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A-44-87
Sa Majesté la Reine (appelante)
c.
Charles Lawrence LeBar (intimé)
RÉPERTORIÉ: LEBAR C. CANADA
Cour d'appel, juges Urie, Mahoney et MacGui- gan—Ottawa, 12 et 27 octobre 1988.
Droit constitutionnel Principes fondamentaux Pri- mauté du droit La Cour d'appel fédérale a, à l'occasion d'un mémoire spécial visé par la Règle 475, interprété une disposition législative concernant le calcul des peines Un autre prisonnier a été détenu au delà de la date à laquelle il aurait être libéré, selon des calculs fondés sur l'interpréta- tion donnée par la Cour La Couronne a soutenu qu'une décision rendue précédemment ne constituait qu'un jugement déclaratoire et n'avait pas l'autorité de la chose jugée à défaut d'une parfaite identité des parties L'obligation pour les autorités gouvernementales de se conformer à la loi est un aspect fondamental du principe de la primauté du droit, qui
est inséré dans le préambule de la Charte Il serait impensa- ble qu'il faille un processus d'exécution pour s'assurer que le gouvernement s'acquitte des obligations que lui impose la loi
Les autorités gouvernementales ne pouvaient pas avoir de doutes quant au caractère général de la décision de la Cour il était scandaleux que le gouvernement n'ait pas obéi à ce jugement déclaratoire D'autres recours s'offrent au gouver- nement s'il y a contradiction entre les décisions judiciaires.
Pratique Jugements et ordonnances Effet d'un juge- ment déclaratoire sur un mémoire spécial visé par la Règle 475
La Cour d'appel a interprété une disposition du Code criminel relative au calcul des peines La Couronne a soutenu que l'affaire d'un autre détenu n'a pas l'autorité de la chose jugée à défaut d'une parfaite identité des parties Raisonnement en faveur des jugements déclaratoires Il serait impensable qu'il faille un processus d'exécution pour s'assurer que les autorités gouvernementales obéissent à la loi
Conséquence du principe de la primauté du droit en ce qui concerne les demandes en jugement déclaratoire L'alléga-
tion de la Couronne ne tient pas compte de la réalité La Cour a répondu en une proposition universelle à une question relative à l'interprétation d'une disposition législative Cer- tains choix s'offrent aux autorités si elles croient qu'il y a contradiction entre les décisions judiciaires.
Pénitenciers La Cour fédérale a, en une proposition universelle, interprété une disposition du Code relative au calcul des peines Le préposé à la gestion des peines de l'établissement de Collins Bay a été informé que le demandeur avait le droit d'être libéré immédiatement en raison de l'inter- prétation de la Cour Il a été détenu pendant 43 jours supplémentaires Il s'agit de savoir si les préposés de la Couronne sont tenus d'appliquer une décision antérieure dans le cas du demandeur Il a été allégué qu'un jugement déclaratoire n'a pas de force coercitive à l'encontre de la Couronne La Cour d'appel a confirmé le jugement de la Division de première instance qui adjugeait des dommages- intérêts généraux et des dommages-intérêts exemplaires.
Couronne Responsabilité délictuelle Détention illégale Un prisonnier a été détenu dans un pénitencier pendant 43 jours au delà de la date à laquelle il aurait être libéré, selon des calculs fondés sur l'interprétation que la Cour a donnée d'une disposition du Code relative au calcul des peines Le juge de première instance a accordé des dommages-inté-
rêts généraux et des dommages-intérêts exemplaires Juge- ment confirmé en appel Les autorités gouvernementales n'avaient pas le choix de ne pas se conformer à la loi ll était scandaleux que le gouvernement ne s'est pas conformé au jugement déclaratoire Il n'est pas nécessaire que le l'intimé prouve l'intention de nuire ou la mauvaise foi lorsqu'on se trouve en présence d'actes oppressifs, arbitraires ou inconstitu-
tionnels accomplis par des préposés du gouvernement Rejet de l'appel incident formé par l'intimé relativement au montant des dommages-intérêts.
Il s'agit d'un appel et d'un appel incident à l'encontre d'un jugement déclaratoire de la Division de première instance portant que l'intimé aurait être libéré du pénitencier six semaines avant la date à laquelle il a effectivement été libéré. L'intimé s'est vu accorder des dommages-intérêts généraux au montant de 430 $ et des dommages-intérêts exemplaires au montant de 10 000 $. La Couronne conteste le montant adjugé à titre de dommages-intérêts exemplaires et soutient que l'arrêt Maclntyre, invoqué au procès, ne constituait qu'un jugement déclaratoire et n'avait pas l'autorité de la chose jugée vu qu'il n'y avait pas parfaite identité des parties. L'intimé, dans son appel incident, conteste les montants accordés à titre de dom- mages-intérêts généraux et à titre de dommages-intérêts exemplaires.
Arrêt: l'appel et l'appel incident devraient être rejetés.
La décision de la Cour dans l'affaire Maclntyre ne touchait pas uniquement les droits du détenu dans cette affaire-là, mais elle répondait en une proposition universelle à une question générale relativement au sens de l'article 24.2 de la Loi sur les pénitenciers. Les autorités gouvernementales ne pouvaient pas avoir de doutes quant au caractère général de la déclaration de la Cour. On doit s'apercevoir que le gouvernement obéit à la loi.
Pour adjuger des dommages-intérêts exemplaires, il n'était pas nécessaire que la Cour découvre une intention de nuire pour qu'on se trouve en présence d'actes oppressifs, arbitraires ou inconstitutionnels accomplis par le gouvernement.
L'intimé n'a pas réussi à prouver que le juge de première instance a commis une erreur dans l'adjudication des dommages-intérêts.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 1 l (R.-U.).
