T-2645-85
Yvon R. H. Gingras (demandeur)
c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada
(défenderesse)
RÉPERTORIÉ: GINGRAS c. CANADA (I N INST.)
Section de première instance, juge Dubé—Mont-
réal, 28, 29 novembre 1989; Ottawa, 4 janvier
1990.
Contrôle judiciaire — Recours en equity — Jugements
déclaratoires — Une décision purement administrative peut
faire l'objet d'un contrôle judiciaire — Elle doit se situer
strictement dans le cadre de l'objet et de l'esprit de la loi — La
décision de refuser aux membres de la GRC la prime au
bilinguisme, fondée sur le statut non civil, n'est pas rationnel-
lement reliée au but recherché par la Loi sur les langues
officielles — Les autorités décisionnelles ont commis un abus
de pouvoir et l'exclusion est illégale.
Langues officielles — La prime au bilinguisme était-elle
payable au demandeur lorsqu'il était membre de la GRC et est
par la suite passé à l'emploi du SCRS? — Il a réussi tous les
tests relatifs au bilinguisme — Il occupait au Québec des
postes désignés bilingues — La prime ne lui a pas été accordée
au motif que ses prestations d'emploi ne comprenaient pas une
telle prime — La décision d'exclusion est illégale — Le motif
d'exclusion n'est pas relié au but recherché par la Loi sur les
langues officielles et les politiques sur le bilinguisme.
GRC — Un membre de la GRC s'est vu refuser la prime au
bilinguisme en raison de son statut non civil — Les motifs
invoqués par le Commissaire ne sont ni justifiés ni détermi-
nants — Les employés de la GRC font partie de la Fonction
publique en vertu de l'art. 2 de la L.R.T.F.P. et relèvent du
Conseil du Trésor en tant qu'employeur.
Renseignement de sécurité — Le directeur du SCRS a
refusé à des employés, dont le demandeur, ancien membre de
la GRC, la prime au bilinguisme — Le SCRS ne relève pas du
Conseil du Trésor puisqu'il est un employeur distinct en vertu
de l'art. 2 de la L.R.T.F.P. — C'est à tort qu'on a refusé la
prime puisque le SCRS est lié par l'art. 9 de la Loi sur les
langues officielles — Ce n'est pas une justification que de dire
que le demandeur ne recevait pas la prime alors qu'il travail-
lait pour la GRC.
Droits de la personne — Le demandeur a été membre de la
GRC et il est par la suite passé à l'emploi du SCRS — On lui
a refusé la prime au bilinguisme — La décision d'exclusion
illégale reposait sur le statut non civil — Y a-t-il eu discrimi
nation au sens des art. 3, 7 et 10 de la Loi sur les droits de la
personne ou de l'art. 15(1) de la Charte des droits et libertés?
— La discrimination reposant sur la catégorie d'emploi n'est
pas un motif illicite en vertu de l'une ou de l'autre Loi.
Il s'agit d'une action en jugement déclarant que le deman-
deur avait droit à la prime au bilinguisme créée en 1977 par le
Conseil du Trésor et la Commission de la Fonction publique.
Le demandeur, qui a été membre de la GRC jusqu'en 1984
et qui est par la suite passé au Service canadien du renseigne-
ment de sécurité («le Service») jusqu'à sa retraite en 1988, n'a
jamais touché la prime au bilinguisme au motif que celle-ci
n'était pas comprise dans ses prestations d'emploi. Le deman-
deur était bilingue, il avait réussi tous les tests requis relative-
ment au bilinguisme et il occupait au Québec des postes
désignés bilingues.
Peu de temps après que le gouvernement eut introduit la
prime au bilinguisme, le Commissaire de la GRC a établi une
directive selon laquelle la nouvelle politique ne comprenait pas
les membres de la GRC, que ce n'était pas l'intention du
Conseil du Trésor de les inclure et que la GRC ne demanderait
pas au Conseil du Trésor l'autorisation de verser la prime aux
membres. Le directeur du Service avait pour politique de payer
la prime au bilinguisme au personnel de soutien et non aux
professionnels.
En l'espèce, il y a à trancher les questions suivantes: (1) Les
autorités décisionnelles compétentes ont-elles abusé de leur
pouvoir ou agi illégalement en excluant le demandeur du droit à
la prime? (2) Y a-t-il eu, par suite de la décision d'exclure le
demandeur, de la discrimination fondée sur l'origine nationale
ou ethnique en vertu des articles 3, 7, 10 de la Loi sur les droits
de la personne ou du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne
des droits et libertés? (3) Quel est le délai de prescription
applicable en l'espèce?
Jugement: l'action devrait être accueillie.
(1) L'exclusion des membres de la GRC et du SCRS du
paiement de la prime était illégale. Seuls le Conseil du Trésor à
l'égard de la GRC et le directeur du Service à l'égard des
membres du SCRS avaient le pouvoir d'accorder ou de refuser
la prime au bilinguisme. Tous les employés de la GRC sont
visés par la définition de «fonction publique» figurant à l'article
2 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique et, puisque la GRC figure dans la Partie I de l'Annexe
I, relèvent des pouvoirs du Conseil du Trésor en tant qu'em-
ployeur, lesquels pouvoirs comprennent la détermination des
conditions de travail, du traitement et d'autres récompenses
financières en vertu de l'article 5 et des paragraphes 7(1) et
7(9) de la Loi sur l'administration financière. Les pouvoirs que
le Commissaire tient de l'article 5 de la Loi sur la Gendarmerie
royale du Canada ne permettent pas de déterminer des récom-
penses. En vertu de l'article 2 de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique, le Service est par définition
un employeur distinct. En vertu de l'article 8 de la Loi sur le
Service canadien du renseignement de sécurité, le directeur du
Service a, sur les employés du SCRS, les mêmes pouvoirs que
ceux du Conseil du Trésor sur les employés de la Fonction
publique.
Une décision administrative discrétionnaire est susceptible de
contrôle judiciaire et doit se situer strictement dans le cadre et
l'esprit de la loi. L'objet de l'acte administratif visait la mise en
place de politiques d'application générale sur le bilinguisme
afin de promouvoir les buts de la Loi sur les langues officielles
au sein de la Fonction publique. La prime au bilinguisme est
une politique adoptée conformément à l'article 9 de la Loi sur
les langues officielles. Les exclusions expresses confirmées par
la Déclaration de politiques sont rationnellement reliées à
l'administration financière de la politique sur le bilinguisme au
sein de la Fonction publique, puisque les personnes exclues du
droit à la prime occupent des emplois d'une nature occasion-
nelle ou temporaire ou sont nommées par le gouverneur en
conseil. Les membres de la GRC n'occupent pas ce genre
d'emploi. Leur exclusion, fondée sur leur statut non civil,
constituait un motif qui ne se rapportait nullement aux politi-
ques sur le bilinguisme. Il n'existe aucun lien rationnel entre
cette exclusion et le but recherché.
Le directeur du Service, bien qu'il ne soit pas régi par les
politiques sur le bilinguisme du Conseil du Trésor, est tenu, en
vertu de l'article 9 de la Loi sur les langues officielles, de
mettre en place des politiques sur le bilinguisme. Les motifs
invoqués par le directeur ne répondent pas aux critères de
légalité établis par la jurisprudence. N'est pas fondé l'argument
selon lequel le paragraphe 66(2) de la Loi sur le Service
canadien du renseignement de sécurité constitue un empêche-
ment au paiement de la prime au demandeur puisqu'il ne l'a
pas reçue alors qu'il était membre de la GRC. Le paragraphe
66(2) détermine les avantages minimums auxquels le deman-
deur avait droit après son transfert. Un droit acquis continue à
être en vigueur.
(2) Il n'y a pas eu violation des articles 3, 7 ou 10 de la Loi
sur les droits de la personne ni du paragraphe 15(1) de la
Charte. La discrimination fondée sur la catégorie d'emploi n'est
pas un motif de distinction illicite sous le régime de l'une ou de
l'autre Loi.
(3) Puisque l'engagement du demandeur était de nature
contractuelle et que l'exécution du contrat a eu lieu au Québec,
le délai de prescription de cinq ans prévu à l'article 2260(6) du
Code civil s'applique, et le demandeur est déchu de son droit
d'intenter une action en recouvrement de la prime pour la
période allant de 1976 à 1979. Son droit à la prime est confirmé
pour les années 1980 à 1988, l'action ayant été intentée en
1985.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B,
Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)
[L.R.C. (1985), Appendice II, n° 44], art. 15.
Code civil du Bas-Canada, art. 2260(6).
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C.
1976-77, chap. 33, art. 3, 7, 10.
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C.
(1985), chap. H-6.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap.
10, art. 38(1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art.
39(1).
Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap.
F-10, art. 5(1), 6, 7(1),(9).
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970,
chap. R-9, art. 5, 6(3), 7(1), 13, 21, 22.
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C.
(1985), chap. R-10.
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985),
chap. F-11.
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970,
chap. P-32, art. 2(1), 24.
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C.
(1985), chap. P-33.
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité,
S.C. 1984, chap. 21, art. 8(1), 66(1),(2), 93, 94.
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité,
L.R.C. (1985), chap. C-23.
Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, chap. O-2,
art. 8(1), 9.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), chap. O-3.
Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6,
art. 5(2).
Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi-
que, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 2, annexe I.
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), chap. P-35.
Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1980, chap.
240, art. 45(1) g).
Règlements régissant les condtions d'emploi dans certai-
nes parties de la Fonction publique, DORS/67-118.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Morin c. Comité national chargé de l'examen des cas
d'USD, [1985] 1 C.F. 3; (1985), 20 C.C.C. (3d) 123; 46
C.R. (3d) 238; 60 N.R. 121 (C.A.); Roncarelli v.
Duplessis, [1959] R.C.S. 121; (1959), 16 D.L.R. (2d)
689; Delany c. Le Comité d'appel de la Commission de
la Fonction publique, [1977] 1 C.F. 562; (1976), 13 N.R.
341 (C.A.); Prince George (Ville de) c. Payne, [1978] 1
R.C.S. 458; (1977), 75 D.L.R. (3d); [1977] 4 W.W.R.
275; 2 M.P.L.R. 162; 15 N.R. 386; R v Secretary of
State for the Home Dept. ex p. Khan, [1985] 1 All ER
40 (C.A.); R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989),
48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 96 N.R. 115.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Bolling c. La Commission des relations de travail dans la
Fonction publique, [1978] 1 C.F. 85; (1977), 77 D.L.R.
(3d) 318 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres,
[1985] 1 R.C.S. 368; (1985), 14 D.L.R. (4th) 161; 29
M.P.L.R. 220; 58 N.R. 339; Re Multi -Malls Inc. et al.
and Minister of Transportation and Communications et
al. (1976), 14 O.R. (2d) 49; 73 D.L.R. (3d) 18 (C.A.);
Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1
R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; 91 N.R. 255;
Reference Re Workers' Compensation Act, 1983 (T.-N.),
[1989] 1 R.C.S. 922; (1989), 96 N.R. 227.
DÉCISIONS CITÉES:
Reference as to the Validity of the Regulations in rela
tion to Chemicals, [1943] R.C.S. 1; [1943] 1 D.L.R. 248;
(1943), 79 C.C.C. 1; Oakwood Development Ltd. c.
Municipalité rurale de St. François Xavier, [1985] 2
R.C.S. 164; (1985), 20 D.L.R. (4th) 641; [1985] 6
W.W.R. 147; 36 Man. R. (2d) 215; 18 Admin. L.R. 59;
31 M.P.L.R. 1; 61 N.R. 321; 37 R.P.R. 101; Vanguard
Coatings and Chemicals Ltd. c. M.R.N., [1987] 1 C.F.
