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T-2427-89
Trainor Surveys (1974) Limited (demanderesse) c.
Province du Nouveau-Brunswick, province de l'Ïle-du-Prince-Edouard, province de la Nouvelle- Écosse, Conseil des premiers ministres des mariti- mes et Service du cadastre et de l'information foncière (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: TRAINOR SURVEYS (1974) LIMITED C. NOUVEAU- BRUNSWICK (1' ° INST.)
Section de première instance, juge McNair—Hali- fax, 13 février; Ottawa, 1°' mars 1990.
Compétence de la Cour fédérale Section de première instance Action en violation du droit d'auteur intentée contre des Couronnes provinciales Requête en rejet pour défaut de compétence Le fait que la Cour fédérale a compétence concurrente avec les tribunaux provinciaux pour connaître d'actions civiles en violation du droit d'auteur ne suffit pas à lui attribuer compétence Une disposition expresse, qu'elle se trouve dans la loi provinciale ou dans les lois sur les procédures contre la Couronne provinciale, s'im- pose compte tenu de l'immunité traditionnelle des Couronnes provinciales et de leurs organismes dans les procès intentés devant la Cour fédérale et du fait que celle-ci est une cour créée par la loi.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité L'action en violation du droit d'auteur intentée contre les Couronnes provinciales est rejetée pour défaut de compétence ratione personae La position préférentielle que la théorie de l'immunité de la Couronne accorde à cette dernière en matière de procès va-t-elle à l'encontre de l'art. 15(1) de la Charte? Ni la société demanderesse ni les Couronnes défenderesses ne sont des «individuels» aux fins de l'art. 15(1) de la Charte.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Action en violation du droit d'auteur intentée contre des Couronnes provinciales L'art. 7 de la Charte ne s'applique pas puisque la question de la violation du droit d'auteur concerne des droits de propriété ou des droits économiques.
Droit d'auteur Violation L'action intentée devant la Cour fédérale contre les Couronnes provinciales et leurs orga- nismes est rejetée pour défaut de compétence ratione personae.
Couronne Prérogatives L'action en violation du droit d'auteur intentée contre les Couronnes provinciales et leurs organismes est rejetée pour défaut de compétence ratione personae Aucune disposition législative fédérale ou provin- ciale n'a expressément abrogé l'immunité traditionnelle de la Couronne provinciale dans les actions intentées devant la Cour fédérale.
Pratique Rejet d'actions Défaut de compétence Une requête en rejet n'est pas analogue à une requête en radiation La question de la compétence, qui est une question de pur droit, doit être jugée en toute objectivité sans tenir compte de
considérations qui pourraient s'appliquer dans le cas d'une requête en radiation.
Il s'agit en l'espèce de statuer sur une question de droit, à savoir si la Cour a compétence pour connaître de l'action en violation du droit d'auteur intentée par la demanderesse contre trois Couronnes provinciales et deux de leurs organismes, et sur une requête en rejet pour défaut de compétence. Les défendeurs soutiennent que la Cour n'a pas compétence ration personae, bien qu'elle ait compétence concurrente pour connaître des actions civiles en violation du droit d'auteur en vertu de l'article 37 de la Loi sur le droit d'auteur et du paragraphe 20(2) de la Loi sur la Cour fédérale. Les provinces invoquent respective- ment leurs lois sur les procédures contre la Couronne provin- ciale. Elles prétendent que la Cour fédérale ne peut avoir compétence à l'égard des provinces que dans la mesure cette compétence lui a été expressément attribuée par une loi provin- ciale, compte tenu de l'immunité traditionnelle des Couronnes provinciales dans les procès intentés devant la Cour fédérale, et que les mandataires de la Couronne sont assujettis aux mêmes restrictions que les Couronnes provinciales respectives en matière de compétence. La demanderesse soutient que le tribu nal doit être convaincu qu'il est «évident que l'action ne peut réussir», établissant une analogie entre une requête en rejet et une requête en radiation. En dernier lieu, la demanderesse fait valoir que la position préférentielle que la théorie de l'immunité de la Couronne accorde à celle-ci va à l'encontre du paragraphe 15(1) de la Charte. Elle prétend que la Couronne est une personne physique qui possède la même capacité de contracter que quiconque, et que les personnes morales sont des «indivi- duels» et ont le droit d'être protégées contre la discrimination, droit garanti par le paragraphe 15(1) de la Charte.
