A-167-87
Procureur général du Canada (appelant) (intimé)
c.
Neil Anderson Davidson (intimé) (requérant)
RÉPERTORIÉ: DAVIDSON C. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et MacGui-
gan, J.C.A.—Vancouver, 26 janvier; Ottawa, 6
février 1989.
Protection des renseignements personnels — Une demande
d'accès à des renseignements personnels contenus dans des
dossiers de la GRC a été rejetée — Le responsable d'une
institution fédérale est lié par les motifs qu'il a initialement
allégués dans l'avis de refus, sans qu'il y ait possibilité de
modification ultérieure — L'art. 36.1 de la Loi sur la preuve
au Canada ne s'applique pas à la divulgation de renseigne-
ments à une personne qui ne constitue pas «un tribunal, un
organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre à
la production de renseignements. — L'art. 22(1) n'abroge pas
la règle de common law interdisant la révélation de l'identité
des indicateurs de police.
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à
l'égalité — Taxation des frais lorsque la partie qui a gain de
cause est un avocat qui agit pour son propre compte — Le
concept de l'égalité devant la loi exige que tous les plaideurs
qui agissent pour leur compte soient traités sur la même base.
Pratique — Frais et dépens — Adjudication des frais
lorsque la partie qui a gain de cause est un avocat agissant
pour son propre compte — Elle est traitée comme un plaideur
qui agit pour lui-même pour la taxation des frais — Un
traitement différent ferait violence au concept de l'égalité
devant la loi.
À la suite d'une enquête, qui n'a pas conduit à des accusa
tions criminelles, sur les activités illégales auxquelles il se serait
livré en tant que maire de Vernon (Colombie-Britannique),
l'intimé a demandé à avoir accès à tous renseignements person=
nels le concernant contenus dans des dossiers opérationnels de
la GRC. Cette requête a été rejetée pour le motif prévu au
paragraphe 22(2) de la Loi sur la protection des renseigne-
ments personnels—à savoir l'existence, entre la GRC et la
Colombie-Britannique, d'une entente par laquelle la GRC s'en-
gageait à ne pas divulguer les renseignementts personnels obte-
nus pendant qu'elle exerçait des fonctions de police pour la
province. On a découvert, à la veille de l'audition de la
demande de révision du rejet de la plainte déposée auprès du
Commissaire à la protection de la vie privée, qu'il n'existait à
l'époque en cause aucune entente de ce genre.
Il s'agit d'un appel de la décision par laquelle le juge de
première instance a accueilli la demande et a ordonné la
communication avec les suppressions appropriées pour protéger
l'identité de(s) l'indicateur(s) de police, et d'un appel incident
de la restriction de la divulgation. L'intimé étant un avocat
agissant pour son propre compte, les parties demandent égale-
ment des directives quant à la taxation des frais.
Arrêt: l'appel et l'appel incident devraient être rejetés, et la
taxation devrait être effectuée en tenant pour acquis que l'in-
timé est un plaideur qui agit pour son propre compte.
Le responsable de l'institution est lié par les motifs initiale-
ment exposés dans l'avis de refus sans qu'il y ait possibilité de
modification ultérieure. Permettre que de nouveaux motifs
d'exemption soient présentés à l'instruction reviendrait à priver
le plaignant de l'avantage des procédures d'enquête et de
l'assistance du Commissaire. Les articles 48 et 49 de la Loi, qui
permettent à la Cour de rendre une ordonnance si elle l'estime
indiqué, ne visent pas à autoriser la Cour à renvoyer au
Commissaire une affaire à propos de laquelle il vient de finir
son enquête.
L'article 36.1 de la Loi sur la preuve au Canada, en vertu
duquel le gouvernement peut s'opposer à la divulgation de
renseignements devant un tribunal, un organisme ou une per-
sonne ayant le pouvoir de contraindre à la production de
renseignements, ne s'applique_pas en l'espèce. Cet article ne
vise ni les circonstances de l'espèce _ ni celui qui reçoit les
renseignements.
Quant à l'appel incident, en ordonnant la communication
avec les suppressions appropriées pour protéger l'identité de(s)
l'indicateur(s) de police, le juge de première instance est arrivé
au bon résultat pour un motif erroné. La règle de fond en
common law interdisant la révélation de l'identité des indica-
teurs de police demeure intacte et constitue le fondement qui
justifie, qui en fait impose, la restriction de la divulgation. Elle
n'a été ni codifiée ni abrogée par le paragraphe 22(1) de la Loi.