367; (1986), 7 F.T.R. 11 (1`B inst.); Comm. de la Fonc-
tion publique (Canada) c. Deans et Canada (Conseil du
Trésor) (1988), 19 F.T.R. 97 (C.F. 1' inst.); Association
des gens de l'Air du Québec c. L'honorable Otto Lang,
[1977] 2 C.F. 22; (1977), 76 D.L.R. (3d) 455 (i` 0 inst.);
conf. par [1978] 2 C.F. 371; (1978), 89 D.L.R. (3d) 495;
22 N.R. 328 (C.A.); Secretary of State for Education
and Science v. Tameside Metropolitan Borough Council,
[1977] A.C. 1014 (H.L.); Laker Airways Ltd v Depart
ment of Trade, [1977] 2 All ER 182 (C.A.); Bullion c.
La Reine et autre, [1980] 2 R.C.S. 578; Re Doctors
Hospital and Minister of Health et al. (1976), 12 O.R.
(2d) 164; 68 D.L.R. (3d) 220; 1 C.P.C. 232 (C. div.);
Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada,
[1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R.
354; The Way Biblical Research and Teaching Ministry
of Canada c. La Commission de l'emploi et de l'immi-
gration du Canada, [1983] 1 C.F. 467 ( P ° inst.); Foun
tainhead Fun Centres Ltd. c. Montréal (Ville de), [1981]
C.A. 468; (1981), 128 D.L.R. (3d) 579 (Qué.); Kruse v.
Johnson, [1898] 2 Q.B. (c. div.); Re Liverpool Taxi
Owners' Association, [1972] 2 All ER 589 (C.A.);
O'Reilly v Mackman, [1982] 3 All ER 1124 (H.L.); A-G
of Hong Kong v Ng Yuen Shiu, [1983] 2 All ER 346
(P.C.); Brossard (Ville) c. Québec (Commission des
droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; (1988), 53
D.L.R. (4th) 609; 88 N.R. 321; Ford c. Québec (Procu-
reur général), [1988] 2 R.C.S. 712; Stoffman v. Vancou-
ver General Hospital (1988), 49 D.L.R. (4th) 727;
[1988] 2 W.W.R. 708; (1988), 21 B.C.L.R. (2d) 165
(C.A.); R. v. Hayden (1983), 3 D.L.R. (4th) 361; [1983]
6 W.W.R. 655; 23 Man. R. (2d) 315; 8 C.C.C. (3d) 33;
36 C.R. (3d) 187 (C.A.); Tétreault-Gadoury c. Canada
(Commission de l'emploi et de l'immigration du
Canada), [1989] 2 C.F. 245; (1988), 53 D.L.R. (4th)
384; 88 N.R. 6 (C.A.); Orphans v. Queen Mary's Col
lege (1985), 62 N.R. 243 (H.L.); Veysey c. Canada
(Service correctionnel), [1990] 1 C.F. 321 (P 0 inst.);
Long c. Canada (Conseil du Trésor) (1989), 27 F.T.R.
269 (C.F. 1 00 inst.); Evans c. Canada (T-1414-86, juge
Dubé, ordonnance en date du 13-4-87, non publié); Phil-
lips c. La Reine, [1977] 1 C.F. 756 (1re inst.).
DOCTR IN E
Falconbridge, John Delatre. Essays on the Conflict of
Laws, 2' éd. Toronto: Canada Law Book Co. Ltd.,
1954.
Garant, Patrice. Droit administratif 2' éd. Montréal:
Editions Yvon Blais, 1985.
Evans, J. M. et autres. Administrative Law Cases, Texts
and Materials, 3' éd. Toronto: Emond Montgomery
Publications Ltd., 1989.
Martineau, Pierre. La Prescription. Montréal: Les Pres
ses de l'Université de Montréal, 1977.
Pépin, Gilles et Ouellette, Yves. Principes de Contentieux
Administratif, 2` éd. Cowansville (Québec): Editions
Yvon Blais, 1982.
Pigeon, Louis-Philippe. Rédaction et interprétation des
lois. Québec: Éditeur officiel, 1978.
AVOCATS:
Julius H. Grey pour le demandeur.
Raymond Fiché pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Grey, Casgrain, Montréal, pour le deman-
deur.
Le sous-procureur général du Canada pour la
défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français
par
LE JUGE DusÉ: Par cette action le demandeur
recherche une déclaration à l'effet qu'il a droit à la
prime au bilinguisme établie par le Conseil du
Trésor et la Commission de la Fonction publique
en 1977.
1. Les faits pertinents
Le demandeur a été membre de la Gendarmerie
royale du Canada (da GRC») du 16 août 1962 au
15 juillet 1984 et à cette date il est passé à l'emploi
du Service canadien du renseignement de sécurité
(«le Service»). Il a pris sa retraite le 2 décembre
1988. Le demandeur est bilingue et a réussi tous
les tests requis relativement à son bilinguisme. Il
occupait au Québec des postes désignés comme
étant bilingues. La prime ne lui a jamais été
accordée au motif que son emploi n'a jamais com-
pris la prime au bilinguisme en vertu de la Loi sur
la Gendarmerie royale du Canada [S.R.C. 1970,
chap. R-9] et de la Loi sur le Service canadien du
renseignement de sécurité [S.C. 1984, chap. 21].
2. Les prétentions du demandeur
Le procureur du demandeur allègue que l'exclu-
sion des membres de la GRC et des professionnels
du Service constitue de la discrimination. Premiè-
rement, parce qu'elle crée une distinction illégale
en vertu des règles du droit administratif et,
deuxièmement, parce qu'elle viole les droits de ces
personnes en vertu des articles 7 et 10 de la Loi
canadienne sur les droits de la personne' et,
depuis 1985, de l'article 15 de la Charte cana-
dienne des droits et libertés [qui constitue la
Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
1 S.C. 1976-77, chap. 33 (L.R.C. (1985), chap. H-6).
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap.
11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, n° 44]].
3. Les décisions d'exclusion
De prime abord, il n'est pas facile de déterminer
qui a pris les décisions d'exclusion. S'agit-il du
gouverneur en conseil, du Conseil du Trésor ou,
d'une part, du Commissaire de la GRC et, par
après, du directeur du Service? Avant de déchif-
frer le chevauchement des lois pertinentes et l'en-
chevêtrement des directives et circulaires appro-
priées, je crois qu'il est à propos de citer un
passage de la Directive du Commissaire R. H.
Simmonds en date du 9 décembre 1977, adressée
aux commandants des Divisions et touchant les
langues officielles. Il est important de souligner
que cette Directive a été émise peu après l'établis-
sement de la politique révisée des langues officiel-
les du Gouvernement du Canada, par le Conseil du
Trésor et la Commission de la Fonction publique,
laquelle inaugurait la prime en question:
4. Un des éléments majeurs des politiques revisées est la prime
au bilinguisme, rétroactif au 1er novembre 1976, payable à tous
les fonctionnaires qui rencontrent les exigences linguistiques des
postes identifiés bilingues. Bien que les politiques revisées des
langues officielles contiennent une autorité légale pour payer la
prime aux fonctionnaires, cette autorité ne comprend pas les
membres de la Gendarmerie, les Forces canadiennes et de
certaines Sociétés de la Couronne et Agences. De plus, ce n'est
pas de l'intention du Conseil du Trésor que cette autorité
s'applique à ceux-ci. Des préparatifs sont maintenant en cours
pour rémunérer les fonctionnaires de la Gendarmerie à cet
effet. Sur ce sujet, la G.R.C. ne demandera pas l'autorité du
Conseil du Trésor pour payer la prime aux membres pour
plusieurs raisons:
a) les membres des autres corps policiers du Canada ne
reçoivent pas de prime au bilinguisme, et vu que les recher-
ches et négociations pour la rémunération des membres de la
Gendarmerie sont reliées à celles des autres corps policiers,
nous devons donc nous comparer à eux à cet égard.
b) dans une organisation cohérente telle que la Gendarme-
rie, la rémunération d'une telle prime deviendrait un élément
de division. Des situations pourraient survenir qui verraient
des membres de même rang et responsabilités oeuvrer côte à
côte et recevoir une rémunération différente qui serait due au
fait qu'un ou plusieurs d'entre eux ont soit eu la chance de
grandir dans un milieu favorable à l'apprentissage d'une
deuxième langue officielle, ou encore ont eu la chance d'ap-
prendre une deuxième langue aux frais du gouvernement.
J'examinerai plus loin les deux motifs invoqués
par le Commissaire pour priver ses hommes de la
prime au bilinguisme. Je veux simplement souli-
gner pour le moment son énoncé à l'effet que la
nouvelle politique sur le bilinguisme ne comprend
pas les membres de la GRC, que ce n'est pas
l'intention du Conseil du Trésor de les inclure et
que «la G.R.C. ne demandera pas l'autorité du
Conseil du Trésor pour payer la prime aux
membres».
Pour sa part, le directeur du Service a exposé sa
politique en la matière dans une lettre du 5 mars
1985 adressée au procureur du demandeur. Il rap-
pelle que le Conseil du Trésor n'est pas l'em-
ployeur dans le cas du Service et que c'est lui-
même, à titre de directeur, qui a décidé que la
prime au bilinguisme sera payée au personnel de
soutien mais non aux professionnels. Il ajoute que
le demandeur, alors qu'il était au service de la
GRC, n'avait pas droit à la prime et que le para-
graphe 66(2) de la Loi sur le Service canadien du
renseignement de sécurité prévoit que les membres
de la GRC devenus employés du Service ne per-
dent pas l'équivalence des avantages attachés aux
postes qu'ils détenaient.
4. Les lois applicables
Les allégations mises de l'avant par les deux
parties au cours de l'audition portent sur les effets
découlant des diverses législations visant la fonc-
tion publique fédérale 2 en général, la GRC et le
Service en particulier, et plus précisément, sur le
statut et les droits du demandeur.
Pour mieux situer le contexte, il faut lire en
même temps la Loi sur les relations de travail
dans la Fonction publique 3 , la Loi sur l'emploi
dans la Fonction publique 4 , la Loi sur l'adminis-
tration financière 5 , la Loi sur la Gendarmerie
royale du Canada 6 et la Loi sur le Service cana-
dien du renseignement de sécurité'. À cette énu-
mération déjà intéressante j'ajouterais la Loi sur
les langues officielles', la Déclaration des politi-
ques sur les langues officielles dans la Fonction
2 Connue maintenant sous la rubrique «administration publi-
que fédérale».
3 S.R.C. 1970, chap. P-35 (L.R.C. (1985), chap. P-35).
° S.R.C. 1970, chap. P-32 (L.R.C. (1985), chap. P-33).
5 S.R.C. 1970, chap. F-10 (maintenant la Loi sur la gestion
des finances publiques, L.R.C. (1985), chap. F-11).
6 S.R.C. 1970, chap. R-9 (L.R.C. (1985), chap. R-10).
' S.C. 1984, chap. 21 (L.R.C. (1985), chap. C-23).
8 S.R.C. 1970, chap. O-2 (L.R.C. (1985), chap. O-3).
publique et la circulaire 1977-46 émises par le
Conseil du Trésor et la Commission de la Fonction
publique en septembre 1977 9 .
Après avoir révisé chacune de ces législations
attentivement, à la lumière des arguments des
deux parties, j'en suis venu à la conclusion que les
dispositions nécessaires à la résolution du débat
peuvent utilement être présentées et analysées de
la façon suivante.
Premièrement, l'article 2 de la Loi sur les rela
tions de travail dans la Fonction publique définit
la plupart des termes pertinents en l'espèce. Cet
article dispose 10 :
2. Dans la présente loi
«Fonction publique» désigne l'ensemble des postes qui sont
compris dans un ministère, département ou autre élément de
la fonction publique du Canada que spécifie à l'occasion
l'annexe I ou qui en relèvent;
«employé» désigne une personne employée dans la Fonction
publique, sauf
e) une personne qui est membre ou constable spécial de la
Gendarmerie royale du Canada ou qui est employée par cette
Gendarmerie à des conditions sensiblement les mêmes que
celles qui s'appliquent à un de ses membres,
«employeur» désigne Sa Majesté du chef du Canada
représentée,
a) dans le cas de tout élément de la fonction publique du
Canada que spécifie la Partie I de l'annexe I, par le conseil
du Trésor, et
b) dans le cas de tout élément de la fonction publique du
Canada que spécifie la Partie II de l'annexe I, par l'em-
ployeur distinct qui est en cause; [C'est moi qui souligne.]
