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T-150-88
Mahmoud Mohammad Issa Mohammad (requé- rant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration; Minis- tre d'État à l'Immigration; et le Gouverneur en conseil (intimés)
RÉPERTORIÉ: MOHAMMAD C. CANADA (MINISTRE DE L'EM- PLOI ET DE L'IMMIGRATION)
Division de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Toronto, 29 février; Ottawa, 11 mars 1988.
Immigration Expulsion Le requérant a obtenu le droit d'établissement par des représentations erronées sur son casier judiciaire Il a été déclaré coupable en Grèce, en 1968, d'infractions relatives à un attentat commis à bord d'un avion de la ligne israélienne Le gouvernement ordonne la tenue d'une enquête sur son expulsion Couverture médiatique importante Bref de certiorari demandé pour annuler le rapport de l'art. 27(1) et la directive d'enquête de l'art. 27(3) et bref de prohibition pour empêcher la tenue de l'enquête Le requérant a bénéficié de renseignements appropriés et de la possibilité de convaincre le gouverneur en conseil ou le minis- tre de sa réhabilitation La décision de tenir une enquête est de nature administrative L'équité n'exige pas que le requé- rant participe aux délibérations visées à l'art. 27(3) concernant la tenue d'une enquête Les propos des ministres à la Chambre des communes n'indiquent pas qu'ils ont eu l'inten- tion d'expulser le requérant sans qu'il y ait application régu- lière de la loi Le ministre exerce une double responsabilité: il doit être juste envers le requérant mais il doit aussi faire respecter les lois du Canada L'expertise des arbitres et le droit d'appel rencontrent les conditions d'un processus déci- sionnel impartial et indépendant Demande rejetée.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Annulation du rapport de l'art. 27(1) de la Loi sur l'immigra- tion de 1976 et des directives d'enquête en vertu de l'art. 27(3) Prohibition Le requérant a obtenu le droit d'établisse- ment en vertu de déclarations erronées sur son casier judiciaire Absence de traitement inéquitable Le requérant a bénéfi- cié de renseignements appropriés et de la possibilité de con- vaincre le gouverneur en conseil et le ministre de sa réhabilita- tion La décision de tenir une enquête est de nature administrative Caractère minimal de l'obligation d'agir équitablement Cette obligation n'exige pas que le requérant participe aux délibérations de l'art. 27(3) Le processus décisionnel n'est pas entaché de partialité par suite des propos des ministres en Chambre Les propos, pris dans leur contexte, n'indiquent pas une intention d'expulser le requérant sans qu'il y ait application régulière de la loi L'expertise des arbitres et le droit d'appel rencontrent les conditions d'un processus décisionnel impartial et indépendant.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Déclarations erronées du requérant sur son casier judiciaire Statut de résident permanent accordé Ordon-
nance d'enquête sur expulsion A titre de résident perma nent, le requérant sera-t-il privé des droits garantis par la Charte si l'ordonnance d'expulsion est rendue?
En février 1987, le requérant et sa famille ont obtenu le statut de résident permanent. En décembre 1987, un agent d'immigration a demandé au requérant de se présenter à une entrevue concernant ses antécédents. Le ministère de l'Immi- gration avait découvert que le requérant avait été déclaré coupable en Grèce, en 1968, d'infractions relatives à un atten- tat commis à bord d'un avion de la ligne aérienne israélienne au cours duquel une personne avait été tuée. Le requérant avait deux options: quitter le pays de plein gré ou se soumettre à une enquête portant sur son expulsion. On lui a dit qu'il aurait jusqu'à la fin janvier 1988 pour quitter de plein gré. Cependant, le 20 janvier, on lui a signifié un avis d'enquête. Selon l'agent d'immigration, le gouvernement a ordonné la tenue de l'enquête en raison des pressions exercées par les médias. Le requérant cherche à obtenir bref de certiorari pour annuler le rapport effectué en application du paragraphe 27(1) de la Loi sur l'immigration de 1976 et les directives d'enquête visées au paragraphe 27(3) ainsi qu'une ordonnance interdisant la tenue de l'enquête sur expulsion. Le requérant prétend qu'il n'a pas été traité équitablement parce qu'on ne lui a pas donné l'occa- sion d'établir à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'il s'était réhabilité ou, à la satisfaction du ministre, que lui permettre de demeurer au Canada ne serait pas préjudiciable à l'intérêt national. Il soutient de plus qu'il a droit de bénéficier d'une norme d'équité supérieure à celle requise selon l'arrêt Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (C.A.), puisque à titre de résident permanent, il sera privé des droits que lui reconnaît la Charte si une ordonnance d'expulsion est rendue. En ce qui concerne le bref de prohibition, le requérant prétend que le processus décisionnel a été entaché de partialité en raison des propos tenus par certains ministres à la Chambre des commu nes et qui indiqueraient qu'une décision aurait été prise avant la tenue de l'enquête. On prétend de plus que l'enquête porterait atteinte à son droit d'être entendu par un tribunal impartial et indépendant en raison de la position de l'arbitre au sein du ministère (l'argument de la partialité institutionnalisée).
Jugement: la demande devrait être rejetée.
L'argument du requérant qu'il a été traité inéquitablement parce qu'on ne lui a pas donné l'occasion de satisfaire le gouverneur en conseil ou le ministre a été rejeté. Le requérant avait invoqué la décision Simpson c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) de la Commission d'appel de l'immigration selon laquelle il faut accorder au requérant la possibilité d'établir à la satisfaction du ministre qu'il s'est réhabilité. Aucune décision dans laquelle le principe de la décision Simpson a été appliqué à des personnes qui avaient obtenu le droit d'établissement par des représentations erronées sur leur casier judiciaire n'a été présentée. En outre, l'expres- sion dans la version anglaise des alinéas 19(1)c) et e) de la Loi «have satisfied the Governor in Council (or Minister). est employée au passé et offre ainsi une exception à ceux qui ont déjà entrepris des démarches pour établir leur réhabilitation. Enfin, le requérant a bénéficié de renseignements appropriés et de la possibilité de présenter des arguments en l'espèce. L'agent d'immigration a exposé avec justesse les préoccupations du ministère et expliqué les dispositions applicables de la Loi. Le requérant a eu l'occasion de consulter un avocat. Il est impor tant de constater que le requérant a toujours la possibilité
d'établir sa réhabilitation au cours des procédures visées au paragraphe 32(2) ou à l'alinéa 72(1)b). L'agent d'immigration n'avait plus d'autre obligation à remplir avant qu'un rapport sur la situation du requérant soit rédigé. Par conséquent, l'agent avait compétence pour rédiger le rapport.
L'argument du requérant fondé sur l'arrêt Kindler c. Mac- Donald de la Cour d'appel est rejeté. Dans cette affaire, la Cour a conclu que la décision d'ordonner la tenue d'une enquête selon le paragraphe 27(3) était de nature administra tive. La Cour a conclu que l'obligation d'agir équitablement était minime. Comme le juge MacGuigan l'a souligné, «il s'agit simplement de décider si une enquête doit être tenue et non de priver le requérant de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne». La conclusion dans l'arrêt Kindler quant à la nature d'une décision prise en vertu du paragraphe 27(3) ne concernait pas le statut de la personne présente devant la Cour. Elle s'applique tant aux personnes qui ne bénéficient pas d'un statut légal (comme Kindler) qu'aux immigrants qui ont obtenu le droit d'établissement (comme le requérant en l'espèce). Celui-ci conserve tout au long de la procédure d'en- quête des droits importants quant au fond et à la procédure (voir les paragraphes 70(1) et 72(1) de la Loi). L'équité n'exige pas que le requérant participe aux délibérations visées au paragraphe 27(3) qui ne portent que sur la tenue d'une enquête.
L'argument que la décision de tenir une enquête a été prise pour un motif illégitime parce qu'elle découlait des déclarations des ministres en Chambre et de la publicité des médias est également rejeté. Il n'y a pas eu de déclaration d'intention d'expulser le requérant sans observer de procédure équitable. Les représentants des intimés ont indiqué qu'en raison de l'intérêt marqué de cette affaire, le requérant devait choisir rapidement entre quitter le pays de plein gré ou rester et se soumettre à une enquête. Le requérant ayant tardé à manifester son choix, la tenue de l'enquête a été ordonnée. Les considéra- tions en matière d'immigration qui ont été à l'origine de ce choix étaient valides.
