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T-2543-89
Ken Yung Yhap (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIE: YHAP C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (I 1e INST.)
Section de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Toronto, 5 mars; Ottawa, 8 mars 1990.
Immigration Pratique Demande visant à obtenir un bref de certiorari qui annulerait la décision selon laquelle il n'y avait pas suffisamment de considérations d'ordre humani- taire et de motifs de commisération pour faire droit à une demande de résidence permanente, et un bref de mandamus qui forcerait l'intimé à accorder une entrevue complète et équitable Cette demande sert de modèle à plusieurs autres demandes Les agents d'immigration ont appliqué les critè- res énoncés dans le document «Procédures de traitement de l'arriéré des revendications du statut de réfugié» aux person- nes qui font l'objet de l'arriéré des revendications du statut de réfugié Aucune question n'a été posée quant aux aspects d'ordre humanitaire de la cause Ces critères s'appliquent uniquement à certaines des catégories de personnes visées par l'arriéré L'art. 114(2) confère au gouverneur en conseil le pouvoir d'exempter certaines personnes des exigences de l'art. 9(1) et de faciliter l'admission pour des raisons d'ordre huma- nitaire Demande accueillie Ces critères constituent une entrave illicite au pouvoir discrétionnaire prévu aux art. 9(1) et 114(2).
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Demande visant à obtenir un bref de certiorari qui annulerait la décision selon laquelle il n'y avait pas suffisamment de considérations d'ordre humanitaire et de motifs de commisération pour faire droit à une demande de résidence permanente, et un bref de mandamus qui forcerait l'intimé à accorder une entrevue com- plète et équitable Cette demande sert de modèle à plusieurs autres demandes L'application des critères figurant au document «Procédures de traitement de l'arriéré des revendi- cations du statut de réfugié» constitue une entrave illicite au pouvoir discrétionnaire prévu à l'art. 114(2) de la Loi sur l'immigration Discussion de la distinction entre une politi- que rigide et des règles empiriques générales Le fait de donner un préavis dans un délai court pour la comparution à une audience, de procéder à l'entrevue en l'absence d'avocats ou de ne pas recourir aux interprètes de la Commission constitue-t-il une violation de l'obligation d'agir équitable- ment?
Il s'agit d'une demande visant à obtenir un bref de certiorari qui annulerait la décision selon laquelle il n'y avait pas suffi- sarriment de considérations d'ordre humanitaire et de motifs de commisération pour faire droit à une demande de résidence permanente, et un bref de mandamus qui forcerait l'intimé à accorder au requérant une entrevue complète et équitable et à entendre ses considérations d'ordre humanitaire et ses motifs de commisération. Cette demande sert de modèle à environ vingt-
cinq autres demandes. Les requérants faisaient partie du Pro gramme d'élimination de l'arriéré des revendications du statut de réfugié. Ils ont eu une entrevue avec des agents d'immigra- tion qui devaient déterminer s'il existait des raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour les exempter des exigences de l'article 9 de la Loi sur l'immigration. Il ressort de la preuve que les agents ne leur ont pas posé de questions concernant les aspects d'ordre humanitaire. Au lieu de cela, ils ont appliqué les critères énoncés dans le document intitulé «Procédures de trai- tement de l'arriéré des revendications du statut de réfugié». Ces lignes directrices s'appliquent aux catégories particulières de personnes, à savoir «les membres d'une délégation officielle, d'une équipe d'athlètes ou d'un groupe culturel», et aux person- nes se trouvant dans des «situations de dépendance familiale». Les requérants soutiennent que les lignes directrices entravent l'exercice du pouvoir que le gouverneur tient du paragraphe 114(2), celui d'exempter certaines personnes des exigences du paragraphe 9(1) et de faciliter l'admission de personnes pour des raisons d'ordre humanitaire. Il est allégué en outre qu'il y a eu violation de l'obligation d'agir équitablement parce qu'un préavis a été donné dans un délai minimum à plusieurs requé- rants pour qu'ils se rendent à leur entrevue, que les entrevues se sont souvent déroulées sans la présence d'un avocat et, dans certains cas, sans recourir à un interprète de la Commission, et qu'on n'a pas posé de questions sur l'existence de facteurs d'ordre humanitaire. En dernier lieu, les requérants font valoir que le refus d'appliquer la politique en vertu de laquelle les ressortissants chinois ayant un statut temporaire au Canada ne seraient pas renvoyés en Chine à ceux qui avaient déjà revendi- qué le statut de réfugié constitue une discrimination.
Jugement: la demande devrait être accueillie.
En vertu du paragraphe 114(2), un requérant a droit à un examen complet et équitable afin de déterminer l'existence de considérations d'ordre humanitaire qui permettraient de l'exempter de l'exigence de demander et d'obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée (paragraphe 9(1)) ou autrement de faciliter son admission. Cet examen doit avoir lieu indépendamment de l'examen du bien-fondé de toute autre demande formulée par le requérant. Même s'il est évident que toutes les autres revendications sont vouées à l'échec, le droit du requérant à un examen des motifs d'ordre humanitaire ne peut être indûment restreint.
Un facteur qui peut à juste titre entrer en ligne de compte dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire peut constituer une entrave illicite à l'exercice de ce pouvoir s'il est érigé en règle générale, ce qui aboutit à la recherche de l'uniformité au détriment du bien-fondé des cas particuliers. Le pouvoir discré- tionnaire conféré par le paragraphe 114(2) est d'une grande portée. On demande à l'agent d'examiner, pour ce qui est de l'admission possible au Canada d'un requérant, les «raisons d'intérêt public» et «d'ordre humanitaire». Puisque ni la Loi ni le Règlement ne donnent de directives quant à l'interprétation que l'agent doit donner de ces termes généraux, le chapitre 9 du Guide de l'immigration contient des lignes directrices qui aident un agent à exercer son pouvoir discrétionnaire. Les lignes directrices énoncent qu'elles ne sont pas des règles stric- tes. Les agents doivent étudier les cas sous tous leurs aspects. Par contraste, les lignes directrices figurant dans les «Procédu- res de traitement de l'arriéré des revendications du statut de réfugié» sont rigides. Les «Critères d'examen à caractère huma- nitaire» qui y sont énoncés visent uniquement un segment
soigneusement choisi de la population qui fait partie de l'ar- riéré. Ils constituent, non pas «une politique générale» ou «des règles empiriques grossières», mais des restrictions inflexibles qu'on impose au pouvoir discrétionnaire, ce qui aboutit à la recherche de l'uniformité au détriment du bien-fondé des cas particuliers.
