A-527-87
André Giroux (requérant)
c.
Commission de l'Emploi et de l'Immigration du
Canada (intimée)
et
Sous-procureur général du Canada (mis-en-
cause)
RÉPERTORIÉ: GIROUX c. CANADA (COMMISSION DE L'EMPLOI
ET DE L'IMMIGRATION DU CANADA) (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Lacombe et Desjar-
dins—Montréal, 2 mars; Ottawa, 15 avril 1988.
Assurance-chômage — Ouvrier de la construction du
Québec ayant reçu aux termes du Décret de la construction des
indemnités de congés annuels obligatoires de l'Office de la
construction du Québec — Les paiements ont été reçus en
décembre 1985 et en 1986, durant les périodes de chômage
alors que le requérant bénéficiait des prestations d'assurance-
chômage — Les paiements en question n'étaient pas des rému-
nérations au sens du Règlement sur l'assurance-chômage; ils
constituaient plutôt un remboursement de ses épargnes — Les
ouvriers de la construction du Québec sont régis par le Décret
de la construction et ils méritent de bénéficier du même
traitement que celui accordé aux ouvriers de l'Ontario régis
par des conventions collectives — Les mots »et qui se rappor-
tent à la cessation définitive de son emploi» dans l'art. 57(3)h)
du Règlement qualifient à la fois les sommes payables en vertu
d'une politique et celles payables en vertu d'une convention
collective — Le pouvoir de la Commission d'établir les règle-
ments prévoyant la répartition de la rémunération comprend
aussi celui qui lui permet de dire pour quelle semaine une
rémunération a été gagnée.
Il s'agit en l'espèce d'une demande en annulation de la
décision du Conseil arbitral selon laquelle les indemnités de
congés que le requérant a reçues de l'Office de la construction
du Québec en décembre 1985 et en 1986, alors qu'il était en
chômage et bénéficiait des prestations de l'assurance-chômage,
constituaient des rémunérations. Les conditions de travail du
requérant étaient fixées par le Décret de la construction du
Québec qui prévoyait que tout employeur est tenu de verser à
l'Office de la construction du Québec, à titre d'indemnités de
congés annuels, le pourcentage retenu sur les rémunérations du
salarié. Ces sommes sont par la suite versées au salarié aux
dates prévues. Le requérant a prétendu que les sommes reçues
n'étaient pas des rémunérations au sens de l'article 57 du
Règlement. Il s'est fondé sur l'affaire Bryden c. Commission de
l'emploi et de l'immigration, [1982] 1 R.C.S. 443, dans
laquelle la Cour suprême du Canada a décidé que la paye de
vacances versée en vertu d'une convention collective intervenue
entre le syndicat de l'employé et la Boilermakers Contractors'
Association constituait un remboursement de ses économies. Le
requérant a contesté la décision de l'affaire Daigle c. Commis
sion de l'emploi et de l'immigration rendue par la Cour d'appel
fédérale qui établissait une distinction avec l'affaire Bryden,
sous prétexte que dans cette cause, les employés pouvaient
demander le retrait des sommes versées avant l'époque de leurs
vacances et qu'en outre, les paiements avaient été faits confor-
mément à un contrat et non pas aux termes d'un décret comme
le Décret de la construction du Québec. La Cour d'appel
fédérale a suivi la décision de l'affaire Bryden dans Vennari c.
Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada), [1987] 3 C.F. 129, dans laquelle la paye de vacances
avait été versée dans les mêmes circonstances que l'affaire
Bryden. Deuxièmement, le requérant a soutenu que les sommes
dont il s'agit lui avaient été payées dans les circonstances
décrites à l'alinéa 57(3)h). L'alinéa en question prévoit que
dans le cas où la teneur d'une politique écrite d'un employeur
sur les sommes payables à la cessation définitive d'un emploi
est établie par des documents démontrant qu'en fait, cette
politique existait avant le 31 décembre 1984, toutes les sommes
payables en vertu de cette convention ou politique «et qui se
rapportent à la cessation définitive de son emploi», y compris la
paye de vacances, ne sont pas des rémunérations. Le requérant
a prétendu que la paye de vacances avait été versée en vertu
d'une convention collective en vigueur avant le 31 décembre
1984; il s'ensuit que cette paye n'avait pas valeur de rémunéra-
tion même si elle n'a pas été versée en rapport avec la cessation
de son emploi. Le requérant s'est fondé sur l'interprétation de
l'alinéa 57(3)h) donnée par le juge Stone dans l'affaire Vennari
selon laquelle les mots «et qui se rapportent à la cessation
définitive de son emploi» qualifient seulement les sommes paya-
bles en vertu d'une convention collective. Troisièmement, il a
fait valoir qu'en supposant que les indemnités qu'il a reçues
aient une valeur de rémunérations, il s'agissait de rémunéra-
tions pour les semaines de travail au cours desquelles elles
avaient été gagnées de sorte qu'elles ne pouvaient être réparties
sur d'autres semaines. Le requérant a fondé cet argument sur
l'opinion du juge en chef Thurlow dans l'affaire Vennari.
