T-1619-87
Turbo Resources Limited (demanderesse)
c.
Petro Canada Inc. (défenderesse)
RÉPERTORIÉ : TURBO RESOURCES LTD. C. PETRO CANADA INC.
Division de première instance, juge Addy —
Ottawa, 11 et 22 janvier 1988.
Injonctions — Critère applicable à l'injonction interlocu-
toire — L'arrêt American Cyanamid (le critère d'une question
sérieuse à trancher) est rejeté lorsqu'il ne s'agit pas simple-
ment de préserver le statu quo mais lorsque la défenderesse
subit un préjudice — Contrefaçon de marque de commerce —
La preuve n'établit pas, de prime abord, le bien-fondé de la
demande — Requête rejetée.
Marques de commerce — Contrefaçon — Vente par la
demanderesse de lubrifiants et de produits du pétrole pour les
moteurs «Turbo» — Vente par la défenderesse d'huile «Pre-
mium Turbo Tested» — La marque «Turbo» est faible —
Absence de preuve que le terme descriptif a acquis un sens
dérivé identifiant les produits — Absence de preuve de confu
sion chez les consommateurs — Raison pour laquelle le droit
reconnaît et protège les monopoles en matière de marques de
commerce — Si le critère de la question sérieuse à trancher de
l'arrêt American Cyanamid en matière d'injonction interlocu-
toire est appliqué, l'objet n'est pas atteint — Injonction refusée
en l'absence de la preuve d'une forte présomption.
La demanderesse vend des lubrifiants et des produits du
pétrole dans des emballages sous le nom «Turbo». La défende-
resse Petro Canada emballe des bidons d'huile destinés à être
vendus et utilise des étiquettes portant son nom, son logo et les
mots «Premium Turbo Tested». La demanderesse demande une
injonction interlocutoire parce que la défenderesse aurait violé
ses dessins-marques «Turbo», «Go Turbo» et la marque «Go
Turbo». Cette affaire soulève la question de savoir s'il appar-
tient au requérant d'une injonction interlocutoire d'établir
l'existence d'une forte présomption ou s'il suffit de convaincre
la Cour qu'il existe une question sérieuse à trancher. La
question du critère pertinent à appliquer a été traitée en détail
compte tenu des jugements contradictoires rendus par les tribu-
naux canadiens au sujet de certaines déclarations de lord
Diplock dans l'arrêt American Cyanamid.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
Dans l'arrêt American Cyanamid, lord Diplock a affirmé
catégoriquement qu'il n'était pas nécessaire d'établir l'existence
d'une forte présomption ni même d'une présomption. L'affir-
mation de lord Diplock que la Cour n'a pas à être convaincue
de la probabilité de succès du demandeur ne peut être acceptée
comme principe d'application générale en l'absence d'une déci-
sion qui lierait la Division de première instance de la Cour
fédérale du Canada. Cette proposition ne devrait pas s'appli-
quer dans les cas où le fait d'accorder l'injonction n'aurait pas
seulement pour effet de maintenir le statu quo mais causerait
un préjudice important au défendeur. En d'autres termes, s'il
était établi que le défendeur subirait un préjudice réel au cours
de l'instance, la demande d'injonction interlocutoire devrait
être rejetée à moins que la partie bénéficiant du monopole
d'exploitation ne réussisse à convaincre le juge de l'existence
d'une probabilité de succès éventuel. En matière de propriété
industrielle ou de passing off, une injonction perturbe en tout
ou en partie les activités commerciales des défendeurs; elle ne
maintient pas le statu quo comme l'injonction quia timet de
l'arrêt American Cyanamid. Cependant, dans certaines situa
tions rares, lorsque l'injonction maintiendrait le statu quo,
lorsque le préjudice que subirait le défendeur serait minime et
pourrait être complètement réparé par des dommages-intérêts
et lorsque les incidences raisonnables favoriseraient le deman-
deur, une injonction interlocutoire pourrait être accordée même
si l'existence d'une présomption n'est pas entièrement établie si
les chances de succès final, bien que n'étant pas nécessairement
en faveur du demandeur, sont réparties à peu près également.
Le critère de l'arrêt Cyanamid serait également applicable dans
des situations autres que celles portant sur la propriété indus-
trielle ou les injonctions quia timet comme celles où le deman-
deur subirait un préjudice grave et permanent ou lorsqu'une
question d'intérêt public est en jeu. Dans ces cas, le tribunal
peut être justifié d'intervenir sans être convaincu des probabili-
tés de succès du demandeur si la cause paraît soutenable.
La raison pour laquelle le droit accorde aux monopoles
d'exploitation une protection dans les domaines des marques de
commerce, des brevets et des droits d'auteur est d'encourager et
de récompenser la recherche, l'esprit inventif et le risque dans
le monde commercial. L'inventeur confronté au stade interlocu-
toire avec simplement le critère de la question sérieuse à
trancher serait obligé, avant de mettre en œuvre son projet, de
décider si la question des incidences les plus favorables serait
tranchée en sa faveur. Ce serait imposer à l'inventeur une
obligation impossible à remplir et ce serait aller à l'encontre de
la raison d'être des lois relatives aux monopoles d'exploitation.