Certes, un cas isolé ne saurait prouver que les agents ont perçu une restriction et l'ont imposée au pouvoir discrétion- naire; mais il ressort du témoignage de vingt-cinq requérants que les agents d'immigration l'ont fait.
Quant à la violation de l'obligation d'agir équitablement, il n'est pas certain si l'iniquité a pu avoir été corrigée par le fait d'inviter certains requérants à une seconde entrevue ou par le succès d'autres requérants lors des audiences portant sur le minimum de fondement.
La politique consistant à ne pas renvoyer en Chine les ressortissants chinois qui n'ont pas encore demandé de statut de réfugié ne vise pas à remplacer les dispositions adoptées à l'intention des réfugiés, mais à protéger les personnes qui peuvent, en raison du conflit civil dans ce pays, être en danger si elles y retournent, nonobstant le fait qu'elles ne sont pas réfugiés au sens de la Convention. Le refus d'appliquer cette politique au requérant ne constitue pas une injustice.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 3 a),b),g), 9(1), 114(2).
Règlement sur l'immigration, DORS/78-172.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et autres c. Jiminez-Perez et autre, [1984] 2 R.C.S. 565; (1984), 14 D.L.R. (4th) 609; [1985] 1 W.W.R. 577; 9 Admin. L.R. 280; 56 N.R. 215; Sobrie c. Canada (Ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration) (1987), 3 Imm. L.R. (2d) 81 (C.F. 1"» inst.); Vardy c. Scott et autres, [1977] 1 R.C.S. 293; (1976), 9 Nfld. & P.E.I.R. 245; 66 D.L.R. (3d) 431; 28 C.C.C. (2d) 164; 34 C.R. (N.S.) 349; 8 N.R. 91; Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Tsiafakis, [1977] 2 C.F. 216; (1977), 73 D.L.R. (3d) 139 (C.A.).
DOCTRINE
de Smith's Judicial Review of Administrative Action, éd., par J. M. Evans, London: Stevens & Sons Ltd., 1980.
Jones, David P. et de Villars, Anne S. Princi ples of Administrative Law, Toronto: Cars- well Co. Ltd., 1985.
AVOCATS:
Cecil Rotenberg, c.r., Barbara L. Jackman et
Diane C. Smith pour le requérant.
Urszula Kaczmarczyk pour l'intimé.
PROCUREURS:
Rotenberg, Martinello, Austin, Don Mills (Ontario), pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: La pré- sente affaire a été entendue à Toronto (Ontario), les 14, 15 et 27 novembre 1989. Aux termes des motifs qu'il a prononcés le 12 octobre 1989 [(1989), 29 F.T.R. 223], M. le juge Muldoon a ordonné qu'aucune ordonnance absolue ou incon- ditionnelle ne soit prononcée ou exécutée contre les requérants à l'instance jusqu'à ce que la Cour ait statué sur leurs demandes de réparation (N° du greffe: 89-T-676, page 14). Le 14 novembre 1989, j'ai accordé au requérant l'autorisation de deman- der la réparation énoncée dans l'avis de requête du 12 septembre 1989.
La demande vise à obtenir:
1. Une ordonnance de la nature d'un certiorari annulant la décision prise le 16 août 1989 par les fonctionnaires de l'immigration de la section de l'élimination de l'arriéré du Centre d'Immi- gration Canada de Toronto (l'intimée) aux termes de laquelle il a été décidé qu'il n'y avait pas suffisamment de considérations d'ordre humanitaire et de motifs de commisération pour faire droit à une demande de résidence perma- nente du Canada;
2. Une ordonnance de la nature d'un manda- mus forçant l'intimé à accorder au requérant une entrevue complète et équitable et à entendre ses considérations d'ordre humanitaire et ses motifs de commisération conformément à la loi et à son obligation d'équité;
3. Une injonction ou une ordonnance de prohi bition interdisant à l'intimé de procéder à un examen final ou à la tenue d'une audience con- cernant le minimum de fondement au sujet du
requérant tant qu'un règlement l'autorisant ne sera pas en vigueur ou tant que la validité ou la légalité des audiences concernant le minimum de fondement n'aura pas été tranchée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Peiroo c. M.E.I., du greffe 89-A-1022, ou par cette Cour;
4. À titre subsidiaire, une ordonnance de la nature d'un certiorari annulant la décision par laquelle le ministre a refusé de faire bénéficier le requérant de la politique connue sous le nom de «Formalités applicables aux ressortissants de la République populaire de Chine», NSO IS 399, en date du 29 juin 1989;
5. Une ordonnance de la nature d'un manda- mus forçant l'intimé à examiner de façon équi- table la demande de résidence permanente au Canada du requérant conformément aux forma- lités énoncées dans cette politique.
Les avocats de chacune des parties ont convenu que cette demande présentée par Ken Yung Yhap sert de modèle à environ vingt-cinq autres deman- des devant être tranchées simultanément et que ma décision portant sur les questions soulevées dans la demande de M. Yhap s'appliquera aux autres. Tous les requérants ont manifesté l'intention de réclamer le statut de réfugié au Canada avant le ler janvier 1989 et ils ont par conséquent été inclus dans le Programme d'élimination de l'arriéré établi par, l'intimé. En raison de leur pays d'origine, certains requérants détiennent un permis du ministre.
Plusieurs aspects de la demande de réparation du requérant peuvent être réglés brièvement. L'avocat de celui-ci confirme maintenant que la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Peiroo c. M.E.I., 89-A-1022 n'est d'aucun secours à la cause de son client. De même, l'arrêt Sa Majesté la Reine c. Le Conseil canadien des églises (A-223-89) porte sur des questions qui peuvent ne pas être résolues avant un certain temps. Le troisième moyen du requérant est par conséquent irrecevable.
