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A-102-87
Lin Trading Co. Ltd. (appelante) c.
CBM Kabushiki Kaisha faisant également affaire sous la raison sociale Japan CBM Corporation et Registraire des marques de commerce (intimés)
RÉPERTORIÉ: LIN TRADING CO. c. CBM KABUSHIKI KAISHA (CA.)
Cour d'appel, juges Urie, Stone et MacGuigan— Toronto, 3 octobre; Ottawa, 14 octobre 1988.
Marques de commerce Enregistrement Appel du jugement de première instance qui a confirmé la décision selon laquelle l'appelante n'avait pas droit à l'enregistrement des marques de commerce »Q & Q Design» et »Q and pour être employées en liaison avec des montres La propriétaire étrangère de la marque de commerce (la société intimée) vendait des marchandises portant cette marque à un grossiste ou à un concessionnaire canadien (appelante) Ces ventes équivalent-elles à un emploi ou à un usage compte tenu de l'expression »dans la pratique normale du commerce» figurant à l'art. 4(l) de la Loi sur les marques de commerce Appel rejeté Si une partie de la chaîne partant du fabricant et aboutissant à l'utilisateur ultime se trouve au Canada, il y a emploi ou usage au Canada au sens de l'art. 4.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10, art. 2, 4(1), 16(I)a).
JURISPRUDENCE DÉCISION APPLIQUÉE:
Manhattan Industries Inc. c. Princeton Manufacturing Ltd. (1971), 4 C.P.R. (2d) 6 (C.F. inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Mayborn Products Limited c. Registraire des marques de commerce, [1984] 1 C.F. 107; (1983), 70 C.P.R. (2d) 1 (1" inst.).
AVOCATS:
Roger T. Hughes, c.r. et Donald M. Cameron
pour l'appelante.
Joseph A. Day pour les intimés.
PROCUREURS:
Sim, Hughes, Dimock, Toronto, pour l'appe- lante.
Gowling & Henderson, Ottawa, pour CBM Kabushiki Kaisha faisant également affaire sous la raison sociale Japan CBM Corpora tion.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE: Appel est interjeté d'un juge- ment prononcé par le juge Joyal en Division de première instance' qui a rejeté un appel formé à l'encontre d'une décision d'un fonctionnaire agis- sant comme président d'audience 2 conformément à la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, chap. T-10 selon laquelle les assertions relatives à l'utilisation des marques de commerce «Q & Q Design» et «Q AND depuis janvier 1981 en liaison avec des montres, horloges, mécanismes d'horlogerie et mouvements d'horlogerie condui- saient à la conclusion que l'appelante n'était pas la personne ayant droit à l'enregistrement de ces marques de commerce.
La société intimée, CBM Kabushiki Kaisha (ci- après appelée «cum»), est une filiale d'une autre société japonaise, Citizen Tokei Kabushiki Kaisha, qui est parfois désignée dans la preuve sous le nom «Citizen Watch Company». Le président de CBM a créé la marque de commerce «Q & Q Design» en avril 1976, et cette société a présenté une demande d'enregistrement de cette marque au Japon peu de temps après. CBM a ensuite sollicité l'enregistre- ment de cette marque dans soixante pays diffé- rents, pour y parvenir dans de nombreux pays, y compris les Etats-Unis. La preuve révèle que ces montres sont fabriquées par la société mère, que cette marque est apposée sur le cadran et l'arrière du boîtier au moment de leur fabrication et que le nom du pays elles sont fabriquées, c'est-à-dire le Japon, la Corée ou Hong Kong, est également alors imprimé à l'arrière de ce boîtier.
Au cours de l'automne 1980, CBM est devenue intéressée à s'infiltrer dans le marché canadien. Avec l'aide de ses banquiers japonais et de leur correspondant canadien, un contact a été établi avec Microsonic Digital Systems Ltd. de Toronto afin de discuter de la possibilité que cette société devienne concessionnaire des montres en question.
[1987] 2 C.F. 352; 14 C.P.R. (3d) 32 (1« inst.).
2 CBM Kabushiki Kaisha v. Lin Trading Co. Ltd. (1985), 5
C.P.R. (3d) 27.