Arrêt: l'appel doit être accueilli.
Les indemnités de congés annuels obligatoires n'avaient pas
de valeur de rémunération au sens de l'article 57 du Règlement.
La Cour d'appel fédérale a commis une erreur en établissant
une distinction entre l'affaire Daigle et l'affaire Bryden. Même
si le Décret de la construction du Québec est un acte de nature
législative, il n'en reste pas moins qu'il est fondé sur une
convention collective librement négociée. Les conditions de
travail prévues dans une convention collective sont imposées à
tout employé comme lui sont imposées celles que prévoit un
décret. Le fait que les employés ne peuvent en raison du décret
réclamer les indemnités de congés qu'aux dates prévues ne
permet pas de conclure que ce ne soit pas pour le compte des
employés que ces sommes sont détenues. Puisque l'employé a
droit aux intérêts des sommes que l'Office a reçu de son
employeur, il s'ensuit que l'Office détient ces sommes pour son
compte. Les ouvriers de la construction en Ontario et au
Québec devraient être traités de même façon.
Comme on l'a indiqué à propos du deuxième argument dans
l'affaire Vigneault c. Canada (Commission de l'emploi et de
l'immigration du Canada), [1989] 1 C.F. 294, l'affaire Vennari
a, sur ce point, été mal jugée.
En ce qui concerne le troisième argument, le raisonnement
du juge en chef Thurlow dans l'affaire Vennari n'a pas tenu
compte du pouvoir de répartition que la Loi accorde à la
Commission, ni du pouvoir lui permettant de dire pour quelle
semaine une rémunération a été gagnée. Lorsqu'une rémunéra-
tion doit, suivant l'article 58 du Règlement, être répartie sur
une semaine de chômage, cette rémunération est censée être
une rémunération pour cette semaine-là, si elle vient récompen-
ser un travail effectué auparavant. Le pouvoir de répartition
que la Loi accorde à la Commission est conféré malgré le fait
que c'est par son travail que l'employé gagne toutes les sommes
que lui verse son employeur.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret de la construction, R.R.Q. 1981, chap. R-20, r. 5,
art. 20.01, 20.06, 20.07.
Loi de 1971 sur l'assurance-chômage, S.C. 1970-71-72,
chap. 48, art. 26(2), 91.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap.
10, art. 28.
Loi sur les relations du travail dans l'industrie de la
construction, L.R.Q., chap. R-20.
Règlement sur l'assurance-chômage, C.R.C., chap. 1576,
art. 57 (mod. par DORS/85-288, art. 1), 58(13) (mod.,
idem, art. 2).
JURISPRUDENCE
DECISION SUIVIE:
Bryden c. Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada, [1981] 2 C.F. 91 (C.A.); inf. [1982] I R.C.S.
443.
DECISIONS NON SUIVIES:
Daigle c. Commission de l'emploi et de l'immigration,
A-547-83, juge Pratte, jugement en date du 19-1-84,
C.A.F., non publié; Vennari c. Canada (Commission de
l'emploi et de l'immigration du Canada), [1987] 3 C.F.
129 (C.A.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Commission d'assurance-chômage c. Serge Baril,
CUB -4604.
DÉCISION CITÉE:
Vigneault c. Canada (Commission de l'emploi et de
l'immigration du Canada), [1989] 1 C.F. 294 (C.A.).
AVOCATS:
Guy Martin pour le requérant.
Carole Bureau et Guy LeBlanc pour l'intimée.
PROCUREURS:
Sauvé, Ménard & Associés, Montréal, pour le
requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimée.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE PRATTE: Le requérant demande l'an-
nulation en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10]
d'une décision d'un conseil arbitral constitué en
vertu de l'article 91 de la Loi de 1971 sur l'assu-
rance-chômage [S.C. 1970-71-72, chap. 48]. Par
cette décision, le conseil a jugé que des sommes
reçues par le requérant en décembre 1985 et 1986
de l'Office de la construction du Québec à titre
d'indemnités de congés annuels constituaient des
rémunérations au sens de l'article 57 du Règle-
ment sur l'assurance-chômage [C.R.C., chap.
1576] qui devaient être réparties en la façon
prévue au paragraphe 58(13) [mod. par
DORS/85-288, art. 2] du Règlement.