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 137 (mod. par S.C. 1972, chap. 13, art. 9; 1976-77, chap. 53, art. 6).
Loi électorale du Canada, S.R.C. 1970 (1°" Supp.), chap. 14, art. 14(4)e).
Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 24.2 (ajouté par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 338(2).
JURISPRUDENCE DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Mactntyre c. La Reine, [1983] 1 C.F. 603 (C.A.); Dyson v. Attorney -General, [1911] I K.B. 410 (C.A.); Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [ 1985] I R.C.S. 721; B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (Pro- cureur général), [ 1988] 2 R.C.S. 214; Gould c. Procureur général du Canada, [1984] 1 C.F. 1 119 (l'° inst.); [1984] 1 C.F. 1133 (C.A.); confirmé par [1984] 2 R.C.S. 124; 13 D.L.R. (4th) 491; Rookes v. Barnard, [1964] 1 All E.R. 367 (H.L.); Linda! c. Linda!, [1981] 2 R.C.S. 629; 129 D.L.R. (3d) 263.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Re Sowa and the Queen (1979), 50 C.C.C. (2d) 513 (C.A. Sask.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Union des facteurs du Canada c. Société canadienne des postes (1986), 8 F.T.R. 93 (1'° inst.); Emms c. La Reine et autre, [ 1979] 2 R.C.S. 1148; R. c. Ouimet, [ 1979] I C.F. 55 (C.A.); Broome v. Cassell & Co. Ltd., [1972] A.C. 1027 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
Andrews et autres c. Grand & Toy Alberta Ltd. et autre, [1978] 2 R.C.S. 229; 83 D.L.R. (3d) 452; Arnold et autre c. Teno et autre, [1978] 2 R.C.S. 287; 83 D.L.R. (3d) 609; Thornton c. School District No. 57 (Prince George) et autres, [1978] 2 R.C.S. 267; 83 D.L.R. (3d) 480.
DOCTRINE
Wade, H.W.R. Administrative Law, éd., Oxford: Cla- rendon Press, 1982.
Evans, J.M. De Smith's Judicial Review of Administra tive Action, éd., Londres: Stevens & Sons Ltd., 1980.
Dicey, A.V. Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 10° éd., Londres: Macmillan & Co. Ltd., 1959.
AVOCATS:
Donald J. Rennie pour l'appelante. Fergus J. O'Connor pour l'intimé.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour l'appelante.
O'Connor, Ecclestone & Kaiser, Kingston, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN: Il s'agit d'un appel et d'un appel incident à l'encontre du jugement rendu par le juge Muldoon le 12 janvier 1987 [[1987] 1 C.F. 585], dans lequel il a déclaré que l'intimé avait le droit d'être libéré de prison le 10 août 1982 et non pas le 22 septembre 1982, date à laquelle il a effectivement été libéré.
Le juge Muldoon a accordé des dommages-inté- rêts généraux au montant de 430 $ et des domma- ges-intérêts exemplaires au montant de 10 000 $. Devant notre Cour, l'appelante n'a contesté ni la déclaration de responsabilité ni le montant adjugé à titre de dommages-intérêts généraux et n'en a appelé que du montant adjugé à titre de domma- ges-intérêts exemplaires. Dans son appel incident, l'intimé a contesté à la fois le montant adjugé à titre de dommages-intérêts généraux et celui adjugé à titre de dommages-intérêts exemplaires.
Au cours de l'été 1982, l'intimé finissait de purger une peine d'emprisonnement et était censé être libéré le 22 octobre 1982. Les dates saillantes ont été classées ainsi par le juge de première instance [aux pages 588 et 5891:
19 juillet —La Cour d'appel fédérale a rendu son arrêt unanime dans l'affaire Maclntyre c. La Reine, [1983] I C.F. 603;
l0 août —Date régulière de la mise en liberté du deman- deur selon l'interprétation législative faite dans l'affaire Maclntvre;
13 août —On a signifié au Service correctionnel Canada, par l'entremise du préposé à la gestion des peines de l'établissement de Collins Bay (tous sont des préposés de la défenderesse) que l'ar- rêt Maclntyre avait pour conséquence de modifier la durée de la peine du demandeur et que, de l'avis de son avocat, ce dernier devait être libéré immédiatement;
14 septembre—Dépôt de la déclaration et de l'avis de requête en injonction provisoire, la présentation de cel- le-ci était prévue pour le 23 septembre;
22 septembre Le demandeur a obtenu sa mise en liberté: —L'avocat de la défenderesse a confirmé le consentement au retrait par le demandeur de la requête susmentionnée, sans dépens;
Le juge de première instance a statué ce qui suit relativement à ces faits la page 599]:
Il ressort du dossier de la Cour que le jugement Maclntyre a en fait été signé le 19 juillet 1982. L'avocat du demandeur a, le 13 août 1982, avisé les préposés de la défenderesse de l'effet de ce jugement à l'égard de son client. Il n'a été mis en liberté que le
22 septembre 1982. L'avocat de la défenderesse connaît le droit. De ce retard énorme et inexpliqué, on ne peut conclure qu'à la négligence et au mépris intentionnel ou injustifié du droit du demandeur à la liberté. Telle est la conclusion de la Cour. L'étude de la possibilité de demander l'autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada ne justifie pas l'emprisonnement illégal. En conséquence, cette Cour conclut que le demandeur avait droit et a encore droit à ce que sa période d'emprisonnement soit calculée conformément à l'arrêt Mac/ntyre c. La Reine, signé et rendu par la Cour d'appel fédérale le 19 juillet 1982, et maintenant publié dans [1983] 1 C.F. 603. Les préposés de la Couronne étaient tenus de l'appli- quer au demandeur. Ils ont refusé ou négligé de le faire. La défenderesse est donc tenue, envers le demandeur, aux domma- ges-intérêts pour l'avoir involontairement et inutilement détenu à l'établissement de Collins Bay pendant une période de 43 jours allant du 11 août 1982 au 22 septembre 1982.
