T-890-88
Robert Thomson (requérant)
c.
Sa Majesté la Reine, représentée par le ministère
de l'Agriculture, le sous-ministre de l'Agriculture
(intimés)
RÉPERTORIÉ: THOMSON C. CANADA (SOUS-MINISTRE DE
L'AGRICULTURE)
Division de première instance, juge Dubé—
Ottawa, 25 mai et 15 juin 1988.
Renseignement de sécurité — Le sous-ministre est-il lié par
les recommandations que le comité de surveillance a faites en
vertu de l'art. 52(2) de la Loi? — Le sous-ministre est allé à
l'encontre de la recommandation d'accorder l'habilitation de
sécurité — Le Parlement n'a jamais entendu que les recom-
mandations du comité soient impératives — Le rôle du comité
consiste à réviser les enquêtes menées par l'organisme de
sécurité et à soumettre des conclusions de fait et des recom-
mandations à l'administrateur général — La décision finale
appartient à l'administrateur général et au ministre.
Compétence de la Cour fédérale — La Division d'appel n'a
pas compétence en vertu de l'art. 28 d'annuler la décision du
sous-ministre de refuser l'habilitation de sécurité et de décla-
rer qu'il est lié par la recommandation du comité de surveil
lance des activités de renseignement de sécurité — Il suffit
d'un acte de nature purement administrative, non soumis à un
processus judiciaire ou quasi judiciaire, pour mettre en œuvre
la recommandation — C'est la Division de première instance
qui a compétence pour délivrer le bref de certiorari, qui permet
d'annuler la décision d'un fonctionnaire ayant excédé sa com-
pétence, et le bref de mandamus, qui vise à obtenir l'exécution
d'une obligation imposée par la loi — La Division de première
instance n'est pas liée par les déclarations de la Division
d'appel sur les questions qui relèvent de la compétence de la
Division de première instance.
Juges et tribunaux — La Cour d'appel fédérale statue que
le sous-ministre est tenu d'accorder l'habilitation de sécurité
mais elle rejette la demande de révision judiciaire pour défaut
de compétence — Demande de brefs de certiorari et de manda-
mus à la Division de première instance — Le juge de première
instance est dans la situation ingrate de devoir réviser les
motifs de jugement de la Cour d'appel fédérale — L'affaire
est-elle chose jugée ou sujette à la théorie de la fin de
non-recevoir? — La décision de la C.A.F. est une remarque
incidente — La Cour n'est pas obligée de suivre une décision
rendue sans compétence — La décision de la C.A.F. en l'espèce
mérite une respectueuse considération.
Il s'agit d'une part, d'une demande de bref de certiorari
visant l'annulation de la décision par laquelle le sous-ministre
de l'Agriculture a refusé au requérant son habilitation de
sécurité, et d'autre part, d'une demande de bref de mandamus
pour l'obliger à accorder l'habilitation recherchée.
Le comité de surveillance des activités de renseignement de
sécurité a recommandé que le sous-ministre accorde l'habilita-
tion de sécurité en question, mais ce dernier a décidé de ne pas
le faire. L'affaire a été portée devant la Cour d'appel fédérale,
qui a décidé que le sous-ministre était tenu de suivre la
recommandation du comité, mais elle a dû rejeter la demande
au motif qu'elle n'avait pas compétence en vertu de l'article 28
pour annuler la décision du sous-ministre.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
La présente affaire n'est pas chose jugée ou sujette à la
théorie de la fin de non-recevoir, puisque les questions relatives
aux brefs de certiorari et de mandamus n'ont pas été décidées
par la Cour d'appel, comme elle n'avait pas la compétence pour
le faire. La Cour n'est pas liée par une remarque incidente de la
Cour d'appel sur une question que la Cour a déclaré elle-même
ne pas être compétente à juger.