La prétention que le processus décisionnel a été entaché de partialité en raison des propos des ministres en Chambre a été rejetée. Sous le régime de la Loi, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration doit prendre position à l'égard de chaque requé- rant. Il a une double responsabilité: il doit être juste à l'égard du requérant mais il doit aussi faire observer les lois du Canada et les politiques du Parlement. Cette politique doit toujours être établie avant l'audition du cas. Le processus ne devient pas irrégulier parce que le ministre a établi sa position publique- ment. En outre, les propos dont on se plaint doivent être replacés dans leur contexte. Dans les cas l'on prétend que des propos tenus publiquement s'avèrent partiaux, les tribunaux ont déclaré que ceux-ci doivent être examinés dans leur ensem ble et non dans leurs moindres détails. D'autres extraits du Hansard révèlent que le requérant bénéficierait de l'application régulière de loi et que toutes les procédures judiciaires nécessai- res seraient respectées. Enfin, les auteurs des propos controver- sés n'étaient pas les décideurs alors que dans les cas habituels, la personne qui prononce le discours est le décideur. Bien que les propos des ministres auraient pu être plus nuancés, ils n'ont pu toutefois avoir eu pour effet d'entacher de partialité tout le processus décisionnel.
La prétention que l'attitude de l'arbitre est entachée de partialité institutionnalisée est également non fondée. La struc ture et la pratique de la Direction de l'arbitrage du ministère n'ont pas à prévoir l'existence d'un tribunal qui agisse avec le même degré d'indépendance qu'une cour ou même que la Commission d'appel de l'immigration. En termes d'indépen- dance, les arbitres se situent quelque part entre les autres employés du ministère et les membres de la Commission d'ap- pel de l'immigration. Le système d'arbitrage prévoit qu'une décision initiale sera prise par une personne du ministère qui a reçu une formation dans les domaines pertinents; il prévoit également que la décision peut être portée en appel devant un tribunal plus indépendant. L'expertise et le droit d'appel ren- contrent les conditions d'un processus décisionnel indépendant et impartial selon l'arrêt MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370. L'arbitre doit être à l'abri de toute intervention réelle ou apparente dans le cadre du processus décisionnel. Cette norme a été respectée. Il n'y a aucune preuve qu'un ministre ait déjà obligé un arbitre à rendre une décision dans un sens particulier.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 76.2b) (ajouté par S.C. 1972, chap. 13, art. 6), 83(1)a) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 3), 217.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, art. 19(I)c),e), 27(1)a),e),(3), 32(2), 59, 60, 61, 70(1), 72(1).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Kindler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (C.A.); Cac- camo c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion, [1978] I C.F. 366; (1977), 16 N.R. 405 (C.A.); confirmant [1977] 2 C.F. 438 (1fe inst.).
DÉCISION APPLIQUÉE:
Van Rasse! c. Canada (Surintendant de la GRC), [1987] 1 C.F. 473 (1" inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Simpson c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration) (1987), 3 Imm. L.R. (2d) 20 (C.A.I.); Tsang c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), déci- sion en date du 7-1-88, C.A.I., encore inédite; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 122; Re Multi -Malls Inc. et al. and Minister of Transportation and Communications et al. (1976), 14 O.R. (2d) 49 (C.A.); R. c. Vermette, [1984] C.A. 466; (1984), 16 C.C.C. (3d) 532 (Qué.); R. v. Pickersgill et al., Ex parte Smith et al. (1970), 14 D.L.R. (3d) 717 (B.R. Man.).
DÉCISIONS CITÉES:
Anderson c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 2 C.F. 30; (1980), 113 D.L.R. (3d) 243 (C.A.); Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.); Fulay c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, T-152-83, Jerome J.C.A., ordonnance en date du 19-4-84, C.F. Ire inst., non publiée; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; 14 C.R.R. 13; Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673; Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369; The Judges v. Attorney - General for Saskatchewan (1937), 53 T.L.R. 464 (P.C.); MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370.
DOCTRINE
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129,
n° 236, Sess., 33° Lég. 18 janvier 1988, la p. 12001. Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129,
n° 237, Sess., 33° Lég. 19 janvier 1988, aux p. 12055,
12057.
Canada, Débats de la Chambre des communes, vol. 129,
n° 238, Sess., 33° Lég. 20 janvier 1988, à la p. 12095.
Canada, House of Commons Debates, Vol. 129, No. 236, 2nd Sess., 33rd Parl. January 18, 1988, at p. 12001.
Canada, House of Commons Debates, Vol. 129, No. 237, 2nd Sess., 33rd Parl. January 19, 1988, at pp. 12055, 12057.
Canada, House of Commons Debates, Vol. 129, No. 238, 2nd Sess., 33rd Parl. January 20, 1988, at p. 12095.
AVOCATS:
Marlys Edwardh, Barbara Jackman et Lorne Waldman pour le requérant.
David Sgayias et Michael Duffy pour les intimés.
PROCUREURS:
Ruby & Edwardh, Toronto, pour le requé- rant.
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Le requé- rant cherche à obtenir un bref de certiorari annu- lant le rapport effectué à son sujet en application du paragraphe 27(1) [Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52] et la directive d'en- quête en application du paragraphe 27(3), ainsi qu'un bref de prohibition interdisant à l'arbitre d'entendre sa cause.
Le 25 février 1987, le requérant et sa famille sont arrivés au pays munis de visas qui leur avaient été délivrés en Espagne. Le statut de résident permanent leur a été accordé au moment de leur arrivée.
Le 21 décembre 1987, le requérant a eu une conversation téléphonique avec M. C. Fiamelli, un agent d'immigration, qui lui a demandé de se présenter à une entrevue portant sur ses antécé- dents, ses activités antérieures et un problème qui venait d'être soulevé. L'entrevue a eu lieu le 29 décembre 1987. Au cours de celle-ci, M. Fiamelli a montré au requérant trois dossiers et quelques photographies. C'est alors que le requérant a com- pris que le ministère de l'Immigration savait main- tenant qu'il avait été déclaré coupable en Grèce, en 1968, d'infractions relatives à un attentat commis à bord d'un avion de la ligne aérienne israélienne El Al au cours duquel une personne avait été tuée.
M. Fiamelli a présenté au requérant deux options. La première permettait au requérant de quitter le pays de son plein gré, et dans ce cas, aucune mesure d'exécution ne serait prise. Sa famille serait autorisée à rester au Canada et il pourrait la visiter en obtenant un permis du minis- tre. M. Fiamelli a proposé d'accorder au requérant jusqu'à la fin janvier pour quitter de plein gré.
L'autre option, s'il ne quittait pas de plein gré, était une enquête portant sur son expulsion. Si une ordonnance d'expulsion était rendue, sa famille en souffrirait également. Le requérant a été avisé des trois motifs pour lesquels une enquête aurait lieu. M. Fiamelli a inscrit les articles de la loi applica- bles et les lui a remis.
À la fin de l'entrevue, le requérant a indiqué qu'il voulait voir son avocat. Le 31 décembre 1987, il rencontrait son procureur, Me Brian Pennell, et lui racontait tout ce que M. Fiamelli avait dit. Me Pennell a communiqué avec M. Fiamelli et con- venu de le rencontrer le 15 janvier 1988, date qu'il a plus tard reporter. Plusieurs conversations téléphoniques entre Me Pennell et M. Fiamelli ont eu lieu par la suite.
Le 20 janvier 1988, le requérant a rencontré son avocat et M. Fiamelli; un avis d'enquête lui a alors été signifié. Le requérant est resté surpris parce qu'il avait cru qu'il avait jusqu'à la fin janvier avant qu'une enquête soit entreprise.
L'enquête a commencé le 25 janvier 1988. Avant son ouverture, M. Fiamelli a répondu au requérant qui l'interrogeait sur les raisons de la tenue de l'enquête que le gouvernement en avait ordonné la tenue à cause des pressions exercées par les médias.