Le requérant est menuisier. En 1985 et 1986 il a
travaillé pour un entrepreneur en bâtiment et ses
conditions de travail étaient fixées par le Décret de
la construction (R.R.Q. 1981, chap. R-20, r. 5)
adopté par le gouvernement du Québec en vertu de
la Loi sur les relations du travail dans l'industrie
de la construction (L.R.Q., chap. R-20). Aux
termes de ce décret, tout salarié bénéficie, chaque
année, de quatre semaines de congés obligatoires
et l'employeur, en plus de payer le salaire de ses
employés, doit leur créditer chaque semaine, à titre
d'indemnité de congés annuels, une somme égale à
6 pour cent du salaire qu'ils ont gagné durant cette
semaine. Chaque mois, l'employeur doit verser les
montants ainsi portés au crédit de chaque salarié à
l'Office de la construction du Québec qui doit
lui-même les payer aux salariés aux dates prévues.
C'est là ce que prescrivent les articles 20.01 et
20.06 du décret:
20.01. Congés annuels obligatoires: Tout salarié bénéficie
chaque année de 4 semaines de congé annuel obligatoire qu'il
prend de la façon suivante:
1) Été: Tous les chantiers de construction doivent être
fermés pendant les 2 dernières semaines civiles complètes du
mois de juillet ...
20.06. Indemnité de congés annuels obligatoires et de jours
fériés chômés:
1) Montant de l'indemnité: À la fin de chaque semaine,
l'employeur doit créditer à chacun de ses salariés, à titre
d'indemnité de congés annuels obligatoires et de jours fériés
chômés, une somme égale à 10% du salaire gagné durant cette
semaine, soit 6% en congés annuels obligatoires et 4% en jours
fériés chômés.
2) Obligation de l'employeur: L'employeur doit transmettre
avec son rapport mensuel à l'Office les montants portés au
crédit de chacun de ses salariés.
3) Périodes de référence: Il y a 2 périodes de référence:
a) la première: du 1°' janvier au 30 avril;
b) la deuxième: du 1" mai au 31 décembre.
4) Versement de l'indemnité des congés annuels obligatoires
et des jours fériés chômés:
a) l'Office doit verser au salarié l'indemnité perçue pour la
première période de référence au moyen d'un chèque expédié
par la poste à la dernière adresse connue de l'intéressé, dans les
8 premiers jours du mois de décembre de l'année courante.
b) l'Office doit verser au salarié l'indemnité perçue pour la
deuxième période de référence au moyen d'un chèque expédié
par la poste à la dernière adresse connue de l'intéressé, dans les
8 premiers jours du mois de juillet de l'année suivante.
c) Nul ne peut réclamer avant le 10 décembre ou le 10 juillet
suivant le cas, l'indemnité de congés annuels obligatoires et de
jours fériés chômés.
d) Par dérogation au sous-paragraphe c, à la suite du décès
d'un salarié, ses héritiers légaux peuvent réclamer l'indemnité
de congés annuels obligatoires et de jours fériés chômés de ce
salarié.
20.07. Intérêts: Les intérêts des montants perçus au titre des
congés annuels obligatoires et des jours fériés chômés qui ne
sont pas utilisés aux fins et dans les limites permises par la Loi
doivent être remis aux salariés de la construction au prorata
des montants qu'ils reçoivent.
Le requérant fut mis à pied pour manque de
travail le 13 décembre 1985. On le rappela au
travail le 10 février 1986. Il fut de nouveau mis à
pied pour le même motif le 12 décembre suivant et
rentra au travail le 1e' mars 1987. Pendant ces
deux périodes de chômage, le requérant réclama et
reçut des prestations d'assurance-chômage. Dans
le cours du mois de décembre en 1985 et en 1986,
l'Office de la construction du Québec lui paya les
indemnités de congés annuels obligatoires auxquel-
les il avait droit en vertu du décret. Le requérant
reçut ainsi 295,67 $ en décembre 1985 et 390 $ en
décembre 1986. La Commission intimée jugea
qu'il s'agissait là de payes de vacances payées par
rapport aux périodes de vacances d'hiver prévues
au décret et, en conséquence, elle en effectua la
répartition conformément à l'alinéa 58(13)a) du
Règlement sur l'assurance-chômage'. Le requé-
rant contesta cette décision et en appela devant le
' Il convient ici de citer tout le paragraphe 58(13) du Règle-
ment tel qu'il se lisait alors:
(Suite à la page suivante)
Conseil arbitral. Son appel fut rejeté. De là, ce
pourvoi.
