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T-2645-85
Yvon R. H. Gingras (demandeur) c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada (défenderesse)
RÉPERTORIÉ: GINGRAS c. CANADA (I N INST.)
Section de première instance, juge Dubé—Mont- réal, 28, 29 novembre 1989; Ottawa, 4 janvier 1990.
Contrôle judiciaire Recours en equity Jugements déclaratoires Une décision purement administrative peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire Elle doit se situer strictement dans le cadre de l'objet et de l'esprit de la loi La décision de refuser aux membres de la GRC la prime au bilinguisme, fondée sur le statut non civil, n'est pas rationnel- lement reliée au but recherché par la Loi sur les langues officielles Les autorités décisionnelles ont commis un abus de pouvoir et l'exclusion est illégale.
Langues officielles La prime au bilinguisme était-elle payable au demandeur lorsqu'il était membre de la GRC et est par la suite passé à l'emploi du SCRS? Il a réussi tous les tests relatifs au bilinguisme Il occupait au Québec des postes désignés bilingues La prime ne lui a pas été accordée au motif que ses prestations d'emploi ne comprenaient pas une telle prime La décision d'exclusion est illégale Le motif d'exclusion n'est pas relié au but recherché par la Loi sur les langues officielles et les politiques sur le bilinguisme.
GRC Un membre de la GRC s'est vu refuser la prime au bilinguisme en raison de son statut non civil Les motifs invoqués par le Commissaire ne sont ni justifiés ni détermi- nants Les employés de la GRC font partie de la Fonction publique en vertu de l'art. 2 de la L.R.T.F.P. et relèvent du Conseil du Trésor en tant qu'employeur.
Renseignement de sécurité Le directeur du SCRS a refusé à des employés, dont le demandeur, ancien membre de la GRC, la prime au bilinguisme Le SCRS ne relève pas du Conseil du Trésor puisqu'il est un employeur distinct en vertu de l'art. 2 de la L.R.T.F.P. C'est à tort qu'on a refusé la prime puisque le SCRS est lié par l'art. 9 de la Loi sur les langues officielles Ce n'est pas une justification que de dire que le demandeur ne recevait pas la prime alors qu'il travail- lait pour la GRC.
Droits de la personne Le demandeur a été membre de la GRC et il est par la suite passé à l'emploi du SCRS On lui a refusé la prime au bilinguisme La décision d'exclusion illégale reposait sur le statut non civil Y a-t-il eu discrimi nation au sens des art. 3, 7 et 10 de la Loi sur les droits de la personne ou de l'art. 15(1) de la Charte des droits et libertés? La discrimination reposant sur la catégorie d'emploi n'est pas un motif illicite en vertu de l'une ou de l'autre Loi.
Il s'agit d'une action en jugement déclarant que le deman- deur avait droit à la prime au bilinguisme créée en 1977 par le Conseil du Trésor et la Commission de la Fonction publique.
Le demandeur, qui a été membre de la GRC jusqu'en 1984 et qui est par la suite passé au Service canadien du renseigne- ment de sécurité («le Service») jusqu'à sa retraite en 1988, n'a jamais touché la prime au bilinguisme au motif que celle-ci n'était pas comprise dans ses prestations d'emploi. Le deman- deur était bilingue, il avait réussi tous les tests requis relative- ment au bilinguisme et il occupait au Québec des postes désignés bilingues.
Peu de temps après que le gouvernement eut introduit la prime au bilinguisme, le Commissaire de la GRC a établi une directive selon laquelle la nouvelle politique ne comprenait pas les membres de la GRC, que ce n'était pas l'intention du Conseil du Trésor de les inclure et que la GRC ne demanderait pas au Conseil du Trésor l'autorisation de verser la prime aux membres. Le directeur du Service avait pour politique de payer la prime au bilinguisme au personnel de soutien et non aux professionnels.
En l'espèce, il y a à trancher les questions suivantes: (1) Les autorités décisionnelles compétentes ont-elles abusé de leur pouvoir ou agi illégalement en excluant le demandeur du droit à la prime? (2) Y a-t-il eu, par suite de la décision d'exclure le demandeur, de la discrimination fondée sur l'origine nationale ou ethnique en vertu des articles 3, 7, 10 de la Loi sur les droits de la personne ou du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés? (3) Quel est le délai de prescription applicable en l'espèce?
Jugement: l'action devrait être accueillie.
(1) L'exclusion des membres de la GRC et du SCRS du paiement de la prime était illégale. Seuls le Conseil du Trésor à l'égard de la GRC et le directeur du Service à l'égard des membres du SCRS avaient le pouvoir d'accorder ou de refuser la prime au bilinguisme. Tous les employés de la GRC sont visés par la définition de «fonction publique» figurant à l'article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique et, puisque la GRC figure dans la Partie I de l'Annexe I, relèvent des pouvoirs du Conseil du Trésor en tant qu'em- ployeur, lesquels pouvoirs comprennent la détermination des conditions de travail, du traitement et d'autres récompenses financières en vertu de l'article 5 et des paragraphes 7(1) et 7(9) de la Loi sur l'administration financière. Les pouvoirs que le Commissaire tient de l'article 5 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ne permettent pas de déterminer des récom- penses. En vertu de l'article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, le Service est par définition un employeur distinct. En vertu de l'article 8 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, le directeur du Service a, sur les employés du SCRS, les mêmes pouvoirs que ceux du Conseil du Trésor sur les employés de la Fonction publique.
Une décision administrative discrétionnaire est susceptible de contrôle judiciaire et doit se situer strictement dans le cadre et l'esprit de la loi. L'objet de l'acte administratif visait la mise en place de politiques d'application générale sur le bilinguisme afin de promouvoir les buts de la Loi sur les langues officielles au sein de la Fonction publique. La prime au bilinguisme est une politique adoptée conformément à l'article 9 de la Loi sur les langues officielles. Les exclusions expresses confirmées par la Déclaration de politiques sont rationnellement reliées à l'administration financière de la politique sur le bilinguisme au sein de la Fonction publique, puisque les personnes exclues du
droit à la prime occupent des emplois d'une nature occasion- nelle ou temporaire ou sont nommées par le gouverneur en conseil. Les membres de la GRC n'occupent pas ce genre d'emploi. Leur exclusion, fondée sur leur statut non civil, constituait un motif qui ne se rapportait nullement aux politi- ques sur le bilinguisme. Il n'existe aucun lien rationnel entre cette exclusion et le but recherché.
Le directeur du Service, bien qu'il ne soit pas régi par les politiques sur le bilinguisme du Conseil du Trésor, est tenu, en vertu de l'article 9 de la Loi sur les langues officielles, de mettre en place des politiques sur le bilinguisme. Les motifs invoqués par le directeur ne répondent pas aux critères de légalité établis par la jurisprudence. N'est pas fondé l'argument selon lequel le paragraphe 66(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité constitue un empêche- ment au paiement de la prime au demandeur puisqu'il ne l'a pas reçue alors qu'il était membre de la GRC. Le paragraphe 66(2) détermine les avantages minimums auxquels le deman- deur avait droit après son transfert. Un droit acquis continue à être en vigueur.
(2) Il n'y a pas eu violation des articles 3, 7 ou 10 de la Loi sur les droits de la personne ni du paragraphe 15(1) de la Charte. La discrimination fondée sur la catégorie d'emploi n'est pas un motif de distinction illicite sous le régime de l'une ou de l'autre Loi.
(3) Puisque l'engagement du demandeur était de nature contractuelle et que l'exécution du contrat a eu lieu au Québec, le délai de prescription de cinq ans prévu à l'article 2260(6) du Code civil s'applique, et le demandeur est déchu de son droit d'intenter une action en recouvrement de la prime pour la période allant de 1976 à 1979. Son droit à la prime est confirmé pour les années 1980 à 1988, l'action ayant été intentée en 1985.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44], art. 15.
Code civil du Bas-Canada, art. 2260(6).
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, chap. 33, art. 3, 7, 10.
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), chap. H-6.
Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970 (2° Supp.), chap. 10, art. 38(1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 39(1).
Loi sur l'administration financière, S.R.C. 1970, chap. F-10, art. 5(1), 6, 7(1),(9).
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, S.R.C. 1970, chap. R-9, art. 5, 6(3), 7(1), 13, 21, 22.
Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), chap. R-10.
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), chap. F-11.
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, S.R.C. 1970, chap. P-32, art. 2(1), 24.
Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33.
Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, S.C. 1984, chap. 21, art. 8(1), 66(1),(2), 93, 94. Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. (1985), chap. C-23.
Loi sur les langues officielles, S.R.C. 1970, chap. O-2, art. 8(1), 9.
Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), chap. O-3. Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, art. 5(2).
Loi sur les relations de travail dans la Fonction publi- que, S.R.C. 1970, chap. P-35, art. 2, annexe I. Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-35.
Loi sur la prescription des actions, L.R.O. 1980, chap. 240, art. 45(1) g).
Règlements régissant les condtions d'emploi dans certai-
nes parties de la Fonction publique, DORS/67-118.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Morin c. Comité national chargé de l'examen des cas d'USD, [1985] 1 C.F. 3; (1985), 20 C.C.C. (3d) 123; 46 C.R. (3d) 238; 60 N.R. 121 (C.A.); Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689; Delany c. Le Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique, [1977] 1 C.F. 562; (1976), 13 N.R. 341 (C.A.); Prince George (Ville de) c. Payne, [1978] 1 R.C.S. 458; (1977), 75 D.L.R. (3d); [1977] 4 W.W.R. 275; 2 M.P.L.R. 162; 15 N.R. 386; R v Secretary of State for the Home Dept. ex p. Khan, [1985] 1 All ER 40 (C.A.); R. c. Turpin, [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 96 N.R. 115.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Bolling c. La Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1978] 1 C.F. 85; (1977), 77 D.L.R. (3d) 318 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Montréal (Ville de) c. Arcade Amusements Inc. et autres, [1985] 1 R.C.S. 368; (1985), 14 D.L.R. (4th) 161; 29 M.P.L.R. 220; 58 N.R. 339; Re Multi -Malls Inc. et al. and Minister of Transportation and Communications et al. (1976), 14 O.R. (2d) 49; 73 D.L.R. (3d) 18 (C.A.); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; 91 N.R. 255; Reference Re Workers' Compensation Act, 1983 (T.-N.), [1989] 1 R.C.S. 922; (1989), 96 N.R. 227.