Les quatrième et cinquième moyens de redresse- ment concernent l'applicabilité de la Note de ser vice sur les opérations IS 399 intitulée: «Formalités applicables aux ressortissants de la République populaire de Chine». L'avocat des requérants a sollicité une ordonnance de certiorari visant à faire
annuler la décision du ministre qui avait refusé d'accorder au requérant le bénéfice de la politique connue sous le nom de «Formalités applicables aux ressortissants de la République populaire de Chine», NSO IS 399 en date du 29 juin 1989, ainsi qu'une ordonnance de mandamus forçant l'intimé à examiner la demande de résidence permanente du requérant. Celui-ci prétend qu'à titre de citoyen de la République populaire de Chine, il est victime de discrimination en ne pouvant pas bénéficier de la procédure relative au droit d'établissement con- tenue dans les lignes directrices applicables aux ressortissants de la République populaire de Chine se trouvant au Canada.
La Note de service sur les opérations en question indique que les ressortissants chinois ayant un statut temporaire au Canada ne seront pas ren- voyés dans la République populaire de Chine. Les visiteurs au Canada ont le choix entre quatre lignes directrices, notamment celles relatives aux considérations humanitaires énoncées dans NSO IE 252 et IE 9 du Guide de l'immigration. La note de service prévoit:
Il faut se rappeler que ces dispositions s'appliquent à toutes les personnes qui ont mis à ce point leur gouvernement dans l'embarras qu'elles s'exposent à des sanctions sévères si elles retournent dans leur pays. Les autorités chinoises ont annoncé publiquement qu'elles blâmaient également les étudiants au Canada pour l'agitation en Chine. C'est pourquoi toutes les demandes de résidence permanente doivent être examinées avec compassion et de toute urgence.
La politique précise toutefois que les personnes, tel le requérant, qui ont déjà revendiqué le statut de réfugié en vertu du Programme d'élimination de l'arriéré et de la législation actuelle, sont régies par ces programmes. Cela a été confirmé par Brian Dougall, directeur du Groupe de travail sur l'éli- mination de l'arriéré, dans son affidavit du 31 octobre 1989:
[TRADUCTION] Le programme spécial destiné aux ressortis- sants de la République populaire de Chine, joint à la présente sous la cote «B», ne s'applique pas aux personnes qui ont déjà revendiqué le statut de réfugié en vertu du Programme d'élimi- nation de l'arriéré ou conformément aux dispositions actuelles de la Loi sur l'immigration .. .
Je suis incapable de conclure que le requérant est «victime de discrimination» par suite de l'omis- sion de l'intimé d'entendre sa demande de droit d'établissement en vertu des dispositions de la politique NSO IS 399. Cette politique vise mani- festement à protéger les étudiants, les visiteurs et
les membres de la catégorie de la famille prove- nant de la République populaire de Chine qui peuvent, en raison du «conflit civil actuel» dans ce pays, être en danger s'ils y retournent, nonobstant le fait qu'ils ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention. La politique vise non pas à remplacer les dispositions qui ont été adoptées à l'intention des réfugiés de la République populaire de Chine, qu'ils soient récemment arrivés ou qu'ils fassent partie de l'arriéré, mais plutôt à accorder une protection additionnelle aux autres personnes venant de ce pays.
Il ne fait aucun doute que les droits et privilèges du requérant ont été touchés par la décision du ministre de lui refuser le bénéfice de la politique NSO IS 399, mais je ne saurais conclure que ce refus était injuste. Les termes de cette politique indiquent clairement qu'elle n'est pas censée s'ap- pliquer aux personnes qui ont déjà revendiqué le statut de réfugié en vertu du Programme d'élimi- nation de l'arriéré ou conformément aux disposi tions actuelles de la Loi sur l'immigration [L.R.C. (1985), chap. I-2]. Rien ne permet de conclure que l'application des termes de la politique à la situa tion du requérant, qui a résulté en l'inadmissibilité de sa demande d'examen en vertu de cette politi- que, constituait un manquement à l'obligation générale d'agir équitablement.
De même, je ne saurais conclure qu'on peut avoir recours au mandamus dans une situation comme en l'espèce pour forcer l'intimé à modifier les termes de la politique et à l'appliquer à la situation du requérant. Comme l'a déclaré M. le juge Dickson (tel était alors son titre) de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Vardy c. Scott et autres, [1977] 1 R.C.S. 293, à la page 301; (1976), 9 Nfld. & P.E.I.R. 245; 66 D.L.R. (3d) 431; 28 C.C.C. (2d) 164; 34 C.R. (N.S.) 349; 8 N.R. 91:
Un mandamus ne sera émis que si la personne ou l'organisme visé a l'obligation non discrétionnaire de faire ce que l'ordon- nance lui enjoint de faire.
La Cour d'appel fédérale a suivi ce principe dans l'arrêt plus récent Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Tsiafakis, [1977] 2 C.F. 216; (1977), 73 D.L.R. (3d) 139 (C.A.), à la page 222 C.F.:
On peut recourir au mandamus pour contraindre une auto- rité publique à remplir un devoir public qu'elle a refusé ou négligé d'accomplir bien que dûment requise de le faire.
Dans le cas du requérant, le ministre n'est pas assujetti à cette obligation expresse d'appliquer la politique NSO IS 399 et par conséquent, je ne peux, par un bref de mandamus, ordonner au ministre de le faire.
L'avocat a présenté deux arguments relatifs à l'examen à caractère humanitaire, qui peuvent également être tranchés brièvement. Les requé- rants soutiennent que le ministre n'a pas respecté [TRADUCTION] «l'attente légitime» ou «l'attente raisonnable» d'un examen à caractère humanitaire promis aux personnes faisant partie de l'arriéré des revendications du statut de réfugié, lorsqu'il a établi les directives restrictives applicables à cet examen. Ils fondent cet argument sur le fait que le ministre et ses fonctionnaires ont déclaré publique- ment que les personnes qui réclamaient le statut de réfugié au sens de la Convention avant le 1 °r janvier 1989 feraient l'objet d'un examen visant à déterminer si elles avaient des raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier leur droit d'établissement au Canada. Cette «attente légi- time» n'a pas été remplie, prétendent les requé- rants, puisque les lignes directrices actuelles qui ont été établies ne prévoient qu'un examen limité pour des raisons d'ordre humanitaire.