Jugement: la Cour n'a pas compétence pour connaître de l'action en violation du droit d'auteur intentée par la demande- resse. La requête en rejet devrait être accueillie.
La question de la compétence, qui est une question de pur droit, doit être jugée en toute objectivité, sans tenir compte de considérations qui pourraient s'appliquer dans le cas d'une requête en radiation.
La Cour fédérale est une cour qui a été créée par la loi et sa compétence est définie et limitée par la Loi sur la Cour fédérale. Le simple fait que la Cour fédérale a compétence concurrente avec les tribunaux provinciaux pour connaître des questions en cause ne suffit pas à conférer à la Cour la compétence pour connaître de l'espèce en l'absence d'une dispo sition expresse à cet égard, qu'elle se trouve dans la loi fédérale ou dans les lois sur les procédures contre la Couronne.
L'article 7 de la Charte ne s'applique pas puisque l'objet de la demande ne concerne que des droits de propriété ou des droits économiques. Le nœud de tout le litige consiste à savoir si la demanderesse et la Couronne sont visées par le paragraphe 15(1) de la Charte. Il a été statué que tant les personnes morales que la Couronne ne sont pas des «individuels» aux fins du paragraphe 15(1).
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.), art. 7, 15.
Crown Proceedings Act, R.S.P.E.I. 1974, chap. C-31, art. 7.
Loi sur la compétence des tribunaux fédéraux, L.R.N.-B. 1973, chap. F-8, art. 1 (mod. par L.N.-B. 1979, chap. 41, art. 51; 1982, chap. 3, art. 28).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 20.
Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), chap. C-42, art. 37.
Loi sur les procédures contre la Couronne, L.R.N.-B. 1973, chap. P-18, art. 6 (mod. par L.N.-B. 1979, chap. 41, art. 98), 21.
Proceedings against the Crown Act, R.S.N.S. 1967, chap. 239, art. 9, 24(1), 25.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 401, 419, 474(1)a).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Commission d'énergie électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13; (1985), 60 N.R. 203 (C.A.); Canadian Javelin Ltd. c. La Reine du chef de Terre-Neuve, [1978] 1 C.F. 408; (1977), 77 D.L.R. (3d) 317 (C.A.); Avant Inc. c. R., [1986] 2 C.F. 91; 25 D.L.R. (4th) 156; 8 C.P.R. (3d) 418; 1 F.T.R. 270 (1' inst.); Union Oil Co. of Canada Ltd. c. La Reine, [1976] 1 C.F. 74; (1975), 72 D.L.R. (3d) 81 (C.A.); pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejeté [1976] 2 R.C.S. V; R. v. Stoddart (1987), 37 C.C.C. (3d) 351; 20 O.A.C. 365 (C.A. Ont.); Rudolph Wolff & Co. v. Canada (1987), 26 C.P.C. (2d) 166 (H.C. Ont.) confirmé le 7 mars 1988 par C.A. Ont.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Dywidag Systems International Canada Limited v. Zut- phen Brothers Construction Limited (1987), 76 N.S.R. (2d) 398; 35 D.L.R. (4th) 433; 189 A.P.R. 398; 17 C.P.C. (2d) 149; 29 C.R.R. 6 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général (Québec), [1977] 1 R.C.S. 41; (1975), 57 D.L.R. (3d) 403; 5 N.R. 271; Procureur général du Québec c. Labrecque et autres, [1980] 2 R.C.S. 1057; (1980), 81 C.L.L.C. 14,119; Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm Inc., [1987] 4 W.W.R. 279; (1987), 12 B.C.L.R. (2d) 116 (C.A. C.-B.); autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée [1987] 1 R.C.S. vii; (1987), 81 N.R. 240.
