A-735-87
Affaire intéressant la Loi canadienne sur les
droits de la personne; et une plainte déposée par
Rose Desjarlais contre la bande indienne de la
réserve n° 75 de Piapot; et le paragraphe 63(2) de
la Loi canadienne sur les droits de la personne; et
une demande présentée par la Commission cana-
dienne des droits de la personne conformément au
paragraphe 28(4) de la Loi sur la Cour fédérale.
RÉPERTORIE: DESJARLAIS (RE) (CA)
Cour d'appel, juges Urie, Hugessen et Desjar-
dins—Regina, 27 avril; Ottawa, 5 mai 1989.
Droits de la personne — Suite à l'adoption d'une motion
formelle par le conseil de la bande, une administratrice a été
congédiée — Cette administratrice a déposé auprès de la
Commission canadienne des droits de la personne une plainte
alléguant qu'elle avait fait l'objet d'une distinction illicite
fondée sur l'âge — L'art. 63(2) de la Loi canadienne sur les
droits de la personne prévoit que cette Loi est sans effet sur la
Loi sur les Indiens et sur les dispositions prises en vertu de
cette Loi — L'art. 63(2) n'empêche pas la Commission d'avoir
compétence pour juger la plainte — Sens du terme anglais
«affects» — Renvoi au mot «effet» de la version française
Signification du terme anglais «provision» — Aucun statut
administratif ne concerne l'embauchage et le congédiement de
personnel — La motion du conseil de la bande, qui se trouve
décrite comme un vote de non-confiance, n'est nulle part
autorisée par la Loi sur les Indiens, que ce soit explicitement
ou implicitement — Elle ne constitue pas une des «dispositions
prises en vertu de cette loi», de sorte qu'elle n'est pas visée par
les dispositions d'exemption de l'art. 63(2).
Peuples autochtones — Le conseil de la bande a congédié
une administratrice à la suite de l'adoption d'une motion
formelle — Une plainte alléguant une distinction illicite
fondée sur l'âge a été déposée auprès de la Commission
canadienne des droits de la personne — L'art. 63(2) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne prévoit que cette Loi
est sans effet sur la Loi sur les Indiens et sur les dispositions
prises en vertu de cette Loi — Sens des termes anglais
«affects» et «provision» — L'art. 63(2) n'empêche pas la
Commission d'avoir compétence pour juger la plainte —
Aucun statut administratif ne concerne l'embauchage et le
congédiement de personnel — La motion, qui se trouve décrite
comme un vote de non-confiance, n'est nulle part autorisée
dans la Loi sur les Indiens, que ce soit explicitement ou
implicitement.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C.
1976-77, chap. 33, art. 7, 37, 63(2).
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 28(4).
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6, art. 2, 18(2),
20(1), 28(2), 31, 34, 39(1)b)(i), 58, 59, 64, 82, 83(1)c)
(mod. par S.C. 1988, chap. 23, art. 10), 98(5) (abrogé
par S.C. 1985, chap. 27, art. 17).
Loi sur les Lois révisées du Canada (1985), S.C. 1987,
chap. 48.
Règlement sur le mode de procédure au conseil des
bandes d'Indiens, C.R.C., chap. 950.
DOCTRINE
Black's Law Dictionary, 5» éd. St. Paul, Minn.: West
Publishing Co., 1979, «affect».
Britannica World Language Dictionary, vol. 1, Int. Ed.
New York: Funk & Wagnalls Co., 1959, «affect».
Grand Larousse de la langue française, vol. 2 Paris:
Librarie Larousse, 1972, «effet».
Oxford English Dictionary, vol. 1 Oxford: Clarendon
Press, 1933, «affect».
Robert, P. Dictionnaire alphabétique et analogique de la
langue française, t. 2. Paris: Société du nouveau Littré,
1981, «disposition», «effet».
AVOCAT:
James Hendry pour la Commission cana-
dienne des droits de la personne.
PROCUREUR:
Services juridiques, Commission canadienne
des droits de la personne, Ottawa, pour la
Commission canadienne des droits de la
personne.
Ce qui suit est la version française des motifs
du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: La Commission
canadienne des droits de la personne se présente
devant cette Cour dans le cadre d'une demande'
fondée sur le paragraphe 28(4) de la Loi sur la
Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap. 10].
La question de droit qui nous est renvoyée par
une résolution de la Commission en date du 26
août 1987 est ainsi rédigée:
La bande indienne de la réserve n° 75 de Piapot ayant congédié
Rose Desjarlais par l'adoption d'une motion formelle lors d'une
assemblée du conseil de la bande, le paragraphe 63(2) de la Loi
canadienne sur les droits de la personne empêche-t-il la Com
mission canadienne des droits de la personne d'avoir compé-
tence pour juger la plainte déposée par Rose Desjarlais contre
cette bande, plainte selon laquelle il a été mis fin à l'emploi de
cette personne en raison de son âge? (Dossier d'appel, à la
page 1)
' La demande est en date du 26 août 1987. Les versions des
lois mentionnées dans les présents motifs sont donc celles qui
ont précédé l'entrée en vigueur de la Loi sur les Lois révisées
du Canada (1985), S.C. 1987, chap. 48.