DÉCISIONS CITÉES:
Reference as to the Validity of the Regulations in rela tion to Chemicals, [1943] R.C.S. 1; [1943] 1 D.L.R. 248; (1943), 79 C.C.C. 1; Oakwood Development Ltd. c. Municipalité rurale de St. François Xavier, [1985] 2 R.C.S. 164; (1985), 20 D.L.R. (4th) 641; [1985] 6 W.W.R. 147; 36 Man. R. (2d) 215; 18 Admin. L.R. 59; 31 M.P.L.R. 1; 61 N.R. 321; 37 R.P.R. 101; Vanguard
Coatings and Chemicals Ltd. c. M.R.N., [1987] 1 C.F. 367; (1986), 7 F.T.R. 11 (1`B inst.); Comm. de la Fonc- tion publique (Canada) c. Deans et Canada (Conseil du Trésor) (1988), 19 F.T.R. 97 (C.F. 1' inst.); Association des gens de l'Air du Québec c. L'honorable Otto Lang, [1977] 2 C.F. 22; (1977), 76 D.L.R. (3d) 455 (i` 0 inst.); conf. par [1978] 2 C.F. 371; (1978), 89 D.L.R. (3d) 495; 22 N.R. 328 (C.A.); Secretary of State for Education and Science v. Tameside Metropolitan Borough Council, [1977] A.C. 1014 (H.L.); Laker Airways Ltd v Depart ment of Trade, [1977] 2 All ER 182 (C.A.); Bullion c. La Reine et autre, [1980] 2 R.C.S. 578; Re Doctors Hospital and Minister of Health et al. (1976), 12 O.R. (2d) 164; 68 D.L.R. (3d) 220; 1 C.P.C. 232 (C. div.); Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354; The Way Biblical Research and Teaching Ministry of Canada c. La Commission de l'emploi et de l'immi- gration du Canada, [1983] 1 C.F. 467 ( P ° inst.); Foun tainhead Fun Centres Ltd. c. Montréal (Ville de), [1981] C.A. 468; (1981), 128 D.L.R. (3d) 579 (Qué.); Kruse v. Johnson, [1898] 2 Q.B. (c. div.); Re Liverpool Taxi Owners' Association, [1972] 2 All ER 589 (C.A.); O'Reilly v Mackman, [1982] 3 All ER 1124 (H.L.); A-G of Hong Kong v Ng Yuen Shiu, [1983] 2 All ER 346 (P.C.); Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; (1988), 53 D.L.R. (4th) 609; 88 N.R. 321; Ford c. Québec (Procu- reur général), [1988] 2 R.C.S. 712; Stoffman v. Vancou- ver General Hospital (1988), 49 D.L.R. (4th) 727; [1988] 2 W.W.R. 708; (1988), 21 B.C.L.R. (2d) 165 (C.A.); R. v. Hayden (1983), 3 D.L.R. (4th) 361; [1983] 6 W.W.R. 655; 23 Man. R. (2d) 315; 8 C.C.C. (3d) 33; 36 C.R. (3d) 187 (C.A.); Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada), [1989] 2 C.F. 245; (1988), 53 D.L.R. (4th) 384; 88 N.R. 6 (C.A.); Orphans v. Queen Mary's Col lege (1985), 62 N.R. 243 (H.L.); Veysey c. Canada (Service correctionnel), [1990] 1 C.F. 321 (P 0 inst.); Long c. Canada (Conseil du Trésor) (1989), 27 F.T.R. 269 (C.F. 1 00 inst.); Evans c. Canada (T-1414-86, juge Dubé, ordonnance en date du 13-4-87, non publié); Phil- lips c. La Reine, [1977] 1 C.F. 756 (1re inst.).
DOCTR IN E
Falconbridge, John Delatre. Essays on the Conflict of Laws, 2' éd. Toronto: Canada Law Book Co. Ltd., 1954.
Garant, Patrice. Droit administratif 2' éd. Montréal: Editions Yvon Blais, 1985.
Evans, J. M. et autres. Administrative Law Cases, Texts and Materials, 3' éd. Toronto: Emond Montgomery Publications Ltd., 1989.
Martineau, Pierre. La Prescription. Montréal: Les Pres ses de l'Université de Montréal, 1977.
Pépin, Gilles et Ouellette, Yves. Principes de Contentieux Administratif, 2` éd. Cowansville (Québec): Editions Yvon Blais, 1982.
Pigeon, Louis-Philippe. Rédaction et interprétation des lois. Québec: Éditeur officiel, 1978.
AVOCATS:
Julius H. Grey pour le demandeur. Raymond Fiché pour la défenderesse.
PROCUREURS:
Grey, Casgrain, Montréal, pour le deman- deur.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DusÉ: Par cette action le demandeur recherche une déclaration à l'effet qu'il a droit à la prime au bilinguisme établie par le Conseil du Trésor et la Commission de la Fonction publique en 1977.
1. Les faits pertinents
Le demandeur a été membre de la Gendarmerie royale du Canada (da GRC») du 16 août 1962 au 15 juillet 1984 et à cette date il est passé à l'emploi du Service canadien du renseignement de sécurité («le Service»). Il a pris sa retraite le 2 décembre 1988. Le demandeur est bilingue et a réussi tous les tests requis relativement à son bilinguisme. Il occupait au Québec des postes désignés comme étant bilingues. La prime ne lui a jamais été accordée au motif que son emploi n'a jamais com- pris la prime au bilinguisme en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada [S.R.C. 1970, chap. R-9] et de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité [S.C. 1984, chap. 21].
2. Les prétentions du demandeur
Le procureur du demandeur allègue que l'exclu- sion des membres de la GRC et des professionnels du Service constitue de la discrimination. Premiè- rement, parce qu'elle crée une distinction illégale en vertu des règles du droit administratif et, deuxièmement, parce qu'elle viole les droits de ces personnes en vertu des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne' et, depuis 1985, de l'article 15 de la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982,
1 S.C. 1976-77, chap. 33 (L.R.C. (1985), chap. H-6).
annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44]].
3. Les décisions d'exclusion
De prime abord, il n'est pas facile de déterminer qui a pris les décisions d'exclusion. S'agit-il du gouverneur en conseil, du Conseil du Trésor ou, d'une part, du Commissaire de la GRC et, par après, du directeur du Service? Avant de déchif- frer le chevauchement des lois pertinentes et l'en- chevêtrement des directives et circulaires appro- priées, je crois qu'il est à propos de citer un passage de la Directive du Commissaire R. H. Simmonds en date du 9 décembre 1977, adressée aux commandants des Divisions et touchant les langues officielles. Il est important de souligner que cette Directive a été émise peu après l'établis- sement de la politique révisée des langues officiel- les du Gouvernement du Canada, par le Conseil du Trésor et la Commission de la Fonction publique, laquelle inaugurait la prime en question:
4. Un des éléments majeurs des politiques revisées est la prime au bilinguisme, rétroactif au 1er novembre 1976, payable à tous les fonctionnaires qui rencontrent les exigences linguistiques des postes identifiés bilingues. Bien que les politiques revisées des langues officielles contiennent une autorité légale pour payer la prime aux fonctionnaires, cette autorité ne comprend pas les membres de la Gendarmerie, les Forces canadiennes et de certaines Sociétés de la Couronne et Agences. De plus, ce n'est pas de l'intention du Conseil du Trésor que cette autorité s'applique à ceux-ci. Des préparatifs sont maintenant en cours pour rémunérer les fonctionnaires de la Gendarmerie à cet effet. Sur ce sujet, la G.R.C. ne demandera pas l'autorité du Conseil du Trésor pour payer la prime aux membres pour plusieurs raisons:
a) les membres des autres corps policiers du Canada ne reçoivent pas de prime au bilinguisme, et vu que les recher- ches et négociations pour la rémunération des membres de la Gendarmerie sont reliées à celles des autres corps policiers, nous devons donc nous comparer à eux à cet égard.
b) dans une organisation cohérente telle que la Gendarme- rie, la rémunération d'une telle prime deviendrait un élément de division. Des situations pourraient survenir qui verraient des membres de même rang et responsabilités oeuvrer côte à côte et recevoir une rémunération différente qui serait due au fait qu'un ou plusieurs d'entre eux ont soit eu la chance de grandir dans un milieu favorable à l'apprentissage d'une deuxième langue officielle, ou encore ont eu la chance d'ap- prendre une deuxième langue aux frais du gouvernement.
J'examinerai plus loin les deux motifs invoqués par le Commissaire pour priver ses hommes de la prime au bilinguisme. Je veux simplement souli- gner pour le moment son énoncé à l'effet que la nouvelle politique sur le bilinguisme ne comprend pas les membres de la GRC, que ce n'est pas
l'intention du Conseil du Trésor de les inclure et que «la G.R.C. ne demandera pas l'autorité du Conseil du Trésor pour payer la prime aux membres».
Pour sa part, le directeur du Service a exposé sa politique en la matière dans une lettre du 5 mars 1985 adressée au procureur du demandeur. Il rap- pelle que le Conseil du Trésor n'est pas l'em- ployeur dans le cas du Service et que c'est lui- même, à titre de directeur, qui a décidé que la prime au bilinguisme sera payée au personnel de soutien mais non aux professionnels. Il ajoute que le demandeur, alors qu'il était au service de la GRC, n'avait pas droit à la prime et que le para- graphe 66(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité prévoit que les membres de la GRC devenus employés du Service ne per- dent pas l'équivalence des avantages attachés aux postes qu'ils détenaient.
4. Les lois applicables
Les allégations mises de l'avant par les deux parties au cours de l'audition portent sur les effets découlant des diverses législations visant la fonc- tion publique fédérale 2 en général, la GRC et le Service en particulier, et plus précisément, sur le statut et les droits du demandeur.
Pour mieux situer le contexte, il faut lire en même temps la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique 3 , la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique 4 , la Loi sur l'adminis- tration financière 5 , la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada 6 et la Loi sur le Service cana- dien du renseignement de sécurité'. À cette énu- mération déjà intéressante j'ajouterais la Loi sur les langues officielles', la Déclaration des politi- ques sur les langues officielles dans la Fonction
2 Connue maintenant sous la rubrique «administration publi- que fédérale».
3 S.R.C. 1970, chap. P-35 (L.R.C. (1985), chap. P-35).
° S.R.C. 1970, chap. P-32 (L.R.C. (1985), chap. P-33).
5 S.R.C. 1970, chap. F-10 (maintenant la Loi sur la gestion
des finances publiques, L.R.C. (1985), chap. F-11).
6 S.R.C. 1970, chap. R-9 (L.R.C. (1985), chap. R-10).
' S.C. 1984, chap. 21 (L.R.C. (1985), chap. C-23).
8 S.R.C. 1970, chap. O-2 (L.R.C. (1985), chap. O-3).
publique et la circulaire 1977-46 émises par le Conseil du Trésor et la Commission de la Fonction publique en septembre 1977 9 .
Après avoir révisé chacune de ces législations attentivement, à la lumière des arguments des deux parties, j'en suis venu à la conclusion que les dispositions nécessaires à la résolution du débat peuvent utilement être présentées et analysées de la façon suivante.
Premièrement, l'article 2 de la Loi sur les rela tions de travail dans la Fonction publique définit la plupart des termes pertinents en l'espèce. Cet article dispose 10 :
2. Dans la présente loi
«Fonction publique» désigne l'ensemble des postes qui sont compris dans un ministère, département ou autre élément de la fonction publique du Canada que spécifie à l'occasion l'annexe I ou qui en relèvent;
«employé» désigne une personne employée dans la Fonction publique, sauf
e) une personne qui est membre ou constable spécial de la Gendarmerie royale du Canada ou qui est employée par cette Gendarmerie à des conditions sensiblement les mêmes que celles qui s'appliquent à un de ses membres,
«employeur» désigne Sa Majesté du chef du Canada représentée,
a) dans le cas de tout élément de la fonction publique du Canada que spécifie la Partie I de l'annexe I, par le conseil du Trésor, et
b) dans le cas de tout élément de la fonction publique du Canada que spécifie la Partie II de l'annexe I, par l'em- ployeur distinct qui est en cause; [C'est moi qui souligne.]