L'article 93 de la Loi sur le Service canadien du
renseignement de sécurité a ajouté l'alinéa suivant
aux exclusions de la définition d'«employé»:
2....
e.1) un employé du Service canadien du renseignement de
sécurité qui ne fait pas partie de la catégorie du soutien
administratif. [C'est moi qui souligne.]
L'annexe I auquel renvoie ces définitions énu-
mère les éléments de la fonction publique à l'égard
desquels, soit le Conseil du Trésor, à la Partie I,
soit l'organisme lui-même, à la Partie II, est rem-
' Je réfère aux textes de loi en vigueur au cours de la période
visée par la demande; les procureurs ont plutôt référé aux
versions courantes.
10 L'ordre alphabétique a été ajusté.
ployeur. La GRC est inscrite à la Partie I, alors
que le Service est l'un des organismes désignés à la
Partie II comme étant un employeur distinct".
Le procureur de la défenderesse prétend qu'en
vertu de l'alinéa e) précité des exclusions de la
définition d'«employé», le Conseil du Trésor n'agis-
sait pas comme employeur du demandeur alors
qu'il était à la GRC. Telle n'est pas mon opinion.
Par contre, il est constant qu'après son transfert au
Service, il devenait un employé de celui-ci, un
employeur distinct.
Je note particulièrement que ni l'alinéa a) de la
définition d'«employeur», ni l'énumération à la
Partie I de l'annexe I ne semble apporter une
distinction entre le personnel civil et non civil de la
GRC. De plus, la définition précitée d'«employeur»
dit bien «tout élément» des organismes spécifiés à
la Partie I de l'annexe I a le Conseil du Trésor
comme employeur.
À mon avis, l'exclusion des membres non civils,
non syndiqués, de la GRC pour les fins de l'appli-
cation des dispositions générales de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique
relève spécifiquement et uniquement de l'objet de
celle-ci, à savoir l'encadrement des rapports collec-
tifs de travail dans la Fonction publique. Cette
exclusion n'a pas pour effet de soustraire ces mem-
bres de la GRC de la définition de «Fonction
publique».
D'ailleurs, ma conclusion ne va pas, à mon avis,
à l'encontre de la décision de la Cour d'appel
fédérale dans Bolling c. La Commission des rela
tions de travail dans la Fonction publique 12 . Dans
cette affaire, la Cour a décidé, dans des circons-
tances très différentes de celles en l'espèce, que les
membres des forces armées canadiennes n'étaient
pas visés par la définition de «Fonction publique»
dans la Loi sur les relations de travail dans la
Fonction publique. Contrairement à la GRC, les
forces armées ne sont pas un des organismes énu-
mérés à l'annexe I de cette Loi.
La définition de «Fonction publique» au para-
graphe 2(1) de la Loi sur l'emploi dans la Fonc-
tion publique réfère à la définition précitée dans la
Loi sur les relations de travail dans la Fonction
11 Art. 94, Loi sur le Service canadien du renseignement de
sécurité.
12 [1978] 1 C.F. 85; (1977), 77 D.L.R. (3d) 318 (C.A.).
publique. Par contre, la définition d'employé» est
différente et se lit comme suit:
2. (1) ...
«employé» désigne une personne employée dans une partie de la
Fonction publique relativement à laquelle la Commission
possède de façon exclusive le droit et l'autorité de faire des
nominations; [C'est moi qui souligne.]
Cette définition exclut le demandeur dont la
nomination relevait, dans un premier temps, du
Commissaire de la GRC ' 3 , et dans un deuxième
temps, du Directeur du Service 14 , et non de la
Commission de la Fonction publique.
Toutefois, je ne considère pas que cette exclu
sion affecte son appartenance à la Fonction publi-
que telle que définie dans la Loi sur les relations
de travail dans la Fonction publique. En effet, tel
qu'attestent les deux définitions précitées, il m'ap-
paraît évident que la portée des termes «Fonction
publique» et «fonction publique» varie selon les lois
et en fonction de leurs objets précis. Donc, une
exclusion pour les fins d'une loi ou l'autre ne
modifie pas le fait que le demandeur demeure visé
par la Partie I de l'annexe I de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique.
Par ailleurs, la Loi sur l'administration finan-
cière détermine les responsabilités, fonctions et
pouvoirs du Conseil du Trésor relativement aux
membres de la fonction publique. Le paragraphe
5(1) définit les responsabilités générales comme
suit:
5. (1) Le conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil
privé de la Reine pour le Canada relativement à toute question
concernant
a) la politique administrative générale suivie dans la fonction
publique du Canada;
6) l'organisation de la fonction publique ou de l'un de ses
éléments, et la détermination et le contrôle des établisse-
ments qui en font partie;
e) la direction du personnel de la fonction publique, notam-
ment la fixation des conditions d'emploi des personnes qui y
sont employées; et
J) toute autre question que le gouverneur en conseil peut lui
soumettre.
13 Par. 7(1) Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.
14 Par. 8(1) Loi sur le Service canadien du renseignement de
sécurité.
Les pouvoirs et fonctions sont énumérés plus
précisément au paragraphe 7(1), qui prévoit, en
partie:
7. (1) Sous réserve des dispositions de tout texte législatif
concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct,
mais nonobstant quelque autre disposition contenue dans tout
texte législatif, le conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses
fonctions relatives à la direction du personnel de la fonction
publique, notamment ses fonctions en matière de relations entre
employeur et employés dans la fonction publique, et sans
limiter la généralité des articles 5 et 6,
a) déterminer les effectifs nécessaires à la fonction publique
et assurer la répartition et la bonne utilisation des effectifs au
sein de la fonction publique;
b) déterminer les besoins quant à la formation et au perfec-
tionnement du personnel dans la fonction publique et fixer les
conditions auxquelles cette formation et ce perfectionnement
peuvent être assurés;
c) prévoir la classification des postes et des employés au sein
de la fonction publique;
d) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont
droit les personnes employées dans la fonction publique en
retour des services rendus, la durée du travail et les congés de
ces personnes ainsi que les questions connexes;
e) prévoir les récompenses qui peuvent être accordées aux
personnes employées dans la fonction publique pour leurs
services exceptionnels, pour d'autres réalisations méritoires
en rapport avec leurs fonctions et pour des inventions ou
propositions pratiques d'améliorations;
i) régler toutes les autres questions, notamment les condi
tions de travail non autrement prévues de façon expresse par
le présent paragraphe, que le conseil du Trésor estime néces-
saires à la direction efficace du personnel de la fonction
publique. [C'est moi qui souligne.]
Le paragraphe 7(9) dispose que, pour les fins de
cet article:
7....
(9) Dans le présent article
«fonction publique» a le sens que la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique confère à l'expression
«Fonction publique»; elle comprend tout élément de la fonc-
tion publique du Canada désigné par le gouverneur en conseil
comme partie de la fonction publique aux fins du présent
article;
Si mon interprétation à l'effet que l'ensemble du
personnel de la GRC est visé par la définition de
«Fonction publique» dans la Loi sur les relations
de travail dans la Fonction publique est bien
fondée, il s'ensuit qu'il est également visé par les
pouvoirs du Conseil à l'égard de la fonction publi-
que. Donc, alors qu'il était membre de la GRC, le
demandeur était, à mon avis, un employé du Con-
seil du Trésor, lequel pouvait déterminer ses condi
tions d'emploi, son traitement et autres récompen-
ses monétaires.
D'ailleurs, si nécessaire, l'article 22 de la Loi sur
la Gendarmerie royale du Canada constitue une
deuxième habilitation statutaire conférant expres-
sément au Conseil le pouvoir d'établir la rémuné-
ration à être versée à la GRC:
22. (1) Le Conseil du Trésor doit établir la solde et les
allocations à verser aux membres de la Gendarmerie.
Contrairement aux prétentions de la défende-
resse, je ne considère pas que cette disposition soit
essentielle pour établir que le Conseil était l'em-
ployeur du demandeur: des dispositions analogues
se retrouvent dans d'autres législations visant des
organismes énumérés à la Partie I de l'annexe I de
la Loi sur les relations de travail dans la Fonction
publique 15 où l'employeur est déjà désigné comme
étant le Conseil du Trésor.
Le paragraphe 8(1) de la Loi sur le Service
canadien du renseignement de sécurité confère au
directeur du Service des pouvoirs sur ses employés
analogues à tous égards à ceux du Conseil du
Trésor sur les autres employés de la fonction
publique:
8. (1) Par dérogation à la Loi sur l'administration finan-
cière et à la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, le
directeur a le pouvoir exclusif de nommer les employés et, en
matière de gestion du personnel du Service, à l'exception des
personnes affectées au Service ou détachées auprès de lui à titre
d'employé:
a) de déterminer leurs conditions d'emploi;
b) sous réserve des règlements:
(i) d'exercer les pouvoirs et fonctions conférés au Conseil
du trésor en vertu de la Loi sur l'administration financière
en cette matière,
(ii) d'exercer les pouvoirs et fonctions conférés à la Com
mission de la Fonction publique en vertu de la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique. [C'est moi qui
souligne.]
Je ne souscris pas à l'argument du procureur du
demandeur voulant que cette dérogation ne com-
prenne pas la rémunération: il n'y a ni ambiguïté
ni matière à interprétation dans cette disposition,
laquelle constitue, sans aucun doute, le genre de
dérogation permise expressément au paragraphe
introductif du paragraphe 7(1) précité de la Loi
sur l'administration financière.
L'exercice du pouvoir du directeur est cependant
limité par l'article 66 de la Loi sur le Service
15 Ex: Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, par.
5(2).
canadien du renseignement de sécurité, disposition
transitoire de la loi constitutive du Service, lequel
stipule:
66. (1) Sous réserve du paragraphe (5), les personnes sui-
vantes affectées aux services de sécurité deviennent employés à
l'entrée en vigueur du présent article:
a) les officiers et les membres de la Gendarmerie;
b) les personnes nommées ou employées en vertu de la Loi
sur l'emploi dans la Fonction publique.
(2) Le paragraphe (1) ne porte pas atteinte à l'équivalence
des avantages attachés aux postes des personnes qu'il vise, sous
réserve des éventuelles modifications consécutives aux conven
tions collectives ou, dans le cas des personnes qui ne sont pas
représentées par un agent négociateur, à une décision du Ser
vice. [C'est moi qui souligne.]
Les mots soulignés se lisent ainsi dans le texte
anglais:
66. ...
(2) Every person mentioned in subsection (I) continues, on
the coming into force of this section, to have employment
benefits equivalent to those that the person had immediately
prior thereto ... [C'est moi qui souligne.]
Ainsi, l'autorité du Service, en tant qu'em-
ployeur distinct, en ce qui concerne toute rémuné-
ration du demandeur, se substitue, à partir de la
fin 1984, celle détenue auparavant par le Conseil
du Trésor, sous réserve du paragraphe 66(2) pré-
cité. Le demandeur transportait donc avec lui au
Service les mêmes avantages qu'il détenait à la
GRC.
Par ailleurs, l'autorité du Commissaire de la
GRC est moins étendue que celle du directeur du
service. À part celle de nommer les membres
autres que les officiers de la Force 16 , elle est
décrite en termes généraux aux articles 5 et 21 de
la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada,
lesquels disposent:
5. Le gouverneur en conseil peut nommer un officier, appelé
commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, qui, sous la
direction du Ministre, est investi de l'autorité sur la Gendarme-
rie et de la gestion de toutes les matières s'y rattachant.