La restriction n'était donc pas le fait de l'exercice du pouvoir
discrétionnaire du juge sous le régime de l'article 48; elle était
requise par la loi.
Aux fins de la taxation, on devrait considérer l'intimé comme
un plaideur qui a gain de cause et qui agit pour lui-même. Le
concept de l'égalité devant la loi protégé par l'article 15 de la
Charte exige que tous les plaideurs qui agissent pour eux-
mêmes soient traités de la même façon, lors même que certains
pourraient être avocats et procureurs. L'intimé a donc droit à
tous les frais habituellement adjugés à une partie qui agit pour
elle-même et qui a gain de cause, et non à ceux prévus pour les
services des solicitors et conseils (tarif B, paragraphe 2(1)).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.),
art. 15.
Code de procédure civile, L.R.Q., chap. C-25, art. 308.
Loi sur la preuve au Canada, S.R.C. 1970, chap. E-10,
art. 36.1 (ajouté par S.C. 1980-81-82-83, chap. 111,
art. 4).
Loi sur la protection des renseignements personnels, S.C.
1980-81-82-83, chap. 111, annexe II, art. 2, 19(1),
22(2), 29(1)b), 31, 33(2), 34, 35, 41, 42, 45, 48, 49.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada
(Procureur général), [1987] 2 C.F. 359 (C.A.); Bisaillon
c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60; Ternette c. Solliciteur
général du Canada, [1984] 2 C.F. 486 (1" inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Rentokil Group Ltd. v. Barrigar & Oyen (1983), 75
C.P.R. (2d) 10 (C.F. 1"° inst.); McBeth v. Governors of
Dalhousie College & University (1986), 26 D.L.R. (4th)
321 (C.A.N.-E).
DÉCISIONS CITÉES:
Commissaire à l'information (Canada) c. Canada
(ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F.
63; (1986), 5 F.T.R. 287 (1' inst.).
AVOCATS:
H. J. Wruck et Jacques Courteau pour rap-
pelant (intimé).
Neil A. Davidson, c.r. pour son propre
compte.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour
l'appelant (intimé).
Davidson & Company, Vernon (Colombie-
Britannique), pour l'intimé (requérant).
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: J'ai pris connais-
sance du projet des motifs de jugement du juge
MacGuigan. Je souscris à ces motifs et à la
manière de statuer sur l'appel et l'appel incident
qu'il a proposée. Je vais trancher uniquement la
question de la taxation des dépens à propos de
laquelle les parties ont demandé des directives.
L'intimé est avocat et procureur agissant pour
son propre compte. La Section de première ins
tance lui a adjugé les dépens et il demande à avoir
droit à ses dépens en appel. Il dit qu'il a droit, à
l'occasion de la taxation, aux sommes accordées
par le paragraphe 2(1) du tarif B [Règles de la
Cour fédérale, C.R.C., chap. 663] «Pour les servi
ces des solicitors et conseils», ainsi qu'aux débours
prévus au paragraphe 2(2).
La seule décision publiée portant sur ce sujet
semble être celle du juge Cattanach de la Section
de première instance, qui s'est prononcé en ces
termes dans l'affaire Rentokil Group Ltd. c. Bar-
rigar & Oyen (1983), 75 C.P.R. (2d) 10 (C.F. Ire
inst.), à la page 20:
Pour les raisons données ci-dessus, l'appel est rejeté. Le
cabinet d'avocats, assignés à juste titre comme intimés, a
comparu en son propre nom et n'a donc pas droit aux dépens
pour les services rendus au nom d'un client. Les dépens en
faveur de l'intimée seront donc limités aux débours versés au
registraire des marques de commerce pour la demande d'avis et
aux droits versés au greffe de la Cour.
Cette décision a énoncé et appliqué exactement la
pratique devant cette Cour.
Toutefois, l'arrêt McBeth v. Governors of Dal-
housie College & University (1986), 26 D.L.R.