Si le Parlement avait entendu que le sous-ministre soit lié par
les recommandations du comité, le mot «décision» aurait été
utilisé. Les directives du Cabinet mentionnent que les sous-
chefs ne doivent pas déléguer la décision d'accorder ou de
refuser les habilitations de sécurité, mais qu'ils doivent en
assumer la responsabilité. La Cour suprême du Canada a
confirmé le fait que l'octroi d'une habilitation de sécurité relève
du pouvoir de commandement dont est investi le sous-chef. La
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, lue
en corrélation avec la Loi sur l'administration financière
montre clairement que le gouverneur en conseil a le pouvoir de
suspendre ou de destituer les employés en raison d'une évalua-
tion de sécurité. Cela ne s'accorde pas avec l'interprétation
voulant que le Comité de surveillance des activités de rensei-
gnement de sécurité ait le pouvoir de bloquer ou de renverser la
décision. Le rôle du comité consiste à réviser les enquêtes
menées par l'organisme de sécurité. La décision finale appar-
tient au sous-chef et au ministre, comme le confirme la présente
politique de sécurité. Comme le ministre n'est pas tenu de
suivre la recommandation du comité, la Cour ne décernera pas
un bref de mandamus.
Comme le sous-ministre avait ses propres raisons pour refu-
ser l'habilitation de sécurité au requérant, et qu'après avoir
tenu compte du rapport, ses doutes subsistaient, on ne peut
conclure qu'il a agi sans preuve ou que les éléments de preuve
portés à sa connaissance ne lui permettaient pas d'en venir à la
conclusion qu'il a tirée. La Cour ne peut s'immiscer dans
l'exercice régulier que le sous-ministre a fait de son pouvoir
discrétionnaire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap.
10, art. 18, 28.
Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap.
F-10, art. 7(7),(7.1) (mod. par S.C. 1984, chap. 21,
art. 78), 7(8).
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité,
S.C. 1984, chap. 21, art. 34(1), 38, 41, 42(1), 52(2).
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Angle c. M.R.N., [1975] 2 R.C.S. 248; (1974), 47 D.L.R.
(3d) 544; Carl Zeiss Stiftung v. Rayner & Keeler Ltd.
(No. 2), [1967] 1 A.C. 853 (H.L.); La Reine c. J.B. &
Sons Co. Ltd., [1970] R.C.S. 220; Nowegijick c. La
Reine, [1983] 1 R.C.S. 29; Lee c. Procureur général du
Canada, [1981] 2 R.C.S. 90; Ashbridge Investments Ltd.
v. Minister of Housing and Local Government, [1965] 3
All E.R. 371 (C.A.); Compagnie des chemins de fer
nationaux du Canada c. Canada (Commission cana-
dienne des droits de la personne), [ 1987] 1 R.C.S. 1114.
DOCTRINE
Driedger, Elmer A., Construction of Statutes, 2nd ed.
Toronto: Butterworths, 1983.
AVOCATS:
David J. Jewitt et Sean T. McGee pour le
requérant.
I. G. Whitehall, c.r. et B. S. Russell pour les
intimés.
PROCUREURS:
Nelligan Power, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs
de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DUBÉ: La présente requête vise à
obtenir un bref de certiorari pour annuler la déci-
sion par laquelle le sous-ministre de l'Agriculture
a, le 4 juin 1986, refusé au requérant l'habilitation
de sécurité relative à son engagement au sein du
ministère de l'Agriculture et à obtenir un bref de
mandamus exigeant du sous-ministre qu'il accorde
l'habilitation de sécurité conformément au para-
graphe 52(2) de la Loi sur le Service canadien du
renseignement de sécurité («la Loi»)'. Ce paragra-
phe est ainsi libellé:
52....
(2) À l'issue d'une enquête sur une plainte présentée en
vertu de l'article 42, le comité de surveillance envoie au minis-
tre, au directeur, à l'administrateur général concerné et au
plaignant un rapport des recommandations qu'il juge indiquées
et des conclusions qu'il juge à propos de communiquer au
plaignant. [C'est moi qui souligne.]
