T-2648-89
Ronald Teneycke (requérant)
c.
Tribunal disciplinaire de l'établissement de Mats-
qui (intimé)
RÉPERTORIÉ: TENEYCKE C. ÉTABLISSEMENT DE MATSQUI (I K
INST.)
Section de première instance, juge Addy—Van-
couver, 22 et 24 janvier 1990.
Contrôle judiciaire — Brefs de prérogative — Certiorari —
Demande d'annulation d'une déclaration de culpabilité concer-
nant une infraction prévue au Règlement sur le service des
pénitenciers — Le requérant se serait comporté d'une façon
indécente à la fenêtre de sa cellule — Il a prétendu que cela
était impossible en raison de la hauteur de la fenêtre — Le
président du tribunal disciplinaire a procédé à une inspection
de la cellule, a fait prendre les mesures, déplacer les meubles
et il a conversé avec des agents — Le requérant n'a pas été
informé de l'inspection et n'y était pas présent — Les principes
régissant les inspections en matière criminelle ne s'appliquent
pas à un tribunal administratif — En l'absence d'une disposi
tion législative à l'effet contraire, les inspections servent uni-
quement à permettre au tribunal de mieux comprendre la
preuve et non d'obtenir des éléments de preuve — Les parties
doivent être présentes lorsqu'une inspection a lieu à moins
qu'elles ne renoncent à ce droit — Un tribunal chargé de
rendre une décision mettant en jeu les droits d'autres person-
nes n'a pas le droit de chercher activement de sa propre
initiative, à obtenir des éléments de preuve ou de trancher des
questions en observant des faits importants qui n'ont pas été
établis en preuve— Il importe peu que le requérant ait subi un
préjudice — Demande accueillie.
Pénitenciers — Détenu déclaré coupable d'une infraction
prévue au Règlement sur le service des pénitenciers — Il se
serait comporté d'une façon indécente à travers la fenêtre de sa
cellule — Il a prétendu que cela était impossible en raison de
la hauteur de la fenêtre de la cellule — Le président du
tribunal disciplinaire a procédé à une inspection de la cellule
en l'absence du détenu et sans préavis — Il a fait mesurer la
cellule, déplacer les meubles et il a conversé avec les agents qui
l'accompagnaient — Déclaration de culpabilité annulée — Les
principes régissant les inspections faites par les tribunaux
administratifs sont différents de ceux qui régissent les inspec
tions en matière criminelle.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
18.
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap.
1251, art. 39g) (mod. par DORS/85-640, art. 4).
AVOCATS:
Peter Harrison pour le requérant.
Gunnar O. Eggertson, pour l'intimé.
PROCUREURS:
Conroy and Company, Abbotsford, Colombie-
Britannique, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour
l'intimé.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en fran-
çais par
LE JUGE ADDY: Se fondant sur l'article 18 de la
Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap.
F-7], le requérant demande réparation par voie de
certiorari en vue d'obtenir une ordonnance annu-
lant la décision d'un tribunal disciplinaire de l'éta-
blissement de Matsqui, décision aux termes de
laquelle il avait été déclaré coupable d'avoir
commis une infraction prévue à l'alinéa 39g) du
Règlement sur le service des pénitenciers [C.R.C.,
chap. 1251 (mod. par DORS/85-640, art. 4)],
c'est-à-dire de s'être comporté, par ses actions,
propos ou écrits, d'une façon indécente, irrespec-
tueuse ou menaçante envers une autre personne.
Les faits pertinents ne sont pas contestés. Ils
peuvent être résumés ainsi:
1. La preuve établie contre le requérant à l'au-
dience indiquait qu'à travers la fenêtre de sa
cellule, celui-ci s'est comporté d'une façon indé-
cente envers l'agent ayant porté plainte.
2. Selon la théorie de la défense, le requérant
n'a pu commettre l'acte reproché en raison de la
hauteur de la fenêtre au-dessus du plancher de
la cellule.
3. En conséquence, le président du tribunal dis-
ciplinaire était confronté à une question évidente
de crédibilité.
4. Dans le but de tenter de résoudre cette ques
tion, il a choisi d'inspecter la cellule que le
requérant occupait au moment de l'infraction
présumée.