(4th) 321, à la page 328 et suiv., rendu par la Cour
d'appel de la Nouvelle-Écosse, exige de réexaminer
cette pratique. Il s'agissait dans cette affaire d'un
plaideur qui avait eu gain de cause et qui n'était
pas avocat et procureur. Le juge de première
instance avait refusé les dépens excepté les
débours. La Cour d'appel a conclu que cette prati-
que allait à l'encontre de l'article 15 de la Charte
canadienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.)] et n'était pas couverte par l'article 1.
On trouve l'essentiel de son raisonnement à la page
329.
[TRADUCTION] . la pratique en common law consistant à.
refuser des dépens à un plaideur qui comparaît en personne
lorsque ces dépens suivent l'issue de la cause dans le cas des
plaideurs qui se font représenter par avocat est clairement
discriminatoire. Le traitement réservé au plaideur qui compa-
raît en personne est inégal. On refuse au plaideur les dépens
que le plaideur qui se fait représenter par avocat peut se voir
accorder. À la longue, cette pratique peut donner lieu à une
discrimination à l'égard du plaideur dans la mesure où il ou elle
hésiterait à saisir le tribunal d'une affaire sans se faire repré-
senter par avocat.
C'est à la page 330 qu'on trouve réellement l'adju-
dication des dépens:
[TRADUCTION] ... j'ordonne que l'appelante ait droit à ses
dépens devant cette Cour et devant la cour inférieure qui
doivent être taxés entre parties conformément au tarif des frais
et droits. Il se peut que l'officier taxateur ait de la difficulté à
accorder certains frais qui sont propres à un conseiller juridi-
que. Toutefois, il s'agit là d'une question qui sera tranchée par
l'officier taxateur et peut-être ultérieurement par les tribunaux.
Trois catégories distinctes de frais taxables sem-
blent avoir été reconnues: 1) les débours, auxquels
un plaideur qui agit pour lui-même et qui a gain de
cause a ordinairement droit, même en common
law; 2) «les frais qui seraient propres à un conseil-
ler juridique»; évidemment, ces frais ne devraient
pas être accordés à un plaideur profane qui a agi
pour lui-même et qui a eu gain de cause et 3) les
frais qui ne sont ni des débours ni des frais «pro-
pres à un conseiller juridique»; ces frais devraient
être accordés à ce plaideur.
Si je comprends bien, la pratique actuelle de
cette Cour quant aux plaideurs profanes qui agis-
sent pour eux-mêmes est bien claire, puisque tous
les articles du paragraphe 2(1) du tarif B se
trouvent sous la rubrique «Pour les services des
solicitors et conseils». En tant que tels, à mon avis,
ils sont, par définition, clairement «propres à un
conseiller juridique». Les seuls autres frais qui
puissent être accordés sont les débours. Toutefois,
en l'espèce, il ne s'agit pas d'un profane, mais d'un
avocat et procureur qui agit pour lui-même.
L'article 15 de la Charte porte:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge
ou les déficiences mentales ou physiques.
La démarche fondamentale adoptée par cette Cour
dans l'interprétation de cet article a été énoncée
dans la décision Smith, Kline & French Laborato
ries Ltd. c. Canada (Procureur Général), [1987] 2
C.F. 359 (C.A.), à la page 368.
Il [l'article 15] interdit seulement la discrimination parmi les
membres de catégories qui sont elles-mêmes analogues. Par
conséquent, la question dans chaque cas sera de savoir quelles
catégories permettent de déterminer la similitude de situation
et quelles ne le permettent pas. C'est seulement dans ces cas où
les catégories elles-mêmes ne le permettent pas, où les égaux ne
sont pas traités également, qu'il y aura une atteinte aux droits à
l'égalité.
La question qui se pose en l'espèce est de savoir si
un avocat et procureur qui agit pour lui-même
dans un litige se rapproche davantage, dans le
contexte de l'article 15, du plaideur profane qui
agit pour lui-même ou du plaideur qui se fait
représenter par un professionnel.
À mon avis, cet avocat et procureur est principa-
lement un plaideur qui agit pour lui-même et, aux
fins de la taxation des frais et des dépens, il doit
être traité comme tel. A mon sens, réserver à un
plaideur qui agit pour lui-même un traitement
différent de celui qu'on réserve à un autre seule-
ment parce que le premier est avocat et procureur,
c'est faire manifestement plus violence au concept
de l'égalité devant la loi que de traiter deux plai-
deurs qui agissent pour eux-mêmes de la même
manière lors même que l'un serait avocat et
procureur.