Le 9 avril 1986, le comité de surveillance
des activités de renseignement de sécurité
(«C.S.A.R.S.») a recommandé que le sous-ministre
accorde au requérant l'habilitation de sécurité en
question. Le sous-ministre a décidé de ne pas le
'S.C. 1984, chap. 21.
faire. L'affaire a été portée devant la Cour d'appel
fédérale [[1988] 3 C.F. 108] en vertu de l'article
28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e
Supp.), chap. 10]. Elle a été débattue à fond
pendant trois jours et la Cour a unanimement
rejeté la demande. Dans ses motifs de jugement, le
juge Stone, qui s'exprimait au nom de la Cour, a
exposé en détail les faits, analysé la jurisprudence
et conclu comme suit [aux pages 139 et 140]:
Retour à la question de la compétence
Si j'ai raison de croire que le sous-ministre est lié par la
recommandation en cause, il faut maintenant répondre à la
troisième des questions en litige définies plus haut: la présente
Cour possède-t-elle en vertu de l'article 28 de la Loi sur la
Cour fédérale la compétence pour examiner et annuler la
décision allant à l'encontre de cette recommandation? Il est
clair que cette décision était fondée sur une mauvaise interpré-
tation du paragraphe 52(2), le sous-ministre se croyant libre
d'exercer conformément à la directive du Cabinet n° 35 un
pouvoir discrétionnaire dont il se prétend du reste toujours
investi. À mon avis cependant, la décision contestée ne relève
pas de la compétence conférée à la présente Cour par l'article
28, parce que cette disposition ne nous autorise pas à accorder
le redressement demandé, à savoir l'annulation de la seconde
décision et une déclaration portant que le sous-ministre est tenu
de suivre la recommandation. Si mon interprétation est exacte,
il suffit d'un acte de nature purement administrative, non
soumis à un processus judiciaire ou quasi judiciaire, pour
mettre en oeuvre la recommandation. Or, c'est la Division de
première instance qui a, aux termes de l'article 18 de la Loi sur
la Cour fédérale, compétence exclusive en première instance
pour accorder certains redressements, y compris l'émission d'un
bref de certiorari ou de mandamus. Il est bien établi que le
recours en certiorari permet de faire annuler la décision d'un
fonctionnaire qui a excédé sa compétence et que le mandamus
vise à obtenir l'exécution d'un devoir imposé par la loi. D'après
mon analyse, un devoir de cette nature découle en l'espèce de la
recommandation obligatoire que l'intervenant, à titre d'inter-
médiaire du Parlement, a dûment formulée en conformité avec
la Loi. En conséquence, je suis d'avis que la présente Cour ne
peut pas invoquer les pouvoirs de rendre jugement qui lui sont
dévolus par l'article 28 pour examiner tout refus ou toute
négligence de suivre une telle recommandation.
JUGEMENT
En résumé,
a) le sous-ministre est tenu d'accorder l'habilitation de sécu-
rité, suivant la recommandation de l'intervenant;
b) la présente Cour n'a aucune compétence en vertu de
l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale pour examiner et
annuler la décision qu'a prise le sous-ministre, le 4 juin
1986, de refuser cette habilitation.
Je rejetterais la demande.
Conformément à ce jugement, le requérant
s'adresse maintenant à la Division de première
instance en vertu de l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale pour obtenir les brefs de certiorari
et de mandamus mentionnés dans les motifs de
jugement ci-dessus.
Le requérant n'a pas interjeté appel du juge-
ment de la Cour d'appel fédérale, vraisemblable-
ment parce qu'il était satisfait de l'issue de l'af-
faire, même si sa demande a été rejetée. D'autre
part, les intimés ne sont pas d'accord pour dire que
le sous-ministre est tenu d'accorder l'habilitation
de sécurité recommandée par l'intervenant, mais
ils ne peuvent interjetter appel du jugement, car
celui-ci a été rendu en leur faveur, en ce sens que
la Cour a rejeté la requête du requérant. Je me
trouve donc dans la position ingrate de devoir
examiner les motifs de jugement de la Cour d'ap-
pel fédérale pour établir si je suis lié ou non par «le
jugement» portant que «le sous-ministre est tenu
d'accorder l'habilitation de sécurité, suivant la
recommandation de l'intervenant». En tout cas,
c'est ce que les intimés m'invitent à faire.
