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A-672-88
Alliance de la Fonction publique du Canada (requérante)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représen- tée par le Conseil du Trésor (intimée)
RÉPERTORIÉ: ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA C. CANADA (CONSEIL DU TRÉSOR)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Huges- sen—Ottawa, 22 et 27 septembre 1988.
Fonction publique Compétence Demande d'examen d'une décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique qui a rejeté une exception déclinatoire de compétence L'intimée a présenté un relevé des employés désignés en vertu de l'art. 79(2) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique vingt jours après celui l'avis de négociations collectives avait été donné Demande accueillie La Commission était d'avis que le processus de conciliation reposait sur l'obligation du gouvernement de pré- senter le relevé et que le délai pour ce faire était fourni à titre indicatif seulement Le mot «doit» figurant dans la disposi tion législative donnait à la présentation du relevé un caractère impératif Il s'agit de savoir si la fourniture d'une liste d'employés dont on propose la désignation est une obligation qui incombe à l'employeur ou s'il s'agit d'un pouvoir qu'il est libre d'exercer ou non Les fonctionnaires régis par la Loi ont le droit fondamental d'adhérer au syndicat de leur choix, de négocier collectivement et de faire la grève L'art. 79 permet à l'employeur de soumettre une liste dans le délai prescrit et sous-entend que, s'il ne la présente pas dans les délais prévus, les parties sont présumées avoir convenu qu'il n'y aura pas d'employés désignés au sein de l'unité de négocia- tion Si la thèse de la Commission était poussée à sa limite logique, l'employeur pourrait faire échouer le mécanisme de la négociation collective en refusant de soumettre une liste d'em- ployés désignés Si le délai de présentation de cette liste est inadéquat, la loi pourrait être modifiée.
Interprétation des lois Demande fondée sur l'art. 28, visant l'examen de la décision de la Commission des relations de travail dans la Fonction publique qui a rejeté une exception déclinatoire de compétence La Commission était d'avis que même si l'obligation de présenter un relevé de personnes désignées en vertu de l'art. 79(2) de la Loi était impérative, le délai de présentation de ce relevé était fourni à titre indicatif seulement L'interprétation de la Commission est contraire à l'objet de la Loi qui garantit aux fonctionnaires le droit de s'associer, de négocier collectivement et de faire la grève Cette interprétation est erronée puisqu'elle pourrait faire échouer le processus de conciliation au cas l'employeur refuserait de soumettre la liste de persones désignées.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi d'interprétation, S.R.C. 1970, chap. 1-23, art. 28.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 28.
Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, chap. P-35, - art. 79(l), (2),(3),(4),(5), 101(1)c).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS CITÉES:
Howard v. Bodington (1877), 2 P.D. 203 (Ct of Arches); Cullimore v. Lyme Regis Corporation, [ 1962] 1 Q.B. 718 (H.C.); Montreal Street Railway Company v. Norman- din, [1917] A.C. 170 (P.C.); Re Metropolitan Toronto Board of Police Commissioners and Metropolitan Toronto Police Association (Unit B) et al. (1973), 37 D.L.R. (3d) 487 (Ont. H.C.).
AVOCATS:
Andrew J. Raven pour la requérante. Harvey Newman pour l'intimée.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Houston, Greenberg, O'Grady, Morin, Ottawa, pour la requérante. Le sous-procureur général du Canada pour l'intimée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN: La présente demande fondée sur l'article 28 tend à l'examen et à l'annu- lation d'une décision par laquelle la Commission des relations de travail dans la Fonction publique a rejeté une exception déclinatoire de compétence soulevée par la requérante, l'Alliance de la Fonc- tion publique du Canada. Cette exception était fondée sur le fait - reconnu par les parties - que l'employeur avait prétendu fournir un relevé des employés désignés en vertu du paragraphe 79(2) de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique' plus de vingt jours après celui l'avis de négociations collectives avait été donné. La disposition législative pertinente est l'ar- ticle 79 de la Loi:
79. (1) Nonobstant l'article 78, il ne doit pas être établi de bureau de conciliation pour l'enquête et la conciliation d'un différend relatif à une unité de négociation tant que les parties ne se sont pas mises d'accord ou que la Commission n'a pris, aux termes du présent article, aucune décision sur la question de savoir quels sont les employés ou les classes d'employés de l'unité de négociation (ci-après dans la présente loi appelés «employés désignés») dont les fonctions sont, en tout ou en
I S.R.C. l970, chap. P-35.
partie, des fonctions dont l'exercice à un moment particulier ou après un délai spécifié est ou sera nécessaire dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public.
(2) Dans les vingt jours qui suivent celui l'avis de négocia- tions collectives est donné par l'une ou l'autre des parties aux négociations collectives, l'employeur doit fournir à la Commis sion et à l'agent négociateur de l'unité de négociation en cause un relevé des employés ou classes d'employés de l'unité de négociation que l'employeur considère comme des employés désignés.