Le requérant soutient que M. Fiamelli ne l'a pas avisé qu'il pouvait présenter des arguments au gouverneur en conseil ou au ministre pour établir qu'il s'était réhabilité depuis la perpétration de son crime, que lui permettre de demeurer au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt natio nal et que pour des considérations d'ordre humani- taire une enquête ne devrait pas être tenue. L'avo- cat du requérant a cependant reconnu que l'entrevue de M. Fiamelli avec le requérant s'était déroulée tout à fait convenablement. La critique, c'est que l'agent n'a pas déployé suffisamment d'efforts, non seulement en ne précisant pas les options offertes au requérant mais également en ne précisant pas les moyens de les exercer.
Selon les autres faits sur lesquels s'appuie le requérant, les 18, 19 et 20 janvier 1988, trois ministres de la Couronne, le solliciteur général, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration et le ministre d'État à l'Immigration, ont fait une série de déclarations en Chambre et à l'extérieur de celle-ci au sujet de la situation du requérant. La transcription contenue dans le Hansard au cours de ces jours a été présentée en preuve et révèle que les ministres ont notamment déclaré que le requé- rant avait fourni de faux renseignements afin d'en- trer au Canada, qu'il avait été déclaré coupable de terrorisme et que l'objectif primordial du gouver- nement était de s'en débarrasser.
Les dispositions législatives pertinentes en l'es- pèce sont les alinéas 19(1)c) et e), 27(1)a) et e) et le paragraphe 27(3) de la Loi sur l'immigration de 1976:
19. (1) Ne sont pas admissibles
c) les personnes qui ont été déclarées coupables d'une infrac tion qui constitue, qu'elle ait été commise au Canada ou à l'étranger, une infraction qui peut être punissable, en vertu d'une loi du Parlement, d'une peine maximale d'au moins dix ans d'emprisonnement, à l'exception de celles qui établissent
à la satisfaction du gouverneur en conseil qu'elles se sont réhabilitées et que cinq ans au moins se sont écoulés depuis l'expiration de leur peine;
e) les personnes qui se sont livrées à des actes d'espionnage ou de subversion contre des institutions démocratiques au sens cette expression s'entend au Canada, ou au sujet desquelles il y a de bonnes raisons de croire qu'elles se livreront à de tels actes, à l'exception de celles qui, s'y étant livrées, ont établi à la satisfaction du Ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;
27. (1) Tout agent d'immigration ou agent de la paix, en possession de renseignements indiquant qu'un résident perma nent
a) ne remplit pas les conditions d'obtention du droit d'éta- blissement du fait de son appartenance à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), d), e) ou g) ou à l'alinéa 19(2)a) par suite d'une déclaration de culpabilité faite à son égard avant l'obtention du droit d'établissement,
e) a obtenu le droit d'établissement soit sur présentation d'un passeport, visa ou autre document relatif à son admis sion faux ou obtenu irrégulièrement, soit par des moyens frauduleux ou irréguliers soit grâce à une représentation erronée d'un fait important, que ces moyens aient été exercés ou ces représentations faites par ledit résident ou par un tiers, ou
doit adresser un rapport écrit et circonstancié au sous-ministre à ce sujet.
(3) Sous réserve des instructions ou directives du Ministre, le sous-ministre saisi d'un rapport visé aux paragraphes (1) ou (2), doit, au cas il estime que la tenue d'une enquête s'impose, adresser à un agent d'immigration supérieur une copie de ce rapport et une directive prévoyant la tenue d'une enquête.
Les arguments du requérant portant sur ces dispositions sont divisés en trois parties principales, chacune d'elles étant présentée par l'un de ses trois avocats. Ces trois parties sont les suivantes: le bref de certiorari, le bref de prohibition et les redressements.
I: Le bref de certiorari
Le requérant conteste le rapport visé au para- graphe 27(1) et la directive d'enquête visée au paragraphe 27(3) pour des motifs de compétence et d'équité.
A: Le rapport visé au paragraphe 27 (1)
Le rapport est fondé sur trois motifs. Le rapport allègue que le requérant est présumé visé par les alinéas 27(1)a) et e) pour les motifs suivants:
1. C'est une personne qui ne remplit pas les conditions d'obtention du droit d'établissement du fait de son appartenance à la catégorie non admissible visée à l'alinéa 19(1)c) par suite d'une déclaration de culpabilité faite à son égard avant l'obtention du droit d'établissement;
2. C'est une personne qui ne remplit pas les conditions d'obtention du droit d'établissement parce qu'il est décrit à l'alinéa 19(1)e) comme étant une personne qui s'est livrée à des actes d'espionnage ou de subversion contre des institu tions démocratiques;
3. Il est visé par l'alinéa 27(1)e) parce qu'il a obtenu le droit d'établissement en raison d'une représentation erronée d'un fait important.
Les faits contenus dans le rapport à l'appui de ces motifs sont les suivants: le 26 mars 1970, à Athènes en Grèce, le requérant a été déclaré cou- pable d'infractions équivalentes à celles visées par l'article 217 et les alinéas 83(1)a) (mod. par S.C. 1976-77, chap. 53, art. 3] et 76.2b) [ajouté par S.C. 1972, chap. 13, art. 6] du Code criminel [S.R.C. 1970, chap. C-34] canadien qui prévoient des peines maximales supérieures à 10 ans; le requérant a commis un acte terroriste et fait partie du Front populaire pour la libération de la Pales- tine dont l'objectif est de renverser le gouverne- ment israélien; le requérant a obtenu le droit d'éta- blissement sur la base d'une représentation erronée parce qu'il a déclaré dans sa demande qu'il n'avait jamais été reconnu coupable d'une infraction criminelle.
Il convient de signaler d'abord que le requérant ne conteste pas le troisième motif à l'appui du rapport: l'existence d'une représentation erronée. Par conséquent, la Cour ne peut accueillir sa demande d'annulation du rapport en entier puis- que ce motif à lui seul justifie le rapport. Il s'oppose cependant aux deux autres motifs. Si ceux-ci étaient retranchés du rapport, l'arbitre chargé de l'enquête ne pourrait en tenir compte: voir la décision Anderson c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1981] 2 C.F. 30; (1980), 113
D.L.R. (3d) 243 (C.A.). Les arguments du requé- rant sur ces deux points méritent donc d'être examinés.
L'argument fondamental de la compétence au regard des deux motifs fondés sur l'alinéa 27(1)a) consiste à affirmer que l'agent signataire du rap port ne disposait pas, comme l'exige cet alinéa, des renseignements concernant tous les éléments des alinéas 19(1)c) et e). Plus précisément, l'agent ne savait pas si le requérant avait établi à la satisfac tion du gouverneur en conseil qu'il s'était réhabi- lité et que cinq ans au moins s'étaient écoulés depuis l'expiration de sa peine ou s'il avait établi à la satisfaction du ministre que son admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.
On ne prétend pas que le requérant avait établi ces faits à la satisfaction du gouverneur en conseil ou du ministre. On ne conteste pas non plus que l'agent d'immigration savait que le requérant n'avait pas établi ces faits à la satisfaction de ces fonctionnaires. Ce que l'on soutient, c'est qu'avant qu'un rapport puisse être rédigé l'agent devait s'assurer que le requérant avait eu la possibilité d'établir ces faits à leur satisfaction et qu'il avait échoué. On prétend que l'auteur du rapport ne pouvait certes pas en avoir connaissance puisque la possibilité n'avait pas été offerte au requérant. Je rejette cet argument. Pour les motifs qui suivent, je ne crois pas que le requérant disposait d'une autre possibilité que celle qui lui avait été accordée d'établir ces faits. En rédigeant le rapport, l'agent d'immigration n'a donc pas outrepassé sa compé- tence.
Le requérant prétend, comme deuxième motif de contestation du rapport, qu'il n'a pas été traité équitablement. Le requérant s'appuie sur la juris prudence pour démontrer qu'une personne qui demande d'entrer au Canada en ayant déjà été déclarée coupable d'une infraction doit avoir la possibilité d'établir qu'elle a été réhabilitée. (Il n'existe pas de jurisprudence semblable applicable à l'alinéa 19(1)e) mais le requérant soutient que les mêmes principes s'appliquent par analogie.) Les décisions portant directement sur ce point proviennent de la Commission d'appel de l'immi- gration. Il s'agit des décisions Simpson c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1987), 3 Imm. L.R. (2d) 20, en date du 16 juillet 1987 et Tsang c. Canada (Ministre de l'Emploi et
de l'Immigration) en date du 7 janvier 1988 [encore inédite].