21. (1) Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements
sur l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'efficacité, l'ad-
ministration et le bon gouvernement de la Gendarmerie et, en
général, sur la réalisation des objets de la présente loi et la mise
à exécution de ses dispositions.
16 Le gouverneur en conseil nomme les officiers: par. 6(3).
(2) Sous réserve de la présente loi et des règlements établis
en conformité du paragraphe (1), le Commissaire peut édicter
des règles, appelées «ordres permanents», visant l'organisation,
l'entraînement, la discipline, l'efficacité, l'administration et le
bon gouvernement de la Gendarmerie.
À mon sens, ce pouvoir conféré au Commissaire
d'édicter des «ordres permanents" ne lui permet
pas de statuer sur la rémunération des membres de
la GRC, cette matière relevant de la juridiction
exclusive du Conseil du Trésor.
Ce survol des relations statutaires complexes
entre les différents organismes et institutions de la
fonction publique me porte à conclure que seuls le
Conseil du Trésor, et par après le directeur du
Service, détenaient un pouvoir décisionnel quant à
la rémunération du demandeur, y inclus le pouvoir
d'accorder ou de refuser la prime au bilinguisme.
5. La prime au bilinguisme
Quant à la prime au bilinguisme, elle a été
inscrite dans le cadre des politiques adoptées par la
Fonction publique afin de respecter les obligations
énoncées à l'article 9 de la Loi sur les langues
officielles, lequel se lit comme suit:
9. (I) Il incombe aux ministères, départements et organis-
mes du gouvernement du Canada, ainsi qu'aux organismes
judiciaires, quasi-judiciaires ou administratifs ou aux corpora
tions de la Couronne créés en vertu d'une loi du Parlement du
Canada, de veiller à ce que, dans la région de la Capitale
nationale d'une part et, d'autre part, au lieu de leur siège ou
bureau central au Canada s'il est situé à l'extérieur de la région
de la Capitale nationale, ainsi qu'en chacun de leurs principaux
bureaux ouverts dans un district bilingue fédéral créé en vertu
de la présente loi, le public puisse communiquer avec eux et
obtenir leurs services dans les deux langues officielles.
(2) Tout ministère, département, et organisme du gouverne-
ment du Canada et tout organisme judiciaire, quasi-judiciaire
ou administratif ou toute corporation de la Couronne créés en
vertu d'une loi du Parlement du Canada ont, en sus du devoir
que leur impose le paragraphe (1), mais sans y déroger, le
devoir de veiller, dans la mesure où il leur est possible de le
faire, à ce que le public, dans des endroits autres que ceux
mentionnés dans ce paragraphe, lorsqu'il y a de sa part
demande importante, puisse communiquer avec eux et obtenir
leurs services dans les deux langues officielles.
Comme on l'a vu, la prime au bilinguisme dans
sa forme actuelle, n'a été introduite qu'en 1977,
lors d'une révision importante des politiques sur le
bilinguisme dans la Fonction publique entreprise
conjointement par le Conseil du Trésor et la Com
mission de la Fonction publique. La prime au
bilinguisme est prévue à la Déclaration de politi-
ques sur les langues officielles publiée par le Con-
seil du Trésor et la Commission de la Fonction
publique en septembre 1977. Le paragraphe sui-
vant indique quels employés sont admissibles à la
prime:
La Prime au bilinguisme sera payable à tous les employés
admissibles dont le Conseil du Trésor est l'employeur et à ceux
qui ont été nommés en vertu d'un décret du Gouverneur en
conseil, lorsqu'ils occupent un poste désigné bilingue et que,
selon le jugement de la Commission de la Fonction publique, ils
satisfont aux exigences établies de compétence linguistique du
poste ". [C'est moi qui souligne.]
Dans la circulaire 1977-46 émise le 30 septem-
bre 1977, laquelle résume l'essentiel de la Déclara-
tion précitée, le champ d'application est défini
comme suit:
La présente circulaire s'applique à tous les ministères et orga-
nismes énumérés dans la Partie I, Annexe I, de la Loi sur les
relations de travail dans la Fonction publique. Elle s'applique
également aux corporations de la Couronne énumérées aux
Annexes «B» et «C» de la Loi sur l'administration financière.
[C'est moi qui souligne.]
Donc, prima facie, le demandeur, qui occupait
un poste désigné bilingue et dont l'employeur était
le Conseil du Trésor, avait droit à la prime au
bilinguisme alors qu'il était membre de la GRC,
sous réserve d'avoir été exclu expressément, ou par
implication nécessaire, par une autorité compé-
tente.
Les exceptions à l'application de la politique sur
la prime au bilinguisme sont énumérées dans la
Déclaration de politiques sur les langues officielles.
Je cite intégralement (aux pages 144-145):
En dérogation de l'article 1, la Prime au bilinguisme ne sera
pas payable:
a) aux employés du Groupe de la traduction, sauf ceux dont
le poste a été désigné bilingue pour des raisons autres que
celles qui ont trait à l'exécution ou à la surveillance des
fonctions qui sont énumérées à la partie «inclusion» de la
définition dudit groupe;
b) aux employés qui continueront de toucher la prime gelée
de rémunération du groupe ST, conformément aux stipula
tions mentionnées au paragraphe 15 de la présente section de
politique;
c) aux personnes nommées par le gouverneur en conseil au
niveau SX -4 ou à un niveau salarial équivalent à celui de
SX -4 ou à un niveau plus élevé;
d) aux catégories de personnes suivantes:
i) personnes recrutées sur place à l'étranger;
" Les langues officielles dans la Fonction publique du
Canada, Déclaration de politiques, septembre 1977, politique
IV.19, p. 144.
ii) personnes dont la rémunération pour l'exécution des
fonctions régulières d'un poste consiste en émoluments, ou
en fonction des recettes du bureau où elles occupent un
poste;
iii) personnes qui ne sont pas habituellement tenues de
travailler plus d'un tiers du temps ordinaire exigé des
personnes qui font un travail semblable;
iv) personnes embauchées sur une base occasionnelle ou
temporaire sauf si elles ont été ainsi nommées pour une
période excédant six mois;
y) personnes embauchées en vertu d'un contrat de services
professionnels ou personnels.
Tel qu'il appert, ces exceptions ne comprennent
pas la GRC et aucune modification subséquente
n'a visé directement les membres non civils de la
GRC (En 1978, les personnes nommées par le
gouverneur en conseil ont été déclarées inaptes à
recevoir la prime, mais cette modification ne vise
pas les membres de la GRC autres que les offi-
ciers.) Ces membres sont-ils exclus par implication
nécessaire découlant de la révision des lois préci-
tées? Je crois avoir démontré que tel n'était pas le
cas.
Pour sa part, le Service, en tant qu'employeur
distinct, n'est pas soumis aux politiques du Conseil
du Trésor. En conséquence, la politique sur la
prime au bilinguisme adoptée par le directeur du
Service est distincte de celle déjà considérée. Au
Service, l'exclusion du demandeur est explicite, tel
qu'attestent la lettre du directeur citée au début de
ces motifs, ainsi que l'article 12 du chapitre 11.4
sur la Rémunération et Avantages, extrait des
politiques internes au sein du Service. Cet article
se lit ainsi:
12. La prime au bilinguisme est accordée seulement aux
employés qualifiés, occupant des postes désignés dans la catégo-
rie du Soutien administratif.
Ces exclusions, implicite de la part du Conseil
du Trésor et explicite de la part du directeur du
Service, sont-elles illégales ou discriminatoires,
comme le prétend le procureur du demandeur?
6. L'illégalité des exclusions
Tel que mentionné au départ, le procureur du
demandeur prétend, dans un premier temps, que la
distinction opérée par l'exclusion, autorisée d'une
part par le Conseil du Trésor et d'autre part par le
Directeur du Service, est illégale en vertu des
principes fondamentaux du droit administratif. Il
cite à l'appui de cette proposition un arrêt de la
Cour suprême du Canada, Montréal (Ville de) c.
Arcade Amusements Inc. et autres 18 , où il s'agis-
sait d'un règlement municipal concernant les appa-
reils et les salles d'amusement et interdisant les
jeunes de moins de 18 ans. La Cour devait déter-
miner si ce règlement était discriminatoire. À cet
égard, le juge Beetz disait (à la page 404):
La règle selon laquelle le pouvoir de faire des règlements ne
comporte pas celui d'édicter des dispositions discriminatoires à
moins que les textes législatifs habilitants ne prescrivent le
contraire a été observée de temps immémorial en droit public
anglais et canadien.
À la page 406, il cite avec approbation un
commentaire du juge Louis-Philippe Pigeon 19
fondé sur un principe énoncé dans Kruse v.
Johnson 20 :
Il est une autre observation importante à faire sur la question
du pouvoir de réglementation. C'est la suivante: le pouvoir de
faire des règlements ne permet pas d'établir des dispositions
discriminatoires. Autrement dit, un règlement doit, à moins que
le texte qui l'autorise dise le contraire, s'appliquer à tout le
monde de la même façon. Si l'on veut pouvoir faire des
distinctions il faut le dire. Une des décisions intéressantes sur ce
point, c'est Rex. v. Paulowich, [1940] 1 W.W.R. 537. 11 y en a
quantité d'autres.
Et finalement, à la page 413:
Il faut tenir qu'à moins de dispositions explicites au contraire
ou de délégation implicite faite par voie d'inférence nécessaire,
le législateur souverain s'est réservé à lui-même le pouvoir
important de restreindre les droits et libertés des citoyens en
fonction de distinctions aussi délicates. Le principe transcende
les cadres du droit administratif et du droit municipal. C'est un
principe de liberté fondamentale.
Pour sa part, le procureur de la défenderesse
affirme qu'il faut différencier entre une décision
administrative et le genre de règlement visé par
l'arrêt Arcade Amusements. La seule preuve écrite
d'une décision de la part du Conseil du Trésor
produite à l'audition est la directive précitée du
Commissaire. À mon sens, quelle que soit la for-
mule directive, la décision doit rencontrer certains
critères de légalité, aucun pouvoir discrétionnaire
n'étant absolu 21 . D'ailleurs, tout acte de l'Adminis-
18 [1985] 1 R.C.S. 368; (1985), 14 D.L.R. (4th) 161; 29
M.P.L.R. 220; 58 N.R. 339.
19 Rédaction et interprétation des lois, 1978, la p. 34.
20 [1898] 2 Q.B. 91 (C. div.).
21 Garant, P. Droit administratif, 2' éd. Montréal, Éditions
Yvon Biais, 1985, p. 257-258; Pépin et Ouellette, Principes de
Contentieux Administratif 2° éd. Cowansville, Éditions Yvon
Biais, 1982, p. 263-264; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S.
121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689, la p. 140 R.C.S.
tration ne tire sa seule force que d'une loi 22 .
Ce qu'il faut reconnaître, à mon avis, c'est que
les pouvoirs étendus du Conseil du Trésor 23 lui
permettent de définir le champ d'application, ainsi
que les exclusions de ses propres politiques, en
autant qu'il agit à l'intérieur de sa juridiction, et
sujet évidemment aux contestations possibles par
les administrés affectés. Je réfère, à titre d'exem-
ple, aux Règlements régissant les conditions d'em-
ploi dans certaines parties de la Fonction
publique 24 , où le champ d'application est défini
comme suit:
Annexe A
1. Les différents postes faisant partie ou relevant des
a) ministères et départements mentionnés à l'Annexe A de la
Loi sur l'administration financière, et
b) éléments de la Fonction publique du Canada mentionnés
à la Partie I de l'Annexe I de la Loi sur les relations de
travail dans la Fonction publique,
auxquels la Commission de la Fonction publique a exclusive-
ment le droit et le pouvoir de nommer des personnes. [C'est moi
qui souligne.]