Les intimés font valoir que la présente affaire
n'est pas chose jugée ou sujette à la théorie con-
nexe de la fin de non-recevoir, parce que la Cour
d'appel fédérale a conclu qu'elle n'avait pas com-
pétence; par conséquent, elle n'est pas compétente
pour déterminer si les recours en mandamus et en
certiorari prévus à l'article 18 de la Loi sur la
Cour fédérale devraient être accordés en l'espèce.
Dans l'arrêt Angle c. M.R.N. 2 la Cour suprême
du Canada s'est penchée sur le caractère définitif
des jugements et sur les questions de la chose jugée
et de la fin de non-recevoir. La Cour a cité (aux
pages 254 R.C.S.; 555 D.L.R.) les propos formulés
dans l'arrêt Carl Zeiss Stiftung v. Rayner &
Keeler Ltd. (No. 2)' par lord Guest, qui définit les
conditions de l'«issue estoppel» comme exigeant:
[TRADUCTION] ... (1) que la même question ait été décidée;
(2) que la décision judiciaire invoquée comme créant la fin de
non-recevoir soit finale; et, (3) que les parties dans la décision
judiciaire invoquée ou leurs ayants droit, soient les mêmes que
les parties engagées dans l'affaire où la fin de non-recevoir est
soulevée, ou leurs ayants droit ...
À mon avis, le premier critère n'a pas été res
pecté. La seule décision qu'a rendue la Cour d'ap-
pel fédérale dans la présente affaire et qui me lie
est celle qui ressort à la lecture de son jugement,
en l'occurrence, que «la demande présentée en
2 [1975] 2 R.C.S. 248; (1974), 47 D.L.R. (3d) 544.
3 [1967] 1 A.C. 853 (H.L.), à la p. 935.
vertu de l'article 28 est rejetée». N'ayant pas com-
pétence pour entendre les autres questions qui lui
ont été soumises, la Cour d'appel ne pouvait se
prononcer sur des questions qui ne peuvent être
tranchées que par la Division de première instance,
en l'occurrence, la question de savoir si les brefs de
certiorari et de mandamus devraient être accordés
au requérant.
Le fondement du jugement de la Cour d'appel
est que la décision du sous-ministre dont appel est
interjeté est une décision purement administrative.
Quant à l'autre question, celle de savoir si la
«recommandation» du comité de surveillance des
activités de renseignement de sécurité lie le sous-
ministre, elle ne pouvait constituer, pour la Cour
d'appel dans cette affaire, qu'une remarque
incidente.
Dans l'arrêt La Reine c. J.B. & Sons Co. Ltd. °,
la Cour suprême du Canada a entendu un appel
interjeté d'une décision de la Cour de l'Échiquier
du Canada. Cette dernière avait accueilli une péti-
tion de droit seulement parce qu'elle se considérait
obligée de «suivre la décision d'une autre cour de
juridiction égale ou équivalente à moins d'une
raison grave». Ainsi donc, le juge Cattanach, qui
était personnellement d'une opinion différente, a
quand même choisi de suivre la décision du juge
Landreville de la Cour suprême de l'Ontario. Le
juge Pigeon a déclaré que la juge Cattanach n'était
pas obligé de suivre une décision que le premier
juge n'avait pas le pouvoir de rendre (à la page
236):
En étant venu à la conclusion que le Juge Landreville n'avait
pas juridiction en l'occurrence, il s'ensuit que la présente cause
doit être jugée sans tenir compte du jugement qu'il a rendu. À
mon avis, l'opinion du Juge Cattanach sur la conclusion à tirer
dans cette alternative est parfaitement exacte.