DÉCISIONS CITÉES:
Page c. Churchill Falls (Labrador) Corp. Ltd., [1972] C.F. 1141; (1972), 29 D.L.R. (3d) 236 (C.A.); R. c. Wilfrid Nadeau Inc., [1973] C.F. 1045 (C.A.); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) l; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255.
AVOCATS:
W. Wylie Spicer pour la demanderesse. John D. Murphy pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Eddy & McElman, Fredericton, pour la demanderesse.
Stewart MacKeen & Covert, Halifax, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de la décision rendus par
LE JUGE MCNAIR: En l'espèce, le litige porte sur la question de savoir si la Cour n'a pas compé- tence pour connaître de l'action intentée par la demanderesse contre les Couronnes provinciales respectives et deux de leurs organismes pour viola tion présumée d'un droit d'auteur en raison des qualités de leurs personnes ou, comme le dit la maxime, ratione personae. La requête des défen- deurs est présentée en vertu des Règles 401c) et 474(1)a) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], dont voici le libellé:
Règle 401. Un défendeur peut, avec la permission de la Cour, déposer un acte de comparution conditionnelle en vue de soule- ver une objection
c) quant à la compétence de la Cour, et une ordonnance accordant cette permission doit prévoir toute suspension d'instance nécessaire pour permettre de soulever cette objec tion et de statuer à son sujet.
Règle 474. (I) La Cour pourra, sur demande, si elle juge opportun de le faire,
a) statuer sur un point de droit qui peut être pertinent pour la décision d'une question, ...
Le 12 décembre 1989, la Cour a prononcé une ordonnance accordant aux défendeurs la permis sion de déposer une acte de comparution condi- tionnelle et suspendant l'instance jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'exception d'incompétence. La présente instance nécessite une décision sur un point de droit relatif à la compétence. Les défen- deurs soutiennent essentiellement que notre Cour n'a pas compétence ratione personae à l'égard de chacun des défendeurs désignés dans l'action de la demanderesse. De même, il semble admis que la Cour a compétence concurrente sur l'objet de l'ac- tion de la demanderesse, à savoir, la violation d'un
droit d'auteur. L'article 37 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), chap. C-42, dispose:
37. La Cour fédérale, concurremment avec les tribunaux provinciaux, a juridiction pour instruire et juger toute action, poursuite ou procédure civile intentée pour infraction à une disposition de la présente loi ou pour l'application des recours civils que prescrit la présente loi.
Le paragraphe 20(2) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, est ainsi libellé:
20....
(2) La Section de première instance a compétence concur- rente dans tous les autres cas de recours sous le régime d'une loi fédérale ou de toute autre règle de droit non visés par le paragraphe (1) relativement à un brevet d'invention, un droit d'auteur, une marque de commerce ou un dessin industriel.
Le paragraphe 20(1) de la Loi confère à la Section de première instance une compétence exclusive notamment en matière d'enregistrement d'un droit d'auteur ou d'inscription, de radiation ou de modi fication dans un registre de droits d'auteur. De toute évidence, les réclamations de la demande- resse ne sont pas visées par les termes exclusifs du paragraphe 20(1) de la Loi.
Je considère que les faits articulés par la deman- deresse dans sa déclaration doivent être tenus pour avérés aux fins de l'exception d'incompétence sou- levée par les défendeurs. Aux paragraphes 2, 3 et 4 de sa déclaration, la demanderesse formule des réclamations contre les trois provinces désignées en se fondant sur leurs lois respectives concernant les poursuites contre l'État. Au paragraphe 5, la demanderesse allègue que le Conseil des premiers ministres des Maritimes était, durant l'époque en cause, le mandataire des provinces défenderesses et, au paragraphe 6, elle allègue que le Service du cadastre et de l'information foncière était le man- dataire des provinces défenderesses et du Conseil des premiers ministres des Maritimes. Aux para- graphes 7 à 12 inclusivement, la demanderesse allègue que les défendeurs ont violé le droit d'au- teur qu'elle possède sur les cartes et sur les plans et qu'ils les ont détournés, causant de ce fait un préjudice et des dommages à la demanderesse. Au paragraphe 13, la demanderesse réclame les répa- rations habituellement demandées en matière de violation du droit d'auteur, notamment, une injonction, une déclaration de droit de propriété du droit d'auteur, des dommages-intérêts pour viola tion du droit d'auteur et détournement et une reddition de comptes à l'égard des profits.