L'action entreprise par un inventeur ne devrait pas normale-
ment être empêchée si, en fait et en droit, l'action projetée est
réellement libre des monopoles d'exploitation existants. Il s'en-
suit que la personne qui détient un monopole devrait, pour
obtenir une injonction interlocutoire, convaincre le tribunal
qu'elle y a, de prime abord, droit et que le défendeur le violerait
probablement.
Contrairement à ce que l'arrêt Cyanamid laisse entendre, il
appartient au juge qui entend la demande d'injonction d'exami-
ner et d'évaluer la preuve présentée par les deux parties pour
déterminer s'il est probable que le demandeur ait gain de cause,
mais cela seulement dans les limites où c'est nécessaire.
La demanderesse ne s'est pas acquittée du fardeau d'établir
l'existence d'une forte présomption selon laquelle la défende-
resse violerait peut-être son monopole. Le mot «Turbo» ne
possède pas le caractère distinctif visé à l'alinéa 6(5)a) de la
Loi sur les marques de commerce. Le mot constitue une
marque très faible puisqu'il s'agit d'un terme courant dans les
domaines de l'industrie automobile et des lubrifiants. En ce qui
concerne le dessin, ni les éléments, tels la couleur, la taille et le
dessin des lettres du mot «Turbo», ni le dessin du mot lui-même
apposé sur les bidons d'huile de la défenderesse ne ressemblent
aux dessins-marques de la demanderesse. Le droit à l'emploi
exclusif de l'expression «Go Turbo» ne crée pas juridiquement
de droit sur le mot «Turbo» en lui-même compte tenu du
caractère faible du mot.
Le mot «Turbo» est descriptif: il décrit un produit (de l'huile)
destiné à être utilisé dans les moteurs à turbocompresseur
d'alimentation. La demanderesse ne s'est pas acquittée du
fardeau très lourd d'établir que le mot descriptif a acquis un
sens dérivé qui identifie directement ses produits. Il faut consi-
dérer la durée de l'emploi, la manière et l'endroit où la marque
a été utilisée. En l'espèce, le caractère distinctif ne pourrait être
revendiqué que dans des régions bien délimitées de l'Ouest du
Canada. Il n'y a pas de preuve qu'une personne aurait acheté
un bidon d'huile de la défenderesse en croyant qu'il s'agissait
d'un produit de la demanderesse. De plus, le nom et le logo de
la défenderesse figurent d'une façon frappante sur les étiquettes
de ses bidons. II n'y a aucun risque de confusion.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap.
T-10, art. 6(5)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISION NON SUIVIE:
American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C.
396 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Supreme Aluminium Industries Ltd. c. Kenneth M.
Smith Inc. et autre (1985), 6 C.P.R. (3d) 1 (C.F. 1'°
inst.); Syntex Inc. c. Apotex Inc., [1984] 2 C.F. 1012; 1
C.P.R. (3d) 145 (C.A.); Chitel et al. v. Rothbart et al.
(1982), 69 C.P.R. (2d) 62 (C.A. Ont.); Manitoba (Pro-
cureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1
R.C.S. 110; Philips Export B.V. et autre c. Windmere
Consumer Products Inc. (1985), 4 C.P.R. (3d) 83 (C.F.
1"e inst.); Tele-Direct (Publications) Inc. c. Telcor
Canada Directories Inc. (1986), 11 C.P.R. (3d) 102
(C.F. 1te inst.); Consumers Distributing Co. Ltd. v. Con
sumers Video Ltd. et al. (1983), 78 C.P.R. (2d) 195
(H.C. Ont.); Tavener Rutledge Ld. v. Specters Ld.,
[1957] R.P.C. 498 (H.C.J. Ang.); Interlego AG c. Irwin
Toy Ltd. (1985), 4 C.I.P.R. 1 (C.F. 1" inst.); Mark's
Work Wearhouse Ltd. et al. v. Governor & Co. of
Adventurers of England trading into Hudson's Bay,
known as Hudson's Bay Co. (1980), 15 C.P.R. (3d) 376
(B.R. Alb.); Ikea Ltd. et autre c. Idea Design Ltd. et
autre (1987), 13 C.P.R. (3d) 476 (C.F. 1'e inst.); Ancona
Printing Ltd., carrying on business as Kopy Kwick Prin
ting v. Kwik-Kopy Corporation et al. (1983), 73 C.P.R.
(2d) 122 (H.C. Ont.); C-Cure Chemical Co. Inc. v.
Olympia & York Developments Ltd. (1983), 71 C.P.R.
(2d) 153 (H.C. Ont.); International Paints (Canada) Ltd.
c. Consolidated Coatings Corp. (1986), 10 C.P.R. (3d)
142 (C.F. 1'e inst.); Société canadienne de la Croix-
Rouge c. Simpsons Limited, [1983] 2 C.F. 372 (lfe inst.);
Cellular Clothing Company v. Maxton & Murray,
[1899] A.C. 326 (H.L.); Hommel v. Gebrilder Bauer &
Co. (1904), 22 R.P.C. 43 (C.A.).