Le requérant prétend d'abord que les sommes
qu'il a reçues de l'Office de la construction
n'étaient pas des «rémunérations» au sens de l'arti-
cle 57 du Règlement sur l'assurance -chômage et
que, en conséquence, la Commission n'avait pas le
pouvoir de les répartir en vertu de l'article 58. Le
requérant a appuyé sa proposition sur deux argu
ments. Il a d'abord dit que les sommes en question
avaient été reçues et détenues pour son compte par
l'Office de la construction du Québec de sorte
qu'en les lui versant l'Office n'avait fait que lui
rembourser ses épargnes. En second lieu, il a sou-
tenu que les sommes dont il s'agit lui avaient été
payées dans les circonstances décrites à l'alinéa
57(3)h) [mod. par DORS/85-288, art. 1] du
Règlement et que, en conséquence, elles n'avaient
pas valeur de rémunérations.
Le requérant a aussi fait valoir que, de toute
façon, en supposant que les indemnités qu'il a
reçues aient eu valeur de rémunérations, il s'agis-
sait de rémunérations pour les semaines de travail
au cours desquelles elles avaient été gagnées de
sorte qu'elles ne pouvaient être réparties sur d'au-
tres semaines que celles-là.
Je veux étudier chacun de ces arguments, en
commençant par le dernier, dans l'ordre inverse à
celui que je viens d'utiliser.
(Suite de la page précédente)
58....
(13) La paye de vacances d'un prestataire doit être répartie:
a) si elle est payée ou payable par rapport à une période de
vacances précise, sur un nombre de semaines consécutives
commençant par la première semaine et se terminant par la
dernière semaine de cette période;
b) si elle ne se rapporte pas à une période de vacances précisé
et qu'elle est payée ou payable à cause du licenciement ou de la
cessation d'emploi, sur un nombre de semaines consécutives
dont la première est celle du licenciement ou de la cessation
d'emploi, de sorte que la rémunération du prestataire pour
chacune de ces semaines, sauf la dernière, soit égale au taux
hebdomadaire de sa rémunération normale provenant de
l'employeur;
c) dans les autres cas, sur un nombre de semaines consécutives
dont la première est la semaine dans laquelle elle est payée ou
payable, de sorte que le montant de paye de vacances du
prestataire pour chacune de ces semaines, sauf la dernière, soit
égal au taux hebdomadaire de la rémunération normale du
prestataire provenant de l'employeur.
1. Si les indemnités de congés annuels sont des
rémunérations, sont-elles des rémunérations
pour les semaines de travail ou de chômage?
S'il est important en l'espèce de déterminer la
façon de répartir les indemnités de congés annuels
reçues par le requérant, c'est en raison du paragra-
phe 26(2) de la Loi qui prévoit que le montant des
prestations d'assurance-chômage doit être réduit
lorsque le prestataire reçoit une rémunération pour
une semaine de chômage 2 .
Le paragraphe 26(2) ne s'applique, dit le requé-
rant, que dans le cas où le prestataire reçoit une
rémunération pour une période comprise dans une
semaine de chômage. Or, poursuit-il, en l'espèce,
les indemnités constituent des rémunérations non
pas pour des périodes de chômage mais pour des
périodes de travail puisque c'est en travaillant que
le prestataire les a gagnées. Il s'ensuit que, suivant
le requérant, ces indemnités ne pouvaient être
réparties sur d'autres périodes que celles où elles
ont été gagnées puisque la Commission n'a pas le
pouvoir de répartir sur une semaine de chômage
une rémunération qui, en fait, est la rémunération
d'une semaine de travail.
Le requérant fonde ce raisonnement difficile à
saisir sur l'opinion du juge en chef Thurlow dans
l'affaire Vennari c. Canada (Commission de l'em-
ploi et de l'immigration du Canada) 3 . Vennari
avait reçu une paye de vacances dans des circons-
tances analogues à celles dont il s'agit ici. Le juge
en chef affirma que si cette paye de vacances était
une rémunération, elle était une rémunération
pour les semaines de travail au cours desquelles
elle avait été gagnée et que, en conséquence, il n'y
avait pas lieu d'appliquer l'article 26.
Ce raisonnement du juge en chef, je le dis avec
beaucoup d'hésitation, ne me convainc pas. À mon
avis, il ne tient pas compte du pouvoir de réparti-
tion que la Loi accorde à la Commission. Lorsque
2 Le texte du paragraphe 26(2) est le suivant:
26....
(2) Si un prestataire reçoit une rémunération pour une
partie d'une semaine de chômage non comprise dans le délai
de carence, la fraction de cette rémunération qui dépasse
vingt-cinq pour cent du taux des prestations hebdomadaires
du prestataire doit être déduite des prestations devant être
servies au prestataire au cours de cette semaine.