Évidemment, la situation est différente en l'es-
pèce, parce que la Cour d'appel fédérale est plus
qu'une cour de juridiction égale ou équivalente. Le
principe s'applique toujours et puisque la Cour
d'appel fédérale s'est déclarée incompétente pour
accorder un mandamus ou un certiorari en l'es-
pèce, la décision d'accorder ces recours ne peut
être prise que par notre Cour. Évidemment, les
savants motifs de jugement de la Cour d'appel
fédérale sont persuasifs et méritent une éminente
et respectueuse considération.
4 [ 1970] R.C.S. 220.
La question fondamentale à résoudre est de
savoir si le mot «recommendations» qui figure au
paragraphe 52(2) de la Loi signifie en fait «déci-
sion obligatoire». Dans son sens grammatical,
naturel et courant, le mot «recommandation» n'est
pas synonyme du mot «décision». L'Oxford
English Dictionary définit comme suit le verbe
«recommander»: [TRADUCTION] «communiquer ou
faire état de; informer». Le Webster's Third New
International Dictionary en donne la définition
suivante: [TRADUCTION] «mentionner ou présenter
comme étant digne d'acceptation, d'utilisation ou
d'essai; faire une recommandation; présenter avec
approbation; conseiller».
Dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer du
Canada c. Canada (Commission canadienne des
droits de la personne) 5 , le juge en chef de la Cour
suprême du Canada a parlé de l'interprétation des
termes de la loi et, à la page 1134, a cité les propos
suivants tirés de l'ouvrage d'Elmer A. Driedger,
Construction of Statutes (2 e éd. Toronto: Butter-
worths, 1983, à la page 87):
[TRADUCTION] De nos jours, un seul principe ou méthode
prévaut pour l'interprétation d'une loi: les mots doivent être
interprétés selon le contexte, dans leur acception logique cou-
rante en conformité avec l'esprit et l'objet de la loi et l'intention
du législateur.
Cette citation est reproduite dans les motifs de
jugement de la Cour d'appel fédérale. Il existe
également une présomption voulant que les termes
de la loi soient strictement et correctement
employés. Bien que le sens grammatical et ordi-
naire des mots doive être harmonisé avec les objets
de la loi, cela n'autorise pas la Cour à s'écarter de
leur sens grammatical et ordinaire, à moins qu'on
en arrive autrement à un résultat absurde.
Le législateur avait-il l'intention d'accorder au
C.S.A.R.S. le pouvoir d'imposer au sous-ministre
(et au Ministre, qui est celui qui est finalement
responsable devant le Parlement) l'obligation d'en-
gager des gens en qui ils n'ont pas confiance pour
des raisons de sécurité? Si la personne en cause
devait par la suite commettre une infraction grave
aux règlements de sécurité, qui en prendrait la
responsabilité? De prime abord, il me semblerait
que si le législateur avait eu l'intention de doter le
C.S.A.R.S. de ce pouvoir extraordinaire, il l'aurait
dit. Le mot «décision» aurait été employé.
5 [1987] 1 R.C.S. 1114.
Dans sa rédaction en vigueur à l'époque en
cause (elle a été révisée en septembre 1987), la
directive du Cabinet n° 35, qui concerne la sécurité
dans la Fonction publique du Canada, prévoyait à
son article premier que «la sécurité dans la Fonc-
tion publique du Canada constitue un élément
essentiel de la saine administration du personnel,
et relève par conséquent de la responsabilité de
chaque ministère et organisme». L'article 9 traite
des façons de procéder et prévoit qu'«il continue
d'incomber à chaque ministère et organisme du
gouvernement de faire en sorte que sa sécurité
demeure intacte». L'«organismd d'enquête» était la
GRC et est maintenant le Service canadien du
renseignement de sécurité depuis que la Loi a été
sanctionnée le 28 juin 1984. L'article 13 prévoit
que s'il existe de l'avis du sous-ministre du minis-
tère ou du directeur de l'organisme intéressé «un
doute raisonnable quant à l'ampleur de la con-
fiance pouvant être accordée au candidat, l'octroi
de l'habilitation sera différé jusqu'à ce que le
doute soit dissipé à la satisfaction du sous-ministre
ou du directeur de l'organisme». Voici le texte de
l'article 18:
18. Au moment de déterminer de façon définitive s'il recom-
mandera ou non au Gouverneur en conseil qu'un employé soit
renvoyé pour des motifs de sécurité, le ministre responsable
tiendra compte de tous les renseignements et avis pertinents
qu'il aura reçus, mais il n'est pas tenu d'agir en fonction de ces
avis. [C'est moi qui souligne.]