La première défenderesse, la province de la Nouvelle- Écosse, fonde son exception d'incompé- tence ratione personae sur la Proceedings against the Crown Act, R.S.N.S. 1967, chap. 239, et plus particulièrement sur les articles 9, 24(1) et 25, qui sont ainsi conçus:
[TRADUCTION] 9 Les poursuites contre la Couronne doivent être engagées devant la Cour suprême ou la Cour de comté.
24 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les poursuites contre la Couronne sont abolies.
25 Sauf disposition contraire de la présente loi, les disposi tions de la présente loi l'emportent sur les dispositions incompa tibles de toute autre loi.
La deuxième défenderesse, la province du Nou- veau-Brunswick, adopte un position semblable en ce qui concerne la compétence ratione personae. Les articles 6 [mod. par L.N.-B. 1979, chap. 41, art. 98] et 21 de la Loi sur les procédures contre la Couronne, L.R.N.-B. 1973, chap. P-18, prévoient ce qui suit:
6 Sous réserve des dispositions particulières de la présente loi, les procédures contre la Couronne peuvent être intentées devant la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick et condui- tes conformément à la Loi sur l'organisation judiciaire.
21 Il ne peut être engagé de procédures contre la Couronne que dans les cas prévus par la présente loi.
Aux termes du paragraphe 2(1), la Loi est assujet- tie notamment à la Loi sur la compétence des tribunaux fédéraux, L.R.N.-B. 1973, chap. F-8. L'article premier [mod. par. L.N.-B. 1979, chap. 41, art. 51; 1982, chap. 3, art. 28] de la Loi dit tout et est ainsi conçu:
1 Conformément aux dispositions des lois du Parlement du Canada, à savoir la Loi sur la Cour suprême et la Loi sur la Cour fédérale, la Cour suprême du Canada et la Cour fédérale du Canada ou la Cour suprême du Canada seule ont compétence
a) dans les litiges survenant entre le Canada et la province du Nouveau-Brunswick;
b) dans les litiges survenant entre la province du Nouveau- Brunswick et toute autre province du Canada qui a adopté ou peut adopter ultérieurement une loi semblable à celle-ci;
c) dans les poursuites, actions ou procédures dans lesquelles les parties ont soulevé, par leurs plaidoiries, la question de la validité d'une loi du Parlement du Canada ou d'une loi de la Législature de la province du Nouveau-Brunswick et lorsque la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick estime qu'il s'agit d'une question essentielle, auquel cas elle doit, à la demande des parties, et peut, en l'absence de cette demande, ordonner le renvoi de la cause devant la Cour suprême du Canada pour qu'il soit statué sur la question.
La troisième défenderesse, la province de l'Île-du-Prince-Édouard, invoque la Crown Pro ceedings Act, R.S.P.E.I. 1974, chap. C-31, modi- fiée. Voici le libellé de l'article 7 de cette Loi, à l'exclusion des renvois:
[TRADUCTION] 7. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, toutes les poursuites contre la Couronne devant la Cour suprême de 1'Île-du-Prince-Edouard doivent être intentées et conduites conformément à la Judicature Act...
Suivant les définitions des trois lois provinciales relatives aux poursuites contre la Couronne, on entend par «Couronne» «la Couronne du chef de la province». La Loi sur les procédures contre la Couronne du Nouveau-Brunswick assimile les sociétés d'État à la Couronne dans sa définition du mot «Couronne». Les articles de définition des trois lois déclarent expressément que la Couronne n'est pas une «personne».