[1987] 3 C.F. 129 (C.A.).
l'alinéa 58q) confère à la Commission le pouvoir
d'établir des règlements prévoyant la répartition de
la rémunération par semaines'', elle lui accorde, à
mon avis, le pouvoir d'édicter des règlements per-
mettant de dire pour quelle semaine une rémuné-
ration a été gagnée. En conséquence, lorsqu'une
rémunération doit, suivant l'article 58 du Règle-
ment, être répartie sur une semaine de chômage,
cette rémunération est censée être une rémunéra-
tion pour cette semaine-là même si, en fait, elle
vient récompenser un travail effectué auparavant.
Dire le contraire me paraît nier à la Commission le
pouvoir de répartition que la Loi lui confère car,
en réalité, c'est par son travail que l'employé gagne
toutes les sommes que lui verse son employeur.
2. L'alinéa 57(3)h) du Règlement
Pour que l'article 26 de la Loi s'applique, il faut,
bien sûr, que le prestataire ait reçu une rémunéra-
tion. La Commission a défini, à l'article 57 du
Règlement, ce qui constitue une rémunération
pour les fins de l'article 26 et elle a précisé, au
paragraphe 57(3), que certaines sommes reçues
par le prestataire n'auraient pas valeur de rémuné-
rations, entre autres, celles que l'alinéa 57(3)h)
décrit de la façon suivante:
57. (3) .. .
h) sous réserve du paragraphe (3.1), lorsque
(i) la date d'entrée en vigueur d'une convention formelle
entre employeurs et employés portant sur une fermeture
d'usine ou une réduction des effectifs ou la date d'entrée en
vigueur d'une convention collective, tombe avant le 31
décembre 1984,
(ii) la teneur d'une politique écrite d'un employeur sur les
sommes payables à la cessation définitive d'un emploi est
établie par des documents démontrant qu'en fait, cette politi-
que existait avant le 31 décembre 1984,
toutes les sommes qui deviennent payables à un employé en
vertu de cette convention ou politique et qui se rapportent à la
cessation définitive de son emploi, y compris l'indemnité de
départ, la paye de vacances, les salaires tenant lieu de préavis et
toute somme reliée aux autres crédits accumulés, si elles sont
payables entre le 31 mars 1985 et la première des deux dates
4 Voici le texte de l'alinéa 58q) de la Loi:
58. La Commission peut, avec l'approbation du gouver-
neur en conseil, établir des règlements
q) définissant et déterminant la rémunération aux fins
du bénéfice des prestations, déterminant le montant de
cette rémunération, prévoyant sa répartition par semai-
nes et déterminant la moyenne des rémunérations heb-
domadaires assurables au cours des semaines de réfé-
rence des prestataires;
suivantes, soit le 26 mars 1988, soit la date d'expiration initiale
de ladite convention ou politique; ...
Le requérant prétend que les indemnités qu'il a
reçues lui ont été payées en vertu d'une convention
collective (celle qui a été extensionnée par le
décret) en vigueur avant le 31 décembre 1984; il
s'ensuit, soutient-il, que ces indemnités n'ont pas
valeur de rémunérations même s'il est constant
qu'elles ne lui ont pas été payées en rapport avec la
cessation de son emploi. Suivant le requérant, les
mots «et qui se rapportent à la cessation définitive
de son emploi» dans l'alinéa 57(3)h) qualifient
seulement les sommes payables en vertu d'une
politique et non celles payables en vertu d'une
convention collective. Le requérant fonde cette
interprétation sur le jugement de monsieur le juge
Stone dans l'affaire Vennari 5 .
Il est bien vrai que, dans Vennari, le juge Stone
a adopté cette interprétation de l'alinéa 57(3)h).
Cependant, comme j'ai déjà eu l'occasion de le
dire 6 , il a fondé cette conclusion sur le seul texte
anglais du Règlement. Si le texte français de cette
disposition avait été porté à son attention, il n'au-
rait pas décider comme il l'a fait puisque le texte
français, d'une part, dissipe toute ambiguïté que
peut comporter le texte anglais et, d'autre part, ne
peut se concilier avec l'interprétation qu'il a rete-
nue. Dans ces circonstances, il est clair que Ven-
nari a, sur ce point, été mal jugé.
3. L'indemnité payée au requérant par l'Office de
la construction était-elle constituée d'épargnes
du requérant?
J'en arrive, enfin, à l'argument principal du
requérant, savoir que les indemnités de congés
annuels qu'il a reçues de l'Office de la construction
n'avaient pas valeur de rémunérations parce que
ces sommes étaient, en réalité, des économies que
le requérant avait faites puisque l'Office les avait
reçues et conservées pour le compte du requérant.