En l'espèce, le Conseil n'a pas restreint l'appli-
cation de ses politiques sur le bilinguisme en procé-
dant de cette façon. Il a choisi plutôt d'exclure
certaines personnes, ou certains groupes, du droit à
la prime au bilinguisme, un programme pourtant
essentiel à l'épanouissement de ses politiques. La
GRC n'a jamais été un groupe expressément exclu
desdites politiques.
La question est donc de savoir si le Conseil jouit
d'une discrétion telle qu'il peut, avec impunité,
passer outre ses propres politiques en imposant une
exclusion «officieuse», qui n'a jamais été énoncée
dans cette politique. En d'autres mots, le Conseil
a-t-il abusé de ses pouvoirs et donc agi
illégalement?
Le directeur du Service, pour sa part, dispose
des mêmes pouvoirs que le Conseil, et est soumis
aux mêmes principes régissant leur exercice: il
22 Garant, P., op. cit., p. 261-262; Reference as to the Vali
dity of the Regulations in relation to Chemicals, [1943] R.C.S.
1; [1943] 1 D.L.R. 248; (1943), 79 C.C.C. 1, à la p. 13 R.C.S.
23 À ceux déjà signalés s'ajoutent les pouvoirs réglementaires
énumérés à l'art. 6 de la Loi sur l'administration financière.
24 DORS/67-118; TB 665757 [Règlement sur les conditions
d'emploi dans la Fonction publique]; (maintenant chap. 2-1,
vol. 8, Manuel de gestion du personnel, Secrétariat du Conseil
du Trésor du canada, p. A69*).
s'agit dans son cas de déterminer si l'adoption
d'une politique expresse d'exclusion au sein du
Service constitue, elle aussi, un abus de son pou-
voir et donc un acte illégal.
La jurisprudence reconnaît que l'exercice d'un
pouvoir discrétionnaire par une autorité adminis
trative n'est pas à l'abri de la révision judiciaire 25 .
Dans Morin c. Comité national chargé de l'exa-
men des cas d'USD 26 la Cour d'appel fédérale,
citant le droit anglais d'où émane la plupart des
règles de base en droit administratif, a résumé les
principes applicables comme suit (aux pages
18-19):
. le contrôle judiciaire des actes purement administratifs, si
limité soit-il, n'en existe pas moins. C'est l'arrêt Padfield and
Others v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968]
A.C. 997 (H.L.) qui fait autorité dans ce domaine du droit
administratif. Dans cette affaire, la Chambre des lords a jugé
que le pouvoir discrétionnaire du Ministre de nommer un
comité d'enquête sur des plaintes n'était pas illimité et que les
motifs qu'il avait fournis pour justifier son refus indiquaient
qu'il avait outrepassé ses pouvoirs en tenant compte de facteurs
n'ayant aucune pertinence en droit et en faisant usage de son
autorité pour faire échec à la politique établie dans la loi en
question. Quatre des cinq lords saisis de l'affaire sont allés
jusqu'à dire que, même si le Ministre n'avait pas fourni de
motifs pour justifier sa décision, dès que l'existence d'un cas
d'abus de pouvoir était établie prima facie, la Cour pouvait en
déduire qu'il avait agi illégalement.
Lord Upjohn, qui faisait partie de la majorité, a peut-être
fait dans cet arrêt l'exposé le plus clair du droit applicable en
matière de contrôle judiciaire (à la page 1058):
[TRADUCTION] Il est donc clair que le Ministre possède un
pouvoir discrétionnaire et que la véritable question soumise à
cette Chambre est de savoir dans quelle mesure ce pouvoir
discrétionnaire est soumis au contrôle judiciaire.
Il est possible, aux fins du présent appel, d'énoncer avec
suffisamment de précision ce qui constitue un comportement
illégal de la part du Ministre (et ici j'adopte la classification
proposée par le juge en chef, lord Parker, de la Cour division-
naire): a) le fait de refuser catégoriquement d'examiner une
25 Oakwood Development Ltd. c. Municipalité rurale de St.
François Xavier, [1985] 2 R.C.S. 164; (1985), 20 D.L.R. (4th)
641; [1985] 6 W.W.R. 147; 36 Man. R. (2d) 215; 18 Admin.
L.R. 59; 31 M.P.L.R. 1; 61 N.R. 321; 37 R.P.R. 101, à la p.
174 R.C.S.; Vanguard Coatings and Chemicals Ltd. c. M.R.N.,
[1987] 1 C.F. 367; (1986), 7 F.T.R. 11 (1'° inst.), à la p. 377
C.F.; Comm. de la Fonction publique (Canada) c. Deans et
Canada (Conseil du Trésor) (1988), 19 F.T.R. 97 (C.F. 1'
inst.), à la p. 99; Association des gens de l'Air du Québec c.
L'honorable Otto Lang, [1977] 2 C.F. 22; (1977), 76 D.L.R.
(3d) 455 (1' inst.), à la p. 38 C.F., confirmé par [1978] 2 C.F.
371; (1978), 89 D.L.R. (3d) 495; 22 N.R. 328 (C.A.).
26 [1985] 1 C.F. 3; (1985), 20 C.C.C. (3d) 123; 46 C.R. (3d)
238; 60 N.R. 121 (C.A.).
question pertinente, ou b) le fait de se donner des directives
erronées sur un point de droit, ou c) le fait de tenir compte
d'un facteur complètement dénué de pertinence ou n'ayant
aucun rapport avec la question, ou d) le fait de négliger
complètement de tenir compte d'un facteur pertinent. [C'est
moi qui souligne.]
Les cours canadiennes à tous les niveaux ont
réaffirmé à maintes reprises les critères interdé-
pendants élaborés dans Padfield". À l'instar de la
Chambre des lords, elles ont également conclu
qu'une autorité administrative abuse de son pou-
voir lorsqu'elle agit pour des fins impropres, autres
que celles prévues par la loi 28 , ou selon des princi-
pes erronés ou en tenant compte des considérations
étrangères à la loi et non pertinentes 29 , ou en
omettant de tenir compte des considérations
pertinentes 30 , ou de façon arbitraire, déraisonnable
ou discriminatoire 31 .
En l'espèce, je dois déterminer si les décisions
d'exclusion rendues par le Conseil du Trésor et le
directeur du Service ont été ainsi viciées. À mon
avis, les critères ci-dessus énumérés reposent essen-
tiellement sur la notion qu'une décision adminis
trative discrétionnaire doit se situer strictement
dans le cadre de l'objet et de l'esprit de la loi. Tel
qu'a affirmé le juge Rand dans Roncarelli v.
Duplessis 32 (à la page 140):
27 Voir aussi Secretary of State for Education and Science v.
Tameside Metropolitan Borough Council, [ 1977] A.C. 1014
(H.L.); Laker Airways Ltd v Department of Trade, [1977] 2
All ER 182 (C.A.).
28 Roncarelli c. Duplessis, supra, note 21; Bullion c. La
Reine et autre, [1980] 2 R.C.S. 578, à la p. 580; Prince George
(Ville de) c. Payne, [1978] 1 R.C.S. 458; (1977), 75 D.L.R.
(3d); [1977] 4 W.W.R. 275; 2 M.P.L.R. 162; 15 N.R 386; à la
p. 463 R.C.S.; Delany c. Le Comité d'appel de la Comm. de la
Fonction publique, [1977] 1 C.F. 562; (1976), 13 N.R. 341
(C.A.), à la p. 568 C.F.; Re Doctors Hospital and Minister of
Health et al. (1976), 12 O.R. (2d) 164; 68 D.L.R. (3d) 220; 1
C.P.C. 232 (Div. Ct.), aux p. 174-176 O.R.
29 Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada,
[1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354,
à la p. 7 R.C.S.; The Way Biblical Research and Teaching
Ministry of Canada c. La Commission de l'emploi et de
l'immigration du Canada, [1983] 1 C.F. 467 (1" inst.), aux p.
470-471; Re Multi -Malls Inc. et al. and Minister of Transpor
tation and Communications et al. (1976), 14 O.R. (2d) 49; 73
D.L.R. (3d) 18 (C.A.), aux p. 62-64 O.R.
30 Oakwood Development Ltd. c. Municipalité rurale de St.
François Xavier, précité, note 25, la p. 174.
31 Bullion c. La Reine et autre, précité, note 28; Fountain
head Fun Centres Ltd. c. Montréal (Ville de), [1981] C.A. 468;
(1981), 128 D.L.R. (3d) 579 (Qué.), aux p. 485-486 (C.A.).
32 Précité, note 21.
[TRADUCTION] La décision de refuser ou d'annuler un tel
privilège relève de la «discrétion» de la Commission; mais cela
signifie que cette décision doit reposer sur l'examen de facteurs
qui se rapportent à l'objet de l'administration.
Dans une réglementation publique de cette nature, il n'y a
rien de tel qu'une «discrétion» absolue et sans entraves, c'est-à-
dire celle où l'administrateur pourrait agir pour n'importe quel
motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une
loi ne peut, si elle ne l'exprime expressément, s'interpréter
comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité
pouvant être exercé dans n'importe quel but, si fantaisiste et
hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de
cette loi ... La «discrétion» implique nécessairement la bonne
foi dans l'exercice d'un pouvoir public. Une loi doit toujours
s'entendre comme s'appliquant dans une certaine optique.
[C'est moi qui souligne.]
J'ai déjà remarqué que la preuve documentaire
de la décision du Conseil est limitée aux «explica-
tions» du Commissaire Simmonds contenues dans
la Directive de décembre 1977.
Selon le témoignage, non contredit, de monsieur
Gaston Guénette, un responsable des politiques sur
les langues officielles du Secrétariat du Conseil du
Trésor, aucun arrêté ministériel n'a décrété l'ex-
clusion des membres non civils de la GRC du
paiement de la prime: la décision provenait du
Cabinet et a été communiquée à la GRC par le
Conseil. Ce témoin a également déclaré qu'il avait
vu aux dossiers du Conseil des notes à l'effet que le
Commissaire Simmonds se serait prononcé contre
le paiement de la prime à ses membres. De fait, les
motifs invoqués par ce dernier au soutien du non-
paiement laissent peu de doute à cet égard.
La jurisprudence a également établi qu'une
décision prise sous la dictée d'un tiers est
invalide 33 . La décision du Conseil a-t-elle été
influencée par les opinions, ou craintes, ou pres-
sions du Commissaire? À la suite du témoignage
de monsieur Guénette, il y a lieu de croire que le
Commissaire a sûrement participé à la décision en
cause. Il ne s'agit là cependant que l'un des fac-
teurs à évaluer pour déterminer si la décision était
basée sur des considérations pertinentes à l'objet
de l'acte administratif au sens soulevé dans Ron-
carelli précité.
33 Roncarelli v. Duplessis, précité, note 21; Re Multi -Malls
Inc. et al. and Minister of Transportation and Communica
tions et al., précité, note 29.
L'objet de l'acte administratif dans le cas pré-
sent (élaboré en fonction des pouvoirs conférés par
la Loi sur l'administration financière) était la
mise en place de politiques d'application générale
sur le bilinguisme afin de promouvoir les buts de la
Loi sur les langues officielles au sein de la fonc-
tion publique. Du point de vue administratif, l'arti-
cle 9 précité de cette Loi visant l'épanouissement
du bilinguisme permettait l'élaboration de telles
politiques, dont la prime faisait partie.
Cette constatation quant à l'objet de l'acte
administratif est confirmée par la Déclaration de
politiques précitée de septembre 1977, où le Con-
seil du Trésor et la Commission de la Fonction
publique ont défini les objectifs des politiques sur
les langues officielles comme suit (aux pages 1 et
2):
1. Les Canadiens doivent avoir la possibilité de communiquer
avec les organismes fédéraux et d'en recevoir les services sollici-
tés dans la langue officielle de leur choix; des mesures doivent
être prises à cet effet chaque fois que la demande est suffisante;
2. Compte tenu du principe précédent, les Canadiens des deux
principaux groupes linguistiques du pays doivent jouir des
mêmes possibilités d'emploi et de carrière dans l'administration
fédérale et doivent pouvoir y travailler dans la langue officielle
de leur choix;
3. Les deux principaux groupes linguistiques du pays doivent
être représentés équitablement dans les services fédéraux.