Compte tenu des motifs que j'ai prononcés en l'espèce sur la question de l'entrave au pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 114(2) de la Loi, je dirai peu de choses à ce sujet. Quelles que soient les promesses et les garanties qui ont été faites par le ministre, le requérant a le droit, en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi, d'exiger un examen pour déterminer s'il existe des raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier son droit d'établissement au Canada. Telle est la règle de droit qui existe en ce moment et elle doit s'appliquer de manière uniforme à toutes les per- sonnes qui y sont assujetties. Les motifs en l'espèce indiquent que l'intimé et ses fonctionnaires ne doivent pas exercer le pouvoir discrétionnaire qui leur est conféré par le paragraphe 114(2) en s'im- posant des restrictions rigides, même si l'établisse- ment d'une politique générale flexible, comme celle qui est prévue au chapitre 9 du Guide de l'immigration, serait tout à fait légale.
Les avocats des requérants ont également pré- tendu que le fait d'exercer le pouvoir discrétion- naire prévu aux paragraphes 114(2) et 9(1) de la
Loi sur l'immigration d'une manière différente à l'égard des demandeurs du statut de réfugié et à l'égard des autres étrangers se trouvant au Canada viole l'article 15 de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)]. Compte tenu des motifs en l'espèce, il m'est égale- ment inutile d'examiner cet argument complexe dans le but de résoudre les questions soulevées dans la présente affaire.
Je vais maintenant analyser les arguments soule- vés par les avocats en ce qui concerne l'équité et le pouvoir discrétionnaire. Les personnes qui ont revendiqué le statut de réfugié au sens de la Con vention avant le ler janvier 1989 sont considérées comme faisant partie de l'arriéré des personnes revendiquant le statut de réfugié. Le régime créé par l'intimé pour traiter les revendications de ces personnes exige que ces revendications soient exa minées dans le cadre d'un système qui, tout en étant semblable, est distinct de celui qui a été établi par la Loi modifiant la Loi sur l'immigra- tion, L.R.C. (1985) (4 e suppl.), chap. 28. Les personnes faisant partie de cet arriéré, tels les requérants, doivent assister à une audience devant un arbitre et un membre de la section du statut de réfugié qui détermineront si leur revendication a un minimum de fondement.
Avant cette audience, une entrevue doit cepen- dant avoir lieu avec un agent d'immigration pour déterminer s'il existe des raisons d'ordre humani- taire suffisantes pour exempter le demandeur de statut des exigences de l'article 9 de la Loi sur l'immigration. Voici comment Brian Dougall, le directeur du Groupe de travail sur l'élimination de l'arriéré a décrit cette étape:
[TRADUCTION] 9. Deux séries d'examens à caractère humani- taire font partie du Programme d'élimination de l'arriéré. Les examens sont équivalents aux examens qui sont effectués à l'intention des demandeurs du statut de réfugié en vertu du nouveau système de détermination du statut de réfugié. Le premier examen a lieu avant l'audience portant sur le minimum de fondement et on y applique les critères 1 et 2. Les trois critères sont énoncés à l'annexe «A» jointe à la présente. Le premier examen est effectué par un agent d'immigration. Cet examen vise à traiter d'une manière expéditive les cas qui méritent une attention particulière selon les critères établis par le ministre . . .
«Les critères 1 et mentionnés par M. Dougall sont énoncés dans un document intitulé «Procédu-
res de traitement de l'arriéré des revendications du statut de réfugié», qu'il a distribué aux coordonna- teurs régionaux de l'arriéré dans tout le pays. Ils figurent à la page 42 du document, sous la rubri- que «Critères d'examen à caractère humanitaire», et ils sont ainsi conçus:
PREMIER EXAMEN
1. Les personnes qui sont membres d'une délégation officielle, d'une équipe d'athlètes ou d'un groupe culturel ou encore toute autre personne qui, en cherchant à demeurer au Canada, met le gouvernement de son pays dans un tel embarras qu'elle s'expose à de sévères sanctions à son retour dans ce pays.
2. Des circonstances exceptionnelles peuvent justifier le recours des mesures humanitaires. Il s'agit par exemple de situations de dépendance familiale des membres proches d'un rési- dent canadien seraient exposés à diverses tribulations (autres que des peines ou des inconvénients financiers) s'ils étaient forcés de rentrer dans leur pays pour obtenir un visa d'immigrant.
Les requérants en l'espèce ont été avisés de se présenter au Bureau de l'arriéré des revendications du statut de réfugié de la Commission de l'immi- gration Canada pour y être interrogés afin de déterminer s'il y avait des raisons d'ordre humani- taire suffisantes pour justifier leur droit d'établis- sement au Canada. Dans chacun des cas, il a été déterminé qu'il n'y avait pas de raisons d'ordre humanitaire suffisantes pour justifier une demande de droit d'établissement.
Les requérants critiquent la conduite de ces entrevues et le fait que les arbitres n'ont pas examiné les éléments pertinents, ce qui ressort de l'affidavit de Ken Yung Yhap:
[TRADUCTION] 5. Le 16 août 1989, je me suis présenté avec Anita Sulley, membre du cabinet de mon avocat, au Bureau de l'arriéré des revendications du statut de réfugié j'ai été interrogé par un agent d'immigration, M. John Donaldson.
6. On m'a demandé de remplir et d'apporter avec moi à l'entrevue une série de formules. Une copie de cette formule remplie et présentée à M. Donaldson est jointe à la présente sous la cote «B».
7. Après avoir examiné les formules, M. Donaldson m'a demandé pourquoi je ne me suis pas rendu en Guyane en 1986 et pourquoi j'ai décidé de demeurer au Canada. Je lui ai expliqué que durant mon passage de deux jours en transit ici, des amis m'ont fait savoir que la situation raciale était intoléra- ble pour des Chinois se trouvant en Guyane. J'ai découvert que le mari de ma cousine avait été battu à mort là-bas.