Dans la décision Simpson, la Commission a décidé que les principes d'équité administrative dégagés de l'arrêt Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.), exigeaient que le requérant soit avisé qu'il devait établir à la satisfaction du ministre qu'il était réhabilité et que la possibilité d'établir ce fait lui soit offerte. Il convient de signaler deux faits dans cette affaire: d'abord, le requérant avait été déclaré coupable d'une infraction mineure et rien n'indique qu'il ait tenté d'en cacher l'existence. Deuxièmement, l'intimé a reconnu que les considé- rations d'ordre humanitaire étaient suffisamment importantes pour que l'appel soit accueilli.
Dans l'affaire Tsang, la Commission a appliqué la décision Simpson à un requérant qui avait d'abord apparemment menti au sujet de sa décla- ration de culpabilité mais dont le mensonge avait été découvert avant qu'il ait obtenu le droit d'éta- blissement. Ici encore, le refus d'accorder le droit d'établissement a été jugé invalide puisque le requérant n'avait pas eu la possibilité de convain- cre le gouverneur en conseil.
En l'espèce, le fait que le requérant ait effective- ment obtenu le droit d'établissement avant l'avène- ment de ce litige constitue une distinction impor- tante en regard des deux décisions de la Commission d'appel de l'immigration. L'avocat n'a présenté aucune décision dans laquelle le principe de la décision Simpson a été appliqué à des person- nes qui avaient obtenu le droit d'établissement par des représentations erronées sur leur casier judiciaire.
L'avocat soutient également que la pratique de la Commission, exposée dans le manuel de l'Immi- gration, est d'offrir la possibilité d'établir la réha- bilitation. Selon la preuve par affidavit d'un prati- cien en immigration, les personnes qui se trouvent au Canada illégalement ont également la possibi- lité d'établir leur réhabilitation. Selon les principes dégagés de la décision Fulay c. Ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration, non publiée, en date du 19 avril 1984, du greffe T-152-83, on a prétendu que le requérant aurait être traité de la même façon que les autres qui se trouvaient dans la même situation.
Cet argument devrait être rejeté pour plusieurs raisons. Premièrement, je doute que les termes de la loi justifient l'interprétation libérale que la Commission d'appel de l'immigration leur accorde. L'expression dans la version anglaise de la disposi tion «have satisfied the Governor in Council (or Minister)» est évidemment employée au passé et semble une exception pour ceux qui ont déjà entre- pris des démarches pour établir leur réhabilitation.
Deuxièmement, le requérant a bénéficié de ren- seignements appropriés et de la possibilité de pré- senter des arguments en l'espèce. A la suite de sa première entrevue avec M. Fiamelli, le requérant connaissait les préoccupations du ministère de l'Immigration concernant ses antécédents, les évé- nements particuliers à l'origine de ces préoccupa- tions, les motifs pour lesquels une enquête serait tenue, le cas échéant, et les articles de la Loi qui étaient appliqués. Il a manifesté le désir d'en dis- cuter avec son avocat, ce qu'il a fait, et Me Pennell a eu par la suite la possibilité d'en discuter avec M. Fiamelli, ce qu'il a fait. Il ressort de deux autres conversations téléphoniques ultérieures entre Me Pennell et M. Fiamelli que l'affaire était devenue plus urgente et que certaines décisions devraient bientôt être prises. Ces événements offraient au requérant d'autres possibilités d'empêcher qu'un rapport soit rédigé et qu'une enquête soit tenue en lui permettant de fournir plus de renseignements. M. Fiamelli n'avait plus d'autre obligation à rem- plir avant qu'un rapport sur la situation de M. Mohammad soit rédigé.
J'accorde également de l'importance au fait qu'il soit toujours possible au requérant, comme le souligne l'intimé, de convaincre le ministre ou le gouverneur en conseil. L'avocat du requérant se demandait si même un règlement approprié de ces questions par les ministres concernés serait admis sible en preuve devant l'arbitre ou la Commission d'appel de l'immigration à la suite de la rédaction et de la confirmation du rapport visé au paragra- phe 27(1). Je ne partage pas cette inquiétude. Aux termes du paragraphe 32(2), l'arbitre doit décider si un résident permanent est une personne visée au paragraphe 27(1). Cela oblige forcément l'arbitre à vérifier si le requérant a établi à la satisfaction du ministre et du gouverneur en conseil qu'il s'est réhabilité ou que son admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national. De même, lors
d'un appel interjeté à la Commission d'appel de l'immigration en application du paragraphe 72(1), la Commission doit établir si, compte tenu des circonstances de l'espèce, la personne devrait être renvoyée du Canada (alinéa 72(1)b)). En rendant cette décision, un des critères les plus pertinents serait certes de vérifier si le ministre est convaincu de la réhabilitation de cette personne ou de son admissibilité. A la fin de l'audience, l'avocat du requérant m'a d'ailleurs prié, dans l'éventualité je déciderais qu'une enquête devrait être tenue, d'ordonner au ministre d'examiner les questions soulevées par les alinéas 19(1)c) et e) avant le début de l'enquête. Il est donc clair que l'existence du rapport n'a pas mis fin à la possibilité du requérant d'établir sa réhabilitation ou son admis- sibilité dans l'intérêt national.
Par conséquent, je suis d'avis de rejeter les motifs d'annulation du rapport visé au paragraphe 27(1).
B: La directive d'enquête visée au paragraphe 27(3)
Ce document est également contesté pour des motifs de compétence et d'équité. Concernant le premier motif, on soutient que le sous-ministre ou le fonctionnaire qui ordonne la tenue d'une enquête doit s'assurer de l'existence d'une appa- rence de droit contre le requérant. Par conséquent, puisque le rapport visé au paragraphe 27(1) est incomplet, on n'a pu établir l'existence d'une appa- rence de droit. Ayant décidé que le rapport visé au paragraphe 27(1) est valide, je dois rejeter cet argument.
Sur la question de l'équité, le requérant tente d'abord de distinguer l'espèce de la décision Kind- ler c. MacDonald, [1987] 3 C.F. 34 (C.A.). Dans cet arrêt, la Cour a conclu que la décision d'ordon- ner la tenue d'une enquête en application du para- graphe 27(3) était une décision purement adminis trative. Tout ce que le sous-ministre avait à décider, c'était de déterminer si la tenue de l'en- quête était justifiée, ce qu'il pouvait faire en pré- sence d'une apparence de droit. Dans cet arrêt, la Cour a conclu que l'obligation d'agir équitable- ment était minime. Le juge MacGuigan poursuit ainsi aux pages 40 et 41:
À cet égard, il m'apparaît des plus importants que les décisions visées constituent simplement des décisions prises au sujet de (with respect to) l'intimé, et non contre celui-ci. En
fait, on pourrait dire que de telles décisions favorisent ce dernier, puisque celui-ci non seulement a droit à une audition mais, en vertu du paragraphe 30(1) de la Loi, peut être représenté par un avocat. En d'autres termes, il ne s'agit pas d'une décision privant l'intimé de sa vie, de sa liberté, de la sécurité de sa personne ou même de ses biens, de sorte qu'elle n'est pas visée par le principe selon lequel «une obligation de respecter l'équité dans la procédure incombe à tout organisme public qui rend des décisions administratives qui ne sont pas de nature législative et qui touchent les droits, privilèges ou biens d'une personne», dont l'application était confirmée par la Cour suprême dans l'arrêt Cardinal et autre c. Directeur de l'éta-
blissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, la page 653 (les soulignements sont ajoutés).
En fait, j'estime qu'il serait ridicule d'exiger même que, dans de telles circonstances, il soit permis à l'intimé de présenter des arguments par écrit concernant la décision d'accorder une audition. Si telle était la loi, pourquoi une audition antérieure ne serait-elle pas tenue relativement à cette décision de tenir une audition, et ainsi de suite, en reculant à l'infini? Pourvu que les décisions officielles aient été prises de bonne foi, je ne vois pas comment elles pourraient porter atteinte à l'équité, et le juge de première instance a conclu que la preuve ne révèle aucune mauvaise foi.
