T-1990-88
Michel Généreux (requérant)
c.
Cour martiale générale et ses membres, le ministre
de la défense nationale et le lieutenant-général J.
A. Fox (intimés)
et
Procureur général du Canada (mis-en-cause)
RÉPERTORIÉ: GÉNÉREUX c. CANADA (COUR MARTIALE GÉNÉ-
RALE) (1' ® INST.)
Section de première instance, juge Denault—
Ottawa, 26 avril; 8 mai, 1989.
Compétence de la Cour fédérale — Section de première
instance — Demande en vue d'obtenir une ordonnance pour
enjoindre à la Cour martiale générale de suspendre ses procé-
dures — La Cour est compétente en vertu de l'art. 17 de la Loi
sur la Cour fédérale car le recours est également dirigé contre
le ministre et le Lieutenant-général en qualité d'autorité con-
vocatrice de la Cour martiale qui entre dans la définition
d'»office fédéral» prévue par la Loi — La Cour a également
compétence en vertu des art. 18 et 50 — Ces articles ont été
interprétés de façon large et libérale dans la jurisprudence
récente — L'art. 24 de la Charte ne s'applique pas car il n'y a
pas eu violation réelle ou même menace de violation des droits.
Pratique — Res judicata — Demande en vue d'obtenir une
ordonnance pour enjoindre à la Cour martiale générale de
suspendre l'audition des accusations criminelles portées contre
le requérant — La Cour a précédemment rejeté un bref de
prohibition contre l'audition des mêmes accusations prévue
pour une date antérieure — 11 n'y a pas chose jugée car le
redressement n'a pas la même portée, il s'agit d'audiences
différentes et les articles de loi ayant généré les requêtes sont
différents.
Forces armées — Demande en vue d'obtenir une ordonnance
pour enjoindre à la Cour martiale générale de suspendre
l'audition des accusations criminelles portées contre le requé-
rant — Bien que le requérant soulève une question importante
en matière constitutionnelle portant sur l'indépendance des
cours martiales, il est incapable de démontrer que l'audience
lui causerait un tort irréparable.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 1l (R.-U.),
art. 24.
Code civil du Bas Canada, art. 1241.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
17, 18, 50.
Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970,
chap. C-23.
Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), chap. N-5,
art. 165.
Loi sur la défense nationale, S.R.C. 1970, chap. N-4.
Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle
1909.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Yri-York Ltd. c. Canada (Procureur général), [1988] 3
C.F. 186 (C.A.); Operation Dismantle Inc. et autres c. La
Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; Commission
d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime
Electric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13 (C.A.);
Kindler c. Canada, [1989] 2 C.F. 38 (1« inst.); Manitoba
(Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987]
1 R.C.S. 110.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Batchelor c. La Reine, [ 1978] 2 R.C.S. 988.
DÉCISIONS CITÉES:
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada c.
Rodrigues, [1979] 2 C.F. 197 (C.A.); Baillargeon c.
Simmonds, [1984] I C.F. 923 (l"° inst.); American Cya-
namid Co v Ethicon Ltd, [1975] 1 All E.R. 504 (H.L.);
Aldred v. The Queen (1987), 30 C.R.R. 63 (C.M.A.C.);
Généreux c. Cour martiale générale, [1989] 2 C.F. 685
(I' inst.).
AVOCATS:
Jean Asselin et Guy Cournoyer pour le
requérant.
Nul n'a comparu pour les intimés.
Jean-Marc Aubry, c.r. et Richard Morneau
pour le mis-en-cause.
PROCUREURS:
Gaudreau et St -Cyr, Québec, pour le
requérant.
Aucune inscription au dossier pour les
intimés.
Le sous-procureur général du Canada pour le
mis-en-cause.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
oiis par
LE JUGE DENAULT: Faisant l'objet d'une pour-
suite devant la Cour martiale générale, le requé-
rant a demandé l'émission d'un bref de prohibition
contre cette Cour et ses membres en vue de contes-
ter l'indépendance et l'impartialité de ce tribunal.