Ce n'est pas la première fois que l'on s'interroge
sur la façon dont il faut répartir les indemnités de
vacances reçues pendant une période de chômage
par un ouvrier assujetti au Décret de la construc
tion du Québec. Ce n'est pas la première fois, non
plus, que l'on fait valoir l'argument que je viens de
5 Supra, note 3, à la p. 142.
6 Voir Vigneault c. Canada (Commission de l'emploi et de
l'immigration du Canada), [ 1989] 1 C.F. 294 (C.A.).
résumer. Les juges-arbitres ont d'abord été appelés
à se prononcer sur ce sujet; ils ont décidé à maintes
reprises que ces indemnités devaient être réparties
suivant le paragraphe 173(13) du Règlement (qui
est devenu par la suite le paragraphe 57(13)). En
1977, dans le CUB -4604 [Commission d'assu-
rance-chômage c. Serge Baril], monsieur le juge
Marceau, qui était alors juge de la Division de
première instance et siégait comme juge-arbitre,
expliquait ainsi cette jurisprudence [à la page 5]:
La première est que ce revenu d'emploi n'est pas payé à
l'employé avant qu'il ne soit versé par l'Office. On est porté de
prime abord à hésiter sur ce point en se demandant si l'Office
ne doit pas être vu comme un mandataire de l'employé chargé
de recevoir pour lui et d'agir par la suite un peu à la manitère
d'une banque. A la réflexion cependant on se rend compte qu'il
n'en est pas ainsi. L'Office agit en vertu des seules prescriptions
de la Loi et celles-ci prévoient un paiement en deux étapes:
l'une de l'employeur à l'Office qui libère le débiteur de son
obligation; l'autre de l'Office à l'employé qui éteint la créance
de ce dernier. La dette de l'employeur est payable tout au cours
de l'année mais la créance correspondante de l'employé n'est
réalisable qu'ultérieurement et à dates fixes, ce qui requiert
évidemment la présence d'un tiers. Il s'agit d'une situation très
exceptionnelle, mais c'est ainsi que la Loi l'a voulue, et les
pouvoirs du tiers, dans ces conditions, ne sauraient être considé-
rés comme venant tacitement de l'un ou de l'autre: ils viennent
de la Loi seule. Il est clair que la créance d'indemnité de
vacances de l'employé n'est direct et réalisable qu'à la date
prévue au décret, et ne lui est payée qu'au moment où l'Office
lui en verse le montant.
Un problème similaire, concernant une indem-
nité de vacances reçue par un ouvrier de l'Ontario,
fut soumis à cette Cour, puis à la Cour suprême du
Canada dans l'affaire Bryden c. Commission de
l'emploi et de l'immigration du Canada'. L'in-
demnité de vacances dont il s'agissait dans cette
affaire et qu'un employé du nom de Bryden avait
reçue pendant une période de chômage ne lui avait
pas été payée en vertu du Décret de la construction
du Québec mais, plutôt, en vertu d'une convention
collective intervenue entre le syndicat dont il fai-
sait partie et la Boilermakers Contractors' Asso
ciation. Cette convention, qui régissait les condi
tions de travail d'employés travaillant dans
diverses provinces, prévoyait que les employeurs
membres de l'Association paieraient à chaque
employé une indemnité de vacances basée sur le
montant de son salaire brut et que, sauf en Onta-
rio, cette indemnité devrait être incluse dans la
paye hebdomadaire de l'employé. La convention
7 [1981] 2 C.F. 91 (C.A.); infirmée [1982] 1 R.C.S. 443.
ajoutait que les employeurs de l'Ontario, tel l'em-
ployeur de Bryden, devraient payer cette indem-
nité chaque mois à un fonds en fiducie créé et géré
par l'Union. L'acte de fiducie précisait que ces
paiements seraient reçus des divers employeurs par
le fonds en fiducie «pour le compte de chaque
employé», que les fiduciaires administreraient ces
sommes et les remettraient normalement à chaque
employé vers le 15 juin et le 15 novembre. L'acte
de fiducie ajoutait que, à un moment quelconque
au cours de l'année, un employé pourrait deman-
der aux fiduciaires de lui verser sa paye de vacan-
ces à une autre date.
Bryden avait donc reçu des fiduciaires, pendant
une période de chômage, l'indemnité de vacances
prévue à la convention collective et à l'acte de
fiducie. La Commission avait réparti cette somme
conformément à l'alinéa 173(16) du Règlement
concernant la répartition des payes de vacances sur
la semaine pendant laquelle cette somme avait été
payée à Bryden et sur les semaines subséquentes.