AVOCATS:
E. L. Bunnel et P. J. McGovern pour la
demanderesse.
J. D. B. McDonald pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Parlee McLaws, Calgary, pour la demande-
resse.
Bennett Jones, Calgary, pour la défenderesse.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE ADDY: La demanderesse, qui depuis
1967 fabriquait et vendait par l'intermédiaire de sa
société antérieure des lubrifiants et des produits du
pétrole dans des emballages portant le nom
«Turbo», présente une demande d'injonction inter-
locutoire contre la défenderesse en liaison avec
certaines marques de commerce concernant ce
mot.
La demanderesse (ci-après désignée Turbo
Resources) est actuellement propriétaire de quatre
marques de commerce enregistrées: la première est
un dessin-marque du mot «Turbo» et porte sur la
couleur du dessin du mot souligné en rouge et bleu;
la deuxième porte sur les mots «Go Turbo»; la
troisième est un dessin-marque portant sur les
mots «Go Turbo» et deux feuilles d'érable, lesquel-
les ne font pas l'objet de la marque; la quatrième
qui constitue également un dessin-marque porte
sur le dessin du mot «Turbo» écrit en bleu sur fond
blanc sur une camionnette rouge avec une feuille
d'érable blanche, laquelle ne fait pas l'objet de la
marque.
À l'origine, Turbo Resources ne faisait affaires
qu'en Alberta mais elle a graduellement étendu ses
opérations, lesquelles portent notamment sur l'ac-
quisition et l'exploitation de stations-service, dans
certaines autres parties des trois autres provinces
de l'Ouest et, dans une très petite proportion, dans
l'ouest de l'Ontario. Cependant, la majeure partie
de ses opérations commerciales s'effectue toujours
en Alberta.
En janvier 1987, Petro Canada Inc. a commencé
à emballer des bidons d'huile destinés à être
vendus dans ses stations-service en utilisant des
étiquettes de papier figurant de chaque côté des
bidons avec ses nom et logo et avec la mention en
anglais des mots «Premium Turbo Tested» en
caractères gras d'un côté et «Super Turbo Huile
Moteur—Testée dans les moteurs Turbo» en fran-
çais de l'autre. Dans les deux cas, le mot «Turbo»
est d'un rouge vif et ses lettres sont beaucoup plus
larges et frappantes que celles des autres mots
figurant sur l'étiquette y compris la désignation
Petro Canada.
Bien que j'aie d'abord eu l'intention de ne pro-
noncer que de très brefs motifs dans la présente
requête, j'estime maintenant que les circonstances
particulières de l'espèce m'obligent à examiner
plus en détail la jurisprudence portant sur les
principes applicables aux injonctions interlocutoi-
res, compte tenu de certains jugements contradic-
toires rendus par les tribunaux canadiens à cet
égard. Ce faisant, je souhaite ne pas ajouter plus
de confusion à celle que certains de nos tribunaux
ont déjà créée en adoptant certaines déclarations
de lord Diplock dans l'arrêt bien connu American
Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396
(H.L.).
Les deux avocats ont cité cet arrêt au regard de
la question controversée qui consiste à déterminer
si, en matière d'injonction interlocutoire, le requé-
rant doit établir l'existence d'une forte présomp-
tion ou si la Cour doit seulement être convaincue
que la question à trancher est sérieuse ou, en
d'autres termes, que l'action n'est ni futile ni
vexatoire.
En examinant l'arrêt Cyanamid, il est très
important d'avoir à l'esprit que la demanderesse
requérante tentait d'obtenir une injonction quia
timet: l'affaire portait seulement sur la menace ou
l'éventualité de contrefaçon de son brevet par la
défenderesse. Si l'injonction était accordée, elle ne
ferait que reporter ce que la défenderesse avait
l'intention de faire et maintiendrait donc véritable-
ment le statu quo. Cette situation se présente
rarement, surtout en matière de propriété indus-
trielle ou de passing -off. Habituellement, l'injonc-
tion interrompt et pertube en tout ou en partie les
activités commerciales de la défenderesse. Dans de
tels cas, on ne peut affirmer qu'elle «maintient le
statu quo».
Certaines affirmations de lord Diplock sont pré-
sentées comme s'il avait voulu en faire des princi-
pes d'application générale, mais elles ne s'appli-
quent certes pas dans la plupart des décisions
rendues dans ce pays, à tout le moins lorsque
d'importantes questions commerciales sont en jeu.