Dans un tel contexte, CBM a expédié un ensemble de 14 [TRADUCTION] «montres Q & à Microso- nic en décembre 1980 en réponse à une demande d'échantillons, et Microsonic s'est vu facturer un montant total de 18,810 Yens. Ces échanges n'ont toutefois pas abouti à la conclusion d'un contrat de concession.
La prise de contact initiale de CBM avec l'appe- lante semble avoir été effectuée au moyen d'une lettre en date du 18 octobre 1980 dans laquelle figure le passage suivant:
[TRADUCTION] Nos montres, qui portent la marque Q & Q, sont fabriquées par Citizen au Japon et elles ont commencé à faire concurrence aux montres faites à HK, qui sont de moins bonne qualité. Jusqu'ici, nous avons obtenu beaucoup de succès aux E. -U. et en Europe.
Cette lettre a conduit à un échange de messages télex dans lesquels l'appelante s'est montrée inté- ressée à devenir concessionnaire canadienne et aussi à établir une usine d'assemblage à Toronto. Soixante-deux [TRADUCTION] «montres de marque Q & ont été envoyées à l'appelante en janvier 1981, pour lesquelles CBM a facturé l'appe- lante au montant total de 94,480 Yens. Ces mon- tres ont été reçues à Toronto le 26 janvier et payées au cours du mois suivant. Cette cargaison comprenait certaines montres à affichage numéri- que individuellement emballées dans un sac de vinyle ainsi qu'une feuille d'instructions portant le modèle de la marque de commerce «Q & ainsi que le nom commercial de CBM. D'autres cargai- sons ont suivi, y compris une cargaison compre- nant un très grand nombre de montres Q & Q qui a été expédiée du Japon à l'appelante en mars 1981 et pour laquelle celle-ci a été facturée au montant de 4,222,200 Yens. Cette cargaison comprenait également des feuilles d'instructions relatives aux montres à affichage numérique, feuilles qui por- taient le modèle de la marque de commerce «Q & Q».
La question générale soumise au juge de pre- mière instance était celle de savoir si l'appelante avait droit à l'enregistrement du modèle «Q & et des marques de commerce «Q AND Q». En prenant la décision qu'il a prise, ce juge a exprimé son inquiétude à l'idée que donner gain de cause à l'appelante, ce serait sanctionner une tentative d'appropriation de biens appartenant à CBM, un résultat qu'il considérait déraisonnable en regard des rapports entretenus par les parties au cours des
mois ayant précédé la présentation des demandes. Sa pensée semble bien se cristalliser dans le pas sage suivant figurant aux pages 5 et 6 de ses motifs de jugement (aux pages 357 et 358):
Je répète que le litige dont je suis saisi découle des rapports particuliers entre les parties qui ont non seulement signé des contrats d'achat et de vente de montres Q & Q au Canada, mais qui ont aussi échangé de la correspondance pour que l'appelante puisse devenir concessionnaire exclusive de celles-ci et mettre sur pied un système d'assemblage des pièces d'horlo- gerie au Canada. Étant donné ces faits, je doute que l'appelante puisse soutenir avec succès qu'une autre personne n'avait pas fait connaître la marque de commerce au Canada. Elle ne peut pas non plus prétendre qu'elle est la personne ayant droit à l'enregistrement. Toute autre conclusion reviendrait à passer sous silence les circonstances dans lesquelles l'appelante aurait adopté la marque de commerce en premier lieu. Ce serait louanger un comportement louche et légitimer ce que je consi- dère comme une pratique commerciale douteuse.
Il a conclu en approuvant entièrement les conclu sions de fait et de droit tirées par le fonctionnaire ayant présidé à l'audience, et il a rejeté l'appel.
Je suis d'accord pour dire que l'espèce doit être jugée sur le fondement des faits tels qu'ils se présentent à la lumière des dispositions de l'alinéa 16(1)a) de la Loi et des dispositions qui s'y trou- vent reliées. Le paragraphe 16(1) et son alinéa a) sont ainsi libellés:
16. (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l'article 29 en vue de l'enregistrement d'une marque de com merce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédéces- seur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des marchandises ou services, a droit, sous réserve de l'article 37, d'en obtenir l'enregistrement à l'égard de ces marchandises ou services, à moins que, à la date le requérant ou son prédécesseur en titre l'a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle ne créât de la confusion avec
a) une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;
Selon l'article 2, les mots «emploi» et «usage», appliqués aux marques de commerce, désignent «tout emploi qui, selon l'article 4, est réputé un emploi en liaison avec des marchandises ou servi ces». Les dispositions du paragraphe 4(1) sont pertinentes. Elles prévoient:
4. (1) Une marque de commerce est censée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la pro- priété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées ou si elle est, de quelque autre manière liée aux marchandises au point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.