Bryden, aussi bien devant cette Cour que devant
la Cour suprême, a prétendu que c'était pour son
compte à lui, Bryden, que les fiduciaires avaient
reçu paiement des sommes représentant son
indemnité de vacances et que, en conséquence, les
fiduciaires, en le payant, n'avaient fait que lui
rendre ses propres économies. Cet argument fut
rejeté par cette Cour qui jugea que Bryden n'avait
reçu son indemnité de vacances qu'au moment où
elle lui avait été payée par les fiduciaires. Cette
décision fut renversée par la Cour suprême du
Canada qui jugea que dès le moment où l'indem-
nité de vacances avait été reçue par les fiduciaires,
Bryden avait acquis un intérêt suffisant dans ces
sommes d'argent pour que l'on puisse dire que, dès
ce moment, ces sommes représentaient ses écono-
mies que les fiduciaires détenaient et adminis-
traient pour son compte. En payant Bryden, donc,
les fiduciaires ne lui avaient pas versé une indem-
nité de vacances, ils lui avaient plutôt remis ses
économies. Pour en arriver à cette conclusion, la
Cour fit état de ce que, dans ce cas-là comme dans
celui-ci, l'employeur avait déduit des sommes
payables aux fiduciaires l'impôt sur le revenu dû
par l'employé ainsi que sa part des primes d'assu-
rance-chômage; elle fit aussi état de ce que, sui-
vaut l'acte de fiducie, les indemnités de vacances
qui étaient normalement payables à des dates fixes
pouvaient être exceptionnellement réclamées par
les employés à une autre date.
Après cet arrêt de la Cour suprême, nous avons
eu à nous prononcer sur la répartition d'une
indemnité de congés obligatoires reçue par un
employé en chômage en vertu du Décret de la
construction du Québec. C'était dans l'affaire
Daigle 8 . Daigle invoquait l'arrêt Bryden à l'appui
de sa prétention que le montant qu'il avait reçu de
l'Office de la construction du Québec ne pouvait
être réparti comme paye de vacances puisque cette
somme représentait en fait des économies qu'il
avait faites. Parlant au nom de la Cour, j'ai alors
rejeté cet argument pour les motifs que j'ai expri-
més comme suit [à la page 2]:
Cet argument serait convaincant si cette affaire était identi-
que à l'affaire Bryden, mais tel n'est pas le cas. Il est vrai que
dans l'affaire Bryden, comme dans cette affaire-ci, des sommes
étaient remises par l'employeur à un tiers qui devait ensuite les
payer aux employés. Cependant, dans l'affaire Bryden, les
employés avaient le droit de retirer ces sommes avant l'époque
de leurs vacances; ici, ils n'ont pas ce droit. De plus, dans ce
cas-ci, il ne s'agit pas, comme dans l'affaire Bryden, de paie-
ments effectués suite à un arrangement de nature purement
contractuelle; il s'agit de paiements faits conformément à un
décret de nature législative qui fixe de façon impérative la date
des vacances dans l'industrie de la construction et pourvoit aux
moyens pour que les employés de cette industrie bénéficient
alors d'une paye de vacances.
En 1985, la Commission, dans le but évident
d'éviter que l'arrêt Bryden puisse être invoqué
dans l'avenir, modifia le paragraphe 58(14) du
Règlement de façon à prévoir la répartition, dans
les cas où «la paye de vacances est versée dans une
fiducie», des sommes payées à un prestataire con-
formément à cette fiducie. Cet amendement était
en vigueur lorsque survint l'affaire Vennari 9 . Ven-
nari, comme Bryden, était de l'Ontario. Il était
assujetti à une convention collective semblable à
celle qui régissait les conditions de travail de
Bryden et il avait reçu une indemnité de vacances
dans les mêmes circonstances que ce dernier. La
Commission avait réparti cette somme en la façon
prévue au nouveau paragraphe 58(14) du Règle-
ment. La Cour cassa la décision du juge-arbitre
qui avait confirmé cette répartition. Elle affirma
d'abord que, comme l'avait décidé la Cour
8 Daigle c. Commission de l'emploi et de l'immigration,
jugement non publié du 19 janvier 1984, dossier n° A-547-83.
9 Supra, note 3.
suprême dans Bryden, les fiduciaires, en payant
l'employé n'avaient fait que lui rendre ses écono-
mies; elle décida, en conséquence, que ce paiement
n'avait pas valeur de rémunération au sens de
l'article 57 du Règlement et que sa répartition ne
pouvait être réglée par l'article 58 puisque les
seules sommes qui puissent être réparties suivant
cet article sont celles qui ont valeur de rémunéra-
tion aux termes de l'article 57.
Le requérant invoque aujourd'hui les arrêts
Bryden et Vennari et affirme que, contrairement à
ce que nous avons jugé dans l'affaire Daigle, ces
arrêts doivent s'appliquer aux indemnités de
congés obligatoires payées aux employés en vertu
du Décret de la construction du Québec. En d'au-
tres mots, le requérant conteste notre décision dans
l'affaire Daigle.