5. Il était accompagné de deux des agents du
service autorisés à l'aider en vertu de l'article 13
de la directive du commissaire en lui fournissant
les détails ou les documents qui pouvaient être
requis.
6. Le requérant n'a jamais été informé de la
décision d'effectuer l'inspection en question et ni
lui-même ni son représentant n'étaient présents.
Ils ont appris que l'inspection avait eu lieu lors-
que le président le leur a annoncé dans sa déci-
sion aux termes de laquelle le requérant a été
déclaré coupable.
7. Au cours de l'inspection, le président a fait
mesurer la cellule, déplacer les meubles et il a
engagé la conversation avec les agents qui l'ac-
compagnaient. Il n'y a aucune preuve de ce qui
a été dit.
Il est manifeste que les principes de la common
law ou du Code criminel [S.R.C. (1985), chap.
C-46] qui régissent l'inspection dans une affaire
pénale ne s'appliquent pas en l'espèce puisqu'il
s'agit d'un tribunal administratif et non d'une cour
de justice. L'article 21 de la directive du commis-
saire précise avec raison, que les règles de la
preuve en matière criminelle ne s'appliquent pas
aux questions disciplinaires et que tout élément de
preuve qui est jugé raisonnable ou digne de foi est
recevable.
Voici les principes que je considère comme étant
consacrés par la jurisprudence et sur lesquels je
fonde ma décision en l'espèce:
1. En l'absence d'une disposition législative à l'ef-
fet contraire, une inspection ne peut avoir lieu qu'à
une fin très précise, c'est-à-dire permettre au tri
bunal de mieux comprendre la preuve. Qu'il
s'agisse d'une poursuite en matière pénale, en
matière civile ou devant un tribunal administratif,
il ne sera jamais permis que des éléments de
preuve soient obtenus par le Tribunal lui-même sur
les lieux mêmes où l'infraction a été commise, sauf
peut-être lorsque les parties en cause consentent
pleinement à une telle procédure.
2. Les parties doivent toujours être présentes lors-
qu'une inspection a lieu à moins qu'elles ne renon-
cent à ce droit puisque, sauf lorsqu'il s'agit de
certaines décisions administratives, elles ont le
droit d'être présentes ou d'être représentées à
toutes les étapes du processus décisionnel. Les
inspections font évidemment partie de ce proces-
sus. Les tribunaux administratifs doivent être très
prudents lorsque la liberté de la personne est en
jeu. L'article 15 de la directive du commissaire
précise effectivement que les détenus doivent être
présents à toutes les étapes de l'audience à moins
qu'ils ne renoncent à leur droit par écrit ou que le
président ne soit convaincu que la présence du
détenu mettrait en danger la sécurité ou le bon
ordre de l'établissement. Rien ne permet de croire
qu'en l'espèce, l'inspection puisse mettre en danger
la sécurité ou le bon ordre de l'établissement.
3. Enfin, et ce qui est le plus important, il va de
soi et, si j'ose dire, est évident qu'une personne
présidant un procès ou un tribunal administratif et
chargée de rendre une décision mettant en jeu les
droits d'autres personnes n'aura jamais le droit de
chercher activement de sa propre initiative à obte-
nir des éléments de preuve ou de trancher des
questions en observant des faits importants qui
n'ont pas été établis en preuve. On ne peut pas être
juge et témoin dans la même cause. D'un point de
vue de droit, il est même incorrect qu'une personne
agisse à titre d'avocat et de témoin dans la même
affaire.
Il importe peu que le requérant ait subi un
préjudice dans un tel cas et la Cour n'a pas non
plus à s'interroger à ce sujet. En faisant mesurer la
cellule et déplacer des meubles, le président a
automatiquement et irrévocablement perdu toute
compétence. Sa décision subséquente doit par con-
séquent être annulée.
La présente affaire fera l'objet d'une autre
audience par un président indépendant, si lés auto-
rités décidaient de procéder ainsi. Dans ce cas, je
veux clairement indiquer que tous les éléments de
preuve déjà présentés peuvent être pris en considé-
ration si le président indépendant le désire sauf,
bien sûr, les éléments de preuve obtenus au cours
de l'inspection contestée.
Le requérant aura droit à ses dépens.
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