Sa demande ayant été rejetée [[1989] 2 C.F. 685],
il en a appelé devant la Cour d'appel fédérale. Il
requiert maintenant que la présente Cour ordonne
à la Cour martiale générale de suspendre ses
audiences tant et aussi longtemps que les tribu-
naux supérieurs n'auront pas décidé de son appel.
Cette requête amènera la Cour à s'interroger sur
sa compétence à suspendre les procédures devant
la Cour martiale générale et dans l'affirmative, à
voir s'il y a lieu de le faire.
RÉSUMÉ DES FAITS
Arrêté suite à une perquisition à son domicile le
15 septembre 1986, le requérant, caporal dans les
Forces canadiennes, a été accusé de trois infrac
tions de possession de stupéfiants en vue d'en faire
le trafic et d'une infraction de désertion. Peu après
son arrestation, il s'est en effet absenté sans per
mission de sa base militaire du 8 octobre 1986
jusqu'à son arrestation le 31 août 1988. Mis en
accusation le 20 septembre 1988, le requérant a
tenté sans succès d'obtenir de la Cour supérieure
du Québec l'émission d'un bref d'habeas corpus
pour être libéré du Centre de détention militaire de
la base de Valcartier. Une deuxième démarche
identique devait s'avérer plus fructueuse: sa
requête fut accueillie mais assortie de plusieurs
conditions dont l'obligation de demeurer sous l'au-
torité militaire, de ne pas quitter la base et de se
présenter devant la Cour martiale lorsque requis.
Convoqué devant la Cour martiale générale pour
le 18 octobre 1988, le requérant a tenté d'empê-
cher la tenue de cette audience en s'adressant à la
présente Cour en vue d'obtenir l'émission d'un bref
de prohibition. Par sa décision du 16 janvier der-
nier, mon collègue le juge Dubé le lui refusait. Ce
jugement a été porté en appel. L'intimé lieutenant-
général Fox a à nouveau convoqué la Cour mar-
tiale générale pour le 14 mars 1989. D'où la
présente requête. Il importe de préciser que cette
requête ne vise pas la suspension du jugement
refusant l'émission du bref de prohibition, mais
plutôt celle de l'audience fixée au 14 mars 1989 et
ajournée en attente de cette décision.
Le requérant soumet que cette Cour a compé-
tence pour ordonner la suspension des procédures
devant la Cour martiale générale et qu'en l'occu-
rence, il serait opportun de le faire.
CHOSE JUGÉE?
Avant d'analyser le mérite de l'affaire, la Cour
se doit cependant de disposer de l'argument sou-
levé par le procureur des intimés à l'effet que cette
demande constitue chose jugée.
Selon le procureur, il y a similitude entre la
présente demande et celle dont mon collègue a
déjà disposé, sauf quant à l'intitulé de la procédure
et quant à la date d'audience: on demande mainte-
nant une suspension d'instance dont l'audience
était prévue pour le 14 mars 1989 alors que la
requête antérieure visant l'émission d'un bref de
prohibition pour la séance du 18 octobre 1988. Le
procureur prétend qu'il y a chose jugée puisque les
parties sont les mêmes et que les deux procédures
visent le même objectif, soit empêcher la Cour
martiale ode juger le requérant au sujet des accu
sations portées contre lui», comme l'indique le
requérant dans chacune de ses procédures. Le
requérant tenterait à nouveau d'obtenir ce qui lui a
déjà été refusé.