Je suis d'avis d'ordonner que, dans la taxation
de ses frais, devant cette instance et devant la
Section de première instance, l'intimé n'ait pas
droit aux frais prévus au paragraphe 2(1) du
tarif B.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Il s'agit d'un
appel formé contre une décision du juge en chef
adjoint [[1987] 3 C.F. 15] relativement à une
demande de révision sous le régime de l'article 41
de la Loi sur la protection des renseignements
personnels [S.C. 1980-81-82-83, chap. 111,
annexe II] («la Loi»). À la suite de reportages
selon lesquels la Gendarmerie Royale du Canada
(«GRC») menait une enquête sur les activités illé-
gales et contraires à l'éthique auxquelles il se serait
livré en tant que maire de la ville de Vernon
(Colombie-Britannique), enquête qui n'a jamais
conduit à une accusation criminelle, l'intimé a
demandé à avoir accès à tous renseignements per-
sonnels le concernant et contenus dans des dossiers
opérationnels de la GRC. Par lettre en date du 9
décembre 1983, signée par le surintendant princi
pal P. E. J. Banning de la GRC, cette demande a
été rejetée pour le motif prévu au paragraphe
22(2) de la Loi, à savoir l'existence, entre la GRC
et la province de la Colombie-Britannique, d'une
entente par laquelle la GRC s'engageait à ne pas
divulguer tous renseignements personnels obtenus
pendant qu'elle exerçait des fonctions de police
pour la province. À la veille de l'instruction, l'ap-
pelant a découvert, et il a immédiatement révélé ce
fait, qu'il n'existait à l'époque en cause aucune
entente de non-divulgation de renseignements, et il
a reconnu tant en première instance que dans le
présent appel qu'il ne pouvait s'autoriser de ce
motif d'exemption.
Entre-temps, après le premier rejet de sa
demande, l'intimé a déposé une plainte auprès du
Commissaire à la protection de la vie privée («le
Commissaire») qui, après avoir fait enquête
comme l'exige l'alinéa 29(1)b) de la Loi, a conclu
que la plainte de l'intimé n'était pas fondée. L'in-
timé a par la suite déposé la présente demande de
révision fondée sur l'article 41.
Au sujet du point litigieux principal dont il était
saisi, le juge de première instance a, suivant la
décision rendue par le juge Strayer dans l'affaire
Tc. - -nette c. Solliciteur général du Canada, [1984]
2 C.F. 486 (lie inst.), à la page 497, statué que le
responsable d'une institution fédérale est lié par les
motifs qu'il a au début allégués dans l'avis de
refus. Le juge Strayer s'est exprimé en ces termes:
En vertu de l'alinéa 16(1)b) de la Loi, le responsable de
l'institution est tenu, s'il refuse la communication, d'indiquer la
disposition précise de la Loi sur laquelle il fonde son refus. À
mon avis, il est fondamental pour l'exercice par le requérant de
tous les recours subséquents, que le responsable soit lié par les
motifs qu'il allègue dans son avis de refus.
Le juge de première instance s'est également
appuyé sur sa propre décision relative à la loi
quelque peu semblable examinée dans l'affaire
Commissaire à l'information c. Canada (ministre
de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F.
63; (1986), 5 F.T.R. 287 (1" inst.).
L'appelant soutient que le juge de première
instance a commis une erreur de droit en statuant
ainsi, et qu'il aurait dû lui permettre de remplacer
le motif invoqué par les autres motifs d'exemption
contenus dans les affidavits supplémentaires en
date du 18 novembre et du 20 décembre 1985 du
surintendant principal Banning (dossier d'appel, à
la page 104 et suiv.). À son avis, l'intimé ne
subirait aucun préjudice puisque ce dernier aurait
largement le temps de déposer ses plaidoiries écri-
tes après avoir été avisé des nouveaux motifs invo-
qués par la GRC. L'appelant a également insisté
sur l'ampleur du pouvoir que, selon lui, le juge de
première instance tenait des articles 48 et 49 pour
rendre pleinement justice à l'intimé.
Il me semble que cet argument ne tient pas
compte de la mesure dans laquelle une personne
qui demande à avoir accès à des renseignements
personnels est autorisée à se prévaloir du méca-
nisme de plainte par l'entremise du Commissaire.