(3) Si aucune opposition au relevé mentionné au paragraphe (2) n'est faite à la Commission par l'agent négociateur dans tel délai consécutif à la réception de ce relevé par l'agent négocia- teur que peut fixer la Commission, ce relevé doit être considéré comme un relevé des employés ou des classes d'employés de l'unité de négociation qui, par convention des parties, sont des employés désignés. Toutefois, lorsqu'une opposition à ce relevé est faite à la Commission par l'agent négociateur dans le délai ainsi prescrit, la Commission, après avoir examiné l'opposition et avoir donné à chaque partie l'occasion de communiquer ses observations, doit décider quels employés ou quelles classes d'employés de l'unité de négociation sont des employés désignés.
(4) Une décision prise par la Commission en conformité du paragraphe (3) est définitive et péremptoire à toutes fins de la présente loi. Le Président doit la communiquer par écrit aux parties aussitôt que possible.
(5) Dans le délai et de la manière que peut prescrire la Commission, tous les employés d'une unité de négociation qui sont, par convention des parties ou par décision de la Commis sion en conformité du présent article, des employés désignés doivent en être informés par la Commission.
Pour mieux comprendre le problème, il y a lieu de noter que la procédure de «désignation» des employés ne s'applique qu'à la méthode de règle- ment des différends par «conciliation et grève» prévue par la Loi (l'autre possibilité est l'arbitrage obligatoire) et que le résultat final de cette procé- dure est de priver les employés «désignés» de leur droit de grève (voir l'alinéa 101(1)c)). Ainsi, bien que la méthode soit de toute évidence conçue, comme le paragraphe 79(1) lui-même l'énonce, s. .. dans l'intérêt de la sûreté ou de la sécurité du public», elle représente une arme puissante dans les mains de l'employeur qui fait face à la négociation collective et à une possibilité de grève.
La Commission a formulé dans les termes sui- vants la question qui lui était soumise:
Pour dire les choses simplement, il s'agit ici de déterminer si l'exigence énoncée au paragraphe 79(2) de la Loi, soit que le relevé doit être présenté «Dans les vingt jours qui suivent celui l'avis de négociations collectives est donné ...» est impéra- tive ou seulement indicative.
En toute déférence, j'estime que la Commission a exposé incorrectement la question. Il ne fait pas de doute dans mon esprit que le mot «doit» qui est employé au paragraphe 79(2) se voulait impératif: c'est le sens courant qu'en donnent les dictionnai- res, ainsi que le sens qu'impose la loi (voir la Loi d'interprétation 2 , article 28). Le mot revient à cinq autres reprises à l'article 79, chaque fois dans un sens de toute évidence impératif, et il y a une forte présomption qu'il devrait avoir le même sens au paragraphe (2). Le véritable problème, il me semble, est de savoir si la fourniture d'une liste d'employés dont on propose la désignation est une obligation qui incombe à l'employeur ou s'il s'agit simplement d'un pouvoir qu'il est libre d'exercer ou non comme il le juge bon. Dans la première hypothèse, il semble que la règle soit qu'il ne faudrait pas conclure que le défaut de s'acquitter de l'obligation dans le délai ou de la façon prévus prive d'autres personnes intéressées de leurs droits 3 . Si l'on formule le principe en fonction de la situation concrète de la présente affaire, si le gouvernement avait l'obligation de désigner des employés, son défaut de le faire en temps opportun ne doit pas porter atteinte à la sûreté et à la sécurité du public.
Si, en revanche, on considère le paragraphe 79(2) comme simplement facultatif, le pouvoir conféré doit être exercé de la façon et dans les délais prévus ou pas du tout.
La Commission était manifestement d'avis que le gouvernement était tenu d'agir aux termes du paragraphe 79(2). Elle a déclaré:
Le fait que l'employeur a négligé de proposer la désignation d'employés exactement dans la période prescrite de vingt jours ne doit pas compromettre la sûreté ou la sécurité du public.
Dans les motifs de sa décision, la Commission a cité et approuvé la décision qu'elle avait elle-même rendue antérieurement dans l'affaire Sa Majesté du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor et le Conseil des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral (côte est) (dossier 181-2-162 de la Commission):
s S.R.C. 1970, chap. 1-23.
3 Voir Howard y. Bodington (1877), 2 P.D. 203 (Ct of Arches); Cullimore y. Lyme Regis Corporation, [1962] 1 Q.B. 718 (H.C.); Montreal Street Railway Company v. Normandin, [1917] A.C. 170 (P.C.); Re Metropolitan Toronto Board of Police Commissioners and Metropolitan Toronto Police Asso ciation (Unit B) et al. (1973), 37 D.L.R. (3d) 487 (Ont. H.C.).