Sur la valeur à accorder à la directive du Cabi
net n° 35 ou à toute politique administrative, la
Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit
dans l'arrêt Nowegijick c. La Reine 6 à la page 37:
Les politiques et l'interprétation administratives ne sont pas
déterminantes, mais elles ont une certaine valeur et, en cas de
doute sur le sens de la législation, elles peuvent être un «facteur
important» ...
Comme je l'ai déjà mentionné, la directive du
Cabinet n° 35, qui remonte à 1963, a été rempla-
cée par une nouvelle directive intitulée «Politique
du gouvernement du Canada sur la sécurité» en
septembre 1987 (après l'entrée en vigueur de la
Loi sur le Service canadien du renseignement de
sécurité). La nouvelle directive prévoit toujours
(au paragraphe 1.5) que les administrateurs géné-
raux «détiennent les pleins pouvoirs pour adminis-
trer tous les aspects de la sécurité dans leurs
institutions», -mais ils sont encore responsables
6 [1983] 1 R.C.S. 29.
devant le Conseil du Trésor quant aux méthodes
de sécurité. Lorsqu'ils procèdent au filtrage du
personnel pour vérifier leur fiabilité et leur sécu-
rité, les administrateurs généraux doivent faire
certaines choses «et prendre la responsabilité de
leur décision». Ils doivent également «aviser les
candidats, comme l'exigent la présente politique et
la Loi sur le Service canadien du renseignement de
sécurité».
Le paragraphe 6.3 concerne les autorisations de
sécurité et dispose que les administrateurs géné-
raux «doivent accorder ou refuser une autorisation
de sécurité en tenant compte des conseils que leur
fournissent l'organisme d'enquête et l'agent du
ministre chargé de la sécurité ... Les pouvoirs de
refuser, de révoquer ou de suspendre une autorisa-
tion de sécurité sont conférés [à l'administrateur
général] et ne peuvent être délégués».
Le paragraphe 8.2 porte sur les mesures de
redressement. Il prévoit que les personnes qui se
sont vu retirer leur habilitation de sécurité peuvent
avoir recours au processus d'examen officiel du
C.S.A.R.S. suivant les modalités de la Loi. Le
paragraphe 8.2.2, qui concerne l'habilitation de
sécurité, dispose que le C.S.A.R.S. est responsable
du processus d'examen officiel des recours exercés
à la suite d'un refus d'accorder une habilitation de
sécurité.
La nouvelle directive ne déclare pas que les
recommandations du C.S.A.R.S. lient le sous-
ministre.
Dans l'arrêt Lee c. Procureur général du Cana-
da', la Cour suprême du Canada a examiné la
directive du Cabinet n° 35 (avant l'adoption de la
Loi sur le Service canadien du renseignement de
sécurité). Le juge Martland a tenu les propos
suivants à la page 96:
Le pouvoir d'assujettir la nomination à l'habilitation au secret
et le pouvoir de déterminer s'il y a lieu d'accorder cette
habilitation relèvent du pouvoir de commandement que la Loi
sur l'emploi dans la Fonction publique n'a ni supprimé ni
confié à la Commission. La directive du Cabinet est une
directive du gouvernement sur l'exercice de ce pouvoir. Il
incombe au sous-chef de prendre l'initiative de la décision
relative à l'habilitation au secret dans un cas donné. [C'est moi
qui souligne.]