Le plaignant peut déposer une plainte de refus de
donner communication de renseignements person-
nels auprès du Commissaire (alinéa 29(1)b)), qui
va procéder à une enquête (article 31 et suiv.),
laquelle va permettre tant au plaignant qu'au res-
ponsable de l'institution fédérale en cause de faire
des observations (paragraphe 33(2)) et peut
amener le Commisaire à pénétrer dans les locaux
occupés par une institution fédérale, à examiner
des documents de l'institution et à obtenir des
dépositions sous la foi du serment (article 34). À la
suite de l'enquête, le Commissaire peut, en plus de
faire rapport au plaignant, faire des recommanda-
tions au responsable de l'institution fédérale, et
demander qu'il soit avisé de la mise en oeuvre de
ses recommandations (article 35).
Il est indubitablement vrai, comme le soutient
l'appelant, qu'un juge de première instance de la
Cour fédérale a des pouvoirs de révision appropriés
sur le refus du responsable d'une institution fédé-
rale, appuyé comme en l'espèce par le Commis- ,
saire, de donner communication de renseignements
personnels, bien qu'on doive dire qu'un juge sié-
geant à la Cour n'a pas le personnel investigateur
et la flexibilité du Commissaire. Il y a plus impor
tant encore, si on permettait que de nouveaux
motifs d'exemption soient présentés devant le juge
après l'achèvement de l'enquête du Commissaire
sur des motifs tout autres, comme c'est le cas en
l'espèce, le plaignant se verrait refuser l'avantage
des procédures du Commissaire. Il aurait ainsi
droit à un seul niveau de protection au lieu de
deux. L'espèce présente illustre mieux que toute
autre affaire les avantages d'un processus à deux
stades, parce que ce n'est qu'au deuxième stade
que le vice fatal entachant le premier moyen a été
découvert.
Mais j'estime que la raison définitive pour
laquelle un plaignant ne saurait se voir refuser
l'instance devant le Commissaire est que, si ce
dernier conclut en sa faveur mais que le responsa-
ble de l'institution demeure inflexibe, le plaignant
peut bénéficier de la comparution, à la discrétion
du Commissaire, de ce dernier devant la Cour à sa
place ou en tant que partie à l'instance (article
42).
L'appelant soutient que le pouvoir de la Cour,
prévu aux articles 48 et 49, de «rend[re] une autre
ordonnance si elle l'estime indiqué» lui permettrait,
par suite d'un remplacement de motifs devant elle,
de renvoyer l'affaire au Commissaire à ce moment
pour enquête. Mais le pouvoir de révision de la
Cour sous le régime de l'article 41 suppose préala-
blement une plainte devant le Commissaire et une
enquête par ce dernier.Renvoyer au Commissaire
une affaire à propos de laquelle il venait de finir
son enquête n'a pas de sens. Une telle «doctrine de
la possibilité» revêtirait un caractère beaucoup trop
tortueux pour qu'on y voie l'intention du législa-
teur, même si on pouvait lui donner une cohérence
logique.
L'approche de l'appelant semble supposer que la
Loi exerce un équilibre parfait entre le droit du
gouvernement de ne pas communiquer des rensei-
gnements personnels et le droit des particuliers aux
renseignements qui les concernent. Mais telle n'est
pas, en fait, l'économie de la Loi. L'article 2 de la
Loi, en exposant l'objet de cette dernière, ne parle
que de l'accès à des renseignements personnels:
2. La présente loi a pour objet de compléter la législation
canadienne en matière de protection des renseignements per-
sonnels relevant des institutions fédérales et de droit d'accès des
individus aux renseignements personnels qui les concernent.
L'article 12 répète la même idée d'une façon plus
détaillée. Les exceptions doivent donc être inter-
prétées strictement comme étant des exceptions à
l'objet général.
Toutes ces considérations me convainquent de la
sagesse avec laquelle le juge de première instance a
statué que le responsable de l'institution était lié
par les motifs initialement exposés dans l'avis de
refus, sans qu'il y ait possibilité de modification
ultérieure.