Par exemple, il expose à titre de proposition géné-
rale que [TRADUCTION] «la preuve disponible à
l'audition d'une injonction interlocutoire est
incomplète. Elle est exposée dans un affidavit et
n'a pas subi l'épreuve d'un contre-interrogatoire
oral.» (C'est moi qui souligne.) Ce n'est certes pas
le cas en l'espèce ni dans la majorité des cas. Dans
l'affaire Cyanamid, le juge de première instance a
conclu à l'existence d'une forte présomption. La
Cour d'appel n'a pas partagé cet avis et elle a
infirmé l'injonction pour ce seul motif sans tenir
compte des incidences les plus favorables ni des
dommages-intérêts. Lord Diplock a conclu qu'il y
avait une question sérieuse à trancher et, sans se
prononcer sur l'existence d'une forte présomption,
il s'est dit d'accord avec les conclusions du juge de
première instance sur la question des incidences les
plus favorables. Il a alors critiqué la décision de la
Cour d'appel d'infirmer les conclusions du juge de
première instance de la façon suivante [à la page
409]:
[TRADUCTION] À titre de juge des brevets, il [le juge de
première instance] possède une connaissance incomparable des
brevets pharmaceutiques et de l'exploitation de l'industrie phar-
maceutique. Ne possédant pas cette connaissance, un tribunal
d'appel devrait hésiter à infirmer ce que le juge a conclu dans
l'exercice de son pouvoir discrétionnaire à moins d'être con-
vaincu que celui-ci a commis une erreur de droit.
Premièrement, on peut se demander si cette
étrange affirmation signifie que, avant de décider
s'il doit infirmer ce que le juge de première ins
tance a conclu dans l'exercice de son pouvoir dis-
crétionnaire, un tribunal d'appel doit d'abord éva-
luer le niveau et l'étendue des connaissances de ce
juge dans le domaine visé par l'injonction. Mais
question plus importante encore, si le juge de
première instance dans la décision Cyanamid
avait, comme il est dit, «une connaissance incom
parable des brevets pharmaceutiques», celle-ci por-
terait alors principalement sur la preuve de l'exis-
tence d'une forte présomption concernant le
monopole d'exploitation conféré par ce brevet
pharmaceutique ainsi que sur la décision du juge
sur les incidences les plus favorables. De plus,
puisque la Cour d'appel ne s'est penchée que sur la
question de l'existence d'une forte présomption, il
faut en conclure que l'avertissement précité de lord
Diplock doit s'appliquer à cette conclusion. Il s'en-
suit que si la Cour d'appel, dans sa seule conclu
sion au sujet de la décision du juge de première
instance, a eu tort de s'immiscer dans celle-ci, on
peut alors supposer que la conclusion du juge de
première instance était correcte. Compte tenu de
ce qui précède et du fait que la Chambre des lords
n'a pas traité expressément de la conclusion
expresse du juge de première instance selon
laquelle la preuve d'une forte présomption avait
été établie, on peut conclure que l'affirmation de
lord Diplock, approuvée par les autres lords-juges,
concernant la seule condition qu'il y ait une ques
tion importante à trancher dans les procédures
relatives aux injonctions interlocutoires, pourrait
bien être considérée comme une simple opinion
incidente.
Il est clair que lord Diplock a dit très catégori-
quement dans son jugement qu'il n'était pas néces-
saire d'établir l'existence d'une forte présomption
ni même d'une présomption. En effet, il a dit que
la Cour n'avait pas à être convaincue des probabi-
lités de succès du demandeur. Le passage pertinent
se lit ainsi [à la page 406]:
[TRADUCTION] L'objectif visé par l'attribution au tribunal du
pouvoir discrétionnaire d'accorder de telles injonctions devien-
drait inutile si ce pouvoir était assujetti à une règle technique
qui en interdisait l'exercice lorsque le tribunal, en présence de
cette preuve incomplète et non vérifiée, évaluerait à 50 p. 100
ou moins les chances du demandeur d'avoir gain de cause dans
l'action mais qui en permettrait l'exercice lorsque le tribunal
évaluerait les chances à plus de 50 p. 100.
Je refuse d'accepter cette proposition comme
principe d'application générale à moins qu'un tri
bunal d'instance supérieure ne m'y oblige dans une
décision. Elle ne devrait pas s'appliquer dans les
cas où le fait d'accorder l'injonction n'aurait pas
seulement pour effet de maintenir le statu quo
mais causerait un préjudice important au défen-
deur. Il ne m'apparaît tout simplement pas accep
table ni juste de rendre une ordonnance contre le
défendeur simplement parce que les incidences les
plus favorables favorisent le demandeur si le
défendeur, à la lumière de la preuve présentée à
l'appui de la requête en injonction interlocutoire,
semble avoir plus de chances d'obtenir gain de
cause que le demandeur. S'il y avait une question
sérieuse à trancher, en ce sens que l'action n'est ni
futile ni vexatoire, et si, d'une part, le défendeur
semble avoir plus de chances d'obtenir gain de
cause et que d'autre part, le préjudice que pourrait
subir le demandeur était supérieur à celui que
subirait le défendeur, je ne concluerais pas que la
requête devrait alors être accueillie en faveur du
demandeur.
Après l'audition d'une action, une demande d'in-
jonction doit nécessairement être rejetée si le
demandeur ne peut établir qu'il y a droit selon la
prépondérance des probabilités. Puisque l'injonc-
tion interlocutoire doit être considérée comme une
mesure de redressement exceptionnelle, au même
titre que toute autre mesure interlocutoire présen-
tée avant l'audition au fond, il m'est difficile de
concevoir pourquoi, de façon générale, le tribunal
devrait, en common law ou selon les principes
reconnus en equity applicables aux injonctions,
accorder une injonction interlocutoire au deman-
deur si celui-ci n'a pas préalablement établi l'exis-
tence d'une forte présomption ou, à tout le moins,
d'une présomption. En d'autres termes, s'il était
établi que le défendeur subirait un préjudice réel
au cours de l'instance, la demande devrait être
rejetée à moins que la partie bénéficiant du mono-
pole d'exploitation ne réussisse à convaincre le juge
à l'audience de l'existence d'une probabilité de
succès éventuel.