On aurait pu penser que si le législateur avait
l'intention d'infirmer cette décision du plus haut
7 [1981] 2 R.C.S. 90.
tribunal et d'assujettir la décision de l'administra-
teur général à celle du C.S.A.R.S., il aurait
employé un mot plus fort que «recommandations»
au paragraphe 52(2). De plus, en définissant les
fonctions du C.S.A.R.S. à l'article 38 de la Loi, le
législateur a précisé que le C.S.A.R.S. ferait
enquête sur les plaintes qu'il reçoit en vertu des
articles 41 et 42, mais il n'a pas prévu que le
C.S.A.R.S. rendrait des décisions qui lieraient les
administrateurs généraux. De toute évidence, il lui
aurait été loisible de le faire explicitement à l'ali-
néa 38c).
La Loi sur le Service canadien du renseigne-
ment de sécurité a modifié plusieurs autres lois, y
compris le paragraphe 7(7) de la Loi sur l'admi-
nistration financière [S.R.C. 1970, chap. F-10
(mod. par S.C. 1984, chap. 21, art. 78)]. L'ancien
paragraphe 7(7) prévoyait que rien dans cette Loi
ou dans quelque autre Loi ne devait s'interpréter
comme limitant ou modifiant le droit ou le pouvoir
que possède le gouverneur en conseil de suspendre
ou de destituer une personne employée dans la
Fonction publique dans l'intérêt de la sûreté ou de
la sécurité du Canada. Le nouveau paragraphe est
ainsi conçu:
7.:..
(7) Sous réserve du paragraphe (7.1), la présente loi ni
aucune autre loi n'ont pour effet de porter atteinte au droit ou
au pouvoir du gouverneur en conseil de suspendre ou de desti-
tuer une personne employée dans la fonction publique en raison
d'une évaluation de sécurité.
Le paragraphe restrictif (7.1) est ainsi libellé:
(7.1) Une personne ne peut être destituée en vertu du para-
graphe (7) si elle a porté plainte contre une évaluation de
sécurité devant le comité de surveillance des activités de rensei-
gnement de sécurité constitué par le paragraphe 34(1) de la Loi
sur le Service canadien du renseignement de sécurité et si
l'enquête sur la plainte n'est pas terminée.
Voici le texte du paragraphe 7(8) de la Loi sur
l'administration financière:
7....
(8) Aux fins du paragraphe (7), un décret établi par le
gouverneur en conseil constitue une preuve péremptoire de tout
ce qui y est déclaré relativement à la suspension ou à la
destitution d'une personne dans l'intérêt de la sûreté ou de la
sécurité du Canada ou tout État allié ou associé au Canada.
Le rapprochement de ces dispositions de la Loi
et de celles de la Loi sur l'administration finan-
cière renforce l'opinion voulant que le droit ou le
pouvoir du gouverneur en conseil de suspendre ou
de destituer une personne en raison d'une évalua-
tion de sécurité (lesquelles questions font égale-
ment l'objet de la procédure d'instruction des
plaintes prévue au paragraphe 42(1)) est préservé,
sauf que cette personne ne peut être destituée tant
que le C.S.A.R.S. n'a pas terminé son enquête sur
la plainte portée au sujet de cette suspension ou de
cette destitution. Cela ne s'accorde pas avec l'in-
terprétation voulant que le C.S.A.R.S. ait le pou-
voir de bloquer ou de renverser la suspension ou la
destitution.
Le législateur aurait pu prévoir que le droit ou le
pouvoir du gouverneur en conseil était assujetti
aux «recommandations» du C.S.A.R.S. mais a
choisi de ne pas le faire.