La distinction que tente d'établir le requérant porte sur les faits de cette affaire. On dit que M. Kindler se trouvait illégalement au Canada, ayant fui les États-Unis pour éviter d'y être arrêté. L'ar- rêt ne s'applique donc qu'aux gens qui n'ont pas de statut au Canada et donc ni de droits dont ils peuvent être privés. En raison de l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1985] 1 R.C.S. 177; 14 C.R.R. 13, le requé- rant soutient que la situation d'un résident perma nent est fort différente. Celui-ci a le droit d'être traité équitablement en vertu de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11, (R.-U.)], le droit de demeurer au Canada et de choisir le lieu de ses déplacements et le droit d'obtenir la citoyenneté. Une ordonnance d'expul- sion le prive de tous ces droits.
Cet argument ne peut être retenu en l'espèce puisque la décision est d'ordonner la tenue d'une enquête et non l'expulsion. Cependant, le requé- rant soutient également que la décision même de tenir une enquête portera préjudice à ses droits. Une fois la directive visée au paragraphe 27(3) prononcée, il peut être détenu ou, comme c'est d'ailleurs son cas, libéré en vertu de certaines conditions sévères. De plus, il y a aussi le fait que le requérant et sa famille vont vivre d'une façon
tendue et ce, peut-être pendant des années, jusqu'à ce que sa cause ait franchi les étapes de l'audience et de l'appel. L'avocat du requérant conclut donc qu'on aurait lui accorder la possibilité de pré- senter des arguments sur les raisons pour lesquelles une enquête n'était pas justifiée avant que la direc tive soit prononcée.
Le requérant exagère les conséquences de la mise en oeuvre de la procédure d'enquête. Comme le juge MacGuigan le souligne dans l'arrêt Kind- ler, il s'agit simplement de décider si une audience doit être tenue et non de priver le requérant de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. Les conséquences découlant de la direc tive d'enquête, le devoir de se rapporter et de comparaître à l'audience, sont tout à fait propor- tionnelles à leur objectif, c'est-à-dire, s'assurer que le requérant soit présent.
Les arguments présentés au nom du requérant minimisent également l'importance de ses droits, lesquels demeurent les mêmes au cours de l'ins- tance. À titre d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement, il peut interjeter appel à la Com mission d'appel de l'immigration de toute ordon- nance de renvoi rendue contre lui (paragraphe 72(1)). Il a également le droit de suspendre l'en- quête à tout moment en revendiquant le statut de réfugié au sens de la Convention. Il a le droit de demander au comité consultatif sur le statut de réfugié de se prononcer sur sa revendication et à la Commission d'appel de l'immigration de réexami- ner la décision du comité (paragraphe 70(1)). Tout au long de la procédure d'enquête, le requé- rant conserve ces droits importants quant au fond et à la procédure.
Je ne suis pas convaincu qu'on ait réussi à établir une distinction entre l'affaire Kindler et l'espèce. La conclusion de la Cour d'appel quant à la nature et aux conditions d'une décision visée au paragraphe 27(3) ne concernait en rien le statut de la personne présente devant elle. Je ne vois pas pourquoi le jugement ne pourrait s'appliquer avec la même rigueur à un immigrant ayant obtenu le droit d'établissement qui, comme nous l'avons vu, conserve des droits importants à la suite de la décision. Même si je n'approuvais pas cette déci- sion, et ce n'est pas le cas, elle me lie. J'estime au contraire que le raisonnement de la Cour d'appel
est tout à fait approprié en l'espèce. L'équité n'exige pas que le requérant participe aux délibé- rations ou à la décision visée au paragraphe 27(3) qui ne portent que sur la tenue d'une enquête.
Quant au second argument concernant l'équité, on prétend que la décision de tenir une enquête a été prise pour un motif illégitime. On soutient que l'agent responsable de cette décision a été influencé par les déclarations des ministres en Chambre et la publicité que les médias ont accor- dée à cette affaire. La déclaration de M. Fiamelli au requérant en constitue la preuve. Les décisions Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 122 et Re Multi -Malls Inc. et al. and Minister of Transpor tation and Communications et al. (1976), 14 O.R. (2d) 49 (C.A.) sont invoquées à l'appui de l'affir- mation qu'un pouvoir discrétionnaire ne peut être exercé dans un but illégitime ou pour des considé- rations accessoires ou étrangères. Dans ces deux décisions, je souligne qu'on reprochait la prise d'une mesure administrative sans que la partie lésée ait eu la possibilité de présenter des argu ments. Dans l'affaire Multi -Malls, on prétendait que la décision portant sur un aménagement immobilier avait été prise pour des motifs politi- ques. Dans la décision évidemment bien connue Roncarelli v. Duplessis, le restaurateur s'était vu retirer son permis de vente de spiritueux pour des motifs d'appartenance religieuse. Dans les deux cas, la Cour est intervenue parce qu'il y avait eu refus de tenir une audience selon les règles.
En l'espèce, la situation est tout à fait opposée. La décision en litige est d'accorder au requérant, assisté d'un avocat, la possibilité de comparaître au cours d'un processus décisionnel et de faire valoir ses arguments pour être autorisé à rester au Canada. Ce processus se déroulera comme dans le cas de tout immigrant placé dans la même situa tion. Ce qui ressort le plus en l'espèce, c'est qu'au cours de la période s'étendant de la fin décembre à la fin janvier, l'affaire a beaucoup attiré l'attention du public. Par conséquent, les ministres concernés et les responsables du ministère intimé ont mani festé le désir d'accélérer l'examen du cas du requé- rant. S'il y avait eu déclaration d'intention d'ex- pulser le requérant sans observer de procédure équitable, le cas aurait été semblable aux décisions entachées de partialité invoquées par le requérant. Il n'en est cependant pas ainsi. Les représentants
des intimés ont indiqué qu'en raison de l'intérêt marqué de cette affaire, il fallait accélérer le pro- cessus et le requérant devait choisir rapidement entre quitter le pays de plein gré ou rester et se soumettre au processus applicable à ceux placés dans sa situation. Le requérant ayant tardé à manifester son choix, la tenue de l'enquête a été ordonnée. Il ressort clairement du dossier que des considérations valides en matière d'immigration furent à l'origine de cette décision et je ne crois pas que la directive d'enquête ait été décernée pour un motif illégitime.
Pour ces motifs, la demande d'annulation du rapport visé au paragraphe 27 (1) et de la directive visée au paragraphe 27(3) doit être rejetée.
II: Le bref de prohibition
Le requérant demande qu'une ordonnance inter- disant la tenue d'une enquête sur l'expulsion soit rendue. Il soutient que l'enquête portera atteinte à ses droits protégés par l'article 7 de la Charte pour deux raisons: premièrement, le processus décision- nel a été entaché de partialité parce que les propos des ministres ont laissé transparaître qu'une déci- sion avait été prise à son sujet. Deuxièmement, l'enquête porterait atteinte à son droit d'être entendu par un tribunal indépendant et impartial en raison de la position de l'arbitre au sein du ministère de l'Emploi et de l'Immigration.
Des remarques ont été faites quant à la perti nence de ces questions en l'espèce. Je suis prêt à reconnaître que cette enquête peut, virtuellement du moins, porter atteinte aux droits à la liberté et à la sécurité du requérant. Je suis également prêt à reconnaître que l'arbitre exerce une fonction judi- ciaire ou quasi judiciaire. Par conséquent, il ressort que la procédure d'enquête est sujette, dans une juste mesure, aux règles de justice naturelle. Ces règles signifient notamment qu'une audience doit être tenue par un tribunal impartial et indépen- dant.
Le requérant prétend que l'arbitre ne revêt aucune de ces qualités en l'espèce. Premièrement, il affirme que les déclarations des ministres ont eu pour effet de le juger d'avance et d'exercer une pression sur l'arbitre pour qu'il rende une décision dans le même sens. Le requérant prétend que le processus décisionnel était dès lors entaché de partialité.
Le critère portant sur l'existence d'une partialité fatale a été établi dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673 à la page 684, la Cour suprême reprend les propos suivants du juge de Grandpré dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394:
... à quelle conclusion en arriverait une personne bien rensei- gnée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique ...
