratiquement élues et visent généralement le bien
commun, par exemple: assurer et financer des services publics
tels que des services éducatifs ou l'électricité; protéger la santé
publique, les ressources naturelles et l'environnement; réprimer
toute activité considérée comme criminelle; diriger les activités
économiques notamment par l'endiguement de l'inflation et la
réglementation des relations du travail, etc. Il semble bien
évident qu'une injonction interlocutoire dans la plupart des cas
de suspension et, jusqu'à un certain point, comme nous allons le
voir plus loin, dans un bon nombre de cas d'exemption, risque
de contrecarrer temporairement la poursuite du bien commun.
En l'espèce, l'appréciation des inconvénients
subis par les parties, notamment les conséquences
pour l'intérêt public ou le bien commun dans le cas
des défendeurs, aboutit à un résultat non équivo-
que. Les «inconvénients» subis par la demanderesse
représentent un préjudice irréparable dont l'issue
s'annonce tout à fait catastrophique pour son
entreprise et ses employés. S'il en allait autrement,
la demanderesse serait tenue, indiscutablement, de
se soumettre à la loi (réglementation), tout en en
contestant la validité. Cependant, la réglementa-
tion la force à se retirer des affaires. En revanche,
si la demanderesse était temporairement exemptée
de l'application de la réglementation portant ins
cription de l'article 2003 sur la Liste de marchan-
dises d'exportation contrôlée jusqu'à la résolu-
tion du litige—le tort causé au gouvernement du
Canada et au public qu'il sert serait négligeable et
probablement imperceptible. Aucun des défen-
deurs n'a prétendu que la reprise de l'exportation
des planchettes de cèdre par la seule demanderesse
et uniquement jusqu'à ce que soit résolue la ques
tion en litige, aurait des effets globaux contraires à
l'objectif poursuivi sur l'industrie des produits
forestiers, celle des bardeaux de fente et des bar-
deaux, l'économie de la Colombie-Britannique ou
celle du Canada, ni même qu'elle aurait un effet
perceptible. À ce propos, les défendeurs redoutent
des répercussions macro-économiques, comme l'in-
diquent l'affidavit déposé en leur nom et le
Résumé de l'étude d'impact de la réglementation.
L'idée que les industries ou les économies susmen-
tionnées puissent subir de façon perceptible le
contrecoup micro-économique de l'autorisation de
l'exportation par la demanderesse de courtes plan-
chettes de cèdre ne suscite même pas l'ombre
d'une inquiétude.
Dans l'affaire Metropolitan Stores, le juge
Beetz a donné l'exemple de tribunaux qui ont
maintenu la loi ou la réglementation contestée en
vertu d'une théorie reconnue voulant que ces textes
sont inévitablement adoptés ou mis en oeuvre dans
l'intérêt public, pour le bien commun, parce qu'ils
ont été adoptés par des législatures élues démocra-
tiquement ou mis en oeuvre par leurs mandataires.
Même si cela était vrai, le législateur ou l'autorité
qui met en oeuvre les textes législatifs pourraient
quand même porter atteinte aux droits des indivi-
dus ou des groupes. En outre, en l'espèce, bien
qu'aucune preuve de mauvaise foi n'ait été rappor-
tée jusqu'ici, on peut voir que les défendeurs ont
poursuivi et piégé la demanderesse en se servant de
leurs pouvoirs de réglementation. Au début, la
demanderesse dirigeait conformément à la loi son
entreprise génératrice d'emplois. Puis, un ou plu-
sieurs des subordonnés des défendeurs l'ont appa-
remment empêchée illégalement d'exporter de
courtes planchettes de cèdre. La demanderesse a
alors intenté la présente poursuite. Se rendant sans
doute compte ou ayant été informés du fait qu'ils
n'avaient pas raison, les défendeurs ont contre-
mandé leurs ordres. Dix jours plus tard, et comme
pour tenir lieu de déclaration, les défendeurs ont
pris un décret portant inscription de l'article 2003
sur la Liste de marchandises d'exportation con-
trôlée, ce qui aurait pu, et dans les faits, a mis un
terme à l'entreprise génératrice d'emplois. Les
défendeurs bénéficiaient de l'avantage merveilleux
de pouvoir élaborer et modifier la loi de façon
précise pour faire obstacle à l'entreprise de la
demanderesse et faire échec aux recours légaux
mis en œuvre par suite de leur intervention. Si
l'injonction interlocutoire n'était pas accordée, la
demanderesse pourrait être privée des ressources
nécessaires pour porter sa cause devant les
tribunaux.