8. L'agent a porté toute son attention sur la mort du mari de ma cousine en Guyane et il m'a demandé de lui en fournir la preuve.
9. L'agent ne m'a pas posé de questions concernant les aspects d'ordre humanitaire de ma cause. Il ne m'a pas interrogé sur ma vie au Canada au cours des trois dernières années ni sur les raisons pour lesquelles je suis demeuré au Canada. Il a refusé d'examiner la situation actuelle en Chine et il a surtout cherché à savoir pourquoi je ne me suis pas établi en Guyane en 1986.
10. L'agent m'a demandé pourquoi je ne voulais pas retourner dans la République populaire de Chine. Il m'a ensuite avisé que je pouvais quitter le Canada volontairement et m'a assuré que je recevrais une lettre que je pourrais remettre au consulat ou à l'ambassade le plus près dans la République populaire de Chine. Cette lettre me garantissait une entrevue mais ne me garantissait pas que je pourrais immigrer au Canada.
Les requérants se plaignent également de la conduite des entrevues, notamment du fait que plusieurs d'entre eux ont été avisés dans un délai minimum qu'ils devaient se présenter à leur entre- vue et que celle-ci avait souvent lieu sans la pré- sence d'un avocat. Anita Sulley, l'avocate qui représentait plusieurs des requérants au moment de leurs entrevues a déclaré dans son affidavit:
[TRADUCTION] 4. À la fin du mois d'août et au début du mois de septembre 1989, mes clients ont commercé à recevoir du Bureau de l'arriéré des revendications du statut de réfugié, une lettre et une formule à remplir, dont une copie est jointe à la présente sous la cote «J». Dans un très court délai, on a demandé à mes clients de remplir ces formules et d'assister à un examen à caractère humanitaire.
5. J'ai participé à plusieurs de ces examens avec des clients et j'en suis venue à la conclusion qu'à la suite des instructions qu'ils avaient reçues, les fonctionnaires ne tenaient compte que des personnes qui répondaient aux critères de la catégorie de la famille prévus par le Règlement sur l'immigration et des per- sonnes qui étaient elles-mêmes des athlètes ou des artistes. Les fonctionnaires ont refusé de tenir compte du fait que d'autres considérations d'ordre humanitaire et d'autres motifs de com- misération s'appliquaient et étaient importants pour mes clients et qu'ils méritaient d'être pris en considération.
Les requérants sont maintenant convoqués à une audience en vertu des dispositions transitoires de la Loi modifiant la Loi sur l'immigration afin de déterminer s'il existe un minimum de fondement qui permettrait à la section du statut de la Com mission de l'immigration et du statut de réfugié de décider que les requérants sont des réfugiés au sens de la Convention.
Le requérant sollicite un certiorari aux fins d'annuler la décision des agents d'immigration du Centre d'élimination de l'arriéré de Toronto, selon laquelle il n'y avait pas suffisamment de raisons d'ordre humanitaire pour lesquelles une demande de résidence permanente devrait être acceptée, et un mandamus enjoignant à l'intimé d'accorder au
requérant «une entrevue complète et équitable et d'entendre ses raisons d'ordre humanitaire confor- mément à la loi et à son obligation d'équité». L'avocat du requérant a avancé quatre arguments à l'appui de cette demande, deux d'entre eux ayant déjà été examinés. Les deux autres sont les suivants:
A) Les fonctionnaires de l'intimé ne se sont pas acquittés de l'obligation d'équité imposée tant par la common law que par la Charte aux personnes qui rendent des décisions administra- tives lorsque les intérêts protégés par l'article 7 sont touchés.
B) En établissant la «politique» et les lignes directives, le ministre a illégalement entravé l'exercice du pouvoir discrétionnaire de ses agents chargés d'examiner les demandes des requérants en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.
Je vais examiner ces arguments séparément. A) Équité
Voici ce qui ressort des faits contenus dans les affidavits soumis à l'appui des requêtes en l'espèce et du témoignage de Brian A. Dougall, directeur du Groupe de travail sur l'élimination de l'arriéré, présentés devant le sténographe officiel et disponi- bles sous forme de transcription, en ce qui con- cerne la conduite de l'examen à caractère humani- taire préalable à l'enquête:
i) Un préavis a été donné dans un délai mini mum à plusieurs requérants pour qu'ils se ren- dent à leur entrevue aux fins de l'examen à caractère humanitaire préalable à l'enquête
ii) Dans plusieurs cas, l'examen à caractère humanitaire préalable à l'enquête a eu lieu sans la présence d'un avocat. Dans certains cas, les entrevues ont été fixées sans savoir si un avocat en particulier était disponible pour représenter son client, et les entrevues ne pouvaient pas être ajournées pour satisfaire les avocats.
iii) Dans certains cas, les agents ont procédé à l'entrevue sans avoir recours à un interprète de la Commission, faisant plutôt appel à un membre ou à un ami de la famille à titre d'interprète.
iv) Dans certains cas, les requérants n'ont pas été interrogés sur l'existence de facteurs huma- nitaires lors de l'entrevue préalable à l'enquête. L'examen à caractère humanitaire qui a été effectué était limité aux directives publiées à l'intention des demandeurs du statut de réfugié dans le Programme d'élimination de l'arriéré.
Les requérants soutiennent que les fonctionnai- res de l'immigration qui ont procédé à ces entre- vues ne se sont pas conformés à l'obligation d'équité imposée tant par la common law que par la Charte aux personnes qui prennent des décisions administratives, lorsque les intérêts protégés par l'article 7 sont touchés. L'avocat du requérant a prétendu que:
[TRADUCTION] ... étant donné l'importance de la décision rendue, et les conséquences graves d'une décision négative pour une personne qui n'est pas un réfugié au sens de la Convention et qui a violé une disposition de la Loi sur l'immigration, le fait de rendre une décision administrative portant sur l'existence de raisons d'ordre humanitaire exige, tant sous le régime de la common law qu'en vertu de l'article 7 de la Charte, qu'un minimum de garanties soient fournies en matière de procédure:
i) un avis suffisant; ...
ii) le droit de consulter un avocat dans un délai raisonnable;
iii) le droit à un interprète; ...
iv) des renseignements exacts et adéquats sur lesquels le requé- rant peut se fonder pour prendre des décisions quant au recours approprié;...
v) un interrogatoire et une divulgation complets concernant les éléments de preuve à établir; ...
vi) un examen conforme à la portée du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi.