L'article 93 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité a ajouté l'alinéa suivant aux exclusions de la définition d'«employé»:
2....
e.1) un employé du Service canadien du renseignement de sécurité qui ne fait pas partie de la catégorie du soutien administratif. [C'est moi qui souligne.]
L'annexe I auquel renvoie ces définitions énu- mère les éléments de la fonction publique à l'égard desquels, soit le Conseil du Trésor, à la Partie I, soit l'organisme lui-même, à la Partie II, est rem-
' Je réfère aux textes de loi en vigueur au cours de la période visée par la demande; les procureurs ont plutôt référé aux versions courantes.
10 L'ordre alphabétique a été ajusté.
ployeur. La GRC est inscrite à la Partie I, alors que le Service est l'un des organismes désignés à la Partie II comme étant un employeur distinct".
Le procureur de la défenderesse prétend qu'en vertu de l'alinéa e) précité des exclusions de la définition d'«employé», le Conseil du Trésor n'agis- sait pas comme employeur du demandeur alors qu'il était à la GRC. Telle n'est pas mon opinion. Par contre, il est constant qu'après son transfert au Service, il devenait un employé de celui-ci, un employeur distinct.
Je note particulièrement que ni l'alinéa a) de la définition d'«employeur», ni l'énumération à la Partie I de l'annexe I ne semble apporter une distinction entre le personnel civil et non civil de la GRC. De plus, la définition précitée d'«employeur» dit bien «tout élément» des organismes spécifiés à la Partie I de l'annexe I a le Conseil du Trésor comme employeur.
À mon avis, l'exclusion des membres non civils, non syndiqués, de la GRC pour les fins de l'appli- cation des dispositions générales de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique relève spécifiquement et uniquement de l'objet de celle-ci, à savoir l'encadrement des rapports collec- tifs de travail dans la Fonction publique. Cette exclusion n'a pas pour effet de soustraire ces mem- bres de la GRC de la définition de «Fonction publique».
D'ailleurs, ma conclusion ne va pas, à mon avis, à l'encontre de la décision de la Cour d'appel fédérale dans Bolling c. La Commission des rela tions de travail dans la Fonction publique 12 . Dans cette affaire, la Cour a décidé, dans des circons- tances très différentes de celles en l'espèce, que les membres des forces armées canadiennes n'étaient pas visés par la définition de «Fonction publique» dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Contrairement à la GRC, les forces armées ne sont pas un des organismes énu- mérés à l'annexe I de cette Loi.
La définition de «Fonction publique» au para- graphe 2(1) de la Loi sur l'emploi dans la Fonc- tion publique réfère à la définition précitée dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction
11 Art. 94, Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.
12 [1978] 1 C.F. 85; (1977), 77 D.L.R. (3d) 318 (C.A.).
publique. Par contre, la définition d'employé» est différente et se lit comme suit:
2. (1) ...
«employé» désigne une personne employée dans une partie de la Fonction publique relativement à laquelle la Commission possède de façon exclusive le droit et l'autorité de faire des nominations; [C'est moi qui souligne.]
Cette définition exclut le demandeur dont la nomination relevait, dans un premier temps, du Commissaire de la GRC ' 3 , et dans un deuxième temps, du Directeur du Service 14 , et non de la Commission de la Fonction publique.
Toutefois, je ne considère pas que cette exclu sion affecte son appartenance à la Fonction publi- que telle que définie dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. En effet, tel qu'attestent les deux définitions précitées, il m'ap- paraît évident que la portée des termes «Fonction publique» et «fonction publique» varie selon les lois et en fonction de leurs objets précis. Donc, une exclusion pour les fins d'une loi ou l'autre ne modifie pas le fait que le demandeur demeure visé par la Partie I de l'annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique.
Par ailleurs, la Loi sur l'administration finan- cière détermine les responsabilités, fonctions et pouvoirs du Conseil du Trésor relativement aux membres de la fonction publique. Le paragraphe 5(1) définit les responsabilités générales comme suit:
5. (1) Le conseil du Trésor peut agir au nom du Conseil privé de la Reine pour le Canada relativement à toute question concernant
a) la politique administrative générale suivie dans la fonction publique du Canada;
6) l'organisation de la fonction publique ou de l'un de ses éléments, et la détermination et le contrôle des établisse- ments qui en font partie;
e) la direction du personnel de la fonction publique, notam- ment la fixation des conditions d'emploi des personnes qui y sont employées; et
J) toute autre question que le gouverneur en conseil peut lui soumettre.
13 Par. 7(1) Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.
14 Par. 8(1) Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.
Les pouvoirs et fonctions sont énumérés plus précisément au paragraphe 7(1), qui prévoit, en partie:
7. (1) Sous réserve des dispositions de tout texte législatif concernant les pouvoirs et fonctions d'un employeur distinct, mais nonobstant quelque autre disposition contenue dans tout texte législatif, le conseil du Trésor peut, dans l'exercice de ses fonctions relatives à la direction du personnel de la fonction publique, notamment ses fonctions en matière de relations entre employeur et employés dans la fonction publique, et sans limiter la généralité des articles 5 et 6,
a) déterminer les effectifs nécessaires à la fonction publique et assurer la répartition et la bonne utilisation des effectifs au sein de la fonction publique;
b) déterminer les besoins quant à la formation et au perfec- tionnement du personnel dans la fonction publique et fixer les conditions auxquelles cette formation et ce perfectionnement peuvent être assurés;
c) prévoir la classification des postes et des employés au sein de la fonction publique;
d) déterminer et réglementer les traitements auxquels ont droit les personnes employées dans la fonction publique en retour des services rendus, la durée du travail et les congés de ces personnes ainsi que les questions connexes;
e) prévoir les récompenses qui peuvent être accordées aux personnes employées dans la fonction publique pour leurs services exceptionnels, pour d'autres réalisations méritoires en rapport avec leurs fonctions et pour des inventions ou propositions pratiques d'améliorations;
i) régler toutes les autres questions, notamment les condi tions de travail non autrement prévues de façon expresse par le présent paragraphe, que le conseil du Trésor estime néces- saires à la direction efficace du personnel de la fonction publique. [C'est moi qui souligne.]
Le paragraphe 7(9) dispose que, pour les fins de
cet article:
7....
(9) Dans le présent article
«fonction publique» a le sens que la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique confère à l'expression «Fonction publique»; elle comprend tout élément de la fonc- tion publique du Canada désigné par le gouverneur en conseil comme partie de la fonction publique aux fins du présent article;
Si mon interprétation à l'effet que l'ensemble du personnel de la GRC est visé par la définition de «Fonction publique» dans la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique est bien fondée, il s'ensuit qu'il est également visé par les pouvoirs du Conseil à l'égard de la fonction publi- que. Donc, alors qu'il était membre de la GRC, le demandeur était, à mon avis, un employé du Con- seil du Trésor, lequel pouvait déterminer ses condi tions d'emploi, son traitement et autres récompen- ses monétaires.
D'ailleurs, si nécessaire, l'article 22 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada constitue une deuxième habilitation statutaire conférant expres- sément au Conseil le pouvoir d'établir la rémuné- ration à être versée à la GRC:
22. (1) Le Conseil du Trésor doit établir la solde et les allocations à verser aux membres de la Gendarmerie.
Contrairement aux prétentions de la défende- resse, je ne considère pas que cette disposition soit essentielle pour établir que le Conseil était l'em- ployeur du demandeur: des dispositions analogues se retrouvent dans d'autres législations visant des organismes énumérés à la Partie I de l'annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique 15 l'employeur est déjà désigné comme étant le Conseil du Trésor.
Le paragraphe 8(1) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité confère au directeur du Service des pouvoirs sur ses employés analogues à tous égards à ceux du Conseil du Trésor sur les autres employés de la fonction publique:
8. (1) Par dérogation à la Loi sur l'administration finan- cière et à la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, le directeur a le pouvoir exclusif de nommer les employés et, en matière de gestion du personnel du Service, à l'exception des personnes affectées au Service ou détachées auprès de lui à titre d'employé:
a) de déterminer leurs conditions d'emploi;
b) sous réserve des règlements:
(i) d'exercer les pouvoirs et fonctions conférés au Conseil du trésor en vertu de la Loi sur l'administration financière en cette matière,
(ii) d'exercer les pouvoirs et fonctions conférés à la Com mission de la Fonction publique en vertu de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. [C'est moi qui souligne.]
Je ne souscris pas à l'argument du procureur du demandeur voulant que cette dérogation ne com- prenne pas la rémunération: il n'y a ni ambiguïté ni matière à interprétation dans cette disposition, laquelle constitue, sans aucun doute, le genre de dérogation permise expressément au paragraphe introductif du paragraphe 7(1) précité de la Loi sur l'administration financière.
L'exercice du pouvoir du directeur est cependant limité par l'article 66 de la Loi sur le Service
15 Ex: Loi sur les pénitenciers, S.R.C. 1970, chap. P-6, par. 5(2).
canadien du renseignement de sécurité, disposition transitoire de la loi constitutive du Service, lequel stipule:
66. (1) Sous réserve du paragraphe (5), les personnes sui- vantes affectées aux services de sécurité deviennent employés à l'entrée en vigueur du présent article:
a) les officiers et les membres de la Gendarmerie;
b) les personnes nommées ou employées en vertu de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique.
(2) Le paragraphe (1) ne porte pas atteinte à l'équivalence des avantages attachés aux postes des personnes qu'il vise, sous réserve des éventuelles modifications consécutives aux conven tions collectives ou, dans le cas des personnes qui ne sont pas représentées par un agent négociateur, à une décision du Ser vice. [C'est moi qui souligne.]
Les mots soulignés se lisent ainsi dans le texte
anglais:
66. ...
(2) Every person mentioned in subsection (I) continues, on the coming into force of this section, to have employment benefits equivalent to those that the person had immediately prior thereto ... [C'est moi qui souligne.]
Ainsi, l'autorité du Service, en tant qu'em- ployeur distinct, en ce qui concerne toute rémuné- ration du demandeur, se substitue, à partir de la fin 1984, celle détenue auparavant par le Conseil du Trésor, sous réserve du paragraphe 66(2) pré- cité. Le demandeur transportait donc avec lui au Service les mêmes avantages qu'il détenait à la GRC.
Par ailleurs, l'autorité du Commissaire de la GRC est moins étendue que celle du directeur du service. À part celle de nommer les membres autres que les officiers de la Force 16 , elle est décrite en termes généraux aux articles 5 et 21 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, lesquels disposent:
5. Le gouverneur en conseil peut nommer un officier, appelé commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, qui, sous la direction du Ministre, est investi de l'autorité sur la Gendarme- rie et de la gestion de toutes les matières s'y rattachant.
21. (1) Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements sur l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'efficacité, l'ad- ministration et le bon gouvernement de la Gendarmerie et, en général, sur la réalisation des objets de la présente loi et la mise à exécution de ses dispositions.
16 Le gouverneur en conseil nomme les officiers: par. 6(3).
(2) Sous réserve de la présente loi et des règlements établis en conformité du paragraphe (1), le Commissaire peut édicter des règles, appelées «ordres permanents», visant l'organisation, l'entraînement, la discipline, l'efficacité, l'administration et le bon gouvernement de la Gendarmerie.