Les faits qui ont conduit à l'adoption de cette
motion sont les suivants. Rose Desjarlais, une
administratrice ayant travaillé pour la bande de
Piapot depuis 14 ans, a été congédiée le 11 juin
1984. Elle prétend que l'on a mis fin à son emploi
sans avis et sans motif juste. Elle déclare dans sa
plainte:
[TRADUCTION] Johnny Rock Thunder, un membre du conseil
de la bande, m'a avisée que le conseil de la bande avait adopté
une motion prévoyant mon congédiement. Lorsque je lui ai
demandé pour quel motif j'étais renvoyée, Johnny Rock Thun
der m'a répondu que c'était parce que j'étais trop vieille.
(Dossier d'appel, à la page 4)
Elle a déposé une plainte le 27 juillet 1984 et
une plainte modifiée le 2 octobre 1985 auprès de la
Commission canadienne des droits de la personne
contre la bande indienne de la réserve n° 75 de
Piapot, en alléguant avoir fait l'objet d'une distinc
tion illicite fondée sur l'âge contrairement à l'arti-
cle 7 de la Loi canadienne sur les droits de la
personne, S.C. 1976-77, chap. 33.
Le procès-verbal de la rencontre du 11 juin 1984
du conseil de la bande de Piapot indique effective-
ment que la motion suivante a été adoptée:
[TRADUCTION] QUE le conseiller Johnny Rockthunder
demande un vote de non-confiance contre ... Rose Desjarlais
... Certaines plaintes concernent l'âge de Rose ...
«MOTION ADOPTÉE» (Dossier d'appel, à la page 15)
Rose a plus tard été remplacée.
La Commission, conformément à l'article 37 de
la Loi canadienne sur les droits de la personne, a
nommé un conciliateur qui a tenté d'en arriver à
un règlement. Il s'est toutefois avéré que les doutes
entretenus par le conseil de la bande au sujet de la
compétence de la Commission rendaient toute con
ciliation impossible.
Ainsi la présente demande a-t-elle été déposée
par la Commission. Rose Desjarlais et le conseil de
la bande de Piapot en ont reçu signification régu-
lièrement. Ils ont cependant tous deux choisi de ne
pas être représentés devant cette Cour.
Le paragraphe 63(2) de la Loi canadienne sur
les droits de la personne est ainsi libellé:
63....
(2) La présente loi est sans effet sur la Loi sur les Indiens et
sur les dispositions prises en vertu de cette loi.
Cette disposition constituant une exception à la
Loi canadienne sur les droits de la personne,
l'intention du Parlement doit être discernée.
Le mot «affects» de la version anglaise a certes
une très large portée. Je considère qu'il signifie
[TRADUCTION] «Agir sur ou avoir un effet sur» 2 .
Les termes introductifs du paragraphe 63(2) de la
Loi canadienne sur les droits de la personne s'in-
terprètent donc comme signifiant que rien dans
cette Loi n'a d'effet sur ... Le mot «effet» de la
version française possède également un caractère
général, et il équivaut à des termes tels «consé-
quence» 3 ou «influence»". Ainsi lirions-nous: «La
présente loi est sans conséquence, sans influence
sur».
Le mot «provision» du membre de phrase «any
provision of the Indian Act» («la Loi sur les
Indiens») renvoie par connotation à la législation,
pour faire référence à la fois à la Loi sur les
Indiens et aux règlements 5 adoptés en vertu de
cette Loi. Cette interprétation se trouve confirmée
par la version française.
Le mot «provision» du membre de phrase «or
any provision made under or pursuant to [the
Indian Act]» («et sur les dispositions prises en
vertu de cette loi») ne peut avoir la même significa
tion que le premier «provision», et il ne peut ren-
voyer exclusivement à une disposition législative
d'application générale ainsi que le prétend l'avocat
de la Commission. La version française rend une
telle interprétation impossible. Le mot «disposi-
tions» de cette version pourrait avoir le sens de
«mesures législatives», mais il connote également
les notions de «décisions» et de «mesures» 6 , dont la
compréhension est très grande. Ainsi les termes «or
any provision made under or pursuant to that Act»
2 Britannica World Language Dictionary, vol. 1 (New York:
Funk & Wagnalls Co., Int. Edition, 1959), la p. 24. Voir
également Oxford English Dictionary, vol. 1 (Oxford: Claren-
don Press, 1933), la p. 151; Black's Law Dictionary, 5 6 éd.
