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T-457-88
Newfoundland Processing Limited (demande- resse)
c.
Les propriétaires du navire «South Angela» et toutes les autres personnes intéressées (défen- deurs)
RÉPERTORIÉ: NEWFOUNDLAND PROCESSING LTD. c. SOUTH ANGELA (LE) (1" inst.)
Section de première instance, juge Cullen—Hali- fax, 11 juillet; Ottawa, 13 juillet 1989.
Droit maritime Pratique Action in rem et action in personam Requête en vue de modifier la déclaration d'une action in rem La modification vise à invoquer les art. 661 et 662 de la Loi sur la marine marchande du Canada est établie la responsabilité stricte du propriétaire du navire en raison du déversement d'un polluant Les dispositions rela tives à la responsabilité stricte ne s'appliquent que dans le cas d'une action in personam Cette responsabilité stricte ne peut pas s'attacher au navire dans la présente action, qui est une action in rem fondée sur le dommage simple et la négli- gence Explication de la différence entre une action in rem et une action in personam Rejet de la requête en modification.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), chap. S-9, art. 661, 662.
Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, chap. S-9, art. 734 (ajouté par S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 27, art. 3(2); S.C. 1987, °chap. 7, art. 81), 735 (mod., idem).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 420.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
The Broadmayne (1916), 13 'Asp. Mar. Law Cas. 356 (C.A.).
DOCTRINE
Thomas, D. R. Maritime Liens Vol. 14 British Shipping Laws, Londres: Stevens & Sons, 1980.
AVOCATS:
Ian C. Wallace pour la demanderesse. John R. Sinnott pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Stirling, Ryan, Saint-Jean (Terre-Neuve), pour la demanderesse.
Lewis, Sinnott & Heneghan, Saint-Jean (Terre-Neuve), pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE CULLEN: Il s'agit d'une requête pré- sentée par la demanderesse en vue de l'obtention d'une ordonnance conformément à la Règle 420 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663] afin de déposer une déclaration modifiée dans l'action en cause. Avant l'audience, l'avocat des défendeurs a consenti aux modifications deman- dées aux paragraphes 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de la déclaration. La seule modification contestée fut le paragraphe 9 qui est rédigé ainsi:
[TRADUCTION] 9. Comme autre argument subsidiaire, la demanderesse invoque les articles 661 et 662 de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.C. 1985, chapitre S-9, est établie la responsabilité stricte du propriétaire du défendeur en raison du déversement d'un polluant sans qu'il soit nécessaire de prouver la négligence.
Il s'agit d'une action in rem et l'intitulé de la cause ne laisse place à aucun doute sur cette question. Il peut certes en résulter une responsabi- lité personnelle si la demanderesse obtient juge- ment; par exemple, si elle obtient gain de cause jusqu'à concurrence d'un million de dollars et si on ne peut obtenir que 500 000 $ à partir du juge- ment, il en découlera une responsabilité person- nelle des défendeurs jusqu'à concurrence de 500 000 $. Toutefois la Loi sur la marine mar- chande du Canada [L.R.C. (1985), chap. S-9] offre un avantage supplémentaire si on demande de reconnaître la responsabilité personnelle des défendeurs, c'est-à-dire les articles cités dans le paragraphe 9 ci-dessus (ou probablement les arti cles 734 [S.R.C. 1970, chap. S-9 (ajouté par S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 27, art. 3(2); S.C. 1987, chap. 7, art. 81)] et 735 [mod., idem] de la révision de 1970), mais l'article ne s'applique que dans le cas d'une action in personam. Cette res- ponsabilité stricte ne peut pas s'attacher au navire dans la présente action, qui est une action in rem fondée sur le dommage simple et la négligence.
La Règle 420 ne permet pas non plus à la demanderesse d'ajouter un défendeur par voie de jonction. Son avocat a sollicité ce redressement dans sa plaidoirie mais n'avait pas déposé de requête à cette fin. Quant à savoir si la demande- resse peut présenter une autre requête afin d'ajou- ter une ou des parties par voie de jonction ou intenter une autre action, c'est une question qu'elle peut considérer comme appropriée et qui peut être tranchée par un autre juge. La demanderesse n'est pas désavantagée si elle recourt à ces autres solutions.
Il existe certes une différence entre une action in rem et une action in personam. Voici ce que dit D.R. Thomas dans Maritime Liens, vol. 14 (1980) à la page 39:
[TRADUCTION] L'action in rem, qui est une poursuite prise contre une chose et en vertu de laquelle il peut y avoir appropriation de la chose afin d'acquitter la réclamation du demandeur, diffère manifestement de l'action in personam. Cette dernière est une poursuite entre des parties qui est fondée sur des services personnels et qui, si le demandeur obtient gain de cause, mène à un jugement contre la personne du défendeur. Dans le cas de l'action in rem, aucune demande n'est faite directement contre le propriétaire de la chose personnellement, et cela demeure ainsi nonobstant la forme actuelle du bref d'assignation in rem. L'action in rem« ... est une action les propriétaires peuvent participer, s'ils le jugent opportun, à la défense de leur bien, mais il leur appartient de décider s'ils le feront ou non, et s'ils ne décident pas de se porter eux-mêmes parties à l'action en vue de défendre leur bien, aucune responsa- bilité personnelle ne peut leur être imputée dans cette action» (The Burns [1907] P. 137 (C.A.), le lord juge Fletcher Moul- ton, à la p. 149).