À mon sens, ce pouvoir conféré au Commissaire d'édicter des «ordres permanents" ne lui permet pas de statuer sur la rémunération des membres de la GRC, cette matière relevant de la juridiction exclusive du Conseil du Trésor.
Ce survol des relations statutaires complexes entre les différents organismes et institutions de la fonction publique me porte à conclure que seuls le Conseil du Trésor, et par après le directeur du Service, détenaient un pouvoir décisionnel quant à la rémunération du demandeur, y inclus le pouvoir d'accorder ou de refuser la prime au bilinguisme.
5. La prime au bilinguisme
Quant à la prime au bilinguisme, elle a été inscrite dans le cadre des politiques adoptées par la Fonction publique afin de respecter les obligations énoncées à l'article 9 de la Loi sur les langues officielles, lequel se lit comme suit:
9. (I) Il incombe aux ministères, départements et organis- mes du gouvernement du Canada, ainsi qu'aux organismes judiciaires, quasi-judiciaires ou administratifs ou aux corpora tions de la Couronne créés en vertu d'une loi du Parlement du Canada, de veiller à ce que, dans la région de la Capitale nationale d'une part et, d'autre part, au lieu de leur siège ou bureau central au Canada s'il est situé à l'extérieur de la région de la Capitale nationale, ainsi qu'en chacun de leurs principaux bureaux ouverts dans un district bilingue fédéral créé en vertu de la présente loi, le public puisse communiquer avec eux et obtenir leurs services dans les deux langues officielles.
(2) Tout ministère, département, et organisme du gouverne- ment du Canada et tout organisme judiciaire, quasi-judiciaire ou administratif ou toute corporation de la Couronne créés en vertu d'une loi du Parlement du Canada ont, en sus du devoir que leur impose le paragraphe (1), mais sans y déroger, le devoir de veiller, dans la mesure il leur est possible de le faire, à ce que le public, dans des endroits autres que ceux mentionnés dans ce paragraphe, lorsqu'il y a de sa part demande importante, puisse communiquer avec eux et obtenir leurs services dans les deux langues officielles.
Comme on l'a vu, la prime au bilinguisme dans sa forme actuelle, n'a été introduite qu'en 1977, lors d'une révision importante des politiques sur le bilinguisme dans la Fonction publique entreprise conjointement par le Conseil du Trésor et la Com mission de la Fonction publique. La prime au bilinguisme est prévue à la Déclaration de politi-
ques sur les langues officielles publiée par le Con- seil du Trésor et la Commission de la Fonction publique en septembre 1977. Le paragraphe sui- vant indique quels employés sont admissibles à la prime:
La Prime au bilinguisme sera payable à tous les employés admissibles dont le Conseil du Trésor est l'employeur et à ceux qui ont été nommés en vertu d'un décret du Gouverneur en conseil, lorsqu'ils occupent un poste désigné bilingue et que, selon le jugement de la Commission de la Fonction publique, ils satisfont aux exigences établies de compétence linguistique du poste ". [C'est moi qui souligne.]
Dans la circulaire 1977-46 émise le 30 septem- bre 1977, laquelle résume l'essentiel de la Déclara- tion précitée, le champ d'application est défini comme suit:
La présente circulaire s'applique à tous les ministères et orga- nismes énumérés dans la Partie I, Annexe I, de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique. Elle s'applique également aux corporations de la Couronne énumérées aux Annexes «B» et «C» de la Loi sur l'administration financière. [C'est moi qui souligne.]
Donc, prima facie, le demandeur, qui occupait un poste désigné bilingue et dont l'employeur était le Conseil du Trésor, avait droit à la prime au bilinguisme alors qu'il était membre de la GRC, sous réserve d'avoir été exclu expressément, ou par implication nécessaire, par une autorité compé- tente.
Les exceptions à l'application de la politique sur la prime au bilinguisme sont énumérées dans la Déclaration de politiques sur les langues officielles. Je cite intégralement (aux pages 144-145):
En dérogation de l'article 1, la Prime au bilinguisme ne sera pas payable:
a) aux employés du Groupe de la traduction, sauf ceux dont le poste a été désigné bilingue pour des raisons autres que celles qui ont trait à l'exécution ou à la surveillance des fonctions qui sont énumérées à la partie «inclusion» de la définition dudit groupe;
b) aux employés qui continueront de toucher la prime gelée de rémunération du groupe ST, conformément aux stipula tions mentionnées au paragraphe 15 de la présente section de politique;
c) aux personnes nommées par le gouverneur en conseil au niveau SX -4 ou à un niveau salarial équivalent à celui de SX -4 ou à un niveau plus élevé;
d) aux catégories de personnes suivantes:
i) personnes recrutées sur place à l'étranger;
" Les langues officielles dans la Fonction publique du Canada, Déclaration de politiques, septembre 1977, politique IV.19, p. 144.
ii) personnes dont la rémunération pour l'exécution des fonctions régulières d'un poste consiste en émoluments, ou en fonction des recettes du bureau elles occupent un poste;
iii) personnes qui ne sont pas habituellement tenues de travailler plus d'un tiers du temps ordinaire exigé des personnes qui font un travail semblable;
iv) personnes embauchées sur une base occasionnelle ou temporaire sauf si elles ont été ainsi nommées pour une période excédant six mois;
y) personnes embauchées en vertu d'un contrat de services professionnels ou personnels.
Tel qu'il appert, ces exceptions ne comprennent pas la GRC et aucune modification subséquente n'a visé directement les membres non civils de la GRC (En 1978, les personnes nommées par le gouverneur en conseil ont été déclarées inaptes à recevoir la prime, mais cette modification ne vise pas les membres de la GRC autres que les offi- ciers.) Ces membres sont-ils exclus par implication nécessaire découlant de la révision des lois préci- tées? Je crois avoir démontré que tel n'était pas le cas.
Pour sa part, le Service, en tant qu'employeur distinct, n'est pas soumis aux politiques du Conseil du Trésor. En conséquence, la politique sur la prime au bilinguisme adoptée par le directeur du Service est distincte de celle déjà considérée. Au Service, l'exclusion du demandeur est explicite, tel qu'attestent la lettre du directeur citée au début de ces motifs, ainsi que l'article 12 du chapitre 11.4 sur la Rémunération et Avantages, extrait des politiques internes au sein du Service. Cet article se lit ainsi:
12. La prime au bilinguisme est accordée seulement aux employés qualifiés, occupant des postes désignés dans la catégo- rie du Soutien administratif.
Ces exclusions, implicite de la part du Conseil du Trésor et explicite de la part du directeur du Service, sont-elles illégales ou discriminatoires, comme le prétend le procureur du demandeur?
6. L'illégalité des exclusions
Tel que mentionné au départ, le procureur du demandeur prétend, dans un premier temps, que la distinction opérée par l'exclusion, autorisée d'une part par le Conseil du Trésor et d'autre part par le Directeur du Service, est illégale en vertu des principes fondamentaux du droit administratif. Il cite à l'appui de cette proposition un arrêt de la Cour suprême du Canada, Montréal (Ville de) c.
Arcade Amusements Inc. et autres 18 , il s'agis- sait d'un règlement municipal concernant les appa- reils et les salles d'amusement et interdisant les jeunes de moins de 18 ans. La Cour devait déter- miner si ce règlement était discriminatoire. À cet égard, le juge Beetz disait la page 404):
La règle selon laquelle le pouvoir de faire des règlements ne comporte pas celui d'édicter des dispositions discriminatoires à moins que les textes législatifs habilitants ne prescrivent le contraire a été observée de temps immémorial en droit public anglais et canadien.
À la page 406, il cite avec approbation un commentaire du juge Louis-Philippe Pigeon 19 fondé sur un principe énoncé dans Kruse v. Johnson 20 :
Il est une autre observation importante à faire sur la question du pouvoir de réglementation. C'est la suivante: le pouvoir de faire des règlements ne permet pas d'établir des dispositions discriminatoires. Autrement dit, un règlement doit, à moins que le texte qui l'autorise dise le contraire, s'appliquer à tout le monde de la même façon. Si l'on veut pouvoir faire des distinctions il faut le dire. Une des décisions intéressantes sur ce point, c'est Rex. v. Paulowich, [1940] 1 W.W.R. 537. 11 y en a quantité d'autres.
Et finalement, à la page 413:
Il faut tenir qu'à moins de dispositions explicites au contraire ou de délégation implicite faite par voie d'inférence nécessaire, le législateur souverain s'est réservé à lui-même le pouvoir important de restreindre les droits et libertés des citoyens en fonction de distinctions aussi délicates. Le principe transcende les cadres du droit administratif et du droit municipal. C'est un principe de liberté fondamentale.
Pour sa part, le procureur de la défenderesse affirme qu'il faut différencier entre une décision administrative et le genre de règlement visé par l'arrêt Arcade Amusements. La seule preuve écrite d'une décision de la part du Conseil du Trésor produite à l'audition est la directive précitée du Commissaire. À mon sens, quelle que soit la for- mule directive, la décision doit rencontrer certains critères de légalité, aucun pouvoir discrétionnaire n'étant absolu 21 . D'ailleurs, tout acte de l'Adminis-
18 [1985] 1 R.C.S. 368; (1985), 14 D.L.R. (4th) 161; 29 M.P.L.R. 220; 58 N.R. 339.
19 Rédaction et interprétation des lois, 1978, la p. 34.
20 [1898] 2 Q.B. 91 (C. div.).
21 Garant, P. Droit administratif, 2' éd. Montréal, Éditions Yvon Biais, 1985, p. 257-258; Pépin et Ouellette, Principes de Contentieux Administratif éd. Cowansville, Éditions Yvon Biais, 1982, p. 263-264; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121; (1959), 16 D.L.R. (2d) 689, la p. 140 R.C.S.
tration ne tire sa seule force que d'une loi 22 .
Ce qu'il faut reconnaître, à mon avis, c'est que les pouvoirs étendus du Conseil du Trésor 23 lui permettent de définir le champ d'application, ainsi que les exclusions de ses propres politiques, en autant qu'il agit à l'intérieur de sa juridiction, et sujet évidemment aux contestations possibles par les administrés affectés. Je réfère, à titre d'exem- ple, aux Règlements régissant les conditions d'em- ploi dans certaines parties de la Fonction publique 24 , le champ d'application est défini comme suit:
Annexe A
1. Les différents postes faisant partie ou relevant des
a) ministères et départements mentionnés à l'Annexe A de la Loi sur l'administration financière, et
b) éléments de la Fonction publique du Canada mentionnés à la Partie I de l'Annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique,
auxquels la Commission de la Fonction publique a exclusive- ment le droit et le pouvoir de nommer des personnes. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, le Conseil n'a pas restreint l'appli- cation de ses politiques sur le bilinguisme en procé- dant de cette façon. Il a choisi plutôt d'exclure certaines personnes, ou certains groupes, du droit à la prime au bilinguisme, un programme pourtant essentiel à l'épanouissement de ses politiques. La GRC n'a jamais été un groupe expressément exclu desdites politiques.