La question unique et bien précise à trancher devient donc celle de savoir si CBM a raison d'affir- mer qu'elle [TRADUCTION] «avait ... antérieure- ment employé» la marque du modèle Q & Q «au Canada». Elle prétend que les ventes faites à Microsonic en décembre 1980 et à l'appelante en janvier 1981 ont établi qu'elle avait été la première à utiliser cette marque dans notre pays. L'appe- lante prétend pour sa part que ces activités ne constituaient pas un emploi ou un usage au sens donné à ces termes par la loi. On a beaucoup insisté sur le membre de phrase «dans la pratique normale du commerce» figurant au paragraphe 4(1), en faisant valoir à cet égard que le seul emploi ou usage de cette marque au Canada se trouvait être la distribution par l'appelante elle- même de montres Q & Q à des chaînes de magasins au Canada et l'engagement qui en est résulté pour l'appelante d'honorer les garanties écrites données aux acheteurs ultimes. Ce point a été considéré de la manière suivante aux paragraphes 20 et 24 de la plaidoirie écrite:
[TRADUCTION] 20. L'appelante soutient que puisqu'elle est la seule entité dont le nom était présenté au consommateur cana- dien lorsque les montres Q & Q et leur modèle ont été vendues dans la pratique normale du commerce au Canada, elle a été la première et la seule entité à «employer» la marque de commerce Q & Q et son modèle au Canada au sens de l'article 4 de la Loi sur les marques de commerce et, à ce titre, elle a droit à l'enregistrement de la marque de commerce Q & Q et de son modèle.
24. L'appelante est l'entité ayant complété la chaîne des tran sactions dans la pratique normale du commerce en vendant les montres Q & Q et leur modèle aux consommateurs canadiens par l'intermédiaire des magasins de détail. L'appelante soutient que, tant et aussi longtemps que la chaîne partant du fabricant et aboutissant à l'utilisateur ultime n'avait pas été complétée, il n'y avait eu aucune transaction dans «la pratique normale du commerce». L'appelante soutient que la question de savoir qui a employé la marque de commerce ne peut être tranchée en isolant un des chaînons de cette chaîne. La chaîne doit être examinée dans son entier.
L'appelante ne soutient pas qu'il n'y a pas eu transfert de propriété ou de possession au Canada lorsque les montres ont été vendues à Microsonic en décembre 1980 et à l'appelante en janvier 1981. La marque du modèle «Q & se trouvait claire- ment apposée sur les montres et figurait dans la documentation qui les accompagnait au moment de ces transferts. La question est celle de savoir si ces transferts ont été effectués «dans la pratique
normale du commerce» de façon à constituer un emploi ou un usage de cette marque au Canada par CBM ou si, ainsi que le prétend l'appelante, ces transferts n'ont pas un tel effet.
Avec déférence, je crois que l'argument de l'ap- pelante procède d'une mauvaise interprétation du jugement invoqué pour l'appuyer, l'arrêt Manhat- tan Industries Inc. c. Princeton Manufacturing Ltd. (1971), 4 C.P.R. (2d) 6 (C.F. inst.). Aux pages 16 et 17, le juge Heald (siégeant en Division de première instance) a discuté de la signification de l'expression «dans la pratique normale du com merce» dans les termes suivants:
Je pense que ces mots doivent nécessairement signifier que l'art. 4 envisage la pratique normale du commerce comme commençant avec le fabricant, se terminant avec le consomma- teur, en ayant comme intermédiaire un grossiste et (ou) un détaillant. Lorsque la requérante a vendu au détaillant et que le détaillant a vendu au public, le public en est venu à associer la marque de la requérante avec la ceinture «HARNESS HOUSE»; l'art. 4 considère que l'emploi entre le détaillant et le public bénéficie au fabricant et constitue un emploi au Canada. En d'autres mots si une partie quelconque de la chaîne se trouve au Canada, cela constitue un «usage» ou un «emploi» au Canada au sens de l'art. 4. Si cette interprétation est exacte, la vente par les détaillants à Toronto et Montréal au public des marchandises «HARNESS HOUSE» portant la marque de commerce de la requérante constitue alors un «usage» ou «emploi» au Canada, peu importe que la propriété ou la posses sion en soient passées au détaillant aux Etats-Unis ou non. [Le soulignement est ajouté.]