Afin de rencontrer ces trois objectifs, certaines lignes directri-
ces de politique doivent être formulées pour déterminer dans
quelles circonstances on utilisera l'une ou l'autre langue offi-
cielle, ou les deux, au sein de la Fonction publique. Les lignes
directrices relatives à la langue d'usage quant au service au
public découlent des dispositions de la Loi sur les langues
officielles.
Voilà le cadre dans lequel se situait la prime au
bilinguisme.
Dans Delanoy c. Le Comité d'appel de la
Comm. de la Fonction publique 34 , la Cour d'appel
fédérale avait à déterminer si une exigence établie
par la Commission était reliée à la sélection selon
le mérite, un principe de base dans la Loi sur
l'emploi dans la Fonction publique. La Cour s'est
prononcée en ces termes (à la page 568):
34 Précité, note 28; voir aussi Bullion c. La Reine et autre,
précité, note 28, à la p. 580.
Bien sûr, la Commission dispose d'un pouvoir discrétionnaire
pour prescrire les normes, mais toute norme prescrite doit
s'appliquer au but recherché, sinon ce n'est pas une norme de
sélection au sens de cet article.
Il est vraiment impossible d'entrevoir un lien rationnel entre
ce qu'on appelle l'exigence fondamentale posée dans cette
affaire et la sélection du candidat selon son mérite en vue de la
nomination du candidat le plus qualifié pour combler le poste
annoncé. [C'est moi qui souligne.]
Dans Prince George (Ville de) c. Payne 35 la
Cour suprême du Canada a cassé la décision de la
municipalité de refuser d'accorder un permis au
requérant, alors qu'il rencontrait tous les critères
pour son émission, parce qu'il voulait opérer un
commerce jugé non désirable. À cet égard, le juge
Dickson [tel était alors son titre] a affirmé (à la
page 463):
Le pouvoir discrétionnaire conféré par l'art. 455, si large soit-il,
doit être exercé judiciairement. Fonder une décision sur un
motif étranger à la question, ce n'est pas exercer judiciairement
un pouvoir discrétionnaire.
À la lumière de ces principes, et après révision,
je suis d'avis que les exclusions expresses du paie-
ment de la prime au bilinguisme énumérées dans
la Déclaration de politiques précitée 36 sont reliées
rationnellement à la bonne administration finan-
cière de la politique sur le bilinguisme au sein de la
fonction publique: en fait, les catégories et les
personnes exclues expressément occupent, soit des
emplois d'une nature temporaire ou occasionnelle,
soit des emplois dont la nomination relève du
gouverneur en conseil.
Mais, les membres non civils de la GRC n'occu-
pent pas ce genre d'emploi: leur exclusion découle
de toute évidence uniquement de leur statut non
civil.
Il s'agit là, à mon sens, d'un motif étranger aux
politiques sur le bilinguisme, eu égard au champ
d'application de celles-ci tel que défini par le Con-
seil du Trésor lui-même. Je ne peux déceler aucun
lien rationnel entre cette exclusion et le but recher-
ché, à savoir la promotion du bilinguisme au sein
de la fonction publique fédérale.
De fait, considérant le caractère national de
l'institution qu'est la GRC, dont les membres non
civils sont les plus visibles et les plus impliqués
35 Précité, note 28.
36 Je vise également les exclusions ajoutées subséquemment
apparaissant au chap. 5 du vol. 5 du Manuel de gestion du
personnel du Secrétariat du Conseil du Trésor.
auprès du public, l'exclusion de ces membres
semble aller carrément à l'encontre du but de
l'administration qui doit être d'offrir des services
et un visage bilingues au peuple canadien.
Le procureur de la défenderesse prétend que
l'exclusion du paiement de la prime de ces mem-
bres non syndiqués de la GRC s'infère du fait que
la prime a été négociée entre le Conseil du Trésor
et l'Alliance de la Fonction publique, et fait partie
de la convention cadre 37 .
Je ne souscris pas à cet argument. Comme on l'a
vu, le Conseil du Trésor n'a pas restreint, lors de
l'instauration des politiques sur le bilinguisme, le
champ d'application de ces politiques au personnel
syndiqué des organismes énumérés à la Partie I de
l'annexe I de la Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique. D'ailleurs, une telle
restriction aurait été impensable. De même, une
exclusion du paiement de la prime motivée par
l'absence d'accréditation syndicale serait contraire
à l'objet de l'administration, et irrationnelle par
rapport à cet objet. Logiquement, je ne vois pas
comment l'inclusion de la prime dans une conven
tion collective doive inéluctablement en exclure le
paiement aux personnes non régies par cette con
vention en vertu d'une politique générale.
7. Les deux motifs d'exclusion du Commissaire
Quant aux motifs précités soulevés dans la
Directive du Commissaire Simmonds, ce n'est pas
évident à quel degré ceux-ci sont attribuables au
Conseil du Trésor. Selon le procureur de la défen-
deresse, il ne s'agirait là que d'opinions personnel-
les du Commissaire. Cependant, ces motifs n'ont
pas été contredits en preuve et pour les fins d'une
analyse intégrale, ils doivent être considérés. À
mon avis, ils n'échappent pas à l'application des
principes soulevés ci-dessus à l'égard des critères
«non civil» et «non syndiqué».
Le Commissaire, on s'en souvient, a soulevé
deux motifs. Le premier, à l'effet que les autres
corps policiers au pays ne touchent pas une telle
prime, mérite peu de considération: la GRC est le
seul corps de police opérant sur le plan national.
Qu'une politique analogue n'existe pas dans les
provinces, constitue à mon avis une considération
entièrement étrangère et non pertinente à la ques
tion du bilinguisme fédéral.
37 Art. M-37.03(11).
Le deuxième motif, à savoir qu'une telle prime
causerait de la division entre les rangs, est encore
moins convaincant. Comme toutes les primes, celle
au bilinguisme est versée à ceux qui la méritent.
C'est un stimulant destiné à encourager le bilin-
guisme: ceux qui ne veulent pas participer au
programme doivent savoir à qui s'en prendre.
D'ailleurs, le Directeur des langues officielles à la
GRC 38 a facilement concédé que la GRC accorde
des primes à ses membres dans d'autres domaines,
soit pour récompenser l'excellence, soit à titre de
dédommagement pour affectations éloignées, etc.
Ceux qui ne touchent pas ces primes sont mal
venus de s'en plaindre.
Aucune autre justification permettant l'exclu-
sion des membres de la GRC du paiement de la
prime au bilinguisme n'a été apportée en preuve.
La décision d'exclusion prise par le Conseil du
Trésor me paraît donc dénuée de tout fondement
pertinent et semble avoir tenu compte de facteurs
complètement étrangers à la question, y compris
les deux motifs précités du Commissaire. Je consi-
dère que cette décision était viciée au sens des
critères énumérés précédemment. En conséquence,
l'exclusion du demandeur au paiement de la prime
au bilinguisme, alors qu'il rencontrait tous les
critères d'éligibilité établis par le Conseil du
Trésor lui-même était, à mon sens, illégale.
8. Une expectative légitime frustrée
Un autre aspect de la décision du Conseil mérite
d'être commenté brièvement: il s'agit du fait qu'en
excluant le demandeur et ses collègues du paie-
ment de la prime au bilinguisme, vers la fin 1977,
le Conseil n'a pas respecté sa propre politique sur
le bilinguisme, introduite peu avant.
En émettant sa politique sur le bilinguisme, le
Conseil du Trésor et la Commission de la Fonction
publique ont énoncé un code élaboré sur l'usage
des langues officielles dans les départements et
autres organismes de la fonction publique. Ce code
détaillé n'établissait pas, de toute évidence, des
règles indicatives, mais plutôt des règles normati-
ves devant être respectées, non seulement par les
départements, les fonctionnaires et les autres
employés de la fonction publique auxquels elles
38 Le Commissaire actuel lui-même avait été convoqué par
subpoena à la demande du demandeur. Étant à l'extérieur du
pays, il a été remplacé par le directeur Roy Berlinguette.
étaient adressées, mais également par ses auteurs
eux-mêmes.
Le Conseil et la Commission auraient pu définir
le champ d'application de la politique sur le bilin-
guisme selon une formule plus large et plus flexible
et ainsi se ménager une marge de manoeuvre pour
l'exercice de leur discrétion face à des cas particu-
liers. En définissant ce champ d'application
comme englobant tous les ministères et organismes
énumérés à la Partie I de l'annexe I de la Loi sur
les relations de travail dans la Fonction publique,
ils ont créé auprès des personnes visées une expec-
tative légitime à l'effet que la politique serait
respectée.
Tel que le soulignait récemment le professeur
Janisch 39:
[TRADUCTION] ... notre conception de la décence gouverne-
mentale ne tolère pas qu'une fois des règles internes fixées au
vu et au su de tous, le gouvernement puisse ne pas en tenir
compte et faire fi des expectations qu'elles aient pu susciter.
Comme nous l'avons déjà vu, l'expectative légitime est une
source importante de droits procéduraux et il semble qu'elle
couvrira aussi les droits de fond.
L'autorité jurisprudentielle en matière d'expec-
tative légitime citée par Janisch, est un arrêt de la
Cour d'appel d'Angleterre, R v Secretary of State
for the Home Dept. ex p. Khan 40 . Dans cette
affaire, le ministre avait publié une circulaire éta-
blissant les critères et procédures gouvernant l'ad-
mission en Angleterre d'enfants, pour fins d'adop-
tion. En statuant sur une demande d'adoption,
cependant, le ministre a omis de considérer ces
critères et en a appliqué d'autres, au détriment du
requérant. À l'instar de décisions antérieures des
cours anglaises de hautes instances 41 , lord Parker
s'est ainsi exprimé (à la page 48):
Je suis certain que la lettre du ministère de l'Intérieur a donné
au requérant une expectative raisonnable que les procédures qui
y étaient établies, et dont les termes étaient aussi clairs que la
question et la réponse dans le cas de M. Ng, seraient suivies,
que si l'application de ces procédures avait pour conséquence de
convaincre le Secrétaire d'Etat des quatre motifs mentionnés,
un certificat d'admission temporaire serait accordé et que le
39 Evans, J. M. et autres. Administrative Law Cases, Texts
and Materials, 3e éd. Toronto: Emond Montgomery Publica
tions Ltd., 1989, p. 793.
4° [1985] 1 All ER 40 (C.A.).
41 Re Liverpool Taxi Owners' Association, [1972] 2 All ER
589 (C.A.); O'Reilly v Mackman, [1982] 3 All ER 1124
(H.L.); A-G of Hong Kong v Ng Yuen Shiu, [1983] 2 All ER
346 (P.C.).
sort définitif de l'enfant serait alors décidé par le tribunal
d'adoption de ce pays.
Il est bien entendu loisible au Secrétaire d'État de modifier la
politique établie, mais j'estime que, vis-à-vis du destinataire de
cette lettre, une nouvelle politique ne peut s'appliquer qu'après
qu'on aura pleinement instruit la réclamation du destinataire
sur la question de savoir si l'intérêt public justifie une déroga-
tion aux procédures énoncées dans la lettre. [C'est moi qui
souligne.]
Dans cette affaire lord Dunn a considéré l'éten-
due de la discrétion du Secrétaire d'État en ces
termes (à la page 52):
[TRADUCTION] L'avocat du Secrétaire d'État soutient qu'il
n'existait aucune disposition législative ou règle à cet égard,
que le Secrétaire d'État avait une discrétion sans entraves, qu'il
était en droit de tenir compte d'un facteur de principe préémi-
nent...