La question est donc de savoir si le Conseil jouit d'une discrétion telle qu'il peut, avec impunité, passer outre ses propres politiques en imposant une exclusion «officieuse», qui n'a jamais été énoncée dans cette politique. En d'autres mots, le Conseil a-t-il abusé de ses pouvoirs et donc agi illégalement?
Le directeur du Service, pour sa part, dispose des mêmes pouvoirs que le Conseil, et est soumis aux mêmes principes régissant leur exercice: il
22 Garant, P., op. cit., p. 261-262; Reference as to the Vali dity of the Regulations in relation to Chemicals, [1943] R.C.S. 1; [1943] 1 D.L.R. 248; (1943), 79 C.C.C. 1, à la p. 13 R.C.S.
23 À ceux déjà signalés s'ajoutent les pouvoirs réglementaires énumérés à l'art. 6 de la Loi sur l'administration financière.
24 DORS/67-118; TB 665757 [Règlement sur les conditions d'emploi dans la Fonction publique]; (maintenant chap. 2-1, vol. 8, Manuel de gestion du personnel, Secrétariat du Conseil du Trésor du canada, p. A69*).
s'agit dans son cas de déterminer si l'adoption d'une politique expresse d'exclusion au sein du Service constitue, elle aussi, un abus de son pou- voir et donc un acte illégal.
La jurisprudence reconnaît que l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par une autorité adminis trative n'est pas à l'abri de la révision judiciaire 25 .
Dans Morin c. Comité national chargé de l'exa- men des cas d'USD 26 la Cour d'appel fédérale, citant le droit anglais d'où émane la plupart des règles de base en droit administratif, a résumé les principes applicables comme suit (aux pages 18-19):
. le contrôle judiciaire des actes purement administratifs, si limité soit-il, n'en existe pas moins. C'est l'arrêt Padfield and Others v. Minister of Agriculture, Fisheries and Food, [1968] A.C. 997 (H.L.) qui fait autorité dans ce domaine du droit administratif. Dans cette affaire, la Chambre des lords a jugé que le pouvoir discrétionnaire du Ministre de nommer un comité d'enquête sur des plaintes n'était pas illimité et que les motifs qu'il avait fournis pour justifier son refus indiquaient qu'il avait outrepassé ses pouvoirs en tenant compte de facteurs n'ayant aucune pertinence en droit et en faisant usage de son autorité pour faire échec à la politique établie dans la loi en question. Quatre des cinq lords saisis de l'affaire sont allés jusqu'à dire que, même si le Ministre n'avait pas fourni de motifs pour justifier sa décision, dès que l'existence d'un cas d'abus de pouvoir était établie prima facie, la Cour pouvait en déduire qu'il avait agi illégalement.
Lord Upjohn, qui faisait partie de la majorité, a peut-être fait dans cet arrêt l'exposé le plus clair du droit applicable en matière de contrôle judiciaire la page 1058):
[TRADUCTION] Il est donc clair que le Ministre possède un pouvoir discrétionnaire et que la véritable question soumise à cette Chambre est de savoir dans quelle mesure ce pouvoir discrétionnaire est soumis au contrôle judiciaire.
Il est possible, aux fins du présent appel, d'énoncer avec suffisamment de précision ce qui constitue un comportement illégal de la part du Ministre (et ici j'adopte la classification proposée par le juge en chef, lord Parker, de la Cour division- naire): a) le fait de refuser catégoriquement d'examiner une
25 Oakwood Development Ltd. c. Municipalité rurale de St. François Xavier, [1985] 2 R.C.S. 164; (1985), 20 D.L.R. (4th) 641; [1985] 6 W.W.R. 147; 36 Man. R. (2d) 215; 18 Admin. L.R. 59; 31 M.P.L.R. 1; 61 N.R. 321; 37 R.P.R. 101, à la p. 174 R.C.S.; Vanguard Coatings and Chemicals Ltd. c. M.R.N., [1987] 1 C.F. 367; (1986), 7 F.T.R. 11 (1'° inst.), à la p. 377 C.F.; Comm. de la Fonction publique (Canada) c. Deans et Canada (Conseil du Trésor) (1988), 19 F.T.R. 97 (C.F. 1' inst.), à la p. 99; Association des gens de l'Air du Québec c. L'honorable Otto Lang, [1977] 2 C.F. 22; (1977), 76 D.L.R. (3d) 455 (1' inst.), à la p. 38 C.F., confirmé par [1978] 2 C.F. 371; (1978), 89 D.L.R. (3d) 495; 22 N.R. 328 (C.A.).
26 [1985] 1 C.F. 3; (1985), 20 C.C.C. (3d) 123; 46 C.R. (3d) 238; 60 N.R. 121 (C.A.).
question pertinente, ou b) le fait de se donner des directives erronées sur un point de droit, ou c) le fait de tenir compte d'un facteur complètement dénué de pertinence ou n'ayant aucun rapport avec la question, ou d) le fait de négliger complètement de tenir compte d'un facteur pertinent. [C'est moi qui souligne.]
Les cours canadiennes à tous les niveaux ont réaffirmé à maintes reprises les critères interdé- pendants élaborés dans Padfield". À l'instar de la Chambre des lords, elles ont également conclu qu'une autorité administrative abuse de son pou- voir lorsqu'elle agit pour des fins impropres, autres que celles prévues par la loi 28 , ou selon des princi- pes erronés ou en tenant compte des considérations étrangères à la loi et non pertinentes 29 , ou en omettant de tenir compte des considérations pertinentes 30 , ou de façon arbitraire, déraisonnable ou discriminatoire 31 .
En l'espèce, je dois déterminer si les décisions d'exclusion rendues par le Conseil du Trésor et le directeur du Service ont été ainsi viciées. À mon avis, les critères ci-dessus énumérés reposent essen- tiellement sur la notion qu'une décision adminis trative discrétionnaire doit se situer strictement dans le cadre de l'objet et de l'esprit de la loi. Tel qu'a affirmé le juge Rand dans Roncarelli v. Duplessis 32 la page 140):
27 Voir aussi Secretary of State for Education and Science v. Tameside Metropolitan Borough Council, [ 1977] A.C. 1014 (H.L.); Laker Airways Ltd v Department of Trade, [1977] 2 All ER 182 (C.A.).
28 Roncarelli c. Duplessis, supra, note 21; Bullion c. La Reine et autre, [1980] 2 R.C.S. 578, à la p. 580; Prince George (Ville de) c. Payne, [1978] 1 R.C.S. 458; (1977), 75 D.L.R. (3d); [1977] 4 W.W.R. 275; 2 M.P.L.R. 162; 15 N.R 386; à la p. 463 R.C.S.; Delany c. Le Comité d'appel de la Comm. de la Fonction publique, [1977] 1 C.F. 562; (1976), 13 N.R. 341 (C.A.), à la p. 568 C.F.; Re Doctors Hospital and Minister of Health et al. (1976), 12 O.R. (2d) 164; 68 D.L.R. (3d) 220; 1 C.P.C. 232 (Div. Ct.), aux p. 174-176 O.R.
29 Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; (1982), 137 D.L.R. (3d) 558; 44 N.R. 354, à la p. 7 R.C.S.; The Way Biblical Research and Teaching Ministry of Canada c. La Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, [1983] 1 C.F. 467 (1" inst.), aux p. 470-471; Re Multi -Malls Inc. et al. and Minister of Transpor tation and Communications et al. (1976), 14 O.R. (2d) 49; 73 D.L.R. (3d) 18 (C.A.), aux p. 62-64 O.R.
30 Oakwood Development Ltd. c. Municipalité rurale de St. François Xavier, précité, note 25, la p. 174.
31 Bullion c. La Reine et autre, précité, note 28; Fountain head Fun Centres Ltd. c. Montréal (Ville de), [1981] C.A. 468; (1981), 128 D.L.R. (3d) 579 (Qué.), aux p. 485-486 (C.A.).
32 Précité, note 21.
[TRADUCTION] La décision de refuser ou d'annuler un tel privilège relève de la «discrétion» de la Commission; mais cela signifie que cette décision doit reposer sur l'examen de facteurs qui se rapportent à l'objet de l'administration.
Dans une réglementation publique de cette nature, il n'y a rien de tel qu'une «discrétion» absolue et sans entraves, c'est-à- dire celle l'administrateur pourrait agir pour n'importe quel motif ou pour toute raison qui se présenterait à son esprit; une loi ne peut, si elle ne l'exprime expressément, s'interpréter comme ayant voulu conférer un pouvoir arbitraire illimité pouvant être exercé dans n'importe quel but, si fantaisiste et hors de propos soit-il, sans avoir égard à la nature ou au but de cette loi ... La «discrétion» implique nécessairement la bonne foi dans l'exercice d'un pouvoir public. Une loi doit toujours s'entendre comme s'appliquant dans une certaine optique. [C'est moi qui souligne.]
J'ai déjà remarqué que la preuve documentaire de la décision du Conseil est limitée aux «explica- tions» du Commissaire Simmonds contenues dans la Directive de décembre 1977.
Selon le témoignage, non contredit, de monsieur Gaston Guénette, un responsable des politiques sur les langues officielles du Secrétariat du Conseil du Trésor, aucun arrêté ministériel n'a décrété l'ex- clusion des membres non civils de la GRC du paiement de la prime: la décision provenait du Cabinet et a été communiquée à la GRC par le Conseil. Ce témoin a également déclaré qu'il avait vu aux dossiers du Conseil des notes à l'effet que le Commissaire Simmonds se serait prononcé contre le paiement de la prime à ses membres. De fait, les motifs invoqués par ce dernier au soutien du non- paiement laissent peu de doute à cet égard.
La jurisprudence a également établi qu'une décision prise sous la dictée d'un tiers est invalide 33 . La décision du Conseil a-t-elle été influencée par les opinions, ou craintes, ou pres- sions du Commissaire? À la suite du témoignage de monsieur Guénette, il y a lieu de croire que le Commissaire a sûrement participé à la décision en cause. Il ne s'agit cependant que l'un des fac- teurs à évaluer pour déterminer si la décision était basée sur des considérations pertinentes à l'objet de l'acte administratif au sens soulevé dans Ron- carelli précité.
33 Roncarelli v. Duplessis, précité, note 21; Re Multi -Malls Inc. et al. and Minister of Transportation and Communica tions et al., précité, note 29.
L'objet de l'acte administratif dans le cas pré- sent (élaboré en fonction des pouvoirs conférés par la Loi sur l'administration financière) était la mise en place de politiques d'application générale sur le bilinguisme afin de promouvoir les buts de la Loi sur les langues officielles au sein de la fonc- tion publique. Du point de vue administratif, l'arti- cle 9 précité de cette Loi visant l'épanouissement du bilinguisme permettait l'élaboration de telles politiques, dont la prime faisait partie.
Cette constatation quant à l'objet de l'acte administratif est confirmée par la Déclaration de politiques précitée de septembre 1977, le Con- seil du Trésor et la Commission de la Fonction publique ont défini les objectifs des politiques sur les langues officielles comme suit (aux pages 1 et 2):
1. Les Canadiens doivent avoir la possibilité de communiquer avec les organismes fédéraux et d'en recevoir les services sollici- tés dans la langue officielle de leur choix; des mesures doivent être prises à cet effet chaque fois que la demande est suffisante;
2. Compte tenu du principe précédent, les Canadiens des deux principaux groupes linguistiques du pays doivent jouir des mêmes possibilités d'emploi et de carrière dans l'administration fédérale et doivent pouvoir y travailler dans la langue officielle de leur choix;
3. Les deux principaux groupes linguistiques du pays doivent être représentés équitablement dans les services fédéraux.
Afin de rencontrer ces trois objectifs, certaines lignes directri- ces de politique doivent être formulées pour déterminer dans quelles circonstances on utilisera l'une ou l'autre langue offi- cielle, ou les deux, au sein de la Fonction publique. Les lignes directrices relatives à la langue d'usage quant au service au public découlent des dispositions de la Loi sur les langues officielles.