Cet argument ne saurait tenir. Pour qu'il y ait
chose jugée, on doit retrouver les trois identités de
parties, de cause et d'objet. Bref, il y a présomp-
tion de vérité de jugement, empêchant une seconde
demande, lorsque cette dernière est fondée sur la
même cause, entre les mêmes parties agissant dans
les mêmes qualités et pour la même chose que dans
l'instance jugée (article 1241 du Code civil du Bas
Canada). En l'instance, entre autres motifs, non
seulement le bref de prohibition n'a-t-il pas la
même portée que la suspension d'instance, mais on
ne visait pas les mêmes audiences, sans compter
que les articles de loi ayant généré chacune des
requêtes sont fort différents. Il n'y a pas chose
jugée et la Cour se doit d'étudier le mérite de
l'affaire.
COMPÉTENCE DE LA COUR
Le requérant soumet que cette Cour a compé-
tence pour ordonner la suspension des procédures
devant la Cour martiale générale en vertu des
articles 18 et 50 de la Loi sur la Cour fédérale
[L.R.C. (1985), chap. F-7], de la Règle 1909 des
Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] et
de l'article 24 de la Charte canadienne des droits
et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi
constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982
sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)].
Pour leur part, les intimés invoquent l'absence
de juridiction de la Cour aux termes des paragra-
phes 17(1) et (4) de la Loi sur la Cour fédérale au
motif que la requête ne demande pas de redresse-
ment contre la Couronne ou un de ses préposés; la
demande est plutôt dirigée contre un tribunal, i.e.
la Cour martiale générale, qui ne saurait être
assimilée à la Couronne. À cet égard, la Cour se
contente de mentionner que le recours est égale-
ment dirigé contre le ministre de la défense natio-
nale et contre le lieutenant-général Fox en qualité
d'autorité convocatrice de la Cour martiale géné-
rale (Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985),
chap. N-5, article 165). Ces personnes entrent
dans la définition d'«office fédéral» prévue à la Loi
sur la Cour fédérale et peuvent faire l'objet des
recours prévus à l'article 18 de cette Loi dont il
sera question plus loin.
Les intimés prétendent également que l'alinéa
50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale ne peut être
interprété comme conférant à cette Cour le pou-
voir de suspendre les procédures devant la Cour
martiale générale. On allègue enfin que la Règle
1909 ne peut recevoir d'application en l'espèce.
Je me permets de disposer rapidement de la
prétention du requérant qui cherche appui sur
cette Règle 1909 pour justifier sa requête. Cet
argument n'a aucun mérite car, faut-il le rappeler,
la présente requête ne vise pas la suspension d'une
décision de cette Cour mais l'instance devant la
Cour martiale générale.
Je me permets de disposer aussi rapidement de
l'argument du requérant à l'effet que la Cour
pourrait trouver sa source de compétence au para-
graphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et
libertés. A mon avis, il ne suffit pas d'alléguer—
encore eût-il fallu qu'on le fasse—que la Cour
devant laquelle on est convoqué ne constitue pas
un tribunal indépendant et impartial au sens de
l'article 7 et du paragraphe 11(d) de la Charte, ce
qui pourrait porter atteinte au droit du requérant à
l'égalité comme le lui garantit l'article 15 de la
Charte.
Appelé à décider d'une question semblable dans
Yri-York Ltd. c. Canada (Procureur général),
[1988] 3 C.F. 186 (C.A.), le juge Heald s'expri-
mait ainsi (aux pages 200 et 201):
Le paragraphe 24(1) de la Charte donne le droit à toute
personne «victime de violation ou de négation» des droits qui lui
sont garantis par la Charte (en anglais: «whose Charter rights
have been infringed or denied») (c'est moi qui souligne) de
s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir une réparation
convenable. En l'espèce, à ce point-ci, les droits des appelants
n'ont pas effectivement été violés. En conséquence, aucune
violation ou négation des droits garantis par la Charte n'ayant
encore eu lieu, j'estime que la présentation d'une demande
fondée sur l'article 24 est prématurée.