Cela étant dit, je suis prêt à reconnaître qu'en
certaines circonstances rares, lorsque l'injonction
maintiendrait véritablement le statu quo parce que
le défendeur n'a pas encore accompli les actes
qu'on cherche à interdire, comme dans l'affaire
Cyanamid, et peut-être aussi lorsque le préjudice
que le défendeur subirait serait infime par rapport
à celui du demandeur et pourrait être complète-
ment réparé par des dommages-intérêts, et lorsque
les incidences raisonnables favoriseraient le
demandeur, la décision du juge ayant entendu la
requête n'aurait pas nécessairement à être «com-
partimentée» dans les trois catégories traditionnel-
les de sorte que, même si la preuve de l'existence
d'une présomption n'était pas entièrement établie,
l'injonction interlocutoire pourrait être accordée
malgré tout si on estime que les chances de succès
final, bien que n'étant pas nécessairement en
faveur du demandeur, sont réparties à peu près
également.
Mes remarques concernent principalement les
affaires de propriété industrielle. On peut cepen-
dant concevoir des situations exceptionnelles,
autres que celles portant sur la propriété indus-
trielle ou les injonctions quia timet, dans lesquelles
le critère de l'arrêt Cyanamid serait également
applicable même si un certain préjudice est causé
au défendeur. Par exemple, dans le cas où le
demandeur subirait un préjudice grave, permanent
et irréversible, ou lorsqu'une question d'intérêt
public est en jeu. Dans ces cas, le tribunal peut
certes être parfois justifié d'intervenir sans être
convaincu des probabilités de succès du deman-
deur si la cause paraît être soutenable.
Par suite de l'arrêt Cyanamid, nos tribunaux ont
été très partagés et, j'oserais même dire, souvent
confus quant au critère juridique applicable à
l'examen conjoint du bien-fondé de l'affaire et des
questions supplémentaires portant sur la nature du
préjudice et le principe d'equity des incidences les
plus favorables.
Certains juges estiment, comme le juge McNair
l'a affirmé dans la décision Supreme Aluminium
Industries Ltd. c. Kenneth M. Smith Inc. et autre
(1985), 6 C.P.R. (3d) 1 (C.F. 1" inst.), à la page
7, qu'il n'existe pas de critère unique applicable à
toutes les circonstances et qu'il faudrait adopter
une attitude libérale dans chaque cas. Le juge
Stone s'est dit du même avis dans la décision
Syntex Inc. c. Apotex Inc., [1984] 2 C.F. 1012, à
la page 1022; 1 C.P.R. (3d) 145 (C.A.), à la page
153, en approuvant la déclaration du juge Mac-
Kinnon, J.C.A.O., dans la décision Chitel et al. v.
Rothbart et al. (1982), 69 C.P.R. (2d) 62 (C.A.
Ont.), à la page 72.
Le juge Beetz de la Cour suprême du Canada a
déclaré récemment que la formulation de l'exis-
tence d'une question sérieuse dans l'arrêt Ameri-
can Cyanamid suffit dans une affaire constitution-
nelle mais il s'est abstenu expressément d'exprimer
une opinion quelconque sur le critère à appliquer
dans tout autre type d'affaires (voir l'arrêt Mani-
toba (Procureur général) c. Metropolitan Stores
Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, aux pages 127 et 128).
Les décisions suivantes ont été rendues après
que la condition traditionnelle que le demandeur
établisse l'existence d'une forte présomption ou
d'une présomption eut fait l'objet d'un examen:
Philips Export B.V. et autre c. Windmere Consu
mer Products Inc. (1985), 4 C.P.R. (3d) 83 (C.F.
1" inst.); Tele- Direct (Publications) Inc. c. Telcor
Canada Directories Inc. (1986), 11 C.P.R. (3d)
102 (C.F. 1" inst.); Consumers Distributing Co.
Ltd. v. Consumers Video Ltd. et al. (1983), 78
C.P.R. (2d) 195 (H.C. Ont.); Tavener Rutledge
Ld. v. Specters Ld., [1957] R.P.C. 498 (H.J.C.
Angl.).
D'autre part, dans les décisions suivantes, les
tribunaux se sont penchés sur l'existence d'une
question sérieuse à trancher: Interlego AG c. Irwin
Toy Ltd. (1985), 4 C.I.P.R. 1 (C.F. lie inst.);
Mark's Work Wearhouse Ltd. et al. v. Governor
& Co. of Adventurers of England trading into
Hudson's Bay, known as Hudson's Bay Co.