Si l'intérêt public ou le bien commun a pris un
nouveau visage depuis que les défendeurs ont illé-
galement fait obstacle à l'exportation par la
demanderesse de courtes planchettes de cèdre, le
public ne peut pas s'en être rendu compte. Pour
l'essentiel, il ne s'agit pas d'une cause dans laquelle
un requérant contrevient à la loi existante (comme
dans l'exemple donné par le juge Linden dans
l'affaire Morgentaler et al. v. Ackroyd et al.
(1983), 42 O.R. (2d) 659 (H.C.)) et cherche en
même temps à en empêcher l'application. En l'es-
pèce, le législateur a adopté une nouvelle loi pour
piéger un entrepreneur et employeur respectueux
de la loi. La règle de droit impérative, consacrée
par la Constitution, ayant fait place ici à une
illusion, la demanderesse a uniquement droit au
statu quo pour elle et ses employés, jusqu'à ce que
les questions sérieuses qu'elle soulève aient été
tranchées définitivement.
Il s'agit d'un cas limite, il convient de le recon-
naître, car l'exercice du pouvoir politique par le
gouvernement fédéral ne doit pas être trop facile-
ment mis en échec. Quoiqu'il en soit, il ne fait pas
de doute quelle partie doit avoir gain de cause dans
la présente demande d'injonction interlocutoire.
En sa capacité d'autorité investie du pouvoir délé-
gué de faire des règlements, même le gouverneur
en conseil, par sa façon de s'acquitter de sa mis
sion, en raison des avis sur lesquels il semble se
fonder ou par le fait qu'il semble se prévaloir d'un
avantage excessif pour atteindre les objectifs du
gouvernement, peut être à l'origine d'une injonc-
tion interlocutoire dont le gouvernement fera l'ob-
jet jusqu'au jugement définitif. Tel est bien le cas
en l'espèce. Il s'agit à n'en pas douter d'un cas
d'exemption.
Comment mesurer les dommages dans une
affaire relevant du droit public, et non du droit
commercial, comme celle-ci? La demanderesse a
offert de garantir les défendeurs contre les dom-
mages qu'ils pourraient subir par suite de l'obten-
tion de l'injonction interlocutoire. Ni les défen-
deurs ni le public ne subiront de dommages. Si la
demanderesse peut remettre sur pied son entre-
prise et rappeler ses employés, tout le monde sera
gagnant.
La demanderesse a le droit d'obtenir l'injonction
interlocutoire qu'elle demande, pour interdire aux
défendeurs, sauf à Sa Majesté, de faire obstacle à
l'exportation par la demanderesse de courtes plan-
chettes de cèdre jusqu'à ce que l'action qu'elle a
intentée soit jugée, ou que la Cour n'ordonne
autrement. Afin de maintenir l'injonction dans les
limites d'un cas d'exemption, la demanderesse doit
être titulaire de la licence d'exportation appro-
priée, dont la délivrance par les défendeurs est
ordonnée pour la durée du litige.
Sauf si la demanderesse, avec la collaboration
des défendeurs, procède avec toute la diligence et
la résolution voulues, les défendeurs peuvent, bien
entendu, demander péremptoirement la prise d'une
ordonnance pour écarter cette injonction. Au
besoin, la demanderesse peut, bien sûr, faire exé-
cuter l'ordonnance de la Cour dans l'éventualité
peu probable de son non-respect. À la lumière de
la décision Bhatnager [Bhatnager c. Canada
(Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988]
1 C.F. 171 (C.A.)] rendue récemment, il va sans
dire que l'avocat devrait communiquer les termes
de l'injonction interlocutoire aux défendeurs.
En accordant à la demanderesse ses frais suivant
le sort de la cause, la Cour n'émet pas de critique
défavorable sur la conduite de l'avocat des défen-
deurs. Sa conduite a été la quintessence du profes-
sionalisme chez un adversaire raisonnable et coo-
pératif, mais néanmoins efficace.
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