Voilà le cadre dans lequel se situait la prime au bilinguisme.
Dans Delanoy c. Le Comité d'appel de la Comm. de la Fonction publique 34 , la Cour d'appel fédérale avait à déterminer si une exigence établie par la Commission était reliée à la sélection selon le mérite, un principe de base dans la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. La Cour s'est prononcée en ces termes la page 568):
34 Précité, note 28; voir aussi Bullion c. La Reine et autre, précité, note 28, à la p. 580.
Bien sûr, la Commission dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour prescrire les normes, mais toute norme prescrite doit s'appliquer au but recherché, sinon ce n'est pas une norme de sélection au sens de cet article.
Il est vraiment impossible d'entrevoir un lien rationnel entre ce qu'on appelle l'exigence fondamentale posée dans cette affaire et la sélection du candidat selon son mérite en vue de la nomination du candidat le plus qualifié pour combler le poste annoncé. [C'est moi qui souligne.]
Dans Prince George (Ville de) c. Payne 35 la Cour suprême du Canada a cassé la décision de la municipalité de refuser d'accorder un permis au requérant, alors qu'il rencontrait tous les critères pour son émission, parce qu'il voulait opérer un commerce jugé non désirable. À cet égard, le juge Dickson [tel était alors son titre] a affirmé la page 463):
Le pouvoir discrétionnaire conféré par l'art. 455, si large soit-il, doit être exercé judiciairement. Fonder une décision sur un motif étranger à la question, ce n'est pas exercer judiciairement un pouvoir discrétionnaire.
À la lumière de ces principes, et après révision, je suis d'avis que les exclusions expresses du paie- ment de la prime au bilinguisme énumérées dans la Déclaration de politiques précitée 36 sont reliées rationnellement à la bonne administration finan- cière de la politique sur le bilinguisme au sein de la fonction publique: en fait, les catégories et les personnes exclues expressément occupent, soit des emplois d'une nature temporaire ou occasionnelle, soit des emplois dont la nomination relève du gouverneur en conseil.
Mais, les membres non civils de la GRC n'occu- pent pas ce genre d'emploi: leur exclusion découle de toute évidence uniquement de leur statut non civil.
Il s'agit là, à mon sens, d'un motif étranger aux politiques sur le bilinguisme, eu égard au champ d'application de celles-ci tel que défini par le Con- seil du Trésor lui-même. Je ne peux déceler aucun lien rationnel entre cette exclusion et le but recher- ché, à savoir la promotion du bilinguisme au sein de la fonction publique fédérale.
De fait, considérant le caractère national de l'institution qu'est la GRC, dont les membres non civils sont les plus visibles et les plus impliqués
35 Précité, note 28.
36 Je vise également les exclusions ajoutées subséquemment apparaissant au chap. 5 du vol. 5 du Manuel de gestion du personnel du Secrétariat du Conseil du Trésor.
auprès du public, l'exclusion de ces membres semble aller carrément à l'encontre du but de l'administration qui doit être d'offrir des services et un visage bilingues au peuple canadien.
Le procureur de la défenderesse prétend que l'exclusion du paiement de la prime de ces mem- bres non syndiqués de la GRC s'infère du fait que la prime a été négociée entre le Conseil du Trésor et l'Alliance de la Fonction publique, et fait partie de la convention cadre 37 .
Je ne souscris pas à cet argument. Comme on l'a vu, le Conseil du Trésor n'a pas restreint, lors de l'instauration des politiques sur le bilinguisme, le champ d'application de ces politiques au personnel syndiqué des organismes énumérés à la Partie I de l'annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. D'ailleurs, une telle restriction aurait été impensable. De même, une exclusion du paiement de la prime motivée par l'absence d'accréditation syndicale serait contraire à l'objet de l'administration, et irrationnelle par rapport à cet objet. Logiquement, je ne vois pas comment l'inclusion de la prime dans une conven tion collective doive inéluctablement en exclure le paiement aux personnes non régies par cette con vention en vertu d'une politique générale.
7. Les deux motifs d'exclusion du Commissaire
Quant aux motifs précités soulevés dans la Directive du Commissaire Simmonds, ce n'est pas évident à quel degré ceux-ci sont attribuables au Conseil du Trésor. Selon le procureur de la défen- deresse, il ne s'agirait que d'opinions personnel- les du Commissaire. Cependant, ces motifs n'ont pas été contredits en preuve et pour les fins d'une analyse intégrale, ils doivent être considérés. À mon avis, ils n'échappent pas à l'application des principes soulevés ci-dessus à l'égard des critères «non civil» et «non syndiqué».
Le Commissaire, on s'en souvient, a soulevé deux motifs. Le premier, à l'effet que les autres corps policiers au pays ne touchent pas une telle prime, mérite peu de considération: la GRC est le seul corps de police opérant sur le plan national. Qu'une politique analogue n'existe pas dans les provinces, constitue à mon avis une considération entièrement étrangère et non pertinente à la ques tion du bilinguisme fédéral.
37 Art. M-37.03(11).
Le deuxième motif, à savoir qu'une telle prime causerait de la division entre les rangs, est encore moins convaincant. Comme toutes les primes, celle au bilinguisme est versée à ceux qui la méritent. C'est un stimulant destiné à encourager le bilin- guisme: ceux qui ne veulent pas participer au programme doivent savoir à qui s'en prendre. D'ailleurs, le Directeur des langues officielles à la GRC 38 a facilement concédé que la GRC accorde des primes à ses membres dans d'autres domaines, soit pour récompenser l'excellence, soit à titre de dédommagement pour affectations éloignées, etc. Ceux qui ne touchent pas ces primes sont mal venus de s'en plaindre.
Aucune autre justification permettant l'exclu- sion des membres de la GRC du paiement de la prime au bilinguisme n'a été apportée en preuve. La décision d'exclusion prise par le Conseil du Trésor me paraît donc dénuée de tout fondement pertinent et semble avoir tenu compte de facteurs complètement étrangers à la question, y compris les deux motifs précités du Commissaire. Je consi- dère que cette décision était viciée au sens des critères énumérés précédemment. En conséquence, l'exclusion du demandeur au paiement de la prime au bilinguisme, alors qu'il rencontrait tous les critères d'éligibilité établis par le Conseil du Trésor lui-même était, à mon sens, illégale.
8. Une expectative légitime frustrée
Un autre aspect de la décision du Conseil mérite d'être commenté brièvement: il s'agit du fait qu'en excluant le demandeur et ses collègues du paie- ment de la prime au bilinguisme, vers la fin 1977, le Conseil n'a pas respecté sa propre politique sur le bilinguisme, introduite peu avant.
En émettant sa politique sur le bilinguisme, le Conseil du Trésor et la Commission de la Fonction publique ont énoncé un code élaboré sur l'usage des langues officielles dans les départements et autres organismes de la fonction publique. Ce code détaillé n'établissait pas, de toute évidence, des règles indicatives, mais plutôt des règles normati- ves devant être respectées, non seulement par les départements, les fonctionnaires et les autres employés de la fonction publique auxquels elles
38 Le Commissaire actuel lui-même avait été convoqué par subpoena à la demande du demandeur. Étant à l'extérieur du pays, il a été remplacé par le directeur Roy Berlinguette.
étaient adressées, mais également par ses auteurs eux-mêmes.
Le Conseil et la Commission auraient pu définir le champ d'application de la politique sur le bilin- guisme selon une formule plus large et plus flexible et ainsi se ménager une marge de manoeuvre pour l'exercice de leur discrétion face à des cas particu- liers. En définissant ce champ d'application comme englobant tous les ministères et organismes énumérés à la Partie I de l'annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, ils ont créé auprès des personnes visées une expec- tative légitime à l'effet que la politique serait respectée.
Tel que le soulignait récemment le professeur Janisch 39:
[TRADUCTION] ... notre conception de la décence gouverne- mentale ne tolère pas qu'une fois des règles internes fixées au vu et au su de tous, le gouvernement puisse ne pas en tenir compte et faire fi des expectations qu'elles aient pu susciter. Comme nous l'avons déjà vu, l'expectative légitime est une source importante de droits procéduraux et il semble qu'elle couvrira aussi les droits de fond.
L'autorité jurisprudentielle en matière d'expec- tative légitime citée par Janisch, est un arrêt de la Cour d'appel d'Angleterre, R v Secretary of State for the Home Dept. ex p. Khan 40 . Dans cette affaire, le ministre avait publié une circulaire éta- blissant les critères et procédures gouvernant l'ad- mission en Angleterre d'enfants, pour fins d'adop- tion. En statuant sur une demande d'adoption, cependant, le ministre a omis de considérer ces critères et en a appliqué d'autres, au détriment du requérant. À l'instar de décisions antérieures des cours anglaises de hautes instances 41 , lord Parker s'est ainsi exprimé la page 48):
Je suis certain que la lettre du ministère de l'Intérieur a donné au requérant une expectative raisonnable que les procédures qui y étaient établies, et dont les termes étaient aussi clairs que la question et la réponse dans le cas de M. Ng, seraient suivies, que si l'application de ces procédures avait pour conséquence de convaincre le Secrétaire d'Etat des quatre motifs mentionnés, un certificat d'admission temporaire serait accordé et que le
39 Evans, J. M. et autres. Administrative Law Cases, Texts and Materials, 3e éd. Toronto: Emond Montgomery Publica tions Ltd., 1989, p. 793.
[1985] 1 All ER 40 (C.A.).
41 Re Liverpool Taxi Owners' Association, [1972] 2 All ER 589 (C.A.); O'Reilly v Mackman, [1982] 3 All ER 1124 (H.L.); A-G of Hong Kong v Ng Yuen Shiu, [1983] 2 All ER 346 (P.C.).
sort définitif de l'enfant serait alors décidé par le tribunal d'adoption de ce pays.
Il est bien entendu loisible au Secrétaire d'État de modifier la politique établie, mais j'estime que, vis-à-vis du destinataire de cette lettre, une nouvelle politique ne peut s'appliquer qu'après qu'on aura pleinement instruit la réclamation du destinataire sur la question de savoir si l'intérêt public justifie une déroga- tion aux procédures énoncées dans la lettre. [C'est moi qui souligne.]
Dans cette affaire lord Dunn a considéré l'éten- due de la discrétion du Secrétaire d'État en ces termes la page 52):
[TRADUCTION] L'avocat du Secrétaire d'État soutient qu'il n'existait aucune disposition législative ou règle à cet égard, que le Secrétaire d'État avait une discrétion sans entraves, qu'il était en droit de tenir compte d'un facteur de principe préémi- nent...