Si le ministre de l'Intérieur n'avait fait qu'énoncer que la
question de savoir si on pouvait y faire venir l'enfant pour qu'il
soit adopté relevait de sa discrétion, cet argument serait, à mon
avis, bien valable. Mais il ne l'a pas fait. Il a fait envoyer à tous
les requérants une circulaire de type usuel énonçant les quatre
critères qui devaient être remplis avant qu'une autorisation ne
soit accordée. J'estime que par là il a, dans les faits, établi ses
propres règles, et énoncé ces questions qu'il considérait comme
pertinentes et qu'il examinerait pour rendre sa décision.
Les catégories d'agissements déraisonnables ne sont pas res-
trictives et, à mon sens, une action injuste peut rarement être
une action raisonnable. Il ressort des décisions citées par le lord
juge Parker que le ministre de l'Intérieur est tenu d'agir
équitablement, et je conviens que ce qui s'est passé dans cette
affaire était non seulement injuste mais aussi déraisonnable.
Bien que la circulaire n'ait pas crée de fin de non-recevoir, le
ministre de l'Intérieur y a énoncé, dans l'intérêt des requérants,
les questions qui devaient être prises en considération, et rendu
sa décision en se fondant sur un facteur qui, de son propre aveu,
était hors de propos. Ce faisant, il s'est mis sur la mauvaise voie
selon ses propres critères et il a agi de façon déraisonnable.
[C'est moi qui souligne.]
Similairement, je considère non justifié le fait
que le Conseil du Trésor (apparemment suite à la
recommandation du Commissaire) s'est permis
d'ignorer sa propre politique sur le bilinguisme et
d'introduire des considérations étrangères à cette
politique lors de sa décision d'exclure les membres
non civils de la GRC du paiement de la prime.
9. La décision d'exclusion du directeur
Je passe maintenant à la décision du directeur
du Service. Tel que soulevé précédemment, en tant
qu'employeur distinct le Service n'est pas régi par
les politiques sur le bilinguisme du Conseil du
Trésor. En vertu de l'article 9 précité de la Loi sur
les langues officielles, il était cependant du devoir
du directeur de mettre en place des politiques sur
le bilinguisme au sein du Service. C'est ce qu'il a
fait, exerçant les pouvoirs à lui conférés par le
paragraphe 8(1) précité de la Loi créant le Ser
vice. Et, tout comme le Conseil du Trésor, l'exer-
cice de la discrétion du directeur à l'égard de ces
politiques devait rencontrer les mêmes critères
déjà analysés en regard de la décision du Conseil.
Il convient de citer la lettre du directeur de mars
1985 où les motifs pour exclure les employés du
Service (autres que ceux dans la catégorie du
soutien administratif) du paiement de la prime
sont énoncés comme suit:
[TRADUCTION] En général, en ma qualité de directeur, j'exerce
tous les pouvoirs, devoirs et fonctions du Conseil du Trésor en
matière de gestion du personnel, conformément à la loi sur
l'administration financière, et ceux de la Commission de la
fonction publique en vertu de la Loi sur l'emploi dans la
fonction publique.
En tant que directeur du SCRS, j'ai décidé d'accorder la
prime au bilinguisme aux employés qualifiés qui occupent des
postes désignés dans la catégories du soutien administratif du
SCRS. Le Conseil du Trésor a également relevé les groupes
exclus qui ne reçoivent par la prime au bilinguisme. La politi-
que du Conseil du Trésor s'applique seulement à ces ministères,
organismes et sociétés de la Couronne énumérés dans la Partie
I, annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la fonction
publique, aux Postes Canada et au Conseil national de recher-
ches. Bien entendu, le Service ne figure pas dans la partie I de
l'annexe I, mais dans la partie II.
Comme votre client, M. Gingras, occupe un poste de profes-
sionnel au sein du SCRC, il n'a pas droit à la prime au
bilinguisme en sa qualité actuelle.
Dans la période qui a précédé immédiatement la création du
Service en juillet 1984, alors que votre client faisait encore
partie de la GRC, il n'avait pas droit à la prime au bilinguisme
en vertu de la politique de la Gendarmerie en matière de
langues officielles. Le paragraphe 66(2) de la Loi sur le SCRS
prévoit que les personnes qui se trouvent dans la situation de
votre client devraient avoir au Service des avantages attachés
aux postes équivalents à ceux qu'elles avaient immédiatement
avant l'entrée en vigueur de la loi, sous réserve que ces avanta-
ges soient modifiés, dans leur cas, par le Service. [C'est moi qui
souligne.]
À la lecture de ce passage, il me semble clair
que la décision du directeur a été motivée principa-
lement par la politique déjà en place au Conseil du
Trésor excluant les membres non civils de la GRC
du paiement de la prime. Comme nous le savons,
un nombre important de ces membres ont été
affectés au Service lors de sa création.
Je me dois de répéter qu'une autorité discrétion-
naire doit exercer sa propre discrétion de façon
autonome, en fonction de l'objet et de l'esprit de sa
loi habilitante: une décision discrétionnaire suivant
servilement les politiques d'autres autorités ne
constitue pas un tel exercice.
Dans Re Multi -Malls Inc. et al. and Minister
of Transportation 42 , la Cour d'appel de l'Ontario
devait déterminer si une décision du ministre de
refuser d'émettre un permis a été exercée confor-
mément aux «policy concerns» de la loi constitutive
du Ministère. La Cour a décidé (aux pages 62 64
O.R.):
J'estime que le ministre des Transports et des Communica
tions s'est laissé influencer par des facteurs étrangers, non
pertinents et accessoires qui n'auraient pas dû l'influencer
quand il a exercé son pouvoir discrétionnaire pour refuser le
permis d'entrée. Il semble clair que la Loi vise en général non
pas à assurer un aménagement foncier approprié mais à régle-
menter la circulation.
Il me semble donc que le ministre intimé n'a pas écarté de
son examen une question qui ne se rapporte pas, à l'évidence, à
la politique ou aux objets de la Loi sur l'aménagement des
routes et des transports en commun. J'irais jusqu'à dire qu'il est
clair, selon la prépondérance des probabilités, que le refus du
permis d'entrée, reposant apparemment sur le facteur d'aména-
gement, était réellement le fait de céder à la pression grandis-
sante de préserver le centre de la municipalité de Tillsonburg
Hypothétiquement, il est possible d'envisager
une situation où la décision rendue par une auto-
rité, en fonction de celle d'un autre organisme,
puisse s'insérer dans le cadre des politiques des
deux instances. Par ailleurs, cela ne me semble pas
être le cas en l'espèce. Il s'agit ici plutôt de la
perpétuation aveugle d'une décision pré-existante,
sans égard ni à son bien-fondé en termes absolus,
ni à sa relation avec l'objet visé par les politiques
sur le bilinguisme en général.
La décision d'exclusion du directeur a peut-être
découlé de sa propre détermination à l'effet qu'il
serait approprié d'apporter une distinction entre le
personnel de soutien et les autres employés du
Service pour d'autres motifs. Mais ces autres
motifs demeurent inconnus et non articulés dans sa
lettre.
Je considère donc que les seuls motifs invoqués
par le directeur du Service ne rencontrent pas les
42 Précité, note 29.
critères de légalité établis par la jurisprudence
citée précédemment. En conséquence, l'exclusion
du demandeur du paiement de la prime était
illégale.
Une dernière remarque importante à l'égard de
la lettre du directeur concerne son allégation à
l'effet que le paragraphe 66(2) de la Loi sur le
Service canadien du renseignement de sécurité
constituait un empêchement légal au paiement de
la prime après le transfert du demandeur au Ser
vice. Selon son interprétation, l'exclusion du
demandeur alors qu'il était membre de la GRC
était déterminante des avantages auxquels il avait
droit comme employé du Service, ceux-ci ne
devant pas excéder l'équivalent.
À mon sens cette interprétation est manifeste-
ment erronée. Le paragraphe 66(2) établit les
avantages minimaux auxquels le demandeur avait
droit après son transfert et assure la continuité de
ces avantages. Il ne s'agit pas d'un plafond. En
d'autres termes, le directeur n'était aucunement lié
par l'exclusion affectant les membres de la GRC.
En fait, une telle conclusion représentait en quel-
que sorte un refus d'exercer les pouvoirs étendus
conférés au directeur par le paragraphe 8(1) pré-
cité. De plus, ayant déjà déterminé que le deman-
deur avait droit à la prime alors qu'il était à la
GRC, je dois logiquement conclure que ce droit
acquis continue en vigueur alors que le demandeur
passe de la GRC au Service.
En conclusion, je considère que les exclusions
effectuées tant par le Conseil du Trésor relative-
ment à la GRC que par le directeur à l'endroit du
Service étaient illégales. Le demandeur était
admissible au paiement de la prime à partir de son
introduction en 1977.
10. L'allégation de discrimination fondée sur la
Charte
Je passe maintenant au deuxième argument du
demandeur à l'effet que la distinction résultant des
décisions du Conseil du Trésor et du directeur du
Service crée de la discrimination fondée sur l'ori-
gine nationale ou ethnique, contrairement aux arti
cles 3, 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits
de la personne et, dès avril 1985, au paragraphe
15(1) de la Charte canadienne des droits et
libertés.
Ces dispositions se lisent comme suit 43 :
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc
tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine
nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la
situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière
d'emploi, sur un handicap physique.
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un
individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction
illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em-
ployeur ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les
mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation,
l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un
emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible
d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu
ou d'une catégorie d'individus.
15. (1) La Loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au
même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina
tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori-
gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge,
les déficiences mentales ou physiques.
Au cours de l'audition, une preuve statistique
fournie par la défenderesse démontre que les mem-
bres francophones de la GRC et les professionnels
francophones du Service occupant des postes dési-
gnés bilingues sont à peu près trois fois plus nom-
breux que les membres et professionnels anglopho-
nes occupant de tels postes. Il est alors évident que
l'impact de l'exclusion du paiement de la prime est
trois fois plus important à l'endroit des francopho-
nes bilingues que chez leurs confrères bilingues
anglophones.
43 Je cite les art. 3, 7 et 10 de la Loi originale (S.C. 1976-77,
chap. 33) amendés par les art. 2, 3 et 5 des S.C. 1980-81-82-83,
chap. 143. Ces amendements sont non pertinents en l'espèce.
Jurisprudence à l'appui 44 , le procureur du
demandeur allègue que c'est plutôt la répercussion
de la pratique contestée que l'intention du viola-
teur qui s'avère déterminante en matière de discri
mination: il s'ensuit, selon cet argument, que
même si les membres et professionnels anglopho-
nes sont privés au même titre que les francopho-
nes, ces derniers subissent un impact plus considé-
rable et donc de la discrimination fondée sur
l'origine nationale ou ethnique.
À mon sens, cependant, la seule question qu'il
faut se poser est de savoir si la discrimination
alléguée repose sur l'origine nationale ou ethnique,
ou si elle ne découle pas plutôt de la catégorie
d'emploi occupée par la personne. À mon sens, elle
repose sur la catégorie d'emploi.
La catégorie ou le genre d'emploi n'est pas un
motif de «distinction illicite» au sens de la Loi
canadienne sur les droits de la personne, ni un
motif de discrimination «énuméré» au paragraphe
15(1) de la Charte canadienne des droits et liber-
tés. Je ne crois pas non plus qu'elle constitue un
motif de discrimination «analogue» à ceux énumé-
rés à cette dernière disposition.
Dans Andrews c. Law Society of British
Columbia, le juge McIntyre (dissident quant à la
conclusion seulement) a défini la discrimination
comme suit (aux pages 174-175):
J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme
une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des
motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu
ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet
individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des
désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de
restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avanta-
44 Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1
R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; 91 N.R. 255; Brossard
(Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne),
[1988] 2 R.C.S. 279; (1988), 53 D.L.R. (4th) 609; 88 N.R.
321; Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712;
Stoffman v. Vancouver General Hospital (1988), 49 D.L.R.