À la suite de cette détention illégale, le juge de première instance a accordé des dommages-inté- rêts exemplaires de 10 000 $, qu'il a justifiés ainsi [aux pages 608 et 609]:
Ne tenir compte de la décision de la Cour rendue le 19 juillet 1982 que le 22 septembre 1982 revenait à négliger l'obligation qui en découle pendant une période de 65 jours. Ne pas tenir compte de la signification par l'avocat du demandeur de l'effet de la décision de la Cour entre le 13 août et le 22 septembre revenait à désavouer aussi bien la décision que l'obligation qui en découle pendant une période de 40 jours. ll s'agit donc d'une détention arrogante et arbitraire du demandeur. Ainsi qu'il a été souligné, l'interprétation par la Cour de la loi pertinente prend effet et fait autorité dès qu'un jugement a été rendu.
Les dommages-intérêts sont ceux qui revêtent également ce qu'on appelle un caractère [TRADUCTION] «punitif., «exem- plaire., et même, selon Linden [Canadian Tort Law, (3` éd., 1982, Butterworths, Toronto) p. 51 ] «vengeur» et tenant de la «pénalité». Une telle nomenclature, variée mais constante et vigoureuse, dénote l'intention judiciaire de dénoncer l'incon- duite de la défenderesse. Bien que la détention abusive du demandeur par les préposés de la défenderesse pendant 43 jours après ses 20 ans d'emprisonnement, mises à part les périodes il a été en liberté illégalement, ne l'humilie ni ne le discrédite davantage, elle n'en constitue pas moins un abus de pouvoir qui ne repose sur aucun fondement constitutionnel. Au Canada, la liberté est un droit et une valeur sociale que protège, bien que sous condition, la Constitution, il est intolérable qu'on fasse peu de cas de la liberté précieuse d'une personne, même s'il s'agit de la liberté que le demandeur lui-même a dépréciée.
En l'espèce toutefois, l'une des caractéristiques attribuées à la conduite des préposés de la défenderesse, soit l'intention de nuire, n'a pu ni être imputée à une personne en particulier ni être déduite de quoi que ce soit. Leur négligence et leur mépris abusif et délibéré ou injustifié du droit du demandeur d'être mis en liberté étaient tels qu'il y a lieu à des dommages-intérêts exemplaires. Bien qu'ils aient été informés en temps utile, ils ont persisté à le détenir en prison jusqu'à la veille de la date de présentation de sa requête en injonction, en septembre 1982. Injustifiée par les faits, leur inconduite est juridiquement injustifiable.
En l'espèce, en matière de dommages-intérêts exemplaires, ce sont encore les contribuables qui doivent payer pour la prévari- cation des préposés de la défenderesse, mais cette fois ils doivent payer une somme plus importante à cet égard. L'éva- luation ne relève pas d'une science exacte. La fixation des dommages-intérêts exemplaires doit représenter une sanction suffisante de la conduite répréhensible des préposés qui n'ont pas tenu compte de la loi dont l'interprétation qui fait autorité leur a été signalée clairement et qui ont osé, de façon oppres sive, abusive et délibérée, méconnaître le droit du demandeur d'être libéré conditionnellement de sa détention illégale. Compte tenu de la jurisprudence qui, malheureusement pour l'évaluateur, ne porte pas sur une situation identique ni même presque semblable, la Cour accorde au demandeur la somme de $ 10 000à titre de dommages-intérêts exemplaires.
L'arrêt Maclntyre c. La Reine, [1983] 1 C.F. 603 (C.A.), a eu pour effet de modifier l'interprétation donnée à l'article 137 du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34 (mod. par S.C. 1972, chap. 13, art. 9; 1976-77, chap. 53, art. 6)] en ce qui a trait au calcul des peines dans les cas un prisonnier a commis une infraction pendant qu'il était en liberté illégalement.
Dans sa plaidoirie, l'appelante a soutenu princi- palement qu'on ne pouvait pas accorder de dom- mages-intérêts exemplaires parce que l'arrêt Maclntyre ne constituait qu'un jugement déclara- toire et qu'un jugement de ce genre n'a pas l'auto- rité de la chose jugée lorsqu'il n'y a pas parfaite identité de parties. A l'appui de cette allégation, l'appelante a cité l'ouvrage de H. W. R. Wade intitulé Administrative Law, 5e éd., à la page 523:
[TRADUCTION] En soi, un jugement déclaratoire ne fait qu'é- noncer une situation juridique existante. Il n'oblige personne à faire quoi que ce soit et le fait de ne pas en tenir compte ne constitue pas un outrage au tribunal. Mais, en donnant à une partie l'occasion de découvrir quelle est sa situation juridique, elle donne ouverture à l'utilisation d'autres recours pour lui donner effet, si cela devait être nécessaire.
L'appelante a également invoqué la remarque formulée par le juge Addy dans la décision Union des facteurs du Canada c. Société canadienne des postes (1986), 8 F.T.R. 93 (1fe inst.), à la page 94, où, tout en citant le passage susmentionné tiré de Wade, il faisait remarquer qu'aucun jugement ou ordonnance déclaratoire «ne peut en soi donner lieu à une procédure d'exécution forcée ni, a for- tiori, à un redressement pour outrage au tribunal».