On prétend qu'en l'espèce les propos du ministre de l'Emploi et de l'Immigration, du ministre d'État à l'Immigration et du solliciteur général ont eu pour effet de dicter à l'arbitre l'ordonnance qu'il devait rendre. Les propos en question sont les suivants:
L'hon. Gerry Weiner (ministre d'État (Immigration)) [le 20 janvier 1988]: ... Notre objectif primordial est de nous en débarasser. Il quittera le pays soit sous la menace d'expulsion soit à la suite d'une ordonnance d'expulsion émise conformé- ment à la procédure établie. [C'est moi qui souligne.]
L'hon. James Kelleher [le 18 janvier 1988]:... cette per- sonne se trouve au Canada parce qu'elle a fourni à notre agent de liaison en Espagne de faux renseignements qui l'ont induit en erreur. [C'est moi qui souligne.]
L'hon. Benoît Bouchard [le 18 janvier 1988]: Monsieur le Président, les mêmes fausses informations qui ont été fournies à l'agence de sécurité en Espagne ont été utilisées pour passer les portes d'entrée canadiennes. [C'est moi qui souligne.]
L'hon. Gerry Weiner [le 19 janvier 19881: Monsieur le Président, le Canada ne deviendra jamais un refuge pour les terroristes.
(...) Nous avons l'intention d'appliquer la loi dans toute sa rigueur pour expulser cet individu du Canada. On ne permettra pas aux terroristes de demeurer ici. [C'est moi qui souligne.]
L'hon. Gerry Weiner [le 20 janvier 1988]: Cet homme se trouve ici illégalement, car c'est un terroriste notoire. Notre objectif primordial est de nous en débarasser. [C'est moi qui souligne.] *
On prétend que ces propos constituent un juge- ment rendu d'avance sur les questions mêmes que l'arbitre doit trancher et qu'ils inciteraient une personne bien renseignée examinant la question de façon réaliste et pratique à conclure à l'existence d'une crainte raisonnable de partialité.
Le requérant invoque à l'appui de son affirma tion l'arrêt R. c. Vermette, [1984] C.A. 466;
* Note de l'arrêtiste: Extraits tirés des Débats de la Chambre des Communes, vol. 129, n 0 ' 236, 237, 238, 2e sess., 33° Lég. 18, 19, 20 janvier 1988, aux p. 12001, 12055 et 12095 respectivement.
(1984), 16 C.C.C. (3d) 532 (Qué.). Dans cette affaire, un agent de la GRC avait été accusé de vol avec effraction à l'occasion d'une enquête sur le Parti Québécois. Certains témoignages rendus au procès ont suscité une question à laquelle le pre mier ministre de l'Assemblée nationale a répondu. Le premier ministre a répondu de façon assez détaillée, employant un langage coloré et a jeté le discrédit sur l'accusé, son témoin et sur des mem- bres du gouvernement fédéral. Ses propos ont fait l'objet d'une vaste publicité et ont obligé le juge de première instance à annuler le procès. Une demande de suspension indéfinie des procédures présentée en application du paragraphe 24(1) de la Charte a été accueillie et confirmée en appel. La Cour d'appel a conclu que le prévenu ne pouvait bénéficier d'un procès équitable devant un jury impartial puisqu'il avait déjà été jugé et déclaré coupable publiquement par le chef du gouverne- ment.
Le requérant soutient que l'affaire Vermette et l'espèce sont similaires. Plusieurs aspects les distin- guent cependant. Premièrement, Vermette était accusé d'une infraction criminelle de sorte que l'éventail des garanties procédurales prévues à l'ar- ticle 11 de la Charte entraient en jeu plutôt que les «principes de justice fondamentale» plus vagues de l'article 7. Deuxièmement, le problème ne portait pas sur l'administration du chef d'une institution de qui relevait le juge mais sur la déclaration publique de culpabilité prononcée par le chef du gouvernement, déclaration dont le jury ne pourrait se libérer selon la majorité de la Cour. Troisième- ment, le premier ministre n'a apparemment pas nuancé ses propos au moyen d'une confirmation de la nécessité de la tenue d'une instance judiciaire selon les règles.
En l'espèce, les propos des ministres devraient être examinés d'un angle bien différent de ceux du premier ministre dans l'affaire Vermette. Premiè- rement, contrairement au premier ministre, le ministre de l'Emploi et de l'Immigration doit, sous le régime de la Loi, prendre position à l'égard de tout requérant qui demande à être admis et de tout immigrant qui fait l'objet d'une enquête parce que entré illégalement. Il a une double responsabilité dans ces cas: il doit être juste à l'égard du requé- rant ou de l'immigrant mais il doit aussi faire observer les lois du Canada et les politiques du
Parlement. Il participe au processus décisionnel pour s'assurer que les principes d'équité sont appli- qués tant à l'égard de la population canadienne qu'à l'égard du requérant.
Ce double rôle ne constitue pas une exception aux responsabilités ministérielles qu'il exerce. Je prends, par exemple, la situation du ministre de la Santé et du Bien-Etre responsable de la mise en marché de médicaments brevetés. Il doit égale- ment protéger les consommateurs canadiens des produits impropres à la consommation ou dange- reux pour la santé.
Dans le cadre du processus en matière d'immi- gration, la position du ministre ne constitue un secret pour personne. Dans chacun des milliers de cas présentés tous les ans, le ministre renseigne l'agent chargé de présenter les cas dont la fonction est de présenter à l'arbitre au cours d'une audition publique la politique du ministère en l'espèce. Cette politique doit toujours être établie avant l'audition du cas. J'estime donc que le processus ne devient pas irrégulier seulement parce que le ministre a établi sa position publiquement.
Deuxièmement, il est important de replacer dans leur contexte les propos dont on se plaint. En plus des propos précités, d'autres extraits du Hansard m'ont été cités et révèlent que le requérant a bénéficié et bénéficierait de l'application régulière de la loi et que toutes les procédures judiciaires nécessaires seraient respectées. Par exemple, le 19 janvier 1988, le solliciteur général a indiqué la page 12057]:
[TRADUCTION] Tout exécrable que soit ce crime et tout pressés que nous soyons de nous débarasser de cet homme, les garanties procédurales prévues par la loi doivent être respec- tées. Notre cause doit être défendable.
Dans les cas l'on prétend que des propos tenus publiquement s'avèrent partiaux, les tribu- naux ont déclaré que ceux-ci doivent être examinés dans leur ensemble et non dans leurs moindres détails. Le critère est de déterminer si les paroles employées par l'auteur des propos révèlent un pré- jugé lorsque examinées dans leur ensemble. (R. v. Pickersgill et al., Ex parte Smith et al. (1970), 14 D.L.R. (3d) 717 (B.R. Man.), à la page 728.) Lorsque examinés dans leur ensemble, il me semble que les propos des ministres en l'espèce établissent une position au regard d'une affaire qui doit encore franchir les étapes d'un processus judi-
ciaire et non une conclusion quant à l'aboutisse- ment de ce processus.
Un élément de distinction encore plus important entre l'espèce et l'affaire Pickersgill, c'est qu'ici, l'auteur des propos n'est pas le décideur. Habituel- lement, lorsqu'on prétend qu'un discours contro- versé est partial, la personne qui le prononce est celle qui doit prendre la décision. A cette étape du processus d'enquête, les ministres ne se prononcent pas sur le sort du requérant. C'est l'arbitre qui prend la décision.
L'intimé a invoqué la décision Van Rassel c. Canada (Surintendant de la GRC), [1987] 1 C.F. 473 (i re inst.), qui porte précisément sur la même situation. Dans cette affaire, un membre de la GRC était accusé devant un tribunal du service d'avoir contrevenu à l'article 25 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada [S.R.C. 1970, chap. R-9]. Alors que sa cause était pendante, le commissaire s'est exprimé publiquement et de façon critique sur les activités de l'accusé. On a soutenu que puisque le commissaire avait désigné les membres du tribunal, ses propos avaient eu pour effet de soulever une crainte raisonnable de partialité de la part du tribunal. Le juge Joyal de cette Cour a conclu comme suit à la page 487:
En admettant pour le moment que le document est authenti- que et que les paroles qui y sont rapportées visaient le requé- rant, il ne suffirait pas pour autant à me justifier d'intervenir pour l'instant. Le commissaire de la GRC n'est pas le tribunal. Il est vrai qu'il a désigné le tribunal mais, une fois désigné, celui-ci est aussi indépendant et apparemment aussi impartial que tout tribunal qui traiterait d'une infraction ressortissant au service. On ne peut pas raisonnablement conclure que les préventions du commissaire, le cas échéant, sont nécessairement partagées par le tribunal et que, par conséquent, le requérant n'obtiendrait pas un procès équitable.