La question de la compétence elle-même
On peut résumer comme suit les prétentions formulées par les défendeurs sur cette question:
1. La Cour fédérale ne peut avoir compétence à l'égard des trois provinces que dans la mesure cette compétence lui a été expressément attribuée par une loi provinciale, compte tenu également de l'immunité traditionnelle de la Couronne du chef des provinces dans les procès intentés devant la Cour fédérale et du fait que les dispositions générales de la Loi sur la Cour fédérale, visant la compétence ratione mate- riae, n'avaient pas pour but de supprimer cette immunité: Avant Inc. c. R., [1986] 2 C.F. 91 (1" inst.); et Union Oil Co. of Canada Ltd. c. La Reine, [1976] 1 C.F. 74 (C.A.) [pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejeté [1976] 2 R.C.S. y].
2. Le fait que la loi de l'Île-du-Prince-Édouard exige seulement que les actions contre la Cou- ronne provinciale soient intentées et conduites conformément aux dispositions de la Judicature Act ne change en rien la situation d'immunité de common law de la Couronne en matière de procès intentés devant les tribunaux autres que ceux de la province. La Loi sur la compétence des tribunaux fédéraux du Nouveau-Brunswick ne s'applique pas en l'espèce, étant donné qu'il
n'est pas question d'un litige entre le Canada et le Nouveau-Brunswick ou entre cette province et toute autre province qui peut avoir édicté une loi semblable, et la constitutionnalité d'une loi du Parlement fédéral ou de la Législature de la province n'est pas contestée dans la présente action.
3. Il faut considérer comme prouvées les alléga- tions des paragraphes 5 et 6 de la déclaration relatives au mandat qui existe entre le Conseil des premiers ministres des Maritimes et le Ser vice du cadastre et de l'information foncière. Dans les trois provinces, les poursuites contre les mandataires de la Couronne sont assimilées à des poursuites contre la Couronne. Il s'ensuit donc que ces mandataires de la Couronne, le Conseil des premiers ministres des Maritimes et le Service du cadastre et de l'information fon- cière, sont assujettis aux mêmes restrictions que les Couronnes provinciales respectives en matière de compétence.
Sur la question de la compétence, la demande- resse adopte le point de vue selon lequel une requête en radiation pour défaut de compétence est analogue à une requête en radiation fondée sur la Règle 419 des Règles de la Cour fédérale, étant donné que le tribunal doit être convaincu qu'il [TRADUCTION] «est évident que l'action ne peut réussir». La demanderesse prétend qu'il faut tenir compte de la question de savoir si l'on a établi que la cause de la demanderesse est sans espoir à cause du défaut de compétence.
Il ne me paraît pas possible d'établir une telle analogie entre les affaires qui soulèvent la question pure et simple de l'incompétence de la Cour et celles qui ont trait aux requêtes en radiation fon- dées sur la Règle 419. À mon avis, la question de la compétence, qui est une question de pur droit, doit être jugée en toute objectivité sans tenir compte de considérations qui pourraient s'appli- quer dans le cas d'une requête en radiation Page c. Churchill Falls (Labrador) Corp. Ltd., [1972] C.F. 1141 (C.A.); et R. c. Wilfrid Nadeau Inc., [1973] C.F. 1045 (C.A.).
Il convient d'observer au départ que la Cour fédérale du Canada est une cour créée par la loi et que sa compétence est définie et limitée par la loi qui l'a créée. Dans l'arrêt Commission d'énergie
électrique du Nouveau-Brunswick c. Maritime Electric Company Limited, [1985] 2 C.F. 13 (C.A.), le juge Stone, qui prononçait le jugement de la Cour à la suite d'une requête en sursis d'exécution d'une ordonnance en attendant l'issue d'un appel, a déclaré à la page 25:
La prétention voulant que la Cour possède le pouvoir inhé- rent de surseoir à l'exécution de l'ordonnance de l'Office peut être réglée rapidement. La Cour fédérale, contrairement à une cour supérieure d'une province, est une cour créée par la loi. Par conséquent, son pouvoir de connaître des litiges et de les trancher doit se fonder sur les termes qu'a utilisés le Parlement en lui accordant ce pouvoir.