L'appelante a également attiré l'attention de la Cour sur l'arrêt Emms c. La Reine et autre, [1979] 2 R.C.S. 1148. Dans cette affaire-là, notre Cour avait statué, à [1978] 2 C.F. 174, que l'appe-
Tant, qui était employé du gouvernement, avait été renvoyé de son travail de façon correcte pendant une prolongation de la période normale de stage, mais ultérieurement, dans l'affaire R. c. Ouimet, [1979] 1 C.F. 55 (C.A.), notre Cour avait jugé que le règlement qui permettait à la direction de pro- longer la période normale de stage était inconstitu- tionnel. Il n'a pas été interjeté appel de l'arrêt Ouimet, contrairement à l'arrêt Emms. Le juge Pigeon, au nom d'une minorité concourante de juges de la Cour suprême, a soulevé la même question qu'en l'espèce, sans toutefois la trancher, aux pages 1160 1162:
Je ne connais aucune jurisprudence qui applique la théorie de la chose jugée aux décisions judiciaires sur la validité de règlements administratifs. Mais la théorie de la chose jugée n'est pas établie par une loi écrite, c'est du droit prétorien, tout comme la règle de preuve arrêtée dans Ares c. Venner ([1970] R.C.S. 608), et il appartient aux tribunaux d'élaborer ces principes en regard des besoins de l'époque.
Le jugement de première instance dans Ouimet fait voir à quel point il serait grave de considérer qu'une déclaration d'invalidité ne vaut que pour le demandeur dans l'affaire elle est prononcée.
En conséquence, si l'invalidation formelle d'un règlement administratif ne s'applique pas à tous ceux qui y sont assujettis, cela peut signifier que toutes les autres personnes auxquelles s'adresse le règlement, y compris les organismes administratifs subalternes, sont tenues de continuer d'appliquer un texte invalidé. C'est évidemment pour éviter un pareil résultat qu'en droit municipal, on décide que l'annulation d'un règlement s'applique «in rem».
Peut-on permettre à un organisme administratif de laisser subsister une déclaration d'invalidité dans une affaire donnée et de n'en pas tenir compte envers les tiers pour le cas où, dans une autre affaire, elle pourrait réussir à faire décider le con- traire par un tribunal d'instance supérieure, sinon par un autre juge? La décision devrait-elle être assimilée à la déclaration d'invalidité d'une loi à laquelle on semble n'avoir jamais donné que l'autorité d'un précédent?
Après mûre réflexion, j'estime ne pas avoir à me prononcer sur cette question difficile parce que, en tenant pour acquis que l'intimée a le droit de demander une décision contraire à l'arrêt Ouimet, je ne trouve aucune raison de le faire. On n'a présenté à l'appui de la validité du par. 30(2) du Règlement sur l'emploi dans la Fonction publique aucun argument qui n'y ait été étudié par le juge de première instance et la Cour d'appel fédérale et on ne fait voir aucune erreur dans les jugements rendus à cet égard.
Le juge Martland a, au nom de la majorité, statué sur l'affaire sans parler de la question. Par consé- quent, cette affaire-là ne fait autorité en aucune façon.
Le jugement déclaratoire, tel que nous le con- naissons maintenant, n'est apparu pour la première fois dans la jurisprudence que dans l'arrêt Dyson v. Attorney -General, [1911] 1 K.B. 410 (C.A.). Le jugement déclaratoire se distingue des autres ordonnances judiciaires car il indique quel est le droit sans prononcer aucune sanction contre le défendeur, mais la question qui est tranchée par le jugement déclaratoire acquiert manifestement l'autorité de la chose jugée entre les parties et ledit jugement devient un précédent ayant force obliga- toire. Le raisonnement en faveur des jugements déclaratoires est formulé ainsi dans l'ouvrage inti- tulé De Smith's Judicial Review of Administrative Action, 4 e éd., par J. M. Evans, Londres: Stevens & Sons Ltd., 1980, la page 475:
[TRADUCTION] II n'est parfois ni nécessaire ni souhaitable de trancher un conflit juridique par la menace de la contrainte. Si on a un conflit avec un ami et s'il faut qu'une cour de justice se prononce sur les questions juridiques pertinentes, il est absurde de devoir demander à la cour de prononcer des sanctions contre lui. Et peu importe quels peuvent être les liens personnels existant entre les parties, le litige dans lequel on requiert des sanctions risque d'engendrer une aigreur qui va à l'encontre des intérêts des parties et de ceux de la société. Encore une fois, il est souvent inconvenant d'agir en supposant de façon implicite que le défendeur ne respectera pas le droit déclaré par la cour à moins de sanctions éventuelles. C'est tout particulièrement vrai lorsque le défendeur est un organisme ayant des responsabilités publiques. De plus, il peut être très difficile en pratique de faire exécuter judiciairement une ordonnance coercitive contre les organes de l'État. (Les ordonnances rendues par la Cour euro- péenne (la Cour des Communautés) contre les États-membres sont de nature presque exclusivement déclaratoire). Il y a également des cas l'adjudication d'un recours coercitif serait injuste envers le défendeur mais la validité de la revendica- tion du demandeur à son encontre garantit une reconnaissance judiciaire officielle. Dans tous ces genres d'affaires, il est grandement avantageux que les tribunaux aient le pouvoir de prononcer des jugements exécutoires déclarant les droits et les devoirs des parties, sans qu'il soit nécessaire de prévoir quelque redressement concomitant.
La force de cette analyse réside, me semble-t-il, dans le fait que le jugement déclaratoire constitue un instrument permettant tout particulièrement de statuer à l'égard des organismes «ayant des respon- sabilités publiques» parce qu'on peut supposer que, sans coercition, ils respecteront le droit tel qu'il a été déclaré par les tribunaux. On ne doit donc pas considérer que l'incapacité du jugement déclara- toire de prévoir, sans plus, un processus d'exécu- tion rend insuffisantes les actions en jugement déclaratoire formées contre le gouvernement. Tout pouvoir en vue de l'exécution d'un jugement de ce genre contre le gouvernement serait superflu.