De même, en l'espèce, il n'y a aucune raison de conclure que les préjugés des ministres (le cas échéant) sont partagés par l'arbitre.
Il aurait certes été préférable que les propos des ministres soient de nature plus nuancée. Cepen- dant, ce fait à lui seul ne peut entacher tout le processus décisionnel. Cette question a fait l'objet d'un examen minutieux dans la décision Caccamo c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigra- tion, [1978] 1 C.F. 366; (1977), 16 N.R. 405 (C.A.). Dans cette affaire, le directeur de l'infor- mation au ministère de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration a fait état publiquement de l'atti-
tude du ministère dans la cause du requérant. Le réquerant a tenté de soutenir, comme en l'espèce, que tous les fonctionnaires ayant qualité d'arbitres employés par le ministère étaient inhabiles à mener l'enquête parce qu'ils étaient susceptibles d'être partiaux en raison des propos tenus. Le juge de première instance [[1977] 2 C.F. 438] a conclu à l'absence d'une crainte raisonnable de partialité. La Cour d'appel a souligné qu'accepter l'argument du requérant signifierait que toute personne qui a le pouvoir de mener une enquête serait inhabile. La Cour a déclaré que même dans un cas de partialité réelle prenant la forme d'un intérêt pécu- niaire, la loi doit s'appliquer nonobstant l'inhabi- lité pouvant toucher tous les arbitres aptes à être désignés. Le juge en chef Jackett a cité un extrait de la décision The Judges v. Attorney -General for Saskatchewan (1937), 53 T.L.R. 464 (P.C.) la question en litige portait sur l'assujettissement des juges de la Saskatchewan à l'impôt sur le revenu. Sir Sidney Rowlatt prononçant le jugement du Conseil privé a dit, à la page 465:
Le renvoi en cause a placé la Cour dans une situation embarrassante, tous ses membres ayant, de par la nature même de l'affaire, un intérêt personnel dans le litige. Ils ont considéré (et ce, de façon très juste, selon leurs Seigneuries), qu'ils étaient tenus d'agir ex necessitate.
Le juge en chef Jackett poursuit aux pages 373 et
374 C.F.; 412 N.R.:
J'estime que si c'est la règle à appliquer lorsqu'il existe un cas de partialité réelle, c'est aussi la règle lorsqu'il n'existe qu'une «probabilité» ou suspicion raisonnable découlant de l'impact créé sur le public par des déclarations regrettables. Par consé- quent, je suis d'avis que, même en considérant comme admis tous les autres facteurs favorables à l'appelant, parce qu'il est nécessaire d'appliquer les prescriptions de la loi, un enquêteur spécial n'est pas inhabile à agir en raison seulement des circons- tances établies dans cette cause.
Pour ces motifs, l'appel a été rejeté. La Cour a ajouté, à titre de remarque incidente, qu'aucune suspicion raisonnable de partialité n'avait été prou- vée. Le juge en chef Jackett a dit, aux pages 374 et
375 C.F.; 413 N.R.:
La théorie ne s'applique que lorsque les faits sont de nature à donner naissance à une telle idée de probabilité ou de suspicion raisonnable dans l'esprit de personnes qui comprennent le prin- cipe de l'indépendance du pouvoir judiciaire face au pouvoir exécutif, principe sur lequel est fondé notre système judiciaire. Ainsi, si, par hypothèse, cette théorie s'applique aux enquêteurs spéciaux, j'estime qu'elle ne peut entrer en jeu lorsque les faits ne peuvent donner naissance à une probabilité ou à une suspi cion de partialité, si ce n'était le fait que les investigateurs de la division de l'immigration et les enquêteurs spéciaux dont le rôle
est d'examiner les faits afin de rendre des ordonnances d'expul- sion tombent, en vertu de la loi, sous la direction générale du même Ministre. Aux yeux de quiconque comprend cet état de choses apparemment exceptionnel, la seule situation établie en l'espèce, si je la comprends bien, est que le Ministère, par sa section des investigations, a adopté un point de vue qui a eu comme conséquence de faire de la cause de l'appelant l'objet d'une enquête tenue par un fonctionnaire dont le devoir, aux termes de la loi, est de décider lui-même, à la lumière de la preuve qui lui a été présentée, si l'appelant est, en vertu du texte législatif, sujet à expulsion. À mon avis, aucune personne assez bien renseignée sur ce mécanisme décisionnel spécifique et son fonctionnement ne peut entrevoir la probabilité ou avoir la suspicion raisonnable qu'un enquêteur spécial puisse être détourné de son devoir statutaire par de tels événements.
Ce texte pourrait presque s'appliquer directement au litige qui m'est présenté. Encore une fois, je suis lié par la décision de la Cour d'appel.
Le requérant a également soutenu très ferme- ment que l'attitude de l'arbitre en l'espèce est entachée de partialité institutionnalisée. Il a sou- tenu que toute absence d'impartialité découlant des propos du ministre est amplifiée par l'absence d'indépendance dont jouissent les arbitres sous le régime de la Loi sur l'immigration de 1976. Le requérant a présenté plusieurs arguments portant sur la structure et la pratique de la Direction de l'arbitrage du ministère de l'Emploi et de l'Immi- gration. Les principaux aspects sont les suivants:
[TRADUCTION] 1. Les arbitres et les agents chargés de présen- ter les cas, lesquels font partie de la Direction générale de l'exécution de la Loi, relèvent du même sous-ministre adjoint. Les deux autres tribunaux constitués sous le régime de la Loi ne sont pas soumis à une telle subordination.
2. C'est la même Direction des services juridiques du ministère qui donne des avis aux arbitres et à la Section des agents chargés de présenter les cas.
3. Le directeur de l'arbitrage élabore les politiques portant sur l'interprétation de la loi et de la jurisprudence auxquelles les arbitres sont encouragés à se référer pour rendre leurs décisions.
4. Les décisions et procédures des arbitres sont contrôlées par le directeur de l'arbitrage pour déceler les contradictions dans l'application de la loi et les besoins de formation, et pour assurer que les enquêtes sont menées équitablement, efficace- ment et avec cohérence.
5. Les arbitres sont de simples fonctionnaires qui ne sont pas habituellement nommés à titre inamovible ou obligés de prêter un serment d'entrée en fonction.
6. Les arbitres peuvent recevoir des affectations intérimaires à titre d'agents d'appel de l'immigration représentant le ministre devant la Commission d'appel de l'immigration. Les agents chargés de présenter les cas peuvent recevoir des affectations intérimaires à titre d'arbitres.
Ce régime ne permet évidemment pas à ce tribu nal d'agir avec le même degré d'indépendance qu'une cour ou même que la Commission d'appel de l'immigration. Je ne crois d'ailleurs pas qu'il le faille. Ayant examiné la loi et la description de tâches remise par le requérant et ayant à l'esprit les fonctions et la place de l'arbitre dans le système de l'immigration, à mon avis, les arbitres devraient se situer, en termes d'indépendance, quelque part entre les autres employés du ministère et les mem- bres de la Commission d'appel de l'immigration. Le gouverneur en conseil nomme les membres de la Commission d'appel pour un mandat fixe dont la durée peut varier; ce mandat peut être renou- velé. Les membres sont nommés à titre inamovible pour un mandat maximal de dix ans. Leur traite- ment est fixé par le gouverneur en conseil (Loi sur l'immigration de 1976, articles 59 61). Il s'agit clairement d'un degré d'indépendance moins important que celui que possède une cour. Cepen- dant, on a de toute évidence jugé que ce degré était adéquat puisqu'un appel de la décision de la Com mission peut être porté en Cour d'appel fédérale. De même, la décision d'un arbitre peut être portée en appel devant la Commission. Il est donc accep table, à l'étape l'arbitre rend sa décision, que le tribunal soit en quelque sorte moins indépendant. Selon le système d'arbitrage établi sous le régime de la Loi sur l'immigration de 1976, une première décision prise par une personne du ministère qui a reçu une formation dans des domaines pertinents peut être portée en appel devant un tribunal plus indépendant. Dans l'arrêt MacKay c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 370, la Cour suprême a décidé que l'expertise et le droit d'appel respectent pleine- ment les conditions d'un processus décisionnel impartial et indépendant (voir les motifs du juge McIntyre aux pages 404 et 405). La condition importante est que l'arbitre soit à l'abri, dans chaque cas, de toute intervention réelle ou appa- rente dans le cadre du processus décisionnel. (Voir l'arrêt Valente, précité, à la page 687). Compte tenu de la preuve déposée, je suis convaincu que cette norme a été respectée.