Dans l'arrêt Canadian Javelin Ltd. c. La Reine du chef de Terre-Neuve, [1978] 1 C.F. 408 (C.A.), la Cour a rejeté l'appel interjeté de la décision par laquelle le juge de première instance avait rejeté, pour défaut de compétence, une action intentée par trois compagnies contre la province de Terre-Neuve. Le juge en chef Jackett a déclaré ce qui suit, à la page 409:
À mon avis, il est reconnu en droit que la Couronne ne peut être poursuivie devant un tribunal pour une demande de redres- sement faite contre Elle sauf dans le cas le tribunal s'est vu attribuer la compétence statutaire pour connaître des demandes d'une catégorie spécifique formulées contre la Couronne.
À mon avis, le simple fait que la Cour fédérale a compétence concurrente avec les tribunaux provin- ciaux pour connaître d'actions civiles en violation du droit d'auteur ne suffit pas à conférer à la Cour la compétence pour connaître du présent procès intenté contre les Couronnes provinciales et les organismes provinciaux désignés comme défen- deurs en l'absence d'une disposition expresse en ce sens, qu'elle se trouve dans la loi fédérale ou dans les lois relatives aux poursuites contre la Couronne de chacune des trois provinces. Je souscris au raisonnement formulé par le juge Collier dans le jugement Avant Inc. c. R., précité, et, pour le paraphraser, je conclus que «pour pouvoir saisir notre Cour d'une action contre la Couronne pro- vinciale, il faut [...] qu'il existe une disposition législative permettant d'engager [. ..] des poursui- tes». Or dans le cas qui nous occupe il n'en existe aucune. Je suis également d'avis que la tradition- nelle immunité de la Couronne provinciale et de ses organismes en matière de procès devant la Cour fédérale n'a pas été supprimée en l'espèce par les dispositions générales de la Loi sur la Cour fédérale relatives à la compétence concurrente ratione materiae à l'égard du droit d'auteur, sui-
vaut le principe posé dans l'arrêt Union Oil Com pany c. La Reine, précité.
Le paragraphe 15(1) de la Charte
Les défendeurs affirment que la demanderesse ne peut invoquer l'article 7 ou le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.)] à l'appui de son présumé droit de saisir la Cour fédérale de son action en violation du droit d'auteur. En fait, il semble acquis aux débats que l'article 7 de la Charte ne s'applique de toute façon pas parce que l'objet de la demande ne concerne que des droits de propriété ou des droits économiques. Quant au paragraphe 15(1) de la Charte, les défendeurs prétendent que la mention explicite des termes «every individual» dans la version anglaise de ce paragraphe empêche les personnes morales de se prévaloir des droits à l'égalité qui y sont garantis, citant à l'appui l'arrêt Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm Inc., [1987] 4 W.W.R. 279 (C.A. C.-B.) [autorisation d'interje- ter appel devant la Cour suprême du Canada refusée [1987] 1 R.C.S. vii]. Prévoyant que la demanderesse invoquerait l'arrêt Dywidag Sys tems International Canada Limited v. Zutphen Brothers Construction Limited (1987), 76 N.S.R. (2d) 398 (C.A.), les défendeurs ont prétendu qu'on peut établir une distinction entre la présente affaire et l'affaire Zutphen, en ce que le litige ne porte pas, comme dans cette dernière, sur une accusation de fausse déclaration faite avec négli- gence à l'égard d'un contrat conclu entre deux personnes, et que dans cette dernière affaire, les défendeurs avaient tenté avec succès de mettre la Couronne fédérale en cause en vertu du paragra- phe 15(1) de la Charte. Les défendeurs soulignent que le raisonnement à la base de l'arrêt Zutphen était la discrimination faite sur le plan procédural entre le particulier et la Couronne relativement à un litige perçu comme le résultat de l'attribution d'une compétence exclusive à la Cour fédérale en vertu de l'article 17 de la Loi sur la Cour fédérale. Les défendeurs prétendent que la présente affaire n'est pas analogue à la situation une partie peut en assigner une autre devant un tribunal devant lequel l'autre partie ne possède pas un droit réci- proque de poursuite. En outre, on prétend que les dispositions législatives fédérales applicables en
l'espèce, à savoir le paragraphe 20(2) de la Loi sur la Cour fédérale et l'article 37 de la Loi sur le droit d'auteur, ne confèrent à la Cour fédérale qu'une compétence concurrente, de telle sorte que tout moyen tiré de la discrimination doit certaine- ment échouer. Finalement, les défendeurs font valoir que l'article 15 n'a pas pour but d'obliger les législateurs provinciaux à conférer une compétence à des tribunaux qui ne relèvent pas de leurs limites territioriales ou de leur ressort, en l'espèce à la Cour fédérale du Canada.