La différence essentielle qui existe peut se manifester de diver- ses façons. Ainsi, dans le cas d'une question d'interprétation d'une loi, les restrictions législatives portant sur la responsabi- lité d'une personne ne sont pas nécessairement interprétées comme s'appliquant également à une poursuite contre le bien de cette personne. (The Longford (1889) 14 P.D. 34 (C.A.); The Burns [précité].)
La différence entre une action in rem et une action in personam est donc une question de fond et non pas une simple question de forme. (The City of Mecca (1881) 6 P.D. 106, le juge Lush, à la p. 116.)
Maintenant la loi rend le propriétaire responsa- ble des substances déversées par un navire sans qu'il soit nécessaire de prouver la négligence. Cette loi ne s'applique pas à l'action prise contre le navire, et la responsabilité absolue sans faute doit être interprétée de façon stricte.
Passons enfin à l'arrêt The Broadmayne (1916), 13 Asp. Mar. Law Cas. 356 (C.A.). Dans cette affaire, le navire fut réquisitionné une journée
avant la déclaration de la guerre en 1914. Il s'est produit un accident par la suite et des procédures ont été prises contre le navire. Les véritables pro- priétaires ont comparu. Il y a eu suspension de l'instance en raison de la réquisition, mais le demandeur avait amené le propriétaire du navire devant la Cour. À la page 361, le lord juge Bankes a déclaré:
[TRADUCTION] II y a deux questions à trancher dans le présent appel: premièrement, quel effet auront sur une action in rem intentée en Division d'amirauté la comparution dans l'instance du propriétaire de la chose et le fait pour lui de donner un cautionnement ou de prendre un engagement équivalent; et deuxièmement, que se produira-t-il dans l'éventualité de la saisie d'un navire réquisitionné contre lequel a été intentée une action in rem? A mon avis, l'action qui a été intentée à titre d'action in rem continue jusqu'à la fin d'être une action in rem à moins que ne survienne quelque modification de sa nature même à la suite d'une ordonnance du tribunal ou en vertu des règles de la cour. Selon moi, il est erroné de dire que l'action change de nature et cesse d'être une action in rem et devient une action in personam lorsque le propriétaire de la chose comparaît et donne un cautionnement. Il est vrai sans aucun doute que, lorsque cela se produit, l'action, dans la mesure est concernée sa caractéristique spéciale d'action in rem, a servi ses fins, ou peut-être sa fin principale, lorsque le propriétaire de la chose a été amené en raison de la saisie, ou de la crainte d'une saisie, du navire à inscrire une comparution et à fournir un cautionnement afin d'obtenir la libération, ou d'éviter la saisie, de son navire. Il est également vrai que, une fois que le propriétaire de la chose a comparu, le demandeur a l'avantage de pouvoir, en cas de nécessité, prendre son bien en acquitte- ment du jugement en plus du cautionnement. Ces conséquences constituent toutefois, à mon avis, des incidents qui ne font que survenir dans le cours d'une action in rem, qui ajoutent à sa valeur, mais qui ne modifient en rien sa nature particulière ni ne l'en prive.
J'estime que la réponse est assez clairement indiquée dans l'extrait tiré de la Praxis Curiae Admiralitatie de Clerk et cité avec l'approbation du juge Jeune dans The Dictator (précité) l'auteur dit que, après la comparution, l'affaire se poursuit ut in action instituta contra personam debitoris—c'est-à-dire que l'action doit se poursuivre comme si, et seulement comme si, c'était une action in personam. L'avantage qu'il s'agisse d'une action in rem persiste, dans le sens que, s'il devait se présenter une occasion exceptionnelle, le tribunal dans un cas opportun aurait sans doute encore le pouvoir d'ordonner la saisie du navire. [C'est moi qui souligne.]
Pour les motifs mentionnés, la requête de la demanderesse en vue de la modification ou de l'ajout du paragraphe 9 de sa déclaration est rejetée.
DÉPENS
Les deux avocats ont présenté leurs arguments sur la question des dépens et ont donné des raisons convaincantes pour lesquelles l'autre partie devrait
être tenue de payer les dépens quelle que soit l'issue de la cause. Les défendeurs ont mis passa- blement de temps à consentir à quelque sept modi fications et autres radiations, mais il est vrai que la demanderesse a eu le temps de se désister de la requête et de traiter du paragraphe 9 le jour prévu normalement pour l'audition des requêtes en sep- tembre. La demanderesse a eu environ trois mois et demi pour modifier la requête sans autorisation, et la modification demandée au paragraphe 9 ne découlait pas de l'interrogatoire préalable. Tout compte fait, il me semble que les dépens devraient suivre l'issue de la cause.
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