L'avocate de l'intimé soutient que la décision rendue par l'agent d'immigration lors de l'entrevue du requérant en date du 16 août 1989 ne visait pas les intérêts du requérant garantis par l'article 7 de la Charte et que l'entrevue initiale portant sur les raisons d'ordre humanitaire ne violait pas l'obliga- tion d'équité. L'intimé ajoute que lorsque la déci- sion est de nature administrative, sans conséquen- ces graves pour le requérant, les exigences de l'obligation d'équité sont minimes. C'est le cas en l'espèce, allègue l'intimé, puisque [TRADUCTION] «la décision en question est simplement un examen initial à caractère humanitaire. Le requérant a droit à un autre examen de ce genre avant d'être renvoyé, examen au cours duquel tous les argu ments seront examinés». L'intimé fait en outre valoir que les droits du requérant qui lui sont garantis par l'article 7 de la Charte ne sont pas
touchés puisque, comme le requérant ne fait pas l'objet d'une ordonnance de revoi, sa vie, sa liberté ou la sécurité de sa personne ne sont aucunement menacées.
Eu égard à tous ces arguments, je dois souligner que je suis saisi en l'espèce d'un groupe de cas. Cela a une importance particulière en ce qui con- cerne la prétention relative à l'entrave au pouvoir discrétionnaire mais n'a pas les mêmes répercus- sions sur l'élément d'équité. Il est établi que cer- tains requérants qui peuvent avoir été traités injus- tement, pour ce qui est de l'avis qui leur a été donné, des services de traduction, d'avocat ou pour toute autre raison, ont été convoqués à une seconde entrevue. Il n'est donc pas certain si l'iniquité initiale a pu avoir été corrigée et si oui, dans quel cas. De même, depuis l'introduction de la présente requête, certains requérants ont assisté à des audiences portant sur le minimum de fondement dont le succès a pu également avoir corrigé toute iniquité antérieure. Je souligne également que ces audiences ne sont pas visées en l'espèce. Par consé- quent, je ne ferai pas droit à la présente demande pour cause d'iniquité, sauf dans la mesure celle-ci se rapporte à l'entrave au pouvoir discrétionnaire.
B) Le pouvoir discrétionnaire
Les requérants soutiennent qu'en établissant les lignes directrices relatives à la partie portant sur l'examen des motifs d'ordre humanitaire du Pro gramme d'élimination de l'arriéré, le ministre a illégalement entravé l'exercice du pouvoir discré- tionnaire qu'on ses agents d'examiner les cas des requérants en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.
Les lignes directrices en question sont celles qui figurent dans le document intitulé «Procédures de traitement de l'arriéré des revendications du statut de réfugié» et qui sont reproduites plus haut. Ces lignes directrices semblent s'appliquer uniquement aux catégories particulières de personnes, à savoir «les membres d'une délégation officielle, d'une équipe d'athlètes ou d'un groupe culturel», et aux personnes se trouvant dans des «situations de dépendance familiale» qui y sont décrites. L'avo- cate de l'intimé fait valoir que [TRADUCTION] «rien dans la politique n'empêche l'agent d'immi- gration d'examiner chaque cas comme un cas d'es-
pèce», mais il ressort de la preuve produite devant la Cour et, en particulier, des affidavits des requé- rants qui décrivent le déroulement des entrevues que les agents n'ont pas interrogé ceux-ci sur les points d'ordre humanitaire qui peuvent ne pas être visés par les critères désignés.
L'affidavit de Ken Yung Yhap, le requérant en l'espèce, décrit son entrevue en ces termes:
L'agent ne m'a pas posé de questions concernant les aspects d'ordre humanitaire de ma cause. Il ne m'a pas interrogé sur ma vie au Canada au cours des trois dernières années ni sur les raisons pour lesquelles je suis demeuré au Canada. Il a refusé d'examiner la situation actuelle en Chine et il a surtout cherché à savoir pourquoi je ne me suis pas établi en Guyane en 1986.
Les requérants prétendent que les lignes direc- trices actuelles appliquées par la Commission d'immigration entravent l'exercice du pouvoir que le gouverneur en conseil tient de la loi, celui d'exempter certaines personnes, pour des raisons d'ordre humanitaire, du paragraphe 9(1) de la Loi et d'autoriser le droit d'établissement de personnes pour des raisons d'ordre humanitaire sous le régime du paragraphe 114(2) de la Loi. Les requé- rants reconnaissent que les lignes directrices ne sauraient s'appliquer de manière à entraver l'exer- cice d'un pouvoir discrétionnaire prévu par la loi. Ils résument ainsi leur position:
[TRADUCTION] ... les paragraphes 114(2) et 9(1) de la Loi étant de nature réparatrice, il faut les interpréter de façon générale et libérale. La loi ne prévoit aucun critère pour les exemptions visées au paragraphe 9(1). Le seul critère établi sous le régime du paragraphe 114(2) consiste à savoir s'il existe des raisons «d'intérêt public» ou «d'ordre humanitaire» qui permettent de faciliter le droit d'établissement au Canada. A cet égard, il est allégué que tout facteur qui peut être relié à des considérations d'ordre humanitaire doit être examiné par les agents d'immigration, et tout facteur permettant d'exempter une personne de l'exigence d'obtenir un visa d'immigrant à l'étranger doit entrer en ligne de compte. Il ressort de la preuve produite devant la Cour et contenue tant dans les directives de l'intimé que dans les comptes rendus des requérants sur la façon dont ils ont été traités lors de l'examen à caractère humanitaire préalable à l'enquête, qu'on a entravé l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 9(1) et 114(2). [C'est moi qui souligne.]