Si le ministre de l'Intérieur n'avait fait qu'énoncer que la question de savoir si on pouvait y faire venir l'enfant pour qu'il soit adopté relevait de sa discrétion, cet argument serait, à mon avis, bien valable. Mais il ne l'a pas fait. Il a fait envoyer à tous les requérants une circulaire de type usuel énonçant les quatre critères qui devaient être remplis avant qu'une autorisation ne soit accordée. J'estime que par il a, dans les faits, établi ses propres règles, et énoncé ces questions qu'il considérait comme pertinentes et qu'il examinerait pour rendre sa décision.
Les catégories d'agissements déraisonnables ne sont pas res- trictives et, à mon sens, une action injuste peut rarement être une action raisonnable. Il ressort des décisions citées par le lord juge Parker que le ministre de l'Intérieur est tenu d'agir équitablement, et je conviens que ce qui s'est passé dans cette affaire était non seulement injuste mais aussi déraisonnable. Bien que la circulaire n'ait pas crée de fin de non-recevoir, le ministre de l'Intérieur y a énoncé, dans l'intérêt des requérants, les questions qui devaient être prises en considération, et rendu sa décision en se fondant sur un facteur qui, de son propre aveu, était hors de propos. Ce faisant, il s'est mis sur la mauvaise voie selon ses propres critères et il a agi de façon déraisonnable. [C'est moi qui souligne.]
Similairement, je considère non justifié le fait que le Conseil du Trésor (apparemment suite à la recommandation du Commissaire) s'est permis d'ignorer sa propre politique sur le bilinguisme et d'introduire des considérations étrangères à cette politique lors de sa décision d'exclure les membres non civils de la GRC du paiement de la prime.
9. La décision d'exclusion du directeur
Je passe maintenant à la décision du directeur du Service. Tel que soulevé précédemment, en tant qu'employeur distinct le Service n'est pas régi par les politiques sur le bilinguisme du Conseil du Trésor. En vertu de l'article 9 précité de la Loi sur
les langues officielles, il était cependant du devoir du directeur de mettre en place des politiques sur le bilinguisme au sein du Service. C'est ce qu'il a fait, exerçant les pouvoirs à lui conférés par le paragraphe 8(1) précité de la Loi créant le Ser vice. Et, tout comme le Conseil du Trésor, l'exer- cice de la discrétion du directeur à l'égard de ces politiques devait rencontrer les mêmes critères déjà analysés en regard de la décision du Conseil.
Il convient de citer la lettre du directeur de mars 1985 les motifs pour exclure les employés du Service (autres que ceux dans la catégorie du soutien administratif) du paiement de la prime sont énoncés comme suit:
[TRADUCTION] En général, en ma qualité de directeur, j'exerce tous les pouvoirs, devoirs et fonctions du Conseil du Trésor en matière de gestion du personnel, conformément à la loi sur l'administration financière, et ceux de la Commission de la fonction publique en vertu de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.
En tant que directeur du SCRS, j'ai décidé d'accorder la prime au bilinguisme aux employés qualifiés qui occupent des postes désignés dans la catégories du soutien administratif du SCRS. Le Conseil du Trésor a également relevé les groupes exclus qui ne reçoivent par la prime au bilinguisme. La politi- que du Conseil du Trésor s'applique seulement à ces ministères, organismes et sociétés de la Couronne énumérés dans la Partie I, annexe I de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, aux Postes Canada et au Conseil national de recher- ches. Bien entendu, le Service ne figure pas dans la partie I de l'annexe I, mais dans la partie II.
Comme votre client, M. Gingras, occupe un poste de profes- sionnel au sein du SCRC, il n'a pas droit à la prime au bilinguisme en sa qualité actuelle.
Dans la période qui a précédé immédiatement la création du Service en juillet 1984, alors que votre client faisait encore partie de la GRC, il n'avait pas droit à la prime au bilinguisme en vertu de la politique de la Gendarmerie en matière de langues officielles. Le paragraphe 66(2) de la Loi sur le SCRS prévoit que les personnes qui se trouvent dans la situation de votre client devraient avoir au Service des avantages attachés aux postes équivalents à ceux qu'elles avaient immédiatement avant l'entrée en vigueur de la loi, sous réserve que ces avanta- ges soient modifiés, dans leur cas, par le Service. [C'est moi qui souligne.]
À la lecture de ce passage, il me semble clair que la décision du directeur a été motivée principa- lement par la politique déjà en place au Conseil du Trésor excluant les membres non civils de la GRC du paiement de la prime. Comme nous le savons, un nombre important de ces membres ont été affectés au Service lors de sa création.
Je me dois de répéter qu'une autorité discrétion- naire doit exercer sa propre discrétion de façon autonome, en fonction de l'objet et de l'esprit de sa loi habilitante: une décision discrétionnaire suivant servilement les politiques d'autres autorités ne constitue pas un tel exercice.
Dans Re Multi -Malls Inc. et al. and Minister of Transportation 42 , la Cour d'appel de l'Ontario devait déterminer si une décision du ministre de refuser d'émettre un permis a été exercée confor- mément aux «policy concerns» de la loi constitutive du Ministère. La Cour a décidé (aux pages 62 64 O.R.):
J'estime que le ministre des Transports et des Communica tions s'est laissé influencer par des facteurs étrangers, non pertinents et accessoires qui n'auraient pas l'influencer quand il a exercé son pouvoir discrétionnaire pour refuser le permis d'entrée. Il semble clair que la Loi vise en général non pas à assurer un aménagement foncier approprié mais à régle- menter la circulation.
Il me semble donc que le ministre intimé n'a pas écarté de son examen une question qui ne se rapporte pas, à l'évidence, à la politique ou aux objets de la Loi sur l'aménagement des routes et des transports en commun. J'irais jusqu'à dire qu'il est clair, selon la prépondérance des probabilités, que le refus du permis d'entrée, reposant apparemment sur le facteur d'aména- gement, était réellement le fait de céder à la pression grandis- sante de préserver le centre de la municipalité de Tillsonburg
Hypothétiquement, il est possible d'envisager une situation la décision rendue par une auto- rité, en fonction de celle d'un autre organisme, puisse s'insérer dans le cadre des politiques des deux instances. Par ailleurs, cela ne me semble pas être le cas en l'espèce. Il s'agit ici plutôt de la perpétuation aveugle d'une décision pré-existante, sans égard ni à son bien-fondé en termes absolus, ni à sa relation avec l'objet visé par les politiques sur le bilinguisme en général.
La décision d'exclusion du directeur a peut-être découlé de sa propre détermination à l'effet qu'il serait approprié d'apporter une distinction entre le personnel de soutien et les autres employés du Service pour d'autres motifs. Mais ces autres motifs demeurent inconnus et non articulés dans sa lettre.
Je considère donc que les seuls motifs invoqués par le directeur du Service ne rencontrent pas les
42 Précité, note 29.
critères de légalité établis par la jurisprudence citée précédemment. En conséquence, l'exclusion du demandeur du paiement de la prime était illégale.
Une dernière remarque importante à l'égard de la lettre du directeur concerne son allégation à l'effet que le paragraphe 66(2) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité constituait un empêchement légal au paiement de la prime après le transfert du demandeur au Ser vice. Selon son interprétation, l'exclusion du demandeur alors qu'il était membre de la GRC était déterminante des avantages auxquels il avait droit comme employé du Service, ceux-ci ne devant pas excéder l'équivalent.
À mon sens cette interprétation est manifeste- ment erronée. Le paragraphe 66(2) établit les avantages minimaux auxquels le demandeur avait droit après son transfert et assure la continuité de ces avantages. Il ne s'agit pas d'un plafond. En d'autres termes, le directeur n'était aucunement lié par l'exclusion affectant les membres de la GRC. En fait, une telle conclusion représentait en quel- que sorte un refus d'exercer les pouvoirs étendus conférés au directeur par le paragraphe 8(1) pré- cité. De plus, ayant déjà déterminé que le deman- deur avait droit à la prime alors qu'il était à la GRC, je dois logiquement conclure que ce droit acquis continue en vigueur alors que le demandeur passe de la GRC au Service.
En conclusion, je considère que les exclusions effectuées tant par le Conseil du Trésor relative- ment à la GRC que par le directeur à l'endroit du Service étaient illégales. Le demandeur était admissible au paiement de la prime à partir de son introduction en 1977.
10. L'allégation de discrimination fondée sur la Charte
Je passe maintenant au deuxième argument du demandeur à l'effet que la distinction résultant des décisions du Conseil du Trésor et du directeur du Service crée de la discrimination fondée sur l'ori- gine nationale ou ethnique, contrairement aux arti cles 3, 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et, dès avril 1985, au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.
Ces dispositions se lisent comme suit 43 :
3. Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinc tion illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, la situation de famille ou l'état de personne graciée et, en matière d'emploi, sur un handicap physique.
7. Constitue un acte discriminatoire le fait
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou
b) de défavoriser un employé,
directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.
10. Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'em- ployeur ou l'association d'employés
a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel
pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus.
15. (1) La Loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge, les déficiences mentales ou physiques.
Au cours de l'audition, une preuve statistique fournie par la défenderesse démontre que les mem- bres francophones de la GRC et les professionnels francophones du Service occupant des postes dési- gnés bilingues sont à peu près trois fois plus nom- breux que les membres et professionnels anglopho- nes occupant de tels postes. Il est alors évident que l'impact de l'exclusion du paiement de la prime est trois fois plus important à l'endroit des francopho- nes bilingues que chez leurs confrères bilingues anglophones.
43 Je cite les art. 3, 7 et 10 de la Loi originale (S.C. 1976-77, chap. 33) amendés par les art. 2, 3 et 5 des S.C. 1980-81-82-83, chap. 143. Ces amendements sont non pertinents en l'espèce.
Jurisprudence à l'appui 44 , le procureur du demandeur allègue que c'est plutôt la répercussion de la pratique contestée que l'intention du viola- teur qui s'avère déterminante en matière de discri mination: il s'ensuit, selon cet argument, que même si les membres et professionnels anglopho- nes sont privés au même titre que les francopho- nes, ces derniers subissent un impact plus considé- rable et donc de la discrimination fondée sur l'origine nationale ou ethnique.
À mon sens, cependant, la seule question qu'il faut se poser est de savoir si la discrimination alléguée repose sur l'origine nationale ou ethnique, ou si elle ne découle pas plutôt de la catégorie d'emploi occupée par la personne. À mon sens, elle repose sur la catégorie d'emploi.
La catégorie ou le genre d'emploi n'est pas un motif de «distinction illicite» au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ni un motif de discrimination «énuméré» au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et liber- tés. Je ne crois pas non plus qu'elle constitue un motif de discrimination «analogue» à ceux énumé- rés à cette dernière disposition.