(St. Paul, Minn.: West Publishing Co., 1979), la p. 53.
3 Grand Larousse de la langue française, vol. 2 (Paris:
Librairie Larousse, 1972), à la p. 1494.
° P. Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la
langue française, t. 2 (Paris: Société du nouveau Littré, Le
Robert, 1981), la p. 391.
5 Tel le Règlement sur le mode de procédure au conseil des
bandes d'Indiens, C.R.C., chap. 950.
6 P. Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la
langue française, idem, à la p. 253.
désignent-ils plus que les seules stipulations à
caractère légal. J'interprète ces mots comme
s'étendant à toutes les décisions prises en vertu de
la Loi sur les Indiens.
Le conseil de la bande de Piapot est un «conseil
de la bande» au sens de l'article 2 de la Loi sur les
Indiens, S.R.C. 1970, chap. I-6. Bien que le dos
sier ne révèle pas clairement si le conseil de la
bande de Piapot est de ceux auxquels l'alinéa
2(1)a) ou l'alinéa 2(1)b) de la Loi sur les Indiens
est applicable, les deux types de «conseil de la
bande» visés par la définition détiennent les mêmes
pouvoirs sous le régime de la Loi sur les Indiens.
En ce qui concerne l'embauchage et le congédie-
ment de personnel, il n'existe aucun statut admi-
nistratif régulièrement enregistré sous le régime de
la Loi sur les Indiens qui aurait été adopté par le
conseil de la bande de Piapot conformément aux
stipulations de l'article 82 de la Loi sur les
Indiens. De plus, le gouverneur en conseil, à l'épo-
que pertinente', n'avait pas déclaré que la bande
indienne de la réserve n° 75 de Piapot avait atteint
un haut degré d'avancement lui permettant d'éta-
blir des statuts administratifs pour les fins énumé-
rées à l'alinéa 83(1)c) de la Loi (dossier d'appel,
annexe 1, à la page 225).
L'adoption de statuts administratifs n'est toute-
fois pas le seul mode suivant lequel un conseil de
bande peut prendre des décisions sous le régime de
la Loi sur les Indiens. L'ancien paragraphe 98(5)
de la Loi, qui concernait la possession de spiri-
tueux par une personne se trouvant sur une
réserve, déclarait expressément que ses dispositions
ne pouvaient entrer en vigueur que si une résolu-
tion à cet effet avait été transmise au ministre par
le conseil de la bande de cette réserve. Ce paragra-
phe a toutefois été abrogé en 1985 (S.C. 1985,
chap. 27, art. 17 (sanctionné le 28 juin 1985)).
D'autres dispositions de la Loi indiquent que le
conseil de la bande est habilité à prendre des
décisions, mais elles ne précisent pas la manière
dont de telles décisions doivent être exprimées.
Mentionnons à cet égard le paragraphe 18(2), qui
traite de l'utilisation des terres d'une réserve, les
paragraphes 20(1) et 28(2), qui concernent l'attri-
bution de terres d'une réserve, l'article 31, qui
' Les termes introductifs de l'article 83 ont à présent été
modifiés par l'article 10 des S.C. 1988, chap. 23 (sanctionné le
28 juin 1988).
règle la question de la pénétration sans droit sur
une réserve, l'article 34, qui vise l'entretien des
routes et des ponts, le sous-alinéa 39(1)b)(i), qui a
trait à la convocation d'une assemblée générale de
la bande par le conseil de la bande, l'article 58, qui
traite des terrains incultes ou inutilisés, l'article
59, régissant l'ajustement de contrats, et l'article
64, qui réglemente la dépense de deniers au
compte de capital. L'on peut supposer que la pro-
cédure énoncée au Règlement sur le mode de
procédure au conseil des bandes d'Indiens s'appli-
que à de telles décisions. Il ne fait aucun doute, à
mon avis, que toute décision prise par un conseil de
bande sur le fondement des articles qui précèdent
serait prise en vertu de la Loi sur les Indiens.
En l'espèce, la motion du conseil de la bande de
Piapot en date du 11 juin 1984 qui se trouve
décrite comme «un vote de non-confiance contre
... Rose Desjarlais» n'est nulle part autorisée par
la Loi sur les Indiens, que ce soit explicitement ou
implicitement; en conséquence, cette motion ne
constitue pas une des «dispositions prises en vertu
de cette loi», de sorte qu'elle n'est pas visée par les
dispositions d'exemption du paragraphe 63(2) de
la Loi canadienne sur les droits de la personne.
La question de droit renvoyée devant notre Cour
par une résolution en date du 26 août 1987 de la
Commission devrait donc recevoir une réponse
négative.
LE JUGE URIE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Je souscris à ces
motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.