En la présente instance, le requérant ne peut
invoquer violation actuelle de ses droits. Par ail-
leurs, comme le rappelait le juge en chef Dickson
dans Operation Dismantle Inc. et autres c. La
Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, la page
450:
... indépendamment du fondement qu'invoquent les appelants
pour faire valoir leur demande de jugement déclaratoire—que
ce soit le par. 24(1) de la Charte, l'article 52 de la Loi
constitutionnelle de 1982 ou la common law—ils doivent à tout
le moins être à même de démontrer qu'il y a menace de
violation, sinon violation réelle, de leurs droits garantis par la
Charte.
Rien au dossier n'indique qu'il y ait violation
réelle ou même menace de violation. La Cour ne
peut donc, en l'occurrence, tirer sa compétence du
paragraphe 24(1) de la Charte.
Qu'en est-il des articles 18 et 50 de la Loi sur la
Cour fédérale?
Jusqu'à récemment, la jurisprudence' était à
l'effet que l'article 50 ne permettait à la Cour de
suspendre que des procédures engagées devant elle,
mais non celles engagées devant un autre tribunal.
Trois décisions récentes 2 dont deux jugements
unanimes de la Cour d'appel fédérale ont modifié
cette interprétation restrictive. Dans chacune de
ces décisions, on a interprété les articles 18 et 50
de la Loi de façon large et libérale. Dans l'affaire
Yri-York Ltd. c. Canada (Procureur général), la
Cour avait à décider d'un appel sur le refus du
tribunal de première instance d'émettre un bref de
prohibition pour ordonner la suspension d'une
enquête tenue en vertu de la Loi relative aux
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration du Canada c.
Rodrigues, [1979] 2 C.F. 197 (C.A.); Baillargeon c. Sim-
monds, [1984] 1 C.F. 923 (1" inst.).
2 Yri-York Ltd. c. Canada (Procureur général), [1988] 3
C.F. 186 (C.A.); Commission d'énergie électrique du Nou-
veau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited,
[1985] 2 C.F. 13 (C.A.); Kindler c. Canada, [1989] 2 C.F. 38
(1" inst.).
enquêtes sur les coalitions [S.R.C. 1970, chap.
C-23] en attendant que la Cour suprême du
Canada tranchât un litige de nature constitution-
nelle. Dans cette affaire, l'intimé alléguait qu'il
s'agissait en fait d'une demande de suspension. Le
juge Heald, s'exprimant pour la Cour d'appel,
estima que (à la page 196):
La compétence conférée à la Cour en vertu de l'alinéa 18a) se
trouve ainsi élargie par les dispositions par l'alinéa 18b). En
conséquence, à mon avis, l'article 18 de la Loi sur la Cour
fédérale investit la Division de première instance de cette Cour
de la compétence pour juger une demande de cette nature. À
mon sens, cette Cour demeure compétente en vertu de l'article
18, même si l'on considère que l'avocat des intimés a raison de
qualifier la requête en cause de demande de suspension. [C'est
moi qui souligne.]
Quant à l'application de l'article 50 de la Loi
sur la Cour fédérale pour confirmer la compétence
de la Cour fédérale du Canada d'ordonner une
suspension d'instance, dans l'arrêt Yri-York, le
juge Heald (à la page 200) a approuvé le point de
vue exprimé par son collègue Stone (il faisait
partie des deux bancs) dans Commission d'énergie
électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime
Electric Company Limited, qui disait (à la page
24):
À première vue, le paragraphe 50(1) de la Loi ne se limite
pas aux procédures «dont la Cour est saisie». L'inclusion de ces
mots ou de mots à cet effet, aurait, je pense, enlevé tout doute
quant à l'intention du Parlement. Leur absence au paragraphe
50(1) appuie dans une certaine mesure l'argument selon lequel
le Parlement entendait, en utilisant le mot «procédures» accor-
der le pouvoir, dans les circonstances appropriées, de surseoir
également à des procédures autres que celles dont la Cour était
elle-même saisie. [C'est moi qui souligne.]
Le juge Pinard, dans Kindler c. Canada, avait
également conclu à la compétence de la Cour
fédérale, tant en vertu de l'article 18 que de l'arti-
cle 50, pour ordonner une suspension.