La seule exception possible à la généralité de
cette règle se rapporte, à mon avis, aux motifs
d'exemption obligatoires contenus au paragraphe
19(1) «le responsable d'une institution fédérale est
tenu de refuser la communication». L'alinéa
19(1)c), qui porte sur les renseignements qui ont
été «obtenus à titre confidentiel ... des gouverne-
ments des provinces», a été invoqué dans l'affidavit
supplémentaire du 18 novembre 1985 du surinten-
dant principal Banning, mais l'appelant l'a aban-
donné plus tard. Il n'a donc pas été nécessaire
d'examiner si le responsable d'une institution fédé-
rale devrait avoir le droit d'ajouter un motif
d'exemption obligatoire sous le régime du paragra-
phe 19(1), et je n'exprime aucune opinion sur ce
point.
L'appelant fait également valoir que le juge de
première instance a commis une erreur de droit en
décidant que l'article 36.1 de la Loi sur la preuve
au Canada [S.R.C. 1970, chap. E.10 (ajouté par
S.C. 1980-81-82-83, chap. 111, art. 4)] ne s'appli-
quait pas à l'espèce présente. J'estime toutefois
que l'article 36.1 n'est pas du tout pertinent. Il
permettrait au gouvernement «de s'opposer à la
divulgation de renseignements devant un tribunal,
un organisme ou une personne ayant le pouvoir de
contraindre à la production de renseignements».
Mais, en l'espèce, il n'a été nullement question de
la divulgation de renseignements dans ces circons-
tances. Aucun renseignement n'a été divulgué ou
examiné de quelque façon que ce soit dans la
procédure de première instance. Tout ce qu'on
pourrait dire est que la procédure visait à forcer la
divulgation de renseignements, mais celui qui les
reçoit, l'intimé, n'est pas «un tribunal, un orga-
nisme ou une personne ayant le pouvoir de con-
traindre à la production de renseignements». Si,
par une hypothèse impossible, l'article 36.1 était
d'une pertinence quelconque, il serait en tout cas
remplacé par l'article 45 de la Loi sur la protec
tion des renseignements personnels, ainsi que l'a
décidé le juge de première instance.
Le dernier argument de l'appelant, savoir que le
juge de première instance n'a pas reconnu que la
règle du secret fondée sur la common law interdi-
sant la divulgation de renseignements qui révéle-
raient l'identité d'un indicateur de police continue
d'exister malgré la Loi sur la protection des ren-
seignement personnels, est réellement un argument
contre les motifs du juge de première instance,
plutôt que contre sa décision, puisque dans celle-ci
il a ordonné que «les renseignements doivent être
communiqués au requérant avec les suppressions
appropriées de manière à protéger l'identité de(s)
l'indicateur(s).» Une opposition aux motifs d'une
décision n'est bien entendu pas un moyen d'appel
valide. Dans la mesure nécessaire, il sera fait état
de cette question à l'occasion de l'appel incident.
L'appel devrait donc être rejeté avec dépens.
Quant à l'appel incident, j'estime que, en ordon-
nant la communication des renseignements à l'in-
timé (appelant par incidence) avec les suppressions
appropriées de manière à protéger l'identité de(s)
l'indicateur(s) de police, le juge de première ins-
tance est arrivé au bon résultat pour un motif
erroné. A mon avis, le paragraphe 22(1) de la Loi
n'est pas plus une codification abrogeant expressé-
ment et de façon non équivoque la règle de fond en
common law interdisant la révélation de l'identité
des indicateurs de police que l'article 308 du Code
de procédure civile [L.R.Q., chap. C-25], examiné
dans l'arrêt Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S.
60, à la page 93, où le juge Beetz a décidé que «le
principe du secret relatif à l'identité des indica-
teurs de police ... est une règle juridique d'ordre
public qui s'impose au juge.» Avec déférence, le
juge de première instance était tenu par la loi de
donner la directive qu'il a donnée; il ne s'agissait
pas, comme il l'entendait, d'un pouvoir discrétion-
naire conféré par l'article 48 de la Loi. L'idée
qu'une personne qui a fait l'objet d'une enquête de
police mais qui n'a jamais été inculpée puisse
invoquer une exception à la règle dans des procé-
dures non criminelles ultérieures est simplement
insoutenable.
Compte tenu des suppressions ordonnées par le
juge de première instance, l'appel incident doit
donc être également rejeté avec dépens.
Je souscris aux motifs de jugement du juge
Mahoney concernant la question de la taxation des
dépens et à la manière de la trancher qu'il a
proposée.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris aux motifs
ci-dessus.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.