(1980), 15 C.P.R. (3d) 376 (B.R. Alb.); Ikea Ltd.
et autre c. Idea Design Ltd. et autre (1987), 13
C.P.R. (3d) 476 (C.F. lie inst.); Ancona Printing
Ltd., carrying on business as Kopy Kwik Printing
v. Kwik-Kopy Corporation et al. (1983), 73
C.P.R. (2d) 122 (H.C. Ont.); C-Cure Chemical
Co. Inc. v. Olympia & York Developments Ltd.
(1983), 71 C.P.R. (2d) 153 (H.C. Ont.); Interna
tional Paints (Canada) Ltd. c. Consolidated Coa
tings Corp. (1986), 10 C.P.R. (3d) 142 (C.F. lie
inst.); Société canadienne de la Croix-Rouge c.
Simpsons Limited, [1983] 2 C.F. 372 (l ie inst.).
Avant de terminer sur le bon critère à appliquer
un autre élément mérite d'être mentionné. Il s'agit
d'un élément pratique qui concerne plus précisé-
ment les injonctions dans le domaine de la pro-
priété industrielle.
La raison première pour laquelle le droit recon-
naît l'existence des monopoles d'exploitation et
leur accorde une protection dans les domaines des
marques de commerce, des brevets et des droits
d'auteur est d'encourager et de récompenser la
recherche, l'esprit inventif et l'investissement dans
les domaines scientifique, technique, industriel et
commercial. Si l'on veut maintenir l'objectif fon-
damental d'encourager l'esprit inventif, l'innova-
tion et le risque dans le monde commercial, la
personne qui a conçu un nouveau projet et qui se
voit confrontée à l'existence de ce qui semble être
un monopole d'exploitation dans le même domaine
ou un domaine connexe et qui a subséquemment
obtenu les avis techniques, scientifiques et juridi-
ques lui indiquant que son projet n'est pas visé par
le monopole d'exploitation devrait se sentir tout à
fait libre de le poursuivre sans être interrompue.
Les avis doivent forcément porter sur la seule
question de savoir si, du point de vue juridique, le
domaine de l'activité projetée n'est pas visé par le
monopole d'exploitation. Autrement, nonobstant le
fait que son concurrent échouerait finalement en
faisant valoir le monopole d'exploitation antérieur,
l'inventeur ou l'innovateur, s'il devait être con
fronté, au stade interlocutoire, au seul critère
d'une question sérieuse à trancher, serait obligé de
plus, avant de mettre en œuvre son projet, de
décider si la question des incidences les plus favo-
rables serait également tranchée en sa faveur à une
date ultérieure qui n'est pas fixée actuellement et
qui dépend entièrement de la décision de l'autre
partie d'intenter une action et du moment où
celle-ci sera intentée. Ce serait là imposer à l'in-
venteur ou à l'expert dont l'avis peut être demandé
une obligation impossible à remplir et déraisonna-
ble et ce serait, d'abord et avant tout, aller directe-
ment à l'encontre de la raison d'être des lois
relatives aux monopoles d'exploitation. L'une des
principales difficultés est que ni l'innovateur ni ses
experts n'auraient normalement une idée de l'éten-
due et peut-être même de la nature du préjudice
que le tribunal pourrait déterminer avoir été subi
par le concurrent, par suite d'une éventuelle
demande d'injonction interlocutoire introduite à
une date ultérieure indéterminée.
Dans certaines décisions, on semble qualifier de
répréhensible le geste de la personne qui, en pleine
connaissance de cause, ose s'engager dans un
domaine visé par un monopole d'exploitation qui
peut vraisemblablement porter sur l'activité envi
sagée et être ainsi violé. Dans un marché libre et
particulièrement dans une société libre et démo-
cratique comme la nôtre où l'initiative, l'esprit
inventif et l'audace ont toujours constitué la clef
du succès, une telle action, loin d'être répréhensi-
ble si elle est entreprise de bonne foi par une
personne qui estime participer à quelque chose
d'important, ne devrait pas normalement être
empêchée si, en fait et en droit, le secteur particu-
lier du domaine de l'invention, de l'action ou du
projet envisagé est réellement libre des monopoles
d'exploitation existants. Encore une fois, il s'en-
suit, de façon générale et sous réserve de quelques
exceptions comme celles mentionnées précédem-
ment, que la personne qui détient un monopole
d'exploitation devrait, pour obtenir une injonction
interlocutoire, convaincre le tribunal d'après la
preuve présentée à l'appui de la requête qu'elle y a
apparemment droit et que le défendeur le violerait
vraisemblablement.
On a répété à plusieurs reprises que le juge qui
entend la demande d'injonction devrait s'abstenir
de trancher la question au fond et de commenter la
preuve soumise sauf lorsque ces commentaires sont
nécessaires pour expliquer sa décision. Ces com-
mentaires sont certes appropriés. Cependant, con-
trairement à ce que l'arrêt Cyanamid et d'autres
décisions semblent pourtant laisser entendre, cela
ne veut pas dire que le juge est justifié de s'abste-
nir d'évaluer et d'examiner le droit et les éléments
de preuve présentés par les parties pour déterminer
s'il est probable que le demandeur ait éventuelle-
ment gain de cause. Le tribunal doit forcément
examiner et évaluer la preuve souvent complexe
pour se prononcer sur la question des incidences les
plus favorables et sur la nature et l'étendue du
préjudice subi par les deux parties. À mon avis,
non seulement est-ce la façon appropriée de procé-
der, mais c'est là le devoir du juge en ce qui
concerne la situation juridique du demandeur,
mais cela seulement dans les limites où c'est
nécessaire.