À mon avis, le législateur n'a jamais voulu que
les «recommandations» du C.S.A.R.S. lient les
administrateurs généraux. L'administrateur géné-
ral ne mène pas lui-même l'enquête nécessaire,
mais la fait mener par l'organisme de sécurité
compétent, anciennement la GRC, et maintenant
le Service canadien du renseignement de sécurité.
Le rôle du C.S.A.R.S. consiste à réviser les enquê-
tes menées par l'organisme de sécurité. Le
C.S.A.R.S. peut contraindre des témoins à compa-
raître, offrir des recours, achever des enquêtes et,
finalement, soumettre des conclusions de fait et
des «recommandations» à l'administrateur général.
La décision finale appartient à l'administrateur
général et au ministre lui-même, comme le con-
firme la présente politique de sécurité, qui a été
révisée après l'adoption de la Loi sur le Service
canadien du renseignement de sécurité.
De plus, le fait que le mot «recommandations»
soit au pluriel porterait à croire que le législateur
s'attendait à ce que le comité fasse plusieurs
«recommandations» au sujet du plaignant, par
opposition à une seule décision obligatoire et défi-
nitive ordonnant sa réintégration.
En conclusion, puisque le ministre n'est pas tenu
de suivre la recommandation du C.S.A.R.S., le
sous-ministre était libre d'utiliser son propre pou-
voir discrétionnaire. Là où il n'existe pas d'obliga-
tion, la cour n'accordera pas de mandamus.
Si le sous-ministre a abusé de son pouvoir dis-
crétionnaire et n'a pas agi avec justice envers le
requérant, notre Cour accordera alors un bref de
certiorari et annulera la décision attaquée.
La Cour pourrait annuler la décision du sous-
ministre si l'on établissait que, sans raison sérieuse,
celui-ci n'a tenu aucun compte de la recommanda-
tion du C.S.A.R.S. et a agi de sa propre initiative
sans aucune preuve ou qu'il a agi en dehors des
limites de sa compétence. Les circonstances dans
lesquelles la cour peut modifier ce genre de déci-
sions sont exposées par lord Denning dans l'arrêt
Ashbridge Investments Ltd. v. Minister of Hou
sing and Local Government$ (à la page 374):
[TRADUCTION] ... la cour peut modifier la décision du minis-
tre si ce dernier a agi sans preuve, ou s'il en est venu à une
conclusion que la preuve ne lui permettait pas raisonnablement
de tirer ou s'il a donné une interprétation erronée du libellé de
la loi, ou s'il a pris en considérations des éléments dont il
n'aurait pas du tenir compte ou vice versa ou s'il a autrement
erré en droit. C'est exactement ce qui se produit lorsque la cour
a le pouvoir de modifier la décision d'un tribunal inférieur qui a
commis une erreur de droit.
Il est acquis aux débats que le sous-ministre
avait ses propres raisons de sécurité de refuser
l'habilitation au requérant. Initialement, ces rai-
sons étaient fondées sur l'enquête déjà menée par
l'organisme de sécurité compétent et le bureau du
Conseil privé avait exprimé son accord avec cette
décision. Manifestement, le sous-ministre a tenu
compte du rapport du C.S.A.R.S. mais conservait
quand même un doute raisonnable sur l'ampleur
de la confiance pouvant être accordée au requé-
rant. Ce doute n'a pas été dissipé par les conclu
sions et la recommandation du C.S.A.R.S.
On ne peut conclure que le sous-ministre a agi
sans preuve ou que les éléments de preuve portés à
sa connaissance ne lui permettaient raisonnable-
ment pas d'en venir à la conclusion qu'il a tirée.
Rien ne permet de croire qu'il a commis une erreur
de droit. Quant à l'équité procédurale, rien ne
prouve que la procédure prévue par la Loi n'a pas
été suivie. En résumé, notre Cour ne peut s'immis-
cer dans l'exercice régulier que le sous-ministre a
fait de son pouvoir discrétionnaire en l'espèce.
Par conséquent, la requête est rejetée avec
dépens.
8 [1965] 3 All E.R. 371 (C.A.).
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