Cette question doit être examinée attentivement.
Il est certes souhaitable que la jurisprudence de
cette Cour manifeste une certaine stabilité et que,
en conséquence, nous suivions habituellement les
décisions que nous avons déjà rendues. Il est plus
important encore, cependant, que tous les justicia-
bles qui se trouvent dans des situations vraiment
identiques soient traités de même façon. En consé-
quence, s'il est vrai que notre décision dans Daigle
a eu pour effet de créer une distinction artificielle
entre les ouvriers de la construction du Québec et
ceux de l'Ontario, il faudrait mettre fin à cette
situation défavorable et reconnaître que nous nous
sommes trompés dans l'affaire Daigle.
Il me faut avouer que, à la réflexion, les motifs
que j'ai invoqués pour «distinguer» l'affaire Daigle
de l'affaire Bryden m'apparaissent aujourd'hui peu
convaincants.
Il est bien vrai que l'indemnité de vacances
reçue par Bryden était payable en vertu d'une
convention collective alors que celle qu'avait reçue
Daigle était payable en vertu d'un décret. Mais
cette différence était-elle bien pertinente? Le
décret, bien sûr, est un acte de nature législative
mais qui est fondé sur une 'convention collective
librement négociée. De plus, dans la mesure où
l'employé est concerné, les conditions de travail
prévues à une convention collective lui sont impo
sées comme lui sont imposées celles que prévoit le
décret.
Il est bien vrai, aussi, que Bryden pouvait, sui-
vant l'acte de fiducie, retirer son indemnité de
vacances à une date autre que celle qui était
normalement prévue. Cela était un indice, bien
sûr, que c'était pour le compte de l'employé que le
fiduciaire détenait ces argents. Au Québec, en
vertu du décret, les employés ne peuvent réclamer
les indemnités de congés annuels qu'aux dates
prévues. Le motif en est peut-être qu'au Québec,
dans l'industrie de la construction, le décret impose
des vacances annuelles obligatoires dont il fixe la
date. On ne peut conclure de cette différence que
ce ne soit pas pour le compte des employés que
l'Office de la construction détienne les sommes
qu'il a reçues des employeurs. La preuve en est
que, suivant le décret, «Les intérêts des montants
perçus au titre de congés annuels obligatoires .. .
qui ne sont pas utilisés aux fins et dans les limites
permises par la loi doivent être remis aux salariés
de la construction au prorata des montants qu'ils
reçoivent.» Si les employés ont droit aux intérêts
des sommes que l'Office a reçues des employeurs,
c'est, me semble-t-il, parce que l'Office détient ces
sommes pour leur compte.
Je conclus que c'est à tort que j'ai affirmé dans
l'affaire Daigle que l'arrêt Bryden ne s'appliquait
pas aux indemnités de congés annuels payées en
vertu du Décret de la construction du Québec.
L'ouvrier de la construction du Québec me paraît
avoir sur les sommes détenues par l'Office de la
construction des droits analogues sinon identiques
à ceux qu'ont les ouvriers de l'Ontario régis par
une convention collective semblable à celles dont il
s'agissait dans Bryden et Vennari. Il convient, en
conséquence, de les traiter de même façon.
L'intimée a, bien sûr, soutenu le contraire. Elle
n'a cependant pas tenté de démontrer la pertinence
des «distinctions» que j'ai faites dans l'affaire
Daigle entre la situation des ouvriers de la cons
truction du Québec et ceux de l'Ontario. Son
argument principal a consisté à souligner que si
l'on applique l'affaire Bryden au Québec, les
employés de la construction qui recevront une
indemnité de congés annuels pendant une période
de chômage auront le droit aux prestations d'assu-
rance-chômage et, cela, en dépit du fait qu'ils
recevront exactement les mêmes avantages pécu-
niaires que ceux qu'ils auraient reçus si leur emploi
avait subsisté. Ce serait là, suivant l'intimée, un
résultat inadmissible.
Il s'agit là, bien sûr, d'un résultat que je consi-
dère, moi aussi, bien anormal. Mais c'est là une
conséquence nécessaire de l'arrêt Bryden qu'il nous
faut appliquer quels qu'en soient les résultats.
Je ferais droit à la demande, je casserais la
décision attaquée et renverrais l'affaire au conseil
arbitral pour qu'il la décide de nouveau en prenant
pour acquis, cette fois-ci, que les indemnités de
congés annuels obligatoires reçues par le requérant
de l'Office de la construction du Québec n'avaient
pas valeur de rémunérations au sens de l'article 57
du Règlement sur l'assurance-chômage.
LE JUGE LACOMBE: Je suis d'accord.
LE JUGE DESJARDINS: J'y souscris.
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