Enfin, en accueillant les demandes d'injonction
interlocutoire, les tribunaux parlent parfois avec
indifférence de «maintenir le statu quo» alors que
dans les faits, loin d'avoir cet effet, l'injonction
permet au demandeur de poursuivre ses activités et
interrompt celles du défendeur, l'empêche de les
poursuivre ou y met fin, en tout ou en partie, lui
causant ainsi un préjudice pécuniaire jusqu'à l'au-
dition sur le fond. Il semble également que certains
tribunaux décident parfois que des dommages-
intérêts ne peuvent réparer adéquatement le préju-
dice allégué par l'une ou l'autre des parties alors
qu'un examen approprié de l'affaire révèle qu'il
s'agit simplement d'un cas où les dommages-inté-
rêts sont difficiles à calculer, à fixer ou à évaluer.
Petro Canada a lancé l'étiquette contestée le 19
novembre 1986 et la preuve révèle très clairement
que la demanderesse Turbo Resources l'a appris en
janvier 1987 mais n'a pas avisé Petro Canada de
son opposition avant le 23 juin 1987. Je ne crois
pas que le retard dont on se plaint constituerait un
manque de diligence ou une fin de non-recevoir
opposables à la demande, mais il constitue certes
une indication que Turbo Resources n'était pas
très préoccupée par l'affaire et qu'elle considérait
que la contrefaçon alléguée était relativement peu
importante et qu'elle ne justifiait pas la prise de
mesures immédiates.
La preuve démontre amplement que le mot lui-
même constituerait une marque très faible puis-
qu'il s'agit d'un terme courant dans les industries
de l'automobile et des lubrifiants. Sept fabricants
ou distributeurs d'huile à moteur l'utilisent au
Canada pour identifier leurs produits. Le mot
figure dans le nom de 14 sortes de voitures actuel-
lement vendues au Canada. Il se trouve dans tous
les dictionnaires d'anglais moderne. Dans l'indus-
trie de l'automobile, le mot décrit le compresseur
de suralimentation actionné par une turbine qui
utilise les gaz d'échappement du moteur. L'expres-
sion «Testée dans les moteurs Turbo» signifie testée
pour l'utilisation dans les moteurs à turbocompres-
seur d'alimentation ou à compresseur de surali-
mentation. La popularité des automobiles à turbo-
compresseur d'alimentation est plutôt récente. Le
terme est utilisé par d'autres fabricants ou distri-
buteurs d'huile à moteur comme Shell et Castrol.
Turbo Resources elle-même, dans sa correspon-
dance avec Shell qui remonte aussi loin qu'en
1972, alors que celle-ci s'opposait au départ à ce
que la demanderesse dépose une demande pour les
dessins-marques du mot, a signalé que ce dernier
était utilisé par d'autres sociétés pétrolières.
Par conséquent, j'en suis venu à la conclusion
que le mot ne possède pas le caractère distinctif
visé à l'alinéa 6(5)a) de la Loi sur les marques de
commerce [S.R.C. 1970, chap. T-10]. La question
principale se limite donc à déterminer si, en raison
de l'aspect frappant de l'emploi du mot sur l'éti-
quette ou en raison du dessin lui-même, le mot
contrefait l'une ou l'autre des marques précitées de
la demanderesse Turbo Resources.
Bien que Turbo Resources utilise évidemment le
mot sur tous ses produits pétroliers et autres, Petro
Canada n'emploie le mot sur les étiquettes des
bidons d'huile qu'en liaison avec le terme «testée»
pour les huiles qu'elle prétend testées dans les
moteurs turbo et qui sont destinées à être utilisées
dans les moteurs à turbocompresseur d'alimenta-
tion. Le mot décrit précisément la nature du pro-
duit vendu par cette société.
Comme nous l'avons souligné au début des pré-
sents motifs, trois de ces marques sont des dessins-
marques, la seule marque verbale étant «Go
Turbo».
En ce qui concerne le dessin, ni les éléments tels
la couleur, la taille et le dessin des lettres du mot
«Turbo», ni le dessin de l'ensemble du mot lui-
même apposé sur les bidons d'huile de la défende-
resse ne ressemblent aux dessins-marques de
Turbo Resources.
En ce qui concerne le mot, le droit à l'emploi
exclusif de l'expression «Go Turbo» ne crée juridi-
quement pas de droit sur le mot «turbo» en lui-
même surtout si l'on tient compte, comme je l'ai
déjà mentionné, du caractère exceptionnellement
faible du mot comme marque de commerce dans
les domaines de l'automobile et des lubrifiants.
Il reste à décider si le mot a acquis un sens
dérivé pour la demanderesse lui donnant droit à
une protection spéciale.