Le requérant a présenté l'affidavit d'un ancien arbitre, M. Stuart Scott. Tout en confirmant cer- taines des prétentions résumées plus haut, celui-ci a également déclaré sous serment l'existence des faits suivants, sur la foi de son expérience:
1. L'affectation des arbitres aux cas était habi- tuellement faite de façon rationnelle. La plupart des secteurs, y compris celui de Hamilton (lieu de l'audition de la présente cause) n'ont qu'un arbitre pour entendre toutes les causes de sorte qu'aucune assignation n'est nécessaire (paragra- phe 13).
Il s'ensuit évidemment que le ministre ne peut remplacer l'arbitre qui entendra cette cause même s'il le voulait.
2. À titre d'arbitre, il a toujours eu le sentiment que la décision finale qu'il rendait dans une affaire était sa décision et qu'il n'avait pas à suivre les directives de ses dirigeants sur des questions de droit complexes (paragraphe 14).
3. Les arbitres (qui n'ont pas à recevoir une formation juridique) ont reçu une formation et des renseignements sur l'état actuel du droit en matière d'immigration par le personnel de la Direction de l'arbitrage. Des opinions ont été remises pour favoriser la cohérence dans le pro- cessus décisionnel partout au Canada et les arbi- tres étaient encouragés à les suivre mais non obligés de les appliquer (paragraphe 15).
4. Les opinions juridiques ne provenaient pas seulement de la Direction des services juridiques de la Commission. Des avocats, membres du personnel de la Direction de l'arbitrage, fournis- saient également des opinions aux arbitres (paragraphe 16).
5. Les contrôles des audiences dont le requérant se plaint portaient essentiellement sur la façon dont les enquêtes étaient menées (paragraphe 19).
6. Il n'a jamais eu le sentiment qu'il devait rendre une décision compatible avec l'opinion du personnel surveillant. Il a déjà perçu qu'une certaine pression avait été exercée pour qu'il se conforme à une norme particulière du processus décisionnel sur des questions d'importance parti- culière (paragraphe 20).
Suivant cette preuve, je dois conclure que si le déposant avait été désigné arbitre dans cette affaire, il aurait agi avec équité et indépendance. Aucune preuve n'établit que d'autres arbitres auraient agi différemment. Il n'y a notamment aucune preuve qu'un ministre pourrait obliger, obligerait ou a déjà obligé un arbitre à suivre une
décision et à rendre une directive dans un sens particulier ou qu'on s'attendrait à ce qu'il suive cette directive si elle était donnée.
Cette conclusion m'amène à conclure qu'il y a forcément un degré de séparation entre les arbi- tres, le ministre et le ministère compte tenu du régime en vertu duquel ils sont nommés et exercent leurs fonctions. En raison de cette indépendance, il s'ensuit que le résultat auquel l'arbitre de Hamil- ton doit parvenir ne serait pas modifié ou influencé par les propos du ministre dont on se plaint et ce, surtout si ceux-ci sont envisagés dans le contexte et en fonction des responsabilités du ministre qui doit prendre position devant l'arbitre.
III: Les redressements
On a soutenu que, bien que les redressements demandés soient habituellement considérés comme étant discrétionnaires, les brefs de certiorari et de prohibition devraient être décernés de plein droit si je concluais à une erreur de compétence dans la délivrance du rapport visé au paragraphe 27(1) ou de la directive d'enquête visée au paragraphe 27(3). Je doute que j'accepterais cet argument même si je décidais qu'il y a eu erreur de compé- tence, ce qui n'est pas le cas. Les brefs de préroga- tive sont des redressements discrétionnaires et plu- sieurs facteurs justifient qu'ils ne soient pas décernés en l'espèce.
J'ai répété souvent au cours des débats que le requérant, au même titre que tout autre requérant qui demande son admission au Canada, est seul maître de la nature de la relation entre lui et le ministère. Il est seul à posséder les renseignements pertinents pouvant lui permettre de se réinstaller au Canada. La décision de les retenir ou de les divulguer complètement, d'être franc et honnête ou muet relève de chaque requérant. Il est d'ailleurs fréquent que des gens décident, dans une certaine mesure, d'agir comme le requérant. Cependant, j'estime qu'il est injuste que le Canada, le proces- sus d'immigration et les représentants du ministère intimé assument alors l'entière responsabilité des conséquences de cette décision et que le requérant n'en supporte aucune. C'est essentiellement la thèse présentée au nom du requérant.
Le requérant a eu la possibilité de communiquer avec des agents canadiens de l'immigration en Espagne. Il a communiqué avec eux et décidé quels renseignements il divulguerait et retiendrait. Une deuxième possibilité lui a été offerte lorsqu'il est arrivé au Canada et il a décidé d'agir de la même façon. Le requérant a vécu plusieurs mois au Canada avec le statut d'immigrant ayant obtenu le droit d'établissement. On aurait pu penser qu'ayant l'intention de s'établir ici avec sa famille, le requérant aurait agi convenablement s'il avait entrepris de sa propre initiative de divulguer com- plètement sa situation plutôt qu'attendre une enquête du ministère. Cela aurait probablement été à l'avantage de toutes les parties, mais ce n'est pas ce qui s'est produit.
Ce qui s'est finalement produit, c'est que M. Fiamelli l'a convoqué à une entrevue et lui a plus que convenablement et équitablement expliqué les enjeux et souligné les dispositions législatives applicables et les renseignements pertinents, y compris les principales préoccupations que soule- vait son cas. Il s'agissait de préoccupations tout à fait légitimes en matière d'immigration. M. Mohammad a eu la possibilité de consulter un avocat, lequel a eu plusieurs conversations avec M. Fiamelli. Le requérant n'a pas cherché à présenter son cas au ministre comme le permettent les ali- néas 19(1)c) et e) et je suis convaincu que c'est en partie parce qu'il n'a jamais divulgué les rensei- gnements qui peuvent justifier une telle demande. Il doit accepter les conséquences de cette décision.
La très grande publicité de cette affaire ne modifie en rien ces considérations. Elle résulte de la gravité du crime, de la façon dont le requérant est entré au Canada et de son omission de divul- guer complètement sa situation lorsque les possibi- lités lui ont été offertes. Il n'est guère surprenant que l'affaire ait fait les manchettes et suscité un débat à la Chambre des communes. De plus, il n'est pas surprenant que ces facteurs aient eu pour effet d'exercer une pression sur les représentants des intimés pour procéder rapidement à l'arbitrage de cette affaire. J'ai déjà dit que je ne trouve rien d'anormal à cette situation.
En ce qui concerne les propos des ministres en Chambre, bien que j'aie dit qu'ils auraient pu être plus nuancés, néanmoins, je ne conclus pas que,
pris dans leur contexte, ils ont eu pour effet de miner l'objectivité du processus décisionnel.
En définitive, la demande de brefs de certiorari et de prohibition doit donc être rejetée.
À la fin de l'audience, l'avocat du requérant a demandé qu'une ordonnance de suspension du pro- cessus décisionnel soit rendue jusqu'à ce que le requérant ait la possibilité d'établir à la satisfac tion du ministre qu'il s'est réhabilité et que son admission ne serait nullement préjudiciable à l'in- térêt national. Cette demande ne faisait pas partie des redressements demandés à l'origine et n'a jamais été débattue. Je ne suis même pas certain d'avoir la compétence pour rendre une telle ordon- nance. Cependant, même si je n'ai pas l'intention d'entendre d'arguments sur cette question, je peux certes souhaiter que les arrangements soient pris pour permettre au requérant de présenter ses argu ments au ministre le plus tôt possible. Compte tenu des décisions de la Commission d'appel de l'immi- gration dans les affaires Simpson et Tsang, préci- tées, il semble très important que cette possibilité soit offerte au requérant.
Cette requête doit cependant être rejetée avec dépens.
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