(4th) 727; [1988] 2 W.W.R. 708; (1988), 21 B.C.L.R. (2d) 165
(C.A.); pourvoi à la Cour suprême accordé, [1988] 1 R.C.S.
xiv; [1988] 4 W.W.R. 1 xvii; R. v. Hayden (1983), 3 D.L.R.
(4th) 361; [1983] 6 W.W.R. 655; 23 Man. R. (2d) 315; 8
C.C.C. (3d) 33; 36 C.R. (3d) 187 (C.A.); requête pour permis
sion d'en appeler à la Cour suprême rejetée, le 19 décembre
1983, [1983] 2 R.C.S. xi; (1983), 3 D.L.R. (4th) 361; 26 Man
R. (2d) 318; 8 C.C.C. (3d) 33; Tétreault-Gadoury c. Canada
(Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada),
[1989] 2 C.F. 245; (1988), 53 D.L.R. (4th) 384; 88 N.R. 6
(C.A.); en appel à la Cour suprême, #21222; Orphanos v.
Queen Mary's College (1985), 62 N.R. 243 (H.L.).
ges offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions
fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un
seul individu en raison de son association avec un groupe sont
presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles
fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont
rarement. [C'est moi qui souligne.]
Le juge LaForest, pour sa part, était d'avis
qu'en l'espèce la citoyenneté constituait une telle
caractéristique personnelle, comportant plusieurs
traits communs avec celles énumérées à l'article
15. Il s'est exprimé ainsi (à la page 195):
La citoyenneté est une caractéristique qui, normalement, ne
relève pas du contrôle de l'individu et, dans ce sens, elle est
immuable. La citoyenneté est, temporairement du moins, une
caractéristique personnelle qu'on ne peut modifier par un acte
volontaire et qu'on ne peut, dans certains cas, modifier qu'à un
prix inacceptable as
Dans Reference Re Workers' Compensation
Act, 1983 (T-N.) 46 la Cour suprême du Canada a
jugé qu'un travailleur accidenté, privé en vertu
d'une loi provinciale des droits et actions; contre
l'employeur auxquels il pourrait autrement avoir
droit ne subissait pas de la discrimination au sens
du paragraphe 15(1). Au nom de la Cour, le juge
LaForest a affirmé (à la page 924):
La situation des travailleurs et des personnes à charge en
l'espèce n'est aucunement analogue aux situations énumérées
au par. 15(1), exigence posée par la majorité dans l'affaire
Andrews pour permettre le recours au par. 15(1).
La conclusion était la même dans R. c. Turpin 47 ,
où il s'agissait de déterminer si une distinction
dans le Code criminel accordant un traitement
«favorable» à certains accusés en Alberta consti-
tuait de la discrimination à l'égard d'accusés dans
les autres provinces. Selon le juge Wilson, cette
distinction ne contrevenait pas au paragraphe
15(1). Elle disait (aux pages 1332-1333):
Je crois, en toute déférence, que ce serait tomber dans la
fantaisie que de qualifier de «minorité discrète et isolée» les
personnes qui, dans toutes les provinces sauf l'Alberta, sont
accusées de l'un des crimes énumérés à l'art. 427 du Code
criminel ... Établir une distinction, pour les fins du mode de
procès, entre les personnes accusées en Alberta d'infractions
énumérées à l'art. 427 et celles qui sont accusées des mêmes
infractions ailleurs au Canada ne favoriserait pas, à mon avis,
les objets de l'art. 15 en remédiant à la discrimination dont sont
victimes les groupes de personnes défavorisées sur les plans
45 Sur le critère d'immuabilité, voir aussi Veysey c. Canada
(Service correctionnel), [1990] 1 C.F. 321 (P' inst.).
46 [1989] I R.C.S. 922; (1989), 96 N.R. 227.
47 [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R.
(3d) 97; 96 N.R. 115.
social, politique ou juridique dans notre société ou en les
protégeant contre toute forme de discrimination. Il seràit inu-
tile de chercher des signes de discrimination tel que des stéréo-
types, des désavantages historiques ou de la vulnérabilité à des
préjugés politiques ou sociaux en l'espèce ... A mon avis, faire
droit aux demandes des appelants en vertu de l'art. 15 de la
Charte serait «aller au delà de l'objet véritable du droit ou de la
liberté en question»; voir R. c. Big M Drug Mart Ltd., à la p.
344. [C'est moi qui souligne.]
Similairement, je ne considère pas que la caté-
gorie d'emploi, englobant d'une part les membres
de la GRC et d'autre part les professionnels du
Service constitue le genre de «minorité discrète et
isolée» protégée au paragraphe 15 (1) de la Charte
canadienne des droits et libertés. Conclure ainsi
serait «aller au delà de l'objet véritable» de cette
disposition constitutionnelle.
11. La prescription
La dernière question à régler concerne la pres
cription applicable en l'espèce, un dernier argu
ment soulevé par la défenderesse. Deux points sont
à considérer: dans un premier temps, le fondement
de l'action du demandeur et, par après, la loi
applicable en la matière.
L'action est-elle de nature contractuelle ou
délictuelle? Je crois avoir déjà établi que l'admissi-
bilité du demandeur à la prime au bilinguisme
découlait de son emploi à titre de membre de la
fonction publique. Son droit repose donc sur son
emploi, ou plus précisément son contrat d'engage-
ment.
À cet égard, je note qu'il existe une distinction
entre le lien d'emploi visant les employés de la
Fonction publique, tel qu'énoncé à l'article 24 de
la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, et
celui régissant les membres de la GRC, énoncé à
l'article 13 de la Loi sur la Gendarmerie royale du
Canada. Ces dispositions se lisent comme suit:
24. Un employé occupe sa charge durant le bon plaisir de Sa
Majesté sous réserve de la présente loi et de toute autre loi ainsi
que des règlements établis sous leur régime et, à moins qu'une
autre période ne soit spécifiée, pendant une période
indéterminée.
13. (1) Les officiers de la Gendarmerie détiennent leurs
fonctions au gré du gouverneur en conseil.
(2) Sauf s'il est nommé pour une fonction temporaire,
chaque membre autre qu'un officier doit, lors de sa nomination,
signer un acte d'engagement pour une période n'excédant pas
cinq ans, mais un tel membre peut être congédié ou renvoyé par
le Commissaire en tout temps avant l'expiration de la durée de
son engagement. [C'est moi qui souligne.]
À mon sens la distinction s'avère significative.
Alors que la jurisprudence a établi qu'un membre
de la Fonction publique ne bénéficie pas d'un
contrat d'emploi du fait qu'il occupe sa charge au
bon plaisir de Sa Majesté 48 , les membres de la
GRC ne sont pas régis par une telle qualification
de leur emploi.
J'en conclus que l'engagement du demandeur
était de nature contractuelle, soit en vertu d'un
contrat n'excédant pas cinq ans, renouvelable et
effectivement renouvelé. C'est donc la prescription
gouvernant les contrats d'emploi qui sera applica
ble en l'espèce.
Le point de départ en matière de prescription
relatif à toute action devant la Cour fédérale est le
paragraphe 38(1) (maintenant le paragraphe
39(1)) de la Loi sur la Cour fédérale 49 qui dispose:
38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les
règles de droit relatives à - la prescription des actions en vigueur
entre sujets dans une province s'appliquent à toute procédure
devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend
naissance dans cette province et une procédure devant la Cour
relativement à une cause d'action qui prend naissance ailleurs
que dans une province doit être engagée au plus tard six ans
après que la cause d'action a pris naissance. [C'est moi qui
souligne.]
En l'espèce, alors que l'engagement du deman-
deur a eu lieu en Ontario, l'exécution du contrat
s'est déroulée au Québec.
Dans Essays on the Conflict of Laws 50 , Falcon-
bridge commente ainsi les facteurs pouvant déter-
miner la loi du contrat dans un tel cas (aux pages
378-379):
[TRADUCTION] Quant à l'importance relative du lieu de la
formation, du lieu de l'exécution et d'autres circonstances, aux
fins de déterminer le droit approprié applicable à un contrat,
l'extrait suivant du jugement rendu dans l'affaire Lloyd v.
Guibert ((1865), L.R. 1 Q.B. 115, à la p. 122) est typique et
fait l'objet d'une citation fréquente:
Toutefois, il est généralement convenu que le droit du lieu
où se forme le contrat est, de prime abord, celui que les
parties ont voulu, ou qu'on devrait présumer qu'elles ont
adopté pour servir de fondement à leurs relations, et que ce
droit devrait donc prévaloir en l'absence de circonstances
révélant une intention différente comme par exemple celle de
48 Long c. Canada (Conseil du Trésor) (1989), 27 F.T.R. 269
(C.F. 1" inst.); Evans c. Canada, T-1414-86, juge Dubé, ordon-
nance en date du 13-4-87, non publié; Phillips c. La Reine,
[1977] 1 C.F. 756 (1" inst.).
49 S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10 (L.R.C. (1985), chap.
F-7).
5° Toronto: Canada Law Book Co. Ltd., 1954.
décider que le contrat doit être intégralement exécuté ail-
leurs, ou que le contrat porte sur des biens immeubles situés
dans un autre pays et ainsi de suite; ces circonstances, bien
qu'on les considère parfois comme des règles distinctes,
semblent plus normalement être classées comme des excep
tions à la règle générale, en raison des circonstances révélant
l'intention d'être lié par un droit différent de celui du lieu de
la formation du contrat, laquelle intention se dégage de
l'objet et des circonstances du contrat, dans la mesure où
elles se rapportent à l'interprétation et à la détermination du
caractère de celui-ci.
Selon Westlake (Private International Law, Sème édition,
1912, aux pages 305-306], .on peut probablement dire que le
droit permettant de déterminer la valeur intrinsèque et les
effets d'un contrat sera désigné en Angleterre à la lumière des
considérations d'importance, la préférence étant donnée au
pays auquel l'opération se rapporte le plus réellement, et non au
droit du lieu du contrat en tant que tel». [C'est moi qui
souligne.]
À mon avis il découle du fait que l'exécution du
contrat du demandeur s'est effectuée presqu'entiè-
rement au Québec que la loi applicable en l'espèce
pour les fins de la prescription est celle du Québec,
et plus particulièrement l'article 2260(6) du Code
civil du Bas-Canada. Cet article prévoit que:
Art. 2260. L'action se prescrit par cinq ans dans les cas
suivants:
6. Pour louage d'ouvrage et prix du travail, soit manuel,
professionnel ou intellectuel, et matériaux fournis, sauf les
exceptions contenues aux articles qui suivent; [C'est moi qui
souligne.]
Selon Martineau 51 , la prescription prévue à l'ar-
ticle 2260(6) est celle de droit commun en matière
de louage d'ouvrage qui ne fait aucune distinction
entre les genres de louages d'ouvrage, et qui est
indifférente à la nature du travail. Le savant
auteur cite, à titre d'exemple, que les personnes
suivantes tombent sous le coup de cette prescrip
tion (à la page 294):
... les fonctionnaires, officiers et employés du gouvernement;
(Par ailleurs, si la loi du lieu de l'engagement
devait s'appliquer, le demandeur serait favorisé
puisque la Loi sur la prescription des actions 52
prescrit une période de six ans pour une action en
simple contrat en vertu de l'alinéa 45(1)g)).
51 La Prescription, Montréal: Les Presses de l'Université de
Montréal, 1977, p. 292-293.
52 L.R.O. 1980, chap. 240.
Ainsi, l'action ayant été intentée en novembre
1985, le demandeur est déchu de son droit à la
prime au bilinguisme pour les années 1976, 1977,
1978 et 1979 au service de la GRC. Par contre,
son droit est confirmé pour les années 1980 et
suivantes à la GRC et à l'emploi du Service.
12. Conclusion
Pour ces motifs, l'action est accueillie avec frais
et dépens. Il est déclaré que le demandeur a droit à
la prime au bilinguisme pour les années 1980 à
1988 inclusivement.
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