La Commission juge que le délai prévu au paragraphe 79(2) est fourni à titre indicatif seulement. Même si le libellé peut paraître impératif à première vue, il est manifeste que dans le contexte global de la Loi, le législateur n'entendait pas que le délai prescrit ait un caractère d'obligation. L'article 79 vise à garantir la sûreté ou la sécurité du public pendant une grève. On ne doit pas interpréter le paragraphe 79(2) de manière à contrecarrer le but visé par l'article 79, seulement parce que l'employeur n'a pas respecté rigoureusement le délai prévu.
Signalons que si la Commission acceptait de considérer que le délai prévu au paragraphe 79(2) de la Loi a un caractère d'obligation et que l'employeur ne pouvait proposer, aux termes de l'article 79, la désignation de certains employés, il serait impossible d'établir un bureau de conciliation. Pour être plus précis, le paragraphe 79(1) prévoit qu'on ne peut établir un bureau de conciliation pour l'enquête et la conciliation d'un différend «tant que les parties ne se sont pas mises d'accord ou que la Commission n'a pris, aux termes du présent article,» de décision en ce qui concerne les employés ou les classes d'em- ployés dont les fonctions sont nécessaires à la sûreté ou à la sécurité du public. Ainsi, l'agent négociateur allègue essentiel- lement que l'employeur n'ayant pas déposé le relevé en question dans le délai prévu au paragraphe 79(2), les parties conviennent qu'aucun employé membre de l'unité de négociation ne doit être désigné. Rien dans le libellé de l'article 79 ne vient corroborer cette opinion. S'il n'était pas permis à l'employeur de déposer le relevé précisé au paragraphe 79(2), les parties ne pourraient tout simplement pas parvenir à l'entente prévue par ce paragraphe. Le processus de désignation énoncé à l'article 79 serait alors dans une impasse, ce qui, nous le répétons, empê- cherait l'établissement d'un bureau de conciliation.
Ce raisonnement me donne de grandes difficul- tés. Bien qu'on ne puisse mettre en doute l'obliga- tion qu'a le gouvernement d'agir dans l'intérêt du public, cet intérêt s'étend bien au-delà des ques tions de sûreté ou de sécurité. Il doit également inclure, comme la lecture de l'ensemble de la Loi l'indique clairement, le droit des fonctionnaires d'adhérer au syndicat de leur choix, de négocier collectivement et, finalement, de faire la grève. La Loi ne met certainement pas à la charge de l'em- ployeur une obligation précise de désigner des employés dans chaque cas, alors qu'elle l'oblige dans les termes les plus nets à négocier de bonne foi et à ne pas porter atteinte au droit d'association des employés.
Je trouve le raisonnement formulé au second paragraphe précité particulièrement troublant. Il semble reposer sur l'hypothèse que dans chaque unité de négociation de la fonction publique du Canada, il doit y avoir au moins un employé qui est essentiel à la sûreté ou à la sécurité du public; j'ai de la difficulté à rattacher cette hypothèse à la réalité. De plus, si l'on poussait la thèse de la Commission à sa limite logique, l'employeur pour-
rait faire échouer le processus de conciliation et, de ce fait, tout le mécanisme de la négociation collec tive, en recourant au simple expédient qui consiste à refuser de soumettre une liste d'employés dési- gnés. Il me semble beaucoup plus raisonnable d'in- terpréter l'article 79 comme permettant à l'em- ployeur de soumettre une liste dans le délai prescrit et comme sous-entendant que, s'il ne la présente pas dans les délais prévus, les parties sont présumées avoir convenu qu'il n'y aura pas d'em- ployés désignés au sein de l'unité de négociation concernée. Cette interprétation me semble s'accor- der davantage avec l'économie de l'ensemble de la Loi et avec le contexte général du droit et de la pratique actuels des relations de travail au Canada.
Une dernière remarque. Il s'agit ici vraisembla- blement d'une cause type. Je suis étonné d'appren- dre que la situation dont nous sommes saisis n'est pas unique. Au moment de l'audience qui s'est déroulée devant la Commission, il y avait dix-neuf affaires en instance dans lesquelles l'employeur n'avait pas respecté le délai prévu à l'article 79(2). Il se peut que cela soit attribuable à une simple négligence ou il se peut que cela indique que le délai prévu est trop court. Dans ce dernier cas, le recours consiste à modifier la loi et non à l'inter- préter d'une manière qui fait violence à son libellé. Il y a lieu de noter que l'employeur n'a pas essayé de justifier le dépôt tardif et, par conséquent, je n'écarte pas la possibilité que la Commission pour- rait, dans certaines circonstances et si l'on démon- tre l'existence d'une raison valable, libérer le gou- vernement des conséquences de son manquement.
Je suis d'avis d'accueillir la demande fondée sur l'article 28, d'annuler la décision attaquée et de renvoyer l'affaire à la Commission pour qu'elle rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.
LE JUGE HEALD: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris à ces motifs.
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