La demanderesse table beaucoup sur l'arrêt Dywidag Systems International Canada Limited v. Zutphen Brothers Construction Limited, pré- cité, à l'appui de sa prétention que le paragraphe 15(1) de la Charte soulève la question de savoir si la position préférentielle que la théorie de l'immu- nité de la Couronne accorde à cette dernière en matière de procès n'est pas un anachronisme en cette ère moderne de la Charte. La demanderesse prétend, en invoquant les arrêts Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général (Québec), [1977] 1 R.C.S. 41; et Procureur général du Québec c. Labrecque et autres, [1980] 2 R.C.S. 1057, que la Couronne est une personne physique qui possède la même capacité de contracter que quiconque. La demanderesse prétend en outre que les personnes morales sont visées par le paragraphe 15(1) de la Charte et qu'à ce titre, elles bénéficient du droit garanti d'être protégées contre la discrimination. La demanderesse cite à l'appui de cette proposition l'arrêt Andrews c. Law Society of British Colum- bia, [1989] 1 R.C.S. 143.
Je suis d'accord avec l'avocat des défendeurs pour dire que l'arrêt Zutphen porte sur des faits différents de ceux de la présente espèce, essentiel- lement parce qu'on a jugé dans cet arrêt que la compétence exclusive de la Cour fédérale de con- naître de procès intentés contre la Couronne fédé- rale contrevenait aux dispositions relatives à l'éga- lité contenues à l'article 15 de la Charte. Voici comment le juge d'appel Jones expose son raison- nement sur ce point, à la page 447:
[TRADUCTION] En conférant une compétence exclusive à la Cour fédérale, l'art. 17 de la Loi sur la Cour fédérale a pour effet de placer le particulier dans une position différente de la Couronne comme partie. Alors que la Couronne peut poursui- vre le particulier devant la Cour suprême, le particulier ne possède pas ce même droit de poursuivre la Couronne. Il s'ensuit que le particulier n'est pas égal devant la loi et qu'il ne jouit pas de la même protection et du même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination.
Dans le cas qui nous occupe, il n'est pas question d'une compétence exclusive conférée à la Cour fédérale qui pourrait être perçue comme assujettis- sant la demanderesse à une discrimination sur le plan procédural. Les dispositions législatives fédé- rales applicables, auxquelles j'ai fait allusion, con- fèrent simplement une compétence à l'égard des procès ou poursuites pour violation du droit d'auteur.
En tout état de cause, le nœud de tout le litige, il me semble, consiste à savoir si la demanderesse et, en fait, la Couronne, sont visées par le paragraphe 15 (1) de la Charte.