À mon avis, l'obligation pour le gouvernement et ses fonctionnaires de se conformer à la loi est l'aspect fondamental du principe de la primauté du droit, qui est maintenant inséré dans notre Consti tution grâce au préambule de la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Cet aspect a été relevé par A. V. Dicey dans son ouvrage intitulé Introduction to the Study of the Law of the Constitution, 10e éd., E. C. S. Wade, 1959, aux pages 193, 202 et 203 et a été établi de façon convaincante par la Cour suprême dans l'arrêt collégial Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, à la page 748':
La primauté du droit, qui constitue un principe fondamental de notre Constitution, doit signifier au moins deux choses. En premier lieu, que le droit est au-dessus des autorités gouverne- mentales aussi bien que du simple citoyen et exclut, par consé- quent, l'influence de l'arbitraire.
Tout insaisissable qu'elle puisse être, la notion de primauté du droit doit de toutes façons vouloir dire que «la loi est suprême» et que les autorités gouver- nementales n'ont pas la faculté de ne pas lui obéir. Il serait impensable, sous le régime de la primauté du droit, de supposer qu'il faille un processus d'exécution pour s'assurer que le gouvernement et ses fonctionnaires vont s'acquitter fidèlement des obligations que leur impose la loi. Que le gouver- nement doit obéir et obéira à la loi est un principe fondamental de notre Constitution.
La conséquence de ce principe en ce qui con- cerne les actions en jugement déclaratoire a, me semble-t-il, déjà été définie implicitement par notre Cour dans l'affaire Gould: Gould c. Procu- reur général du Canada, [ 1984] 1 C.F. 1119 (1 re inst.), juge Reed; Procureur général du Canada c. Gould, [1984] 1 C.F. 1133 (C.A.); confirmé par [1984] 2 R.C.S. 124; 13 D.L.R. (4th) 491.
Cette affaire-là concernait une requête en injonction interlocutoire (dans une action en juge- ment déclaratoire) enjoignant au directeur général des élections et au solliciteur général de permettre au requérant, qui était détenu dans un pénitencier,
' Dans un arrêt récent B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214, le juge en chef Dickson, a, au nom de la majorité déclaré la p. 229) que la «primauté du droit constitue donc le fondement même de la Charte».
d'exercer son droit de vote à l'élection fédérale de 1984, malgré l'alinéa 14(4)e) de la Loi électorale du Canada [S.R.C. 1970 (1" Supp.), chap. 14]. En évaluant la répartition des inconvénients dans le cas d'une injonction interlocutoire, le juge de première instance a dit, à la page 1127:
Il semble évident qu'en l'espèce la répartition des inconvé- nients joue en faveur du requérant. Sa demande porte seule- ment sur son droit de vote. Il ne revendique pas le droit de vote au nom de tous les détenus.
J'admets que si la requête avait été présentée au nom d'un grand nombre de détenus, la répartition des inconvénients aurait pu jouer dans l'autre sens parce qu'il aurait alors été tout simplement impossible de mettre sur pied avant le 4 septembre les mécanismes nécessaires pour assurer l'exercice du droit de vote à tous les détenus (ou à un grand nombre de ceux-ci).
Le juge Mahoney a, au nom d'une majorité de juges de notre Cour, écrit ce qui suit, à la page 1139:
Considérer que cette action ne touche que les droits de l'intimé équivaut à ne pas tenir compte de la réalité. Si l'alinéa 14(4)e) est jugé nul en tout ou en partie, il sera nul en ce qui concerne tout prisonnier incarcéré au Canada.
En rejetant l'appel interjeté à la Cour suprême, le juge en chef du Canada a fait remarquer la page 124] que «Nous partageons globalement le point de vue exprimé par le juge Mahoney».
Il me semble que, de la même façon, nous devons dire que considérer que l'affaire Maclntyre touche uniquement les droits du détenu dans cette affaire-là équivaut à ne pas tenir compte de la réalité—et en fait du libellé de la décision de la Cour dans cette affaire-là, qui répondait en une proposition universelle à une question générale relativement au sens de l'article 24.2 de la Loi sur les pénitenciers [S.R.C. 1970, chap. P-6 (ajouté par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 41)]. La question était posée de la façon suivante, à la page 609:
7. Voici la question, sur laquelle il faut statuer, dont les parties sont convenues et qu'elles proposent:
L'expression «la peine qu'il purge alors» utilisée à l'article 24.2 de la Loi sur les pénitenciers désigne-t-elle une «sentence consistant en une période d'emprisonnement commençant le jour la première de ces sentences d'emprisonnement (aux- quelles le détenu était assujetti) commence et se terminant à l'expiration de celle de ces périodes d'emprisonnement qui se termine la dernière», aux termes de l'article 14(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus?
8. Si la Cour répond par l'affirmative, le demandeur aura droit, en vertu d'un jugement déclaratoire qui sera rendu à cet effet, à une réduction méritée de peine pouvant équivaloir au tiers de la peine totale calculée suivant cette formule.
9. Si la Cour répond par la négative, aucune réduction méritée de peine ne sera accordée au requérant après le décembre 1979 et la date de sa remise en liberté sera calculée en conséquence.