Dans Andrews c. Law Society of British Columbia, le juge McIntyre (dissident quant à la conclusion seulement) a défini la discrimination comme suit (aux pages 174-175):
J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avanta-
44 Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; 91 N.R. 255; Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; (1988), 53 D.L.R. (4th) 609; 88 N.R. 321; Ford c. Québec (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 712; Stoffman v. Vancouver General Hospital (1988), 49 D.L.R. (4th) 727; [1988] 2 W.W.R. 708; (1988), 21 B.C.L.R. (2d) 165 (C.A.); pourvoi à la Cour suprême accordé, [1988] 1 R.C.S. xiv; [1988] 4 W.W.R. 1 xvii; R. v. Hayden (1983), 3 D.L.R. (4th) 361; [1983] 6 W.W.R. 655; 23 Man. R. (2d) 315; 8 C.C.C. (3d) 33; 36 C.R. (3d) 187 (C.A.); requête pour permis sion d'en appeler à la Cour suprême rejetée, le 19 décembre 1983, [1983] 2 R.C.S. xi; (1983), 3 D.L.R. (4th) 361; 26 Man R. (2d) 318; 8 C.C.C. (3d) 33; Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada), [1989] 2 C.F. 245; (1988), 53 D.L.R. (4th) 384; 88 N.R. 6 (C.A.); en appel à la Cour suprême, #21222; Orphanos v. Queen Mary's College (1985), 62 N.R. 243 (H.L.).
ges offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement. [C'est moi qui souligne.]
Le juge LaForest, pour sa part, était d'avis qu'en l'espèce la citoyenneté constituait une telle caractéristique personnelle, comportant plusieurs traits communs avec celles énumérées à l'article 15. Il s'est exprimé ainsi la page 195):
La citoyenneté est une caractéristique qui, normalement, ne relève pas du contrôle de l'individu et, dans ce sens, elle est immuable. La citoyenneté est, temporairement du moins, une caractéristique personnelle qu'on ne peut modifier par un acte volontaire et qu'on ne peut, dans certains cas, modifier qu'à un prix inacceptable as
Dans Reference Re Workers' Compensation Act, 1983 (T-N.) 46 la Cour suprême du Canada a jugé qu'un travailleur accidenté, privé en vertu d'une loi provinciale des droits et actions; contre l'employeur auxquels il pourrait autrement avoir droit ne subissait pas de la discrimination au sens du paragraphe 15(1). Au nom de la Cour, le juge LaForest a affirmé la page 924):
La situation des travailleurs et des personnes à charge en l'espèce n'est aucunement analogue aux situations énumérées au par. 15(1), exigence posée par la majorité dans l'affaire Andrews pour permettre le recours au par. 15(1).
La conclusion était la même dans R. c. Turpin 47 , il s'agissait de déterminer si une distinction dans le Code criminel accordant un traitement «favorable» à certains accusés en Alberta consti- tuait de la discrimination à l'égard d'accusés dans les autres provinces. Selon le juge Wilson, cette distinction ne contrevenait pas au paragraphe 15(1). Elle disait (aux pages 1332-1333):
Je crois, en toute déférence, que ce serait tomber dans la fantaisie que de qualifier de «minorité discrète et isolée» les personnes qui, dans toutes les provinces sauf l'Alberta, sont accusées de l'un des crimes énumérés à l'art. 427 du Code criminel ... Établir une distinction, pour les fins du mode de procès, entre les personnes accusées en Alberta d'infractions énumérées à l'art. 427 et celles qui sont accusées des mêmes infractions ailleurs au Canada ne favoriserait pas, à mon avis, les objets de l'art. 15 en remédiant à la discrimination dont sont victimes les groupes de personnes défavorisées sur les plans
45 Sur le critère d'immuabilité, voir aussi Veysey c. Canada (Service correctionnel), [1990] 1 C.F. 321 (P' inst.).
46 [1989] I R.C.S. 922; (1989), 96 N.R. 227.
47 [1989] 1 R.C.S. 1296; (1989), 48 C.C.C. (3d) 8; 69 C.R. (3d) 97; 96 N.R. 115.
social, politique ou juridique dans notre société ou en les protégeant contre toute forme de discrimination. Il seràit inu- tile de chercher des signes de discrimination tel que des stéréo- types, des désavantages historiques ou de la vulnérabilité à des préjugés politiques ou sociaux en l'espèce ... A mon avis, faire droit aux demandes des appelants en vertu de l'art. 15 de la Charte serait «aller au delà de l'objet véritable du droit ou de la liberté en question»; voir R. c. Big M Drug Mart Ltd., à la p. 344. [C'est moi qui souligne.]
Similairement, je ne considère pas que la caté- gorie d'emploi, englobant d'une part les membres de la GRC et d'autre part les professionnels du Service constitue le genre de «minorité discrète et isolée» protégée au paragraphe 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Conclure ainsi serait «aller au delà de l'objet véritable» de cette disposition constitutionnelle.
11. La prescription
La dernière question à régler concerne la pres cription applicable en l'espèce, un dernier argu ment soulevé par la défenderesse. Deux points sont à considérer: dans un premier temps, le fondement de l'action du demandeur et, par après, la loi applicable en la matière.
L'action est-elle de nature contractuelle ou délictuelle? Je crois avoir déjà établi que l'admissi- bilité du demandeur à la prime au bilinguisme découlait de son emploi à titre de membre de la fonction publique. Son droit repose donc sur son emploi, ou plus précisément son contrat d'engage- ment.
À cet égard, je note qu'il existe une distinction entre le lien d'emploi visant les employés de la Fonction publique, tel qu'énoncé à l'article 24 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, et celui régissant les membres de la GRC, énoncé à l'article 13 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. Ces dispositions se lisent comme suit:
24. Un employé occupe sa charge durant le bon plaisir de Sa Majesté sous réserve de la présente loi et de toute autre loi ainsi que des règlements établis sous leur régime et, à moins qu'une autre période ne soit spécifiée, pendant une période indéterminée.
13. (1) Les officiers de la Gendarmerie détiennent leurs fonctions au gré du gouverneur en conseil.
(2) Sauf s'il est nommé pour une fonction temporaire, chaque membre autre qu'un officier doit, lors de sa nomination, signer un acte d'engagement pour une période n'excédant pas cinq ans, mais un tel membre peut être congédié ou renvoyé par le Commissaire en tout temps avant l'expiration de la durée de son engagement. [C'est moi qui souligne.]
À mon sens la distinction s'avère significative. Alors que la jurisprudence a établi qu'un membre de la Fonction publique ne bénéficie pas d'un contrat d'emploi du fait qu'il occupe sa charge au bon plaisir de Sa Majesté 48 , les membres de la GRC ne sont pas régis par une telle qualification de leur emploi.
J'en conclus que l'engagement du demandeur était de nature contractuelle, soit en vertu d'un contrat n'excédant pas cinq ans, renouvelable et effectivement renouvelé. C'est donc la prescription gouvernant les contrats d'emploi qui sera applica ble en l'espèce.
Le point de départ en matière de prescription relatif à toute action devant la Cour fédérale est le paragraphe 38(1) (maintenant le paragraphe 39(1)) de la Loi sur la Cour fédérale 49 qui dispose:
38. (1) Sauf disposition contraire de toute autre loi, les règles de droit relatives à - la prescription des actions en vigueur entre sujets dans une province s'appliquent à toute procédure devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance dans cette province et une procédure devant la Cour relativement à une cause d'action qui prend naissance ailleurs que dans une province doit être engagée au plus tard six ans après que la cause d'action a pris naissance. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, alors que l'engagement du deman- deur a eu lieu en Ontario, l'exécution du contrat s'est déroulée au Québec.
Dans Essays on the Conflict of Laws 50 , Falcon- bridge commente ainsi les facteurs pouvant déter- miner la loi du contrat dans un tel cas (aux pages 378-379):
[TRADUCTION] Quant à l'importance relative du lieu de la formation, du lieu de l'exécution et d'autres circonstances, aux fins de déterminer le droit approprié applicable à un contrat, l'extrait suivant du jugement rendu dans l'affaire Lloyd v. Guibert ((1865), L.R. 1 Q.B. 115, à la p. 122) est typique et fait l'objet d'une citation fréquente:
Toutefois, il est généralement convenu que le droit du lieu se forme le contrat est, de prime abord, celui que les parties ont voulu, ou qu'on devrait présumer qu'elles ont adopté pour servir de fondement à leurs relations, et que ce droit devrait donc prévaloir en l'absence de circonstances révélant une intention différente comme par exemple celle de
48 Long c. Canada (Conseil du Trésor) (1989), 27 F.T.R. 269 (C.F. 1" inst.); Evans c. Canada, T-1414-86, juge Dubé, ordon- nance en date du 13-4-87, non publié; Phillips c. La Reine, [1977] 1 C.F. 756 (1" inst.).
49 S.R.C. 1970 (2' Supp.), chap. 10 (L.R.C. (1985), chap.
F-7).
Toronto: Canada Law Book Co. Ltd., 1954.
décider que le contrat doit être intégralement exécuté ail- leurs, ou que le contrat porte sur des biens immeubles situés dans un autre pays et ainsi de suite; ces circonstances, bien qu'on les considère parfois comme des règles distinctes, semblent plus normalement être classées comme des excep tions à la règle générale, en raison des circonstances révélant l'intention d'être lié par un droit différent de celui du lieu de la formation du contrat, laquelle intention se dégage de l'objet et des circonstances du contrat, dans la mesure elles se rapportent à l'interprétation et à la détermination du caractère de celui-ci.
Selon Westlake (Private International Law, Sème édition, 1912, aux pages 305-306], .on peut probablement dire que le droit permettant de déterminer la valeur intrinsèque et les effets d'un contrat sera désigné en Angleterre à la lumière des considérations d'importance, la préférence étant donnée au pays auquel l'opération se rapporte le plus réellement, et non au droit du lieu du contrat en tant que tel». [C'est moi qui souligne.]
À mon avis il découle du fait que l'exécution du contrat du demandeur s'est effectuée presqu'entiè- rement au Québec que la loi applicable en l'espèce pour les fins de la prescription est celle du Québec, et plus particulièrement l'article 2260(6) du Code civil du Bas-Canada. Cet article prévoit que:
Art. 2260. L'action se prescrit par cinq ans dans les cas suivants:
6. Pour louage d'ouvrage et prix du travail, soit manuel, professionnel ou intellectuel, et matériaux fournis, sauf les exceptions contenues aux articles qui suivent; [C'est moi qui souligne.]
Selon Martineau 51 , la prescription prévue à l'ar- ticle 2260(6) est celle de droit commun en matière de louage d'ouvrage qui ne fait aucune distinction entre les genres de louages d'ouvrage, et qui est indifférente à la nature du travail. Le savant auteur cite, à titre d'exemple, que les personnes suivantes tombent sous le coup de cette prescrip tion la page 294):
... les fonctionnaires, officiers et employés du gouvernement;
(Par ailleurs, si la loi du lieu de l'engagement devait s'appliquer, le demandeur serait favorisé puisque la Loi sur la prescription des actions 52 prescrit une période de six ans pour une action en simple contrat en vertu de l'alinéa 45(1)g)).
51 La Prescription, Montréal: Les Presses de l'Université de Montréal, 1977, p. 292-293.
52 L.R.O. 1980, chap. 240.
Ainsi, l'action ayant été intentée en novembre 1985, le demandeur est déchu de son droit à la prime au bilinguisme pour les années 1976, 1977, 1978 et 1979 au service de la GRC. Par contre, son droit est confirmé pour les années 1980 et suivantes à la GRC et à l'emploi du Service.
12. Conclusion
Pour ces motifs, l'action est accueillie avec frais et dépens. Il est déclaré que le demandeur a droit à la prime au bilinguisme pour les années 1980 à 1988 inclusivement.
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