L'intimé soutient que lorsque la loi prévoit un pouvoir discrétionnaire étendu, comme celui prévu au paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, l'adoption d'une politique ou de lignes directrices à des fins décisionnelles garantit que ce pouvoir dis- crétionnaire est exercé équitablement et égale-
ment. Selon lui, le ministre peut, en vertu du pouvoir discrétionnaire qu'il tient de la Loi, choisir les critères dont il faudrait tenir compte en vue d'une exemption pour des motifs d'ordre humani- taire. Les critères choisis pour l'exercice du pou- voir discrétionnaire en l'espèce relèvent, toujours selon l'intimé, des lignes directrices de la Loi.
Les parties applicables de l'article de la Loi sur l'immigration qui énonce les «lignes directrices» de la loi sont les alinéas 3b),c) et g):
3. La politique canadienne d'immigration ainsi que les règles et règlements pris en vertu de la présente loi visent, dans leur conception et leur mise en oeuvre, à promouvoir les intérêts du pays sur les plans intérieur et international et reconnaissent la nécessité:
b) d'enrichir et de renforcer le tissu culturel et social du Canada en tenant compte de son caractère fédéral et bilingue;
c) de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l'étranger;
g de remplir, envers les réfugiés, les obligations imposées au Canada par le droit international et de continuer à faire honneur à la tradition humanitaire du pays à l'endroit des personnes déplacées ou persécutées;
Les autres dispositions législatives portant sur cette question sont les paragraphes 9(1) et 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2:
9. (1) Sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.
114....
(2) Pour des raisons d'intérêt public ou d'ordre humanitaire, le gouverneur en conseil peut, par règlement, accorder une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du para- graphe (1) ou faciliter l'admission de toute autre manière.
En vertu du paragraphe 114(2) de la Loi, le requérant a droit à un examen complet et équita- ble afin de déterminer l'existence de considérations d'ordre humanitaire qui permettraient de l'exemp- ter de l'exigence prévue au paragraphe 9(1) de la Loi, ou autrement de «faciliter son admission». Le droit du requérant à un tel examen a clairement été confirmé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ministre de l'Emploi et de l'Immigration et autres c. Timinez-Perez et autre, [1984] 2 R.C.S.
565; (1984), 14 D.L.R. (4th) 609; [1985] 1 W.W.R. 577; 9 Admin. L.R. 280; 56 N.R. 215. Dans l'affaire plus récente Sobrie c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1987), 3 lmm. L.R. (2d) 81 (C.F. ire inst.), j'ai en outre statué que cet examen doit avoir lieu indépendam- ment du bien-fondé de toute autre demande for- mulée par le requérant. Je me suis prononcé en ces termes dans Sobrie la page 86]:
J'estime que le requérant doit avoir gain de cause sur ce point. Je ne suis pas convaincu qu'on lui ait jamais donné la possibilité de faire valoir l'existence des considérations d'ordre humanitaire prévues au paragraphe 115(2). Les agents d'immi- gration ont présumé, fort logiquement, que le dossier considéra- ble qu'ils détenaient sur Sobrie contenait tous les renseigne- ments pouvant être pertinents à la décision à prendre. Cette présomption n'est pas justifiée et n'est pas conforme aux princi- pes d'équité.
En conséquence, même dans un cas toutes les autres revendications et demandes faites par le requérant sont, à l'évidence, vouées à l'échec, le droit de celui-ci à un examen des motifs d'ordre humanitaire ne peut être indûment restreint. Ce principe a été énoncé dans la décision Sobrie la page 89]:
Il est évident que le but sous-jacent aux dispositions du paragraphe 115(2) n'est pas simplement de reprendre l'évalua- tion d'un immigrant sur les bases ordinaires indiquées dans la Loi. L'esprit de ces dispositions est de fournir un nouveau point de vue du cas de l'immigrant à partir d'une nouvelle perspec tive. Il s'ensuit que pour que le Ministre examine équitablement une demande présentée en vertu du paragraphe précité, il doit être capable d'imaginer ce que le requérant estime constituer, dans son cas, des circonstances d'ordre humanitaire. Celles-ci peuvent être sans rapport avec les faits consignés dans le dossier de la procédure d'immigration antérieure.
Dans le contexte de l'espèce, qu'est-ce qui cons- titue des restrictions légales de la portée de l'exa- men, et dans quelle mesure le ministre peut-il choisir et imposer des critères devant être appli- qués dans un examen de ce genre? La position générale des tribunaux canadiens sur la structura- tion du pouvoir discrétionnaire a été clairement énoncée par le professeur J. M. Evans dans son ouvrage de Smith's Judicial Review of Adminis trative Action, édition, il s'exprime en ces termes à la page 312:
[TRADUCTION] ... un facteur qui peut à juste titre entrer en ligne de compte dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire peut constituer une entrave illicite à l'exercice de ce pouvoir s'il est érigé en règle générale, ce qui aboutit à la recherche de l'uniformité au détriment du bien-fondé des cas particuliers.
L'importance de la flexibilité dans l'adoption d'une politique ou de lignes directrices en tant que moyen de structurer le pouvoir discrétionnaire est mise en lumière par D. P. Jones et A. S. de Villars dans leur ouvrage Principles of Administrative Law, où, à la page 137, il est question de politique «générale» et «inflexible»:
[TRADUCTION] l'existence du pouvoir discrétionnaire
implique l'absence d'une règle dictant le résultat dans chaque cas; le pouvoir discrétionnaire réside essentiellement dans le fait que son exercice varie selon les cas. Et chaque cas est un cas d'espèce. En conséquence, tout ce qui exige d'un délégué qu'il exerce son pouvoir discrétionnaire d'une manière particulière peut illégalement restreindre la portée de son pouvoir. Un délégué qui entrave ainsi son pouvoir discrétionnaire excède sa compétence et peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire.
D'autre part, c'est une erreur de dire qu'un délégué ne saurait adopter un principe général. Tout administrateur qui doit prendre un grand nombre de décisions discrétionnaires est pratiquement obligé d'adopter des règles empiriques grossières. Cette pratique est légalement acceptable pourvu que chaque cas soit examiné comme un cas d'espèce.