À cette question, la Cour a répondu ainsi, à la page 624:
Je suis donc d'avis que l'appel devrait être accueilli, l'ordon- nance entreprise réformée et la question posée au paragraphe 7 du mémoire spécial répondue par l'affirmative. Il devrait aussi y avoir jugement déclaratoire conformément au paragraphe 8 du mémoire spécial disant que l'appelant a droit à des réduc- tions statutaire et méritée pouvant aller jusqu'au tiers de l'ensemble calculé en fonction de «la peine qu'il purge alors», ce qui, aux termes de l'article 24.2 de la Loi sur les pénitenciers, signifie, dans le cas de l'appelant, une [TRADUCTION] «sentence consistant en une période d'emprisonnement commençant le jour la première de ces sentences d'emprisonnement, aux- quelles l'appelant était assujetti, commence, c'est-à-dire le 6 juillet 1971, et se terminant à l'expiration de celle de ces périodes d'emprisonnement qui se termine la dernière, confor- mément au paragraphe 14(1) de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus».
Les autorités gouvernementales ne pouvaient pas avoir de doutes quant au caractère général de la déclaration de la Cour.
L'appelante a soutenu devant notre Cour que les autorités gouvernementales ont néanmoins être dans l'embarras à cause de la contradiction appa- rente entre l'arrêt Maclntyre et celui qui a été rendu par la Cour d'appel de la Saskatchewan dans Re Sowa and the Queen (1979), 50 C.C.C. (2d) 513. Le juge en chef Thurlow, qui était d'accord avec la majorité dans l'arrêt Maclntyre, a expressément établi une distinction avec l'arrêt Sowa la page 605). L'intimé a allégué que la majorité des juges l'ont également fait implicite- ment.
Mais en admettant, dans le cadre de la discus sion, qu'il y avait contradiction entre les deux affaires et que les fonctionnaires étaient pris dans un véritable dilemme quant à ce qu'il fallait faire dans le cas des détenus du pénitencier de Prince Albert en Saskatchewan, la meilleure ligne de conduite à adopter pour l'appelante, comme l'a indiqué le juge de première instance, aurait être d'essayer de faire postdater le jugement dans l'af- faire Maclntyre selon la Règle 338(2) [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] ou de deman- der une autorisation de pourvoi à la Cour suprême et un sursis quant à l'exécution du jugement Maclntyre. Même si ses fonctionnaires croient qu'il a une bonne raison de marquer un temps
d'arrêt et d'étudier la question, il ne suffit pas au gouvernement de rester en apparence muet à l'égard d'un jugement déclaratoire et de ne pas s'y conformer, parce qu'une telle inobservation mani- feste de la loi peut facilement scandaliser le public. On doit s'apercevoir que le gouvernement obéit à la loi. S'il a quelque raison de ne pas être certain, il doit bien au principe de la primauté du droit de faire connaître publiquement sa position, en con testant juridiquement l'obligation apparente impo sée par les tribunaux. À mon avis, la primauté du droit ne peut pas vouloir dire moins que cela. Je rejette donc la prétention de l'appelante selon laquelle elle n'était pas tenue de se conformer au jugement déclaratoire prononcé dans l'affaire Maclntyre.
L'autre question sur laquelle porte l'appel con- cerne les dommages-intérêts exemplaires eux- mêmes.
L'appelante a soutenu que, vu que l'adjudication de dommages-intérêts exemplaires vise à dissuader plutôt qu'à indemniser, des dommages-intérêts de ce genre ne sont adjugés que pour punir l'auteur d'un délit de s'être conduit de façon tyrannique, malveillante ou arbitraire, conduite qui est assez outrageuse pour justifier la condamnation de la Cour, et jamais lorsque le défendeur a agi de bonne foi. Le juge de première instance n'a pas conclu à l'intention de nuire. Celle-ci, a-t-il dit la page 609] «n'a pu ni être imputée à une per- sonne en particulier ni être déduite de quoi que ce soit>.
L'arrêt de principe, Rookes v. Barnard, [ 1964] 1 All E.R. 367 (H.L.), traitait de la question des dommages-intérêts exemplaires dans le cas d'inti- midation de la part d'un syndicat. Lord Devlin a exposé la question ainsi, à la page 407:
[TRADUCTION] Les dommages-intérêts exemplaires diffèrent essentiellement des dommages-intérêts ordinaires. Au sens habituel du terme, les dommages-intérêts visent à indemniser. Quant aux dommages-intérêts exemplaires, leur but est de punir et de dissuader. On peut bien penser que cela confond les fonctions civiles et les fonctions pénales du droit; et en effet, pour autant que je sache, la notion de dommages-intérêts exemplaires est propre au droit anglais. Il n'existe aucune décision de notre Chambre approuvant l'adjudication de dom- mages-intérêts exemplaires et vos seigneuries doivent donc exa miner si la Chambre peut abolir cette anomalie du droit anglais.
Après une étude de la jurisprudence il a conclu, aux pages 410 et 411:
[TRADUCTION] Ces décisions judiciaires me convainquent de deux choses. En premier lieu, que vos seigneuries ne pourraient pas, sans négliger complètement les précédents et même la loi, en arriver à une décision qui refuserait tout à fait d'admettre le principe de l'exemplarité. En deuxième lieu, qu'il y a certaines catégories d'affaires dans lesquelles l'adjudication de domma- ges-intérêts exemplaires peut servir à une fin utile en faisant valoir la force du droit, et en fournissant ainsi une justification pratique en vue de la reconnaissance, en droit civil, d'un principe qui devrait logiquement appartenir au droit pénal. Je me propose d'énoncer ce que sont ces deux catégories ...