Il ressort clairement des mots que j'ai soulignés que le juge Heald n'excluait pas de la signification qu'il prêtait à l'expression «dans la pratique nor- male du commerce» la vente que fait le proprié- taire d'une marque de commerce étrangère des biens portant sa marque à un grossiste ou à un concessionnaire canadien. C'est précisément ce qui s'est passé en l'espèce. Les montres ont évidem- ment été vendues à Microsonic et à l'appelante dans le but d'aider CBM à réaliser l'objectif légi- time qu'elle s'était fixé de pénétrer le marché canadien, bien que le rôle direct joué par cette société à l'égard des ventes se soit limité à la fourniture de biens à partir du Japon. Je ne puis tout simplement pas souscrire au point de vue de l'appelante voulant que les ventes ne puissent être effectuées «dans la pratique normale du com merce» que s'il est démontré qu'elles ont été effec- tuées tout au long de la chaîne mentionnée par M. le juge Heald, dont le dernier chaînon est le con- sommateur ultime. Comme je l'ai déjà dit, l'arrêt
Manhattan Industries ne semble pas poser une telle exigence. À mon avis, les montres Q & Q ont été vendues à l'appelante «dans la pratique nor- male du commerce» et ont permis à CBM de faire «emploi» ou «usage» de la marque de commerce du modèle Q & Q au Canada.
Il est soutenu que le juge Cattanach est arrivé à une conclusion contraire à celle que je viens de prendre dans l'affaire Mayborn Products Limited c. Registraire des marques de commerce, [1984] 1 C.F. 107, aux pages 118 et 119; (1983), 70 C.P.R. (2d) 1 (l" inst.), à la page 11, mais, avec défé- rence, je ne suis pas d'accord avec cette assertion. Contrairement aux circonstances de l'espèce, les faits de cette décision ne visaient pas la vente par le propriétaire de la marque de commerce étran- gère à un grossiste canadien de marchandises sur lesquelles sa marque était imprimée. La vente dont il était question dans cette affaire avait été faite au Canada par une filiale anglaise à qui nul enregis- trement ne permettait l'emploi de la marque de commerce en cause au Canada, ce qui a amené le juge à conclure que le propriétaire de cette marque de commerce étrangère ne l'avait pas utilisée dans notre pays au sens exigé par la loi. Comme ce point est le seul qui ait été tranché dans cette décision, cette espèce peut être entièrement distin- guée de la nôtre. D'autre part, si l'on pouvait interpréter l'une ou l'autre des paroles du juge de première instance comme déclarant que la chaîne doit demeurer entièrement intacte entre le fournis- seur étranger (le propriétaire de la marque de commerce) et le consommateur canadien pour qu'il y ait vente par ce fournisseur «dans la prati- que normale du commerce», je ne considérerais pas une telle assertion conforme au principe énoncé dans l'arrêt Manhattan Industries qui, à mon sens, énonce correctement le droit sur cette question.
En résumé, je crois que le juge de première instance a conclu avec raison que la marque de commerce visée en l'espèce a été antérieurement employée au Canada par CBM au sens de l'alinéa 16(1)a) de la Loi. Cet usage a eu lieu lorsque CBM a vendu ses montres, lesquelles, comme la docu mentation qui les accompagnait, portaient l'im- pression de la marque «Q & Q», à Microsonic en décembre 1980 et à l'appelante en janvier 1981. Ces ventes, à mon avis, établissent clairement
l'emploi de la marque de commerce au Canada par cary «dans la pratique normale du commerce» et, comme telles, constituaient un «emploi» ou un «usage» au sens de la Loi.
Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais le présent appel avec dépens.
LE JUGE URIE: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MACGUIGAN: Je souscris à ces motifs.
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