Le pouvoir discrétionnaire qu'un agent d'immi- gration tient du paragraphe 114(2) de la Loi est d'une grande portée. On demande à l'agent d'exa- miner, pour ce qui est de l'admission possible au Canada d'un requérant particulier, les «raisons d'intérêt public» et «d'ordre humanitaire». L'article de la Loi sur l'immigration qui définit les termes figurant dans cette Loi et le Règlement sur l'im- migration de 1978 [DORS/78-172], ne font .nulle- ment état de la façon dont ce paragraphe doit s'appliquer, ni de l'interprétation que l'agent doit donner aux termes plutôt généraux qui y sont contenus. En conséquence, il n'est pas surprenant de trouver dans le chapitre 9 du Guide de l'immi- gration des lignes directrices qui aident un agent à exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu, notamment, du paragraphe 114(2) de la Loi. Le chapitre 9 commence par le passage suivant, qui figure sous la rubrique «Exercice du pouvoir discrétionnaire»:
Il importe ... que les agents comprennent bien que les présen- tes lignes directrices ne sont pas des règles strictes. Elles n'envisagent pas toutes les possibilités, tel n'est pas leur objet d'ailleurs. Les agents doivent étudier avec soin les cas sous tous leurs aspects, faire preuve de discernement et présenter la recommandation qui convient.
Le chapitre 9 du Guide de l'immigration aide un agent à évaluer les situations et à examiner les questions d'ordre humanitaire soulevées par ces situations, à savoir les problèmes concernant les conjoints, les situations de dépendance familiale,
les difficultés créées par le retour au pays d'ori- gine, les résidents illégaux de facto, et les cas d'échec du mariage. Ce chapitre donne des conseils généraux aux agents d'immigration:
Des motifs d'ordre humanitaire peuvent être invoqués lorsque des difficultés inhabituelles, injustes ou indues seraient causées à la personne sollicitant l'examen de son cas, ou aux personnes, au Canada, avec lesquelles l'immigrant a des liens, si la per- sonne en cause n'est pas autorisée à demeurer au Canada pendant l'examen de son droit d'établissement.
À titre de comparaison, les lignes directrices figurant dans le document «Procédures de traite- ment de l'arriéré des revendications du statut de refugié» sont rigides. La directive suivante se trouve à la page 11 de ce document:
L'agent examine le cas du demandeur, vérifie l'exactitude des données portées sur le formulaire de renseignements, rend une décision en se fondant sur le critère humanitaire et remplit le résumé d'examen à caractère humanitaire.
Les «Critères d'examen à caractère humanitaire», reproduits à la page 150 en l'espèce, visent unique- ment un segment soigneusement choisi de la popu lation qui fait partie de l'arriéré. Les requérants qui ne sont pas des «membres d'une délégation officielle, d'une équipe d'athlètes ou d'un groupe culturel», et qui ne sont pas des «membres proches d'un résident canadien» sembleraient exclus de l'examen à caractère humanitaire qui est assujetti à ces critères.
Je n'ai pas à me prononcer sur le bien-fondé des lignes directrices relatives à l'examen à caractère humanitaire figurant au chapitre 9 du Guide de l'immigration. Je dirai toutefois que ces lignes directrices semblent constituer une sorte de «politi- que générale» ou de «règles empiriques grossières» qui sont une structuration appropriée et licite du pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 114(2). Ces lignes directrices auraient pu servir de modèle pour la rédaction de lignes directrices devant être utilisées conjointement avec l'examen à caractère humanitaire des demandeurs du statut de réfugié dans le Programme d'élimination de l'arriéré. Malheureusement, les lignes directrices adoptées à titre de «Critères d'examen à caractère humanitaire» dans la directive relative aux «Procé- dures de traitement de l'arriéré des revendications du statut de réfugié» ne me convainquent pas, de la même façon, qu'il s'agit de critères énonçant une politique générale et des «règles empiriques gros- sières». Les critères ressemblent bien davantage à
des restrictions inflexibles qu'on impose au pouvoir discrétionnaire, ce qui aboutit clairement à la recherche de l'uniformité au détriment du bien- fondé des cas particuliers. J'estime que cette entrave au pouvoir discrétionnaire constitue un excès de compétence auquel on ne peut remédier qu'en accordant au requérant une entrevue com- plète et équitable pour entendre ses considérations d'ordre humanitaire et ses motifs de commiséra- tion, conformément à la loi et à l'obligation d'équité.
La difficulté en l'espèce réside dans le fait que le texte de la directive du ministre crée le risque que ses agents vont le considérer comme une restriction à imposer à la catégorie des facteurs d'ordre humanitaire. C'est que la présente demande provenant d'un groupe de vingt-cinq revendica- teurs revêt toute son importance. Un cas isolé ne saurait prouver que les agents d'immigration ont perçu cette restriction ou l'ont imposée à -ladite catégorie, mais le témoignage d'environ vingt-cinq requérants me convainc que les agents d'immigra- tion l'ont fait. C'est tout à fait à juste titre que le ministre a ordonné que, dans ce processus, une entrevue préliminaire sur les motifs d'ordre huma- nitaire doive avoir lieu. Pour une simple raison d'uniformité, le ministre doit concentrer son atten tion sur ce qui, dans l'esprit des requérants, consti- tue des circonstances d'ordre humanitaire, et non sur un ensemble de critères qui constituent des restrictions inflexibles imposées au pouvoir discré- tionnaire prévu par la Loi.
En conséquence, me fondant uniquement sur les arguments du requérant concernant l'entrave au pouvoir discrétionnaire, je vais rendre une ordon- nance de la nature d'un bref de certiorari portant annulation de la décision rendue le 16 août 1989 par les agents d'immigration de la section de l'éli- mination de l'arriéré du Centre d'immigration Canada de Toronto, l'intimé, aux termes de laquelle il a été décidé qu'il n'y avait pas suffisam- ment de considérations d'ordre humanitaire et de motifs de commisération pour faire droit à une demande de résidence permanente au Canada, ainsi qu'une ordonnance de la nature d'un manda- mus forçant l'intimé à accorder au requérant une entrevue complète et équitable et à entendre ses considérations d'ordre humanitaire et ses motifs de commisération conformément à la loi.
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