La première catégorie est constituée d'actes oppressifs, arbitrai- res ou inconstitutionnels accomplis par des fonctionnaires. Je n'inclus pas dans cette catégorie je dis cela en me référant expressément aux faits en l'espèce—les actes oppressifs accom- plis par des compagnies privées ou des particuliers. Lorsqu'un homme est plus puissant qu'un autre, il est inévitable qu'il tente d'utiliser son pouvoir pour parvenir à ses fins; et s'il dispose d'un pouvoir beaucoup plus grand, on pourrait peut-être dire qu'il l'utilise d'une manière oppressive. S'il utilise son pouvoir illégalement, il doit, bien sûr, expier son illégalité de la manière ordinaire; mais il ne doit pas être puni simplement parce qu'il est plus puissant. Lorsqu'il s'agit du gouvernement, la situation est différente car les fonctionnaires sont également les servi- teurs du peuple et ils doivent toujours utiliser leurs pouvoirs en tenant compte des exigences de leurs fonctions ...
Les cas relevant de la deuxième catégorie sont ceux dans lesquels le défendeur a estimé que ses actes lui apporteraient un avantage pouvant bien dépasser l'indemnité due au demandeur.
Dans un cas des dommages-intérêts exemplaires sont indi- qués, on doit dire aux jurés que si, mais seulement à cette condition, le montant qu'ils pensent adjuger à titre d'indemnité (qui peut naturellement représenter un montant accru selon la façon dont le défendeur a agi envers le demandeur) n'est pas suffisant pour le punir de ses actes outrageux, ils peuvent adjuger un montant plus élevé pour indiquer leur désapproba- tion à l'égard des actes de ce genre et pour le dissuader de recommencer.
Lord Devlin a reconnu que des actes «outra- geux» ou «oppressifs» posés par le gouvernement diffèrent tout à fait d'actes similaires accomplis par des compagnies ou des particuliers puissants et que c'est beaucoup plus grave [TRADUCTION] «car les fonctionnaires sont également les serviteurs du peuple et ils doivent toujours utiliser leurs pouvoirs en tenant compte de leurs fonctions» 2 . Il n'est nullement mentionné que les actes doivent être
2 Dans un arrêt ultérieur, Broome v. Cassel! & Co. Ltd., [1972] A.C. 1027 (H.L.), seul lord Diplock doutait qu'il soit encore nécessaire de maintenir cette catégorie concernant les actes du gouvernement.
posés avec l'intention de nuire ou posés de mau- vaise foi. La catégorie établie par lord Devlin est constituée «d'actes oppressifs, arbitraires ou inconstitutionnels accomplis par des fonctionnai- res». C'est la norme même que le juge de première instance a appliquée en l'espèce. Il a parlé la page 609] du «mépris abusif et délibéré ou injusti- fié du droit du demandeur d'être mis en liberté» et de la page 609] leur persistance «à le détenir en prison jusqu'à la veille de la date de présentation de sa requête en injonction».
L'appelante a allégué que le juge de première instance n'a pas tiré une bonne conclusion de l'omission d'agir, vu la décision discordante rendue en Saskatchewan et le fait que la date à laquelle l'intimé a été remis en liberté était bien encore à l'intérieur du délai prévu par la loi pendant lequel on aurait pu demander l'autorisation d'interjeter appel de la décision Maclntyre.
Mais, à mon avis, cette allégation ne pourrait être accueillie que s'il devait exister une intention de nuire pour justifier des dommages-intérêts exemplaires. Si, comme il me semble évident, l'in- tention de nuire n'est pas nécessaire pour qu'on se trouve en présence «d'actes oppressifs, arbitraires ou inconstitutionnels accomplis par des fonction- naires», l'allégation de l'appelante ne sert qu'à renforcer la conclusion du juge de première ins tance selon laquelle les actes posés par le gouver- nement étaient volontaires et délibérés. Ainsi que je l'ai déjà dit en traitant d'une précédente alléga- tion, le fait pour le gouvernement d'avoir apparem- ment persisté à ne pas se conformer à une décision judiciaire claire n'est pas compatible avec le prin- cipe de la primauté du droit.
Je rejetterais donc l'appel avec dépens.
Dans son appel incident, l'intimé demandait que les dommages-intérêts généraux passent de 10 $ par jour à 500 $ par jour et que les dommages- intérêts exemplaires passent de 10 000 $ à 50 000 $.
Le juge de première instance a examiné le droit, y compris toutes les décisions judiciaires citées devant notre Cour par l'intimé, ainsi que la longue liste des activités criminelles dudit intimé, depuis une première peine d'emprisonnement en 1942 jusqu'à une déclaration de culpabilité pour intro duction par effraction en mars 1983, après les
événements dont il est question ici, à quoi le juge de première instance a attribué le retard de l'audi- tion de la présente affaire jusqu'à l'automne 1986. Au sujet des dommages-intérêts généraux, il a conclu [aux pages 606 et 6071:
Ce qui précède explique pourquoi les dommages-intérêts accordés dans la jurisprudence citée par l'avocat du demandeur sont plus élevés que ceux auxquels il peut prétendre en l'espèce. Celui qui, jouissant de la pleine capacité juridique, ne se comporte pas de façon à conserver sa liberté, mais s'en prend continuellement aux autres par des agissements criminels est l'artisan de la dévaluation de sa propre liberté. Il ne saurait raisonnablement exiger du peuple et du gouvernement cana- diens qu'ils lui payent princièrement la liberté qu'il a constam- ment sous-évaluée et gaspillée. Le demandeur a presque tou- jours été une charge pour les contribuables canadiens, et il cherche à leur imposer le prix de la perte, pendant 43 jours, de la liberté qu'il a si peu respectée. En effet, si on peut attribuer une valeur monétaire à ce qu'il a reçu, il est presque certain que le demandeur doive aux Canadiens, qu'il a escroqués et volés, plus qu'il ne peut payer aux titres du logement et de la nourriture, du fardeau social et de l'inconduite criminelle. À cet égard, on peut se demander pourquoi la défenderesse n'a pas demandé qu'il y ait compensation.