Dans l'arrêt Milk Bd. v. Clearview Dairy Farm Inc., la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a statué que les personnes morales n'étaient pas visées par le paragraphe 15 (1) de la Charte parce qu'elles ne sont pas des particuliers («individual»). Le juge d'appel Tarnopolsky a développé ce même thème dans l'arrêt R. v. Stoddart, (1987), 37 C.C.C. (3d) 351 (C.A. Ont.), à la page 360:
[TRADUCTION] Les droits énoncés au paragraphe 15(1) sont ceux de «tous» («every individual»). C'est la seule disposition de la Charte qui accorde des droits à «tous». Ce terme a été expressément substitué par le Comité conjoint du Sénat et de la Chambre des communes au terme «chacun» («everyone»), qui était employé dans le projet original de Charte d'octobre 1980 (voir le procès-verbal des débats et des témoignages 1980-81, 29 janvier 1981).
L'Oxford English Dictionary définit le terme «individual» comme [TRADUCTION] «l'être humain, par opposition à la société, à la famille, etc.» De même, le Black's Law Dictionary définit ce terme de la façon suivante:
[TRADUCTION] Comme nom, ce terme s'entend de l'indi- vidu, par opposition au groupement ou à la collectivité et désigne très souvent un particulier ou une personne physique par opposition à une personne morale ou à un groupement de personnes physiques ou morales; ce sens restreint ne serait cependant pas inhérent à ce mot et il pourrait, dans certains cas, s'appliquer aux personnes morales.
En fait, il est de jurisprudence assez constante que le terme ne désigne que les êtres humains et qu'il exclut les personnes morales [...]
Le juge s'est ensuite demandé si le terme «indivi- dual» de la version anglaise du paragraphe 15(1) de la Charte s'appliquait à la Couronne et, après avoir examiné l'arrêt Zutphen et d'autres précé- dents, il a conclu en ces termes, à la page 362:
[TRADUCTION] La Couronne n'est pas un «individual» avec lequel une comparaison peut être faite pour déterminer s'il y a eu violation du paragraphe 15(1).
Dans le jugement Rudolph Wolff & Co. v. Canada (1987), 26 C.P.C. (2d) 166 (H.C. Ont.) [conf. par la C.A. Ont. le 7 mars 1988], la deman- deresse poursuivait la Couronne fédérale en dom- mages-intérêts devant la Cour suprême de l'Onta- rio pour inexécution de contrat, violation d'obligations de fiduciaire et fausse déclaration. La défenderesse a présenté une requête en radia tion au motif que le litige relevait de la compé- tence de la Cour fédérale du Canada en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Cour fédérale. La demanderesse a fait valoir que l'attribution d'une compétence exclusive à la Cour fédérale portait atteinte aux droits à l'égalité que lui garan- tissait le paragraphe 15(1) de la Charte, citant à l'appui l'arrêt Zutphen, précité. Après avoir exa- miné attentivement les décisions Zutphen et Stod- dart et d'autres précédents, le juge Henry a énoncé la conclusion suivante, à la page 173:
[TRADUCTION] À mon avis, l'arrêt Stoddart de la Cour d'appel appuie le principe que pour l'application des lois régis- sant les rapports entre la Couronne et les particuliers en matière civile et criminelle, le paragraphe 15(1) ne s'applique pas, parce que la Couronne n'est pas une personne que l'on peut comparer à un particulier aux fins de cette disposition.
Qu'il suffise de dire que je souscris entièrement aux opinions exprimées par le juge Tarnopolsky et par le juge Henry dans les arrêts Stoddart et Rudolph Wolff & Co. respectivement. À mon avis, l'arrêt Andrews c. Law Society of British Colum- bia, précité, n'appuie pas le principe formulé par la demanderesse. Au surplus, je ne vois pas en quoi les arrêts Verreault (J.E.) & Fils Ltée c. Procureur général (Québec) et Procureur général du Québec c. Labrecque et autres, précités, appuient de quel- que façon que ce soit la thèse de la demanderesse.
Par ces motifs, je suis forcé de conclure que la Section de première instance de la Cour fédérale n'a pas compétence pour connaître de l'action en violation du droit d'auteur de la demanderesse. La requête en rejet des défendeurs est donc accueillie avec dépens, et une ordonnance sera prononcée en conséquence.
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