Je suis d'opinion que la Cour fédérale du
Canada a la compétence voulue pour prononcer,
s'il est opportun de le faire, la suspension d'ins-
tance devant la Cour martiale générale.
Y A-T-IL LIEU À SUSPENSION?
Accusé d'infraction à la Loi sur les stupéfiants
[S.R.C. 1970, chap. N-1] et à la Loi sur la défense
nationale [S.R.C. 1970, chap. N-4], le requérant
soumet que le fait d'être jugé par une Cour mar-
tiale générale dont la nature, les acteurs et les
procédures ont certaines des caractéristiques d'une
poursuite criminelle ou pénale, commande un trai-
Lement différent de procédures en matière civile ou
administrative. Il fait valoir en particulier que la
détermination de la balance des inconvénients et
de l'intérêt public obéit à une logique différente,
spécifique au droit pénal. Selon lui, les réponses
apportées dans le domaine du droit administratif
sont insuffisantes à la solution de la présente
demande de suspension d'instance.
Le requérant s'appuie en particulier sur l'arrêt
de la Cour suprême dans Batchelor c. La Reine,
[1978] 2 R.C.S. 988 où le plus haut tribunal du
pays a accueilli l'appel d'un accusé qui avait tenté,
sans succès, d'obtenir une requête en prohibition
contre la Cour provinciale d'Ontario. A mon avis,
les faits de la présente cause n'ont rien de compa
rable à ceux de cet arrêt. Dans cette affaire,
l'appelant reprochait à un juge de la Cour provin-
ciale d'avoir négligé de respecter une règle impéra-
tive des Ontario Criminal Rules qui l'obligeait, dès
la signification d'un avis introductif de requête en
prohibition, à «transmettre immédiatement au
greffe ... tous autres papiers ou documents relatifs
à l'affaire . . .». Il n'existe, dans la Loi sur la
défense nationale, aucune disposition semblable
obligeant la Cour martiale à se désaisir, ou tout au
moins à transmettre les documents dont elle est
saisie, à un tribunal chargé de reviser la décision.
Le procureur du requérant a par ailleurs soumis
que son client satisfait aux critères fixés par la
Cour suprême dans Manitoba (Procureur général)
c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110.
La Cour suprême avait alors discuté des principes
régissant l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un
juge d'ordonner une suspension d'instance pendant
la contestation de la constitutionalité d'une dispo
sition législative. Dans cet arrêt unanime, la Cour
avait indiqué, sous la plume du juge Beetz, que
«La suspension d'instance et l'injonction interlocu-
toire sont des redressements de même nature» et
«ont suffisamment de traits en commun pour qu'el-
les soient assujetties aux mêmes règles et c'est avec
raison que les tribunaux ont eu tendance à appli-
quer à la suspension interlocutoire d'instance les
principes qu'il suivent dans le cas d'injonctions
interlocutoires» (à la page 127). Parmi ces critères,
on retrouve d'abord l'évaluation préliminaire et
provisoire du fond du litige. Dans l'arrêt Metropo
litan Stores, la Cour suprême s'est abstenue d'ex-
primer une opinion quelconque sur le caractère
suffisant ou adéquat, dans tout autre type d'affai-
res', de la formulation choisie par la Chambre des
lords dans l'arrêt American Cyanamid Co y Ethi-
con Ltd, [1975] 1 All E.R. 504 où on avait retenu
le critère de la «question sérieuse» à juger. Le juge
Beetz a néanmoins mentionné (à la page 128):
À mon avis, cependant, la formulation dans l'arrêt American
Cyanamid, savoir celle de l'existence d'une .question sérieuse',
suffit dans une affaire constitutionnelle où, comme je l'indique
plus loin dans les présents motifs, l'intérêt public est pris en
considération dans la détermination de la prépondérance des
inconvénients.