Comment doit-on indemniser le demandeur de la liberté qu'il a sous-évaluée et gaspillée? Il ressort de ses antécédents et de son inconduite ultérieure que, laissé à lui-même le 10 août 1982, il aurait pu s'attirer des ennuis pendant les 43 jours qui suivirent. Bien sûr, il aurait pu (mais pour combien de temps?) respirer l'air exquis de la liberté et, peut-on soutenir, trouver un emploi régulier. Cela compte, mais dans le cas particulier du demandeur, cela ne compte pas beaucoup. En 1982, Collins Bay, il recevait un salaire de $ 35 par semaine. Si l'on devait rattacher à ce montant son indemnité fixe—$ 5 par jour—ses dommages-intérêts seraient fixés à $ 215 pour les 43 jours. Mais même pour les Charles LeBar de ce monde, la liberté vaut plus que cela. Si l'on double cette somme pour la porter à $ 10, on constate que rémunéré de la sorte au cours des vingt
dernières années, soit de 1962 1982, pendant qu'il était incarcéré (abstraction faite de ses périodes de liberté illégale, il devait compter sur lui-même), il aurait pu sortir de prison en 1982 avec une somme de ($ 10 x 365 jours x 20) $ 73 000 plus l'intérêt, s'il avait sagement économisé cette somme. On ne saurait raisonnablement s'attendre à ce que les contribuables canadiens payent plus de $ 10 en dommages-intérêts généraux pour la liberté que M. LeBar lui-même a si manifestement méprisée tant avant qu'après le 10 août 1982. La Cour accorde donc au demandeur $ 430 en dommages-intérêts généraux pour sa détention illégale à compter de minuit le 10 août 1982 jusqu'au moment de sa libération, le 22 septembre 1982.
À mon avis, l'intimé n'a pas réussi à prouver l'existence d'une erreur pouvant faire l'objet d'un examen judiciaire dans l'adjudication de ces dom- mages-intérêts. En effet, la Cour suprême du Canada a adopté une approche fonctionnelle dans les trois jugements rendus le 19 janvier 1978: Andrews et autres c. Grand & Toy Alberta Ltd. et autre, [1978] 2 R.C.S. 229; 83 D.L.R. (3d) 452;
Arnold et autre c. Teno et autre, [1978] 2 R.C.S. 287; 83 D.L.R. (3d) 609; Thornton c. School District No. 57 (Prince George) et autres, [1978] 2 R.C.S. 267; 83 D.L.R. (3d) 480. Par la suite, dans l'arrêt Lindal c. Lindal, [1981] 2 R.C.S. 629, la page 637; 129 D.L.R. (3d) 263, la page 270, la Cour a signalé que «La clé est l'évaluation de la perte de chaque individu» (le juge Dickson, tel était alors son titre). C'est ainsi que le juge de première instance a abordé le problème.
En adjugeant à l'intimé la somme de 10 000 $ à titre de dommages-intérêts exemplaires, le juge de première instance a fait remarquer la page 609] que «la jurisprudence malheureusement pour l'éva- luateur, ne porte pas sur une situation identique ni même presque semblable». Il a analysé ainsi les faits présentés en preuve [aux pages 607 et 608]:
L'avocat de la défenderesse a fait valoir que, à l'époque en cause, il n'existait pas d'ordinateur permettant aux préposés de la défenderesse de reconnaître immédiatement les «quelque vingt» détenus de la prison (pages 73 et 74 de la transcription), sur une population carcérale totale de [TRADUCTION] «13 000 personnes incarcérées dans quelque sept provinces» (page 89 de la transcription), qui se trouvaient dans la même situation que celle du demandeur. L'avocat du demandeur a souligné à juste titre que la Cour ne dispose pas d'éléments de preuve concer- nant la nécessité de faire une recherche manuelle des dossiers de détenus, mais on peut tout de même, en droit, se demander [TRADUCTION] «et puis?». Étant donné la complexité des dispo sitions législatives, l'arrêt Maclntyre n'a pas compliqué davan- tage le calcul des périodes d'emprisonnement. Les dispositions législatives demeurent aussi complexes qu'auparavant.
Il faut se rappeler que, par l'entremise de son avocat, le demandeur a pertinemment tenté de réduire les dommages- intérêts en informant, en temps utile, les préposés compétents de la défenderesse et même le ministre, qu'il devait être mis en liberté selon la méthode de calcul applicable énoncée par la Cour d'appel fédérale. Si les autorités carcérales avaient immé- diatement demandé à un préposé à la gestion des peines de calculer et de vérifier la date de mise en liberté du demandeur, et si, par la suite, ce dernier avait été mis en liberté, la Cour n'aurait pas maintenant à étudier l'opportunité qu'il y a d'adju- ger des dommages-intérêts exemplaires. Personne ne reproche- rait aux fonctionnaires d'avoir pris quelques heures ou même un jour, après la notification, pour calculer la bonne date de mise en liberté.
Encore une fois, l'intimé n'a pas prouvé l'existence d'une erreur. Le montant de 10 000 $ est loin d'être négligeable et je le crois assez élevé pour servir d'élément de dissuasion à l'égard d'actes de ce genre à l'avenir, vu notamment que les consé- quences financières seront, selon toute vraisem- blance, passées en revue lors du budget de l'orga- nisme gouvernemental même qui a été pris en défaut.
Je rejetterais donc l'appel incident. Vu que l'in- timé a obtenu gain de cause en appel et que ce n'est pas à l'appel incident que les parties ont consacré le gros de leurs efforts, je n'adjugerais pas de dépens relativement à l'appel incident.
LE JUGE URIE: Je souscris aux présents motifs.
LE JUGE MAHONEY: Je souscris aux présents motifs.
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