Comme nous l'avons dit antérieurement, le mot
«Turbo» décrit maintenant l'emploi pour lequel une
huile est vendue et auquel elle est destinée à être
,utilisée. Il s'agit donc véritablement d'un mot des-
criptif. Dans de tels cas, le fardeau de preuve du
demandeur qui tente d'établir qu'un tel mot a
acquis un sens dérivé qui identifie directement le
demandeur ou ses produits est beaucoup plus lourd
que s'il s'agissait d'un simple mot original ou
«fantaisiste» qui ne décrit pas le produit ou la
personne invoquant le sens dérivé (voir l'arrêt Cel
lular Clothing Company v. Maxton & Murray,
[1899] A.C. 326 (H.L.)). Il est alors pratiquement
impossible d'établir le caractère distinctif d'un mot
descriptif (voir la décision Hommel v. Gebrüder
Bauer & Co. (1904), 22 R.P.C. 43 (C.A.)).
Ce n'est pas seulement la durée de l'emploi qui
doit être considérée mais aussi la manière et l'en-
droit où la marque a été employée. Bien que la
demanderesse ait commencé à employer le mot en
1972, l'emploi en a été assez limité eu égard aux
régions où les distributeurs d'huile exercent leurs
activités. Actuellement, le caractère distinctif ne
peut être revendiqué que dans l'Ouest du Canada,
dans des régions bien délimitées des provinces de
la Colombie-Britannique et du Manitoba. Turbo
Resources a établi des stations-service dans des
municipalités qui représentent approximativement
50 p. 100 de la population de la Saskatchewan
mais seulement quelque 7 p. 100 de la population
de la Colombie-Britannique et 6 p. 100 de la
population du Manitoba. Il ne semble pas y en
avoir à Vancouver, Victoria et Winnipeg.
L'affidavit portant sur la question de savoir si le
mot «Turbo» employé par Petro Canada peut
prêter à confusion avec la marque d'huile Turbo
vendue par Turbo Resources Ltd., dans l'Ouest du
Canada est celui d'un nommé Warburton. Celui-ci
déclare s'être présenté dans six stations Petro
Canada à Calgary et avoir demandé [TRADUC-
TION] «un litre d'huile à moteur de marque
Turbo». Dans tous les cas à l'exception d'un, le
préposé s'est mis à verser dans l'automobile de
l'huile turbo testée de Petro Canada. La seule
exception rencontrée est celle oû le préposé a
signalé qu'il ne vendait pas d'huile à moteur de
marque Turbo mais seulement de l'huile Turbo de
Petro Canada.
Compte tenu du fait que les stations Petro
Canada ne vendent évidemment pas d'huile prove-
nant d'un concurrent et qu'on ne s'y attend d'ail-
leurs pas et compte tenu du fait que Petro Canada
vend une huile particulière, testée pour les moteurs
à turbocompresseur d'alimentation, je suis quelque
peu surpris que même un préposé ait pu établir la
différence. Il n'y aurait eu aucune différence si le
mot «Turbo» n'avait pas été inscrit de façon frap-
pante sur l'étiquette mais seulement en petits
caractères sur l'étiquette précisant que l'huile avait
été testée dans les moteurs turbo. Personne ne
conteste ni ne prétend que Petro Canada n'avait
pas entièrement le droit d'employer le mot «Turbo»
quand celui-ci faisait partie de la description de
l'utilisation de l'huile. Il n'y a aucune preuve selon
laquelle une personne aurait acheté un bidon
d'huile de Petro Canada testée dans les moteurs
turbo en croyant qu'il s'agissait d'un produit de
Turbo Resources.
De plus, le nom de Petro Canada et son logo
figurent sur l'étiquette apposée sur les deux côtés
du bidon. Ils ressortent de façon frappante et,
même si les lettres du mot Petro Canada ne sont
pas en caractères aussi larges que celles du mot
«Turbo», elles sont très visibles et distinguables. Il
me semble que personne ne pourrait conclure, en
regardant l'étiquette, que l'huile contenue dans le
bidon est produite par Turbo Resources et non par
Petro Canada.
La demanderesse ne s'est pas acquittée du far-
deau d'établir une forte présomption à l'égard du
monopole d'exploitation découlant d'un éventuel
sens dérivé du mot «Turbo».
Je dois donc conclure, à partir de la preuve par
affidavit présentée à l'appui de la requête et des
contre-interrogatoires, que la demanderesse Turbo
Resources n'a pas établi l'existence d'une présomp-
tion que Petro Canada violerait peut-être son
monopole. Il est cependant possible que cette
preuve soit établie par la présentation de nouveaux
éléments de preuve à l'audition au fond.
La requête sera donc rejetée. Je m'abstiens
cependant expressément de traiter de la question
des incidences les plus favorables. En ce qui con-
cerne la nature des dommages-intérêts, je m'abs-
tiens aussi de tirer quelque conclusion sinon pour
dire que si l'injonction avait été accueillie, le préju-
dice causé à Petro Canada aurait pu être réparé en
argent. Les frais pour retirer et remplacer les
étiquettes sur ses bidons d'huile testée dans les
moteurs turbo constitueraient en fait le seul préju-
dice et pourraient être évalués assez facilement.
La défenderesse a droit aux dépens de la requête
si elle obtient gain de cause dans l'instance
principale.
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