Il a aussi longuement élaboré sur les difficultés
auxquelles se heurte un juge de première instance,
au stade interlocutoire, à trancher des questions de
fond.
À ce sujet, le requérant se contente d'invoquer
que la Cour martiale générale n'est pas un tribunal
indépendant et impartial au sens de la Charte
canadienne des droits et libertés, pour juger le
requérant. Il invoque aussi le fait que la question
posée en l'espèce est sérieuse puisque la Cour
suprême a déjà accordé, le 3 décembre 1987, la
permission d'en appeler [[1987] 2 R.C.S. v] du
jugement de la Cour d'appel des cours martiales
où on posait les mêmes questions de fond que celle
en l'espèce. (Aldred v. The Queen (1987), 30
C.R.R. 63).
Aux fins des présentes, la Cour serait mal venue
de déclarer que le requérant ne soulève pas une
question importante relevant de la Charte alors
que la Cour suprême a déjà accepté d'entendre un
appel portant sur l'indépendance et l'impartialité
de la Cour martiale. Il est donc admis que l'appel
du rejet du bref de prohibition où on soulève cette
question constitue une question sérieuse même si
en fait, dans la présente requête, cette question
n'est soumise à la Cour que de façon indirecte
puisque l'on recherche principalement une suspen
sion d'instance.
Les autres critères retenus par la Cour suprême
dans Metropolitan Stores ont trait au préjudice
irréparable et à la prépondérance ou balance des
inconvénients. Bref, la Cour doit se demander si le
requérant pourrait subir un tort irréparable si les
audiences devant la Cour martiale générale ne
devraient pas être suspendues.
3 11 s'agissait d'une affaire de contrefaçon de brevet.
Le procureur du requérant insiste sur l'aspect
criminel des procédures logées contre son client et
invite la Cour à se méfier des réponses émanant du
droit administratif et à porter sur la situation un
regard plus libéral.
Après avoir considéré la preuve au dossier et les
arguments et la jurisprudence cités par le procu-
reur du requérant, la Cour en vient à la conclusion
qu'en l'occurrence, le requérant n'a pas fait preuve
que le fait pour la Cour martiale générale d'enta-
mer l'enquête lui causerait un tort irréparable.
D'une part, j'ai noté à la lecture du jugement
refusant l'émission du bref de prohibition que le
requérant ne mettait pas en doute l'impartialité
des membres constituant la Cour martiale générale
et qu'il ne demandait pas non plus de déclarer
invalide la loi constituante. Il s'attaque plutôt à
l'aspect «indépendance» de la Cour et au fait que
ses droits risqueraient d'être brimés. D'autre part,
j'ai été particulièrement intrigué du peu de cas que
le requérant faisait de la présomption d'innocence
dont il bénéficie, même devant un tribunal mili-
taire, et de la possibilité d'un acquittement, aussi
plausible que celle d'une condamnation, si les pro-
cédures devaient suivre leurs cours. Il en va ainsi
de la possibilité qu'on fasse valoir, devant la Cour
martiale générale qui possède indiscutablement le
pouvoir implicite de le faire, la question de son
impartialité et de son indépendance. Le requérant
pourrait aussi, en cas de condamnation, soulever la
même question devant la Cour d'appel des cours
martiales du Canada. Le fait d'entreprendre et de
permettre la poursuite des procédures disciplinai-
res ne rend ni caduc ni inutile l'appel déjà logé
devant la Cour d'appel fédérale. La liberté res-
treinte à laquelle est actuellement soumis le requé-
rant ne peut non plus être portée au compte d'un
tort irréparable ni être mise dans la balance des
inconvénients puisqu'elle résulte d'un jugement sur
une requête en habeas corpus sollicitée par le
requérant lui-même et qui pourrait probablement
faire l'objet d'une révision.
Il n'y a pas lieu, en l'occurrence, de suspendre
les audiences devant la Cour martiale générale.
Pour ces motifs, la requête est rejetée avec
dépens.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.